La Prusse et l’Allemagne en 1869
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 86 (p. 624-650).
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LA
PRUSSE ET L'ALLEMAGNE

V.
LES AMBITIONS ET LES DANGERS DE LA POLITIQUE PRUSSIENNE.[1]


I.

Hegel cite quelque part un proverbe souabe dont il fait une application très osée que nous n’avons pas à discuter. Ce proverbe, qui ressemble à un paradoxe, est plus raisonnable qu’il n’en a l’air. Les Souabes, en parlant de vieilles histoires et d’aventures du temps jadis, ont coutume de dire : « Cela est vrai depuis si longtemps que cela n’est bientôt plus vrai. » Combien de découvertes scientifiques qui ont fait époque ne sont plus aujourd’hui que des demi-vérités ou des demi-mensonges! Combien d’institutions politiques et sociales, enfantées par l’esprit de progrès, sont devenues à la longue de grands obstacles au progrès ! Combien de traités internationaux, qu’ils eussent été conclus à Osnabruck, dans l’île des Faisans ou à Vienne, ont donné la paix au monde, et plus tard, par l’invincible effet d’un ferment caché, ont engendré de nouveaux litiges et de nouvelles tueries! Les Souabes ont raison : la géométrie exceptée, les vérités humaines ont, comme la lune, leurs phases et leurs quartiers.

La paix de Prague n’est pas vieille ; elle n’a pas quatre années d’existence. Est-elle encore une vérité? Sans vouloir incriminer personne, il faut bien reconnaître que, parmi les clauses de l’instrument de Nikolsbourg, les unes ne sont plus vraies, les autres ne l’ont jamais été. Si l’on ramène ces clauses à leur plus simple expression, qu’en devait-il sortir? Une nouvelle Allemagne d’où l’Autriche était exclue et qui aurait compris deux confédérations distinctes, l’une au nord du Mein, l’autre formée des états allemands du midi, et à laquelle on garantissait « une existence indépendante et internationale. » Or la première n’est qu’une confédération fictive et transitoire dont le véritable caractère devient d’année en année plus manifeste; la seconde n’a jamais existé, et, selon toute apparence, n’existera pas de longtemps.

Pourquoi le Südbund s’est-il dissipé en fumée? Ce n’est la faute de personne, disent les uns, il ne faut s’en prendre qu’à la résistance des choses. C’est la faute de tout le monde, disent les autres, mais surtout de Baden et de la Prusse, bien que sur ce point la Prusse réclame quittance et décharge. Il semble, à la vérité, qu’il était dans son intérêt de faire avorter un projet qui fortifiait l’indépendance du sud, et sanctionnait le partage de l’Allemagne. Il faut convenir cependant que, quels que fussent ses désirs ou ses appréhensions secrètes, le cabinet de Berlin n’a pas eu besoin de se remuer; les circonstances travaillaient pour lui. Ce n’est pas que le Südbund n’eût ses partisans et ses avocats. Vienne a de bonnes raisons pour souhaiter l’entière exécution du traité de Prague; il ne peut lui convenir d’en laisser certains articles en suspens et en souffrance; il lui importait que toutes les situations fussent définitivement réglées, que les populations du midi eussent un domicile fixe et assuré; il lui déplaisait qu’elles demeurassent dans la rue, soucieuses du lendemain et en quête d’un gîte. La France aussi était favorable en principe au Südbund, ne pouvant voir que de bon œil tout ce qui est propre à garantir la durée du statu quo; mais son désir n’était pas une de ces passions de feu qui affrontent les difficultés et les périls pour se satisfaire. Tout compté, la confédération du midi, à s’en tenir aux termes du contrat, n’était pas faite pour inspirer à ceux-ci des craintes sérieuses, pour être souhaitée ardemment par ceux-là; à la bonne heure si l’on eût stipulé à Nikolsbourg que cette confédération, à laquelle on reconnaissait une existence internationale, jouirait aussi, comme la Suisse ou la Belgique, d’une neutralité cautionnée par l’Europe. Non-seulement les traités se taisaient sur cet article; de peur qu’on n’arguât de leur silence même, la Prusse se hâta de conclure une alliance offensive et défensive avec les gouvernemens du sud. Bien qu’elle ne s’abusât point sur l’utilité pratique de cette alliance, elle était bien aise de poser en principe que le midi de l’Allemagne n’était pas un territoire neutre, de couper court aux illusions dont on aurait pu se bercer. Elle disait aux Souabes et aux Bavarois en passant contrat avec eux : «Mettez-vous en mesure et laissez à la Suisse ses milices. L’Europe l’a dispensée de prendre parti dans les compétitions à main armée des grandes puissances. C’est une sûreté et un privilège auxquels vous ne pouvez prétendre. Toutes les fois que je ferai la guerre pour l’Allemagne, vous serez derrière moi et avec moi. »

Au surplus, pour se confédérer, il faut s’entendre, et les états du sud ne s’entendaient pas. L’une de ses provinces ayant été incorporée au Nordbund, le grand-duché de Hesse se souciait peu de se partager entre deux confédérations, craignant, non sans raison, de s’exposer à bien des embarras, à un excès de dépendance, et de se trouver un jour tiré à deux chevaux. Impatient d’accéder au Nordbund, le grand-duché de Baden désirait ne point aliéner la liberté de ses résolutions en les soumettant à l’agrément de confédérés moins impatiens que lui ; il ne voyait dans ce monde qu’une confédération désirable, il méprisait les autres comme Israël les idoles des Moabites. Quant au ministère wurtembergeois, sa sagesse un peu narquoise était plus frappée des difficultés que des avantages; il considérait la diversité des caractères et des intérêts nationaux, l’impossibilité de trouver un compromis qui satisfît tout le monde, la prépondérance qu’exercerait la Bavière dans le gouvernement commun, les sacrifices d’indépendance qu’il faudrait s’imposer sans profit évident. La Bavière seule montra quelque disposition à entrer dans la voie qu’ouvrait aux états du sud l’article 4 du traité de Prague, estimant qu’il leur importait de s’unir et de faire corps pour se dérober au conflit des influences, aux dangers de l’isolement. Dans la pensée du prince de Hohenlohe, une confédération du sud, reliée au Nordbund par un acte conventionnel, et entretenant d’autre part avec l’Autriche des relations amicales, eût servi de trait d’union entre Vienne et Berlin, remédié en quelque mesure au déchirement de l’Allemagne, Le prince ne tarda pas à se convaincre que les circonstances étaient contraires à ses désirs, que la Hesse ne pouvait pas, que Baden ne voulait pas, que le Wurtemberg, plus accommodant, consentait à discuter, à raisonner, mais qu’il abondait en objections, et que ses objections étaient solides. Il ne s’obstina point, personne n’étant de son avis, et lui-même après tout n’en étant peut-être qu’à moitié; mais il est singulier que certains partisans du Südbund s’en prennent à lui de leur mécompte; il a tout fait pour le leur épargner; il a parlé, agi. Le gouvernement bavarois peut dire à ses voisins ce que disait à son parlement le Salomon de l’Angleterre, Jacques Ier : «j’ai joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé. »

On ne voit pas que les populations aient témoigné dans cette affaire plus d’empressement que les cabinets. Le grand meeting que le parti démocratique tint à Stuttgart en septembre 1868 démontra que le Südbund n’avait guère d’amis fervens que parmi les Souabes, race généreuse, à la tête et au cœur chauds, qui s’éprend fortement des idées, sans se laisser refroidir par les difficultés. Les délégués des autres états objectaient qu’une confédération du sud était une chimère tant que le grand-duché de Hesse n’avait pas recouvré son entière indépendance et que le royaume de Saxe demeurait incorporé au Nordbund. Le moyen de soustraire Darmstadt et Dresde à la suzeraineté de la Prusse, qui, en les enchaînant à ses destinées, avait prouvé une fois de plus son habileté, la justesse de ses combinaisons, ses longues prévoyances? Les démocrates wurtembergeois répondaient que les commencemens sont tout, que l’exemple est contagieux, que les minorités qui ont la foi gouvernent le monde, qu’opposer à la confédération militaire et centralisée du nord une autre confédération qui consacrerait toutes les libertés, c’était travailler pour l’avenir, ébaucher l’Allemagne nouvelle, empêcher le sud de se donner à Berlin. — L’Allemagne, disaient-ils, ne peut demeurer éternellement dans l’état où elle est, ses tronçons tendent à se rejoindre; un jour Berlin lui imposera à monarchie militaire, ou elle imposera à Berlin la démocratie fédérative. La Prusse déclare et répète qu’il n’y a de possible que ses institutions brevetées par Sadowa; montrons, en faisant autre chose, qu’autre chose est possible; comme le philosophe, prouvons le mouvement en marchant.

