La Vie de Jésus (Taxil)/Chapitre LXVII

P. Fort (p. 347-351).

CHAPITRE LXVII

LE MORT POUR RIRE

Joseph d’Arimathie était propriétaire d’un jardin, situé précisément sur le Golgotha, à proximité de l’endroit où les croix avaient été disposées. L’Évangile ne dit pas d’une manière expresse que ce jardin appartînt au dévoué sénateur ; mais les curés le présument ; ne les chicanons pas pour si peu.

On transporta à bras le divin cadavre jusqu’à la propriété de Joseph. C’était là que se trouvait le beau sépulcre neuf dont il avait parlé à Pilate. Les femmes du Calvaire et le petit Jean assistèrent à cet ensevelissement, qui se fit sans tambour ni trompette. Marie, femme de Cléophas, et la Magdeleine tinrent bien à constater que tout se passait dans les règles. Elles suivirent avec attention tous les détails de cette funèbre besogne, et ne s’en allèrent que lorsque les domestiques de Joseph eurent roulé une lourde pierre à l’entrée du tombeau.

Cependant, après la visite du sénateur d’Arimathie, Pilate avait reçu celle des grands-prêtres.

— Messire, dirent les délégués du Sanhédrin, le sieur Jésus est mort, mais ce n’est pas tout. Nous nous souvenons que cet imposteur a dit pendant qu’il vivait encore : « Après trois jours, je ressusciterai. » Il y a donc à craindre que ses disciples viennent dérober son corps, le fassent disparaître et aillent ensuite crier partout : « Jésus était si bien un dieu, qu’il est ressuscité. »

— Eh bien ! répondit Pilate, quand même cela arriverait, ce n’est pas la disparition du corps qui prouverait sa résurrection. La seule et bonne preuve à produire serait au contraire l’exhibition de Jésus plus vivant que jamais.

— Oh ! ces gens sont tellement roués et le public est tellement badaud, que ceux-là feront bien croire à celui-ci tout ce qu’ils voudront, si simplement le corps du crucifié est introuvable.

— Alors, que voulez-vous que j’y fasse ?

— Ordonnez, seigneur, qu’une garde soit placée auprès du sépulcre, avec l’ordre sévère de n’en laisser approcher personne, au moins pendant trois jours.

Pilate réfléchit un moment, puis il dit :

— Vous pouvez bien faire cela vous-mêmes. N’avez-vous pas une troupe a votre service ?

— Oui, messire.

— Placez-la donc au sépulcre, et gardez le cadavre comme vous voudrez.

Les princes des prêtres s’en vinrent chercher les soldats du Temple, les conduisirent au jardin de Joseph d’Arimathie, et leur donnèrent une consigne rigoureuse. Par surcroît de précautions, ils mirent les scellés sur la pierre qui fermait le tombeau.

La journée du samedi de la Pâque se passa sans aucun incident. Le corps du Christ était un cadavre vulgaire, puisque ce jour-là son âme était ailleurs, occupée à présenter au père Jéhovah les âmes des limbes qui avaient mérité le paradis.

Mais c’est le dimanche matin que les choses allaient prendre une autre tournure.

Les gardes dormaient comme des bienheureux auprès du sépulcre. La Magdeleine et l’autre Marie arrivèrent au jardin, munies d’une nouvelle provision de parfums ; elles avaient pensé que les cinquante kilogs de myrrhe et d’aloès de Nicodème ne suffisaient pas pour conserver le corps, et elles croyaient à la nécessité d’un supplément d’embaumement. Tout à coup, elles sentirent la terre trembler sous leurs pieds.

Au même instant, les gardes furent réveillés en sursaut ; ils virent un ange descendre du ciel, le visage brillant comme un éclair, les vêtements blancs comme la neige ; en un tour de main, il renversa la pierre tumulaire. Les gardes épouvantés se collèrent la face contre le sol. Ce fut à ce moment sans doute que Jésus sortit du sépulcre.

Les quatre évangélistes racontent encore, chacun à sa manière, l’épisode de la résurrection. Selon Matthieu, la Magdeleine et l’autre Marie viennent seules au tombeau, et, de l’entrée du jardin, assistent à l’arrivée de l’ange, sans toutefois voir sortir le Christ. Selon Marc, les femmes sont au nombre de trois, Marie, épouse de Cléophas, la Magdeleine et Salomé, et, quand elles arrivent, la résurrection est depuis un bon moment accomplie ; l’ange est assis sur la pierre sépulcrale, enlevée et placée à une certaine distance ; les soldats sont partis. Selon Luc, ce sont la Magdeleine, Joanna et toutes les femmes du Golgotha qui viennent, et il y a deux anges, non auprès du tombeau, mais à l’intérieur. Selon Jean, la Magdeleine, exclusivement seule, se présente, ne voit aucun ange d’abord, et s’en va chercher Pierre pour constater que le sépulcre est vide.

Puisque les évangélistes se contredisent donc, nous prendrons le récit d’un seul. Sans cela, nous ne parviendrions pas à nous en tirer, tant le gâchis est grand dans les soi-disant sacrées écritures.

Suivons la narration de Jean.

La Magdeleine entre donc dans le jardin.

