La Souris métamorphosée en fille


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 33-39).

VII.

La Souris metamorphoſée en fille.



Une Souris tomba du bec d’un Chat-huant :
Je ne l’euſſe pas ramaſſée ;
Mais un Bramin le fit ; je le crois aiſément ;
Chaque pays a ſa penſée.

La Souris eſtoit fort froiſſée :
De cette ſorte de prochain
Nous nous ſoucions peu : mais le peuple Bramin
Le traite en frere ; ils ont en teſte
Que notre ame au ſortir d’un Roy
Entre dans un ciron, ou dans telle autre beſte
Qu’il plaiſt au ſort ; C’eſt là l’un des points de leur loy.
Pythagore chez eux a puiſé ce myſtere.
Sur un tel fondement le Bramin crut bien faire
De prier un Sorcier qu’il logeaſt la Souris
Dans un corps qu’elle euſt eu pour hoſte au temps jadis.
Le Sorcier en fit une fille
De l’âge de quinze ans, & telle, & ſi gentille,
Que le fils de Priam pour elle auroit tenté

Plus encor qu’il ne fit pour la grecque beauté.
Le Bramin fut ſurpris de choſe ſi nouvelle.
Il dit à cet objet ſi doux :
Vous n’avez qu’à choiſir ; car chacun eſt jaloux
De l’honneur d’eſtre votre époux.
En ce cas je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puiſſant de tous.
Soleil, s’écria lors le Bramin à genoux ;
C’eſt toy qui ſeras noſtre gendre.
Non, dit-il, ce nuage épais
Eſt plus puiſſant que moy, puis qu’il cache mes traits ;
Je vous conſeille de le prendre.
Et bien, dit le Bramin au nuage volant,
Es-tu né pour ma fille ? helas non ; car le vent

Me chaſſe à ſon plaiſir de contrée en contrée ;
Je n’entreprendray point ſur les droits de Borée.
Le Bramin fâché s’écria :
Ô vent, donc, puis que vent y a,
Vien dans les bras de noſtre belle.
Il accouroit : un mont en chemin l’arreſta.
L’étœuf paſſant à celuy-là,
Il le renvoye, & dit : J’aurois une querelle
Avec le Rat, & l’offenſer
Ce ſeroit eſtre fou, luy qui peut me percer.
Au mot de Rat la Damoiſelle
Ouvrit l’oreille ; il fut l’époux :
Un Rat ! un Rat ; c’eſt de ces coups
Qu’amour fait, témoin telle & telle :
Mais cecy ſoit dit entre-nous.
On tient toûjours du lieu dont on vient : Cette Fable

Prouve aſſez bien ce poinct : mais à la voir de prés,
Quelque peu de ſophiſme entre parmy ſes traits :
Car quel époux n’eſt point au Soleil préferable
En s’y prenant ainſi ? diray-je qu’un geant
Eſt moins fort qu’une puce ? Elle le mord pourtant.
Le Rat devoit auſſi renvoyer pour bien faire
La belle au chat, le chat au chien,
Le chien au Loup. Par le moyen
De cet argument circulaire
Pilpay juſqu’au Soleil euſt enfin remonté ;
Le Soleil euſt joüy de la jeune beauté.
Revenons s’il ſe peut à la metempſicoſe :
Le Sorcier du Bramin fit ſans doute une choſe

Qui loin de la prouver fait voir ſa fauſſeté.
Je prends droit là deſſus contre le Bramin meſme ;
Car il faut ſelon ſon ſiſtême,
Que l’homme, la ſouris, le ver, enfin chacun
Aille puiſer ſon ame en un treſor commun :
Toutes ſont donc de meſme trempe ;
Mais agiſſant diverſement
Selon l’organe ſeulement
L’une s’éleve, & l’autre rempe.
D’où vient donc que ce corps ſi bien organiſé
Ne pût obliger ſon hoſteſſe
De s’unir au Soleil, un Rat eut ſa tendreſſe ?
Tout débatu, tout bien peſé,
Les ames des Souris & les ames des belles
Sont tres-differentes entre elles,

Il en faut revenir toujours à ſon deſtin,
C’eſt à dire à la loy par le Ciel établie.
Parlez au diable, employez la magie,
Vous ne détournerez nul eſtre de ſa fin.