Calmann-Lévy, éditeur (p. 95-107).


XII


La Villa Bleue était une bâtisse neuve, aux murs trop minces, et qui semblait posée comme un joujou dans un terrain vague du bas Auteuil. Le jardin était neuf comme la maison : on y remarquait d’innombrables fusains aux feuilles vernies, quatre marronniers de deux mètres cinquante, et une centaine de piquets qui seraient des arbres vers 1925.

Vainement, l’architecte avait prodigué les plaques de faïence et les briques vernies : la Villa Bleue ne s’égayait pas. Elle faisait froid aux yeux, toute nue dans ce jardin d’échalas et de cailloux, sous le ciel gris et le vent humide.

Josanne et mademoiselle Bon se présentèrent au nom du Monde féminin. La Villa Bleue était une fondation particulière, subventionnée par des femmes de la riche bourgeoisie, et l’on pouvait en parler discrètement, décemment… Déjà le photographe du magazine avait composé de beaux groupes avec la fondatrice, la directrice et les dames du Comité, — puis la doctoresse, la pharmacienne et les infirmières ; et les pensionnaires enfin, qu’il avait fait asseoir, dans une pose calculée pour atténuer leurs ventres.

— Ça, c’est mon triomphe ! avait-il dit à Foucart. Il n’y en a pas une seule qui ait vraiment l’air d’être enceinte !… J’ai mis les plus grosses et les plus laides tout au fond, et devant, rien que des jeunes et gentilles… C’est charmant !

À Josanne aussi, Foucart avait recommandé d’ « atténuer les ventres » :

— Songez que votre article sera lu par des jeunes filles. Il faut qu’elles puissent n’y comprendre rien…

Madame Platel, la directrice, une femme jeune encore, grave, douce, avec de beaux yeux désabusés, reçut Josanne et mademoiselle Bon dans son bureau. Elle leur expliqua les origines de l’œuvre et le mode de fonctionnement.

— Nous recevons trente filles, à toute époque de la grossesse, et nous les gardons jusqu’aux premiers symptômes de l’accouchement. Alors, une voiture d’ambulance, toujours prête, les transporte à la Maternité ou à la Clinique… En cas d’accident, notre doctoresse-accoucheuse leur donne des soins, et nous avons une petite nursery tout aménagée… Bien entendu, nous connaissons le nom et l’état civil de nos pensionnaires, mais elles sont assurées de notre discrétion, et les infirmières, les surveillantes même, les désignent par des numéros… Pendant leur séjour ici, nous les employons à des ouvrages de couture qui leur sont payés, intégralement, à leur départ… Et nous essayons aussi de les moraliser, d’éveiller en elles le sentiment maternel. Ces dames du Comité leur font des lectures, de petites conférences…

— C’est admirable, dit Josanne. Et le résultat ?…

— Ah ! le résultat !… Certes, notre influence est bienfaisante. Nos hospitalisées s’améliorent au physique et au moral. Elles déclarent, toutes, qu’elles élèveront leur enfant… Mais à la Clinique, à la Maternité, elles subissent de fâcheux voisinages… D’autres femmes, — des aînées. — leur donnent de mauvais conseils : « Vous êtes jeune. Vous trouverez quelqu’un… Faut pas vous embarrasser d’un enfant… Moi, j’ai mis tous mes gosses à l’Assistance… » Et la mère, qui n’a pas eu le temps d’être vraiment mère, se laisse persuader…

— Souvent ?

— Trop souvent. On dit que les philanthropes sont philanthropes parce qu’ils sont optimistes ! C’est une idée bien naïve… Les personnes qui se vouent au soulagement des malheureux connaissent bientôt, par une expérience quotidienne, les vices, les tares, les laideurs de l’humanité… Ce n’est pas pour eux, c’est malgré eux qu’il faut aimer les misérables… Les gens qui font le bien doivent perdre leurs illusions, s’ils veulent persévérer. Les optimistes, les enthousiastes, vite déçus, se découragent…

Mademoiselle Bon dit à regret :

