La Quittance de minuit/01/02/07

Méline, Cans et Compagnie (Tome premierp. 239-256).


VII

La galerie du Géant.


La plage redevint déserte.

On n’entendit plus que le sifflement de la brise glissant entre les rochers, et le fracas lointain de la mer.

L’œil le plus exercé n’eût point découvert à la base du roc l’endroit par où l’heiress avait disparu. Son mystérieux interlocuteur demeurait également invisible.

Ce silence dura quelques minutes ; puis un bruit de pas se fit entre les récifs ; le galet noir, sonna sous la semelle de bois d’un soulier irlandais.

La scène que nous avons rapportée se renouvela ; aux questions de la voix souterraine le nouveau venu répondit comme Ellen et fut introduit.

D’autres suivirent. Durant une demi-heure environ, quelque ombre surgit toutes les trois ou quatre minutes entre les têtes pointues des écueils. Les mots prononcés restaient toujours les mêmes, et la formule d’admission ne variait guère. Le concierge de cette mystérieuse retraite, qui n’était autre que Patrick Mac-Duff, le héros fanfaron du Grand Libérateur, savait sa leçon et n’en sortait point.

Au bout d’une demi-heure, le flot des arrivants se ralentit, et finit par manquer tout à fait.

Un long silence se fit.

La lune avait tourné le cap et frôlait maintenant de ses rayons obliques les immenses colonnes de pierre. L’aspect avait complétement changé. Il y avait parmi ce paysage inouï une sorte de vie fantastique, à cette heure.

Les petits nuages qui couvraient le ciel, en passant sur la lune, voilaient un instant son disque lumineux et assombrissaient la pâle clarté de ses rayons, Tout rentrait dans l’ombre pour une seconde ; puis sur la mer sombre, quelques diamants scintillaient au loin. Ils approchaient ; ils foisonnaient ; c’étaient des millions d’étincelles qui dansaient sur le flanc à facettes des grandes vagues. Et la lumière montait, éclairant et remuant pour ainsi dire les innombrables fûts de la colonnade de Ranach.

L’œil, en suivant ces masses suspendues qui semblaient fuir tantôt et tantôt se rapprocher, arrivait jusqu’aux tours de Diarmid, qui se détachaient, noires, sur le ciel blanc.

Parfois, lorsque la lune se voilait sous un nuage plus opaque et que le vent plus vif soufflait une courte rafale, un reflet rouge montait aux murailles sombres du vieux château.

C’était le feu allumé au pied même des antiques tours. De loin, il apparaissait comme la flamme d’un phare ; de près, c’était un vaste brasier dans lequel un homme, caché parmi les ruines, jetait à chaque instant des branches séchées.

À peu près au moment où les nouveaux arrivants cessèrent de déboucher sur le galet, l’homme des ruines jeta un dernier fagot dans le bûcher et quitta son poste.

Il fit le tour de l’enceinte assez bien conservée du château de Diarmid, et, coupant le parc de Montrath, il gagna la partie méridionale du cap, où la falaise s’ouvrait en un petit chemin à demi caché sous des broussailles.

C’était un sentier taillé presque à pic, qui descendait tortueusement le flanc de la falaise, et le long duquel de pauvres arbrisseaux, brûlés par le vent du large, enchevêtraient leurs branches rabougries.

On ne pouvait guère s’y tenir debout ; il fallait s’accrocher tantôt aux rameaux des buissons, tantôt à la dent du rocher qui perçait le sol maigre à chaque instant.

Cette route périlleuse aboutissait, après de longs détours, à la base du cap Ranach.

À mi-chemin, entre le sommet de la montagne et la plage, elle côtoyait l’entrée d’un souterrain naturel, connu dans le pays sous le nom des Grottes de Muyr.

Ces grottes n’étaient visitées, à de longs intervalles, que par les hardis chasseurs de boucs sauvages ; elles servaient d’asile à ces oiseaux blancs qui pullulent sur les côtes de l’Irlande, et qui apparaissent d’en bas comme des taches de neige sur les flancs noirs des montagnes de granit.

