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VII


CHASSE AU YACK


Avant de commencer le grand travail de réparation, Alban jugea que deux choses étaient indispensables : d’abord, expédier des messages qui laissassent aux naufragés – car Alban et ses compagnons étaient bien de véritables naufragés, jetés par le flot atmosphérique sur ce plateau désolé – une chance de donner, s’il était possible, des nouvelles de leur situation au monde civilisé.

Alban avait bien, d’abord, pensé à se servir d’oiseaux ; mais toutes les espèces qui vivaient sur le plateau étaient d’un vol lent et lourd. Gallinacés et passereaux ne s’élèvent guère qu’à quelques mètres de terre, et auraient été incapables de porter, aussi loin qu’en Europe, la lettre attachée à leurs ailes.

Les rapaces de haut vol, aigles ou vautours, qui planaient souvent au-dessus de la muraille de rochers, étaient inabordables. Alban dut chercher un autre moyen.

Il crut l’avoir trouvé.

De même que tous les ruisseaux du plateau venaient aboutir au torrent central, celui-ci devait aller se jeter dans un des grands fleuves de la Chine ou de l’Inde.

Il n’y avait donc qu’à expédier le message par voie fluviale.

Une trentaine de missives, contenant des renseignements aussi exacts que possible sur la situation des voyageurs, furent donc recopiés par Ludovic, puis enfermés dans de petits flacons vides qui furent soigneusement bouchés.

Chacun de ces flacons fut introduit entre deux gros morceaux de bois, évidés de façon à former, en se rapprochant, une espèce de boîte.

Pour plus de précaution, les morceaux de bois furent reliés avec du fil de fer, de façon à ne pouvoir être disjoints par un choc contre les rochers, dans le lit des torrents qu’ils auraient à traverser.

Une fois les trente bouées complètement prêtes, elles furent apportées au pied du versant extrême du plateau, à l’endroit même où le petit fleuve central tombait du rocher en formant une imposante cataracte.

Pour augmenter les chances de succès de l’entreprise, en ne plaçant pas toutes les bouées dans les mêmes conditions, elles ne furent lancées dans le gouffre, d’où s’élevait un arc-en-ciel de vapeur, que les unes après les autres, en laissant, entre le lancement de chacune d’elles un espace de temps assez considérable.

Tous accompagnèrent de leurs vœux ces fragiles esquifs qui allaient peut-être porter de leurs nouvelles à leurs parents et à leurs amis, lesquels s’empresseraient certainement d’organiser une expédition pour venir à leur secours.

Les enfants ne doutaient pas un seul instant que leurs messages n’arrivassent dans quelque grande ville de l’Hindoustan où, comme le coffre qui renfermait l’épouse d’Haroun-al-Raschid, ils seraient arrêtés dans les filets de quelque pêcheur mahométan, qui les porterait au gouverneur de la ville.

Le gouverneur appellerait ses interprètes et ses vizirs, la bouteille serait solennellement débouchée, le document traduit, puis porté au consul de France, qui s’empresserait de télégraphier au docteur Rabican.

Alban voyait les choses avec beaucoup moins d’enthousiasme.

– Ce que vous espérez peut arriver, dit-il, surtout si notre torrent rejoint un des affluents de l’Indus ou du Gange. Dans les contrées arrosées par ces fleuves, les Européens sont en grand nombre. Si, au contraire, ce qui est fort possible, nos flotteurs suivent l’autre versant et sont entraînés du côté de la Chine, nous nous serons donnés une peine inutile. Les Chinois sont, en général, d’un caractère trop égoïste, trop ennemi des Européens, pour perdre une heure de leur temps en faveur de ceux qu’ils appellent : « les diables d’Occident ».

– Tu oublies, dit Mme Ismérie, qu’en Chine notre bouée peut encore tomber entre les mains des missionnaires européens, catholiques ou protestants, qui la feraient certainement parvenir à destination.

– C’est vrai, répondit Alban ; mais les missionnaires sont bien peu nombreux. Le plus sûr est encore, je crois, de ne compter que sur nous-mêmes, d’agir comme si nous n’attendions aucun secours. Tout le monde fut de l’avis d’Alban ; et, suivant ses instructions, il fut résolu que l’on s’occuperait maintenant et avant tout, d’une façon sérieuse, de la question des approvisionnements.

– Il faut, dit Alban, que lorsque nous aurons commencé les travaux de réparation de l’aérosca-phe, nous ne soyons pas interrompus par le manque de vivres. C’est une difficulté qui doit être résolue une fois pour toutes. Nous n’aurons sans doute pas terminé nos travaux avant l’approche de l’hiver, qui doit être terrible dans ces contrées ; et pendant lequel il nous sera à peu près impossible de chasser ou de pêcher.

