La Science et la Foi à propos des Méditations de M. Guizot

La Science et la Foi à propos des Méditations de M. Guizot
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 57 (p. 680-706).
LA
SCIENCE ET LA FOI

Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. 1 vol. in-8o, 1864.

Au temps déjà loin de nous où la vie politique semblait en ce pays la principale affaire, lorsque M. Guizot, à toute heure sur la brèche, défendant sa cause pied à pied, usait à ce labeur ses forces et sa vie, plus d’une fois nous l’avions entendu souhaiter, non pas que la lutte cessât, mais que la mort ne l’y vînt pas surprendre, l’esprit tourné vers ces questions d’un jour. Il demandait comme faveur suprême, comme dernier terme de son ambition, le temps de songer au départ, quelques années de calme et de retraite pour méditer à loisir, et raviver en lui par les leçons de l’âge mûr les croyances de la jeunesse. Ce qu’il réclamait là, ce n’était que pour lui, pour le seul intérêt de sa propre conscience ; rien alors ne faisait pressentir que dans le champ des idées métaphysiques et religieuses il y eût bientôt aussi des combats à livrer. La guerre, de ce côté, semblait presque endormie : non que le doute et l’incrédulité eussent mis bas les armes ; ils poursuivaient leur œuvre accoutumée, mais sans bruit, sans éclat, sans succès apparent ; c’était comme une trêve qui peu à peu avait laissé les convictions chrétiennes se ranimer, grandir et gagner du terrain. La preuve en éclata dans ces sombres journées où le flot populaire qui venait de tant détruire, s’inclina devant les choses saintes, devant les ministres du culte, comme soumis et subjugué par un respect inattendu. Résultat naturel de la lutte acharnée, mais purement politique, qui s’était continuée depuis plus de quinze ans. Les assaillans n’avaient pas fait deux sièges à la fois, et le pouvoir était la cible où s’étaient dirigés tous les coups.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. Le pouvoir est muni d’une armure qui décourage les agresseurs, et mieux il est couvert, plus ce qui reste vulnérable, soit à côté, soit au-dessus de lui, est exposé et compromis. L’esprit d’audace et d’agression se dédommage, comme il peut, de l’abstention forcée que la politique lui impose. Il voit qu’en matière religieuse la place est moins gardée, il s’y sent plus à l’aise et serré de moins près ; de là des témérités d’un ordre tout nouveau qui scandalisent les croyans, et dont les plus indifférens s’étonnent pour peu qu’ils se rappellent le calme précédent. Ce ne sont plus maintenant, des hommes, des ministres, ce n’est plus un gouvernement, c’est Dieu qu’on bat en brèche ! Nous ne demandons pas, notez bien, que le pouvoir ajoute, même au profit des vérités que nous vénérons le plus, la moindre restriction nouvelle aux droits de la libre pensée. Nous constatons un fait, pas autre chose. Aussi bien ces attaques ne valent peut-être pas tout l’émoi qu’elles causent. Si vives, si nombreuses, si bien combinées qu’elles soient, elles n’ébranleront pas l’édifice et serviront plutôt à le mieux affermir en appelant à son secours des défenseurs plus éclairés et des gardiens plus vigilans ; mais elles n’en sont pas moins un grand sujet de trouble. Cette inquiétude, ce malaise, ces craintes vagues que les agitations de la vie politique semblaient naguère pouvoir seules provoquer, nous les voyons renaître de ces débats nouveaux dans le sein des familles, au fond des consciences. Ce ne sont plus cette fois les intérêts qui prennent peur, ce sont les âmes qui s’émeuvent. La crise en apparence est moins rude, moins vive ; elle est au fond plus grave, plus menaçante, et nul dans ce conflit ne peut rester indifférent.

Aussi voilà M. Guizot ; qui en veut prendre sa part et qui entre dans la mêlée. Il est de ceux qui à certaines heures et sur certains sujets ne sont pas maîtres de se taire. Qu’en politique il s’efface et s’abstienne, qu’il regarde passer les choses d’aujourd’hui sans dire tout haut ce qu’il en pense, rien de mieux, sa dette en politique est amplement payée : tout au plus se doit-il à lui-même, aussi bien qu’à sa cause, de rétablir le véritable sens, la vraie physionomie des choses qu’il a faites. Mettre en lumière ses vues, ses intentions, ses actes, les expliquer, les commenter, on pourrait presque dire les compléter de son vivant, donner le ton, la note juste à ses futurs historiens, achever ses Mémoires en un mot, il y a là un devoir qu’il a raison de ne pas ajourner. Ce n’en était pas moins à d’autres fins et en vue d’une œuvre encore plus haute qu’il convoitait il y a vingt ans, pour la fin de sa vie, la solitude et le repos. Son vœu est exaucé. Ces jours de calme et de retraite, il les a vus venir, non pas à l’heure qu’il eût voulu et encore moins aux conditions qu’il eût choisies, mais tels que pour sa gloire il les pouvait rêver, dignes, respectés, féconds, pleins de sève et d’ardeur : heureuse arrière-saison, où les souvenirs du monde ; les échos de la politique ne sont plus que le délassement d’une âme incessamment aux prises avec de plus sérieux problèmes. C’est là, dans ces hauteurs, dans ces régions sereines, pendant qu’il s’interroge sur ses croyances et sur sa destinée, que la guerre l’est venue chercher, non la guerre personnelle et corps à corps comme autrefois, un autre genre de guerre moins directe, plus générale, et néanmoins peut-être plus provocante encore. Il n’est pas homme à refuser la lutte. Sous le poids des années qu’il porte vaillamment, plus fort, plus résolu, plus jeune que jamais, le voilà descendu dans l’arène ; il sera militant jusqu’au bout.

Que vient-il faire ? quel est son plan ? sur quel terrain se place-t-il ? Le volume qui est là sous nos yeux répond à ces questions. Ce n’est qu’un premier volume, mais à lui seul il forme un tout, il est une œuvre qu’on ne peut étudier de trop près, qu’on ne peut mettre en trop vive lumière. Les développemens, les additions, les supplémens de preuves que trois autres volumes apporteront bientôt, donneront sans doute à l’ouvrage une base plus large et plus solide encore ; tel qu’il est, nous le tenons, sans autre commentaire, pour une réponse efficace aux attaques de tout genre récemment dirigées contre les fondemens des croyances chrétiennes, ou pour mieux dire contre l’essence même de toute religion.

Avant d’entrer au fond du livre, qu’on nous permette quelques mots sur la forme. Ce n’est pas du style que nous voulons parler. On n’apprend plus rien à personne en disant aujourd’hui que, depuis qu’il en a le temps et qu’il en prend la peine, M. Guizot écrit aussi bien qu’il parlait. Si donc dans ces Méditations il porte à un degré nouveau, plus haut peut-être que dans ses Mémoires mêmes, l’art de vêtir sa pensée d’un langage excellent, savamment travaillé, sans efforts ni recherches, vrai de couleur, sobre d’effets, toujours clair et jamais banal, toujours ferme et souvent énergique, il n’y a rien là d’extraordinaire, rien qui ne soit conforme à cette loi de progrès continu qui depuis bien des années déjà semble régir sa plume. Quelque chose de plus neuf, de plus particulier nous apparaît ici. Le livre au fond est une controverse, mais une controverse d’un genre absolument nouveau ; c’est de la polémique plus que courtoise, de la polémique impersonnelle. Assurément l’auteur s’est montré de tout temps plein d’égards pour ses contradicteurs ; il a toujours admis que de très bonne foi on pouvait être d’un autre avis que lui, et même à la tribune, au plus fort de la lutte, ses adversaires les plus habituels n’étaient pas les personnes, ce n’étaient vraiment que les idées ; mais enfin les gens qu’il combattait alors, il les appelait sans scrupule par leurs noms : ici c’est autre chose, pas un nom propre, la guerre est anonyme. En changeant d’atmosphère, en passant de la terre au ciel pour ainsi dire, ou tout au moins de la tribune à la chaire, de la politique à l’Évangile, il change de méthode et fait un pas de plus. Il prétend s’affranchir tout à fait des personnes, qui, selon lui, ne sont qu’un embarras et enveniment les questions. Il oublie donc, ou du moins il ne veut pas nous, dire quels sont ses adversaires ; il les réfute, il ne les nomme pas.

N’est-ce là que du savoir-vivre, de la réserve, du bon goût ? C’est quelque chose de plus encore. Sans doute, à ne parler ainsi que des idées et non de ceux qui les professent, on perd un grand moyen d’action. Dans les matières abstraites, quelques noms propres, introduits çà et là, sont d’un puissant secours : ils éveillent et piquent l’attention, ils sèment l’intérêt et la vie ; mais ce qu’on gagne d’un côté, souvent on le perd de l’autre. L’intervention de ces noms propres, n’eût-elle rien d’irritant, risque toujours d’amoindrir le débat. Les questions se réduisent à la mesure de ceux qui les soutiennent. Mieux vaut prendre un parti tranché et tenir les personnes absolument dans l’ombre. M. Guizot s’en trouve bien. Nulle part dans son livre il n’y a sujet de regretter l’attrait et la vivacité d’une polémique plus directe, et cette urbanité, ces noms omis, sans rien changer au fond des choses et sans rien atténuer, répandent dans l’ouvrage une gravité calme, presque un parfum de tolérance qui met en confiance le lecteur et le dispose à se laisser convaincre. Il est vrai qu’on ne soutient ainsi ce genre de polémique qu’en suppléant par la grandeur des vues au défaut de passion dans la lutte. Il faut prendre son vol, monter au plus haut des questions, tout dominer, tout éclaircir. Tel est aussi le caractère de ces Méditations. Élévation du point de vue, largeur du plan, clarté du style, voilà ce qui leur imprime un vrai cachet d’originalité.

