La Rue de Jérusalem/Partie 2/Chapitre 13

Le Constitutionnel (feuilleton paru du 16 nombre 1867 au 21 mars 1868p. 408-419).


XIII

Petit lever de la reine.


Ce que nous venons de raconter se passait au commencement de l’après-midi.

Nous laissons un instant de côté le drame noir pour une scène d’audacieuse comédie, et nous rétrogradons jusqu’au matin de ce même jour.

Nous sommes chez Mathurine Goret, la mendiante millionnaire.

C’était une salle de ferme assez grande et dont les murailles rugueuses avaient la blancheur blafarde de la chaux fraîchement étendue.

On y marchait sur la terre battue, mais devant le lit en forme d’armoire qui s’appuyait d’un côté à la haute cheminée, de l’autre au bahut de bois vermoulu où étaient les assiettes de grosse faïence à fleurs, un beau tapis couvrait le sol.

Un secrétaire en acajou se dressait au-delà du bahut et jurait singulièrement avec le reste du mobilier. Une huche de chêne brut servait de montoir au lit. La table, noire d’humidité, n’aurait point déparé le cabaret le plus sordide ; mais, par un contraste inattendu, elle s’entourait d’une demi-douzaine de fauteuils capitonnés et habillés de damas jaune clair.

Le lit avait aussi des rideaux de damas, tandis qu’une serpillière en lambeaux pendait au devant de l’unique fenêtre et laissait passer par sa plus large déchirure un rayon de soleil matinier.

Un seul, car la ferme était dans un fond et entièrement entourée de verdure.

Tel était le séjour où respirait Mathurine Goret, fiancée du fils de saint Louis et future reine de France.

Elle respirait fortement, ou plutôt elle ronflait avec un tel tapage que le bruit de son nez dominait la conversation très animée des gens qui l’entouraient.

Le rayon de soleil, oblique et glissant entre les rideaux, permettait de contempler son auguste personne.

Elle dormait, vêtue d’une camisole d’indienne rouge et coiffée d’un bonnet de coton que maintenait un ruban de laine bleue ; son profil hommasse se découpait dans le noir de l’alcôve avec une vigueur étrange.

Catherine-le-Grand ne pouvait être plus virile que cela.

Son nez aquilin et busqué retombait en éteignoir sur une bouche brutale où croissait une moustache hérissée ; elle avait barbe au menton dans toute la force du terme, et quoi qu’on y pût faire, sa joue, labourée de rides, était tannée comme le cuir d’un vieux soldat.

Le reste de son visage consistait en un front étroit et bas, demi-caché par les mèches de cheveux gris qui s’échappaient du bonnet de coton et en une paire de petits yeux rougeâtres, cachés maintenant par des paupières boursouflées.

Le nez ressortait en violet vif sur tout cela.

C’était une repoussante créature, mais qui devait avoir sa force. L’épaisse brutalité de cette physionomie au repos n’excluait point l’intelligence.

Les lits des paysans ressemblent un peu aux lits des rois. Ils ont une ruelle.

Dans la ruelle de la Goret, il y avait un bénitier, une bouteille d’eau-de-vie, du lard et du pain ; elle s’en donnait, depuis que, suivant son expression, « elle était pour être reine. »

Le contraste offert par les objets matériels dans le taudis de la Maintenon normande, se reproduisait en s’exagérant si l’on passait des choses aux personnes.

Tout près du lit, deux femmes admirablement belles et dont les toilettes simples, mais marquées au cachet d’un goût irréprochable, accusaient une position mondaine d’un rang supérieur, se tenaient debout et semblaient attendre le réveil de la monstrueuse créature : — leur souveraine.

C’était d’abord la comtesse Corona, petite-fille du colonel Bozzo, qui fut pendant quelques années une des plus brillantes femmes de Paris, et c’était ensuite la comtesse du Bréhut de Clare.

Celle-ci, bien qu’elle eût passé déjà les limites de la jeunesse, allait devenir la coqueluche du faubourg Saint-Germain.

Toutes deux se trouvaient ici en dehors du drame de leur vie et jouaient, par ordre du Père-à-tous, des rôles de comparses.

