La Société et les gouvernemens de l’Hindoustan au XVIe et XIXe siècle/03

La Société et les gouvernemens de l’Hindoustan au XVIe et XIXe siècle
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 7 (p. 512-545).
◄  II


LA SOCIÉTÉ
ET LES
GOUVERNEMENS DE L’HINDOUSTAN
AU XVIe ET AU XIXe SIÈCLE


III.

L’INDE ANGLAISE EN 1854 ET LA NOUVELLE CHARTE DE LA COMPAGNIE.


I. Ayin Akbery or the Institutes of the emperor Akber, translated from the original Persian, by Francis Gladwin ; 2 vol. {{{{in-8°}}}}, Londres, 1800. — II. The History of India, by the honourable Mountstuart Elphinstone ; 2 vol. {{{{in-8°}}}}, Londres, 1841. — III. The History of British India, by James Mill, with notes and continuation, by H.-H. Wilson ; 9 vol. {{{{in-8°}}}}, Londres. 1841-1849. — IV. On the Aborigines of India, by B. H. Hodgson. Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1849. — V. Some Conjectures on the progress of the Brahminical conquerors of India, by H. Torrens. Journal of the Asiatic Society of Bengal, 1850. — VI. The Administration of the East India Compagny, by J.-W. Kaye ; I vol. {{{{in-8°}}}}. Londres. 1853. — VII. Cases illustrative of Oriental Life and the application of English law to India, etc., by sir Erskine Perry late chief justice (Bombay) ; 1 vol. {{{{in-8°}}}}, Londres, 1853. — VI. Parliamentary Papers respecting India, 1851-1853, etc.

Ce qu’avait fait le génie d’un homme au XVIe siècle pour les peuples de l’Hindoustan, une grande nation a pour mission de l’accomplir au XIXe siècle. Jamais un dessein providentiel ne s’est peut-être manifesté plus clairement que dans l’enchaînement merveilleux des faits qui, après tant d’oscillations, ont placé la balance des destinées de l’immense famille indienne entre les mains du parlement britannique.

Nous avons décrit ici même la scène où ont figuré tour à tour tant de races diverses et d’hommes éminens ; nous avons montré, — l’histoire du XVIIIe siècle à la main, — comment une poignée de soldats au service d’une compagnie de marchands européens avait, sans le savoir et sans le vouloir, décidé au profit de l’Angleterre la plus haute question politique et commerciale qui eût été débattue depuis Alexandre. Le tableau que nous tracions, il y a plusieurs années déjà[1], de l’étendue, de la population et des ressources de l’empire hindo-britannique ne représente fidèlement aujourd’hui que les traits les plus saillans, les qualités et les défauts (si l’on peut s’exprimer ainsi) les moins incontestables de cette immense combinaison politique dont le parlement et le ministère anglais avaient en quelque sorte abandonné l’avenir à une association unique à ce point de vue dans les annales du monde, — la compagnie des Indes orientales. L’expiration du dernier contrat passé entre le gouvernement anglais et la compagnie[2] laissait à la couronne l’un de ces deux partis à prendre : provoquer le maintien du statu quo, ou modifier par un nouveau bill la constitution de l’empire hindo-britannique. C’est à ce dernier parti que les ministres de la reine ont cru devoir s’arrêter, en se bornant toutefois à introduire dans la constitution de l’Inde des modifications d’un caractère évidemment transitoire, et destinées à préparer un nouveau régime qui placerait la société hindoue sous l’administration directe du gouvernement de la reine. Quelques-unes des conséquences que nous avions prévues et indiquées en 1840, comme fatalement liées à la domination de l’Angleterre dans l’Inde, se sont ainsi développées à la suite d’événemens dont l’importance a plutôt dépassé que contredit nos appréhensions. — Quelle est aujourd’hui la situation de l’empire hindo-britannique ? Quel est le rôle imposé à l’Angleterre en vertu de l’acte récent qui est venu modifier le gouvernement de l’Inde ? L’étude que nous avons faite des institutions d’Akbăr[3] nous permettra d’aborder ces deux questions avec une intelligence plus complète des ressources et des vrais intérêts de la société hindoue.

Sous le rapport du territoire et de la population, l’empire hindo-britannique s’est accru, non par suite d’un vain désir de conquête, il est juste de le reconnaître, mais par la force irrésistible des circonstances, qui semblent condamner ce corps gigantesque à grandir irrégulièrement sans relâche, pour s’affaisser un jour peut-être, si ce n’est se briser sous son propre poids.

L’histoire récente de la domination militaire des Anglais dans l’Inde nous la montre entraînée à se développer sans cesse. Les Anglais ont manqué sans doute le but principal que leur politique s’était proposé dans la grande expédition d’Afghanistan ; mais nous sommes convaincu qu’on a beaucoup exagéré en Europe l’étendue et les conséquences du désastre. Les causes de ce naufrage partiel sont aujourd’hui bien connues et témoignent non pas d’un défaut de prévoyance et de sagesse dans le plan, mais d’une imprévoyance et d’une inhabileté déplorables dans l’exécution, à dater de la restauration passagère de Shâh-Shoudjah. Quel a été le résultat après tout ? Forcée d’abandonner Kaboul et ses dépendances immédiates, l’Angleterre ne devait pas et n’a pas voulu renoncer à la domination du bassin de l’Indus. Restée maîtresse du Sindh et de la riche province de Peschavăr, elle a été entraînée à l’annexion définitive du Moultân et du Păndjâb aux domaines immédiats de la compagnie, et cette annexion, accomplie après deux luttes sanglantes, laisse la puissance anglaise souveraine au nord du Sătledje et maîtresse absolue du cours de l’Indus et de ses affluens depuis huit ans. L’intention du gouvernement suprême paraît être d’ériger le Păndjâb et les provinces voisines en une présidence nouvelle sous le nom de présidence de l’Indus. Ce serait, dans ce cas, la quatrième présidence, celle d’Agra ayant été réduite et maintenue jusqu’à ce jour au rang de « gouvernement des provinces du nord-ouest, » avec un lieutenant-gouverneur. Lahore acquiert en effet une importance immédiate depuis que le Păndjâb et le Moultân, ainsi que la province de Peshavăr, sont passés sous la domination directe de la compagnie. Là encore il y aurait, au point de vue politique, une analogie frappante entre les mesures adoptées par les Anglais et celles dont l’application exigea de si longs et de si persévérans efforts de la part d’Akbăr.

À l’autre extrémité de cette immense diagonale que les conquêtes anglaises ont tracée du 70e au 96e degré de longitude est, — entre les 15e et 35e degrés de latitude nord, — l’annexion du Pegu, également prévue comme conséquence inévitable des provocations insensées des Birmans, rend, depuis un an, l’Angleterre maîtresse du cours de l’Irrawady, ce fleuve rival, par son importance, du Barrhampoutter, du Gange et de l’Indus. Il faudra donc nécessairement que l’Hindo-Chine tout entière subisse, dans un avenir prochain, la domination plus ou moins directe que subit l’Hindoustan depuis le siècle dernier. Cela rappelle et semble justifier, dans une certaine mesure, ces paroles de Jacquemont : « La domination anglaise dans l’Inde est un état de choses forcé, critique, qui ne peut rester longtemps stationnaire. Il faut qu’il avance, ou qu’il recule jusqu’à ce qu’il tombe[4].» La question toutefois ne nous paraît pas devoir être posée dans des termes aussi absolus à beaucoup près, quand on considère qu’il s’agit ici d’une domination chrétienne » dans l’acception la plus libérale de ce mot.

En constatant la domination que le christianisme exerce et qu’il est appelé à étendre dans l’Inde, il ne faut pas donner aujourd’hui à ce terme une signification pratique qu’il ne saurait avoir en des contrées où l’immense majorité des consciences est et sera longtemps encore sous le charme des superstitions brahmaniques et mahométanes, des légendes poétiques de l’islamisme et des Pouranâs. Le christianisme n’a apporté de fait dans l’Inde, au moins jusqu’à présent, que l’influence de la civilisation qu’il avait fondée en Europe et la science administrative des états occidentaux, dont la force des choses l’a rendu le principal propagateur. La supériorité morale du christianisme sur les religions de l’Orient ne s’est révélée qu’à quelques intelligences d’élite parmi ces peuples qui se laissent encore entraîner par une imagination rêveuse plutôt que guider par la raison. Ils ne reconnaissent, pour la plupart, aux chrétiens qu’une aptitude redoutable à la domination et des facultés puissantes dont ils ont souvent abusé depuis que la Providence a permis qu’ils prissent une part quelconque au gouvernement de l’Hindoustan. Les chrétiens sont pour eux des maîtres, mais non des frères au point de vue religieux, et les analogies qui rapprochent, à de certains égards, nos croyances des leurs ont à leurs yeux le caractère d’un emprunt, en sorte qu’ils ne peuvent y reconnaître un nouveau point de départ des destinées morales de l’humanité. Cela posé, il ne s’agit pour l’historien politique que de comparer les grands principes de l’administration hindoue-musulmane, tels qu’ils ont été proclamés et mis en pratique par Akbăr, avec l’ancien et nouveau système d’administration appliqué au vaste empire indien par l’un des premiers peuples de la chrétienté[5].


I. — COMPARAISON DES SYSTÈMES DE GOUVERNEMENT MOGHOL ET ANGLAIS DANS LE PASSÉ.

Le gouvernement fondé par Akbăr devait porter l’empreinte des mœurs et des habitudes de son temps et de sa race, habitudes essentiellement militaires, mœurs égalitaires, douces, simples et polies en théorie, aristocratiques, vaniteuses et sensuelles dans la pratique. Le caractère d’Akbăr n’était pas exempt des défauts que l’histoire impartiale reproche à son père et à son grand-père ; mais il se distinguait éminemment de l’un et de l’autre par le sentiment profond qu’il avait des droits de l’humanité aussi bien que par la tournure philosophique de son esprit. Convaincu de l’origine divine du pouvoir et porté par les tendances ambitieuses de son génie à l’absolutisme, au maintien des privilèges et aux exigences d’une étiquette exagérée, son respect pour la raison, son admiration instinctive pour les œuvres de l’intelligence, la rectitude et l’élévation de son jugement et son amour pour ses semblables, l’entraînaient au contraire à reconnaître et à proclamer le dogme de l’égalité devant Dieu, devant la loi, devant la société. Ses actes et ceux de son ministre se sont ressentis de cette double tendance. L’empire moghol, dans la pensée d’Akbăr, devait avoir une constitution militaire, un gouvernement de représentation et surtout une administration paternelle. Tous les efforts du législateur, toutes les prescriptions de l’administrateur, furent dirigés vers ce but à dater du jour où le cœur et le génie d’Akbăr trouvèrent un écho dans le cœur et le génie d’Abou’l-Fazl. C’est là ce qui ressort pour nous de l’étude de l’Ayîn Akbari et de celle de l’histoire de l’Hindoustan depuis le règne d’Akbăr. Telle était en effet l’importance des principes de libéralité, de tolérance et de justice qui présidèrent à l’administration de ce souverain, qu’on peut affirmer que non-seulement de l’abandon de ces principes salutaires a daté la décadence de l’empire moghol, mais que la domination nouvelle élevée par les Anglais sur les ruines de ce vaste empire n’a pu se consolider et s’étendre au point où nous l’admirons aujourd’hui (sans l’envier toutefois) que par un sage retour aux nobles idées et aux pratiques gouvernementales de l’empereur Akbăr.

Les progrès réalisés dans l’intervalle par la civilisation européenne ont puissamment aidé d’ailleurs à la reconstruction de l’édifice politique, et ont amené le développement gigantesque de cette structure merveilleuse dont Akbăr avait jeté les bases. C’est ici le lieu d’invoquer l’opinion de Warren Hastings. Ce grand homme regardait les instituts d’Akbăr comme admirablement adaptés au génie des peuples de l’Hindoustan ; il recommandait aux directeurs de la compagnie de s’en rapprocher autant que possible dans les principes et la pratique de leur gouvernement. Dans la lettre que le conseil suprême écrivit à la demande d’Hastings afin d’obtenir que la cour des directeurs souscrivît pour 150 exemplaires de la traduction de Gladwin, l’Ayîn Akbary est désigné comme « un ouvrage qui peut être de la plus grande utilité pour la compagnie, attendu qu’il contient les instituts généraux du sultan Akbăr, le fondateur de l’empire moghol. » Voilà ce que pensaient et ce qu’écrivaient en 1783 le gouverneur général et les membres du conseil suprême des Indes.