On se mit donc au travail… D’abord un vivier fut creusé dans le voisinage de l’aéroscaphe. C’était une sorte de fossé très long, et peu profond, dont les parois furent revêtues de larges pierres plates, et qui fut divisé en plusieurs compartiments communiquant entre eux par d’étroites ouvertures. De cette façon, en effrayant les poissons, il était facile de les chasser jusqu’au dernier compartiment, qui était le plus étroit et le moins profond, et de les prendre à la main.

Le cours d’un petit ruisseau fut détourné ; et le vivier, bientôt, fut largement approvisionné de saumons et de truites.

C’était déjà une première ressource ; mais on ne pouvait pas manger que du poisson.

Restait le gibier.

Mme Ismérie regrettait que l’on n’eût pas d’oiseaux vivants ; mais Alban lui fit observer qu’en admettant que l’on eût pu en prendre, ce qui était assez facile, on se fut trouvé dans l’impossibilité de les nourrir, puisque l’on ne possédait aucune espèce de grains.

– J’ai une idée beaucoup plus raisonnable, dit Alban. Dans toute la partie est, que nous n’avons qu’incomplètement visitée, lors de notre première exploration, il y a des troupeaux de yacks et de superbes prairies. L’avenir de notre petite colonie sera absolument assuré, le jour où nous aurons réussi à les tuer ou à les domestiquer.

– Nous aurons un troupeau ! s’écria Mme Ismérie avec enthousiasme.

– Nous prendrons du lait chaud, le matin, dit Armandine.

– Et des rosbifs saignants à midi, ajouta Ludovic.

Alban n’eut pas le courage de leur enlever ces illusions, ni de leur faire prudemment remarquer qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours, ni même celle du yack, avant de l’avoir tué ; et l’on s’occupa des préparatifs de la chasse avec une ardeur fébrile.

Ludovic proposait de creuser des fosses recouvertes de branchages et d’un peu de terre, comme cela se pratique pour chasser les éléphants. Alban trouva le procédé trop lent et trop hasardeux.

– Voilà, dit-il, une manière de chasser bonne, tout au plus, pour des sauvages. N’avons-nous pas l’électricité qui, comme une fée bienfaisante, pourvoira à notre nourriture, comme elle a déjà pourvu à notre chauffage, à notre éclairage, et à notre transport à travers les airs ?

Les préparatifs de l’expédition furent vite terminés.

Alban aiguisa deux tringles d’aluminium, de façon à en faire deux javelots très aigus.

L’extrémité opposée à la pointe fut munie d’un anneau métallique, auquel devait être attaché le fil conducteur de l’électricité.

Trois accumulateurs, fortement chargés, furent ensuite transportés sur la lisière du bois qui avoisinait la prairie.

Pour préserver ces délicats appareils, Alban les avait entourés d’une petite palissade assez forte et assez haute pour ne pouvoir être franchie par la troupe furieuse des animaux.

Alban ne se dissimulait pas que cette chasse n’était pas sans danger : le yack est beaucoup plus féroce et beaucoup plus vigoureux que le taureau d’Europe ; un coup de corne ou de sabot est vite reçu.

Cette considération décida Alban Molifer à défendre à Ludovic de l’accompagner.

– Je suis responsable de votre personne, déclara-t-il. Ici, je remplace votre père ; et comme tel, je trouve fort imprudent que vous veniez avec moi. Vous resterez à l’aéroscaphe avec Ismérie et Armandine.

Cet arrangement ne faisait pas le compte de Ludovic. Il cria, pleura, tempêta, protesta de sa prudence et de son sang-froid, et fit si bien qu’Alban se laissa fléchir.

– Je vous permets de me suivre, dit-il enfin, mais à la condition expresse que vous m’obéirez exactement et que vous règlerez tous vos mouvements sur les miens.

Ludovic promit tout ce qu’on voulut ; et les chasseurs se mirent en route, laissant Armandine et Mme Ismérie remplies d’inquiétude.

On arriva à l’endroit où se trouvaient les accumulateurs. Alban s’assura de leur bon fonctionnement, assujettit le fil à l’anneau des javelines, et revêtit ses gants isolateurs.

Il s’agissait d’approcher sans bruit d’un des yacks et de le foudroyer.

Ludovic s’installa derrière la palissade qui protégeait les accumulateurs, pour se tenir prêt à lancer le courant à l’instant précis ou la javeline d’Alban toucherait l’animal.

Se glissant avec prudence entre les arbres, Alban, qui avait eu soin de se placer contre le vent pour que sa présence ne fût pas reconnue par le troupeau, jeta son dévolu sur trois animaux qui paissaient un peu à l’écart des autres.

Il en était à quelques mètres, lorsque ceux-ci, flairant un péril, se dressèrent de l’herbe épaisse où ils étaient vautrés, et commencèrent à pousser des beuglements d’inquiétude.