— Oui, vous avez raison… On se lasserait peut-être de la charité, si l’on n’avait pas la certitude qu’elle est une œuvre de réparation, une forme de la justice…

— Ces filles que vous allez voir, reprit madame Platel, vous étonneront par leur insouciance… Séduites, lâchées, honnies, ramassées dans la rue, elles sont gaies… Elles évitent de penser à l’avenir ; le présent les rassure. Vivant ensemble, elles redeviennent petites filles et s’amusent de tout. La fête que nous leur donnons aujourd’hui occupe, depuis un mois, toutes leurs pensées… Une d’elles, ce matin, m’arrêtait dans l’escalier : « Madame, vrai qu’on aura de la brioche ? — Oui ? — Ah ! veine !… » Elle dansait de plaisir, malgré son ventre… Et si vous connaissiez son histoire !… Une fille de dix-neuf ans, laide, rousse, grêlée, boiteuse, naguère en service chez un marchand de vins, à Javel… On nous l’a envoyée presque mourante de faim, bleue de coups, en guenilles, et elle a répondu à ma première question : « Le père de mon enfant !… J’sais t’y, moi, j’sais t’y ?… — Mais enfin… — Ah ! j’ai ben une doutance sur un monsieur Camille !… »

— Il y a beaucoup de domestiques parmi vos pensionnaires ? demanda Josanne.

— Oui, beaucoup : de petites bonnes, victimes du sixième étage… Mais nous avons aussi des ouvrières, des demoiselles de magasin, jusqu’à des institutrices !… Certaines sont restées pures de cœur, — celles qui furent vraiment surprises par l’agression de l’homme, ou qui cédèrent par amour. — Il y a des infortunes si poignantes !… Ah ! mesdames, dites-le, écrivez-le, criez-le ; on n’aura jamais trop pitié de la femme… Si bas qu’elle tombe, l’homme est, presque toujours, l’artisan responsable de sa déchéance…

— Pourquoi les femmes qui ont du talent, un nom, un public, et qui écrivent de beaux livres, ne défendent-elles pas mieux les autres femmes ? dit mademoiselle Bon. Les gens du monde, les bourgeois, ne lisent guère l’Assistance féminine, et ce n’est pas dans le Monde féminin que Josanne pourra exprimer, sincèrement, ses opinions… Monsieur Foucart exige que la charité soit discrète, la misère voilée, et que la douleur et la mort mêmes gardent un « petit air parisien ».

Madame Platel proposa de visiter la maison, avant la fête. On parcourut les dortoirs tout blancs, le réfectoire aux tables parallèles, l’infirmerie, les cuisines, et la grande salle commune où les pensionnaires attendaient.

Elles étaient trente, assises sur des chaises de paille, comme à l’église. L’uniforme de pilou brun — casaque droite et jupe foncée — accusait la disgrâce de leur corps, et les bonnets étaient d’un blanc trop cru sur les fronts jaunâtres, comme frottés de terre… Ainsi vêtues, ainsi rangées, elles semblaient n’être plus des femmes, mais des femelles, un lamentable bétail féminin. Et il fallait les regarder longtemps pour distinguer quelques traces de beauté sous la dure lumière hivernale, impitoyable aux visages flétris.

— Numéro Neuf ? disait la directrice. Je ne vois pas le numéro Neuf… Elle n’est pas à l’infirmerie ?

— Non, m’ame, répondirent plusieurs voix : elle est là, dans le coin…

Une surveillante appelait :

— Madame Neuf !… On ne vous mangera pas, madame Neuf !

Les têtes se tournaient vers une fille assise dans un angle de la salle, sur un tabouret bas. Elle avait les coudes sur les genoux, les mains dans les cheveux, et sa grossesse, avancée déjà, la faisait paraître difforme.

