La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse/12

La Première lutte de Frédéric II et de Marie-Thérèse
Revue des Deux Mondes3e période, tome 62 (p. 481-530).
◄  11
13  ►


V.

L’AMBASSADE DE VOLTAIRE À BERLIN.


I.

La bataille de Dettingue et l’évacuation de la Bavière avaient eu lieu presque simultanément dans les derniers jours du mois de juin, au début de la saison d’été, la seule qui, dans les habitudes militaires encore subsistantes, pût être utilement consacrée aux opérations de guerre. Les alliés avaient ainsi devant eux le temps nécessaire pour tirer profit de leur double victoire, et tout les invitait à se mettre à l’œuvre pour le bien employer. Deux grandes armées, l’une manœuvrant sur le Rhin, — celle que commandait le roi d’Angleterre ; — l’autre, celle qui, sous les ordres du prince Charles de Lorraine, traversait à grandes marches et sans obstacle la Bavière, pouvaient soit en se réunissant, soit en concertant leurs mouvemens pour rentrer en France, le même jour, par deux points différens, porter sur notre territoire la plus redoutable des attaques.

Effectivement on put d’abord croire que nos ennemis sentaient leur force et ne tarderaient pas à en faire usage. Lord Stairs répétait tout haut aux envoyés des petits souverains d’Allemagne, qui venaient apporter leurs hommages au camp anglais, que son maître allait fondre sur la France comme un foudre de guerre. Tel était aussi le langage du Hongrois Mentzel, qui commandait l’avant-garde du prince Charles, composée presque exclusivement de Hongrois et de Pandours, dont l’aspect farouche terrifiait les populations. Ce chef de bandes, qui ressemblait plus à un brigand qu’à un soldat, vociférait dans des ordres du jour incendiaires que l’Alsace et la Lorraine étant les biens propres de sa maîtresse; quiconque, dans ces deux provinces, ne ferait pas de bonne grâce sa soumission serait livré au feu et au pillage. C’est pour répondre à cette double menace que Noailles, repassant le Rhin, vint se placer aux environs de Landau, le long de la Queiche, prêt à faire tête à l’armée anglaise si elle apparaissait sur la frontière du Nord, tandis que le maréchal de Coigny, placé sous ses ordres pour commander l’armée qu’avait ramenée le maréchal de Broglie et aidé du comte de Saxe, restait en armes entre Strasbourg et Colmar, surveillant tous les mouvemens du prince Charles.

A la surprise générale des spectateurs (sentiment que l’historien ne peut s’empêcher de partager), tout cet éclat, un moment si bruyant, s’apaisa subitement. Au lieu de marcher en vainqueurs sur la France, le roi George vint s’enfermer dans Worms, d’où il ne bougea de tout l’été; le prince Charles, à la vérité, fit son apparition attendue sur les bords supérieurs du Rhin et tenta à plusieurs reprises de franchir le fleuve, mais avec tant d’hésitation et tant de mollesse que le maréchal de Coigny, tout vieux et assez inerte qu’il était, n’eut besoin que de peu d’efforts pour l’en empêcher. La plus heureuse de ces tentatives ne réussit qu’à faire passer dans l’île de Rheinau, au-dessus de Colmar, de huit à dix mille hommes qui en furent débusqués peu de jours après, et on en était encore là aux premiers jours d’octobre, quand des pluies précoces fournirent au prince un prétexte pour reprendre avant le temps ordinaire ses quartiers d’hiver. Tout le résultat de la campagne se borna ainsi à la soumission des forts d’Égra et d’Ingolstadt, les deux seuls points que les Français occupassent encore en Allemagne et qui, bien que très faiblement défendus, ne se rendirent qu’à de bonnes conditions.

Cette inaction prolongée des Allemands prêta à des commentaires de toute espèce dont, dans le camp français, on ne se faisait pas faute de se divertir. « Le roi d’Angleterre, écrivait Maurice de Saxe à son frère le roi de Pologne, partit hier avant midi sans prendre congé de moi. Quoique cela ne soit pas poli, j’en suis bien aise, car il m’a causé quelque insomnie avec sa grande vilaine armée. Dieu le conduise, lui donne bon voyage et bon vent pour revoir l’Angleterre! Il est apparent que M. le prince Charles s’en ira vers le lac de Constance. Il fera bien, car, sans cela, nous pourrions bien le galoper pour peu qu’il tardât à s’en aller. » Les soldats ne plaisantaient pas de moins bon cœur que le chef. Ainsi, on rapporte que les sentinelles qui montaient la garde la nuit sur les bords du Rhin avaient fait de leur cri de veille accoutumé un petit distique ainsi conçu :


Prenez garde à vous !
Le prince Charles est soûl.