Rapide comme l’éclair, Alban se démasqua, et planta son javelot dans l’épaule de l’un des animaux avec autant d’adresse et de sang-froid qu’eût pu le faire un toréador de profession.

L’animal, un superbe yack femelle, fit retentir un épouvantable meuglement et tomba sur les genoux. Les deux autres s’étaient enfuis vers le gros du troupeau, en faisant trembler la terre sous leur galop désordonné.

Alban s’était approché et avait retiré son javelot, lorsque la bête, que le choc du courant n’avait point tuée, se releva, et furieuse, les yeux injectés de sang, les cornes basses, fonça sur l’aéronaute qui se mit à fuir éperdument, en faisant des crochets pour ne pas être transpercé par les cornes effilées qu’il voyait à quelques mètres de lui.

Pendant cette poursuite, qui dura deux minutes, longues comme des siècles, Alban s’était rapproché des accumulateurs.

Il aperçut Ludovic qui, pâle, mais résolu, se précipitait à son secours, armé du second javelot.

L’aéronaute sentit ses tempes s’emperler d’une sueur froide, et ses cheveux se dresser d’horreur.

L’enfant n’avait pas compris que la décharge électrique avait été insuffisante, et il abandonnait l’accumulateur, s’exposant et exposant Alban lui-même à une mort certaine.

– Le courant ! rugit-il désespérément. Augmentez la force du courant.

Cette exclamation faillit lui coûter cher.

Il sentit l’haleine brûlante du monstre effleurer son visage et n’eut que le temps de faire un bond de côté.

Ludovic avait compris !… Alban s’apprêta à percer une seconde fois le yack en se garant de ses attaques.

Mais l’animal, que la vue de son sang avait rendu furieux, fouillait la terre de ses cornes.

Alban poussa un cri.

Le yack, rencontrant à terre le fil conducteur qui traînait dans les herbes, l’avait entortillé autour de ses cornes et allait le rompre.

L’irrémédiable accident ne se produisit pas.

Au cri d’Alban avait répondu un meuglement caverneux et rauque.

Le yack, cette fois sérieusement atteint, s’était de nouveau affaissé sur les genoux et agonisait en beuglant lamentablement.

Alban mit fin à ses souffrances en lui enfonçant son javelot entre les deux yeux.

L’animal, après quelques convulsions suprêmes, demeura immobile.

Avec la rapidité d’un tourbillon, le restant du troupeau, affolé, s’était enfui dans la direction de la muraille de rochers.

Alban serra la main de Ludovic, plus mort que vif derrière sa palissade ; le courant électrique fut interrompu, et les deux chasseurs s’approchèrent du formidable gibier qu’ils venaient d’abattre.

C’était un yack femelle qui parut, en tout, semblable aux vaches d’Europe, sauf la forme de sa queue garnie de longs crins et à peu près pareille à une queue de cheval.

C’est avec la queue du yack que les potentats orientaux fabriquent la plupart de leurs chasse-mouches, et c’est avec les poils du même animal que les Chinois font des houppes pour décorer leurs bonnets d’été.

L’animal était d’un poids trop considérable pour que l’on pût songer à le transporter jusqu’à l’aéroscaphe. Alban résolut de le vider, de l’écorcher et de le dépecer sur place.

Les bras nus et le couteau à la main, il avait même commencé à inciser la peau, lorsque Ludovic poussa une exclamation de frayeur.

– Les yacks ! les yacks !…

Et il montra avec épouvante, à l’autre extrémité de la prairie, une ligne menaçante de cornes et de mufles baissés qui s’avançaient vers eux avec une effrayante rapidité.

Le péril était imminent. Sous le sabot des yacks, le sol durci résonnait.

Alban n’eut que le temps de courir avec Ludovic jusqu’à l’orée du bois, et de hisser l’enfant sur la plus grosse branche de l’arbre le plus proche. D’un simple tour de reins, l’ancien acrobate fut, à son tour, installé dans ce poste de sûreté d’où les chasseurs purent voir passer devant eux, comme une trombe, le troupeau effaré des yacks qui soufflaient et renâclaient à grand bruit, en brisant tout sur leur passage.

Alban s’applaudit alors de la précaution qu’il avait eue d’entourer les accumulateurs d’une palissade. Les appareils eussent été, sans cela, littéralement réduits en miettes.

Après avoir passé à côté de la palissade, les yacks continuèrent leur course folle, dans la direction de l’aéroscaphe. Une terrible crainte envahit alors l’âme d’Alban. Il descendit précipitamment de l’arbre, suivi de Ludovic.

– Ils se dirigent du côté de notre campement ! s’écriait Alban… Pourvu qu’Ismérie ou Armandine ne se trouvent pas dehors !…

Alban, brandissant un de ses javelots dont il avait brisé le fil, s’élançait à toute vitesse entre les arbres, laissant bien loin derrière lui Ludovic, qui courait de toutes ses forces, sans parvenir à le rejoindre.