— Elle a pas voulu qu’on la tire en photographie !… Elle dit qu’elle veut remonter, que la fête, ça l’amuse pas…

Une des femmes se mit à rire. Une autre murmura :

— En v’là des manières !… T’as pas fini ?…

— Chut ! dit madame Platel, madame Neuf fera comme il lui plaira… Mais je vois monsieur Bonnafous qui arrive… Il est dans le jardin… Allons, mesdames, un peu de silence ! monsieur Bonnafous est une célébrité… Il a fait des tours devant la reine Victoria, devant le Pape !… Oui, mesdames, il a fait rire le Pape !… Tenez-vous convenablement… Vous ne voudriez point offenser monsieur Bonnafous par votre bavardage…

Elle débitait ce petit discours d’un ton plaisant et doux, sans que changeât l’expression de ses yeux tristes, et elle allait, de droite à gauche, imposant l’ordre et le silence. Les femmes frémirent de plaisir quand, sur l’estrade improvisée, parut M. Bonnafous, léger comme un maître de danse, la moustache cirée, l’œil câlin.

Il était en frac. Il ressemblait aux messieurs des gravures de mode. Sa voix était suave, ses mains blanches. Il annonçait :

— Suivez-moi bien, mesdames !… suivez-moi bien !… Je prends la boule d’une main, comme ceci… Et, de l’autre main, je prends mon chapeau. Vous me suivez, mesdames ?

Elles le suivaient : — il était si beau !… — Les boules passaient, les cartes filaient : et du chapeau luisant sortaient, par douzaines, les rubans tricolores et les pièces de cent sous… Et les petites bonnes, les ouvrières, toutes peines oubliées, la bouche entr’ouverte et les yeux ronds, contemplaient ce M. Bonnafous qui avait fait rire le Pape !

— Elles l’admirent, dit Josanne à madame Platel, moins pour son talent que pour son beau physique… Elles reconnaissent en lui leur idéal : le monsieur bien mis, distingué, et qui sait « causer aux femmes »… Voyez leurs yeux émus d’amour ! Chacune croit retrouver en monsieur Bonnafous un trait de l’amant qui l’a perdue.

Elle parlait avec un accent d’ironie et d’âpreté qui choqua madame Platel :

— Comme vous êtes sévère !… Oui, monsieur Bonnafous représente un idéal médiocre, mais on a l’idéal qu’on peut avoir, et c’est déjà très joli d’en avoir un. La fille qui avait une « doutance » sur un monsieur Camille n’avait pas d’idéal, soyez-en persuadée… Femmes du monde ou filles du peuple, nous nous prenons toutes au charme d’un regard, au son d’une voix, à des mots tendres… et nous croyons que c’est le grand amour…

Ses beaux yeux désabusés regardaient bien loin en arrière, dans ses souvenirs… Elle posa sa main sur la main de Josanne.

— C’est le mirage de l’amour, vous le savez bien, chère madame… Et pour ce mirage, on souffre, on meurt… Quelquefois l’amour, le vrai, traverse notre vie, et le mirage se dissipe… mais il est trop tard… On est vieille… Et l’on n’a aimé que des apparences, des mots, des gestes…

Josanne pensa :

« Elle aussi !… »

M. Bonnafous ne lui paraissait plus si ridicule. Il devenait un symbole… Il dominait les femmes aux yeux ravis, aux cerveaux enfantins, aux cœurs serviles… Et Josanne, encore, se révolta… Elle dit, dans son âme : « Pas moi, non !… Moi, je ne suis pas comme les autres ». Mais sa conscience protestait : « Tu mens… » Elle était comme les autres, cette rebelle, cette affranchie. Elle s’était prise « au charme d’un regard, au son d’une voix, à des mots tendres… » Elle avait cru, elle croyait encore que c’était là le grand amour… Oui, près de Maurice, elle avait été aussi faible, aussi lâche que ces filles près de leur séducteur, garçon de magasin, bureaucrate, ou commis aux belles moustaches…

Comme ces filles, elle avait connu l’angoisse de la maternité possible, l’épouvante de la maternité certaine. Elle avait compté les jours, elle avait espéré — secrètement — la complicité de la nature pour détruire le germe insoupçonné… Plus tard, quand la nausée lui montait aux lèvres et que déjà sa ceinture opprimait son flanc douloureux, elle avait vu surgir la brute égoïste qui est dans l’homme assouvi… Elle avait été abandonnée, — comme ces filles. — et, plus misérable que ces filles, elle avait dû mentir et tromper… Ah ! de quel désir farouche, pendant le martyre de sa grossesse et jusque dans les douleurs qui créent la vie, elle avait appelé la mort !…