Ce n’est pas de la théologie que prétend faire M. Guizot. Il n’écrit pas pour les docteurs. Il ne disserte pas sur des textes, sur des points de doctrine ; il ne cherche pas à résoudre de scolastiques difficultés ; encore moins veut-il mêler sa voix à des débats de circonstance, descendre aux questions du jour, et suivre pas à pas dans ses diverses phases la crise dont le monde chrétien est agité en ce moment. Ce sont des questions plus profondes et plus permanentes qu’il entend aborder ! ; il veut mettre en lumière la vérité du christianisme dans son essence même, dans ses dogmes fondamentaux, ou, si l’on veut, dans sa simplicité, dans sa grandeur natives, en dehors de tout commentaire, de toute interprétation, de tout travail humain, par conséquent aussi avant toute dissidence, tout schisme, toute hérésie. C’est l’idée pure du christianisme qu’il entreprend d’exposer, pour en mieux démontrer les divins caractères.

Tel est son but. Que fait-il pour l’atteindre ? C’est au livre lui-même qu’on le doit demander, Ici, en quelques pages, que pourrions-nous en dire ? Comment analyser une œuvre dont on serait tenté de citer chaque phrase ? et d’un autre côté donner beaucoup d’extraits, c’est mutiler un livre et le faire mal connaître. Tâchons donc seulement d’en dire assez pour inspirer à ceux qui nous liront le désir beaucoup plus profitable de lire surtout M. Guizot.


I

Le début et la base de ces Méditations, ce qu’avant tout l’auteur tient à mettre hors de doute, c’est une vérité bien connue, mais qu’au temps où nous sommes il n’est pas inutile de promulguer encore. Cette vérité est que le genre humain, depuis qu’il existe et partout où il existe, se préoccupe de certaines questions qui lui sont, on peut dire, personnelles ; questions de destinée, de vie plutôt que de science, questions qu’invinciblement il aspire à résoudre. Et par exemple pourquoi l’homme est-il en ce monde, et ce monde lui-même, pourquoi existe-t-il ? D’où viennent-ils, Où vont-ils l’un et l’autre ? Qui les a faits ? Ont-ils un créateur intelligent et libre ? Ne sont-ils qu’un produit d’aveugles élémens ? S’ils sont créés, si nous avons un père, pourquoi ce père, en nous donnant la vie, nous la rend-il parfois si dure et si amère ? Pourquoi le mal ? pourquoi la souffrance et la mort ? L’espoir d’un sort meilleur au-delà de ce monde n’est-il que la chimère de quelques malheureux, et la prière, ce cri de l’âme en détresse, n’est-elle qu’un bruit stérile, une parole jetée au vent ?

Ces questions et bien d’autres encore qui les développent et les complètent, non-seulement le genre humain s’en préoccupe depuis qu’il est sur terre, mais seul il peut s’en occuper ! Elles ne s’adressent qu’à lui : parmi tous les êtres vivans, seul il les sait comprendre, et seul il s’en émeut. Triste et beau privilège, incontestable signe de sa royauté terrestre, son tourment et sa gloire à la fois !

C’est cet ensemble de questions, ou plutôt de mystères, que M. Guizot place en tête de ses Méditations, et qu’il résume en ces deux mots : « problèmes naturels. » L’homme en effet les tient de sa nature, il ne les crée ni me les invente, il les subit. Ce qui ne veut pas dire que pour l’espèce humaine en général, pour cette foule qui vit au jour le jour, qui va, qui vient et qui s’agite, vaquant à ses affaires, courant à ses plaisirs, ces problèmes ne soient le plus souvent obscurs, confus, sans forme ni contours, enveloppés d’une sorte de brume, pressentis plutôt qu’aperçus ; mais il n’est pas un homme dans cette foule même, pas un, sachons-le bien, si peu éclairé ou si distrait qu’on le suppose, qui, un jour au moins dans sa vie, pour peu qu’il ait vécu, pour peu qu’il ait souffert, n’ait entrevu ces questions redoutables et ressenti l’ardent besoin de les voir résolues. Distinguez, tant qu’il vous plaira, entre les races, entre les sexes, entre les âges, entre les degrés de civilisation ; coupez, divisez par zones, par climats, ce globe et ses habitans : vous noterez sans doute plus d’une différence dans la manière dont ces problèmes s’imposent à l’âme humaine, vous les verrez plus ou moins menaçans, plus ou moins écoutés, mais partout et chez tous vous en trouverez trace. C’est une loi d’instinct, une loi générale, de tous les temps, de tous les lieux.

Si tel est notre lot, si des questions sont là qui pèsent sur nos têtes, ces questions, le grand fardeau des âmes, comme dit M. Guizot, ne faut-il pas forcément que nous tentions de les résoudre. Ce n’est de notre part ni vaine curiosité, ni capricieux penchant, ni frivole habitude : c’est un besoin tout aussi sérieux, tout aussi naturel que ces problèmes le sont eux-mêmes, besoin de respirer en quelque sorte, de soulever un poids qui nous oppresse ; il nous faut à tout prix des réponses, il nous en faut : qui nous les donnera ?

La foi ou la raison ? les religions ou la philosophie ? Tout à l’heure on verra dans quelle mesure et jusqu’à quelle limite la raison, la science, les sources purement humaines suffisent à nous abreuver ; dès à présent, vous pouvez dire que depuis les premiers temps des sociétés humaines, c’est aux religions, aux sources réputées divines et acceptées comme telles par la foi, que l’humanité demande ces indispensables réponses.

On voit dès lors quel intérêt s’attache à cette question des problèmes naturels. Qui osera nous dire que les religions procèdent d’un besoin factice et temporaire dont peu à peu les hommes s’affranchiront, si les problèmes auxquels elles correspondent sont inhérens au genre humain et ne peuvent périr qu’avec lui ? Aussi le travail constant, le mot d’ordre de tout système, matérialiste ou panthéiste, est-il de dénaturer les caractères de ces problèmes, d’en faire de simples accident, purement individuels, des effets de tempérament, des résultats de circonstance. Jusqu’à ces derniers temps, on n’allait pas plus loin. On n’osait pas nier, contre des témoignages par trop universels, l’existence persévérante des problèmes eux-mêmes. On en déguisait la portée sans aspirer à les détruire. Maintenant on fait un pas de plus. Pour avoir bon marché des réponses, on prétend supprimer les questions. C’est là le trait particulier, la touche originale d’un système qui fait bruit aujourd’hui, bien qu’il se borne à reproduire des tentatives plus d’une fois avortées, mais qui a du moins ce genre de nouveauté, cet avantage sur ses confrères, issus comme lui du panthéisme, qu’il n’est pas nébuleux, et dit nettement les choses, sans équivoque, avec une franchise bien souvent salutaire, qui s’annonce et s’affiche jusque dans le nom qu’il se donne. C’est le positivisme dont nous voulons parler ; c’est lui qui, du plus grand sérieux du monde, se promet, pour peu qu’on lui prête attention, de délivrer l’humanité de ces malencontreux problèmes qui la tourmentent aujourd’hui.

Son remède est bien simple ; il dit au genre humain : Pourquoi chercher ainsi d’où vous venez, où vous allez ? Vous n’en saurez jamais un mot. Prenez-en donc votre parti. Laissez là ces chimères ; vivez, instruisez-vous, étudiez l’évolution des choses, c’est-à-dire les causes purement secondes et leur enchaînement : la science, sur ce sujet, a des merveilles à vous dire ; mais les causes finales et les causes premières, notre origine et notre fin, le commencement et le but de ce monde, pures rêveries, paroles vides de sens ! La perfection de l’homme et de l’état social est de n’en tenir aucun compte. L’esprit s’éclaire d’autant plus qu’il laisse dans une obscurité plus grande vos prétendus problèmes naturels. Ces problèmes sont une maladie, le moyen d’en guérir est de n’y pas penser.

N’y pas penser ! proposition candide ! merveilleuse ignorance des éternelles lois de la nature humaine ! Notre siècle, dit-on, incline à ces idées ; n’en soyons pas inquiets. On ne prend pas les hommes en leur parlant si clair, pas plus que don Juan n’ébranle Sganarelle par ses sermons sur « deux et deux sont quatre. » Le remède au positivisme, ce n’est pas seulement qu’il tente l’impossible, c’est qu’il le dit naïvement. Supposons même que par miracle il vienne à triompher, supposons que pour lui complaire l’homme renonce à tout souci de ces problèmes qui l’assiègent, à tout désir de les sonder, à toute solution religieuse ou seulement métaphysique, à tout élan vers l’infini, combien croit-on que cela durera ? Jamais deux jours de suite l’esprit humain ne souffrira qu’on le mutile, qu’on l’emprisonne ainsi. Fussiez-vous tout-puissant, il vous échappera, il bondira hors de l’enceinte où vous l’aurez parqué, il vous dira comme le poète :

Je ne puis, l’infini malgré moi me tourmente. Ainsi, quoi qu’il arrive, ce n’est pas le positivisme qui nous délivrera des problèmes naturels. Après comme avant son passage, les mystères de notre destinée préoccuperont le genre humain.