Quel changement merveilleux s’était opéré dès cette époque dans l’opinion des Européens sur la valeur morale des peuples de l’Hindoustan et sur le but auquel le gouvernement issu de la conquête devait tendre désormais ! C’est en effet une étude pleine d’enseignemens que celle des modifications qu’ont dû fatalement subir les relations des Anglais avec les Hindoustanys, modifications comparativement rapides, puisque la domination anglaise dans l’Inde ne date pas, à proprement parler, de plus d’un siècle. Ce n’est d’ailleurs que tout récemment que l’élément moral s’est introduit de fait dans cette domination, et les plus chauds partisans du gouvernement de la compagnie ont été forcés de reconnaître que les Anglais employés par elle ne s’étaient accoutumés que par degrés à regarder les Hindoustanys comme des hommes. L’auteur de travaux intéressans sur l’Inde anglaise, M. Kaye, a résumé avec une entière bonne foi les témoignages les plus décisifs à cet égard.

Que résulte-t-il pour tout observateur impartial de l’ensemble des faits ? Nous répondrons avec M. Kaye que les Anglais n’ont regardé les Indiens, pendant de longues années, que comme un peuple de noirs (sinon de nègres) avec lequel il était avantageux de trafiquer ; puis ils en sont venus à penser que ce peuple devait être subjugué ; puis, après avoir subjugué les Hindoustanys, ils les ont traités avant tout comme contribuables. Après un autre laps de temps, on est arrivé à les envisager comme un peuple qu’il fallait gouverner, et on a créé pour eux, ou, pour parler plus exactement, contre eux, tout un arsenal de lois ; mais, chose étrange, ce n’est qu’après avoir élaboré ce gouvernement, ces lois, ces règlemens destinés à assurer l’avenir de la domination anglaise, qu’on a jugé utile d’étudier les hommes que ces institutions nouvelles devaient régir.

Ce n’est pas ainsi qu’avait procédé Akbăr. Sous son gouvernement » l’étude des livres de l’Inde n’avait pas devancé, comme elle l’a fait sous le gouvernement anglais, celle des hommes. Ces deux études avaient marché de front pour ainsi dire, et les actes les plus importans de son règne témoignent de sa haute appréciation des uns et des autres. Enfin l’héritière de l’empire d’Akbăr, la reine d’Angleterre, du consentement et avec le concours de son parlement, vient d’entrer résolument dans la noble voie tracée par ce puissant génie, et désormais il est permis d’espérer que le sort des populations de l’Hindoustan s’améliorera graduellement sous l’influence d’institutions analogues en principe à celles d’Akbăr, mais sagement adaptées aux conditions nouvelles où se trouve le monde civilisé.

Aussi l’administration des Indes anglaises nous semble-t-elle dès ce moment présenter un résultat plus rassurant, à beaucoup d’égards, que ne l’auraient fait supposer les attaques dirigées tout récemment encore, en Angleterre même, contre le board of control et la compagnie, ou ce qu’on appelle le double gouvernement. De grands abus ont cessé, de grandes améliorations ont été introduites dans les rapports du gouvernement européen avec les indigènes ; les privilèges de race n’élèvent plus de barrières complètement infranchissables pour le mérite hindou ou musulman, et il est facile de prévoir que la réforme ne s’arrêtera pas là. Les progrès de la civilisation, l’infiltration lente, mais inévitable, des idées occidentales, le mélange également lent, mais également inévitable, des races et de leurs aptitudes diverses, donneront à la société anglo-indienne un caractère spécial qu’il faut prévoir, et dont le gouvernement anglais ne saurait impunément méconnaître la portée politique. Que de prudence, que d’habileté exige l’application de cette tolérance nécessaire en principe, mais redoutable à la longue dans ses effets, que le pouvoir européen est forcé (comme condition de son existence) d’étendre non-seulement aux croyances religieuses, mais aux différences sociales, aux préjugés qui le séparent des populations asiatiques, dont il a voulu embrasser les intérêts dans la plus large synthèse que jamais un pouvoir ait tentée !

Les Anglais ne se dissimulent pas sans doute les inconvéniens et les dangers inséparables d’une domination d’une nature aussi exceptionnelle. Le fardeau actuel, quelque magnifique qu’il puisse être, est lourd à porter, même pour la Grande-Bretagne : que sera-ce de l’avenir ? Le nœud de la difficulté n’est pas un de ces nœuds gordiens que puisse trancher l’épée d’un nouvel Alexandre. Ce qui a manqué jusqu’à présent à la puissance anglaise dans l’Inde, ce n’est pas l’admiration ou même l’estime de ses administrés, c’est leur affection. C’est à conquérir cette affection si nécessaire, m désirable, que devraient tendre désormais tous ses efforts ; c’est là qu’est le secret de la domination à venir ; c’est celui dont Akbăr avait fait usage, et que ses successeurs n’ont pas impunément dédaigné. Peut-être n’est-il pas trop tard pour atteindre à ce but moral, si digne de la plus haute, de la plus noble ambition qui puisse animer un grand peuple ; mais la complication des intérêts à ménager, des droits à satisfaire, des ambitions rivales à concilier, s’augmente de jour en jour avec l’espace que chaque jour aussi la fatalité de la conquête ajoute à l’empire l’hndo-britannique.

La solution définitive de ce problème apparaît parfois comme redoutable à l’Angleterre elle-même. Serait-elle en effet exposée à trouver, sans qu’elle eût le droit de s’en plaindre, une cause de ruine dans le triomphe de ses armes, de son intelligence et de son industrie, à trois mille lieues du centre naturel de sa force et de sa nationalité ? Les tendances actuelles du monde civilisé semblent indiquer, ou du moins rendent possible, et jusqu’à un certain point probable, une solution moins affligeante pour l’orgueil britannique. Cette solution, désirée ou même prévue par plusieurs esprits éminens dans l’Inde et dans l’Europe occidentale, a été indiquée par le ministère anglais, dans les deux dernières sessions du parlement, comme le but vers lequel devaient tendre désormais tous les efforts du gouvernement hindo-britannique. Elle se résume en cette formule : « Élever de plus en plus la condition sociale des peuples de l’Hindoustan, et les mettre en état de s’administrer eux-mêmes un jour à l’aide des principes et des lois dont l’Angleterre leur aura fait comprendre l’utilité et soigneusement enseigné l’application bienfaisante. »

En effet, la Providence, qui a confié momentanément à l’Angleterre les destinées de l’Hindoustan, permettra peut-être que, par un miracle de sagesse et de prudence humaines, les Anglais se ménagent la possibilité de renoncer un jour avec dignité, sans collision violente (soit avec l’invasion étrangère, soit dans l’intérieur de l’empire), sans précipitation en un mot et sans secousse, à la domination gigantesque qu’ils exercent. La lutte est engagée en Orient entre le génie de la domination européenne et la résistance rationnelle ou instinctive des peuples asiatiques. Quelle que soit, au point de vue des intérêts anglais, français ou russes, l’issue de cette lutte, nous avons tout droit d’espérer que la cause de l’humanité se dégagera puissante et progressive du choc des événemens qui peuvent encore ébranler le monde.

En ce qui touche à l’Hindoustan, la question, si vaste et si complexe qu’elle puisse paraître encore, repose sur des bases connues et précises. Quand on cherche à apprécier l’action et la réaction des peuples que la Providence a successivement amenés des extrémités du monde pour changer la face de cet empire, on arrive à ce résultat : — Parmi les races occidentales qui ont été admises à essayer leurs forces dans cette immense arène, les portugais, les Hollandais, les Français eux-mêmes, n’ont réussi à organiser rien de grand et de durable ; les Anglais seuls ont senti toute l’importance du rôle qui leur était dévolu par la retraite de la France ; seuls ils ont montré l’habileté et la persévérance qui justifient les grands succès de l’ambition ; ils ont pu déployer en outre les ressources militaires et financières dont devait s’entourer tout pouvoir prétendant à recueillir l’héritage d’Akbăr. Avec la grandeur des résultats obtenus a dû s’accroître sans doute la confiance dans l’avenir ; mais ce qui caractérise particulièrement l’époque actuelle du gouvernement de l’Inde par l’Angleterre, et ce qu’il importe de faire ressortir, c’est que l’ambition britannique, sans s’arrêter dans sa marche, entrevoit qu’elle peut être entraînée désormais vers un but plus désintéressé, plus honorable et conséquemment plus grand en réalité que celui auquel elle aspirait depuis un siècle. Osons donc espérer que l’Angleterre, inspirée par la grandeur même de la situation, aidée de l’expérience et du temps, saura reconnaître et saisir l’instant où il pourra convenir aux intérêts du monde qu’elle remette aux peuples de l’Inde le soin de leurs destinées.

Dès à présent, et bien que le concours moral du parlement ait manqué au gouvernement de la compagnie, il ne semble plus permis d’accuser ce gouvernement d’imprévoyance et d’inhumanité ; on ne saurait même se refuser à reconnaître[6] qu’il a tendu de plus en plus, sous le régime de la dernière charte, à exercer une influence salutaire sur la condition sociale et l’avenir des peuples de l’Hindoustan. Nous maintiendrons donc une opinion déjà exprimée en 1840 : « Oui, ces peuples jouissent aujourd’hui de plus d’indépendance relative, de repos, d’aisance et de bonheur qu’ils n’en avaient eu en partage pendant dix siècles ; » mais nous ajouterons comme alors, à un mot près : « Le gouvernement sur qui pèse la responsabilité de leur avenir n’a cependant pas fait pour eux tout ce qu’il aurait pu, tout ce qu’il aurait dû faire ; il comprendra que le temps est venu de substituer à une exploitation égoïste une administration prévoyante et paternelle. »

Il faut n’avoir pas étudié sérieusement l’histoire de l’Inde et des invasions musulmanes en particulier, ou méconnaître de parti pris les vices inhérens à toute administration native depuis des siècles et les bienfaits inséparables de l’administration européenne dans l’état actuel de la civilisation, pour ne pas avouer que le gouvernement anglais des Indes orientales a servi, par la seule force des choses et dans son propre intérêt au moins, la cause de l’humanité[7], quand il accomplira sa mission, comme il se prépare évidemment à le faire, dans des conditions plus larges, plus libérales et cependant plus prudentes, il sera permis de désirer que les Hindoustanys prennent une part de plus en plus considérable à l’administration de leurs affaires, et finissent enfin par se gouverner eux-mêmes ; mais dans cette phase de transition où se trouvent et se trouveront encore pendant un grand nombre d’années tant d’intérêts divers liés à une domination aussi exceptionnelle, aussi nécessaire en même temps au salut de tous que l’est la domination anglaise, il vaut mille fois mieux pour les peuples de l’Inde être gouvernés par l’élite des intelligences de l’extrême Occident européen que de retomber sous le joug d’une aristocratie indigène ignorante, superstitieuse, vaniteuse et égoïste comme par le passé, ou de subir les dangereux essais, les prétentions ambitieuses, les tâtonnemens puérils d’une génération de princes rendus prématurément à l’exercice du pouvoir.

Reconnaissons d’ailleurs que le gouvernement européen, déjà supérieur en principe et dans son ensemble aux gouvernemens indigènes, s’est considérablement amélioré dans les détails de l’administration depuis vingt ans. On en trouve la preuve incontestable dans les mesures que la compagnie a successivement mises en vigueur dans les derniers temps, avec la pensée évidente cette fois d’améliorer la condition matérielle et morale des peuples. Tolérance religieuse, respect des usages et coutumes qui ne blessent pas l’humanité, admission des indigènes, quelle que soit leur croyance, à un grand nombre d’emplois publics, encouragemens et protection active donnés à toute fondation nouvelle ayant pour but la propagation de connaissances utiles, — les perfectionnemens de la culture, de l’industrie, le soulagement de la misère, — tels sont les caractères distinctifs qui donnent à l’époque administrative actuelle une supériorité manifeste sur les époques antérieures. L’administration territoriale proprement dite laisse encore beaucoup à désirer : cependant de grands abus ont été réformés[8] ; mais avant d’examiner spécialement la nouvelle phase dans laquelle entre en ce moment le gouvernement des Indes orientales anglaises, constatons quels sont aujourd’hui les principaux éléments de cette domination vraiment exceptionnelle à tous égards. Ce sera le point de départ de toutes recherches, de toutes spéculations sérieuses en vue de l’avenir.