Malheureusement pour les démocrates, le cabinet wurtembergeois n’a pas goûté leurs raisons; il considère leur programme comme une utopie dangereuse. M. de Varnbüler sait toujours très bien ce qu’il veut et pourquoi il le veut. Il disait à quelqu’un : « Ceux qui désirent le Südbund me font l’effet de gens qui souhaiteraient un rhumatisme, faute de bien comprendre ce que c’est. » Non-seulement il estime qu’en l’état des choses la confédération du sud est impossible; fût-elle possible, il n’en voudrait pas. Elle compromettrait, selon lui, la cause même qu’elle est destinée à défendre, et son raisonnement peut se résumer ainsi. « Vous voulez opposer une barrière aux empiétemens de la Prusse, répondait-il aux partisans du Südbund. Votre projet pourrait bien aller à contre-fin. Berlin est obligé de traiter aujourd’hui avec plusieurs gouvernemens qui ont tous le sentiment net de leurs intérêts et auxquels il est difficile de faire prendre le change. Qui vous dit que Berlin ne trouverait pas plus commode d’avoir affaire à un directoire dont les désunions pourraient donner prise à ses habiletés? Aussi bien toute confédération demande des sacrifices d’autonomie; les états dont elle se compose subrogent le pouvoir central à quelques-uns de leurs droits de souveraineté, ils grèvent leur bien d’une hypothèque, et l’hypothèque est un commencement d’aliénation. Demander aux Souabes de n’être plus tout à fait Souabes, aux Bavarois d’être un peu moins Bavarois, n’est-ce pas les préparer à de plus grands changemens, leur donner des habitudes de renoncement dont la Prusse pourrait un jour profiter? Les traités nous ont rendus à nous-mêmes; jouissons du moins de notre pleine indépendance, du droit que nous possédons de régler nos affaires de ménage comme il nous plaît. Nous avons des voisins; entretenons avec eux des relations cordiales et intimes; délibérons ensemble sur tous les intérêts communs, entendons-nous et donnons de l’éclat à notre entente. C’est la seule politique sage et pratique. »

M. de Varnbüler ne se flattait pas de convaincre les démocrates. Ils ont une arrière-pensée dont ils ne font pas mystère. Au nord du Mein, les petites couronnes et leurs petits parlemens ont été médiatisés par la Prusse au profit de sa dictature militaire; le rêve des démocrates est de médiatiser les couronnes du sud au profit d’un parlement fédéral, qui pourrait bien quelque jour se transformer en un parlement républicain. « Ce que vous désirez est possible, leur dit M. de Varnbüler dans une séance qui est une page mémorable de l’histoire parlementaire du Wurtemberg. Une république de l’Allemagne du sud, se rattachant peut-être à la confédération suisse et peut-être aussi invoquant plus tard le protectorat d’une grande puissance, n’est pas un rêve irréalisable. Il suffit pour cela de sacrifier quelques couronnes; mais je me souviens d’un serment que j’ai prêté, et, quel que soit mon désir de vous être agréable, je ne puis, en vérité, disposer de la couronne de mon roi. » Ce procès est toujours pendant, chacune des deux parties ayant raison à son point de vue. Les démocrates continueront de soutenir dans la chambre des députés de Stuttgart les trois articles de leur programme : dénonciation du traité d’alliance, l’armée permanente remplacée par des milices, fondation d’un Südbund. Ce qu’ils proposent est une aventure ou, pour ne rien dire de trop, un essai, et depuis 1866 l’Allemagne du midi est peu disposée aux essais. Elle éprouvait naguère comme un étonnement de vivre dont elle n’est pas tout à fait remise; elle se dit que le mieux est l’ennemi du bien et qu’il est bon de s’en tenir à ce qu’on a. Il en est des peuples comme des individus : il y a des jours où tout leur semble facile; le lendemain tout leur paraît malaisé, ils ne se fient plus à la fortune, et l’inconnu les effraie.

Chose remarquable, personne en Europe ne s’est étonné de voir que plusieurs des clauses du contrat de Prague ne s’exécutaient point, que la confédération du sud n’existait que sur le papier, que d’année en année celle du nord ressemblait un peu moins à une confédération, que la Prusse n’avait garde non plus de prendre au sérieux l’article 5 et de restituer au Danemark les districts du Slesvig dont elle avait promis de se dessaisir. Et pourtant ce contrat avait été placé comme tant d’autres sous le patronage de la très sainte Trinité et déclaré valable jusqu’à la fin des siècles, — vaine formalité, la politique n’admettant pas les engagemens indéfinis, les vœux perpétuels. Toutefois l’histoire nous offre l’exemple de nombreux traités qui ont été non-seulement exécutoires, mais exécutés, et qui ont procuré à l’Europe de longues années de repos. Ce n’est pas un médiocre avantage que de croire à la paix, les affaires s’en trouvent bien; pour prospérer, elles ont besoin d’être assurées du lendemain. Jamais contrat international ne fit moins illusion à l’Europe que celui de Prague. On l’a tenu dès le principe pour une sorte de cote mal taillée qui avait le mérite de mettre un terme à l’effusion du sang, mais qui ne prescrivait de limites certaines à aucune prétention. Étrange effet d’un traité de paix! les plumes qui l’avaient signé n’étaient pas encore sèches que toutes les puissances s’occupaient de perfectionner leurs fusils et d’accroître le nombre de leurs baïonnettes. De toutes parts, on s’armait jusqu’aux dents, non qu’on fût pressé de remettre en question ce qui venait d’être décidé; la sagesse prévalait à Berlin comme à Paris et à Vienne. On pensait d’un côté : « Nous avons les mains nanties, nous pouvons attendre. Abstenons-nous de tout ce qui pourrait ressembler à une provocation. Profitons de notre victoire sans paraître en abuser, et soyons assez modérés et assez adroits pour qu’on n’ait contre nous que des demi-griefs. » Ailleurs on se disait : « Nous ne tirerons l’épée que si l’offense en vaut la peine. Fermons les yeux sur l’inexécution de certains articles, sur des empiétemens sourds et clandestins, sur des délits d’interprétation que nous ne saurions absoudre, mais qui peuvent invoquer en leur faveur une opinion probable. Bien que nous soyons résolus à ne rien ignorer, il nous convient de laisser grossir silencieusement notre dossier; si jamais il est plein, nous aviserons. » C’est ainsi que depuis 1866 on vit en paix, se faisant bon visage, mais s’observant les uns les autres et l’arme au pied, paix précaire qui est à la merci d’une imprudence, paix bien différente de celle que glorifiait Aristophane, de cette déesse « qui verse dans les esprits le breuvage divin de l’amitié, qui les dispose à la douceur et réprime l’humeur soupçonneuse, mère des injurieux bavardages. »


II.

On a prétendu que la paix de Prague était venue trop tôt, que la guerre qu’elle a terminée avait été trop courte, que les belligérans n’avaient pas eu le temps de donner la vraie mesure de leurs forces, que par un concours inoui de circonstances favorables la Prusse avait eu trop aisément gain de cause, que des victoires peu disputées enflent le cœur et poussent à de nouvelles entreprises. On a soutenu que la médiation française, utile en apparence au vaincu, avait tourné à l’avantage du vainqueur, qu’elle l’avait préservé de ses propres témérités, et lui avait épargné les difficultés qui l’attendaient. Cette campagne de sept jours, a-t-on dit, n’a rien prouvé, sinon que l’armée prussienne était excellente, et que l’Autriche n’était pas prête; mais le succès qui l’a couronnée est la plus éclatante surprise qu’aient enregistrée les fastes militaires, la paix de Prague est le résultat d’un accident. Il s’ensuit que le vainqueur, ébloui des rapidités de sa fortune, s’est grisé de son triomphe et s’abandonne à des ambitions démesurées, se flattant que désormais rien ne lui est impossible. Qu’y a-t-il de vrai dans ce jugement? Se demander ce qu’il serait advenu si l’Autriche, après Sadowa, obéissant à de mâles conseils, s’était résolue à une résistance désespérée, c’est ouvrir le champ aux conjectures, et en pareille matière les conjectures sont bien trompeuses. Après tout, si l’on n’avait à reprocher à la guerre de 1866 que d’avoir été trop courte, à la paix de Prague que d’avoir été prématurée, puissent toutes les guerres et toutes les paix à venir mériter le même reproche !

Prématurée ou non, la paix de Prague est entachée d’un vice grave et malheureusement irrémédiable. Aucun traité ne fut conçu dans des termes plus vagues, plus louches, plus élastiques. Un philosophe amoureux des idées claires a déclaré que les idées confuses étaient la source de toutes les misères, de tous les désordres qui affligent la pauvre humanité. Le traité de Prague est un chef-d’œuvre de confusion. Ceux qui l’ont inventé et qui en profitent ont sans contredit l’esprit très clair et très lucide; il faut croire que leur habileté trouvait son compte à équivoquer. En dictant leurs conditions, ils se sont étudiés à parler tour à tour deux langues et à brouiller toutes les idées, parce qu’ils y voyaient un moyen de concilier toutes leurs ambitions.