Notre homme passa sans s’arrêter devant la bouche des grottes de Muyr, et continua de descendre.

Il gagna ainsi les récifs placés en face de ceux qu’Ellen avait traversés, et entra pour ainsi dire par une porte opposée dans la plage circonscrite entre les deux lignes d’écueils, la haute muraille du cap Ranach et la mer.

La voix souterraine se fit encore entendre.

— C’est moi, mon fils Patrick, répondit notre homme ; c’est moi, votre bon ami, qui ai le même patron que vous, mon cher gars.

— Et le feu ? demanda Mac-Duff.

— Il est minuit, mon fils ; le feu va s’éteindre tout doucement sans faire de mal à personne… Y a-t-il beaucoup de monde ?

— Une procession, Pat, répliqua Mac-Duff.

Ce Pat, que nos lecteurs auraient eu peine à reconnaître sous son costume presque propre et amplement étoffé, était bien pourtant l’ancien valet de ferme de Luke Neale.

Mais il avait monté en grade, et l’agent Crackenwell, qui était l’intendant général de lord George Montrath dans le Connaught, l’avait établi dans les ruines de Diarmid.

Pat était chargé en ce lieu d’une mission bizarre qui lui avait fait bon nombre d’ennemis, tout en augmentant singulièrement son importance.

Au su de tout le monde, sa besogne consistait à garder et à nourrir un animal féroce (un loup, disaient les uns ; un tigre, disaient les autres) qui faisait sa demeure dans l’un des donjons du château.

La vertu du pauvre Pat n’était point la discrétion ; fier de ses bons habits et de sa position nouvelle, il s’en était vanté à qui avait voulu l’entendre. Chacun savait désormais que Pat, trois fois dans la journée, jetait la pâture au monstre, et recevait pour cela un salaire qui eût rendu jaloux le plus actif travailleur du comté.

Et pourtant Pat, le pauvre bon garçon, ne faisait œuvre de ses dix doigts !

Il s’était arrangé un logement commode au rez-de-chaussée d’une des tours de Diarmid. Les ruines, admirablement conservées, offraient encore un suffisant abri contre les intempéries du ciel.

Assurément, Pat en sa vie n’avait jamais été de moitié aussi bien logé.

Les Irlandais affiliés aux sociétés secrètes n’aiment point à voir les haillons de l’un d’eux se changer en un habit sans trous. Ce n’est pas précisément jalousie ou méchant vouloir ; c’est crainte. Il faut si peu de chose pour tenter la misère !.…

Pat avait désormais contre lui des défiances ; on doutait de sa foi, parce que, sans travail, il avait de l’aisance.

On l’interrogeait, on le retournait dans tous les sens ; on voulait savoir ce qu’était ce monstre hébergé avec tant de mystère.

À tout cela Pat ne pouvait guère répondre, sinon qu’il était le dévouement en personne, la fidélité incarnée, et qu’il se sentait prêt à incendier la douane de Galway avec le château et le tribunal, pour prouver son inaltérable zèle. Pat, il faut bien le dire, avait grand’peur. Il sentait le côté faux de sa position. Son bien-être le satisfaisait sans l’éblouir. Il s’avouait que les soupçons de Molly-Maguire ne valaient guère mieux pour lui qu’une maladie mortelle, et que, le cas échéant, son ample provision de pommes de terre, son wiskey cher et son chaud carrick seraient impuissants à le protéger.

Dans ses rêves, Pat se voyait souvent lancé comme un projectile du haut de Ranach-Head sur le galet noir. Il s’éveillait en sursaut ; ses sueurs inondaient les draps grossiers de sa couche.

Mais en définitive il ne pouvait point donner de renseignements sur le monstre, puisqu’il ne l’avait jamais vu. Tout ce qu’il savait, c’est que la bête féroce avait une voix mugissante, et que ses hurlements avaient fait dresser bien souvent ses cheveux roux sur son crâne chétif.

Évidemment on ne nourrissait pas pour rien ce terrible animal. L’avis de Pat, et Dieu sait que toutes les bonnes gens du comté le partageaient sincèrement, était que lord Montrath gardait ce monstre pour le lâcher quelque jour sur les catholiques.

