La Requeste que Vïllon bailla à Monseigneur de Bourbon

Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 115-116).

LA REQUESTE
Que Villon bailla à Monseigneur de Bourbon.

Le mien seigneur et prince redoubté,
Fleuron de Lys, royale geniture,
Françoys Villon, que travail a dompté
A coups orbes, par force de batture,
Vous supplie, par cette humble escripture,
Que luy faciez quelque gracieux prest.
De s’obliger en toutes cours est prest ;
Si ne doubtez que bien ne vous contente.
Sans y avoir dommage n’interest,
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

A prince n’a ung denier emprunté,
Fors à vous seul, vostre humble creature.
Des six escus que lui avez presté,
Cela pieça, il mist en nourriture ;
Tout se payera ensemble, c’est droicture,
Mais ce sera légèrement et prest :
Car, se du gland rencontre en la forest
D’entour Patay, et chastaignes ont vente,
Payé serez sans delay ny arrest :
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

Si je pensois vendre de ma santé
A ung Lombard, usurier par nature,
Faulte d’argent m’a si fort enchanté,
Que j’en prendrois, ce croy-je, l’adventure.
Argent ne pend à gippon ne ceincture ;
Beau sire Dieux ! je m’esbahyz que c’est,
Que devant moy croix ne se comparoist,

Sinon de bois ou pierre, que ne mente ;
Mais s’une fois la vraye m’apparoist,
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

ENVOI.

Prince du Lys, qui à tout bien complaist,
Que cuidez-vous, comment il me desplaist
Quand je ne puis venir à mon entente ?
Bien m’entendez, aydez moi, s’il vous plaist :
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

SUSCRIPTION DE LADITE REQUESTE

Allez, Lettres, faictes un sault,
Combien que n’ayez pied ne langue :
Remonstrez, en vostre harengue,
Que faulte d’argent si m’assault.