II. — ÉTAT ACTUEL DE L’EMPIRE HINDO-BRITANNIQUE.

L’Inde continentale anglaise s’étend aujourd’hui du 7e au 34e parallèle nord, et du 69e au 92e degré de longitude orientale. Ses frontières se développent sur une ligne égale à la moitié de la circonférence du globe. Elle couvre une superficie de 1,400,000 milles carrés, c’est-à-dire dix ou douze fois plus considérable que celle de la France, et que peuplent aujourd’hui de 150 à 180 millions d’hommes. Les climats y varient de celui de la zone torride à celui des régions polaires. On y trouve toutes les élévations au-dessus du niveau de la mer, depuis la plage que les flots submergent dans les hautes marées jusqu’aux sommets de l’Himalaya, les plus hauts du monde entier. De l’embouchure de l’Indus aux frontières du Păndjâb, dans l’ouest, s’étendent des régions où il est rare qu’il pleuve une fois en cinq ans, tandis que dans l’est, et sous les mêmes parallèles, il tombe annuellement, pendant les trois mois d’été, de 300 à 400 pouces cubes de pluie, — et souvent en vingt-quatre heures, ce qui suffirait en France pour toute l’année. — Ce que les grands fleuves de l’Inde entraînent de matières solides à l’océan pendant la saison des pluies formerait une masse territoriale égale à l’un de nos départemens.

Les races principales dont se compose la population sont aussi diverses que les aspects sous lesquels se présentent les grandes formes de la nature, les climats, les productions du sol. Les tribus distinctes par le langage, par les habitudes, par les croyances, par leur organisation sociale, sont innombrables[9]. Aussi M. Mill (l’un des employés supérieurs de la compagnie), dans sa déposition devant le comité de la chambre des lords (juin 1852), disait-il[10] : « L’Inde est un pays à part ; l’état de la société et de la civilisation, le caractère et les habitudes des populations, les droits généraux et spéciaux établis parmi elles, diffèrent totalement de ce qui est connu ou admis parmi nous. En fait, l’étude de l’Inde devrait être une profession distincte, comme celle de médecin ou d’homme de loi. »

Les tableaux statistiques, — Statistical Papers (India), — Publiés par ordre de la chambre des communes en avril 1853, contiennent un résumé de toutes les données officielles relatives à la superficie territoriale, à la population, au revenu foncier, aux travaux publics, aux cultures, à l’éducation des indigènes, etc. ; mais ces documens ne sont complets que pour certaines portions de l’empire, et en particulier pour les provinces du nord-ouest. Nous avons dû déduire les résultats généraux applicables aux quatre grands gouvernemens de la discussion des renseignemens fournis aux comités d’enquête, ou qui se sont produits dans le cours des débats parlementaires. Nous rappellerons, avant tout, que l’empire hindo-britannique affecte officiellement le caractère d’une confédération à la tête de laquelle est placée, comme protectrice et pouvoir dirigeant au nom de la Grande-Bretagne, la compagnie des Indes. L’ensemble des possessions territoriales se divise naturellement en deux grandes sections ou portions : le territoire appartenant en propre à la compagnie, le territoire possédé par divers princes indigènes. Cela posé, les états indigènes, aujourd’hui placés sous la protection de la compagnie, occupent une superficie de 717,126 milles anglais carrés, et comptent une population totale de 53,401,892 habitans. Les provinces anglaises couvrent une superficie d’à peu près 677,752 milles carrés, avec une population d’environ 100 millions d’habitans. En tout, en nombres ronds, sans tenir compte des acquisitions plus ou moins récentes en Hindo-Chine (et indépendamment de Ceylan), on peut attribuer à l’empire hindo-britannique l,400,000 milles carrés et 153 millions d’âmes.

Deux souverains indigènes seulement, dont les états sont enclavés dans cet empire, peuvent être considérés comme étant en droit indépendans de la compagnie, — le radja de Dholpôre et celui de Tipperah.

Les états indigènes avec lesquels le gouvernement de la compagnie a conclu des traités d’alliance subsidiaires sont au nombre de dix, savoir : Cochin, Cătch, Goudjerât, Gwalior, Hyderabâd, Indore, Mysore, Nagpôre ou Bérar, Aoudh, Travancore. Les états indigènes protégés en vertu de traités spéciaux ou d’autres conventions se comptent par centaines ; deux cents environ sont de quelque importance. Les ressources militaires des états indigènes[11] (troupes en général peu disciplinées) sont évaluées à 398,918 hommes, non compris les contingens de troupes régulières fournis au gouvernement de la compagnie et commandés en partie par des officiers européens. Les revenus de ces divers états sont évalués à 106,980,681 roupies, ou (en attribuant à la roupie une valeur moyenne de 2 fr. 40 cent.) environ 257 millions de francs, dont 10,654,891 roupies ou près de 26 millions de francs constituent le total des subsides ou tributs de diverses natures perçus par la compagnie.

Le président du bureau de l’Inde, dans l’exposé qu’il a soumis à la chambre des communes en juin 1853, a passé légèrement sur la question du budget : il n’était évidemment pas en mesure d’aborder la discussion du système financier de l’Inde. Il s’est engagé néanmoins à soumettre chaque année au parlement le budget de l’année précédente, et de plus il avait annoncé (séance de la chambre des communes du 10 avril) : 1o qu’il rendrait compte de la situation financière de l’empire hindo-britannique dans les premiers jours de juin ; 2o qu’à la même époque la conversion de la dette de l’Inde (5 pour 100 en 4 pour 100) serait terminée, et que le résultat de cette grande opération permettrait de juger beaucoup plus exactement du véritable état des choses ; 3o que le gouvernement était, dès ce jour, occupé de la discussion d’un nouveau plan de comptabilité applicable aux recettes et dépenses de la compagnie, tant dans l’Inde qu’en Europe, et qui aurait pour résultat de mettre la comptabilité des diverses présidences en harmonie avec celle de l’administration centrale. Nous n’avons pas la prétention d’en savoir plus que sir Charles Wood sur l’état actuel des finances de l’Inde et sur leur avenir probable ; mais nous sommes fermement convaincu, après un bien long et très minutieux examen des documens officiels les plus récens, qu’au point de vue fiscal, comme au point de vue de la condition sociale, politique et matérielle des Hindoustanys, le gouvernement de la compagnie n’a, depuis vingt ans, mérité

Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité

dont ses partisans ou ses détracteurs l’ont accablé tour à tour. Nous irons même plus loin, et nous avouerons que si l’action gouvernementale de la compagnie est encore un mal relatif, ce mal nous paraît absolument nécessaire dans la situation actuelle des intérêts anglo-indiens. Le ministère anglais est hors état, pour longtemps encore, de se passer de l’assistance de la compagnie ; il connaît de longue date ses qualités et ses défauts, et s’il l’a parfois traitée avec dureté, avec dédain, il a cependant su apprécier ce qu’elle avait de bon, de beau, d’utile surtout ; il a dû aussi la remercier intérieurement plus d’une fois d’avoir écarté de ses lèvres la coupe amère de la responsabilité.

Revenant à l’examen général de la condition de ce vaste empire au moment où le nouveau bill qui doit le régir va être rais en vigueur, constatons qu’en dépit d’un budget en déficit, de guerres coûteuses, de l’imprévoyance inséparable des jugemens humains en fait de gouvernement plus que dans tout le reste, en dépit enfin des menaces de l’avenir[12], les vingt dernières années de l’administration de la compagnie ont été à la période antérieure ce qu’est à une longue nuit d’orage l’aurore d’un beau jour. Et d’abord, pour en finir avec ce qu’il nous est permis de dire ici des ressources financières de l’Inde, rappelons que les véritables ressources de l’Hindoustan, celles qui résident dans la fertilité naturelle de son sol et en général dans sa puissance productive, n’ont été que très imparfaitement exploitées jusqu’à ce jour et commencent à l’être dès ce moment de manière à augmenter rapidement le bien-être des populations et les retenus de l’état. Remarquons en outre que la valeur de l’argent est, relativement aux besoins des masses, beaucoup plus considérable dans l’Inde qu’elle ne l’est en Europe. Dès à présent on peut citer un fait qui semble de nature à convaincre sur ce point les plus incrédules. Si l’on prend pour point de comparaison, entre la valeur de l’argent dans l’Inde anglaise et sa valeur en Angleterre, le prix de la main-d’œuvre dans l’un et l’autre pays, on arrive à ce résultat que la valeur de l’argent est sept fois plus considérable dans l’Inde qu’elle ne l’est en Angleterre[13]

Ayons encore recours à l’éloquence des chiffres pour arriver promptement à nous faire une idée exacte de l’accroissement de la prospérité commerciale dans l’Inde.


En 1834-33, les importations s’étaient élevées à une valeur de 61,541,298 roupies.
En 1849-50, elles avaient atteint le chiffre de 136,966,960
Augmentation en 15 ans 75,425,662
ou environ 188,564,155 fr.
En 1834-35, les exportations avaient été de la valeur de 81,881,610
En 1849-50, elles ont été évaluées à 182,835,434
Augmentation en 15 ans. 100,953,824 roupies.
Soit, environ 252,334,560 fr.

L’augmentation sur les importations et les exportations réunies, en quinze ans, a été de 176,379,486 roupies, soit en fr. : 440,948,715 ; c’est un accroissement moyen de 29 à 30 millions par an, et à ce taux les résultats du mouvement commercial ont été plus que doublés en quatorze ans.

L’inspection de ces chiffres prouve d’ailleurs que la consommation des produits européens dans l’Inde augmente chaque année dans une proportion tellement considérable, qu’elle implique une augmentation correspondante dans l’aisance générale. Nous pouvons mentionner à ce propos un fait très significatif : il s’était importé pour 17,500,000 fr. de cotonnades anglaises en 1833-34 ; la valeur de cette branche d’importation s’est élevée en 1850-51 à 73, 750,000 fr. : elle avait donc plus que quadruplé en dix-sept ans.

Les véritables moyens d’augmenter le bien-être des populations d’une manière durable et progressive se trouvent, avant tout, dans les mesures dont l’application encourage l’agriculture et favorise son développement par un grand système d’irrigation et par l’amélioration du système des communications intérieures[14]. À ce double point de vue, le gouvernement de l’Inde est en progrès, .et les résultats déjà obtenus, ou que l’importance des fonds attribués à ces améliorations capitales rend infaillibles, ressortent positivement des détails que nous avons recueillis.

Les sommes consacrées aux travaux publics pendant l’exercice 1851-52 ont atteint le chiffre de 6,935,290 roupies ou environ 17,338,225 fr, ce qui dépasse d’à peu près 9,600,000 francs la moyenne des cinq années précédentes.

Les grandes voies de communication par terre, désignées dans les Statistical Papers sous le nom de Trunk-Roads ou routes de tronc (grandes routes de première classe), sont au nombre de trois. Celle de Calcultta à Peshawâr passe par Delhi, Karnoul, Lodianah, Ferozepore, Lahore[15]. Celle de Calcutta à Bombay (route de poste), c’est-à-dire destinée surtout au transport des dépêches) passe par Sumbelpôre, Raépôre, Nagpôre, Ouramwătty, Aurungabâd, Ahmădnaggăr et Kalian[16]. Celle de Bombay à Agra, reliant l’ouest et le centre de l’Hindoustan propre à la grande route militaire de Calcutta à Peshawăr, passe par Maloedj Ghât, Nanăk, Sindwah, Akbărpôre, Indore, Oudjaïn, Gwaliăr[17]. Les embranchemens du grand tronc macadamisé et les grandes routes de deuxième classe sont déjà nombreux et se multiplient ou se complètent par des efforts annuels sagement combinés, dont nous ne pouvons donner ici le détail. Il en est de même des chemins vicinaux.