Et, dans les cabarets, on chantait à gorge déployée :


Charles dit avec audace,
Guidé par le dieu du vin,
Qu’il veut passer en Alsace,
Pour y vendanger soudain.
Ses projets sont inutiles,
Nos bords sont trop difficiles,
Il boira de l’eau du Rhin,
Il boira, il boira,
De l’eau du Rhin.


Il n’était pas surprenant que les soldats français revenus sur le sol natal eussent repris leur entrain et leur gaîté ordinaires. Après un si long séjour au milieu de populations hostiles, ils jouissaient de se retrouver entourés de compatriotes qu’animait comme eux la haine contre l’étranger, et des paysans de la généreuse province d’Alsace, qui les aidaient spontanément à défendre la frontière depuis Huningue jusqu’à Strasbourg. Leur joie était donc bien naturelle; mais ce qui l’est moins, c’est que le prince Charles, averti de leurs plaisanteries, en fit faire ses plaintes au commandant français et que les rapports étaient devenus si faciles entre généraux qui se faisaient si peu de mal que Coigny promit d’y mettre ordre et tint parole[1].

Au demeurant, cette sorte de trêve amicale succédant à une mêlée sanglante et à des menaces formidables, s’établit à peu près d’un commun accord, sur toute la ligne des deux armées. Si je ne craignais d’allonger ce récit par des digressions inutiles, j’en donnerais quelques preuves ; ce serait une occasion de faire comprendre aux lecteurs de nos jours (qui peut-être en seraient surpris) ce que pouvait être, dans le feu même de la guerre, la courtoisie des rapports mutuels entre des chefs d’armée, toujours pris alors, quelle que fût leur patrie, dans l’élite de la société polie.

Voici, par exemple, l’échange de correspondances que je rencontre exactement à cette date entre Noailles et Carteret ; c’est Noailles qui commence en priant le ministre anglais de s’acquitter de je ne sais quelle commission envers un prisonnier français : « Il y a longtemps, dit-il, si je ne me trompe, que j’ai eu l’honneur de voir Votre Excellence en France, et je ne me serais pas douté que notre correspondance dût commencer à l’armée. Je ne puis cependant pas dire que Votre Excellence ne me soit pas beaucoup plus connue par la réputation de son esprit et de ses talens qu’elle ne me l’est personnellement, avec cette différence que je souhaiterais, pour ma propre satisfaction et le plaisir que j’y trouverais, à connaître par moi-même ce que je ne connais encore que par les autres. Il faut espérer que des temps plus tranquilles m’en fourniront l’occasion. En attendant, monsieur, je vous prie de considérer que, lorsque j’aurai l’honneur de vous écrire, c’est un militaire qui le fait, qui ne connaît d’autre façon de traiter que celles qui sont conformes au métier, qui sont ouvertes, franches, généreuses ; qui ne cherche point à surprendre et qui voudrait fort n’être pas surpris ; de qui vous n’aurez jamais de mauvaises difficultés à essuyer et qui se flatte de trouver en vous la réciproque. »

Carteret répond : « C’est par milord Stairs, je crois, que j’ai eu l’honneur d’être introduit chez Votre Excellence à Paris, je ne dirai pas il y a combien d’années. Votre Excellence était alors à la tête du ministère et moi trop jeune et trop inconsidérable pour prétendre à son souvenir. Mais je ne pourrais oublier le gracieux accueil que vous avez bien voulu me faire dans le haut rang où vous vous trouviez déjà ; c’est par un pur hasard et un jeu de fortune que je me trouve à l’heure qu’il est engagé avec Votre Excellence dans une correspondance purement militaire… Tout ce que vous voudrez bien m’adresser sera immédiatement mis devant le roi et je vous ferai parvenir la réponse dès que je serai autorisé à le faire. Votre Excellence reconnaîtra toujours en moi une manière ouverte, franche, exempte de tous préjugés nationaux, au-dessus de la moindre démarche contraire à la bonne foi, à la candeur dont j’ai toujours usé envers amis et ennemis… Je supplie Votre Excellence de croire que ce sont mes véritables sentimens et que je serai toujours avec une très grande vénération... »