Auprès de Mme de Clare un éblouissant jeune homme, noir de cheveux, blanc de peau, tout jais et tout ivoire, parlait bas.

On le nommait le vicomte Annibal Gioja, des marquis Pallante.

Il venait de Naples, et savait les métiers d’Italie. Mme de Clare l’avait prêté pour être le chevalier d’honneur de la princesse Goret.

À la droite du vicomte, il y avait un prêtre.

Venaient ensuite les « demoiselles de Paris », lesquelles avaient bien l’air qu’il fallait et s’entretenaient avec deux gentilshommes improvisés : les nommés Cocotte et Piquepuce, honorablement connus au parquet de la capitale.

Les « demoiselles de Paris », titrées aussi filles d’honneur, appartenaient naturellement à la première noblesse du royaume. On les appelait Clorinde de Biron et Joséphine de Noirmoutiers, mais, de leur vrai nom, c’étaient Mlle Pruneau, piqueuse de bretelles, et Mlle Mèche, ancienne figurante au théâtre Bobino, actuellement sans profession.

Mèche était une drôle de petite bête, chiffonnée, éveillée, effrontée, qui méritait bien les hommages de notre ami Pistolet.

Mèche et sa compagne avaient des toilettes de cour et des bijoux, chacune pour plusieurs milliers de louis.

On en aurait eu cent sous au Temple.

L’affaire était réellement montée sur un certain pied.

Pour vous convaincre que l’affaire en valait la peine, il vous eût suffi de passer le seuil et de vous asseoir, à droite de la porte, en dehors, sur un banc de bois qui était là boitant.

Deux personnes s’y reposaient déjà et feuilletaient un monumental dossier, lequel contenait les extraits des titres de propriété composant la fortune immobilière de Mathurine Goret, femme Hébrard.

Nous l’avons bien nommée : la fermière de Carabas ; en terres, métairies, forêts, moulins, prés, chènevières, landes, lopins de labours, etc., elle possédait une demi-province.

Les contrats étaient au nombre de plus de mille et passés aux noms de divers mandataires.

Ils portaient au dos la contre-lettre attachée avec une épingle.

M. Lecoq tenait le dossier à deux mains, et ce bon petit vieillard, le colonel, toujours souriant et guilleret, le parcourait sans lunettes.

Il répétait de temps en temps :

— Prodigieux ! parole d’honneur ! Deux paysans et une paysanne ! Des gens illettrés ! Qui ont passé par les griffes de tant de prête-noms ! Qui ont employé toute une armée d’hommes d’affaires !… Mon fils, notre association n’est jamais arrivée à un pareil résultat. J’ai honte pour les Habits-Noirs.

Lecoq réfléchissait.

— Les petits moyens, murmura-t-il, le travail des taupes… Et pas d’administration, pas de représentation !

— Explique cela comme tu voudras, mon fils, c’est miraculeux. On est saisi de respect au moment d’écraser une pareille sangsue !

— Il reste encore les prêts hypothécaires et les valeurs, dit Lecoq.

— Colossal ! Je jure bien que ce sera ma dernière affaire !

Lecoq secoua la tête et grommela entre ses dents :

— Papa, votre dernière affaire n’est pas encore dans le sac. Le prince est un imbécile. C’est un mauvais choix. Je n’ai pas confiance.

— Un garçon si rangé ! Vous êtes un peu contre lui, mes enfants ; moi, je l’aime comme je vous aime tous : fidèlement. Mais tu sais, pour le bien commun, je le lâcherais tout de même au besoin.

Lecoq se mit à rire.

— Il faudra peut-être faire mieux que le lâcher, papa, dit-il. Nous recauserons de cela. Vous êtes un ange !

Le vieux posa sa main sèche sur le robuste bras de Lecoq.

— Il n’y a que toi, l’Amitié, dit-il, que je n’abandonnerai jamais !

Lecoq rit plus fort et répondit :

— Papa, je pleure d’attendrissement chaque fois que je pense à l’affection qui nous lie.

— Embrasse-moi ! s’écria le colonel ; je te nomme mon successeur !

Il reprit en essuyant une larme :

— Saurais-tu dire combien, jusqu’à ce jour, on a déjà soutiré à la fermière ?