En face de cette tentative, M. Guizot nous en signale une autre d’un ordre tout différent, moins téméraire en apparence, mais aspirant aussi non pas à supprimer, à éluder les problèmes naturels. Ce n’est pas un système, c’est un état de l’âme assez fréquent chez certaines personnes de nature et d’esprit élevés, c’est la tendance à substituer ce qu’on appelle le sentiment religieux aux religions proprement dites. On ne méconnaît pas les grands mystères de cette vie, on les tient même pour très sérieux et très embarrassans ; mais au lieu de solutions précises, de réponses catégoriques qu’il faudrait demander à des dogmes trop arrêtés ou trop impérieux, on se borne, comme équivalens, à de fréquentes rêveries, à de longues contemplations. C’est là, dit-on, la religion des esprits éclairés : point de solutions, des émotions. Le contraste est complet avec le positivisme. Celui-ci vous recommande, comme hygiène morale, de ne jamais penser aux choses invisibles ; on vous invite ici à y penser beaucoup, à y penser toujours, sauf à n’en rien conclure.

Eh bien ! le genre humain ne peut se contenter de ces façons d’entendre les secrets de sa destinée. Il lui faut autre chose que les aveugles négations des uns et que les vagues aspirations des autres. L’homme n’est pas seulement esprit ou sentiment, il est à la fois l’un et l’autre. Il lui faut des réponses et non pas de beaux rêves, de vraies réponses qui parlent à son intelligence en même temps qu’à son cœur, qui lui tracent sa route, soutiennent son courage, animent son espoir, enflamment son amour. Tout un système puissant et bien lié, tout un système de faits, de préceptes, de dogmes donnant satisfaction à tous les grands désirs que nous portons en nous, voilà l’idéal à trouver. Cherchons : c’est pour chacun de nous la question capitale, la question d’être ou de n’être pas. Nous l’avons déjà dit, deux sources se présentent, l’une purement humaine, l’autre à demi divine ; la première suffit-elle ? Essayons.


II

Si la science peut répondre aux appels de notre âme, si par ses propres forces, par ses propres lumières elle nous révèle le but de cette vie, nous fait voir clairement l’origine et la fin des choses, c’est pour le mieux ; il faut s’en tenir à la science, sans rien demander de plus. Ce guide exact et sûr, nous l’avons sous la main ; pourquoi chercher hors de nous-mêmes d’aventureux secours, d’inexplicables révélations ? Tout le monde, il est vrai, ne peut pas être savant, mais tout le monde croit à la science. Pour peu qu’elle exhibe ses preuves, les plus rebelles sont forcés de se rendre. Point de schisme chez elle, point d’hérésie durable. Si parfois les savans se querellent, ce qu’ils font aussi bien, presque mieux que les autres hommes, le holà est bientôt mis entre eux : on prend une cornue, un microscope, une balance, on analyse, on pèse, on mesure, on compare, et voilà le procès terminé ; jusqu’à de nouveaux faits, l’arrêt est souverain. Quelle admirable perspective s’ouvre donc à l’humanité, si ces questions occultes qui la troublent, la science désormais les éclaircit et les résout, si par l’action du temps, par la loi du progrès, nous possédons enfin un moyen si commode de mettre fin à nos perplexités, si le fruit du divin savoir, l’ancien fruit défendu, nous pouvons maintenant le cueillir sans péril, et sans déchoir nous en rassasier !

Par malheur, tout cela n’est qu’un rêve. D’abord l’autorité de la science n’est pas, il s’en faut bien, toujours incontestée. Selon les sujets qu’elle traite, elle a plus ou moins de crédit. S’agit-il des choses naturelles, physiques, mathématiques, point de difficulté, ses décisions font loi ; est-ce au contraire hors du monde visible, dans l’intérieur de l’âme qu’elle porte ses regards, d’interminables controverses s’élèvent aussitôt : on lui conteste jusqu’à son droit de s’appeler science ; on veut ne voir en elle qu’un art conjectural, et la moitié du temps son principal effort consiste à démontrer qu’elle a droit d’être crue. Or c’est précisément à ce genre de science qu’ici nous avons affaire. Les questions dont l’homme se tourmente ne sont pas des problèmes d’algèbre ou de chimie, ce sont d’autres mystères, des secrets du monde invisible. Ainsi ne comptez pus sur les solutions sans réplique que vous espériez tout à l’heure ; la science dans ces régions de la métaphysique n’a rien de tel à vous offrir.

Peut-elle au moins s’y donner carrière en liberté et sans limite ? Non, une barrière infranchissable l’arrête et l’emprisonne aussi bien dans le champ de l’invisible qu’au sein de la nature physique et matérielle. Toute science, quelle qu’elle soit, a pour terme fatal l’étendue des choses finies. Jusqu’à cette limite, tout tombe sous sa prise ; au-delà, tout lui échappe. Et peut-il en être autrement ? Produit de notre esprit, qui lui-même est fini, comment la science humaine serait-elle autre chose que l’éclaircissement du fini ? L’induction, il est vrai, nous transporte d’un bond à l’extrême frontière de ce monde, au seuil de l’infini pour ainsi dire, et les données de l’induction sont à bon droit réputées scientifiques ; mais que faitelle, cette merveilleuse faculté, cette lumière de la science ? pas, autre chose que de nous mettre en face de l’abîme inconnu fermé à nos regards. Elle nous le montre en perspective, nous en fait assez voir pour nous, convaincre qu’il existe pas assez pour que nous en sachions rien d’exact ni de précis, rien de pratique ni d’expérimental, rien de scientifique en un mot. L’invisible fini, c’est-à-dire l’âme humaine, le domaine du moi humain, la science peut l’atteindre ; l’invisible infini, l’âme suprême et créatrice, lui échappe absolument. Or c’est tout justement cette sorte d’invisible qu’il s’agirait de pénétrer et de connaître à fond, si l’on devait jamais scientifiquement résoudre les grands problèmes qui touchent à notre destinée. Il est donc impossible, c’est plus qu’une illusion, c’est un non-sens, à notre avis, d’attendre de la science humaine la solution de ces questions.

Est-ce à dire que la philosophie, car c’est d’elle qu’il s’agit ici, soit impuissante à nous parler des problèmes naturels ; qu’elle n’ait rien à nous dire de notre destinée, de nos devoirs, de nos espérances ? Non certes. Elle a qualité, elle a droit de traiter ces questions ; de les traiter, entendons-nous, non pas de les résoudre ; Le plus hardi spiritualisme, dans son plus noble élan, ne peut franchir l’abîme ; il en peut seulement éclairer les abords. Notre tâche, après tout ! Une saine philosophie, qui s’abstient de vaines hypothèses, qui donne ce qu’elle peut donner, la preuve manifeste qu’un ordre invisible existe, que derrière ces mystérieux problèmes il y a des réalités, qu’ils nous inquiètent à bon droit, que nous avons raison de vouloir les résoudre, ce n’est là ni un stérile savoir ni pour le genre humain un médiocre secours. Aussitôt que le spiritualisme devient florissant quelque part, ne fût-ce que dans un groupe de généreux esprits, le parfum s’en répand, et peu à peu, de proche en proche, tout un peuple en ressent l’influence, toute une société se ranime, s’épure, s’élève, s’ennoblit. Aussi la religion ne craignons pas de le lui dire, est-elle mal conseillée et manque-t-elle de prudence non moins que de justice lorsqu’au lieu d’accepter le concours du spiritualisme, de l’accueillir comme un auxiliaire naturel, de voir en lui une sorte d’avant-garde qui lui prépare les esprits et lui aplanit les voies, elle le tient à distance presque avec jalousie, le combat, le harcèle, le prend entre deux feux, lui prodiguant le même blâme, les mêmes sévérités qu’aux doctrines les plus perverses et aux plus aveugles erreurs. Sans ces regrettables méprises, peut-être ne verrions-nous pas certaines représailles, certains excès de confiance, certains oublis de ses propres limites, que le spiritualisme n’évite pas toujours, car s’il convient d’être juste envers lui, on n’a pas tort non plus de le tenir en bride. M. Guizot, en véritable ami, lui rend franchement ce service. Personne avant lui peut-être n’avait tracé d’une main aussi sûre la délimitation de la science philosophique ; jamais, tout en revendiquant pour elle de plus sincères respects et en soutenant mieux son autorité légitime, on n’avait plus nettement marqué le point précis qu’elle ne saurait franchir.

Plus d’un spiritualiste en gémira peut-être. — Vous nous découragez, diront-ils. Si vous voulez que nous luttions, que nous défendions contre tant d’adversaires les invisibles vérités, ne nous enlevez pas nos armes ; ne dites pas d’avance jusqu’où nous pouvons aller ; laissez-nous l’espérance qu’un jour, sous nos efforts, cette porte de l’infini, où nous frappons depuis tant de siècles, finira par s’ouvrir.