Les grands travaux de canalisation[18] se continuent avec une ardeur et une habileté dignes de tous éloges. On a calculé que les rivières qui prennent leur source dans l’Himalaya pouvaient fournir à l’irrigation 24,000 pieds cubes par seconde, pendant la saison sèche, dont :


Le Gange 6,750 La Djămna 2,870 Le Râvy 3,000
Le Tchénâb 5,000 Le Sătledje (à Roupâr). 2,500 Le Djélôm 4,000


Chaque pied cube d’eau par seconde suffit à l’irrigation de 218 acres[19] ; mais, attendu qu’un tiers seulement des terres en culture a besoin d’être arrosé, cette eau suffirait à l’irrigation de 654 acres, ou à peu près un mille anglais carré, d’où il est facile de conclure que le tribut obtenu des rivières de l’Himalaya arrosera et fertilisera au besoin 24, 000 milles carrés. Si l’on applique des calculs analogues aux autres systèmes fluviaux, on est amené à reconnaître que plus de quatorze millions d’acres seront ou mieux cultivés ou rendus propres à la culture par l’exécution des travaux de canalisation déjà entrepris. Des lignes de chemins de fer sont en voie d’exécution dans les trois présidences. La communication par télégraphe électrique est établie sur plusieurs points et embrassera dans peu de temps un développement de 3,150 milles. Les importans travaux trigonométriques qui laisseront pour monument scientifique à jamais célèbre le grand Atlas de l’Inde seront aussi terminés dans trois ou quatre ans.

On le voit, les travaux de l’administration anglaise dans la voie des intérêts matériels sont considérables. Suivons-la maintenant sur le terrain de l’enseignement et des intérêts moraux.


III. — DE L’ENSEIGNEMENT ET DE L’INFLUENCE EUROPÉENNE CHEZ LES HINDOUS.

Le niveau de l’instruction parmi les indigènes tend à s’élever de plus en plus, grâce aux encouragemens et aux facilités que présente l’admission des enfans (en certains cas des deux sexes) dans les écoles fondées ou soutenues en partie par le gouvernement. Les progrès paraissent être surtout remarquables dans les provinces du nord-ouest et à Bombay, où (indépendamment de treize mille jeunes gens ou garçons répartis dans les diverses écoles de la présidence) l’on ne compte pas moins de cinq cents jeunes filles, hindoues et parsis, qui reçoivent une éducation élémentaire presque européenne.

Les rapports officiels du bureau ou conseil d’éducation (board of education) de Bombay pour les années 1849, 1850 et 1851 ont fait connaître les améliorations déjà introduites ou proposées dans la pensée d’étendre aux différentes classes de la population indigène les bienfaits d’une éducation solide et morale. Ces rapports contiennent des détails d’un haut intérêt sur les diverses branches de l’enseignement dans cette partie de l’Inde. Le conseil d’éducation était placé à cette époque sous la présidence d’un magistrat très éclairé, sir Erskine Perry, juge suprême à la cour de Bombay. L’institution Elphinstone, à Bombay, comptait au 30 avril 1851 neuf cent soixante-six élèves. Les résultats déjà obtenus par cet établissement, dont la fondation est due (ainsi que son nom l’indique) à l’illustre orientaliste, voyageur, historien et homme d’état Elphinstone, nous ont paru des plus dignes d’attention. Nous ne croyons pas pouvoir en donner des preuves plus convaincantes que les divers essais publiés dans les rapports officiels et rédigés en anglais par des élèves hindous ou parsis. Deux de ces essais, qui ont obtenu chacun une médaille d’or décernée par le conseil à la séance publique annuelle de l’institution Elphinstone, ont été publiés à part, en 1852, par les soins de sir Erskine Perry, président du conseil d’éducation, sous ce titre : Two Hiindus on English education, etc.[20] (Deux Hindous sur l’éducation anglaise, etc.). — Narayan-Bhaï, de la caste des Kasars, est l’auteur du premier essai sur l’éducation des indigènes et sur les avantages comparés du système d’éducation à l’aide de la langue du pays ou à l’aide de la langue anglaise et de la langue maternelle combinées dans le même enseignement. L’auteur conclut à l’emploi simultané et à l’étude combinée des deux langues.

Dans ce premier essai, nous avons remarqué le passage suivant, qui montre de la manière la plus frappante ce qu’on doit attendre des tentatives obstinées du prosélytisme chrétien dans l’Hindoustan :


« L’esprit des indigènes est encore fortement prévenu contre tout ce qui contrarie leurs propres idées, particulièrement en matière de religion. Ils ont horreur de toute innovation dans leurs doctrines religieuses. Comment admettraient-ils une altération des textes sacrés que leurs ancêtres ont reçus de Dieu même ? Ils ont cruellement souffert de l’intolérance de leurs derniers maîtres, les souverains musulmans, et bien que le gouvernement actuel évite autant que possible d’éveiller le moindre soupçon d’un esprit de prosélytisme, les missionnaires font tout ce qu’ils peuvent par leurs machinations pour tromper les jeunes Hindous et les persuader qu’ils n’ont de salut à espérer que dans la Bible. Le but des missionnaires n’est pas d’éclairer le monde, mais de le christianiser ; ils considèrent comme le premier pas à faire dans l’œuvre de la civilisation des Indiens leur conversion au christianisme, et ne s’aperçoivent pas qu’en agissant surtout d’après ce principe, ils retardent, au lieu d’avancer, la cause de la civilisation. Le peuple en effet regarde toute éducation anglaise comme tendant à corrompre l’esprit de la jeunesse, et il ne faut pas s’étonner s’il hésite à envoyer ses enfans aux écoles. Les Hindous aiment mieux, pour la plupart, que leurs fils restent ignorans que de les exposer à devenir chrétiens, et pour eux tout instituteur anglais est un padri qui désire convertir leurs enfans. Dans les villes ou les stations, les rapports constans avec les Anglais et la tentation d’apprendre l’anglais, comme moyen de se créer un état, ont adouci les préjugés nationaux, mais au fond des cœurs ces préjugés existent tout entiers. M. Fhink, surintendant des écoles indigènes (où les leçons se donnent dans la langue du pays, sous la direction de quelques Européens) des provinces du nord-ouest, dit, dans son rapport sur l’état de l’enseignement dans ces provinces, que les gens du pays le prenaient pour un missionnaire. Et pourquoi ? dit-il lui-même. Parce que je parle en public comme eux ; comme eux, je distribue des livres ; comme eux, j’emploie des agens indigènes : mon but doit être, comme celui des missionnaires, de persuader à mes auditeurs d’abandonner leur religion et d’embrasser le christianisme ! — Il regarde en conséquence l’intervention des missionnaires comme un grand obstacle même en ce qui touche à l’éducation indigène ; — que doit-ce donc être qu’une éducation tout anglaise, où les parens ne sauraient avoir (au moins l’immense majorité) la moindre notion de ce qu’on fait étudier à leurs enfans ? Ceci montre assez combien on doit redouter en général dans les familles indiennes l’éducation anglaise. On pourra remédier en grande partie à ce mal en instruisant les enfans à l’aide du langage indigène. Quoique la volonté du gouvernement soit de respecter les préjugés nationaux, néanmoins le mot seul anglais a quelque chose d’impur en lui-même, qui offense l’oreille de l’Hindou qui n’a pas reçu une éducation européenne ! »


Que dites-vous d’une pareille déclaration faite par un Hindou élevé dans un collège anglais, déclaration écrite par cet Hindou en anglais et publiée par le comité anglais d’éducation à Bombay, qui décerne à l’auteur une médaille d’or ?

Bhâskar-Dâmodar, brahman de la caste chitpawan, est l’auteur du second essai couronné par l’institution Elphinstone : On the advantages that would, etc. (sur les avantages que l’Inde retirerait de l’établissement d’un saraï ou bangalow public à Londres, avec enceinte, jardin, puits, etc., destiné à recevoir les voyageurs indigènes ou hindoustanys).


« Londres (dit l’auteur) a maintenant plus d’attractions pour les habitans de notre pays qu’aucune autre capitale ! Londres ! le centre des sciences, des arts, de la richesse, de la magnificence, du pouvoir ! Londres ! d’où seulement peut venir le bien-être de l’Inde, politiquement, socialement et de toutes manières… L’Angleterre a une supériorité actuelle sur presque tous (si ce n’est sur tous) les autres pays dans les sciences, les arts, le commerce. »


Dans un autre passage du même écrit, nous trouvons une appréciation remarquable des immenses difficultés que rencontre l’influence européenne, quand elle cherche à triompher, d’l’aide de la science, des préjugés enracinés des Hindous. Le brahman Bhâskar-Dâmodar, parlant de ce grand fait cosmologique, — la rondeur de la terre, — remarque que ce fait est nié obstinément par les Hindous d’aujourd’hui, parce que ceux-ci maintiennent qu’il n’en est pas fait mention dans les traités d’astronomie hindous, etc. On leur prouve, par la lecture de divers passages du Gholadhyaya de Bhâskârachârya (l’auteur le plus renommé des temps comparativement modernes), qu’ils sont dans l’erreur sur ce point : ils ne veulent pas admettre l’autorité de Bhâskârachârya, parce que ce qu’il avance et démontre, disent-ils, est contraire aux notions admises dès la plus haute antiquité, etc. Or le Siddhant-Shiromani de Bhâskârachârya a été écrit vers 1150. Cette rectification des idées erronées sur le système du monde introduites parmi les Hindous date de plus de sept siècles ! La conversion des Hindous, si elle doit résulter de la rectification de leurs idées sur tous les points scientifiques, ne pourrait donc s’espérer que dans des milliers d’années.

Les essais dont nous venons de parler suffisent pour démontrer dans l’esprit des indigènes, au moins de ceux qui habitent l’ouest de l’empire hindo-britannique, une tendance à généraliser les idées et à secouer le joug des notions superstitieuses qui entravent la marche de l’intelligence. D’autres essais de même origine, sur des questions de détail, soit scientifiques, soit littéraires, témoignent de l’aptitude remarquable des indigènes à comprendre et à traiter ces questions. Les résultats obtenus dans les autres présidences confirment à tous égards cette tendance et cette aptitude des Hindoustanys à s’assimiler au point de vue intellectuel le savoir européen ; ils mettent de plus en évidence le vif désir que manifestent les indigènes, même parmi les classes les plus élevées, d’être admis au service du gouvernement anglais[21]. C’est ainsi que l’un des princes du Mysore se soumettait, en 1850, aux examens prescrits par le règlement du 7 mars 1835, qui régit aujourd’hui la matière, et se présentait comme candidat à un emploi public.

Les progrès réalisés depuis 1833 dans l’administration de l’instruction publique nous semblent particulièrement dignes d’attention, et il ne sera pas inutile de les résumer en quelques lignes. En 1813, le parlement avait ordonné qu’une somme de 10,000 livres st. (250,000 francs) fût annuellement prélevée sur l’excédant des revenus de l’Inde, et appliquée à faire revivre et à encourager l’étude de la littérature indigène ; mais ce ne fut qu’en 1823 que le gouvernement du Bengale nomma un comité d’instruction publique, et mit à la disposition du comité les fonds accordés par le parlement à dater de 1821. Les seuls établissemens fondés par le gouvernement anglais avant 1823, pour l’éducation des indigènes, avaient été le collège mahométan de Calcutta et le collège sanscrit à Benarès. De 1823 à 1835, le nombre des établissemens de cette nature avait atteint le chiffre de quatorze ; on en compte maintenant, au Bengale et dans les provinces du nord-ouest, plus de quarante.