— De seize à dix-huit cent mille francs, répliqua Lecoq, en comptant le château neuf.

— C’est joli… Et combien notre caisse a-t-elle reçu ?

— Rien… La mise en train a coûté cher, et Nicolas tire la couverture.

— Notre administration nous ruine ! soupira le vieux. Il n’y a pas de bonne maison qui puisse tenir à ce train-là ! Un coulage effrayant ! Ça abrège mon existence.

— Bah ! fit Lecoq, ce sont des bouts de chandelle. Si la chose réussit, nous encaisserons une somme folle tout d’un coup.

Le vieillard demanda :

— S’est-on occupé du fils, pour le parricide ?

Il prononça ce mot effrayant comme on caresse.

— Le fils doit venir ce matin, répondit Lecoq. Je m’en suis mêlé, heureusement.

— Qu’est-ce que c’est que ce garçon-là ?

— Une brute. Je connais les paysans : laissez-moi mener la chose.

La réponse du vieillard fut coupée par un bruit qui s’éleva à l’intérieur de la ferme.

— Retirons-nous, dit vivement Lecoq, nous ne sommes pas de ce tableau-là.

Pendant qu’ils s’éloignaient, montant le sentier qui menait au château neuf, ils purent entendre la voix de rogomme de la fermière disant :

— Bonjour à tous et la compagnie. Ça me fait plaisir de vous voir comme ça à mon réveil… Comment va mon promis, là-haut, à ce matin ?

— Le fils de saint Louis, répondit la comtesse de Clare, envoie ses compliments affectueux à celle qu’il a daigné choisir pour compagne.

— Pas de bon Dieu ! fit la reine, pour avoir la langue bien pendue, toi, ma comtesse, ça y est tout de même ! Je te donnerai de l’avancement… L’abbé, un petit bout de patenôtre, pas vrai, et puis on va manger la soupe.

Le chapelain, qui était un pauvre diable, donnait en plein dans « la conspiration, » et prenait au sérieux ces momeries, au moins autant que Mathurine elle-même. Il s’approcha du lit et s’agenouilla devant le crucifix. Tous les fidèles sujets de Mathurine l’imitèrent.

Celle-ci prit son chapelet et ajouta :

— Faisons vite, Fanfan. Courte et bonne, la patenôtre !

Aussitôt que la prière fut achevée, Mathurine tendit sa grosse main vers la bouteille d’eau-de-vie qui était dans la ruelle.

Le reluisant vicomte Annibal Gioja s’élança pour la prévenir.

— Salut ! bel homme, lui dit Mathurine Goret, es-tu assez propre, toi ! Ça embaume, tes pattes blanches. À votre santé, les comtesses, les filles d’honneur et le reste. J’ai besoin du poil de la bête, le matin, pour me remettre en goût. Et je peux boire à ma soif, dites-donc ! j’ai de quoi payer le marchand pour sûr et pour vrai !

Elle eut un gros sourire ; tout le monde s’inclina respectueusement.

Le chapelain, dont le rôle se trouvait d’autant mieux joué que le pauvre homme était dupe des pieds à la tête, saisit ce moment pour porter à ses lèvres la rude main de la pataude.

— J’ai, dit-il, une bonne nouvelle à annoncer à Votre Altesse Royale.

— Mon Altesse Royale ! se récria la Goret. Je ne suis encore que duchesse, Fanfan. Pas de bêtises ! L’étiquette avant tout !

— J’ai bien dit : Votre Altesse Royale, répéta le chapelain. Les casuistes ne sont pas d’accord sur la vertu de ces mariages morganatiques…

— Qu’est-ce qu’il dit ? s’écria impétueusement Mathurine. Comment qu’il appelle mon mariage ! Fais attention à toi, Fanfan. Il y a de la prison pour ceux qui ne me plaisent pas. Je mettrais le pape au violon, moi, vois-tu !