Alban pénétra, hors de lui, dans la salle commune de l’aéroscaphe : il n’y trouva que Mme Ismérie.

– Où est Armandine ? demanda-t-il d’une voix que l’émotion faisait rauque et tremblante.

– Elle m’a demandé la permission d’aller pêcher au bord du lac, répondit Mme Ismérie, épouvantée à son tour du visage bouleversé de son mari… Mais, grands dieux, qu’y a-t-il donc ?

En deux mots, Alban mit au courant Mme Ismérie, et tous deux, bientôt rejoints par Ludovic, se précipitèrent dans la direction du lac.

À mi-chemin, ils rencontrèrent Armandine qui revenait, chargée d’un petit panier rempli de poissons.

– Je rentre, dit l’enfant, qu’Alban serrait sur son cœur et que Mme Ismérie embrassait éperdument : je rentre, parce que j’ai entendu, au loin, dans le bois, un bruit terrible. On eût dit que le tonnerre tombait…

On expliqua à Armandine ce qui s’était passé ; mais cet incident avait donné à réfléchir à Alban.

Toute la soirée il fut dominé par la préoccupation de trouver un moyen plus commode et moins dangereux de s’emparer des féroces ruminants dont les biftecks étaient indispensables à l’alimentation de la petite colonie.

Le problème d’ailleurs, pour Alban, n’était guère difficile à résoudre.

Il était sorti à son honneur de difficultés plus sérieuses que celle-là.

Voici le moyen auquel il finit par s’arrêter.

Un bouquet de sapins, suffisamment espacés entre eux, serait choisi, aux abords de la prairie des yacks. Les troncs des arbres seraient entourés de fils conducteurs, de façon à former une espèce de parc, avec une seule entrée dirigée du côté de la prairie.

Lorsqu’on aurait besoin de renouveler la provision de viande, il suffirait d’isoler, en les effrayant à l’aide d’une longue corde garnie de chiffons rouges – comme cela se pratique dans les haciendas de l’Amérique du Sud – un ou deux animaux que l’on forcerait d’entrer dans le parc.

Une fois qu’ils y auraient pénétré, le circuit électrique serait brusquement fermé, et les yacks seraient pris. Il suffirait, en effet, de lancer dans les fils, un courant de peu d’intensité, assez puissant seulement pour procurer aux yacks une légère sensation de brûlure.

Ils n’oseraient franchir cette faible barrière.

– Mais, fit observer Ludovic, les yacks essaieront de sauter !…

– Le cas est prévu, répondit Alban. Une seconde rangée de fils, placée à peu près à hauteur d’homme, réfrénera toutes les tentatives de rébellion qui pourraient se produire. Je vais, d’ailleurs, m’occuper de la construction d’une carabine à air liquide qui, sans porter beaucoup plus loin que le fusil à air comprimé de l’ingénieur Pictet, nous permettra d’abattre nos yacks prisonniers sans nous mettre à portée de leurs redoutables cornes.

– Vous venez de parler d’air liquide, s’écria Ludovic tout joyeux de sa bonne idée… il y aurait encore un moyen…

– Et lequel, s’il vous plaît, monsieur l’inventeur en herbe ?

– Eh bien, j’ai réfléchi que les yacks, surtout pendant les froids rigoureux, doivent posséder quelque part une retraite plus sûre que le couvert des sapins. Pendant les froids, peut-être même chaque nuit, ils se réfugient sans doute dans quelque étable naturelle, ravin ou caverne, où il nous serait facile de les surprendre.

– Cette caverne, encore faut-il la découvrir !

– Nous la découvrirons ; notre petit royaume n’est pas si vaste, rien alors ne nous sera plus facile que de déboucher, à l’entrée de cette caverne, une de nos bonbonnes d’air liquide. Il n’est pas de yack capable de résister à un froid de trois cents degrés.

– Belle idée ! s’exclama Alban en souriant. Avec votre procédé, nous anéantirions, d’un coup, notre troupeau, et serions condamnés à le manger sous forme de conserves.

– Permettez, riposta Ludovic avec véhémence, je n’ai pas dit qu’il fallait détraire tout le troupeau d’un seul coup. Ne m’avez-vous pas expliqué, hier, que l’air liquide est un anesthésique des plus puissants, puisqu’on l’emploie même dans les opérations chirurgicales ? Nous n’en administrerons à nos yacks que juste assez pour les engourdir pendant quelque temps, ce qui nous permettra de choisir notre victime, et de l’abattre à loisir et sans dépense d’électricité.