Les partis ont une singulière façon d’écrire l’histoire : ils assouplissent les faits, les accommodent à leurs vues. Si l’on en croyait certains publicistes du parti national, il n’y aurait pas de distinction à faire entre les intérêts prussiens et les intérêts allemands. A les entendre, la Prusse fut dès l’origine le champion dévoué de l’Allemagne, qu’elle s’appliquait à rendre forte et libre; ses princes, électeurs ou rois, ont tous eu l’âme allemande, das deutsche Bewusstseyn, ils ont toujours représenté l’idée nationale, avant même que l’on eût découvert ce que c’est qu’une âme allemande ou qu’une idée nationale, dans un temps où l’habile conseiller du grand-électeur, le comte Waldeck, écrivait : « Ne laissons pas soupçonner aux petits princes allemands que, sous le nom d’alliance, nous aspirons à la domination, » — ou alors que le grand Frédéric, ayant le pied à l’étrier pour aller conquérir la Silésie, disait à l’ambassadeur de France, le marquis de Beauvau : « Je vais jouer votre jeu; si les as me viennent, nous partagerons. »

Il n’est pas douteux que la Prusse n’eût des intérêts communs avec les princes allemands; elle les aidait à défendre les libertés du corps germanique, c’est-à-dire leurs droits de souveraineté, garantis par la paix de Westphalie, contre les envahissemens de la maison d’Autriche et ses aspirations à la monarchie. Toujours attentifs à déjouer les intrigues de l’empire, on vit les électeurs de Brandebourg et les rois de Prusse se réconcilier parfois avec leur grand ennemi et l’assister dans ses détresses pour en obtenir quelques faveurs, plus souvent brider ses convoitises, traverser ses plans, lui susciter des embarras. Tirant parti des querelles religieuses, s’érigeant en patrons de la cause protestante tout en rassurant les catholiques par leur tolérance, tantôt ils projetaient d’enlever aux Habsbourg la couronne impériale et de la transférer à la Bavière, tantôt ils s’appliquaient à grouper autour d’eux les états allemands du nord, et rêvaient de substituer à ces rapprochemens passagers une ligue permanente qui eût brisé à jamais l’unité politique de l’Allemagne. Cela s’appelait, du temps du grand-électeur, une union des princes, du temps de Frédéric II un projet de ligue entre les princes allemands, plus tard une union étroite, — et le but de ces unions et de ces ligues était toujours le même. La Prusse aspirait à détacher de l’empire le nord de l’Allemagne, à le faire graviter tout entier autour d’elle, à l’enchaîner à sa politique, en attendant de se l’incorporer. Qu’importait à un Frédéric II l’unité allemande et l’idée nationale? Il travaillait à faire la Prusse et non l’Allemagne, il se proposait de construire l’édifice dont ses ancêtres avaient jeté les fondemens, et dans cette vue, après avoir enlevé la Silésie à l’Au- triche, il dépeçait la Pologne, afin de réduire en un tout compacte toutes les provinces orientales et slaves de son royaume. Ses alliés, il les cherchait où il s’en présentait; France, Angleterre ou Russie, son âme allemande ne le gênait point dans ses choix. Qui peut expliquer mieux que lui sa politique ? — « Ce qu’il y avait de fâcheux, a-t-il dit, c’est que l’état n’avait point de forme régulière. Des pro- vinces peu larges et pour ainsi dire éparpillées tenaient depuis la Courlande jusqu’au Brabant. Cette situation entrecoupée multipliait les voisins de l’état sans lui donner de consistance, et faisait qu’il avait bien plus d’ennemis à redouter que s’il avait été arrondi. La Prusse ne pouvait agir qu’en s’épaulant de la France ou de l’Angleterre. » Fonder dans le nord de l’Allemagne une grande puissance européenne, en reculer les limites aussi loin qu’on pouvait porter ses désirs et ses bras, prendre au midi tout ce qui était prenable pour assurer fortement ses derrières et pour réduire la partie de l’empire qu’on abandonnait à la domination de l’Autriche, d’autre part conquérir de proche en proche tout le littoral de la Baltique et pousser de toutes ses forces vers la Mer du Nord, parce que la mer c’est le chemin du monde et qu’il n’est point de grande puissance sans marine, voilà ce que les Hohenzollern ont voulu faire, voilà ce qu’ils ont fait. La conquête de la Silésie et le partage de la Pologne avaient donné à la Prusse, du côté de l’orient, une ferme assiette et la consistance territoriale; à l’occident, elle était encore loin de compte, elle avait trop d’enclaves, trop de voisins, et des voisins assez puissans pour lui créer de sérieux dangers. Elle avisa, et tous les moyens lui furent bons. Après s’être détachée de la coalition, en 1795, par le traité de Bâle et avoir laissé l’Allemagne poursuivre seule le procès commun, elle cultiva la bienveillance de la république française et de son héritier, évitant toutefois de s’engager, prête à s’arranger avec qui lui offrirait davantage. A la veille d’Austerlitz, Frédéric-Guillaume III était sur le point de s’allier à la Russie et à l’Autriche contre la France; le lendemain, il traitait avec Napoléon et acceptait de lui le Hanovre, inappréciable présent. A la vérité il l’acceptait en pleurant; mais on n’a jamais su s’il pleurait d’être obligé de le prendre ou du dépit de n’avoir pu obtenir en outre les villes hanséatiques. Les temps n’étaient pas encore mûrs, la Prusse perdit le Hanovre à peine acquis; elle vit s’évanouir aussi le rêve un instant caressé de réunir l’Allemagne du nord dans une confédération placée sous son protectorat. Son étoile ne l’abandonna pas longtemps. Les traités de Vienne lui rendirent tout le patrimoine du grand Frédéric, lui donnèrent plus de la moitié du royaume de Saxe, la portion de la Poméranie qui restait encore aux mains des Suédois et tout ce qui lui manquait pour posséder en leur entier la Westphalie et la province du Rhin. En 1866, la Prusse a consommé son travail séculaire, grâce à la neutralité bienveillante de la France. Ce qui fermentait sourdement dans la tête de ses électeurs et de ses rois, ce qu’ils osaient à peine entrevoir dans leurs plus audacieuses rêveries s’est accompli. S’appropriant les états qu’il lui importait le plus de posséder et faisant reconnaître à tous les autres sa suzeraineté, du Memel jusqu’au Rhin, la Prusse est maîtresse chez elle. La cinquième grande puissance s’est débarrassée de tout ce qui pouvait gêner ses mouvemens, elle possède des ports dans la Baltique et dans la Mer du Nord, désormais elle a les mains libres et une autorité égale à ses prétentions. Depuis Sadowa, la Prusse est faite. Si la paix de Prague n’avait pas eu d’autres résultats, elle eût été maudite par les populations qu’on a annexées sans les consulter, elle n’eût point agréé non plus aux esprits jaloux qui se sentent diminués par les agrandissemens d’autrui; mais l’Europe serait tranquille et rassurée sur l’avenir. Malheureusement la Prusse n’avait pas achevé son œuvre qu’elle s’est mise en tête d’en commencer une autre. Elle ne s’est pas contentée de faire la Prusse aux dépens de l’Allemagne, elle se réserve de faire l’Allemagne aux dépens du repos public.

Le patriotisme germanique existait à peine au XVIIIe siècle et Frédéric II n’a pas eu à compter avec lui. Il est né avec la grande littérature allemande, parce que les grands écrivains ont pour patrie leur langue, et qu’en les lisant leur nation acquiert le sentiment et l’orgueil de son génie ; il a été fortifié par la politique napoléonienne, par les sécularisations, par la suppression d’une foule de petites souverainetés qui morcelaient l’Allemagne; il a été surexcité par de communs revers, par une haine commune pour le commun oppresseur, par le besoin de s’unir pour se mettre désormais hors d’insulte. Plus tard, l’idée nationale trouva un puissant allié dans le libéralisme, qui ne pouvait espérer de vaincre les résistances aveugles et obstinées des princes qu’en formant des liens plus étroits entre les peuples. La constituante révolutionnaire de Francfort se proposait de donner à l’Allemagne un parlement national qui tiendrait les souverains en bride, et assurerait à tous les états les garanties constitutionnelles. A la majorité de quatre voix, elle décerna la couronne impériale à la Prusse. Le roi Frédéric-Guillaume IV recula devant les hasards de cette aventure. La constitution à laquelle il aurait dû prêter serment n’était pas de son goût. Il refusa ce dangereux présent, et, reprenant la politique traditionnelle de sa maison, il essaya de fonder une union étroite des princes du nord, projet que l’Autriche fit avorter. Après Sadowa, la Prusse, forte de ses annexions directes et de ses annexions déguisées, se sentait en état de dicter des lois à l’Allemagne et de réaliser à son profit l’idée nationale, sans lui rien sacrifier. Le nord du Mein et la politique du grand Frédéric ne lui suffisent plus; elle brûle de porter ses aigles au-delà du Danube; elle dit tout haut : L’Allemagne, c’est moi.

La Prusse joue deux personnages différens et les joue à merveille. Elle est tout à la fois l’une des cinq grandes puissances et un état allemand. En sa qualité de grande puissance, elle est cosmopolite, les questions d’origines et de races la touchent peu; Polonais, Danois, tout lui est bon pour s’arrondir, elle n’a pas de préjugés, elle fait passer les affaires avant tout; elle l’a bien prouvé en s’alliant avec l’Italie contre l’Autriche et contre la diète. En sa qualité d’état germanique, elle est animée de tout autres sentimens; elle a la fibre allemande, l’idée nationale lui est chère ; elle ne pourrait se résigner à demeurer à jamais séparée de ses frères du midi, son cœur saignerait si l’Allemagne était condamnée à une éternelle scission.