Ma bouchal !… Lord George Montrath en était bien capable !…

Si le pauvre Pat avait peur de ses frères, le monstre, d’un autre côté, lui inspirait une invincible terreur.

Les garçons du Galway avaient grand tort de croire que son office fût une sinécure.

Il ne faisait rien, c’est vrai, mais il tremblait nuit et jour. La terreur était sa vie.

À de certaines heures, il se rendait à la tour bâtie sur l’extrême pointe du cap, et déposait dans un coffre un pain d’avoine avec une cruche d’eau ; ce coffre était suspendu à une corde que Pat mettait en mouvement à l’aide d’une poulie.

Pat ne s’était jamais acquitté de ce soin sans ouïr au-dessous de lui des bruits d’une nature manifestement diabolique.

Il sortait de la tour, pâle, essoufflé, perdu ; il donnait son âme à Dieu, à la Vierge et à tous les saints. Sa conviction intime était que le monstre se cramponnerait au coffre une bonne fois, remonterait avec la poulie, et ne ferait de lui, pauvre Pat, qu’une seule bouchée !

D’un côté cette mort, de l’autre l’effrayante main de Molly-Maguire ! En vérité, il fallait être bien malheureux ou bien jaloux pour envier le sort du pauvre Pat.

Il y avait déjà plusieurs mois qu’il habitait le château de Diarmid ; ses cheveux s’étaient éclaircis, son front s’était ridé. Il regrettait presque son jeûne d’autrefois et ses misérables haillons.

— Entrez, Pat, lui dit Mac-Duff ; si nous avons le même patron, nous n’avons que cela de commun peut-être… Entrez, mon homme… Si j’étais le maître, je ne sais pas trop si je vous en dirais autant.

Pat se baissa et s’introduisit dans une sorte de fissure derrière laquelle son échine maigre disparut aussitôt.

Mac-Duff le poussa en avant et le suivit.

— Il ne viendra plus personne, grommela-t-il. En tout cas, mon tour de faction est fini, et je veux savoir un peu ce qui se remue là dedans…

Le bruit des pas de Mac-Duff et de son compagnon, retentissant dans un couloir étroit et sonore, les empêcha d’entendre un autre bruit qui se fit au dehors.

C’était un son léger qui s’avançait lentement du côté des récifs par où Ellen était venue.

La lune éclairait en ce moment la plage. On eût dit que la noble heiress, sortant une seconde fuis du pêle-mêle des roches entassées, revenait sur le galet.

C’était une femme encore dont la robe blanche s’enveloppait d’une mante rouge et dont le visage disparaissait sous son capuce rabattu.

Mais au lieu du pas ferme d’Ellen, c’était une démarche chancelante et pénible.

La nouvelle venue s’avançait en se traînant ; on entendait le souffle de sa poitrine oppressée. En marchant elle sanglotait.

Elle fut longtemps à traverser la plage étroit. Elle venait de bien loin sans doute, car la fatigue l’accablait ; le dur galet blessait ses pieds endoloris ; presque à chaque pas, elle s’arrêtait pour serrer sa poitrine à deux mains, comme si elle eût senti son cœur défaillir.

Elle parvint enfin à toucher la base du roc, et s’appuya brisée contre la pierre.

Sa tête se renversa ; le capuce de sa mante retomba sur ses épaules, et les rayons de la lune éclairèrent le pâle visage de Kate Neale, dont les yeux immobiles n’avaient plus de larmes.

Durant quelques minutes elle demeura sans mouvement : le froid de la pierre la gagnait. Sa bouche, autour de laquelle errait un amer sourire, répétait faiblement le nom d’Owen.

En ce moment, le flux qui s’avançait apportait à la côte, avec l’écume éblouissante de ses vagues, des myriades d’étincelles.

L’escalier de Ranach détachait vivement sa grande colonnade éclairée par la lune qui avait rejeté son voile de vapeurs. Le vent dispersait les dernières flammèches du feu de Ranach-Head, presque entièrement consumé.