Le principe dominant ou l’esprit des institutions fondées ou protégées par le gouvernement jusqu’en 1835 avait été de développer l’intelligence et l’instruction des masses à l’aide d’ouvrages anglais traduits en arabe et en sanscrit, ces deux langues classiques de l’Orient, en sorte que, dans ce système, il était indispensable que les indigènes, avant d’être initiés à la littérature et au savoir européen, devinssent des orientalistes. Les sources auxquelles il fallait, dans cet ordre d’idées, aller puiser les notions premières, fondamentales, étaient placées dans des régions que la science moderne a dû abandonner. Un temps précieux était inévitablement perdu dans des études stériles, souvent nuisibles ; la coopération utile et progressive des Hindoustanys à l’administration intérieure du pays ne pouvait se réaliser que dans des conditions plus simples, plus directes, plus pratiques. Il fallut donc renoncer à atteindre le but par l’enseignement préalable des langues indigènes, et ce fut, comme nous l’avons indiqué, le 7 mars 1835 que le gouvernement de l’Inde publia une ordonnance substituant l’éducation directe par l’intermédiaire de la langue anglaise à l’éducation par l’enseignement préalable des langues orientales. Les grands établissemens destinés à soutenir et encourager l’étude scientifique de ces langues ont cependant été maintenus, mais ils ont été modifiés par l’addition de diverses classes anglaises.

Ce nouveau plan paraît avoir complètement réussi dans son ensemble, et les connaissances exactes et utiles se répandent avec une facilité remarquable dans les régions moyennes et supérieures de la société hindoustany, mais elles rencontrent de très grands obstacles dans les masses. Ces obstacles sont plus difficiles à vaincre au Bengale qu’ailleurs, et cela par une cause qui relève essentiellement.de l’économie politique et qu’il est intéressant de signaler. Le pauvre cultivateur est placé au Bengale dans une condition relativement inférieure, par suite du perpetual settlement qui garantit aux grands propriétaires l’exercice du despotisme territorial à l’égard de leurs humbles dépendans, et les laisse jouir seuls à tout jamais, au moins en principe, de l’augmentation de revenu qui résulte ou pourra résulter de l’amélioration des cultures. Il en est advenu que la classe inférieure au Bengale, ayant perdu tout droit, pour ainsi dire, à la petite propriété et aux espérances qu’entretient et avive dans l’homme la possession du moindre coin de terre, est retombée dans l’apathie qui forme un des traits distinctifs du caractère bengali. À quoi pourraient lui servir quelques notions précises d’arithmétique, de géométrie, des institutions anglaises dans l’Inde, et conséquemment de la langue anglaise et de l’écriture européenne, à lui qui n’a ni ambition ni espoir d’améliorer notablement sa condition actuelle ou celle de ses enfans ? Il lui fallait l’aiguillon d’un intérêt immédiat ou au moins prochain, la perspective d’indépendance, d’affranchissement du servage, qui précisément lui manquent.

Il n’en a pas été de même dans les provinces du nord-ouest, où le gouvernement, ne s’étant pas lié les mains d’avance et profitant de l’expérience acquise dans l’application de diverses théories sur l’assiette de l’impôt territorial, a garanti par de sages mesures les droits du cultivateur, et l’a encouragé à augmenter, dans son propre intérêt, la valeur du sol. Les opérations du cadastre, dirigées vers ce double but, ont été enregistrées et les registres ouverts au public ; mais ceux-là seulement qui peuvent lire, écrire, calculer et se rendre compte de la mesure exacte des terres, se voient admis à profiter des importantes données qui sont offertes aux espérances de leur légitime ambition. Ce motif a suffi pour déterminer les indigènes à acquérir les notions fondamentales d’une éducation européenne. Des écoles ont été ouvertes par le gouvernement ou ont surgi de toutes parts ; de bons livres élémentaires ont été imprimés et recherchés ; l’impulsion donnée se suit avec ardeur, et la condition intellectuelle et matérielle des populations s’améliore à vue d’œil[22]. Un système analogue, adapté aux circonstances locales, se développe dès à présent dans les présidences de Madras[23] et de Bombay.


IV. — DE LA RÉFORME ACTUELLE ET DES RÉFORMES NÉCESSAIRES DANS LE GOUVERNEMENT DE L’INDE.

On croirait difficilement que les conditions dans lesquelles se trouve, depuis 1833, le gouvernement des Indes orientales fussent aussi imparfaitement connues en France qu’elles le sont encore aujourd’hui. Ainsi, et pour en donner un exemple frappant, l’Inde anglaise a été, dans l’organe officiel du gouvernement français, l’objet d’une série d’articles où, parmi des faits recueillis et comparés avec soin, des détails importans, des réflexions judicieuses, on trouve des assertions inexactes ou étranges, qui décèlent une étude bien incomplète du sujet[24]. L’insuffisance des notions recueillies en France sur la situation du gouvernement anglais dans l’empire hindo-britannique nous décide à analyser avec quelque détail l’acte important qui la domine et la règle aujourd’hui.

Avant de nous rendre compte des principales dispositions du nouvel acte destiné à pourvoir au gouvernement de l’Inde, et pour en bien faire comprendre la signification et la portée actuelle, nous rappellerons que la cour des directeurs de la compagnie, émanée de la cour des propriétaires[25], se composait, sous la dernière charte, de trente membres, dont vingt-quatre seulement étaient en activité, six sortant, à tour de rôle, tous les ans de la direction, et n’étant rééligibles qu’à l’expiration de l’année. La cour s’assemblait une fois par semaine. Il fallait que treize membres au moins fussent présens pour constituer la cour ; la prérogative la plus importante de ce corps était la nomination à peu près exclusive aux grades ou emplois par lesquels se recrutent les différentes branches du service dans l’Inde. Enfin, depuis 1784, l’Inde était de fait gouvernée par le bureau de contrôle et immédiatement par la compagnie, forme de double gouvernement qui avait donné lieu à des tiraillemens fâcheux et à d’amères critiques de la part d’hommes considérables de tous les partis.

Le nouveau bill de l’Inde est intitulé : un Acte pour pourvoir au gouvernement de l’Inde (20 août 1853). — Un préambule rappelle l’acte passé dans la session du parlement tenue sous les années 3 et 4 du roi Guillaume IV (chap. 85) « pour le meilleur gouvernement des territoires de sa majesté dans l’Inde, jusqu’au 30e jour d’avril 1854, etc. » Il déclare que la reine, avec l’avis et du consentement des lords et communes assemblés en parlement, et par l’autorité dudit parlement, a arrêté les dispositions qui suivent. Voici maintenant le résumé du bill, dont nous citons textuellement l’article 1er  :


« Jusqu’à ce que le parlement en ait autrement décidé, tous les territoires en la possession et sous le gouvernement de la compagnie des Indes orientales continueront à être soumis audit gouvernement aux mêmes conditions que par le passé, c’est-à-dire que toutes les dispositions en vigueur à l’égard de ladite compagnie et desdits gouvernemens et territoires respectivement continueront (en tant qu’elles ne sont pas modifiées par le présent acte ou ne seraient pas en contradiction avec la teneur dudit acte) à avoir leur plein et entier effet après le 30e jour d’avril 1854, comme si ledit terme ne fût pas expiré[26]. »


L’art. 2 introduit immédiatement une modification des plus importantes, en déclarant qu’à dater du second mercredi du mois d’avril 1854, et après ce même jour, il y aura dix-huit directeurs de la compagnie, et non plus, etc.[27]. La reine est autorisée par l’art. 3 à nommer, avant le deuxième mercredi d’avril 1854, trois directeurs, l’un pour deux ans, un autre pour quatre ans, et un troisième pour six ans. Chaque directeur ainsi nommé, et tout autre directeur qui pourra être nommé par sa majesté, en vertu des dispositions du présent acte, devra avoir été employé dix ans au moins dans l’Inde au service de la couronne ou au service de la compagnie. — Les directeurs en exercice le deuxième mercredi d’avril 1854 et les personnes ou survivans des personnes qui, ayant été directeurs de la compagnie, auraient cessé de l’être par l’expiration du terme pour lequel ils étaient élus, sont autorisés, par l’art. 4, à choisir parmi eux quinze noms qui désigneront, — avec les trois noms choisis par sa majesté, — les premiers directeurs de ladite compagnie sous le présent acte[28], et de ces quinze personnes, cinq sont nommées pour deux ans, cinq pour quatre ans, cinq pour six ans, etc.

Enfin, dans la pensée de porter à six le nombre des directeurs nommés par la reine et de réduire à douze celui des autres directeurs, la reine, en vertu de l’art. 5, nomme aux trois premiers emplois de directeurs vacans pour toute autre cause que l’expiration du temps pour lequel un directeur aura été nommé ou élu. Il sera d’ailleurs pourvu à toute vacance qui surviendra à l’avenir parmi les directeurs nommés par la couronne, une fois le nombre de six atteint, par ordonnance de sa majesté (art. 6), et les emplois vacans parmi les autres directeurs seront remplis par voie d’élection comme par le passé. Il faut remarquer ici que des douze emplois de directeurs qui restent, d’après le nouveau bill, soumis au régime de l’élection, six ne sauraient être accordés qu’à des personnes ayant résidé au moins dix ans dans l’Inde, et ce nombre de six doit être soigneusement maintenu, en sorte que, sur une cour des directeurs composée de dix-huit membres, douze auront résidé dix ans au moins dans l’Inde, et six de ces douze y auront exercé des fonctions publiques. La durée ordinaire des fonctions d’un directeur, nommé soit par la couronne, soit par la cour générale, est de six années (art. 7). Les directeurs sont rééligibles. Il suffit pour être apte à occuper le poste de directeur, indépendamment des autres conditions mentionnées, de posséder au moins 1,000 livres sterling (25,000 fr.) dans les fonds de la compagnie (stock), au lieu de 2,000 livres sterling exigées autrefois. Le directeur élu doit, avant d’entrer en fonctions, faire une déclaration solennelle à cet effet.

L’art. 13 dispose que toute personne qui sera à l’avenir nommée directeur de la compagnie devra, avant d’entrer en fonctions, prêter le serment dont suit la formule, et dont la rédaction (bien que le sens ne puisse en être douteux) nous paraît manquer à la fois de précision et de dignité. Voici la reproduction littérale de cette formule de serment : « Je jure que je serai fidèle à sa majesté la reine Victoria, et que je remplirai de mon mieux le service qui m’est assigné comme l’un des directeurs de la compagnie des Indes orientales dans l’administration du gouvernement de l’Inde en dépôt pour la couronne. Ainsi Dieu me soit en aide[29] ! » Quelle que soit au reste la valeur logique et grammaticale de la rédaction, il n’en est pas moins évident qu’à dater de l’emploi de cette formule, les relations de la compagnie des Indes avec le souverain de la Grande-Bretagne et son gouvernement entrent dans une phase nouvelle, et que la compagnie a perdu du terrain, comme pouvoir politique, en Angleterre et même dans l’Inde, plutôt qu’elle n’en a gagné. Remarquons aussi toutefois dès à présent que, pour se former une idée nette de la situation actuelle des directeurs, il faut reconnaître, dans les dispositions de l’acte récemment promulgué et mis en vigueur, une tendance marquée à placer ces délégués de la couronne dans une dépendance de plus en plus étroite du bureau des commissaires pour les affaires de l’Inde.

Les dispositions les plus saillantes, après celles qui établissent la nouvelle constitution de la cour des directeurs, sont celles qui ont trait au gouvernement immédiat de l’Inde, à l’administration de la justice dans ce vaste empire, et aux moyens de recruter d’une manière plus efficace et plus satisfaisante que par le passé le personnel des différentes branches du service. Ces dispositions indiquent l’intention du gouvernement d’établir au moins une nouvelle cour de justice dont le siège et les attributions ont été l’objet de diverses allusions dans la discussion du bill de l’Inde. Comme résultat lié à l’exercice des pouvoirs judiciaires dans l’Inde, il convient de faire observer que, par l’article 27, « les amendes et confiscations de toute espèce appartiennent à la compagnie, pour le produit en être appliqué aux dépenses de l’Inde. Après avoir rappelé qu’à diverses époques il a été établi dans l’Inde des commissaires pour l’examen des lois anciennes et la rédaction de lois nouvelles (Indian Law commissioners), le bill consacre encore la disposition suivante :


« Art. 28. — La reine pourra nommer des commissaires, en Angleterre, pour examiner les propositions faites par lesdits law-commissioners, et faire leur rapport sur les travaux desdits commissaires employés dans l’Inde à diverses époques à cet effet, et les commissaires de la reine pourront être autorisés à appeler en Angleterre tels témoins qu’ils jugeraient convenable d’examiner, ou se faire présenter tels documens des archives du bureau de contrôle ou de la compagnie qu’ils croiront utile de consulter[30].