En 1866 et depuis, le cabinet de Berlin s’est montré maître passé dans l’art des contradictions volontaires et utiles. On fait des conquêtes en Allemagne comme en pays étranger, et on se pose en protecteur naturel des intérêts allemands. Ne pouvant détruire l’Autriche, on l’exclut de l’Allemagne, on retranche de la communion des fidèles plusieurs millions d’Allemands très authentiques, et d’autre part, malgré leurs vives réclamations qui se renouvellent chaque année, on y englobe de force des Danois et les provinces polonaises de la Prusse qui ne faisaient point partie de l’ancienne confédération germanique. On a réalisé au nord du Mein l’union étroite, et, la rendant chaque année plus étroite, on travaille à la convertir en une grande monarchie unitaire au moyen d’une constitution à nœud coulant qui aura bientôt raison de ce qui reste d’autonomie aux petits états; en même temps on appelle à soi tous les états du midi, on leur déclare que tous les Allemands sont frères, et on traite d’amis de l’étranger ceux qui s’avisent de demander des garanties. On a reconnu à ces états, par l’article 4, une existence indépendante et internationale ; mais on a eu soin d’ajouter qu’on pourrait se lier avec eux non-seulement d’amitié, mais nationalement (eine nationale Verbindung bleiht vorbehalten), véritable amphigouri, aussi ténébreux pour le moins que la grâce suffisante qui ne suffit pas et que la grâce nécessitante qui ne contraint pas. On en conclut que, le traité ne s’expliquant point, on le peut expliquer à son gré et que les états du sud sont libres de se donner à la Prusse. — Mais, répondent les ergoteurs, que devient alors leur existence internationale? — Nous ne sommes pas chargés de vous le dire, réplique la casuistique prussienne. Il y a en tout cas quelque chose de supérieur à la foi des traités, ce sont les liens de famille et le droit naturel. Malheur à qui voudrait séparer ce que la nature elle-même a uni!... Cependant que les états du sud s’avisent de prendre la Prusse au mot, qu’ils lui disent : De votre aveu, nous sommes frères. Nous vous reconnaîtrons, si vous le voulez, le droit d’aînesse, et nous nous contenterons d’une portion de cadets; mais votre confédération du nord est une vraie société léonine : si vous avez à cœur de nous y faire entrer, modifiez-en les clauses. Vous avez trop d’esprit de famille pour vouloir nous traiter en vassaux ou en sujets ! — Permettez, leur répond la Prusse. Je ne suis pas seulement l’un de vos frères et le plus considérable des états allemands; je suis aussi la Prusse, l’héritière du grand Frédéric et l’une des cinq grandes puissances. À ce titre, j’ai mes intérêts propres et mes ambitions particulières, j’entends rester absolument maîtresse de ma politique étrangère et employer mes soldats, prussiens ou allemands, comme je le voudrai, sans avoir à consulter personne. J’ai fait accepter cette clause aux petits états du nord, il faudra bien que vous l’acceptiez à votre tour, et que vos princes reconnaissent avec ma dictature militaire le droit que je m’arroge de les engager dans telle entreprise qu’il me plaira, sans leur permettre de discuter mes plans. Je suis trop allemande pour ne pas désirer m’unir des liens les plus étroits avec Baden, le Wurtemberg et la Bavière; je suis trop prussienne pour vous admettre à discuter ce que la Prusse doit faire des soldats de l’Allemagne. J’entends que vous vous battiez pour moi, à ma manière et sur mon ordre.

On sait toutes les difficultés, toutes les controverses que souleva dans l’église la définition des deux natures miraculeusement unies dans la personne du Christ, les hérésies qu’elle fit naître et à quel point elle exerça la subtilité des théologiens et des conciles. La Prusse offre un mystère pareil ; elle réunit en elle deux natures, et partant deux ambitions, l’une qui ne reconnaît d’autre loi que les intérêts prussiens, l’antre qui invoque les droits des familles et du sentiment. Si la Prusse se considérait simplement comme une puissance allemande, ce serait un grand repos pour le Danemark, à qui elle se fût empressée de restituer le Slesvig; mais point : non-seulement elle l’a gardé, il pourrait lui convenir de s’emparer du Jutland tout entier. Et que la Hollande aussi se tienne pour avertie! On lui a déjà donné des inquiétudes, on lui a témoigné, selon l’expression biblique, qu’on avait tourné vers elle « le regard de son désir. » La Prusse a une marine, il lui plairait d’avoir des colonies. La Hollande est la Hollande, ce qui est déjà beaucoup; elle est aussi Java, Sumatra, Bornéo, et le reste. Le même jour où la Prusse demandera Java, elle aura de bonnes raisons à faire valoir pour réclamer également le Tyrol. En tant que chef de la grande famille allemande, elle a des devoirs domestiques à remplir, des questions d’hoirie à vider. En vertu eu droit sacré des nationalités, elle aura, le cas échéant, quelque chose à prétendre en Courlande, et les états du sud sont ses appartenances naturelles; quand elle les aura pris, qui l’empêchera d’introduire une action pétitoire en revendication des provinces allemandes de l’Autriche? C’est pousser, dira-t-on, les choses à l’extrême. Sans doute, il est rare dans ce monde qu’on aille jusqu’au bout de son raisonnement; mais la Prusse a-t-elle rien fait pour tranquilliser les esprits inquiets? A-t-elle rempli ses engagemeus envers le Danemark? A-t-elle déclaré nettement ce qu’elle entendait par l’Allemagne et où s’arrêteraient ses revendications? Comment s’étonner que ses voisins surveillent avec quelque perplexité cette politique hybride qui a deux visages, qui parle tour à tour allemand et prussien, et tour à tour se donne pour l’héritière du grand Frédéric ou pour le fidéicommissaire des Hohenstaufen, qui s’attribue une mission qu’elle n’a garde de définir et concilie les prétentions les plus opposées? N’attendez pas qu’elle choisisse; elle veut tout, pareille à ces enfans auxquels on propose d’opter entre deux plaisirs et qui les demandent tous les deux. Ajoutez qu’il lui suffit de frapper la terre du pied pour en faire sortir un million de baïonnettes. Voilà qui justifie les inquiétudes et condamne l’Europe aux charges pesantes de la paix armée.

Le traité de Prague ne pouvait rassurer personne. Dès le lendemain du jour où il fut signé, on s’aperçut que, s’il était pour ceux-ci un arrêté de compte définitif, les autres le considéraient comme la feuille de route de leur ambition, et que la seule question qui s’agitait en Prusse était de savoir si l’on ferait halte à l’étape ou si on la brûlerait.


III.

L’inévitable conséquence des fausses solutions est d’engendrer des situations fausses. C’est là qu’en est l’Europe en ce qui regarde les affaires d’Allemagne. La Prusse veut tout et trouve des raisons pour tout vouloir; à l’appui de ses prétentions, elle invoque tour à tour l’ancien droit et le nouveau, sans avoir peur de se contredire. Aussi la paix de Prague n’est pas seulement une source d’anxiétés et d’alarmes, elle a répandu beaucoup de trouble dans les esprits et dans les idées. Impossible de s’engager envers un adversaire qui lui-même décline tout engagement. Il ne reste qu’à vivre au jour le jour, attendant les événemens et se promettant de régler sa conduite sur les circonstances. Elles sont aujourd’hui les maîtresses de l’Europe. Plaise à Dieu que leur règne soit bénin et pacifique !

En tout ce qui touche à leurs relations réciproques, les peuples en sont encore plus ou moins au simple droit de nature, qui n’est que le droit des habiles et des forts. L’Europe a un droit social et politique, lequel se résume dans ce qu’on appelle les principes de 89 : non que la France de 1789 ait inventé ces principes; mais elle les a gravés sur des tables d’airain et proposés à l’univers au milieu des éclairs et des tempêtes d’un nouveau Sinaï. Malheureusement la révolution n’a point tenu école de droit international. Le terrible dictateur qui a fini par la confisquer à son profit n’a jamais servi d’autres principes que ceux qui servaient ses intérêts, — étonnant génie qui avait une admirable intelligence de certaines conditions vitales des sociétés modernes, mais qui dédaignait trop de choses, ayant appris de la révolution à faire bon marché des droits héréditaires et historiques, de sa fortune à mépriser les idéologues et les idées, et de son ambition à profiter de tout pour travailler, comme le disait Lafayette, à la construction de lui-même.

Faute d’un droit international, on recourt aux traités, lesquels sont des contrats fondés sur des faits accomplis et reconnus de tous. Ces contrats créent un droit provisoire, ils substituent pour quelque temps le règne de la loi aux caprices et aux témérités des intérêts. Tel a été pendant près d’un demi-siècle le rôle des traités de Vienne. Si critiquables qu’ils fussent, quelques abus qu’ils aient sanctionnés, ils ont servi de règle à l’Europe et lui ont procuré de longues années de paix, qu’elle a utilement employées à travailler, à s’enrichir et à penser. Comme toute chose, les traités vieillissent, quand toutefois on leur en laisse le temps ; ils se cassent, s’affaissent, deviennent caducs. Avant de les violer, on les élude clandestinement, il se commet des fraudes, des dois, et les abus l’emportent sur la somme des avantages.

On avait fini par ne plus croire qu’à moitié aux traités de Vienne ; mais on n’osait les dénoncer, on craignait, en les ébranlant, de provoquer quelque écroulement. Cependant on éprouvait le besoin de mettre quelque chose à la place. Les uns adoptaient pour règle l’équilibre européen, règle incertaine, mouvante, l’état de l’Europe ayant changé de siècle en siècle sans qu’elle cessât de se trouver en équilibre. D’autres se réfugiaient dans le principe des nationalités ; mais qu’est-ce que les nationalités ? à quoi les reconnaît-on ? ont-elles toutes les mêmes droits ? Que deviendrait l’Europe, si on adoptait la division par races ou par langues comme la norme suprême de la politique ? Un Provençal et un Alsacien sont-ils de moins bons Français qu’un habitant de l’Ile-de-France ? Et ne voit-on pas au centre de l’Europe un petit pays très prospère, habité par trois races qui ont toutes les trois leur langue, leurs mœurs, leur caractère, leurs usages, et dont chacune a moins d’affinités d’humeur avec les deux autres qu’avec l’étranger son voisin ? Le Suisse a pour patrie ses institutions, qu’il préfère à tout ce qu’il voit ailleurs. D’autres enfin pensaient résoudre toutes les difficultés par le principe de la souveraineté populaire ; ils professaient que les peuples étaient majeurs et en conséquence maîtres de leurs destinées, que, libres de se constituer chez eux comme ils l’entendaient, ils étaient libres aussi de se donner à qui ils voulaient : doctrine très contestable. Si l’on reconnaît aux peuples le droit absolu de décider de leur sort, il faut leur reconnaître aussi, sous peine de limiter leur liberté, le droit de se repentir de leurs résolutions et d’en changer, car les peuples ne sont pas des individus, ils ne sauraient engager leur avenir. Une nation devenue majeure peut, par l’exercice régulier de ses droits légaux, modifier son gouvernement intérieur ; mais si elle accepte une dépendance étrangère et qu’elle s’en trouve mal, lui permettra-t-on de se dédire ? Son nouveau maître s’oblige-t-il à tenir compte de ses repentirs ? Si l’on admet, par exemple, que le Tyrol aurait le droit, s’il le voulait, de se donner par un vote à la Prusse, admettra-t-on en retour que les 2,500,000 Polonais qu’elle retient malgré eux dans sa puissance ont aussi le droit de reprendre par un vote leur liberté ? Qui se chargera d’en aller faire la proposition à Berlin ?