— Je parle, reprit l’abbé avec douceur, de ces unions de la main gauche, dont l’histoire offre malheureusement plus d’un exemple, mais qui ne laissent pas que d’effrayer ma conscience…

— Bel homme, hurla Mathurine, en s’adressant au vicomte Annibal, je veux que tu aies une épée au côté ! ça t’ira bien. Et un uniforme comme les bedeaux ! On paiera ce qu’il faudra, sacredienne ! J’en dépense assez de cet argent, mais mon saint-frusquin ne doit rien à personne. En attendant, mets celui-là à la porte (elle montrait le chapelain de son doigt tremblant). Il a été malhonnête avec Ma Majesté !

Elle s’arrêta au milieu du juron qui ponctuait cette phrase. La colère la suffoquait déjà.

Le chapelain dit précipitamment :

— Votre Altesse royale ne m’a pas compris. En deux mots, j’ai fait partager mes scrupules à monseigneur, et il consent à vous épouser selon la loi ordinaire de l’Église.

— Et à la mairie aussi ? balbutia la Goret émue jusqu’au transport.

— Et à la mairie aussi, répéta le chapelain.

Ceci était une modification au premier plan des Habits-Noirs qui s’étaient aperçus bien vite des difficultés présentées par la vente simultanée d’une si grande masse de propriétés. Renonçant à l’idée impossible de se faire livrer, de la main à la main, les biens de la Goret, ils avaient résolu d’obtenir le même résultat à l’aide d’un contrat de mariage contenant donation mutuelle et entière au dernier vivant des deux époux.

Pour cela, il fallait un mariage civil, et, en définitive, l’héritier de tant de rois s’appelant de son vrai nom Louis-Joseph-Nicolas, rien n’empêchait de faire de la Goret une Mme Nicolas devant la municipalité.

Elle était, Dieu merci, toute portée à regarder ce nom comme un leurre jeté à la police de son compétiteur, Louis-Philippe, soi-disant roi des Français.

On ne pouvait pas, évidemment, sans risquer l’exil et peut-être la mort, inscrire sur un registre de mairie cette redoutable mention : « Louis-Joseph de Bourbon, fils du Dauphin de France. »

Il y a des choses qui sautent aux yeux.

Quant à la formule de donation au dernier vivant des deux époux, nous allons voir tout à l’heure comment les Habits-Noirs l’entendaient. C’était le côté fort de la combinaison.

Comme ces admirables mécaniques qui non seulement marchent toutes seules, mais encore se règlent, se chauffent, se dirigent et se corrigent d’elles-mêmes, la combinaison inventée par le colonel (c’était sa dernière affaire) tuait la Goret, ouvrait sa succession et payait la loi du même temps.

Les Américains n’ont rien fait de mieux depuis lors.

Pour le coup, Mathurine fut contente.

— Fanfan, dit-elle à l’abbé, je te permets de baiser la main à Mon Altesse Royale. Les deux mains si tu veux, tu es une bonne bête, sais-tu ? Pas de bon Dieu ! Je ne disais rien pour ne pas vexer monseigneur qu’a bien déjà assez de cailloux dans ses chaussettes, mais ça me chiffonnait, ce mariage mor… morga… morga quoi, Fanfan ? Enfin, n’importe ! J’aime mieux être princesse que duchesse, pas vrai ? Le grade est plus calé… Verse un peu à boire, bel homme. Je suis bien aise, sacredienne !… À la santé de la compagnie !

Elle siffla son verre, et sauta hors du lit sans crier gare : les reines peuvent se montrer comme des corps saints, et pendant que les demoiselles de Paris lui mettaient ses gros bas de laine, elle écorcha un couplet gaillard à faire dresser les cheveux.

— Appelez-moi tous ensemble : Mon Altesse Royale ! s’écria-t-elle en lançant son bonnet de coton au plafond. Hein ! les comtesses ! ça vous met bien bas !… Bel homme, viens çà et réponds droit. Y a des manigances, je sais ça. Est-ce qu’un roi qu’a monté sur son trône pourrait renvoyer sa reine, mariée devant le maire et qu’aurait avec ça un bon contrat de mariage en règle ?

— Non, certes, répondit le vicomte Annibal.

— Je veux deux notaires, quatre notaires, une douzaine de notaires à mon contrat, pour que ça tienne plus dur ! On paiera ce qu’il faut.