– Le raisonnement est juste, dit Alban… Je n’en aurais, ma foi, pas eu l’idée. Nous verrons si votre moyen peut être mis en pratique. J’avoue que je n’en serais pas fâché. En arrivant ici, nous avons gaspillé, un peu inconsidérément, nos réserves de force électrique. C’est un de mes plus graves sujets de préoccupation. N’oublions pas que, sans électricité, la Princesse des Airs nous devient inutile ; et que nous sommes cloués, pour toujours peut-être, sur ce plateau désolé.

En prononçant ces paroles, Alban était devenu grave. Il parut s’abîmer dans une profonde méditation que Ludovic respecta.

Un quart d’heure après, derrière les portes métalliques soigneusement fermées, tout le monde dormait d’un profond sommeil, à l’intérieur de l’aéroscaphe.

La journée du lendemain commença par un travail peu agréable auquel Alban et Ludovic seuls prirent part.

Après avoir été aéronautes, mineurs et chasseurs, ils s’improvisèrent bouchers.

En arrivant à l’endroit où ils avaient, la veille, abattu l’animal, ils s’aperçurent que des auxiliaires inattendus étaient en train de leur éviter la partie la plus difficile de la besogne.

Une demi-douzaine de grands vautours roux plongeaient leur bec crochu dans les entrailles de la bête, dont ils avaient déjà, presque entièrement dévoré les intestins.

Ces rapaces effrontés, dont les yeux jaunes entourés d’un cercle rouge, se fixaient avec impudence sur les ennemis assez audacieux pour venir les déranger dans leur festin, s’envolèrent à quelques mètres, tout prêts à revenir à la charge si les importuns s’écartaient.

Alban dut en assommer un avec son javelot d’aluminium.

L’animal était à peine tombé que déjà les autres se précipitaient et commençaient à le déchiqueter. Alban et Ludovic se mirent, alors, à l’œuvre.

Non sans peine, le yack fut écorché et débité par Alban. Dès qu’un morceau était détaché, Ludovic courait le porter à l’aéroscaphe, où Mme Ismérie et Armandine le déposaient dans la glacière à air liquide.

Au dernier voyage qu’il fit, Ludovic remarqua, non sans surprise, qu’il ne restait plus, du vautour abattu, qu’un squelette, aussi poli que de l’ivoire, et qui eût pu figurer avec honneur dans une galerie d’anatomie comparée.

– Il faut le garder pour l’offrir au Muséum d’histoire naturelle du Jardin des Plantes ! s’écria Ludovic.

Alban ne vit aucune raison de s’opposer au désir de l’enfant. Le squelette du vautour fut transporté avec précaution à la salle commune, consolidé par des fils de fer et installé en bonne place.

C’était une pièce superbe. Les ailes mesuraient presque un mètre d’envergure ; et Ludovic s’applaudit à l’idée de voir, plus tard, le vautour figurer derrière une vitrine avec la mirifique inscription :


VAUTOUR DE L’HIMALAYA

offert par l’aéronaute

Ludovic Rabican


Au déjeuner, tout le monde eut une surprise. Mme Ismérie apparut, portant une marmite de nickel, d’où s’échappaient d’embaumantes vapeurs.

– Le pot-au-feu !… s’écrièrent Ludovic et Armandine, d’une même voix.

– Oui, mes enfants, dit Mme Ismérie. J’ai trouvé au bord du lac certaines racines aromatiques dont vous me direz des nouvelles.

Le pot-au-feu fut accueilli avec enthousiasme.

Ludovic redemanda trois fois du potage ; et Armandine qui, en France, avait une véritable aversion pour le « bouilli », absorba une énorme tranche du gîte à la noix, que Mme Ismérie, en ménagère expérimentée, avait choisie entre toutes les pièces de viande apportées le matin par Ludovic.

– Nous nous embourgeoisons, fit-elle gaiement. Il va nous être bien dur de quitter ce plateau de la montagne himalayenne, où nous voilà si confortablement installés.

Alban ne répondit pas à ce trait de bonne humeur.

Il s’assombrissait de plus en plus. Il venait de calculer qu’en réduisant au strict minimum la dépense d’électricité pour l’éclairage et le chauffage, il n’en resterait pas, dans quinze jours, en quantité suffisante pour alimenter les appareils moteurs de la Princesse des Airs.

Pour réduire d’autant la dépense, il décida que, désormais, on se coucherait de très bonne heure, jusqu’à ce qu’il eût fabriqué une provision de chandelles de résine qui permettraient de prolonger les veillées comme par le passé.

Le jour même, il construisit, en dehors de l’aéro-scaphe, un fourneau grossier, formé de blocs de rochers et abrité d’une cabane de feuillage, pour y faire la cuisine.

Ludovic et Armandine furent chargés de l’approvisionnement de bois.

La vie s’était organisée d’une façon tout à fait régulière. La chasse, la pêche, le travail se succédaient avec une monotonie dont tout le monde commençait à se lasser.