— Si depuis tant de siècles, pourrait-il leur répondre, vous aviez fait seulement quelques progrès, on en pourrait espérer d’autres ; on n’aurait pas droit de vous dire, sur le ton prophétique : « Vous irez jusque-là, pas plus loin. » Mais les progrès de la métaphysique, où sont-ils ? Qui les a vus ? Progrès de forme, c’est possible ; plus de clarté peut-être, plus de méthode. Les grands génies des temps modernes ont en ce sens ajouté quelque chose au fonds que leur avaient légué les grands génies du monde ancien : ce fonds n’en est pas moins resté toujours le même. Qui oserait aujourd’hui se vanter d’en savoir plus sur l’infini que Socrate, Aristote et Platon ? Autant les sciences naturelles semblent nées pour grandir, faibles d’abord, et peu à peu, de conquête en conquête, se créant un empire toujours plus étendu et plus incontesté, autant les sciences métaphysiques, grandes à leur naissance et bientôt stationnaires, sont évidemment faites pour ne jamais atteindre, quoique toujours actives, le but qu’elles poursuivront toujours. Si quelque chose achève de mettre en évidence cette immobilité nécessaire de la métaphysique, c’est la constante réapparition des quatre ou cinq grands systèmes qui résument à eux seuls tous les milliers d’autres systèmes qu’a jamais inventés, qu’inventera jamais l’esprit humain. Dès les premiers débuts de la philosophie, vous les voyez éclore ; à chaque grande époque, vous les voyez renaître, toujours les mêmes, sous d’apparentes diversités, toujours incomplets et partiels, toujours à moitié vrais, à moitié faux, comme le premier jour. Que veut dire cet éternel retour des mêmes tentatives, aboutissant toujours au même résultat, sinon l’éternelle impuissance de faire seulement un pas de plus ? Évidemment l’homme a reçu d’en haut, une fois pour toutes et dès les premiers temps, le peu qu’il sait de métaphysique, et le travail humain, le travail scientifique, n’y peut rien ajouter.

Si donc vous comptiez sur la science pour percer le mystère des problèmes naturels, votre espoir est déçu. Vous voyez ce qu’on peut en attendre : pas autre chose que de vagues notions, fortifiées, il est vrai, par la ferme assurance que ces problèmes ne sont pas illusoires, qu’ils reposent sur un fond solide, sur de sérieuses réalités.

Est-ce assez ? cette sorte de satisfaction suffit-elle à votre âme ? Qu’importe que certains esprits, rompus à la philosophie, comprenant tout à demi-mot, s’en tiennent à ces préliminaires, que ce demi-jour les contente, qu’ils n’aient besoin ni d’autre guide, ni d’autre frein, pour traverser la vie, même aux jours des plus rudes épreuves ? Nous voulons bien admettre ce qu’ils nous disent d’eux, mais qu’en conclure ? Combien en comptez-vous d’esprits de cette trempe ? C’est l’exception la plus rare. L’immense majorité des hommes, le genre humain proprement dit ne vit pas d’un pareil régime, il est trop étranger à l’esprit philosophique ; il a trop peu le sens de l’invisible. Toute abstraction est un grimoire pour lui. Et en supposant même que ces vagues réponses, issues de la science, fussent de forme plus accessible, le fond n’en serait pas moins pour la plupart des hommes sans couleur ni vertu, et de tous les secours le plus insuffisant.

Que va donc faire le genre humain si, d’une part, il ne peut se passer de réponses précises, de notions dogmatiques sur l’invisible infini, et si, de l’autre, la science est son seul moyen d’en tenter la conquête ; s’il aspire à des vérités hors de toute expérience, et si l’expérience est son unique loi ; si, en un mot, il ne reconnaît et n’accepte que les faits qu’il observe, constate et vérifie lui-même ? Comment sortir de cette impasse ?


III

Le moyen est trouvé. L’homme a le don de croire non-seulement à ce qu’il voit, à ce qu’il sait par lui-même, mais à ce qu’il ne voit pas, à ce qu’il ne sait que par ouï-dire. Il admet, il affirme de confiance, souvent même sans moyen de contrôle, sans vérification possible, les choses qui lui sont attestées, à la seule condition que le témoin lui semble compétent et sincère. Ainsi l’autorité du témoignage, voilà ce qui constitue la foi, aussi bien la foi proprement dite, la croyance aux vérités divines, que la foi purement humaine, la confiance dans le savoir d’autrui. C’est, du petit au grand, le même acte d’intelligence ; seulement, lorsqu’il s’agit des choses de ce monde, l’autorité du témoin s’établit aisément, il n’est besoin de justifier que de sa clairvoyance et de sa véracité, tandis que pour les choses surhumaines il faut qu’il soit lui-même surhumain, qu’il en donne la preuve, qu’on sente à la façon dont il parle du ciel qu’il le connaît et qu’il l’habite, qu’il en descend directement. S’il n’est qu’un homme, il est sans titre. Il faut des signes manifestes de sa mission, de son autorité, des signes insolites et incompréhensibles, commandant le respect, forçant les convictions, des actes impossibles à la puissance humaine, des faits miraculeux.

Telle est la condition suprême et nécessaire de toute solution des problèmes naturels, ou, ce qui revient au même, de toute grande et vraie religion. Il faut l’apparition sur terre d’un être évidemment divin, manifestant par des miracles le caractère de sa mission et son droit à être obéi. Miracle et religion sont donc deux termes corrélatifs, deux termes inséparables : n’essayez pas de garder l’un en vous débarrassant de l’autre, la tentative est chimérique. Si vous opérez ce divorce, tout va s’évanouir. La religion sans les miracles n’est plus qu’une doctrine humaine, une simple philosophie qui n’a plus droit de pénétrer dans les mystères de l’infini, ou qui n’en peut rien dire que par voie d’hypothèse, sans prestige et sans autorité.

Il n’y a donc pas de milieu, il faut admettre les miracles. Voilà la pierre d’achoppement.

Passe encore, direz-vous, quand ce monde était jeune, quand l’homme ignorant et novice n’avait pas expérimenté pendant le cours de tant de siècles la fixité des lois de la nature ! Il pouvait supposer qu’une puissance occulte, à certains jours et pour certains desseins, se jouait de ces lois, les suspendait à volonté ; mais aujourd’hui, à l’âge où nous voici, savans comme nous sommes, comment plier notre raison à ces crédulités ? comment donner à la science cet injurieux démenti ?

— Vous vous croyez donc bien savans ? Vous pensez donc connaître à fond toutes les lois de la nature ? Parce que de temps en temps vous lui dérobez des secrets plus ou moins merveilleux, vous voilà convaincus qu’elle vous ai dit son dernier mot ! Étrange outrecuidance ! Regardez en arrière, oui, vous avez raison, vous venez de parcourir une distance immense ; regardez en avant, le but est aussi loin, que du temps de vos pères la distance à franchir reste toujours la même, vous n’avez point avancé d’un pas. Loin d’ajouter à votre présomption, ces progrès de votre savoir devraient ne rendre que plus profond le sentiment de votre ignorance. Plus vous aurez fait de conquêtes, plus votre impuissance radicale éclatera dans tout son jour. Et vous osez nous dire, comme si vous le saviez, ce que les lois de ce monde, permettent ou ne permettent pas, tandis qu’à chaque instant des faits nouveaux, inattendus, constatés par vous-mêmes, déroutent vos calculs, déjouent vos prévisions et dérogent aux lois que vous teniez la veille pour absolues et éternelles !

Sans doute un ordre général et permanent règne en ce monde ; mais que cet ordre dans ses moindres détails soit fatalement déterminé, que rien ne le puisse altérer, qu’il doive à tout jamais rester toujours le même, vous ne le savez pas plus que nous, ou plutôt vous êtes, comme nous, le vivant témoignage qu’un inflexible mécanisme ne règle pas tout ici-bas.

Que faites-vous en effet, vous, faible atome, imperceptible créature, pendant que vous défendez au maître souverain, au grand ordonnateur des choses, le moindre écart, une infraction quelconque aux lois qu’il a créées ? Ne les violez-vous pas, ces lois, dans la mesure de votre puissance, chaque jour, à toute heure et de toute façon ? Cet arbre, cette plante, que l’ordre naturel fait fleurir en été, vous les couvrez de fleurs en hiver ; vous changez la saveur, la forme de ces fruits, la couleur de ces fleurs ; vous contournez ces branches, ces rameaux, vous les faites pousser, grandir contre nature. Et ce n’est pas seulement sur la végétation, sur les objets inanimés que vous exercez vos caprices ; combien d’êtres vivans sont par vous transformés, détournés de leur voie régulière ! combien subissent par votre fantaisie les missions les plus inattendues, les plus étranges destinées ! Ce ne sont là sans doute que de petits miracles ; mais, proportion gardée, les plus grands se font-ils autrement ? Les uns comme les autres sont des infractions volontaires à l’ordre apparent de la nature : l’ordre réel en est-il altéré ? L’enchaînement des effets et des causes est-il interrompu parce que nos jardiniers font certaines boutures, inventent et composent d’inexplicables variétés ? Non ; pourquoi dès lors ne pas admettre que dans un étage au-dessus, dans un ordre plus général, d’autres genres de perturbations, des guérisons subites, des transformations incroyables, des actes de volonté ou d’intuition sans exemple, se puissent accomplir sans que l’ordre universel soit menacé ni compromis ? Tout dépend du degré de puissance que vous attribuez à l’auteur de ces actes, à celui qui, tenant toute chose en sa main, peut aussi bien produire l’exception que la règle.