Qu’on me laisse citer encore (et ce sera tout) quelques phrases du même maréchal de Noailles adressées à un autre général autrichien, Khevenhüller, à propos du sujet plus délicat des violences exercées par le Hongrois Mentzel : «... S’il est survenu entre nous quelques difficultés, lui dit-il, c’est qu’on a cru, de ce côté, avoir à se plaindre de la manière dont font la guerre quelques-unes de vos troupes, qui ont des noms connus en Europe et qui véritablement ne sont point de toutes les nations de cette partie du monde celles qui se piquent le plus de faire la guerre avec noblesse et générosité. Je ne parlerai pas, par exemple, à Votre Excellence de l’indécence des écrits qui ont été répandus par le colonel Mentzel et qui étaient plutôt dans le style d’un incendiaire que dans celui d’un homme de guerre. Je pense et je suis persuadé que Votre Excellence est du sentiment qu’il convient toujours mieux à tous égards, avec tout le monde, de faire la guerre noblement et généreusement. Je suis aussi persuadé que, dans toutes les affaires de votre compétence et de la mienne, nous rechercherons de part et d’autre, avec la même vérité et la même droiture, à éloigner toutes les difficultés... J’adresse ceci au gouvernement de Fribourg pour vous le faire tenir dans la région que vous habiterez, car, quoique assez curieux sur les choses qui peuvent avoir rapport à la sphère où je me trouve, je ne dépense rien en espions pour les choses qui n’en sont pas, et je n’ai actuellement d’autre intérêt de savoir où est Votre Excellence que celui que je prendrai toujours à la conservation d’une personne que j’honore, que j’estime et que je respecte, et j’en dirais davantage dans des circonstances plus tranquilles<ref> Noailles à Carteret. — Carteret à Noailles, 10 septembre. — Noailles à Khevenhüller, 16 octobre 1742. (Correspondances de divers généraux étrangers. — Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.) — Voltaire a été frappé de ces rapports courtois établis entre les généraux ennemis, à cette époque, et en fait l’objet d’une remarque dans le Siècle de Louis XV.</<ref>. »

Quelle que pût être cependant la gracieuseté de ces procédés réciproques, comme ces gens de si bonne compagnie n’en avaient pas moins montré qu’ils étaient capables de s’aborder moins poliment sur les champs de bataille, ce ne pouvait être là la cause qui refroidit subitement leur humeur belliqueuse. Les raisons de ce changement d’attitude sont nombreuses, et, au fond, ce sont celles-là même qui paralysent habituellement l’action de toutes les coalitions, celles dont l’alliance franco-prussienne avait eu à souffrir et dont les Anglo-Autrichiens subissaient à leur tour la fâcheuse influence. C’était, en premier lieu, comme toujours, la différence des tempéramens et les rivalités d’intérêts des généraux. Pour commencer, le roi George, tout étonné de se trouver un héros (bonne fortune à laquelle il ne s’était jamais attendu), mais encore très ému des périls personnels qu’il avait courus, n’était nullement pressé de s’aventurer une seconde fois dans ce jeu où il avait vu serrer de si près sa lourde personne royale. Il repoussa presque sans le discuter le plan de marche immédiate et de vive agression que Stairs lui soumit dès le lendemain de Dettingue. Stairs, doit le caractère était très irritable et qui se savait d’ailleurs mal vu dans l’entourage du roi, ne put cacher son mécontentement. De vives altercations s’ensuivirent entre lui et les courtisans, qu’il accusait de lâcheté, et pendant plusieurs jours le camp anglais offrit, dit un témoin oculaire, l’aspect d’une république où personne n’obéissait et où chacun disait tout haut son sentiment. Enfin Stairs, dans un dernier mouvement de colère, offrit une démission que ses ennemis (Carteret était du nombre) furent très empressés d’accepter.

La timidité n’était pas d’ailleurs le seul défaut de George; il y joignait aussi l’avarice, défaut encore accru chez lui par la jalousie avec laquelle le parlement surveillait l’emploi des subsides accordés aux armées continentales. Quand les princes allemands qui venaient lui rendre hommage parlèrent des dégâts que leur avaient causés les réquisitions supportées par leurs sujets et murmurèrent quelques mots de dédommagement, le roi leur coupa la parole en leur disant que c’était le moins qu’ils pussent faire que de défrayer de tout leur libérateur, et qu’il verrait à les indemniser en raison de la conduite qu’ils tiendraient à son égard. Après cette déclaration, personne ne se soucia plus de faire un pas en avant[2].