Et elle avait pardonné, elle n’avait pas cessé d’aimer, elle aimait encore…

Pourquoi ? comment ?… Son amour n’était pas une aveugle fureur sensuelle, et cependant elle ne pouvait évoquer le visage de Maurice sans un tressaillement de tout son être, un brisement des genoux, un coup au cœur.

« Ah ! mademoiselle Bon disait vrai : nous gardons toutes le pli de la servitude, le besoin d’aimer, de souffrir pour celui que nous aimons ; le besoin d’obéir ; le besoin de pardonner… Nous avons toutes, tant que nous aimons, la même lâche indulgence… »

Elle considérait les corps alourdis sous le caraco brun, les figures fanées sous le bonnet blanc ; — et elle se sentait tout près des malheureuses qui étaient là, — leur sœur en souffrance, en honte, en faiblesse, une pauvre femme…

Une pitié lui venait pour elle-même, et pour celles-ci, et pour toutes les femmes qui enfantent dans la douleur, et dont le grand cri maternel, à toute heure de jour et de nuit, vibre par le monde…

L’escamoteur jonglait maintenant. Il déployait des éventails ; il allumait des bougies… Les spectatrices riaient. Quelques-unes, à la dérobée, examinaient la dame du journal, si blanche sous sa toque noire…

M. Bonnafous termina enfin ses gesticulations. Il sourit, salua, et sembla s’escamoter lui-même… Des regards le cherchaient… N’allait-il pas revenir ?… Non. Il était parti, évanoui comme un beau rêve.

Lasses de leur immobilité, les femmes se levèrent, entourèrent mademoiselle Bon et madame Platel. Des surveillantes apportaient des corbeilles de gâteaux et d’oranges. Sur une table, au fond de la salle, le thé et le chocolat fumaient dans les bols.

— Madame Cinq !… Madame Vingt-deux !… Par ici !…

— Non, j’veux pas de brioche…

— Un petit gâteau ?…

— …C’est un dégoût que j’ai eu pour le jambon… Alors, vous savez, les sanviches

— Vrai, c’est une noce, aujourd’hui !…

Josanne, dans un coin, prenait des notes.

Soudain elle sentit bouger sa chaise : quelqu’un s’appuyait au dossier. Une voix balbutiait, anxieuse :

— Madame… Oh ! madame, je vous en prie… Parlez pas d’moi.

C’était « madame Neuf » qui suppliait. — Vingt ans peut-être, une petite figure pâle et tachée de son, des yeux bleus, des cheveux couleur de cendre.

— Parler de vous ? et pourquoi, ma pauvre fille ?… Je ne vous connais pas, et quand bien même je vous connaîtrais…

— C’est que… on m’avait dit : « Faut se méfier des journalistes… » Une amie que j’avais dans les temps… elle était à l’hôpital… à Lourcine… Ben ! un journaliste est venu, rapport à une inauguration… Il lui a causé… Il avait l’air bien convenable… Ben ! après, il a mis son nom dans le journal : « Ernestine… » Vous savez, ça ne fait pas plaisir…

— Soyez tranquille. Je ne parlerai même pas de madame Neuf.

— Oh ! vous êtes gentille !

Josanne sourit à cette louange naïve.

— Moi aussi, dit-elle, j’ai un petit enfant… Et, parce que je suis mère, je comprends les peines, toutes les peines des autres femmes. Je les plains toutes. Je n’écrirai jamais un mot qui puisse les humilier… Au contraire !…

— Oh ! ce n’est pas la même chose !… Vous êtes une dame comme il faut, vous !… Vous êtes mariée !…

Madame Neuf regardait l’alliance d’or au doigt de Josanne, et elle s’ébahissait, humblement, qu’une « dame comme il faut » osât se comparer à elle, la fille mère…

Le sang monta aux joues pâles de Josanne. Elle murmura :

— Oh ! moi… moi…

L’essaim lourd des filles bourdonnait autour des tasses. Le jour net et dur des hautes fenêtres s’amollissait, bleuissait… Une servante juchée sur une chaise alluma le gaz, et l’aspect des choses parut nouveau dans la lumière différente.