Pour nier absolument la possibilité des miracles contre le sentiment du genre humain, qui de tout temps, par instinct, par nature, s’est obstiné à y ajouter foi, vous n’avez qu’un moyen : supprimer Dieu, professer l’athéisme, soit l’athéisme pur et simple dans sa grossière crudité, soit cet autre athéisme plus délicat, mieux déguisé, plus en vogue aujourd’hui, qui fait à Dieu l’honneur de prononcer son nom sans lui donner d’autre besogne que la garde servile et le spectacle inerte des mondes qu’il a créés, mais qu’il ne gouverne pas. Si c’est ainsi qu’il faut comprendre Dieu, si le fatalisme est la loi de ce monde, ne parlons plus miracles, ne parlons plus surnaturel, tout est jugé ; qu’il n’en soit pas question. Si au contraire, descendant en vous-même, vous vous sentez intelligent et libre, demandez-vous d’où vous tenez ces admirables dons, la liberté, l’intelligence ! Vous viennent-ils de vous-même ? Est-ce en vous qu’ils sont nés, et seulement pour vous ? Les possédez-vous tout entiers ? Ne proviennent-ils pas d’une source plus haute, plus abondante et plus parfaite, de la source suprême, de Dieu même en un mot ? Or si Dieu, si la toute-puissance est à la fois l’intelligence souveraine et la souveraine liberté, comment oser lui interdire de se mêler des choses d’ici-bas, de suivre du regard les êtres qu’il a créés, de veiller à leurs destinées, et au besoin de leur manifester par quelque coup d’éclat ses solennelles volontés ? Il le peut à coup sûr, puisqu’il est libre et tout-puissant. L’idée de Dieu ainsi conçue, l’idée du Dieu complet, du Dieu vivant, la question se transforme : ce qui devient inadmissible, ce n’est plus d’établir la possibilité des miracles, c’est d’en prouver l’impossibilité.

Aussi nos grands critiques d’aujourd’hui, ceux-là du moins qui sont vraiment habiles, n’ont garde de tenter cette démonstration. Ils attaquent autrement les faits surnaturels, non pas comme impossibles, comme insuffisamment prouvés ; au lieu de les nier, ils tentent d’infirmer l’autorité de ceux qui les attestent. Quels témoins leur faudrait-il donc ? Notez qu’en matière d’histoire, lorsqu’il s’agit de faits réputés naturels, même de faits extraordinaires et plus ou moins douteux, la preuve testimoniale, la tradition leur paraît suffisante, et en effet, dans la plupart des cas, que deviendrait l’histoire, si cette sorte de preuve n’était pas admissible ? Mais pour les faits surnaturels ils sont bien moins accommodans. Il leur faut d’autres garanties. C’est la preuve authentique, en bonne forme, dûment libellée qu’ils déclarent exigible : sans quoi point de croyance. Ils n’offrent de se rendre qu’à cette condition. D’où il suit que la Divinité, chaque fois qu’elle se proposerait de porter quelque atteinte aux lois de la nature, serait tenue d’en notifier avis à ses contradicteurs. Ceux-ci produiraient leurs témoins ; l’opération serait faite en leur présence, et le miracle consommé, on dresserait procès-verbal. — Vous croyez que nous voulons rire, ou tout au moins que nous exagérons : nous ne sommes qu’un écho fidèle, et nous pourrions citer la page où ce système est exposé comme unique moyen de remettre en crédit les miracles. N’insistons pas : cette façon d’exiger des preuves impossibles, de se déclarer prêt à croire tout en mettant à sa croyance de chimériques conditions, est-ce autre chose qu’un subterfuge, un moyen d’éluder ce qu’on n’ose pas résoudre, et de détruire par la pratique ce qu’en principe on semble concéder ?

Quant à ceux qui, plus francs, moins diplomates, peut-être aussi moins avisés, nomment les choses par leur nom, et proclament hautement comme un dogme nouveau, comme le grand principe de la critique régénérée, la négation absolue des faits surnaturels, il faut voir de quel ton, de quel air, avec quel magnifique dédain ils vous prennent en pitié, vous, esprits assez simples pour croire que le Tout-Puissant pourrait bien être aussi intelligent et libre ! Comme ils vous signifient qu’entre eux et vous tout commerce est rompu, que vous n’avez rien à faire de leurs livres, attendu que, ne prenant souci ni de vos censures ni de votre approbation, ce n’est pas pour vous qu’ils écrivent. On serait bien tenté de rendre avec usure ces superbes dédains ; mais il y a mieux à faire. Nous avons montré tout à l’heure que l’homme dans les limites de sa puissance et de sa liberté peut modifier les lois de la nature ; voyons maintenant si Dieu dans sa sphère infinie n’a pas aussi même pouvoir, s’il n’en a pas donné quelque éclatant exemple.

Il en est un qui par ordre de date et d’évidence domine tous les autres. Ce n’est pas un de ces faits dont la preuve ne nous est parvenue que par récit, par témoignage, soit écrits, soit traditionnels. Tous les récits se peuvent contester, tous les témoins se peuvent récuser ; ici le fait parle lui-même, directement, il est patent, irréfutable. C’est l’histoire de nos premiers parens, du commencement de notre race, car notre race a commencé : ceci ne fait pas question. Il n’en est pas de l’homme comme de l’univers, aucun sophiste n’oserait dire que l’homme ait existé de toute éternité. La science sur ce point est d’accord avec la tradition, et détermine à des signes certains l’époque où cette terre a pu être habitable. L’homme a donc pris naissance un certain jour, et il est né, cela va sans dire, tout autrement qu’on ne naît aujourd’hui, premier de son espèce, sans père ni mère par conséquent. Dès lors les lois de la nature, pour cette fois du moins, n’ont point eu leur effet. Une puissance supérieure, agissant à sa guise, a opéré, en dehors de ces lois, plus simplement, plus promptement, et le monde a vu s’accomplir un fait évidemment, nécessairement surnaturel.

Voilà pourquoi certains savans se donnent tant de peine, et depuis si longtemps, pour trouver un moyen plausible d’expliquer scientifiquement, comme un fait naturel, cette naissance du premier homme. Les uns voudraient que le mot de l’énigme fût dans la transformation des espèces : singulière façon d’échapper au miracle que de tomber dans la chimère ! Si quelque chose en effet est prouvé et devient chaque jour de plus grande évidence, à mesure que le monde vieillit, c’est que la conservation des espèces est un principe constitutif de tout être vivant. Essayez d’enfreindre cette loi, vous en serez pour votre peine. Les croisemens entre espèces voisines et les variétés qu’ils produisent ne sont-ils pas frappés au bout d’un certain temps d’une infaillible stérilité ? Ces tentatives impuissantes, ces simulacres de créations aussitôt avortées, ne sontils pas le signe manifeste que toute création véritable d’une espèce vraiment nouvelle est interdite à l’homme ? Et vous voulez que dans les premiers âges, dans les temps d’ignorance, ces sortes de transformations se soient accomplies sans effort, lorsqu’aujourd’hui malgré la perfection des instrumens et des méthodes, malgré les secours de tout genre que nous tenons de la science, elles sont radicalement impossibles ! Essayez donc de faire un homme. C’est une affaire de temps, dites-vous : soit ; commencez toujours, qu’on vous voie à l’ouvrage, et mettez-y le temps, mettez-y des milliards de siècles, jamais du plus intelligent des singes vous ne ferez un homme, même le plus borné.

Ce rêve évanoui, on en invente un autre. De la transformation des espèces, on se rabat sur les générations spontanées, toujours avec même intention, pour établir qu’on peut faire naître un homme avec ou sans parens, que la nature, selon les circonstances, peut employer l’un ou l’autre moyen, et que l’un n’est pas plus miraculeux que l’autre. On sait, sur ce sujet, à quel degré de démonstration rigoureuse et de lumineuse évidence la science est parvenue, quelles expériences solennelles ont établi la vanité de cette conjecture trop souvent reproduite et prise au trop grand sérieux ; mais à supposer même que le doute fut encore possible et qu’on pût croire à l’éclosion de petits êtres naissant d’eux-mêmes, sans germes ni générateur, en quoi ce mode de production serait-il du moindre secours pour la question qui nous-occupe, pour expliquer et fendre naturelle la naissance du premier homme ? Quelle est la prétention suprême de la génération spontanée, ou, pour mieux dire, de ceux qui la patronnent ? En quel état se vantent-ils de pouvoir mettre un homme au monde ? A l’état d’embryon, de fœtus, ou tout au plus de nouveau-né. Personne encore ne s’est permis de croire à l’éclosion subite d’un adulte, d’un homme fait, en possession de sa taille, de sa force et de ses facultés. Or c’est pourtant ainsi que le nouvel habitant de la terre a dû s’y trouver jeté ; c’est à la condition de pousser d’un seul jet, d’être né homme et vigoureux, qu’il a pu vivre, se défendre, s’alimenter, se perpétuer et devenir le père du genre humain. Faites-le naître à l’état d’enfance, sans mère pour le protéger, le réchauffer et le nourrir, il périra le second jour de faim, de froid, ou dévoré. La génération spontanée, fût-elle donc sortie victorieuse des épreuves où elle a succombé, fût-elle cent fois reconnue possible, ne servirait encore de rien pour éclaircir notre problème. Le seul moyen de le résoudre, le seul qui soit satisfaisant, même pour la raison, c’est d’avouer franchement qu’il y a là quelque chose de supérieur et d’étranger aux lois de la nature. Pour expliquer l’apparition sur terre du premier homme, il faut nécessairement l’homme de la Genèse, fait de la main du Créateur. Ceci n’est point un jeu d’esprit, un artifice, un paradoxe, c’est de la pure vérité. On peut refuser d’y croire, mais à la condition de n’y point regarder. Tout esprit sain, de bonne foi, capable d’attention, étudiant froidement la question, est invinciblement forcé de la résoudre comme l’a résolue la Genèse. Il peut conserver des doutes sur l’exactitude matérielle de certains mots et de certains détails, mais le fait principal, le fait surnaturel, l’intervention d’un créateur, il faut que sa raison l’adopte comme l’explication la meilleure et la plus sensée, la seule explication possible de cet autre fait nécessaire, la naissance d’un homme dans la force de l’âge, ou tout au moins adolescent.