C’est la France qui a pris sur elle de déclarer qu’elle tenait les traités de Vienne pour périmés. Ils avaient été faits contre elle, et ceux qui les avaient faits les avaient violés à ses dépens. C’est elle qui, la première, proclama ce qu’elle appelait le droit nouveau. Quand, après la guerre d’Italie, elle se paya de ses dépenses d’hommes et d’argent par un agrandissement, elle y mit toutes les formes anciennes et nouvelles. Jamais conquête ne fut plus correcte : on avait pour soi la cession volontaire du possesseur, un transfert de propriété en toute règle, le principe des nationalités et de l’unité de langue, le vote des populations. Le tort du gouvernement français fut de vouloir remplacer les traités de Vienne par des dogmes encore mal approfondis et dont on n’avait pas prévu toutes les conséquences. Il professa publiquement son droit nouveau, il se piqua de l’enseigner à l’Europe. Professer des doctrines, c’est quelquefois travailler pour le compte d’autrui. Parmi les auditeurs que la France endoctrinait, il s’en trouvait un qui a l’oreille fine, l’esprit souple et délié, et qui suivit le conseil du moraliste : « écoutez tout, et retenez ce qui est utile. » Son intelligente docilité l’a conduit à de merveilleux résultats. Il n’a pas appliqué les nouvelles maximes à tort et à travers, il les a accommodées à ses convenances ; il a distingué soigneusement les cas. C’est au nom du principe des nationalités qu’il a revendiqué le Holstein ; mais il ne songe point à le pratiquer dans le Slesvig. Est-il bien sûr que les Danois soient une nation ? C’est au nom du principe de la volonté nationale qu’il dénie à l’Europe le droit d’empêcher les Allemands du sud de se donner à lui ; mais il n’a eu garde de consulter les Hanovriens et les Hessois avant de les prendre ; il n’a voulu les posséder que par le droit de l’épée. Est-il bien sûr que le Hanovre et la Hesse-Électorale aient une volonté ? Il est vrai qu’en revanche il a promis aux Slesvigois de les faire voter ; mais, les traités n’ayant rien stipulé sur le mode de votation, on ne s’est pas mis en peine de le trouver. Est-il bien sûr après tout que les votations prouvent quelque chose ?

La paix de Prague n’a pas seulement détruit les traités de Vienne sans les remplacer, attendu que ceux à qui elle profite ne l’ont acceptée que sous bénéfice d’inventaire ; elle a aussi enterré toutes les doctrines nouvelles par lesquelles on cherchait à suppléer à ces traités désormais prescrits et caducs. La paix de Prague est une grande école de scepticisme. En 1866, l’Europe a eu d’instructifs étonnemens; elle a vu la même main détrôner le vieux droit dans la personne de trois princes légitimes et fermer la bouche au nouveau en bâillonnant 200,000 Danois qui ne peuvent oublier qu’on a juré de les rendre au Danemark. En matière de droit international, l’Europe n’admet plus qu’une chose vieille comme le monde, à savoir qu’il y a des puissans et des petits, des habiles et des dupes. Elle admet aussi que les visées ambitieuses d’un prince mystique qui ne croit qu’à sa mission sont bien redoutables quand il se laisse diriger par un ministre sceptique qui a toutes les opinions utiles.

Aux premiers jours de printemps, on voit sortir les papillons; survient-il une brouée, ils disparaissent et se tiennent cachés. C’est ainsi qu’après Sadowa s’est éclipsé brusquement le droit nouveau, qui s’était trop hâté de croire au printemps. Les principes ont été discrédités par l’usage qu’on en a fait, par celui qu’on se propose d’en faire. Ceux qui ont pâti de la paix de Prague ou qui ont sujet d’en redouter les conséquences ont compris qu’il n’y a de possible et de convenable qu’une politique de simple bon sens et de sagesse pratique, décidée à ne point compromettre la paix pour des vétilles, très résolue aussi à ne se point laisser jouer, sachant d’avance où s’arrêteront ses concessions, ne se piquant pas de dogmatiser, prenant conseil de ses intérêts, s’efforçant de les concilier avec les intérêts généraux, et d’avoir pour soi l’opinion publique de l’Europe.

L’Autriche a sa voie toute tracée; il s’agit pour elle de se conserver. Par la constitution nouvelle qu’elle s’est donnée, elle s’est mise hors d’état de revenir sur le passé, de défaire ce qui s’est fait. Le régime dualiste qu’elle expérimente repose sur une sorte d’équilibre intérieur; si elle reprenait pied en Allemagne, cet équilibre serait rompu aux dépens de la Hongrie, et la Hongrie ne le souffrirait pas. En revanche, l’Autriche ne peut souffrir que le midi de l’Allemagne soit transformé en une province prussienne. Qui veut se conserver ne se contente pas de rester chez lui et de clore sa porte; il ne faut pas confondre les frontières d’un pays avec sa ligne naturelle de défense, et ce n’est pas assez de garder la place, il en faut protéger aussi les approches. La Bavière et le Wurtemberg sont les approches de l’Autriche, et sa ligne de défense est sur le Mein. Le jour où Munich serait une ville prussienne, la Bohême et le Tyrol seraient en l’air, et Vienne ne s’appartiendrait plus. Menacée d’un procès en expropriation ou d’un démembrement, que pourrait-on offrir à l’Autriche pour la dédommager? Est-ce avec des Roumains et des Serbes qu’on la consolerait de perdre 6 ou 7 millions d’Allemands ? Ceux qui lui proposent bénévolement de vider les lieux et de se replier à l’est en parlent à leur aise. Une Autriche-Hongrie est l’une des quatre grandes puissances civilisées de l’Occident, une Hongrie-Valachie serait à peine en Europe, et son action dans le monde se bornerait à disputer à la Russie, au milieu d’embarras sans nombre, ces terrains vagues où finit l’Orient, où commence l’Europe.

L’existence de l’Autriche est un intérêt européen. La France le sait bien, elle sait aussi que tout ce qui menace l’Autriche la menace elle-même, elle sait encore que son gouvernement s’est abusé dans ses calculs, elle l’approuve d’en avoir pris philosophiquement son parti, d’avoir fait bonne mine à mauvais jeu, parce qu’après tout erreur n’est pas compte; mais elle désire qu’il ne se trompe pas deux fois. Assurément il y a en France des esprits jaloux qui ont peine à se consoler des succès et des Marengos d’autrui, des esprits courts qui posent hardiment en principe que la France ne peut être grande que si ses voisins sont faibles, des amateurs d’aventures qui convoitent le Rhin, qui rêvent d’attacher aux flancs de leur pays une Vénétie allemande, éternel objet d’inquiétudes et de revendications. Le gros de la nation pense autrement. Consultez le bon sens français, et demandez-lui si la France doit faire la guerre pour mettre à néant les résultats de 1866, pour empêcher qu’il n’y ait dans le nord de l’Europe une Prusse forte, maîtresse de ses mouvemens et du choix de ses alliances, assez puissante pour que désormais il soit impossible de rien régler en Europe sans compter avec elle : le bon sens français répondra que non. Demandez-lui si d’autre part son gouvernement, le cas échéant, devrait s’opposer par la force à l’établissement d’une grande Allemagne fédérative et constitutionnelle, assez unie pour assurer son indépendance contre toute ingérence étrangère et donnant aussi, par ses institutions, des garanties à la paix de l’Europe : il répondra qu’il n’aurait garde, pourvu que cette grande Allemagne s’engage à ne chercher à personne des querelles d’Allemand; mais livrer le centre de l’Europe à une ambition obscure, tortueuse et sophistique, qui refuse de se lier, qui s’applique à ne rassurer personne, et dont le rêve est peut-être de s’étendre de la Baltique à l’Adriatique, voilà ce que le bon sens français ne saurait admettre. Aussi conseille-t-il à son gouvernement d’être attentif et de se joindre à l’Autriche pour dire à la Prusse : « Nous ne discuterons plus vos principes, vous en avez trop; mais vous avez signé un contrat, nous l’interprétons au pied de la lettre, comme il convient. Vous nous avez fait descendre de nos nuages, nous avons pris terre; nous nous en tiendrons avec vous à une politique de légiste ou de procureur. »

Ce n’est pas seulement en France que le traité de Prague a dérangé les idéologues et fait tort aux doctrines. L’Allemagne aussi est désorientée; son ciel est vide, elle n’y trouve plus d’étoile qui lui marque son chemin. L’histoire a ses cruautés. Il arrive souvent que les peuples nourrissent pendant de longues années certaines aspirations dont ils se font comme une idole ; ils attendent, ils espèrent, et quand leur rêve s’accomplit enfin, l’idée qu’ils aimaient se montre à eux sous des traits grimaçans et difformes; ce n’est plus elle, c’en est la parodie ou la caricature. Les Allemands appelaient de leurs vœux une nouvelle Allemagne, forte et libre à la fois; en 1848, ils avaient cru la posséder, mais elle s’était refusée à leurs désirs. Ils n’avaient point perdu courage, ils comptaient sur leur fortune; qu’ils étaient loin de s’attendre à ses trahisons ! Cette unité, après laquelle ils soupiraient, leur apparaît aujourd’hui incarnée dans un gouvernement militaire qui, tel qu’il est, n’a rien à leur donner que le service universel, un nouveau fusil et la manière de s’en servir.