Personne n’était venu remplacer Patrick Mac-Duff à son poste.

C’était au rebord même de la fissure que Kate Neale était venue s’appuyer
 

Après la fissure, il y avait un corridor bas et humide qui s’avançait en tournant dans le flanc de la montagne.

Après le corridor, il y avait une montée de dix ou douze pas.

Après encore, c’était quelque chose d’inouï, une immensité sombre et resplendissante à la fois, des magnificences pareilles à celles qui entourent, au dire des poëtes, le trône d’ébène de l’archange déchu ; une nuit pleine de miracles, une de ces fantasmagories surhumaines qui grandissent sous le hardi pinceau de Martynn.

Cela n’avait point de forme ; l’œil plongeait partout dans le vide, et partout rencontrait l’infini.

Point de limites ! nulle paroi pour arrêter le regard, nulle voûte pour borner la vue.

Des colonnes, qui brillaient comme si leurs fûts eussent été parsemés de paillettes, s’alignaient dans la nuit. Il y en avait deux, trois, quatre rangs qui fuyaient à perte de vue, et semblaient se rejoindre au loin comme les arbres d’une longue avenue.

À droite, à gauche, devant, derrière, des grappes de cristaux scintillaient dans le vide.

D’innombrables girandoles pendaient à la voûte invisible et allumaient tour à tour leurs facettes étincelantes à la lueur rouge d’un feu de bog-pine qui brûlait sur une grille, à vingt pas de l’entrée.

Il n’y avait point d’autre lumière que celle de ce brasier dont la fumée montait épaisse et blanchâtre pour perdre ses spirales confuses dans les ténèbres de la voûte.

Tout autour du foyer, s’asseyaient des hommes diversement vêtus. La plupart portaient d’uniformes haillons ; d’autres s’enveloppaient dans des carricks grossiers ; quelques-uns enfin se drapaient dans ces mantes rouges, vêtement ordinaire des Irlandaises de l’ouest.

Un espace vide restait entre eux et le feu.

Derrière le brasier, à droite par rapport à l’entrée, on voyait une sorte d’estrade en avant de laquelle se tenait un homme aux proportions gigantesques, vêtu et coiffé de la mante écarlate.

Sur le même plan se trouvaient une vingtaine de personnages dont la figure disparaissait sous des carrés de toile.

Tout cela recevait en plein la lueur du feu. Le second et le troisième rang étaient encore assez vivement éclairés.

Le quatrième disparaissait déjà dans une pénombre vague.

Les autres, et il y en avait beaucoup, demeuraient cachés complétement. Impossible d’évaluer, même approximativement, le nombre des assistants.

On entendait la foule bruire au loin, entre les colonnes diamantées, mais on ne la voyait point.

Seulement, lorsqu’un nouveau tronc de pin de marais, jeté dans le brasier, soulevait en gerbe les étincelles, la nuit tressaillait en quelque sorte. L’ombre s’illuminait pour une seconde, et des centaines de visages, sortant tout à coup des ténèbres, peuplaient ces fantastiques profondeurs.

En même temps les mille cristaux des voûtes et de la colonnade s’allumaient.

Durant un instant on distinguait la forme des piliers symétriques et quelques hautes parois toutes parsemées d’étoiles.

Puis tout s’éteignait. La nuit retombait, opaque. Cette foule pressée semblait s’abimer dans les ténèbres.

Ce lieu s’appelait la galerie du Géant.

Et l’on disait que Ranach, Connor, Donnel, Diarmid et tous les géants de la mythologie irlandaise, y avaient fait souvent orgie, longtemps avant les jours où saint Patrick étendait sur le Connaught ses pacifiques conquêtes.

Les gens rassemblés autour du feu étaient les payeurs de minuit.

Et pour faire descendre notre description des hauteurs poétiques à la réalité vivante, nous sommes forcé d’avouer que le meeting des Molly-Maguires n’était point en rapport complet avec la féerique magnificence de la galerie du Géant.