Voilà, donc un miracle bien et dûment prouvé. N’y eût-il au monde que celui-là, c’en serait assez pour justifier la croyance au surnaturel ; infirmer tout système d’absolu fatalisme, démontrer la liberté divine, et mettre l’homme à son vrai rang ; mais, il faut bien le dire, si, depuis qu’elle existe, l’espèce humaine n’avait eu d’autre preuve de la sollicitude de son créateur que cet acte miraculeux par lequel elle a pris naissance, si d’autres communications, d’autres secours, d’autres clartés ne lui étaient pas venus d’en haut, que saurait-elle aujourd’hui des mystères de sa destinée, de tous ces grands problèmes qui l’assiègent et la préoccupent ? Elle en aurait à peine quelques notions confuses, et le monde n’aurait encore vu naître que de grossières ébauches de religion.

La création de l’homme, en effet, ne suffit pas à révéler sa propre raison d’être. Elle n’est pas un de ces miracles d’où jaillit la lumière pour éclairer le monde ; c’est une manifestation de la puissance divine, ce n’est pas un enseignement de ses volontés. Tout à l’heure au contraire nous verrons apparaître un autre fait non moins mystérieux qui parlera plus clairement. Ce ne sera plus au sortir du chaos, sur la terre à peine affermie, mais en pleine civilisation, à l’époque la plus historique, la plus ouverte aux regards, que ce nouveau miracle aura lieu. Les ténèbres seront dissipées, et le jour se fera dans les cœurs : bienfaisante clarté, longtemps promise et attendue, sorte de complément de la création de l’homme, ou plutôt vraie création nouvelle, apportant à l’humanité, avec l’amour et le pardon célestes, des réponses à toutes ses questions, des solutions à tous ses doutes.

Pendant la longue série de siècles qui sépare ces deux mystères, ces deux grands faits surnaturels, la création et la rédemption de l’homme, le genre humain, réduit à ses propres lumières, n’en poursuit pas moins sans relâche la recherche des vérités divines et le secret de sa destinée ; mais il marche au hasard, il tâtonne, il s’égare. Chaque peuple, sur chaque coin de terre, résout l’énigme à sa façon, chacun se forge son idole ; c’est un incohérent spectacle, et de tous ces cultes informes et bizarres, parfois impurs et monstrueux, il n’en est pas un seul qui donne à l’homme la solution complète et sérieuse des problèmes moraux dont il est poursuivi. Ces prétendues réponses ne répondent à rien, et ne sont qu’un amas d’erreurs et de contradictions.

Est-ce donc à de telles fins que l’homme a été créé ? En le fabriquant de ses mains, en lui enseignant lui-même dans un commerce intime l’usage de ses facultés, le Créateur ne l’a-t-il pas formé à voir, aimer, servir la vérité ? Oui, et de là ces lueurs instinctives dont reste dotée notre race ; mais en même temps que l’intelligence l’homme a recula liberté, cet autre don, ce don suprême qui l’assimile à son auteur et lui impose, avec l’honneur de la personnalité morale, le fardeau de la responsabilité. Mis à l’épreuve, l’homme a donc pu choisir, et il a mai choisi ; il a failli, il est tombé. Évidemment un trouble immense, un désaccord profond a dû suivre sa faute, et le père offensé a retiré sa grâce au fils désobéissant : ils se sont éloignés l’un de l’autre, le coupable parce qu’il a craint son juge, le juge par horreur du péché ; mais sous le juge reste le père. L’exil sera-t-il donc éternel ? Non, la promesse en est faite à ceux-là mêmes dont la faute est punie, et l’heure de la miséricorde est annoncée d’avance, des l’instant même du châtiment.

Tout n’est donc pas rompu entre le Créateur et cette race infidèle ; un lien va subsister, une poignée de dignes serviteurs va garder le bienfait de son paternel commerce. En doutez-vous ? Comment expliquer autrement, lorsque pendant plusieurs milliers d’années l’espèce humaine tout entière, en tous lieux et sous tous les climats, s’incline, se prosterne devant les forces de la nature, les déifie et les adore, comment expliquer, disons-nous, qu’un petit groupe d’hommes, un seul, reste fidèle à l’idée d’un seul Dieu ? — Question de race, dites-vous, question plus générale qu’on ne pense, sémitique et non pas hébraïque. — Prenez garde ; une philologie vraiment impartiale et incontestablement savante affirme aujourd’hui le contraire. La preuve en est donnée, c’est aux Juifs seulement qu’appartient le monothéisme, fait unique, isolé, que la raison ne défend pas de croire providentiel, puisqu’il est tout au moins extraordinaire et merveilleux. Ainsi, pendant que l’antique alliance entre l’homme et son créateur se perpétue sur un seul point du globe, point presque imperceptible dans l’immense famille humaine, pendant que la vérité divine, encore voilée et incomplète, mais sans mélange impur, se révèle comme en confidence et dans une sorte d’a parte à la modeste peuplade choisie pour les desseins de Dieu, tout le reste du monde, en matière religieuse, est livré au hasard et marche à l’abandon.

Pourquoi donc seulement en matière religieuse ? Parce que c’est là que la faute a eu lieu. C’est par la science du divin, de l’infini, de ces mystères dont nul regard ne peut sans Dieu sonder la profondeur, que follement l’homme a voulu se faire égal à Dieu. Quant à la science du fini, la science purement humaine, c’est autre chose : Dieu n’en est pas jaloux. Aussi que dit-il au rebelle en l’exilant et en le châtiant ? Travaille, c’est-à-dire exerce non-seulement tes bras, mais ton esprit ; sois habile, inventif, puissant, fais des chefs-d’œuvre ; monte aussi haut que par toi-même ta pensée peut monter : deviens Homère, Pindare, Eschyle ou Phidias, Ictinus ou Platon. Je te permets tout, sauf d’atteindre sans moi jusqu’aux choses divines. Là tu trébucheras, tant que tu n’auras pas pour te montrer la route le secours que je t’ai promis. Tu seras idolâtre ; ta raison, ta science, ton bon sens même ne t’en sauveront pas.

N’est-ce pas en effet quelque chose d’étrange, dans ce monde de l’antiquité, que l’extrême infériorité des religions, eu égard aux autres conceptions de l’intelligence humaine ? Ne voyez que les arts, les lettres, la philosophie ; l’humanité ne peut pas aller plus haut. Vous êtes au sommet de la civilisation. Tout ce que la jeunesse et l’expérience réunies peuvent enfanter de noble et de parfait, vous le voyez éclore : ces coups d’essai sont des œuvres de maître qui vivront jusqu’aux derniers siècles et resteront inimitables. Maintenant retournez-vous, voyez les religions, interrogez les prêtres, quelle étonnante disparate ! Vous vous croyez chez des peuples enfans. Jamais d’un même sol, d’un même temps, d’une même société, vous n’avez vu sortir des fruits si peu semblables. D’un côté la raison, la mesure, la justesse, l’amour du vrai, de l’autre l’excès presque stupide ou du mensonge ou de la crédulité. Sous ces fables puériles percent bien çà et là de grands enseignemens, débris de la primitive alliance entre Dieu et sa créature ; mais ce ne sont que vérités éparses noyées dans un torrent d’erreurs. Le grand défaut, l’infirmité de ces religions antiques, ce n’est pas seulement le symbolisme qui leur sert d’enveloppe, c’est avant tout l’obscurité et la stérilité du fond. Elles ne sont pas capables de dire un mot net et lucide des problèmes de notre destinée. Loin d’en ouvrir l’accès à la masse des hommes, elles semblent prendre à tâche de les cacher aux yeux sous une couche épaisse d’énigmes et de superstitions.

Et c’est là cependant la seule nourriture morale qu’ait reçue pendant des milliers d’années ce genre humain, évidemment puni et séparé de Dieu ! Il avait bien, comme compensation, pour lui parler devoir, à défaut de ses prêtres, des sectes, des écoles, des livres philosophiques ; mais à combien d’élus profitait ce secours ? Les meilleurs, les plus purs, les plus grands philosophes, par qui sont-ils compris ? jusqu’où porte leur voix ? En dehors de la banlieue d’Athènes, la parole de Socrate lui-même ne pouvait ni relever une âme, ni briser une chaîne, ni faire germer une vertu. Et que disons-nous sa parole ! sa mort même, une admirable mort, la mort d’un juste, reste inféconde et ignorée !

L’heure devenait critique : la société païenne entrait dans sa dernière phase et tentait son dernier effort ; l’empire venait de naître, et, bien qu’il dût offrir au monde, dans sa longue carrière, à côté de spectacles hideux, bien des jours de repos et même de grandeur, on peut dire sans exagération, sans parti-pris, que dès le règne de Tibère l’expérience était faite : tous les moyens humains de racheter l’espèce humaine étaient visiblement à bout. C’est alors que, non loin des lieux où les traditions primitives plaçaient la création de l’homme, sous ce ciel d’Orient témoin du premier miracle allait s’accomplir le second. Une voix douce, humble, modeste et souveraine en même temps fait entendre aux peuples de Judée des paroles inconnues jusque-là, des paroles de paix, d’amour, de sacrifice, de miséricordieux pardon. Cette voix, d’où vient-elle ? Quel est cet homme qui dit aux malheureux : « Venez à moi, je vous soulagerai, je porterai avec vous vos fardeaux ? » Il touche de sa main les malades, et les malades sont guéris. Il rend la parole aux muets, il fait voir les aveugles et entendre les sourds. Ce n’est rien encore que cela. Cet homme sait à fond l’énigme de ce monde ; lisait le vrai but de la vie et le vrai moyen de l’atteindre. Tous ces problèmes naturels, désespoir de la raison humaine, il les résout, il les explique sans effort et sans hésitation. Ce qu’il dit du monde invisible, il ne l’a pas seulement conçu, ses yeux l’ont vu, il le raconte comme un témoin fraîchement arrivé. Aussi ce qu’il en dit est simple, intelligible à tous, aux femmes, aux enfans aussi bien qu’aux docteurs. D’où lui vient ce prodigieux savoir ? De quels maîtres, de quelles leçons ? Dès sa plus tendre enfance, avant les leçons et les maîtres, il en savait déjà plus que la synagogue. Des études, il n’en a jamais fait. Il a travaillé de ses mains, gagnant son pain au jour le jour. Ainsi ne cherchez pas sur terre, son maître évidemment est au plus haut des deux.