— Ma parole, s’écrie-t-elle, le sépulcre est ouvert !

Elle y jette un coup d’œil.

— Vide ! il est vide !

Et elle court conter l’événement à Pierre et à Jean :

— Venez voir, dit-elle, ils ont enlevé du sépulcre mon bien-aimé, votre patron à tous. Qui sait où ils peuvent bien l’avoir mis ?

— Rassurez-vous, Magdeleine, répond Pierre ; un cadavre, voyez-vous, ça ne s’égare pas comme un parapluie ; nous le retrouverons.

La Magdeleine, Pierre et Jean partent pour la propriété du sénateur ; mais Jean, qui court plus vite que les deux autres, arrive premier. Il va droit au tombeau, se baisse, regarde à l’intérieur et n’aperçoit que les linceuls qui gisent à terre et le suaire qui, paraît-il, « avait été soigneusement plié ». Pierre arrive à son tour et entre, lui, dans l’excavation : il constate la présence des mêmes objets. Jean, enhardi par l’exemple de Pierre, entre également. Les deux apôtres se regardent étonnés et ressortent sans échanger un mot. Puis, ils s’en retournent chez eux.

Seule, la Magdeleine demeure auprès du tombeau. Elle verse un torrent de larmes.

— Mon pauvre Jésus ! mon pauvre Jésus ! s’écrie-t-elle ; faut-il que ces scribes et ces pharisiens soient barbares !… Voilà maintenant qu’ils s’acharnent contre le cadavre de mon bien-aimé !… Car, j’en suis sûre, ce sont eux qui l’ont enlevé… Hélas ! hélas ! que peuvent-ils vouloir en faire ?…

Et, comme elle se baissait pour regarder encore, elle aperçut dans le tombeau deux anges habillés de blanc : ils étaient assis à l’endroit où avait été le cadavre, et se tenaient l’un à la tête, l’autre aux pieds. Notez que ni Jean ni Pierre, qui étaient entrés, n’avaient aperçu ces deux brillants personnages.

— Femme, dirent-ils, pourquoi pleurez-vous ?

— C’est qu’ils ont enlevé mon seigneur, répondit-elle, et je ne sais où ils l’ont mis !…

Tandis qu’elle disait cela, un homme, portant une pioche et coiffé d’un large chapeau de paille, arriva soudain auprès d’elle.

— Tiens, le jardinier ! fit la Magdeleine.

L’homme lui répéta la question des anges :

— Femme, pourquoi pleurez-vous ? qui cherchez-vous ?

— Monsieur le jardinier, fit la Magdeleine suppliante et joignant les mains, monsieur le jardinier, si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis, et je l’emporterai. (Textuel).

Le jardinier fit un pas vers elle, et, la regardant avec des yeux pleins de douceur, dit :

— Marie !

— Cette voix ! s’écria la maîtresse du Christ ; cette voix, mais je la reconnais à présent !… Cette barbe, mais c’est celle de mon Jésus chéri !…

Et elle se précipita pour l’embrasser en l’appelant :

— Ô mon seigneur ! ô mon maître !

L’Oint l’arrêta d’un geste :

— Regarde, mais ne touche pas ; je suis à peine ressuscité, il me manque mes entrailles, je suis encore fragile ; il faut que je me refasse un estomac. Seulement, va trouver au plus tôt mes disciples, et fais-leur part de ce que tu as vu.

La Magdeleine, obéissante comme un caniche, se rendit auprès des disciples et leur rapporta ce qui s’était passé.

L’évangéliste Matthieu, qui met en scène deux femmes dans cette aventure, raconte qu’elles lui embrassèrent les pieds et qu’il ne s’opposa pas à leurs attouchements.

Ce Matthieu ajoute à son récit une fin que les trois autres évangélistes ont ignorée.

Les soldats, quand ils furent remis de leur épouvante, prirent leur plus belle course hors de ce jardin où les morts ressuscitaient.

Ils avaient la figure affreusement bouleversée quand ils entrèrent au palais des grands-prêtres.

— Qu’est-ce ? qu’y a-t-il donc ? interrogèrent les gardiens du Temple.

— Il y a que votre cadavre, que vous nous avez donné à garder, en fait de belles !…

— Quoi donc ?

— C’est un mort pour rire, cet homme !

— Ah bah !

— Il a pour amis des individus qui descendent du ciel avec une figure brillante comme un éclair… On a bousculé la pierre qui fermait le tombeau… Il y a eu un tremblement de terre… Non, vrai ! vous savez, ce n’est pas drôle d’avoir à garder ce paroissien-là !…

Les princes des prêtres n’en revenaient pas.

— C’est bon, firent-ils enfin… Ne racontez jamais à personne ce que vous venez de nous dire… Tenez, voilà des monacos… Si on vous interroge, vous expliquerez que les compagnons de ce Jésus sont venus pendant que vous dormiez et ont enlevé le corps.

Et ils donnèrent aux soldats, dit Matthieu, une très grande somme d’argent. Les gardes allèrent boire la goutte à la santé de Jésus et des grands-prêtres. (Matthieu, XXVII, 62-66 ; XXVIII, 1-15 ; Marc, XVI, 1-11 ; Luc, XXIV, 1-12 ; Jean, XX, 1-18.)