Alban, qui semblait de plus en plus préoccupé, s’était mis aux travaux de réparation de l’appareil moteur. Mais il n’avançait que lentement.

Les besognes préparatoires avaient été longues et pénibles.

Il avait fallu déblayer un grand espace de terrain, l’entourer d’une palissade recouverte d’un toit de branchages, qui mît les appareils et les travailleurs à l’abri des intempéries.

Puis, Alban était mal outillé. Le magasin ne contenait que les instruments indispensables à de menues réparations, et tout à fait insuffisants pour la réfection totale d’une pièce importante.

Entre-temps, Ludovic et Alban avaient achevé l’exploration complète du plateau, et découvert la retraite nocturne du troupeau de yacks.

Du côté de la prairie, la falaise rocheuse paraissait aussi inaccessible que dans le reste du pourtour ; mais son aspect était plus irrégulier et plus tourmenté.

Elle formait comme un vaste enfoncement qui avait dû, autrefois, communiquer avec une autre région de la montagne.

En observant la nature des roches, toute différente de celles qu’il avait vues jusqu’ici, Alban reconnut que l’espèce de défilé ou de gorge profonde qui fermait la prairie, avait dû être, à une époque lointaine, obstrué par un éboulement considérable, qui avait isolé, du reste de la création, le plateau et les êtres vivants qui l’habitaient.

Un tremblement de terre, une poussée glacière, peut-être l’action combinée de l’électricité et du froid qui fendille les roches les plus dures, avaient-ils détaché tout ce pan de montagne qui les retenait prisonniers ?… La surface de cette partie du rocher n’était nullement lisse et perpendiculaire comme dans les autres endroits.

De toutes parts s’y ouvraient des cavernes, des couloirs, que l’action des eaux avait creusés dans la pierre tendre.

Alban fit, ce jour-là, une autre découverte qui avait bien son importance. Il s’était aperçu que plusieurs yacks léchaient avec avidité certain endroit du roc, d’où transsudait une perpétuelle humidité. Il eut la curiosité de goûter cette eau, reconnut qu’elle avait une saveur fortement salée.

– D’après la nature du terrain, dit-il à Ludovic, je me crois en mesure d’affirmer qu’il y a, derrière ces rochers, une mine ou tout au moins une caverne de sel.

– Nous pourrions le vérifier, dit l’enfant… Une cartouche d’eau, et nous aurons le sel à volonté. Cela serait d’autant plus heureux que la provision de Mme Ismérie s’épuise… Et qui sait si nous ne nous ouvrirons pas, de ce côté, un chemin pour quitter cette forteresse ?

Dès le lendemain, une cartouche d’eau fut préparée par Alban.

Il expliqua à Ludovic qu’il lui aurait été tout aussi facile de fabriquer du fulmi-coton, à l’aide de l’acide azotique et de l’acide sulfurique de leur pharmacie, puisque cet explosif s’obtient simplement en trempant du coton ordinaire dans ces deux acides, et en lavant ensuite, à grande eau.

Mais la cartouche d’eau était plus expéditive, plus puissante et surtout moins dangereuse à manier.

– Et pourquoi ne feriez-vous pas de la poudre ordinaire ? demanda Ludovic.

– De la poudre, peuh !… fit Alban, en haussant les épaules avec un dédain comique… Cet explosif barbare et ridicule était bon, tout au plus, pour nos naïfs aïeux du Moyen Âge !… Quel chimiste, quel ingénieur, oserait aujourd’hui faire usage d’un produit aussi arriéré ! La poudre à canon, est, en science, ce que sont, en pharmacie, la thériaque, l’huile de lézard et la poudre de corne de licorne.

– Vous avez d’autres raisons pour ne point fabriquer de poudre, fit observer, malicieusement, Ludovic… C’est qu’il vous manque les matières nécessaires.

– Nullement, répartit Alban un peu désarçonné. N’ai-je pas le charbon de nos arbustes, le salpêtre de toutes les cavités humides du rocher ?

– Et le souffre ?

– Il y en a un bocal dans la pharmacie.

– Hum !… Pas beaucoup. Pas assez pour faire sauter des blocs de rochers de cette taille.

Alban convint gaiement que l’enfant avait raison ; et on se mit à l’œuvre.

Grâce à la récente expérience qu’il en avait faite, ce fut en mineur consommé qu’Alban disposa sa cartouche à la meilleure place, laissant à Ludovic le plaisir de lancer le courant.

À la grande surprise de l’aéronaute et de son petit compagnon, l’explosion ne rejeta, de leur côté, que quelques débris de rochers d’un volume insignifiant.

Ils se précipitèrent pour avoir l’explication de cette anomalie : une cavité béante s’était ouverte dans le flanc de la montagne.

Les décombres s’étaient écroulés en dedans et obstruaient à demi l’entrée de cette caverne.