N’est-ce pas là ce témoin dont nous avons parlé plus haut, ce témoin surhumain, ce témoin nécessaire à toute solution des problèmes naturels et à l’établissement de vrais dogmes religieux ? Dire qu’un tel homme est plus qu’un homme, qu’il est un être à part, supérieur à l’humanité, ce n’est pas assez dire : il faut voir ce qu’il est. Ouvrez donc ces récits, ces narrations candides qui vous gardent le souvenir de sa mission publique, de sa prédication à travers la Judée ; ouvrez ces Évangiles où sont inscrits dans le moindre détail ses actes, ses paroles, ses travaux, ses souffrances et son agonie sans pareille ; voyez ce qu’il y dit de lui-même : se donne-t-il seulement pour prophète ? se croit-il simplement inspiré ? Non, il se dit fils de Dieu, non pas comme aurait pu le dire tout autre homme à sa place, en souvenir d’Adam, non, fils de Dieu, dans l’acception du mot la plus franche et la plus littérale, fils né de Dieu directement, fils engendré et de même substance.

Essayez de forcer, de torturer les textes, pour leur en faire dire moins, vous n’y parviendrez pas. Les textes sont formels, ils sont nombreux, sans équivoque. Pour refuser de croire à la divinité de cet homme, vous n’avez qu’à choisir entre ces deux moyens : attaquer son propre témoignage, si vous tenez pour vrais les Évangiles, ou bien mettre en soupçon les Évangiles eux-mêmes.

Attaquer son propre témoignage, c’est-à-dire supposer que, par défaut de clairvoyance, il aura pu de bonne foi se méprendre sur son origine, ou bien encore que, par intention frauduleuse, il s’est attribué sciemment une fausse qualification. Dans les deux cas, tout l’édifice croule. Cet être dont les lumières incomparables fous forçaient à lui donner place au-dessus de l’humanité, le voilà qui n’est pas capable de discerner son propre père. Et d’un autre côté ce moraliste inimitable, ce chaste et beau modèle de toutes les vertus, le voilà qui vous devient suspect d’une plate supercherie. Point de milieu : il faut que ce mortel soit fils de Dieu, comme il le dit, ou qu’il descende au dernier rang, parmi les dupes innocentes ou les charlatans imposteurs.

Est-ce au contraire aux Évangiles eux-mêmes que vous vous attaquez ? Rien n’est moins difficile, si vous restez à la surface. Armez-vous d’ironie, provoquez le sourire, ne traitez rien à fond, vous aurez pour un temps la partie belle et les rieurs pour vous ; mais si vous prétendez approfondir les choses et prendre, au nom de la science, les allures de l’impartialité, comme il vous faudra reconnaître que la plupart des faits évangéliques sont historiquement établis, qu’il n’y a là ni mythe ni légende, que le lieu, le temps, les personnes sont absolument hors de doute, de quel droit irez-vous refuser confiance à telle série de faits lorsque telle autre, adoptée par vous, ne repose ni sur des preuves plus directes, ni sur de meilleurs témoignages, et n’a d’autre supériorité qu’une prétendue vraisemblance dont vous réglez la mesure ? Rien de plus arbitraire et de moins scientifique que cette façon de faire son choix, de décider que tel évangéliste mérite tout crédit quand il se borne à citer des discours, mais qu’il n’est plus croyable dès qu’il fait lui-même un récit ; que tel autre au contraire falsifie les discours qu’il rapporte, mais qu’il dit certains faits avec l’accent d’un témoin oculaire. Tout cela n’est que pure fantaisie. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Évangiles, de si près qu’on les serre, résistent à la critique et demeurent à jamais d’indestructibles documens. Quel est le livre d’Hérodote ou la décade de Tite-Live qui porte aussi profondément un caractère de bonne foi et de véracité que les récits de saint Matthieu et les souvenirs de saint Jean ? Ne vous prenez pas corps à corps avec ces deux apôtres, ces cœurs simples et droits qui disent franchement ce qu’ils ont vu de leurs yeux et entendu de leurs oreilles. Si vous, qui n’étiez pas là et qui n’avez rien vu, vous vous croyez le droit de leur faire la leçon, de leur dire, en vertu de vos lois scientifiques, comment, à leur insu, tout a dû se passer, et par quel art, quel subterfuge, leur adorable maître les a pendant deux ans pieusement mystifiés, sachez bien quel danger vous attend : ce ne sont pas seulement les orthodoxes, les fidèles qui se révolteront et vous crieront : Haro. Du milieu de vos rangs, du sein de vos amis, des contradicteurs moins suspects, des voix plus redoutables, de libres penseurs s’il en fut, mais sincèrement perplexes et profondément honnêtes, vous donneront aussi d’absolus démentis[1].

Après tout, supposons qu’ils se trompent, et que le héros de ce grand drame ne soit vraiment qu’un thaumaturge habile, qu’y gagnez-vous ? Êtes-vous pour cela délivré des miracles ? Vous avez au contraire un miracle de plus, et bien autrement grand que tous les autres : il vous faut expliquer ce fait inconcevable, que la plus transcendante critique est impuissante à supprimer, l’établissement du christianisme dans l’empire romain. Prenez l’Évangile à la lettre, acceptez sans réserves ces faits surnaturels, ces guérisons, ces exorcismes, ces élémens pacifiés, ces lois de la nature violées ou suspendues ; ce n’est pas trop, ce n’est presque pas assez pour rendre intelligibles les progrès triomphans d’une telle doctrine dans un tel temps, dans une telle société. Il ne fallait pas moins que le souffle des miracles pour ébranler ainsi le monde, renverser toutes les idées reçues, changer de fond en comble l’état moral et social des peuples, et leur ouvrir des horizons non pas seulement plus larges et plus purs, mais absolument nouveaux. — Si donc vous dites vrai, si cette immense révolution repose sur une comédie, s’il faut tenir pour faux ces miracles partiels qui entourent et expliquent le miracle principal, qui le précèdent, le préparent et semblent lui frayer la voie, qu’en résultera-t-il ? Vous n’aurez pas détruit le miracle principal, il n’en sera que plus miraculeux.


IV

Ne perdons pas de vue notre point de départ. Nous cherchions un moyen pratique et populaire de résoudre les grands problèmes de notre destinée, et nous avons acquis la preuve que, pour suffire à cette tâche, la science humaine fait d’inutiles efforts ; nous avons vu qu’il n’existe pour l’homme qu’un moyen de toucher le but, que les solutions véritables, c’est de la foi qu’il les doit attendre, de ce don merveilleux qui sous l’autorité d’un témoignage surhumain lui fait croire avec certitude aux choses que ni les yeux du corps ni les yeux de l’esprit ne peuvent directement atteindre. Le témoignage qui sert de base aux convictions chrétiennes a-t-il l’autorité voulue ? En d’autres termes, est-il vraiment divin ? Nous croyons l’avoir établi, et la moindre lecture d’une seule page des Évangiles le démontre encore mieux que nous. Aussi voyez l’admirable harmonie du système chrétien, et quelles réponses aussi claires que sublimes il oppose à tous ces problèmes restés si longtemps insolubles ! C’est par cette aptitude à percer les mystères, à lire dans l’invisible, à démêler l’inextricable, non moins que par sa miraculeuse victoire, que le christianisme démontre et le vrai caractère de sa propre origine et la sincérité de son divin fondateur.

