La Tyrannie socialiste/Livre 2/Chapitre 12

Ch. Delagrave (p. 77-79).
Livre II


CHAPITRE XII

Jeu de dupe.


L’art de diminuer la production. — Heures de travail. — Fermer les débouchés. — Et la porte au nez. — Machine à produire et machine à vendre. — Singulière fraternité. — Double choc pour le travailleur. — Capacité de crédulité. — Ingratitude.


Je sais, socialiste, que tu es plus logique et que tu t’ingénies à diminuer la production par plusieurs procédés.

D’abord en réduisant la journée de travail à huit heures, tu t’imagines diminuer la production. Mais pourquoi ne demandes-tu pas l’anéantissement des 5 millions de chevaux vapeur qui représentent l’effort de plus de 100 millions d’hommes ? Tu n’oses. Je t’accuse de transiger. Tu n’as pas le courage d’aller jusqu’au bout de tes conceptions. Et puis pourquoi huit heures ? pourquoi pas deux ? pourquoi pas une ? pourquoi pas zéro ? la diminution de la production serait encore bien plus effective — et pour ton plus grand dommage, malheureux.

Mais si tu réduis ta production, tu augmentes le prix de revient ; donc tu fermes les débouchés de ton produit : et par conséquent, tu supprimes du travail pour toi et tes camarades. Ta malice consiste à te fermer au nez la porte de l’atelier, de l’usine et de la manufacture. Ce n’est pas plus pour son agrément que pour le tien que l’industriel produit des objets pour l’usage des autres et non pour le sien. S’il organise une machine à produire, c’est parce qu’il espère bien qu’il aura une machine à vendre supérieure ; et tu veux supprimer cette dernière en augmentant le prix de revient de la marchandise que tu fais. Si tu ne veux pas que la marchandise sorte, alors pourquoi entrerais-tu dans l’atelier ? qu’y ferais-tu ?

Non seulement tu te mets ainsi dans cette situation mauvaise comme producteur, mais tu te mets aussi dans une situation mauvaise comme consommateur. Vraiment, tu as une singulière manière de manifester tes sentiments démocratiques, en voulant faire de la cherté. Qui frappe-t-elle donc ? sinon tes frères les travailleurs, et leurs femmes et leurs enfants, puisqu’avec la même somme, ils pourront se procurer moins d’objets. Tu commences par prouver ta fraternité à leur égard en réclamant la gêne pour eux, mais tes camarades te témoignent les mêmes sentiments altruistes, en demandant que tu subisses également les effets de cette politique économique. Vraiment tes docteurs et toi, vous avez une étrange façon de comprendre tes intérêts.

Dans cette politique, tu es frappé sur la joue droite comme producteur, et sur la joue gauche comme consommateur. Si tu dis : Amen, cela ne prouvera pas la douceur de ton caractère, mais ta capacité de crédulité.

Réfléchis donc que s’il y a quelqu’un qui aies tout à gagner au bon marché, c’est toi.

Tu en profites d’abord comme travailleur : car plus il y a de produits à échanger contre leurs équivalents, plus la consommation grandit : par conséquent, la demande de travail ne cesse pas d’augmenter et ton salaire de s’élever.

Tu en profites ensuite comme consommateur : et à salaire égal, tu peux te procurer plus d’objets à ta convenance. Quand avec 10 francs de salaire, tu peux acheter une paire de souliers que tu aurais payés autrefois vingt francs, ton salaire vaut le double.

Lorsque tu te fais protagoniste de la cherté, tu continues à jouer les Georges Dandin.

Ingrat ! depuis plus d’un demi-siècle, tu n’as pas cessé d’être le favori de cette loi de l’offre et de la demande contre laquelle tu fulmines tes anathèmes !