Chose singulière, celui de tous qui le pressa le moins d’agir, ce fut le prince Charles, ou du moins son envoyé, le général Brown, qui était venu de sa part au quartier-général anglais pour arrêter le plan de la campagne d’été. Le prince sentait que, s’il liait trop étroitement sa partie avec l’armée anglaise, ce serait George qui, en vertu de sa qualité royale, devrait prendre le commandement suprême, et il n’avait nul goût à se mettre sous les ordres d’un chef dont les talens, pas plus que le courage, ne lui inspiraient la moindre confiance. Il fut servi à souhait par la démission de Stairs; mais alors, se trouvant isolé, il craignit d’avoir sur les bras les deux armées de Noailles et de Coigny réunies, et n’opéra qu’avec es précautions qui expliquent comment son action fut si peu efficace[3], La démission de Stairs eut encore pour conséquence de laisser le ministre Carteret maître dans le conseil du roi d’Angleterre, et, avec lui, le goût des solutions diplomatiques reprit le dessus sur le parti des coups de force et de la politique à outrance. Ce fut ce que l’un des généraux autrichiens appelait une manière philosophe de faire la guerre qui ne servirait qu’à rendre la campagne infructueuse. En conséquence, deux négociations furent immédiatement rouvertes, l’une et l’autre très épineuses et dont les lenteurs servirent de raison ou de prétexte pour motiver le retard des opérations militaires. Ce fut d’abord la reprise d’une tentative déjà tant de fois faite et souvent si près d’aboutir, afin de décider l’empereur à une volte-face qui, moyennant un salaire modeste, l’aurait fait passer dans le camp de ses ennemis de la veille. Il semblait que, dans l’état d’exaspération et de détresse auquel ce malheureux prince était réduit, il ne devait pas être malaisé de le déterminer à ce changement de front. Rancune et misère, tout paraissait l’y porter, et l’opération eût été facile, en effet, si seulement Marie-Thérèse eût maintenu les conditions déjà si sévères qu’elle exigeait avant la victoire, ou si le cabinet anglais l’eût obligée à s’en contenter. Mais le succès enivrait tout le monde, et l’Angleterre, hier encore si accommodante, devenait après son triomphe presque plus exigeante que son alliée. Ce n’était pas, à la vérité, la faute personnelle de George, qui, ne connaissant pas d’intérêt plus cher ni plus pressant que de pacifier l’Allemagne pour protéger le Hanovre, se montrait toujours assez traitable ; mais il avait affaire, chez lui, à un parlement ombrageux et sur ses gardes, qui, se méfiant justement de cette faiblesse, ne voulait pas que le sang anglais eût coulé à Dettingue uniquement pour sauver les possessions particulières de la maison de Brunswick. Vienne et Londres se mirent ainsi d’accord pour offrir ou plutôt pour imposer à Charles VII des conditions telles qu’une abdication immédiate eût été cent fois préférable : on ne lui promettait en effet de lui rendre son patrimoine électoral qu’à la condition de laisser aux Autrichiens toutes les places fortes en otage jusqu’à ce qu’une diète solennelle, convoquée par lui-même, eût déclaré sur sa demande la guerre à la France au nom de l’empire et assuré la succession impériale à l’époux de Marie-Thérèse,

Sous l’empire de cette effroyable pression, Charles se débattait, comme un condamné subissant la question ordinaire et extraordinaire. Il eût peut-être sacrifié soit l’honneur, soit l’intérêt; mais tous deux ensemble, en vérité, c’était trop : «Ce ne sont pas les renonciations qu’on me demande, disait-il au ministre de France, qui m’arrêtent : je n’ai plus rien à perdre, mais (mettant la main sur son cœur) c’est ceci qui me retient : je suis le parent et l’allié du roi, et je ne puis digérer certaines conditions. Et cependant, ajoutait-il, comment faire quand on y est réduit en même temps par l’ennemi et par l’ami ? »

Averti de ce scrupule, Noailles ne manquait aucune occasion de lui en faire, au nom de Louis XV, de chaleureux complimens en y joignant, sous forme de quelques millions de subsides, des moyens plus substantiels pour l’engager à y persévérer : car depuis qu’il s’était approché de l’Allemagne, Noailles comprenait mieux que l’on ne faisait peut-être à Paris l’intérêt de conserver ce fantôme d’empereur « comme une idole, disait-il, à présenter à l’empire afin de l’empêcher de se livrer aveuglément aux vues des Anglais et des Autrichiens[4]. »