Ce n’est pas tout. L’Allemand porte en lui deux instincts qui semblent contraires et qu’il sait accorder. Il joint au goût des théories, à la liberté souvent téméraire de la pensée, un grand respect, un pieux attachement pour les antiques maximes et pour les vieilles coutumes qui réglaient la vie de ses pères et qui règlent encore la sienne. C’est par quoi sa littérature ne ressemble à aucune autre. Elle ouvre à l’intelligence des horizons infinis, des échappées lumineuses à perte de vue, et l’on y respire cependant un esprit d’ordre quelquefois minutieux, je ne sais quoi de patriarcal et de casanier, l’amour des sentimens réguliers, des innocens souvenirs et des longues habitudes. Les poètes et les philosophes de l’Allemagne laissent leur pensée courir librement et déployer ses ailes dans l’espace; mais eux-mêmes sont assis et bien assis. Comme les Kant et les Hegel, les Schiller et les Goethe sont des bourgeois olympiens. En politique aussi, l’Allemand se complaît aux systèmes, aux spéculations, ce qui ne l’empêche pas d’avoir la religion du passé, de l’histoire. Dans aucun autre pays, le sentiment, non de la justice, mais du droit traditionnel, n’était si vivace ni si profond. Et voici qu’un monarque de droit divin, invoquant le principe jacobin de la raison d’état et du salut public, a brisé sans scrupule trois couronnes légitimes ! Le roi Guillaume y a-t-il bien songé? n’a-t-il pas craint de porter atteinte à ce culte de la légitimité qui était le principal rempart de l’Allemagne contre la révolution? Quel exemple il a donné ! quelles réflexions dangereuses il a fait faire ! Au point de vue du droit, il n’y a pas de grandes et de petites couronnes, elles ont toutes le même poids, et l’or en est au même titre. La Prusse était un gouvernement fondé sur le respect; mais on n’est respecté qu’à la condition d’être fidèle à son principe et de le respecter dans autrui. Ces couronnes brisées en mettent d’autres en péril; ces poussières parlent et prophétisent. La main qui a frappé ce grand coup n’a-t-elle éprouvé ni frémissement ni remords? Les anciens croyaient à Némésis, déesse des représailles; il est permis aux modernes de croire que les principes se vengent et qu’il est des souvenirs funestes. Dans les cœurs allemands, le respect est en baisse : l’Allemagne a vu ce qu’elle pensait ne voir jamais, quelque chose d’étrange et de peu séduisant, — le droit divin devenu révolutionnaire et la révolution sans la liberté.

C’est en Prusse surtout que le traité de Prague a porté le trouble dans les idées, la confusion dans les partis, et produit une situation qui ne saurait être durable. Pendant les quarante premières années de ce siècle, la Prusse, sans avoir une constitution, jouissait d’une assiette solide, de cette liberté de fait que créent les contre-poids et les garanties tacites, de ces franchises de l’esprit que protège un gouvernement éclairé. Père de ses peuples, le roi de Prusse était aussi leur chef militaire et leur évêque; mais sa puissance était limitée par les prérogatives de la noblesse, par les privilèges octroyés aux villes, par les droits des corporations bourgeoises et industrielles; son pouvoir épiscopal était balancé par cette liberté philosophique qui a fait la grandeur de Berlin, et l’on voyait une maison croyante favoriser l’autonomie de la science et de la raison. La Prusse était une grande famille sagement et équitablement gouvernée; elle possédait à sa manière ce bonheur politique qui, selon le mot d’un publiciste, « est le fils de la paix, de la tranquillité, des mœurs, du respect, des anciennes maximes du gouvernement et de ces coutumes vénérables qui tournent les lois en habitudes et l’obéissance en instinct. » La révolution avortée de 1848 troubla cet équilibre. Contrainte à des concessions qui lui pesaient, anxieuse, voyant l’avenir en noir, la royauté prussienne se tint sur le qui-vive, sur le pied de guerre. Ce qu’elle avait jusqu’alors toléré ou protégé lui devint suspect; elle fit de la conservation à outrance, et s’appuyant fortement sur ces deux grands étais d’une monarchie menacée, l’armée et le clergé, elle engagea une lutte sourde avec la constitution qu’elle s’était laissé imposer. Les débats suscités par la réforme militaire transformèrent cette lutte sourde en un conflit déclaré. C’était une situation gâtée; cependant c’était encore une situation nette et franche. Le gouvernement avait contre lui les libéraux, qui étaient de vrais libéraux; il avait pour lui la chambre des seigneurs et tout ce grand parti conservateur que nous avons essayé de dépeindre, et qui met au service de son roi, de ses privilèges, de ses préjugés d’un autre âge, l’autorité que donnent des convictions fortes, la vigueur du caractère et un dévoûment actif ta la chose publique.

La guerre de 1866 et ses conséquences ont tout changé. La Prusse est en proie aux incertitudes; toutes les doctrines y sont vacillantes, tous les intérêts y sont inquiets et soucieux. Les événemens ont déchiré le parti libéral, rejetant à gauche les progressistes, qui estiment que la liberté est le premier des biens et que rien n’en peut tenir lieu, à droite les nationaux, qui professent que, si le bonheur est la liberté, il est des consolations plus précieuses encore que le bonheur. Conséquence plus grave, le gouvernement a perdu ses alliés naturels, il n’a plus personne derrière lui. Sa conduite inspire à ses vieux amis du parti conservateur d’invincibles appréhensions, d’insurmontables défiances. Leur royalisme ne se croit point tenu d’approuver indistinctement tout ce que fait leur roi. La royauté qu’ils vénèrent et pour laquelle ils ont livré de si rudes combats, c’est une monarchie par la grâce de Dieu, légitimiste et féodale, « dans laquelle on ne saurait trouver le plus petit grain des idées de 1789, de 1848, de 1866, » une couronne jalouse de ses droits, esclave de ses devoirs et de sa parole, qui honore la chambre des seigneurs « comme un époux honore son épouse légitime, » et qui consulte la chambre des députés « comme un père consulte ses fils devenus majeurs. » Cette royauté, et nulle autre, représente la Prusse qu’ils aiment, leur vieille Prusse élevée et dressée par ses souverains et par ses malheurs, avec ses souvenirs, ses lois particulières, sa hiérarchie, ses corporations, l’antique constitution de ses villes et de ses villages. La politique que suit leur roi depuis 1866 froisse tous leurs sentimens, heurte toutes leurs idées. Ils ne peuvent admettre que la Prusse répudie son caractère et ses traditions pour s’unir à l’Allemagne et la conquérir subrepticement; c’est à leurs yeux un commerce illicite, une sorte d’adultère politique. L’éloquent pamphlétaire[2] qui s’est chargé d’exprimer leurs chagrins et leurs anxiétés déclare qu’il veut vivre et mourir à l’ombre du vieux drapeau blanc et noir, que la Prusse est la Prusse et ne doit pas être autre chose, qu’elle a été créée de toutes pièces par des princes qui n’avaient cure de l’unité allemande, qu’elle est faite pour protéger l’Allemagne, non pour se confondre avec elle, que cette confusion leur serait fatale à l’une et à l’autre et les perdrait. Aussi ne croit-il pas à l’avenir de la confédération du nord; il lui prédit de courtes et fâcheuses destinées. Un gouvernement joue gros jeu quand il inquiète et aliène ses amis sans pouvoir s’en faire de nouveaux, et le gouvernement prussien mécontente les conservateurs par des changemens qui les menacent, sans réussir à se concilier les libéraux, auxquels il refuse les garanties constitutionnelles.

Ce qui atténue le vice et la gravité de cette situation, c’est que la Prusse a le bonheur de posséder l’un de ces hommes qui dominent les circonstances et qui remplacent pour un temps les institutions. Les partis prussiens offrent, dans leurs rapports avec M. de Bismarck, un spectacle qui touche par instant à la haute comédie : ce ne sont que chamailleries, reproches aigres, récriminations amères, puis des rapatriemens, des réconciliations, des baisers de paix bientôt suivis de nouvelles brouilleries. Tantôt les conservateurs rompent en visière au grand-chancelier, et les feuilles nationales chantent victoire et se pavoisent; le lendemain, elles murmurent, elles gémissent, elles ont essuyé quelque mécompte ou quelque avanie, et c’est au tour des conservateurs de triompher. Quant à lui, ce jeu le fatigue, mais ne laisse pas de lui plaire; il se tire de ces imbroglios en citant son Shakspeare, le poète de la passion fiévreuse et de l’ironique fantaisie. Parfois il se fâche, il menace; il dit à ses anciens amis : « Nous pourrions bien nous devenir si étrangers les uns aux autres que nous ne nous reverrions plus. « Avec les nationaux, il le prend sur un ton moins grave, il les traite en écoliers mutins : « qui d’entre vous, leur demande-t-il, se chargera d’être chancelier à ma place? » Et ce mot termine tout. Le secret de sa puissance, c’est qu’il est nécessaire à tous les partis, les conservateurs craignant que, s’il succombe, il ne les enveloppe dans sa ruine, les nationaux jugeant que lui seul est capable de parachever le grand œuvre, de guider à travers les récifs, les bas-fonds et les orages la barque qui porte le césar allemand et sa fortune.