Armé d’une chandelle de résine dont il avait eu soin de se munir, Alban se précipita dans l’intérieur de la grotte.

Un féerique spectacle s’offrit à ses yeux.

Des stalactites à la transparence cristalline tapissaient la voûte et les parois d’une vaste crypte souterraine, qui semblait s’enfoncer à l’infini dans les entrailles de la montagne.

Les angles des stalactites et des stalagmites accrochaient la lumière rougeâtre de la torche et la renvoyaient, aux regards éblouis, avec mille reflets adamantins.

Le premier moment de stupeur passé :

– Je ne vois pas trop, dit Alban, de quelle utilité pratique pourra nous être cette grotte… Mais elle est splendide !

– C’est du cristal de roche, s’écria Ludovic.

– Je crois plutôt que c’est du sel gemme, fit Alban en se baissant pour ramasser un des fragments de l’éblouissant minéral.

Alban ne s’était pas trompé ; ils se trouvaient dans une caverne de sel.

Cependant Ludovic, après les premiers pas faits dans la caverne, était devenu la proie d’un étrange vertige.

– Je me sens mal, murmura-t-il, haletant.

Alban porta l’enfant à l’air libre ; et presque aussitôt son malaise se dissipa.

Alban réfléchissait.

– Vous venez d’être victime d’un commencement d’asphyxie, déclara-t-il, et c’est de ma faute. J’aurais dû réfléchir que les cavités du genre de celle que nous venons de découvrir sont remplies de gaz méphytiques, souvent même de gaz explosifs, comme l’hydrogène carboné, que les mineurs appellent feu grisou, et qui a la même composition que le gaz d’éclairage.

Quand ils eurent laissé passer un temps suffisant pour que l’atmosphère de la caverne de sel se fût purifiée, ils s’engagèrent de nouveau sous ses arceaux étincelants.

La grotte était fort vaste. Une foule de couloirs s’y croisaient, formant des carrefours que décoraient de superbes colonnes naturelles.

On ne pouvait rêver une architecture plus élégante et plus belle ; on eût dit le palais d’une jeune reine, ou quelque cathédrale féerique, que des génies auraient commencé à tailler au cœur d’une montagne de marbre blanc, et qu’ils auraient capricieusement abandonnée, laissant inachevées les ogives, les statues et les coupoles.

Alban et Ludovic explorèrent en tout sens ce palais souterrain.

Ils en sortirent émerveillés, mais sans avoir découvert aucune autre issue.

– Pourquoi, demanda Ludovic, ne placez-vous pas une cartouche d’eau au fond d’un des couloirs ? L’explosion nous ouvrirait peut-être un passage de l’autre côté.

Alban réfléchit un instant.

– J’y ai bien songé, dit-il ; mais les ramifications des galeries sont presque innombrables. Laquelle choisir ?… Qui m’assure, d’ailleurs, que j’obtiendrais un résultat ? Je ne veux ni entamer davantage ma provision d’électricité, ni m’exposer à provoquer l’écroulement de toute la caverne. Nous avons du sel en abondance et un superbe palais… Tenons-nous en là pour l’instant.

On regagna l’aéroscaphe, avec des échantillons magnifiques de sel gemme.

Alban avait résolu de transférer, sous les voûtes spacieuses de la grotte, ses ateliers de réparation.

Il choisit la plus vaste salle et y transporta l’enveloppe de l’aérostat, ainsi que les deux ailes.

La vie de travail reprit son cours monotone.

C’est vers ce temps qu’Armandine, dans une promenade à la recherche des framboises arctiques, au sud du plateau, captura dans le gazon une grosse sauterelle verte.

L’enfant, que la bestiole effrayait un peu, l’apporta, après l’avoir soigneusement enveloppée dans son mouchoir, pour la montrer à son père.

– Voilà, dit l’aéronaute, une sauterelle de la plus grande espèce. Cet animal, que l’on ne rencontre guère que dans les contrées chaudes, n’est certainement pas né sur notre plateau glacial. Il a dû y être jeté par quelque tempête, peut-être même par quelque cyclone.

– Il y a bien, dit Ludovic, des pluies de grenouilles et des pluies de poissons.

– Des pluies de grenouilles ? fit Armandine avec stupeur.

– Certainement, mademoiselle, répondit Ludovic d’un ton légèrement pédant. Il ne se passe guère d’années sans que l’on constate des pluies de sang, de soufre, de lait et même de viande, des pluies de fleurs, de feuilles, de poissons et d’insectes. Charles XII, le roi de Suède, dont Voltaire a écrit l’histoire, fut arrêté, après sa défaite de Pultawa, par une pluie de criquets. Les pluies de hannetons sont très communes. Et il tomba, à Tours, en 764, et en Suède en 1354, une pluie qui laissait l’apparence de croix rouges sur les vêtements. Enfin, pour ne pas citer d’autres exemples, il est tombé à Ham, en 1835, une pluie de grenouilles et de poissons. Je tiens ces faits de M. Bouldu, qui a recueilli une collection considérable d’anecdotes du même genre.

