La Vérité sur l’Algérie/01/02


CHAPITRE II

L’opinion commune des Français, dite officiellement par M. Loubet, président de la République française.


En 1903 l’opinion commune des Français fut officiellement exprimée, sous toutes les formes possibles, et avec tout le détail nécessaire, par le président de la République, durant son voyage en Algérie.

M. Loubet représente la France. Lorsqu’il parle officiellement, ce n’est pas en son nom, c’est à celui de la France. Lorsqu’il exerce les fonctions de président de la République, M. Loubet n’a plus de personnalité. Il est l’organe de la France. Il peut avoir dans le particulier telles ou telles idées qui lui plaisent, qu’il croit justes ; celles qu’il manifeste dans l’officiel ne peuvent être que celles de la majorité, celles de la France. Pour mettre en lumière l’opinion commune sur l’Algérie, je n’aurai besoin que de citer quelques extraits des nombreux discours prononcés en Algérie par le président.

Voici :


« … L’œuvre d’hier, patiemment, conduite par un patriotisme tenace durant trois quarts de siècle, à travers quarante années d’expéditions qui furent une des écoles de la bravoure française[1], je suis loin de vouloir en méconnaître la valeur.

« Elle est digne de toute notre reconnaissance et de toute notre admiration.

« Sur ce sol, théâtre de batailles épiques, implanter notre race, qui se montre ici — la statistique le prouve — plus féconde que sur l’autre continent ; transformer ces régions jadis inhospitalières en une des plus saines et des plus belles stations du monde ; en un pays sans voies de communication créer plus de 4.000 kilomètres[2] de chemins de fer et de 30.000 kilomètres de route, creuser plus de dix ports, dont l’un est pour le tonnage parmi les premiers ports de France ; élever le commerce extérieur à plus de 700 millions ; pousser la culture de la vigne au point de pouvoir exporter plus de trois millions d’hectolitres de vin ; répandre les primeurs du Tell sur les marches de la France et, par-delà, sur les marchés de l’Europe ; enfin préparer[3] la richesse morale avec autant de souci que la richesse économique ; assurer la justice et, par elle, la pacification ; travailler incessamment à former le faisceau des volontés et des cœurs vaillants, tout cela n’est-il pas de nature à nous inspirer quelque fierté ?

« … Malgré des tâtonnements et des passagères erreurs, l’Algérie n’a cessé de prospérer et de grandir. Pourquoi ? Parce que le colon a ces qualités qui font les races fortes : l’esprit d’initiative, le courage, le patriotisme.

« … L’avenir je crois l’entrevoir autant que la situation présente le permet :

« Les colons, de jour en jour plus nombreux et plus entreprenants, font sur la nature de nouvelles conquêtes et mettent en valeur des territoires inutilisés ou incultes, abandonnés par une incurie traditionnelle. Pénétrés par notre exemple et cédant aux rayonnements de l’âme française, les indigènes se rapprochent de plus en plus de nous ; ils conservent leur foi religieuse et leurs antiques coutumes, que la France ne cessera de respecter et de protéger ; mais ils nous comprennent mieux, ils sentent que nous apportons la force et non la tyrannie, la civilisation et non la haine, et ils nous aiment en obéissant à nos lois.

« Les Délégations financières dont les débuts nous ont donné de si vives satisfactions restent fidèles à l’esprit qui les anime ; appliquées au bien du pays, à la prudente gestion de ses ressources, au contrôle de son administration, elles poursuivent et complètent leur œuvre sans se laisser entamer par les querelles politiques, ni par les considérations de clientèle, qui sont le danger des assemblées électives ; elles sont le cadre et le lien commun des organes de la vie coloniale : des conseils généraux si justement appréciés des colons, des municipalités, cellules premières et nécessaires de tout organisme public, des chambres de commerce et d’agriculture, instruments chaque jour perfectionnés de défense et de progrès : des représentations de la colonie au Parlement ; sénateur, et députés servent de trait d’union vivant entre la France d’Afrique et la France d’Europe ; enfin le gouvernement général, centre d’où part sans cesse l’impulsion de tous les services, est l’image respectée du gouvernement de la France au milieu de ses enfants d’Algérie.

« Au-dessus de ce monde organisé par le travail, plane, au lieu de l’ancien génie des combats, le génie de la paix abritant d’honnêtes gens réunis par la commune humanité sous les plis du drapeau tricolore. »


Notons, retenons que M. Loubet, obligé de célébrer la prospérité de l’Algérie… en parle surtout… dans l’avenir.

Reconnaissant le succès, le proclamant avec la magnificence ordonnée par sa fonction, M. Loubet, qui a de bons yeux et, si haut qu’il soit placé, voit certainement, n’a pu s’empêcher de laisser comprendre… que… tout de même…

Mais voici :


« Le Français qui aborde sur ce rivage ne peut se défendre d’un profond sentiment de joie. Notre nation a donné sur cette terre d’Afrique, prolongement de la terre française, des preuves éclatantes de son génie et de sa vitalité. Elle a lutté ; elle a triomphé ; elle sait que la victoire est longue à organiser.

« Comme la mer d’azur qui baigne ses côtes et qui doit servir à rapprocher, non à diviser, l’Algérie a eu ses orages. La présence du président de la République marquera-t-elle la fin d’une période d’expériences et d’épreuves et le commencement d’un régime fondé sur l’autorité et la liberté, sur la justice et la concorde. C’est ce que pensent, en partageant ma joie patriotique, les membres du gouvernement qui m’accompagnent.

« Pour moi, j’apporte ici, avec la sollicitude cordiale de la mère-patrie pour ses enfants, le dessein d’étudier sur place la situation et les intérêts d’un admirable pays où nous poursuivons un idéal à la fois économique et moral et où l’exercice de la liberté doit être concilié avec ses responsabilités et ses devoirs.

« À l’Algérie ! messieurs. À sa prospérité par le travail pacifique ! À sa grandeur par l’identification de ses destinées avec celles de la France ! »


Retenez ces phrases soulignées, vous n’en comprendrez tout le sens que lorsque vous aurez lu mon livre…

Et peut-être alors aurez-vous « le sourire », vous aussi, en vous rappelant qu’après avoir célébré la gloire de l’Algérie, dans le passé, dans le présent et dans l’avenir, M. Loubet disait aux délégués financiers :


« C’est a vous, messieurs, qui êtes l’expression la plus haute, la plus intelligente et la plus autorisée de la colonie, qu’il appartient d’assurer la réalisation continue de ce rêve. Je vous y convie au nom de la République, sûr de trouver dans vos cœurs un écho de mes sentiments. »


Un rêve… Ce ne sera qu’un rêve aussi longtemps qu’on fera de la politique sur des phrases de littérature électorale… et non sur les réalités de la terre et des hommes.

  1. Avec Sedan pour terme… aurait pu ajouter le président.
  2. Il y en a exactement 3.015. Mais le chiffre de 4.000 est celui des conversations algériennes. On est un peu plus au sud qu’à Marseille.
  3. C’est dans les nuances de ce genre qu’apparaît la douce ironie du Président ; par métier il devait chanter la richesse morale, la richesse économique ; mais il sait, il voit cet homme, alors il dit « vous préparez » ; ce n’est pas tout à fait ; la même chose que vous avez »…