Il n’en est pas moins vrai que le gouvernement prussien est comme suspendu dans le vide; il n’a pas réussi à former un parti ministériel. Vivant au jour le jour, il en est réduit à une politique, non de conciliation, mais de bascule. M. de Bismarck a son but et son outil; mais il est à lui-même son seul ouvrier, et son œuvre est de longue haleine. Il sait très bien que les agrandissemens qu’il a procurés à son pays et ceux qu’il lui promet encore lui imposent des conditions nouvelles d’existence. Peut-être, s’il s’écoutait, refondrait-il hardiment toutes les institutions civiles et religieuses, il les remettrait au creuset, il infuserait du sang américain dans les veines de la vieille Prusse étonnée; mais une volonté supérieure à la sienne le lui interdit. Aussi bien il faudrait s’appuyer sur la liberté, et il n’en veut pas; il ne peut non plus toucher à l’arche sainte de l’armée; il importe à ses desseins que la Prusse ait la libre disposition de son épée et un budget militaire qui ne dépende point des votations d’un parlement. Il se voit ainsi contraint à conserver beaucoup de choses qui désagréent à son libre génie; il ne fait pas assez de changemens pour satisfaire les uns, il en fait trop pour ne pas alarmer les autres. Cet homme qui dans sa politique étrangère procède par surprises, par grands coups, au dedans est condamné à un éclectisme timide, aux demi-mesures, à la demi-révolution et à la demi-conservation. Il est obligé de respecter les gros murs ; mais, s’il n’a garde de tout renverser, il ébranle tout. — M. de Bismarck, disait un Prussien, aura passé au milieu de nous comme un redoutable météore. Ses créations ne sont que des expédiens provisoires, mais ses désorganisations dureront. Il nous laissera tout à la fois agrandis et détruits, ne sachant à quoi nous prendre, avec des institutions ruinées, l’armée seule debout.

Il y a quelques années encore, la Prusse était un pays remarquable et original; en attendant mieux, elle est aujourd’hui un pays étonnant, qui ne représente plus rien, mais qui possède, un homme qui lui tient lieu de tout. Par malheur, les hommes nécessaires ne sont pas immortels. Si celui-ci venait à manquer, Berlin serait le théâtre d’une crise plus grave et plus orageuse que celles qui agitent la France et l’Autriche. On peut dire de l’héritage du grand Frédéric ce que Wellington disait jadis de l’Espagne : « on travaille à détruire dans ce pays-là tous les vieux moyens de gouvernement, et on ne les remplace par aucun autre. »


IV.

C’est une chose bien hasardeuse que les futuritions. Il faut en croire le vainqueur de Rossbach. «Que sont les projets des hommes? a-t-il dit. L’avenir leur est caché; ils ignorent ce qui doit arriver demain; comment pourraient-ils prévoir les événemens que l’enchaînement des causes secondes amènera dans six mois? » Il disait encore : « Le monde ne se gouverne que par compère et par commère. Quelquefois, quand on a assez de données, on devine l’avenir; souvent on s’y trompe. » Il en concluait qu’il est bon de se défier de soi el de compter avec les caprices « de sa sacrée majesté le hasard. »

il est cependant des probabilités qui équivalent à des certitudes. On peut affirmer, par exemple, qu’une situation qui ne satisfait personne, ni les intérêts ni la logique, a peu de chances de se perpétuer. On peut affirmer aussi que la clé ou le nœud des affaires d’Allemagne est à Berlin, qu’il dépend de la Prusse de modifier entièrement l’état de la question allemande. Si Berlin venait à changer, tout changerait. Berlin changera-t-il? Il lui est impossible de ne pas changer. Quand changera-t-il? Ceci est du ressort de sa majesté le hasard.

Les vrais libéraux prussiens, dont nous avons parlé plus d’une fois, groupe d’excellens esprits, intelligente! galerie qui assiste aux événemens sans y prendre part, et qu’on traite de boudeurs ou de frondeurs parce; que Sadowa ne les a pas grisés et qu’ils sont réfléchis et clairvoyans, se préoccupent de l’avenir que l’homme nécessaire prépare à leur pays. Ils sentent tout ce qu’il y a d’irrégulier, de menaçant dans la situation présente, les contradictions où l’on s’est engagé, l’impossibilité d’étendre à toute l’Allemagne un régime de haute pression, qui n’assure de garanties sérieuses ni à la souveraineté des états, ni à la liberté. Ils tiennent pour maxime qu’il faudra se résoudre à faire le choix qu’on n’a pas voulu faire à Nikolsbourg, à savoir, détacher nettement la Prusse de l’Allemagne, garder sous sa main les petits états qui sont dans la dépendance naturelle de Berlin et laisser à lui-même le reste en l’aidant à s’organiser, — ou bien défaire en partie l’œuvre et la constitution de M. de Bismarck, renoncer à la dictature et se placer à la tête d’une Allemagne réunie sous des institutions libres et vraiment fédératives.

On assure que ce dernier choix est en faveur dans l’entourage de celui qui héritera un jour de la couronne de Prusse et que lui-même y incline. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la droiture de son esprit et de ses intentions, la générosité de son caractère, ont inspiré de chaudes espérances au libéralisme prussien. Quelqu’un a dit de lui : « C’est un Hohenzollern, mais un Hohenzollern qui se cherche et qui se trouvera. » En se cherchant, il a rencontré son siècle et il a fait connaissance avec lui. Berlin, en 1857, célébra son mariage comme un événement propice, comme un favorable augure. Ce mariage amenait en Prusse une princesse qui joint aux grâces de la femme une âme forte, une intelligence élevée, et la Prusse n’ignore point que dans ce sage pays d’Angleterre, — où la liberté est non une fièvre intermittente, mais le battement régulier d’un pouls ferme et bien portant, — les princesses royales sucent avec le lait de leur nourrice le respect des idées constitutionnelles. Dans un certain monde, on reprochait autrefois au prince royal de Prusse de ne pas porter aux choses militaires cet intérêt exclusif ou dominant qu’on attend d’un Hohenzollern ; son esprit chercheur était occupé d’autres questions. Depuis la guerre de 1866, on ne saurait l’accuser de n’être pas un soldat ; le courage brillant qu’il y a déployé, l’importance du commandement qui lui était confié, son arrivée opportune et décisive sur le champ de bataille de Kœniggraetz, tout le dispense de démontrer qu’il sait la guerre, et qu’il est capable de l’aimer. Il pourra impunément donner des gages à la paix et à la liberté ; la Prusse lui en saura gré comme l’Europe. Nous avons rapporté ce que disent les sceptiques : « ne changera-t-il pas d’idée ? trouvera-t-il des hommes ? peut-on défaire ce qui s’est fait ? » Il est aussi téméraire de trop douter que de trop croire ; mais supposez qu’un jour la Prusse se mît à parler un langage libéral et pacifique, qu’elle se montrât disposée à rétablir le concert européen, — supposez qu’appuyant ses paroles par des actes, on la vît réparer son odieuse injustice envers le Danemark en réglant avec lui la question du Slesvig, entreprendre courageusement la réforme de la constitution fédérale, remanier ses lois, et, pour commencer, soumettre ses tribunaux militaires au régime de la publicité, cette sauvegarde de la justice[3], les sentimens des peuples et des gouvernemens ne tarderaient pas à changer. La question allemande prendrait une face nouvelle, et les nouvelles questions demandent de nouvelles solutions.

C’est un long chapitre que celui des futurs contingens. Puisse l’Europe les attendre en paix, c’est-à-dire dans le statu quo ! Aujourd’hui la Prusse est un homme, et l’on sait que cet homme a de bonnes raisons pour être pacifique; mais on sait aussi que, son parti fùt-il pris là-dessus, il devrait se garder le secret, et qu’à ceux qui lui demandent ou la liberté ou l’Allemagne, il ne peut répondre : « Vous n’aurez ni l’une ni l’autre. » Quelques-uns de ses ennemis se plaisent à dire que son sac est vide, qu’il a osé tout ce qu’il est capable d’oser. Propos imprudens et légers ! M. de Bismarck se plaignait récemment au Reichstag que les hommes de ce siècle sont prompts à censurer autrui, mais qu’ils craignent d’agir et d’avoir des comptes à rendre, que la peur des responsabilités est la grande maladie de notre époque de critique et d’impuissance. A coup sûr, c’est une contagion qu’il n’a pas subie. Il est peu d’hommes dans l’histoire qui aient tant pris sur eux, qui aient consenti à répondre de tant de choses devant leurs contemporains et devant la postérité; mais ses audaces ont pour contre-poids une merveilleuse intelligence politique. Il voit clair dans les situations, il sait tout ce qu’elles permettent, et l’événement a justifié ses apparentes témérités. On lui peut appliquer le mot de Polonius : il a de la méthode dans sa folie. Sadowa en fait foi. Au XVIIe siècle, les Turcs étaient de grands maîtres en diplomatie, et le chevalier Quirini, baile de Venise à Constantinople, les admirait fort. Il avait remarqué que leur politique n’était point renfermée en des maximes et des règles, qu’elle consistait toute dans le bon sens, que cette politique, qui n’avait ni principes ni théories, était comme inaccessible, — et il avouait de bonne foi « que la conduite du vizir Achmed-Pacha était un abîme pour lui. » — Ce grand-vizir, ajoute Chardin, qui nous a rapporté ce jugement, avait un esprit étendu, pénétrant, ouvert; il allait droit aux choses. Qui a-t-il peint par ce mot, Achmed-Pacha ou M. de Bismarck ?