Ici, elle repoussa avec énergie le bassin à laver que la comtesse Corona lui présentait.

— Toi, gimblette, lui dit-elle fièrement, tu sauras que les reines, c’est jamais malpropre. Lave-toi si tu veux, ma fille, tu n’es qu’une simple noble !

Elle rayonnait d’allégresse et d’orgueil. Sa laideur avait une auréole. Elle atteignait à un excès de comique qui faisait peur.

— Allons ! allons ! s’écria-t-elle tout à coup, je vas mettre une jupe neuve et ma camisole du dimanche ! tout à cuire et à bouillir, quoi ! Si Monseigneur est pressé, j’irai avec lui au château avant l’église et avant la mairie. Coupe ta langue, Fanfan, et ne dis pas que c’est péché. Tu n’entends goutte aux affaires. Les princesses, ça n’a pas de loi… quoiqu’elles ne peuvent pas boire une bouteille de plus que leur soif, et c’est bête. En avant ceux qu’ont des sous à demander. J’en ai vendu déjà des lopins de bonne terre, mais quand n’y en a plus y en a encore. Et, jarnigodichon, nom d’une pipe à la broche ! mes domestiques que vous êtes, j’ai assez quêtaillé par les routes avant d’être la chacune d’un monarque ! Je ne veux plus rien devoir à personne… Arrivez ! À qui le tour ?

La comtesse de Clare, Annibal et Piquepuce s’approchèrent d’elle à la fois. Chacun d’eux avait un papier à la main. Mathurine prit ces papiers l’un après l’autre et y chercha deux choses : la somme totale et le cachet de son royal fiancé. Bien qu’elle ne sût point lire l’écriture, elle ne se trompait jamais aux chiffres.

La note de la comtesse était pour la conspiration, celle du cavalier Gioja pour les affaires personnelles du fils de saint Louis, celle de Piquepuce pour le château et les dépenses des « gens de Paris. »

— C’est cher, dit la Goret gaiement, nous allons bien ! mais après moi la fin du monde ! nous n’avons que nous à penser !

Elle prit sous son traversin une grosse clef rouillée et ouvrit la huche qui servait de montoir à son lit.

C’était un coffre épais et doublé de fer à l’intérieur.

Il contenait de hautes piles de pièces de cinq francs en argent, et même des écus de six livres. L’or était dans un coin ; il y avait aussi plusieurs fortes liasses de billets de banque.

Ce fut aux billets de banque que la Goret s’adressa, après avoir caressé du regard les piles de pièces de cent sous.

— Voilà huit jours, dit-elle, tout ça était de la bonne terre, avec du bon bois dessus, oui !

Elle soupira. — Mais elle donna un grand coup de poing dans les piles d’or et se prit à remuer le tout à larges poignées comme on brasse la pâte pour faire le pain.

— À la boulange ! à la boulange ! fit-elle le sang au front et l’ivresse par tout le corps, c’est doux aux mains, ça chante… Si je voulais, je remplirais de pièces blanches et jaunes un coffre haut comme la maison ! Et nom de nom de nom ! je le ferai quand je serai reine, ou pas de bon Dieu !

La comtesse Corona lui toucha le bras.

— Voici un jeune homme, dit-elle, qui demande à parler à Votre Altesse Royale.

La Goret se retourna.

Sur le seuil, il y avait un misérable garçon vêtu de haillons, qui regardait le coffre d’un air stupide.

D’écarlate qu’elle était, la Goret devint toute blême.

— Que viens-tu faire ici, gredin ? demanda-t-elle en un cri qui s’étrangla dans son gosier apoplectique.

— Ma m’man, répondit le pauvre diable en baissant ses yeux mouillés, j’ai grand-faim et j’ai grand-soif. Ils m’ont mis dehors chez les Mathieu pour trente-cinq sous que je leur dois de vaisselle cassée.

— Mes domestiques ! cria Mathurine, secouée de la tête aux pieds par sa colère folle ; battez-le ! chassez-le ! c’est un coquin qui me ruine ! Ah ! vilain ! ah ! vagabond ! Trente-cinq sous ! Va-t’en ! je te maudis ! je te renie ! je te condamne à mort !