Le gouvernement se montre déterminé d’ailleurs à augmenter les ressources militaires de la compagnie d’une manière durable. Le bureau des commissaires pour les affaires de l’Inde pourra donner ou approuver les ordres nécessaires pour la levée et l’entretien de 20,000 hommes de troupes européennes (officiers, sous-officiers et soldats compris) qui seront employées par la compagnie et payées sur les revenus de l’Inde, au lieu de 12,200. Le dépôt, en Europe, comprendra 4,000 hommes (officiers, sous-officiers et soldats), au lieu de 2,000, que la compagnie avait été autorisée à lever et entretenir par les actes de George III, etc.

Des articles relatifs à l’importance politique du bureau de l’Inde, au traitement du président de la cour des directeurs, du général en chef des forces employées dans l’Inde[31], à la nomination des aspirans au service civil, etc., complètent l’ensemble des grandes dispositions arrêtées par cet acte, qui aura une influence considérable sur l’avenir des Indes anglaises.

Nous sommes tenté de dire avec lord Ellenboroug (séance de la chambre des lords du 5 août 1853) : « Ce que ce bill a de mauvais n’est pas nouveau, et ce qu’il a de nouveau n’est pas mauvais ! » Il donne prise dans son ensemble aux reproches suivans. Il ne contient pas des déclarations assez précises sur la ferme volonté du parlement anglais de veiller à ce que l’Inde soit sagement, justement et paternellement gouvernée à l’avenir. Il laisse encore en suspens plusieurs questions d’une extrême importance, telles que celles de la création d’une nouvelle présidence, de l’établissement définitif de la présidence d’Agra, etc. Il montre à la fois (et ce n’est pas son moindre défaut) le désir et l’intention de se passer de la compagnie et la nécessité où se trouve le gouvernement de la reine d’avoir indéfiniment recours au gouvernement de la compagnie par procuration. — Il faut cependant reconnaître que le bill, envisagé à son véritable point de vue, c’est-à-dire comme mesure de transition, a pourvu autant que possible à certaines exigences de la situation, et donné satisfaction dès à présent à des intérêts depuis longtemps en souffrance. Les difficultés prévues et à prévoir sont d’un ordre si élevé, que l’on comprend l’hésitation, au moins dans de certaines limites, avec laquelle on les aborde.

En 1833, lors de la discussion du fameux Paper of Hints (suggestions ou insinuations relatives à la charte de la compagnie)[32], envoyé à la cour des directeurs le 17 décembre 1832 par le président du bureau de contrôle (Charles Grant, depuis lord Glenelg), Saint-George Tucker, l’un des membres les plus distingués de la cour des directeurs[33], s’était exprimé sur les difficultés de toute nature que présente l’administration de l’empire hindo-britannique dans les termes suivans : « Notre territoire est déjà beaucoup plus étendu qu’il ne devrait l’être pour nous permettre de le gouverner convenablement. Nous avons plus de sujets que nous n’en pouvons protéger de manière à assurer leur bien-être et à améliorer leur condition sociale. Enfin les devoirs que nous avons à remplir, les intérêts divers que nous avons à concilier sont tellement compliqués, qu’ils dépassent de beaucoup la portée ordinaire de l’intelligence humaine. »

Ce qui était vrai alors l’est encore aujourd’hui, le deviendra chaque jour davantage. De là résulte la nécessité absolue de n’appeler à prendre une part importante au gouvernement de l’Inde que des intelligences d’élite. Il est devenu non moins indispensable de n’admettre aux emplois civils et militaires que des jeunes gens soumis dans un libre concours à des examens préalables, et dont l’éducation solide et spéciale aura été démontrée par ces examens. Le nouveau bill satisfait à ces importantes conditions, et l’application des mesures qui seront adoptées en conséquence aura des résultats heureux pour le gouvernement de l’Inde ; mais il faut avant tout que l’Hindoustan soit mieux connu des Anglais eux-mêmes, il faut que la valeur relative de ses diverses populations, de la population hindoue en particulier, soit plus loyalement, plus sagement, plus rationnellement appréciée. Plusieurs publicistes anglais, hommes éminens par l’intelligence ou d’une compétence incontestable par l’expérience qu’ils ont acquise au service du gouvernement de l’Inde, partagent nos convictions à ce sujet. Il ne nous semble pas pourtant qu’aucun d’eux ait dans ces derniers temps étudié spécialement le rôle que la société hindoue avait été appelée à remplir dans le monde oriental et l’influence qu’elle y exerce encore aujourd’hui.

Nous avons passé bon nombre d’années au milieu de cette population mélangée et cependant homogène à beaucoup d’égards, de cette société hindoustany, qui semble marquée au sceau du brahmanisme et de l’islamisme ; nous avons même été adopté par elle, pour ainsi dire, pendant une portion notable de notre vie, et nous avons eu de fréquentes occasions d’étudier de près les mœurs du pays. Eh bien ! nous avons pu constater de bonne heure que l’influence des institutions et des usages hindous était dominante parmi toutes les populations d’origine étrangère. Ce n’est pas sans quelque surprise et sans une vive satisfaction que nous avons trouvé dans un ouvrage récent publié par l’éminent magistrat anglais ancien président de la cour suprême de Bombay, sir Erskine Perry, le passage suivant, qui confirme d’une manière frappante la justesse de cette remarque :


« Telle est l’influence des usages et des opinions des Hindous sur les hommes de toutes castes ou couleurs qui sont en relations habituelles avec eux, que graduellement tous prennent une teinte hindoue (si l’on peut s’exprimer ainsi) qu’il est impossible de méconnaître. Parsis, Moghols, Afghans, Israélites et chrétiens qui sont établis depuis longtemps dans l’Inde ont subi cette influence et échangé une bonne partie de leur ancien patrimoine d’idées contre les notions, la manière de voir, le ton habituel de la société hindoue. En observant ce phénomène, j’ai souvent été conduit à le comparer au phénomène géologique que présente, selon les savans, le sol noir du Dhăkkhân, qui a la propriété de s’assimiler toute substance étrangère introduite dans son sein[34]. »


Un fait social d’une aussi grande portée attirait invinciblement nos réflexions et nos études ; nous avons donc voulu remonter à la source de l’influence exercée par les Hindous sur les immigrans qui se sont établis au milieu d’eux, de gré ou de force, sans se mêler à leur antique race. Or, chez un peuple où la vie extérieure et la vie intérieure sont depuis un temps immémorial dans la dépendance obligatoire, permanente, intime, d’une seule et même formule réglementaire, l’observance de la loi divine, — les mœurs sont avant tout le résultat des institutions. Il fallait donc chercher à apprécier le véritable caractère de ces institutions émanées de Dieu même, selon les Hindous, et révélées par les Védas à l’origine des siècles. Ce qu’il y a de grandeur et de force dans ces institutions primordiales ont a profondément impressionné dès le début de nos recherches : le temps n’a fait qu’accroître cette impression. — La rigoureuse observance des lois de Manou, à aucune époque, a-t-elle jamais été constatée ? A-t-elle pu même être inférée des témoignages ou conclue des traditions les plus respectables ? Un vaste empire s’est-il formé et s’est- il maintenu pendant des siècles sous l’influence exclusive de ces lois ? il est permis d’en douter ; mais ce qui n’est pas douteux, c’est que des millions d’hommes ont foi dans cette législation, c’est que, dans leur ensemble et comme système social complet, les lois de Manon n’ont pas cessé, depuis des milliers d’années, de gouverner la société hindoue et d’exercer une influence marquée sur les races que les décrets de la Providence ont introduites comme élémens nouveaux dans la grande famille hindoustany. Ainsi le rôle assigné à ce vaste système social a occupé et occupe encore une place des plus importantes dans l’histoire de l’humanité. Là où se trouvaient la grandeur et la force devait se trouver la durée, et l’histoire des trois derniers siècles prouve qu’aujourd’hui encore l’antique organisation dont nous admirons les proportions gigantesques doit être respectée, et que sur cette base la domination européenne doit faire reposer l’avenir de l’Hindoustan.

Où ont abouti les autres civilisations antiques ? La Babylonie, l’Assyrie, l’Égypte, ne vivent plus que par leurs monumens en ruines et leurs inscriptions mutilées : leurs peuples ont disparu. Le peuple juif a cessé d’exister comme corps de nation ; il est réduit, par une dispersion fatale, à ne plus peser dans la balance du monde. Les civilisations grecque et romaine ont laissé sur le globe leurs traces lumineuses ; mais il n’y a plus de Grecs ni de Romains. L’empire chinois enfin, le plus vaste et le plus peuplé qui se soit formé parmi les hommes, a pu se maintenir pendant des milliers d’années, il est vrai, avec ses rites et ses pratiques superstitieuses, grâce au principe absolu de l’autorité paternelle personnifiée dans ses souverains, grâce surtout à la politique de l’isolement ; mais il est aujourd’hui en pleine décadence : la moralité, l’existence même d’un pouvoir souverain ne s’y manifestent plus que par de vaines proclamations. La pratique gouvernementale a perdu son unité, ses moyens d’action. L’organisation, qui fait la force des nations, croule de toutes parts, et la nationalité chinoise est menacée par des révolutions qui démembreront l’empire, en même temps que le caractère chinois, étranger à toute conviction, à toute habitude vraiment religieuse, se montre de plus en plus disposé à subir les influences occidentales qui sont destinées à le transformer dans un avenir prochain.

La civilisation hindoue au contraire, bâtie sur le roc de la révélation, appuyée sur des institutions d’une aptitude et d’une prévoyance merveilleuses, a résisté au poids des siècles, soutenu vaillamment le choc des révolutions et des conquêtes, repoussé constamment la flétrissure des croyances ou des pratiques étrangères. Les autres peuples sont venus puiser aux sources divines de sa poésie et de sa science philosophique ; elle ne leur a rien demandé. Chargée de maintenir la pratique invariable des règles qui gouvernent, depuis les temps anté-historiques, la vie privée et les habitudes religieuses de ses enfans, elle a suffi à sa tâche. Elle est restée forte contre les persécutions, tolérante malgré les exemples de fanatisme, calme dans la bonne fortune, résignée dans le malheur, debout enfin sur les ruines des autres civilisations, et le regard tourné sans cesse vers l’avenir que sa foi lui promet. Voilà ce qui nous a semblé résulter invinciblement de l’ensemble des témoignages historiques et de la discussion impartiale des faits.

Il fallait cependant, tout en reconnaissant la grandeur du rôle que la société hindoue a joué de tout temps et joue encore dans l’extrême Orient, ne pas négliger l’étude des autres élémens sociaux introduits dans l’Hindoustan par l’immigration ou la conquête, et en particulier de l’élément mahométan, le plus important de tous. C’est à quoi nous nous sommes attaché. Nous avons été ainsi conduit à examiner quel usage la domination musulmane avait fait du pouvoir que les événemens avaient placé entre ses mains, et nous sommes arrivé à cette conclusion, qu’un seul parmi les souverains musulmans de l’Inde gangétique, Akbăr, avait compris pleinement sa mission et consacré toute sa volonté, toutes les ressources de sa puissante intelligence, à l’œuvre si glorieuse de la fusion politique des deux grandes races qui se partageaient les forces vives de son empire. Les historiens musulmans ont bien plutôt raconté d’un point de vue exclusif les événemens qui ont signalé le règne de ce prince et ceux de ses successeurs, qu’ils n’ont songé à peindre une époque. Le ministre favori et le panégyriste d’Akbăr, bien que doué du coup d’œil du philosophe et de celui de l’homme d’état, a lui-même cédé (et nous l’avons déjà reconnu) à l’admiration excessive que lui inspirait son héros, et ses récits sont entachés d’exagération ou n’embrassent qu’un certain ordre de faits souvent incomplètement rapportés. Tous manquent de cette première qualité de l’historien, l’indépendance. Les historiens anglais, un seul excepté (l’illustre Elphinstone), ont étudié dans Akbăr le conquérant, le monarque absolu, plutôt que l’homme religieux, le législateur prévoyant et humain par caractère et par principes, le pasteur des peuples éminemment doué du sentiment des choses grandes et durablement utiles. Elphinstone lui-même nous semble n’avoir pas suffisamment apprécié ce qu’il y a eu de merveilleux dans l’organisation et l’administration d’un si vaste empire par une intelligence du premier ordre, atteignant le but qu’elle s’était proposé après un demi-siècle d’efforts, et léguant à la postérité l’exemple, unique en Orient, de sa bienfaisante grandeur. Il y avait donc là, au moins dans notre conviction, quelque chose à faire qui n’avait pas été fait encore, et c’est ce que nous avons tenté. Dans l’intérêt des populations de l’Hindoustan, dans l’intérêt des Anglais, aujourd’hui maîtres après Dieu dans l’Hindoustan, comme l’est un capitaine à bord de son navire, dans l’intérêt enfin du monde civilisé, nous avons essayé de rendre pleine et entière justice au caractère du grand homme dont nous avons retracé la vie si glorieuse, et surtout à la solidité des principes qui l’ont guidé dans le gouvernement de l’Inde.