« Je n’irai pas chercher les Allemands du sud, disait un jour à un diplomate le chancelier de la confédération du nord; mais, s’ils viennent à moi, je les recevrai, dussé-je me mettre toute l’Europe sur les bras! » C’est à peu près ce qu’il a répété devant le Reichstag dans la séance du 24 février dernier. Interpellé à l’improviste par l’un de ces impatiens qui demandent l’accession immédiate de Baden, par l’un de ces imprudens dont on a dit qu’ils mettraient le feu à deux maisons pour se faire cuire deux œufs, que lui a-t-il répondu? A-t-il allégué le traité de Prague? Il n’aurait garde. Il s’est contenté de déclarer que, dans l’intérêt même de l’unité allemande, i! importait d’avoir patience et de ne point ressembler à ce personnage de comédie qui, après avoir tué une douzaine d’Ecossais, se plaignait de son désœuvrement, trouvait la vie monotone et ennuyeuse. Il a représenté au Reichstag qu’il est de mauvaise politique « d’écrémer le pot au lait et de laisser s’aigrir le reste, » que dans l’état des choses Baden était à même d’exercer une heureuse influence sur ses voisins et de rendre des services dans toutes les affaires que les états du sud peuvent avoir à traiter soit entre eux, soit avec la confédération du nord, — ce qui revient à dire qu’on est bien aise de se servir de Baden pour avoir des nouvelles et pour donner des conseils. M. de Bismarck est convenu que la Bavière et le Wurtemberg n’exécutaient pas leur réforme militaire avec tout l’empressement désirable, et qu’il était à croire que leur zèle se ralentirait d’autant plus que les vents d’ouest leur paraîtraient moins menaçans; mais il a déclaré nettement que l’union de l’Allemagne devait s’accomplir sans menace, sans pression, et que, plutôt que d’employer la contrainte, « il préférerait attendre tout le temps qui s’écoule d’une génération à l’autre. » Que faut-il inférer de cet éloquent discours, assaisonné d’une agréable ironie? Pour emprunter un mot que le concile a mis en circulation, M. de Bismarck est opportuniste, et ce fut probablement en son temps la politique d’ Achmed-Pacha.

Ce n’est pas sans raison que l’Europe suit d’un œil attentif ce qui se passe à Munich et à Stuttgart. La paix et la guerre dépendent des états du sud. Le traité de Prague les a investis d’une périlleuse dignité, il a mis dans leurs mains les plus graves intérêts. Leurs gouvernemens l’ont senti dès la première heure; ils ont été avisés et prudens, à quoi les a aidés le bon sens des populations. Après tout, ils ont traversé les années difficiles, ils ont eu le temps de s’accoutumera ce qu’avait d’étrange leur nouvelle situation. « Nous commençons à nous reconnaître et à nous asseoir, » disait un de leurs ministres dirigeans. Ce qui peut rassurer l’Europe, c’est que les intérêts allemands sont d’accord avec les siens. Si les états du sud, dans un aveugle entraînement, avaient consenti à se donner sans conditions, c’en était fait de l’avenir de l’Allemagne. En supposant qu’il se fût trouvé une majorité pour solliciter l’accession du Wurtemberg et de la Bavière à la confédération du nord, les opposans seraient encore si nombreux et si redoutables que la Prusse, pour garder le midi, devrait le tenir pendant un demi-siècle sous le régime du sabre. Triste résultat et pour l’Allemagne, et pour l’Europe, et pour la Prusse elle-même ! Les gouvernemens du sud ont compris qu’ils ne peuvent entrer en arrangement qu’avec une Prusse libérale et disposée à respecter la liberté d’autrui, que leur rôle est d’attendre et d’encourager par leur attitude les résipiscences de Berlin. Que deviendrait la patrie des grands penseurs et des consciences hardies, si elle se résignait à faire litière de ses franchises et des droits de souveraineté de ses états ? Nous trouvons dans un livre plein de vérités neuves et exquises sur le génie de la Grèce antique[4] les lignes que voici : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tout ayant en Grèce les proportions municipales, rien n’y était municipal par le fond et par la manière de voir. Le plus petit bourg se sentait un peuple. La Grèce n’était pas une grande nationalité compacte, enserrant une foule de petites villes bornées dans leurs vues, mesquines dans leurs passions. C’était plutôt une grande famille disséminée, enveloppant et reliant par l’unité de langue une foule d’états complets. » Aucune nation moderne ne s’est plus rapprochée que l’Allemagne de cette constitution de l’ancienne Grèce, et l’Allemagne représente en ce siècle deux grandes choses, l’instruction populaire et la liberté intellectuelle. Quiconque la connaît sait qu’elle a beaucoup à perdre. Puisse-t-elle ne pas lâcher la proie pour l’ombre ! Que lui parle-t-on des vents de l’ouest, qui, grâce à Dieu, sont rentrés dans l’outre ? Si les vents du nord lui apportaient le despotisme militaire, ils la dessécheraient jusqu’à la moelle des os.

Mais ce n’est pas seulement de leur avenir et des destins de l’Allemagne que répondent en ce moment le Wurtemberg et la Bavière. Le sort de tous les petits états de l’Europe est attaché et comme suspendu au leur. Si le rêve du parti s’accomplissait, si Baden devenait un grand Waldeck, si Munich et Stuttgart étaient convertis un jour en préfectures prussiennes, les voisins de l’Allemagne, coûte que coûte, prendraient leurs sûretés, et l’on verrait se réaliser cette politique des grandes agglomérations, qui nous a été proposée comme un idéal, et qui serait un recul et un péril. Il est naturel assurément de souhaiter l’union toujours plus intime des peuples, l’abaissement des frontières, la facilité croissante des transactions, l’unité des poids, des mesures et des monnaies, l’émancipation des marchandises, l’échange plus fréquent et plus rapide des inventions et des idées; mais c’est aussi le caractère original de l’Europe moderne que, partagée en un grand nombre d’états indépendans, on y voit une civilisation générale et commune affecter les formes les plus variées. Elle mérite cet éloge qui a été fait de la Grèce de Périclès : « son génie avait la féconde chaleur qui sort de foyers multiples, la majesté d’une seule grande flamme battant de l’aile à découvert. » Unité, multitude, disait Pascal en parlant de l’église, et il traitait de confusion la multitude qui ne se réduit pas à l’unité, de tyrannie l’unité qui ne dépend pas de la multitude.

Les petits états ont beaucoup fait jadis pour la civilisation et le progrès; ceux qui subsistent encore auraient mauvaise grâce à se rappeler trop leur passé, à nourrir des prétentions égales à la grandeur de leurs souvenirs; mais ils ne sont pas au bout de leur rôle. En vérité, l’Europe gagnerait-elle beaucoup si l’on supprimait d’un trait de plume, avec Baden, le Wurtemberg et la Bavière, la Belgique, la Hollande, le Danemark, la Suisse? Ces pays ne lui donnent-ils rien et n’a-t-elle rien à apprendre d’eux? Sa paix intérieure sera-t-elle plus affermie quand elle ne comptera dans son sein que quatre ou cinq empires se touchant coude à coude et n’ayant plus de neutres à ménager? Sa politique sera-t-elle plus humaine ou plus barbare quand elle n’aura plus à exercer cette vertu suprême des grandes nations, la générosité dans l’emploi de la force, les égards pour les faibles et le respect des petites légitimités? Dans un temps où les peuples, devenus exigeans, donnent la première place à l’épineuse question du bonheur, n’est-il pas désirable qu’on puisse juger à l’œuvre et comparer entre elles les pratiques diverses et les diverses solutions? Aujourd’hui que la liberté est un besoin universel et que le va-et-vient des événemens la condamne dans les grands pays à une existence incertaine ou à de redoutables éclipses, n’est-il pas heureux qu’elle possède un asile assuré chez les petits peuples, qui ne s’en peuvent passer? Ils en vivent, et rien ne les dédommage de sa perte. — C’est là le point, nous disait récemment l’un des hommes d’état de l’Allemagne du sud. A l’Europe de savoir si elle peut sans inconvénient pour elle-même sacrifier les états secondaires et tertiaires. S’accordera-t-elle à les exproprier pour cause d’utilité publique? Ou lui semble-t-il avantageux de les conserver, royaumes, principautés ou républiques, parce qu’ils sont à la fois des coussinets de sûreté dans le grand jeu de la machine européenne, des laboratoires politiques et sociaux dans un temps d’inquiétudes, de recherches, d’essais et d’expériences?


VICTOR CHERBULIEZ.

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1870.
  2. Deutschland um Neujahr 1870, vom Verfasser der Rundschauen, Berlin 1870.
  3. Dans le courant de l’été 1869, un lieutenant de l’armée prussienne s’est pris de paroles pour un motif futile avec un employé de chemin de fer et l’a tué raide d’un coup d’épée. Il a été jugé secrètement par un tribunal militaire, la sentence a été secrètement révisée ou confirmée par le roi. On sait que le condamné doit passer quelques mois ou quelques années dans une forteresse; mais on ne sait comment le tribunal a qualifié son action, ni ce que porte l’arrêt, ni à quoi se monte la peine. Le docteur Gneist a-t-il tort de prétendre que l’armée forme en Prusse un état dans l’état?
  4. Philosophie de l’architecture en Grèce, p. 14, par Émile Boutmy, professeur à l’école spéciale d’architecture, Paris 1870.