La Seine calomniée (Guaita)

Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 247-249).


La Seine calomniée


Et tu coules toujours, Seine, et tout en rampant,
Tu traînes dans Paris ton corps de vieux serpent,
De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres
Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !
Paul Verlaine, Poèmes saturniens.

La Seine est l’égoût le plus sordide de Paris.
E. V.


À Joseph Caraguel.


Je me suis dit, (voyant la Seine
Rouler sous les ponts ses flots verts,
Calme, à travers
Tes détritus, cité malsaine,)
Que les poètes, en leurs chants,
Sont bien méchants !


Laisse gronder la calomnie,
Ô fleuve ! Si, dans ton miroir
On a pu voir
Les hideurs et la vilenie
Que reflète, avec un sanglot,
Ton triste flot ;

Ô tombe errante, es-tu complice,
Quand, sous un ciel noir, l’assassin
Rougit ton sein,
Et, narguant l’affre du supplice,
Jette sa victime au courant
Qui fuit, pleurant ?…

Moi, je te sais innocent, Fleuve !
Prolonge ton murmure amer
Jusqu’à la mer !

À ton cours un peuple s’abreuve…
Mais l’enfant mord le sein maigri
Qui l’a nourri !

Paris ingrat qui te bafoue
Ne songe point — le gueux pervers —
Que tes flots verts
Lavent son front taché de boue,
Et daignent blanchir, en passant,
Ses mains de sang !


Novembre 1883.