Cette double étude du caractère et des institutions des Hindous, du caractère et des institutions d’Akbăr, se liait inévitablement à l’examen du système de gouvernement que la conquête anglaise a graduellement introduit dans les contrées situées entre l’Indus et l’Irrawady, l’Himalaya et le cap Comorin. Nous avons abordé cette partie de notre travail avec la ferme volonté de discuter la valeur des témoignages qui se rapportent à cette grave question aussi impartialement que nous avions exposé la nature essentielle et la portée politique des deux autres. Nous la terminons avec la conviction profonde que la domination de la Grande-Bretagne dans l’Inde, l’un des plus grands faits accomplis que l’histoire ait jamais eu à enregistrer, est la seule qui puisse, dans l’état actuel du monde, et pour bien des années encore, satisfaire aux conditions du problème compliqué que présente l’administration d’une population mixte aussi considérable et aussi intelligente que l’est celle de l’Hindoustan. Notre conviction cependant repose, avant tout, sur la haute opinion que nous avons conçue de la sagesse du parlement anglais. Il aura compris dans ces derniers temps la nécessité absolue de gouverner les Hindoustanys par la tolérance et l’exemple des vertus chrétiennes plus encore que par l’énergie, par l’ordre, le sentiment de l’organisation et la science administrative et militaire qui caractérisent si particulièrement l’Europe moderne. Que les Anglais dans l’Inde demeurent chrétiens, mais que leur influence intellectuelle et morale s’exerce à l’avenir par des bienfaits. Si la conversion des Hindous doit s’opérer un jour, ce sera par cette voie. Le devoir d’un gouvernement sage sera non-seulement de respecter le caractère et les habitudes des Hindous, mais de les faire servir à la régénération des masses, en faisant comprendre aux peuples de l’Inde que les bases de leurs institutions, que le sens primitif et réel de leurs dogmes religieux, aujourd’hui ignoré ou incompris par la plupart d’entre eux, sont en harmonie avec les croyances fondamentales qui gouvernent les grandes nations de l’Occident. Au lieu de les engager à renoncer à la pratique de leur religion, on s’attachera à les convaincre qu’il est en leur pouvoir de participer, sans compromettre leur salut, aux avantages que les progrès de la civilisation ont créés parmi nous. On fera germer dans leurs cœurs les notions de la fraternité humaine et de l’égalité devant Dieu et devant la loi, en pratiquant à leur égard les devoirs que ces saintes formules prescrivent aux gouvernemens issus du XIXe siècle. On n’en fera probablement pas des chrétiens, mais on en fera des amis des chrétiens, et des amis dévoués.

Ces espérances se réaliseront par degrés, nous en avons la conviction, maintenant que le parlement a commencé à prendre au sérieux l’administration des Indes anglaises. Un jour viendra où l’Inde émancipée verra surgir de son sein des intelligences capables de comparer sans préjugés le présent au passé, d’apprécier les bienfaits relatifs de la civilisation occidentale et la grandeur, si longtemps méconnue (par les Hindous eux-mêmes), du système social fondé par le brahmanisme. On comprendra comment ce système a suffi pour maintenir pendant plus de trente siècles l’unité morale et religieuse d’une race qui a seule survécu à toutes les races antiques. La civilisation soumettra à son niveau magique des populations innombrables qui se tendront la main des rives de l’Indus et du Gange à celles de la Tamise. Les préjugés de couleur et de caste iront s’affaiblissant chaque jour. Issus de la même souche aux premiers âges du monde, les peuples qui ont accompli leur mission dans l’extrême Orient et dans l’Occident européen se retrouveront, se mêleront de plus en plus à leur berceau commun, et l’Angleterre verra des millions de frères là où elle ne compte aujourd’hui que des millions de sujets.


A. D.-B. DE JANCIGNY.

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1840.
  2. La charte de 1834 a expiré le 30 avril 1854.
  3. Voyez sur le règne et les institutions d’Akbăr les livraisons du 1er  décembre 1853 et du 1er  juillet 1854.
  4. Voyage de Jacquemont, sixième partie, p. 363.
  5. Parmi les successeurs d’Akbăr, le seul qui ait marché franchement dans sa voie est Shâh-Djăhân, son petit-fils. — Khafi-Khan va même jusqu’à mettre Shâh-Djăhân au-dessus d’Akbăr et de tous les souverains moghols comme administrateur ; il place Akbăr au-dessus de tous comme conquérant et comme législateur. Ce fut sous Shâh-Djăhân que l’empire moghol atteignit son plus haut degré de prospérité. Secondé par un ministre dévoué, Saad-Oullah-Khân, administrateur du premier ordre, Shâh-Djăhân améliora la condition des classes agricoles et industrielles. Les travaux d’utilité publique reçurent de son gouvernement un développement des plus remarquables, attesté par d’innombrables monumens. Le Tadj, cette merveille de l’architecture mahométane, ce tombeau, unique dans le monde, où Shâh-Djăhân repose auprès de sa sultane favorite, a été également construit sous son règne. La magnificence de la cour moghole devint proverbiale à dater surtout de cette époque, et l’idée qu’on se faisait en Europe, au XVIIe siècle, du grand-moghol (comme on désignait alors le souverain de l’Hindoustan) ne dut pas paraître exagérée jusqu’au commencement du XIXe. Un seul parmi les gouverneurs généraux anglais, lord Wellesley, que sir John Mackintosh appelait « a sultanised governer general » (un gouverneur général sultanisé), essaya de maintenir sa maison dans des conditions de représentation et de splendeur qui offrissent quelque analogie avec les pompes impériales ; mais lord Wellesley lui-même ne devait paraître après tout, aux yeux des Hindoustanys, qu’un bien petit grand-moghol !
  6. D’après un examen attentif des documens officiels qui se rapportent aux quinze dernières années.
  7. Un observateur éminent, esprit impartial d’intention, quoique trop souvent passionnée et précipité ans ses jugement, Jacquemont, a très bien su dégager ce fait capital de l’ensemble de ses observations de détail. (Voir sonn Voyage, sixième partie, pag. 362 et 383.)
  8. La perception de l’impôt, basée désormais sur une appréciation impartiale des ressources du sol et des moyens d’exploitation, commence enfin à redevenir dans la pratique ce qu’elle a été sous Akhăr et sous Shâh-Djăhân, utile et honorable pour le gouvernement sans être oppressive pour le cultivateur (*). Impôt territorial réglé d’après des opérations cadastrales exécutées (avec une précision inconnue du temps d’Akbăr) pour le plan géométrique des villages par des officiers européens, pour la mesure et l’enregistrement de chaque champ par des arpenteurs indigènes sous la surveillance des officiers européens ; — contestations de limites décidées par le pantchaet (jury indigène) ; — contributions foncières fixées, non plus d’après les tables des produits ou récoltes diverses et de leur prix moyen, nécessairement flottant, mais par comparaison avec les fixations précédentes ou les fixations relatives à des villages ou districts de même étendue et dans les mêmes conditions de culture, en tenant soigneusement compte des circonstances locales et prenant en sérieuse considération les représentations des personnes intéressées, etc. ; — rôle des contributions territoriales arrêté dans un grand nombre de cas pour trente ans (dans une partie de la présidence du Bengale, avec moins de prudence, pour toujours), etc. ; — encouragemens donnés au développement de certaines cultures, parmi lesquelles néanmoins il nous en coûte d’avoir à signaler celle du pavot, dont l’administration financière des Indes anglaises n’a pu parvenir encore à secouer le joug honteux ; — perfectionnement et extension des voies de communication et des travaux publics en général : — tel est l’ensemble des mesures dont l’adoption et l’application plus ou moins judicieuse ont signalé dans ces derniers temps l’administration de la compagnie. Cependant les sages intentions de cette administration ont été fréquemment contrariées et le sont encore en ce moment par les nécessités politiques qui entraînent les gouvernemens les plus circonspects à la guerre et par conséquent à des dépenses improductives, car le temps des conquêtes profitables, déjà passé pour l’Europe, nous paraît bien près de l’être pour l’Asie, et à coup sûr toute conquête nouvelle serait désormais non pas rétrograde, un danger sérieux, si ce n’était un échec irréparable pour la prospérité et la durée de l’empire hindo-britannique.
    (*) Sir G.-R. Clerk, ancien gouverneur de Bombay, interrogé à la chambre des lords, le 25 mai 1852, sur tous les points relatifs à la protection et au développement des ressources agricoles, rendait un éclatant témoignage à la supériorité de l’administration musulmane dans ce qui touche à la perception et à l’accroissement du revenu territorial. — Il n’hésite pas à dire que le gouvernement impérial s’entendait infiniment mieux à protéger les cultivateurs que ne l’a fait jusqu’à présent le gouvernement de la compagnie, qu’il tirait un bien plus grand parti du sol cultivable, et que dans la question vitale de l’irrigation les gouvernemens indigènes ont en général fait plus que l’administration anglaise. — Nous renvoyons le lecteur à l’interrogatoire extrêmement intéressant de sir G.-R. Clerk (pag. 160, 161, 162 et 163), Report from the select committee of the house of lords. Londres, 1852, in-folio.
  9. Les Statistical Papers (p. 40 et 41, texte et carte) énumèrent vingt et une langues ou dialectes principaux parlés dans l’Hindoustan. La langue hindoustany (dans ses formes hindi et ourdou, séparées ou combinées) est la plus universellement parlée ou comprise dans tout l’Hindoustan. Voyez sur l’importance toujours croissante, soit politique, soit littéraire de cette langue, le remarquable discours prononcé par M. Garcin de Tassy à l’ouverture de son cours à la Bibliothèque impériale le 29 novembre 1853.
  10. Minutes of Evidence before select committee of the house of lords (2 décembre 1852). Londres, in-fo, page 313.
  11. Les forces que l’on suppose être entretenues par les états indigènes se répartissent entre les différentes armes dans les proportions suivantes :
    Infanterie 317,653 hommes.
    Cavalerie 68,303
    Artillerie 12,902
    Total 398,918 hommes.


    L’armée régulière anglo-indienne se compose, d’après les avis officiels les plus récens comme il suit (*) :

    Troupes de la reine. Européens 29,480 hommes.
    — de la compagnie, — 19,429
    — — Indigènes 240,121
    A quoi il convient d’ajouter pour les contingens indigènes commandés par des officiers européens 32,311
    Total de l’armée régulière 321,840 hommes.


    L’armée régulière équipée aux frais du gouvernement et s’élevant, d’après les chiffres ci-dessus, à 289,529 hommes, compte pour les différentes armes :

    Infanterie 229,406 hommes.
    Cavalerie 34,984
    Artillerie et génie 19,009
    Corps médical 1,763
    Officiers d’administration, d’artillerie, etc. 243
    Vétérans (indigènes) 4,124
    Total égal 289,529 hommes.