– Vous oubliez, ajouta Alban, que ces pluies, en apparence merveilleuses, ont toutes une explication fort naturelle. Les pluies de sang sont dues à des argiles rougeâtres délayées et transportées par les orages ; les pluies de soufre à des argiles jaunes, et quelquefois au pollen très abondant de certaines variétés de pins. Les pluies de lait doivent être attribuées au lavage des terres blanches. On a reconnu que les pluies de viande, que signalent certains historiens de l’Antiquité et du Moyen Âge, n’était autres que des pluies d’une espèce de lichen, de consistance fort molle. On a même cité, à Naples, une pluie d’oranges, phénomène certainement plus agréable à constater qu’une pluie de crapauds. Ces phénomènes, d’ailleurs, ont tous la même cause. Une trombe aspire l’eau d’un étang qu’elle met entièrement à sec, dépouille toute une forêt, emporte avec elle des objets même d’un certain poids, et va les déposer plus loin. C’est ainsi qu’on explique les pluies de poissons et de grenouilles.

– Mais, demanda Armandine, qui avait écouté très attentivement, et les croix rouges ?

– D’abord ces croix rouges, fit Alban, n’étaient pas, si j’en crois ce que dit le célèbre Cardan, très exactement dessinées. Leur couleur était due à des terres rougeâtres. Quant à leur forme de croix, c’est celle que prend toute goutte d’eau en tombant sur la trame d’un tissu très grossier, comme étaient les étoffes du Moyen Âge.

– Alors, dit Armandine, qui avait placé sa sauterelle sous un verre renversé, cet insecte a été apporté ici par une trombe ?

– Un simple coup de vent a suffi, répondit Ludovic.

– Ce sont, dit Alban, de redoutables ennemis pour l’agriculture que ces insectes. Ils sont un des fléaux de l’Algérie. Certaines années, on voit leurs bandes innombrables occuper tout le fond de l’horizon. Le crissement de leurs millions d’ailes est comparable au bruit de la mer. Quand cet horrible nuage passe au-dessus d’une contrée, les habitants se réunissent, et s’arment de tous les instruments bruyants qu’ils ont à leur disposition, pour effrayer les sauterelles et les forcer à continuer leur route. Mais ce moyen ne réussit pas toujours. Alors le pays est dévasté. En quelques heures, sur une étendue de plusieurs kilomètres, les feuilles des arbres sont dévorées. Les moissons les plus fertiles sont détruites, les plantes rongées jusqu’à la racine. Les Arabes et les nègres du Soudan, qui ont une terreur considérable de ces insectes, s’en vengent en les mangeant.

– Pouah ! fit Armandine avec une grimace de dégoût. Ça doit être bien mauvais !

– Les voyageurs qui en ont goûté, continua Alban, trouvent à la sauterelle le goût de la crevette. Elle s’assaisonne, d’ailleurs, à peu près de la même façon. La sauterelle est la crevette des airs.

– N’allez pas manger la mienne surtout ! s’écria Armandine.

– Je vois une meilleure façon de l’utiliser, dit Ludovic d’un air réfléchi.

– Et comment cela ?

– J’ai lu, expliqua l’enfant, que certains apiculteurs se servaient des abeilles, de la même façon qu’on se sert des pigeons voyageurs. L’abeille emmenée loin de sa ruche, la regagnait toujours, portant collée à son abdomen, une mince pellicule de collodion sur laquelle se trouvait le message photographiquement réduit.

– Voilà qui est d’une ingéniosité merveilleuse ! dit Mme Ismérie.

– Pourquoi notre sauterelle ne nous rendrait-elle pas le même service ? Elle est beaucoup plus grosse et peut parcourir de plus grandes distances.

– En effet, répondit Alban, des sauterelles, parties du fond du Sahara, sont venues s’abattre jusqu’en Irlande.

Ludovic, passant immédiatement de la conception à l’exécution, s’était mis à rédiger un message. Alban qui se prêtait, sans grand espoir, au désir des enfants, le photographia sur une pellicule de collodion, qui fut disposée, en forme de ceinture, autour du corselet de l’insecte captif.

Puis la sauterelle, bien repue de jeunes pousses fraîches, fut précipitée, du haut de la falaise, dans la vallée inférieure.

Elle n’y parvint pas ; car les enfants la virent, avec une indicible joie, étendre ses ailes, hésiter un instant sur sa direction, puis prendre son vol du côté de l’ouest, et disparaître bientôt à leurs regards.

Ce soir-là, Alban annonça tristement qu’il ne restait plus, dans les accumulateurs, qu’une quantité d’électricité insignifiante.




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