L’odeur âcre du tabac se mêlait à la fumée des bog-pines et formait un nuage lourd au-dessus des têtes. On sentait à plein nez, dès l’entrée, le subtil parfum du wiskey, la rosée bienheureuse des montagnes, et les émanations acides du potteen.

De tous côtés, on entendait dans l’ombre le bruit des verres choquant les pots d’étain. Dieu sait que cette nocturne assemblée combattait vigoureusement l’humidité des froides voûtes et ne pouvait être accusée de délibérer à jeun.

Il s’élevait peu de cris parmi la foule. C’était un murmure sourd et continu qui se prolongeait au loin entre les pilastres, rebondissait contre les parois invisibles et retombait multiplié par les échos des voûtes.

Ce murmure était gai plutôt que menaçant. Les premiers venus avaient trompé, en buvant de leur mieux, l’ennui de l’attente, et se trouvaient en cet état joyeux des premiers instants de l’ivresse. D’autres, en grand nombre, arrivaient de Galway. Ils étaient ivres depuis le matin, ayant passé la journée entière à boire au succès de William Derry, leur bijou !

— Allons ! taisez-vous, mes jolis garçons ! dit le grand Mahony, qui se tenait en avant de l’estrade avec sa mante rouge à capuchon, et qui personnifiait pour le moment cet être fantastique, Molly-Maguire, dont le nom seul remue dix comtés de l’Irlande.

— Nous nous taisons, Molly, notre aimable tante… Arrah ! nous sommes des neveux soumis !

— Nous buvons un petit coup à votre santé, digne Brûleur !

— Et à la santé de Leurs Honneurs qui se cachent derrière vous et qui ne disent rien !

Naboclish ! la belle assemblée ! cria une voix au fond de la galerie ; on dirait un meeting d’O’Connell, que Dieu le bénisse ! Et nous ne craignons pas la pluie par-dessus le marché !

— Chantons un lilliburo, mes fils, en l’honneur des bons gars de Kilkenny, de Clare, de Limerick, et de Leitrim, qui sont venus nous voir pour l’élection…

— Au diable l’élection ! dit la voix retentissante du Brûleur ; les bons garçons des comtés sont les bienvenus chez nous… Et O’Connell aussi, musha ! le cher homme !… Mais Molly-Maguire avant tout, s’il vous plaît, mes neveux !

— Et Molly-Maguire, reprit un des personnages masqués qui se tenaient derrière le géant, n’est pas plus cousine de William Derry que de James Sullivan.

La foule protesta bruyamment.

— Derry est un bon catholique !

— Sullivan, le misérable ! est parent de l’évêque protestant qui nous mange le meilleur de notre sang.

— Il y a du Morris là-dessous, ma bouchal ! … Morris n’aime guère O’Connell…

Mais d’autres répliquèrent :

— Laissez Morris en repos, le bon jeune homme !

— Hourra pour Mac-Diarmid !…

Il fallut la grosse voix du Brûleur pour apaiser le tumulte.

Les gens qui se tenaient sur l’estrade, derrière Mahony, étaient tous vêtus de carricks. Il n’y avait point de haillons parmi eux.

Durant quelques secondes ils parurent se consulter, puis l’un d’eux, sans lever son masque de toile, s’avança au-devant de l’estrade et prit place sur le siége que Mahony lui céda.

En même temps le géant se dépouilla de sa mante rouge, et la mit sur les épaules de son compagnon en disant :

— J’ai fini, mes garçons ; saluez la vraie Molly, votre tante.

Une acclamation générale retentit sous la voûte.

Mahony sauta auprès du foyer, dont la lueur rouge éclaira sa haute taille, et jeta dans le brasier une bûche de bog-pine.

La séance était ouverte.

— Le roi Lew voudrait parler, dit une voix du côté de la porte.

— Hourra pour le roi Lew ! qu’il parle !

Le personnage qui venait d’endosser la mante rouge de Molly-Maguire prononça quelques mots. Le silence se fit aussitôt.

En même temps la foule s’agita du côté de la porte. Un passage s’ouvrit, et un homme gros, court, trapu, membré comme un athlète, et portant le costume des matelots de Claddagh, s’avança lourdement dans l’enceinte.