    Le budget de la guerre pour 1851 accuse une dépense totale de 10,180,615 livres sterling, soit 254,515,375 francs (y compris le casernement et autres dépenses), c’est-à-dire que, dans l’état actuel des choses, les dépenses improductives absorbent la moitié d’un revenu net qui ne nous paraît pas dépasser de beaucoup 500 millions (*).
    Nous devons renvoyer, pour les détails sur lesquels nous basons cette appréciation, à l’Annuaire des Deux Mondes de 1851, pages 444 et 445, et à celui de 1852 pour l’évaluation des recettes et dépenses de l’exercice 1851-52.
    (*) Le nombre des régimens de toutes armes de l’armée régulière dépasse aujourd’hui le chiffre que nous avons indiqué en 1840 (Revue des Deux Mondes du 15 mai), et qui comprenait 30 régimes européens et 173 régimens indigènes, sans compter l’artillerie, le génie, etc. Les documens parlementaires que nous avons été à même de consulter ne donnent point la liste des corps appartenant aux différentes armes en 1851-52. (*) Les revenus de l’Inde sous les empereurs moghols, d’Akbar à Aurengzèbe, ont varié de 20 à 26 millions sterling, ou environ 500 à 650 millions de francs suivant les meilleures autorités, ce qui accuserait une grande prospérité financière comparativement à ce que nous constatons aujourd’hui.

  12. Au nombre de ces menaces de l’avenir, bien des gens rangeraient volontiers une invasion russe. C’est une question que nous avons déjà traitée dans cette Revue (voyez l’Hindoustan, Affaires de Chine, livraison du 15 mai 1840), et sur laquelle nos opinions n’ont pas varié Jusqu’à l’année dernière. La Russie, par son importance géographique, ses ressources et ses tendances naturelles au point de vue ethnographique, est destinée à exercer une influence considérable sur l’Asie centrale et sur l’extrême Orient ; mais, bien qu’elle ait en ce moment, par suite de la fausse position dans laquelle elle s’est volontairement et si témérairement placée, intérêt à menacer les possessions anglaises dans l’Inde, elle nous paraît être dans l’impossibilité de rien tenter de sérieux de ce côté. L’empereur de Russie s’est obstiné à faire de la mauvais e politique, il y a complètement réussie. Désormais la question de l’Inde a pris un aspect fatalement hostile à ses vues et l’alliance intime de la France et de l’Angleterre est une garantie de premier ordre pour la durée de l’empire hindo-britannique. C’est une belle thèse à développer ; nous nous bornons à ces indications générales.
  13. Un indigène employé comme terrassier sur la grande route de poste entre Calcutta et Bombay (ligne de 1,170 milles, ou environ 400 lieues) reçoit en moyenne 3 roupies par mois ou 6 shillings (soit 7 fr. 50 cent, argent de France par mois ou 90 fr. par an) ; la moyenne de la main-d’œuvre en Angleterre étant estimée à 10 shillings par semaine, ou à peu près 26 livres sterling (650 fr.) par an, la proportion est donc en effet celle de 7 : 1.
  14. L’opinion de sir Erskine Perry sur la sollicitude que les gouvernemens indigènes ont témoignée à toutes les époques de l’histoire de l’Inde pour les voyageurs mérite d’être citée. « Rien ne m’a plus frappé, dit sir Erskine Perry (introduction aux mémoires imprimés à Bombay en 1852 : « Two Hindus on English education. »), pendant mes excursions dans l’Inde, que les monumens de la sympathie manifestée, depuis les temps les plus reculés et depuis l’Himalaya jusqu’au cap Comorin, pour les besoins et l’agrément des pauvres voyageurs. Il est probable que la civilisation précoce de l’Inde est due en grande partie à la facilité avec laquelle on a pu pénétrer dans ses vastes plaines et les parcourir dans toutes les directions pendant neuf mois de l’année, grâce aux routes et à l’hospitalité gratuite offerte par les souverains indigènes et les riches de toute caste à ceux que des motifs religieux ou d’autres intérêts appellent d’un point de l’Hindoustan à un autre. »
  15. La longueur totale de cette voie macadamisée sera de 1,423 milles, dont 965 milles font complètement achevés (jusqu’à Karnoul). La portion de la route de Calcutta à Delhi (887 milles) a coûté, la construction des ponts comprise, 8,194,184 roupies, ou environ 20,485,260 fr. L’entretien de la ligne totale, lorsqu’elle sera terminée, coûtera annuellement au moins 1,250,000 fr.
  16. D’une longueur totale de 1,170 milles. Elle est à peu près terminée et coûtera de 12 à 13 millions de francs. L’entretien annuel est estimé à 875,000 francs.
  17. Cette voie a une longueur totale de 234 milles. Elle a été commencée en 1840. Elle est macadamisée dans quelques parties de son parcours seulement, et a coûté 6,091,900 fr. Les frais d’entretien s’élèvent à environ 125,000 fr. Par an.
  18. Voir pour ces travaux l’Annuaire de 1851-52, pages 445 et 446.
  19. L’acre vaut à peu près deux cinquièmes d’hectare.
  20. Bombay, 1852, {{{{in-8°}}}}.
  21. Indépendamment de 400 à 500 Anglo-Indiens (East-Indians) employés dans différentes branches du service, on comptait en 1852 environ 2,400 indigènes revêtus d’emplois plus ou moins importans, surtout dans l’administration de !a justice et dans les finances, dont les traitemens variaient de 600 fr. à 39,000 fr. Par an, et dont les services étaient appréciés à une haute valeur par le gouvernement. — Voyez, pour de plus amples et très curieux détails, les Statistical Papers déjà cités, p. 35 et suiv. ; on peut consulter aussi l’Annuaire des Deux Mondes 1851-52, p. 447.
  22. On peut juger de l’importance de ces résultats par le chiffre de la population des provinces nord-ouest, qui s’élevait en 1852 à 23,199,688 habitans (répartis sur une surface de 46,070,658 acres ou 18 millions et demi d’hectares environ). Sur ces 23 millions, on compte 15 millions d’agriculteurs. La proportion des Hindous aux musulmans dans ces provinces est à peu près celle de 19 : 4. Le gouvernement de Madras comptait à peu près 13 millions d’habitans en 1850-51. Le gouvernement de Bombay est peuplé d’environ 10 millions. Voilà donc un total de 56 millions d’hommes dont la condition sociale est en pleine voie d’amélioration.
  23. Au point de vue de la prospérité agricole, la présidence de Madras paraît être la plus arriérée. Une discussion du plus vif intérêt s’est élevée à ce sujet, dans la chambre des communes, le 11 du mois de juillet 1854, sur la motion de M. Blackett, tendant à l’envoi d’une commission spéciale qui instituerait dans cette présidence une enquête sur l’assiette et la perception de l’impôt territorial. Des 123 membres présens, 59 ont voté pour la proposition, 64 contre. La motion n’a donc été rejetée qu’à la majorité de 5 voix. La discussion avait mis en évidence ce fait déplorable, savoir : que la perception de la redevance territoriale avait, dans l’état actuel des choses, le caractère d’une véritable exactions, ruineuse pour l’agriculture et fatale au développement de l’agriculture dans la présidence de Madras. Le président du bureau de l’Inde a reconnu la nécessité de remédier promptement au mal et solennellement promis d’adopter les mesures nécessaires dans le plus bref délai possible.
  24. Un de ces articles, celui du 8 février dernier, après avoir annoncé que l’auteur a consulté les documens officiels « publiés avec la profusion ordinaire de l’autre côté du détroit, » contient les assertions suivantes : « On sait que le bill de 1833 avait supprimé le monopole commercial de la compagnie. Le nouveau bill a été inspiré et conçu dans une excellente pensée : affermir l’autorité du gouvernement central du royaume-uni, fractionner dans une certaine mesure le gouvernement général de l’Inde, en le localisant davantage, et laisser l’administration ainsi que la gestion commerciale à la compagnie. » Or le nouveau bill a non-seulement enlevé à la compagnie le droit exclusif (dont elle était investie) de commercer avec la Chine, mais lui a imposé l’obligation, par elle acceptée, d’abandonner tout commerce, et de se défaire, dans le plus bref délai possible, de toutes les valeurs commerciales en sa possession et de toutes propriétés mobilières et immobilières qu’il ne paraîtrait pas utile de conserver dans l’intérêt du gouvernement de l’Inde (articles 3 et 4). L’analyse du nouveau bill, donnée aussi dans le Moniteur du 15 février, contient de nombreuses inexactitudes. On y cite un passage des Souvenirs du Gouvernement de l’Inde (*), de M. Tucker, où cet ancien directeur exprime sa conviction qu’avec le temps mis à profit par un bon système d’éducation et une prudente propagande, la lumière évangélique doit finir par dissiper sans perturbations les nuages superstitieux dont le sentiment religieux s’enveloppe encore dans l’Inde. On ajoute : « En effet, que le christianisme, fidèle à sa loi et à sa marche, s’attaque par la persuasion à l’homme intérieur, l’homme extérieur sera aussitôt transformé, comme il le fut en Occident. » N’est-ce pas trahir une connaissance très incomplète du caractère des Hindous ? n’est-ce pas même apprécier bien imparfaitement l’autorité des habitudes en général que d’admettre et d’affirmer ainsi la conversion prochaine des peuples de l’Hindoustan ?

    (*) Memorials of Indian government… from the papers of G. S. George Tucker, late director of the E. I. Company, edited by J. W. Kaye. London, 1853, {{{{in-8°}}}}.

  25. Voir, sur la constitution et les pouvoirs de la compagnie en 1833, la Revue des Deux Mondes du 15 mai 1840.
  26. Le nouvel acte constitutionnel a été inauguré à Calcutta le 4 mai 1854.
  27. Pour toutes les dépêches et documens émanant de la cour des directeurs, les signatures du président et du vice-président et du plus ancien membre de la cour, ou de deux quelconques d’entre eux, avec le contre-seing du secrétaire de la compagnie, suffiront à l’avenir au lieu des signatures de la majorité des directeurs. Dix directeurs suffisent pour constituer une cour.
  28. Cette élection des quinze nouveaux membres de la cour des directeurs par les trente anciens a été vivement critiquée et particulièrement par lord Ellenborough (séance de la chambre des lords du 5 août 1853).
  29. L’article 11 autorise ceux des directeurs qui sont nommés par la reine, et qui pourraient être élus membres de la chambre des communes, à siéger et voter comme tels dans le parlement. Il stipule en outre que ces directeurs membres de la chambre des communes ne pourront être révoqués par la cour générale d la compagnie, et que la reine se réserve de remplacer celui ou ceux d’entre eux dont l’incapacité ou la conduite pourraient donner lieu à l’adoption de cette mesure.
  30. Ces dispositions ont été généralement blâmées dans l’Inde, où le nouveau conseil législatif a dû s’assembler pour la première fois le 20 mai. Tout faisait supposer que l’un des premiers actes du conseil serait d’exprimer la conviction que le code de l’Inde doit être rédigé et discuté dans l’Inde, et de proposer en conséquence la nomination d’une commission chargée de « la révision et de la codification des lois destinées à régir les Indes anglaises. » Ce serait se mettre dès le début en opposition avec la commission législative nommée en Angleterre.
  31. Et non du général en chef des forces navales, comme l’aurait voulu le Moniteur du 15 février 1854. Nous regrettons de ne pouvoir donner une idée nette et précise de l’état actuel de la marine anglo-indienne. Les renseignemens officiels manquent à cet égard, et tout ce que nous pouvons ajouter au tableau que nous tracions des ressources navales de l’Inde anglaise en 1841, c’est qu’en 1849-50, la présidence du Bengale comptait 10 steamers armés, de 200 à 700 tonneaux.
  32. Singulier titre pour une communication de cette importance ! Le Paper of Hints avait été lu le 10 décembre aux président et vice-président de la cour des directeurs, en présence de lord Grey (alors ministre), et envoyé une première fois sous enveloppe, mais sans lettre d’envoi, le 11 décembre. Ce même document fut transmis en duplicata le 17 avec une lettre de M. Grant.
  33. Preliminary Papers respecting the E. I. Compagny’s harter (1833, in-4o, p. 141).
  34. Cases illustrative of Oriental Life, etc., p. 112.