La Vérité sur l’Algérie/08/02

Librairie Universelle (p. 340-343).


CHAPITRE II

De comptabilité qui ne soit pas algérienne, qui soit vraie.


Constatons.

Car nous ne pouvons nous contenter des affirmations ni des chiffres des Algériens. M. Paul Leroy-Beaulieu lui-même, qui n’est pas un homme bien méchant, a écrit :


« Les publications qu’on rédige à Alger font apparaître un excédent annuel des recettes et les publications qui s’éditent à Paris font ressortir un déficit notable et permanent. » (Algérie, page 192.)

« Les prétendus excédents des années 1887 à 1891 sont une pure et indigne mystification. » (Algérie, page 195.)


Nous voilà prévenus par un homme dont la modération est classique, légendaire, par un citoyen qu’on ferait difficilement passer pour un exalté. Il nous dit que les chiffres servis par les comptables officiels de l’Algérie, c’est « une pure et indigne mystification ».

Pure du point de vue algérien. Car, si c’est dans l’intention de nous tromper sur leur situation financière qu’ils présentaient de faux résultats, des excédents quand il y avait déficit, cette intention que nous trouvons « indigne » de notre point de vue métropolitain, les Algériens la trouvaient, eux, pure, très pure ; elle servait en effet leur crédit. Ce n’est pas « indigne mystification », comme le croit M. Leroy-Beaulieu, c’est « pure » manœuvre algérienne. C’est la moralité d’hier. C’est la moralité d’aujourd’hui. C’est la moralité de cet homme des Délégations financières qui, en séance, et sans que le commissaire du gouvernement, lequel était, il est vrai, M. de Peyerimhoff, proteste, engage l’administration à dissimuler l’échec des colons qui n’ont point réussi pour ne pas effrayer les importateurs de capitaux. (Voir page 267.) C’est la moralité de la « nouvelle race ». Mentir. Présenter de faux chiffres, des résultats truqués. Dans le budget. Oui. Le budget traité comme les tabacs des fabricants de cigarettes qui nous donnent à fumer des raclures de brousse, des varechs et des alfas pour du pur havane. Les cigarettes peuvent passer. C’est fumées toujours. Et courez après des fumées. Les chiffres restent, Les budgets demeurent. On peut regarder, contrôler.

Et c’est tôt fait.

Avant 1900, avant l’établissement du budget spécial et surtout la publication des comptes du ministre des finances pour opérer ce que je dirai la liquidation de la situation financière de l’Algérie de 1830 à 1900, c’était assez difficile. On avait peine à s’y reconnaître. Une savante dispersion des comptes rendait l’examen pénible. C’est du moins ce qu’affirme M. Leroy-Beaulieu. Mais aujourd’hui c’est très facile.

Ouvrons la statistique financière de l’Algérie pour l’année 1901, page 2, tableau no1. Comparaisons des recettes et des dépenses de toutes natures effectuées en 1900 et de 1830 à 1899.

Nous voyons :

Excédent des recettes sur les dépenses : 13.900.879 francs.

Excédent des dépenses sur les recettes : 4.785.291.409 francs.

Et cela donne en déficit : 4.771.390.530 francs.

En 1900 l’Algérie coûtait à la France la somme de 4.771.390.530 francs, sans compter l’accumulation des intérêts annuels augmentant successivement d’autant la dette et la portant à plus de 20 milliards. Cette même année le déficit fut de 86.271.265 francs.

Voilà pour le budget public.

Pas de phrases, pas de mots, pas d’explications, pas d’équivoques, pas de raisonnements, pas de sophismes. Un chiffre vous a donné le prix argent de l’objet.

Ajoutez-y les 300.000 morts ; les 300.000 adultes, les 300.000 mâles ; les 300.000 existences par quoi se chiffre le prix sang.

Et voilà l’idée précisée de la bonne affaire. C’est le déficit. Énorme. Formidable. Incroyable… Réel.