— J’ai douze bons de layette à distribuer… pour les plus sages ! clamait mademoiselle Bon. Et cinq francs de prime à toutes celles qui allaiteront leur enfant.

— Moi, m’ame…

— Moi aussi…

— Moi, j’peux pas… C’est ma grand’mère qui prendra le gosse… en Limousin…

Josanne demanda :

— Et vous, madame Neuf ?

— Moi ?… J’sais pas encore… J’ai besoin de travailler… Et le pauv’ petit, pour la jolie existence qu’il aura, vaudrait mieux…

— Oh ! ne dites pas ça ?

Les deux femmes se regardèrent. Quel drame vulgaire et navrant racontaient les yeux bleus flétris, la bouche contractée !

— Je n’en voulais pas, d’enfant… Le père était parti… J’pensais qu’à lui… à lui… tout le temps ! Et pas le sou… pas d’ouvrage… J’m’en cache point : j’ai essayé tout… tout… Y a des gens qui disent que c’est mal… Faudrait qu’i’ soyent à ma place…

Josanne comprenait : tout !… les tisanes conseillées par les commères, les visites secrètes chez l’herboriste, chez la matrone du faubourg… Tout !… elle devinait l’affreux courage de la femme contre elle-même, victime et bourreau…

Elle prit la main de madame Neuf, et elle répétait : « Pauvre !… pauvre !… » avec un accent de compassion et de douceur infinie… Les papillons de gaz sifflaient… On entendait le ronflement du poêle. Une des pensionnaires, tout à coup, chanta, — voix fraîche et frêle, un peu tremblante et qui traînait…

    Dans les sentiers remplis d’ivresse,
    Allons ensemble à petits pas…

La romance, usée depuis vingt ans par mille et mille lèvres, beuglée dans les carrefours, dans les ateliers, dans les trains et sous les tonnelles du dimanche, conservait son prestige sur la sensibilité populaire… Les femmes, un instant, se recueillaient, oubliant le gâteau mordu, la tasse pleine, — et les lilas fleurissaient dans leur mémoire avec l’odeur de l’amour défunt…

— Écoutez, ma pauvre petite, dit Josanne ; puisque vous me trouvez gentille, et que je ne vous fais pas peur, écoutez-moi… Je vous comprends très bien… Je vous plains de toute mon âme…

— Madame…

— Vous avez un grand chagrin, je le vois, une grande honte… Et, surtout, vous avez peur de ce petit qui va venir… Il vit dans votre sein, mais pas encore dans votre cœur… Vous ne pouvez pas encore l’aimer…

— C’est vrai, madame… Oh ! madame…

— Ne cachez pas votre figure… Je vous parle tout doucement… Il ne faut pas avoir honte, vous ne devez pas avoir honte… Ce n’est pas une honte que d’aimer, même quand on se trompe ; ce n’est pas une honte d’avoir un enfant hors du mariage… La honte, c’est de le renier, cet enfant, de l’abandonner… La honte, elle est pour l’homme, pour le père…

La chanteuse soupirait :

    Je veux t’offrir, ô ma maîtresse…

Dehors, la nuit était venue. Un tramway gronda, roula tous les bruits dans son tonnerre, qui s’accrut, diminua, se perdit…

Les femmes, en cœur, reprenaient :

    Ô ma maîtresse…

— L’enfant ! disait Josanne, à celui-là on donne tout sans demander rien… L’enfant, c’est notre orgueil, notre gloire, notre revanche… Il peut nous consoler de l’amour…

Madame Neuf baissa la tête, et, pleurante :

— C’est trop p’tiot ! dit-elle ; ça se laisse aimer… Et moi, j’ai besoin qu’on m’aime…