Il nous souvient à ce sujet d’une page touchante qu’on nous permettra de citer ; elle est d’un homme qui naguère, ici même, recevait un éloquent tribut de regrets et d’éloges, et dont tous les amis de la saine philosophie portent encore le deuil après plus de vingt ans. Dans une leçon restée célèbre, à propos de ces mêmes problèmes de la destinée humaine, M. Jouffroy parlait ainsi : « Il y a, disait-il, un petit livre qu’on fait apprendre aux enfans et sur lequel on les interroge à l’église ; lisez ce petit livre, qui est le catéchisme, vous y trouverez une solution de toutes les questions que j’ai posées, de toutes sans exception. Demandez au chrétien d’où vient l’espèce humaine, il le sait ; où elle va, il le sait ; comment elle va, il le sait. Demandez à ce pauvre enfant, qui de sa vie n’y a songé, pourquoi il est ici-bas, ce qu’il deviendra après sa mort, il vous fera une réponse sublime qu’il ne comprendra pas, mais qui n’en est pas moins admirable. Demandez-lui comment le monde a été créé, et à quelle fin ; pourquoi Dieu y a mis des animaux, des plantes ; comment la terre a été peuplée ; si c’est par une seule famille ou par plusieurs ; pourquoi les hommes parlent plusieurs langues, pourquoi ils souffrent, pourquoi ils se battent, et comment tout cela finira, il le sait. Origine du monde, origine de l’espèce, question des races, destinée de l’homme en cette vie et en l’autre, rapports de l’homme avec Dieu, devoirs de l’homme envers es semblables, droits de l’homme sur la création, il n’ignore de rien, et quand il sera grand, il n’hésitera pas davantage sur le droit naturel, sur le droit politique, sur le droit des gens, car tout cela sorts, tout cela découle avec clarté et comme de soi-même du christianisme. Voilà ce que j’appelle une grande religion : je la reconnais à ce signe, qu’elle ne laisse sans réponse aucune des questions qui intéressent l’humanité[2]. »

Nous aimons à relire ces paroles d’un maître et d’un ami, qui, à son jeune âge, s’était nourri des vérités chrétiennes, et qui peut-être les eût encore goûtées si les épreuves de la vie s’étaient prolongées pour lui. Il faut se garder sans doute de prêter à ceux qui ne sont plus nos propres sentimens, mais il est bien permis de garder de leur âme un fidèle et complet souvenir. Même au temps où Jouffroy portait le poids du doute, lorsqu’il laissait sa plume nous dire avec complaisance comment les dogmes finissent, il eût fallu bien peu de chose pour qu’il apprît à ses dépens comment ils se perpétuent ! La croyance a ses mauvais jours ; ses rangs se déciment parfois, l’armée semble se fondre : elle ne saurait périr. Pour remplacer les déserteurs, pour la recruter sans cesse, n’y a-t-il pas les douleurs, les misères de ce monde, le besoin de prier et la soif d’espérance ?

Laissons là ce doux et profond penseur dont nous aimons à suivre à travers le passé la lumineuse trace ; revenons au grand et ferme esprit qui aujourd’hui nous occupe et à qui tant de liens et tant de souvenirs nous attachent aussi. Sans l’avoir suivi pas à pas, nous ne l’avons pas perdu de vue. Nous avons côtoyé son œuvre en essayant d’en exprimer l’esprit. Il faudrait maintenant revenir en détail sur chacune de ces méditations. Que de choses nous ont échappé ! Que de traits de lumière, que d’aperçus, que de pensées ! Nous avons tout au plus rendu compte de la partie du livre où les limites de la science, la croyance au surnaturel et surtout la merveilleuse concordance entre les dogmes chrétiens et les problèmes religieux que l’homme apporte en naissant, son exposées avec tant de grandeur et tant d’autorité. Ce que Jouffroy, dans la page que nous avons citée, indique d’un simple trait, M. Guizot l’établit par preuves convaincantes en mettant chaque dogme vis-à-vis du problème auquel il correspond. Personne encore n’avait donné à l’harmonieuse relation de ces demandes et de ces réponses un tel caractère d’évidence. Ce sont aussi deux morceaux qui demanderaient un examen à part que les deux méditations sur la révélation et sur l’inspiration des livres saints : Il y a là des idées d’une rare sagesse, des distinctions qui font la juste part à l’ignorance humaine sans que le vrai caractère d’inspiration qui brille dans les saints livres puisse en souffrir la moindre atteinte. Mais le principal honneur de cette œuvre, ce qui lui donne à la fois sa plus franche couleur et son parfum le plus prononcé. Ce sont les deux dernières méditations, Dieu selon la Bible, Jésus-Christ selon l’Evangile.

Ces deux tableaux sont de style différent comme les deux sujets le commandent. Rien de plus hardi, de plus abrupt, de plus vraiment biblique que le portrait du Dieu des Hébreux, de ce Dieu qui « n’a point de biographie » point d’aventures personnelles, » à qui rien n’arrive, chez qui rien ne change, toujours et invariablement le même, immuable au sein de la diversité et du mouvement universel. « Je suis celui qui suis. » Il n’a pas autre chose à vous dire de lui-même, c’est sa définition, son histoire ; nul n’en peut savoir rien de plus, comme aussi nul ne le peut voir, et malheur s’il était visible ! Son regard donnerait la mort. Entre l’homme et lui quel abîme !

Aussi la distance est grande pour passer d’un tel Dieu au Dieu selon l’Évangile, de Jéhovah à Jésus-Christ. Quelle nouveauté, quelle métamorphose ! Le Dieu solitaire sort de son unité ; il se complète tout en restant lui-même ; le Dieu courroucé dépose sa colère, il s’émeut, s’attendrit, s’humanise ; il rend à l’homme son amour, il l’aime assez pour se charger lui-même de racheter sa faute dans le sang de son fils, c’est-à-dire dans son propre sang. C’est la victime, ce fils obéissant jusqu’à la mort, qu’il s’agit de nous peindre. Portrait sublime, essayé bien des fois ; et toujours vainement. Dirons-nous que M. Guizot a touché ce but impossible ? Non, mais il a pour l’atteindre essayé de moyens heureux. Il nous fait successivement passer devant son divin modèle, en lui prêtait, s’il est permis d’ainsi parler, les poses qui laissent le mieux voir les plus touchans aspects de cette incomparable figure. Il le met en présence tantôt de ses seuls disciples, de son troupeau d’élite et d’affection, tantôt de la foule assemblée au pied de la montagne, au bord du lac ou dans le temple, tantôt de femmes pécheresses ou de chastes matrones, tantôt de simples enfans. Dans chacun de ces cadres, il recueille, il rassemble, il anime, en les réunissant, les traits épars de Jésus-Christ. Son talent sobre et contenu, puissant par la raison, éclatant dans la lutte, semble, au contact de tant de sympathie et d’une charité si tendre, s’enrichir de cordes nouvelles, et ce n’est pas seulement d’une éloquence émue, c’est d’un genre d’émotion plus douce et plus pénétrante que vous ressentez l’influence en achevant ces pages profondément chrétiennes. Aussi nous comprenons l’heureux effet que sur certaines âmes ce livre a déjà produit. Ce n’est pas jusqu’aux masses que l’influence en peut descendre. Ce style, ces pensées, cet accent, n’ont jamais aspiré aux succès populaires ; mais depuis les hauteurs moyennes jusqu’aux sommets de notre société combien d’âmes flottantes à qui ce guide inattendu peut apporter secours ! C’est un chrétien comme il en faut pour opérer ce genre de guérisons : il n’est pas homme du métier, il n’a ni robe ni soutane ; c’est un volontaire de la foi, et de plus il déclare avoir connu lui-même les anxiétés du doute et les avoir vaincues ; chacun peut donc faire comme lui. Derrière les pas d’un homme qui dans le domaine de la pensée occupe une telle place, qui a donné de telles preuves de liberté d’esprit et de haute raison, on se hasarde volontiers, et pour certains catholiques intelligens, mais attiédis, ce n’est pas un médiocre aiguillon que de voir de pareils exemples de soumission et de foi venir d’un protestant.

Il est encore un service plus grand, plus général, que ces Méditations nous semblent avoir rendu. Depuis huit ou dix mois qu’elles ont vu le jour, ne vous paraît-il pas que la polémique anti-chrétienne a quelque peu baissé de ton ? On aurait pu s’attendre à l’explosion de certaines colères : il n’en a rien été. Les critiques les plus véhémens se sont tenus sur la réserve, et le moyen d’attaque a surtout consisté dans la conspiration du silence. De là une sorte de détente, au moins momentanée. Bien des causes sans doute y contribuaient d’avance, ne fût-ce que l’excès même de l’attaque et les impertinences de certains assaillans ; mais le livre, disons mieux, l’acte de M. Guizot a, selon nous, sa bonne part dans ce désarmement. Une profession de foi si nette et si vigoureuse ne peut pas être attaquée mollement. Pour répondre à un homme qui franchement se dit chrétien, il faut avoir pris son parti soi-même et déclarer tout haut qu’on est anti-chrétien. Or aujourd’hui ceux qui le sont le plus n’aiment pas toujours à le dire. C’est quelque chose de bien tranché : notre temps se plaît aux demi-teintes ; il a le goût des nuances ; on lui fait baisser pavillon en arborant une couleur. Voilà comment le christianisme lui-même recueille un certain profit du peu de bruit qu’on fait autour de ces Méditations. Ce n’est pas pour l’auteur le moindre prix de ses efforts. Qu’il continue du même ton, dussent ses adversaires persévérer dans le silence ; il les embarrassera de plus en plus, tandis qu’il donnera de plus en plus force et courage à ceux qui penchent du bon côté.


L. VITET.

  1. « L’âme humaine, comme on l’a dit, est assez grande pour renfermer tous les contrastes. Il y a place dans un Mahomet ou un Cromwell pour le fanatisme à la fois et la duplicité, pour la sincérité et l’hypocrisie. Reste à savoir si cette analogie doit être étendue au fondateur du christianisme. Je n’hésite pas à le nier. Son caractère, à le considérer impartialement, répugne à toute supposition de ce genre. Il y a dans la simplicité de Jésus, dans si naïveté, sa candeur, dans le sentiment religieux qui le possède si complètement, dans l’absence chez lui de toute préoccupation personnelle, de toute fin égoïste, de toute politique, il y a en un mot, dans tout ce que nous savons de sa personne, quelque chose qui repousse absolument les rapprochemens historiques par lesquels M. Renan s’est laissé guider. » — M. Edmond Scherer, Mélanges d’histoire religieuse, p. 93-94.
  2. Mélanges philosophiques, par M. Th. Jouffroy, 1 vol. in-8o, 1833, p. 470.