Mais, parallèlement à cette négociation, une autre était poursuivie qui tenait bien plus au cœur du cabinet anglais et dont il faisait, en réalité, dépendre la continuation de son intervention en faveur de Marie-Thérèse : celle-là avait pour but de convertir en une alliance définitive la transaction précaire et bizarre qui réunissait sous un même drapeau, en Italie, l’armée autrichienne et l’armée du roi de Sardaigne. J’ai dit en quoi consistait cet arrangement peut-être sans exemple dans les annales diplomatiques. Sans renoncer à ses prétentions personnelles sur la Lombardie, Charles-Emmanuel avait consenti à en ajourner la discussion et à unir, en attendant, ses forces à celles de Marie-Thérèse pour éloigner un ennemi commun (l’infant d’Espagne don Philippe), représentant de la puissance et de l’ambition de la maison de Bourbon en Italie. Leurs armées réunies avaient été heureuses, car, à la suite d’une bataille livrée en avant de Bologne, à Campo-Santo, le général espagnol Gagés avait été forcé de se retirer au-delà de Rimini. Le Milanais était délivré : c’était ce résultat qu’il s’agissait de confirmer et d’étendre en convertissant une coalition temporaire et purement défensive en une amitié solide fondée sur des concessions réciproques.

Mais c’était là justement le pas que Charles-Emmanuel hésitait à franchir, ou, du moins, qu’il ne voulait faire qu’à bon escient, et en calculant jusqu’aux moindres sou et denier ce qu’il aurait à y gagner. À vrai dire, s’il avait voulu et si ses troupes eussent tiré parti de leur victoire, la retraite des Espagnols eût été changée aisément en une déroute ; mais il n’avait eu garde de pousser ce succès assez loin pour que Marie-Thérèse, n’ayant plus rien à craindre, n’eût plus besoin de le ménager, ou pour que les Espagnols, n’ayant plus rien à espérer, n’eussent plus d’intérêt à lui rien offrir. Écraser un des adversaires eût été le moyen de ne plus rien obtenir d’aucun des deux. Rien ne lui convenait mieux au contraire que sa situation d’allié conditionnel et provisoire de l’Autriche. Il y trouvait l’avantage de faire manœuvrer librement des soldats sur les deux rives du Pô, puis, une fois le Milanais évacué, et sa parole ainsi dégagée, il pouvait, sans manquer à la foi jurée, ouvrir de nouveau l’oreille aux propositions qui ne pouvaient manquer de lui venir du côté des Pyrénées et des Alpes. Tenir la balance entre les parties adverses qui se disputent la prépondérance soit en Italie, soit en Europe, et passer incessamment de l’une à l’autre, c’était et c’est même resté jusqu’à nos jours la tradition héréditaire de la maison de Savoie ; mais, cette fois, on avait perfectionné la vieille pratique, et c’était une trouvaille, en vérité, que de pouvoir jouer le double jeu à ciel ouvert sans même être accusé de duplicité. Aussi rien n’a jamais autant ressemblé à un bureau de commissaire-priseur mettant une propriété aux enchères que le palais de Charles-Emmanuel pendant cet été de 1743, et surtout le cabinet de son ministre, le rusé Savoyard marquis d’Orméa.

À peine, en effet, l’échec de Campo-Santo eut-il appris aux Espagnols qu’ils étaient hors d’état de faire leurs affaires à eux seuls dans la Haute-Italie, que le cabinet français, qui n’avait jamais renoncé qu’à regret à l’alliance savoyarde, persuada à celui de Madrid de rentrer en pourparlers à Turin. Il s’agissait de savoir si la crainte d’avoir trop avancé le succès d’une des parties ne rendrait pas Emmanuel disposé à rétablir l’équilibre en se portant du côté de l’autre. Ce n’eût pas été le compte de l’Angleterre, beaucoup plus soucieuse au fond (je l’ai déjà dit) de poursuivre la maison de Bourbon en Italie qu’en Allemagne et sur la Méditerranée que sur le Rhin.

De là deux ordres de propositions : les unes portées par les agens français, les autres émanées des agens anglais et dans lesquelles les provinces lombardes, objet de la convoitise héréditaire de la maison de Sardaigne, étaient, en quelque sorte, découpées en des sens différens, suivant l’intérêt de chacun des postulans qui, les uns et les autres, rivalisaient ainsi auprès d’Emmanuel d’avances et de séductions. La France, au nom de l’Espagne, traçait une ligne de démarcation dans le sens de la longueur, abandonnant à la Sardaigne la rive gauche du Pô jusqu’à Mantoue, c’est-à-dire, en réalité, le Milanais tout entier, à condition que sur la rive droite les duchés de Parme et de Plaisance, et la Toscane même au besoin, deviendraient l’apanage de l’infant Philippe. L’Angleterre, au contraire, au nom de l’Autriche, ne détachait en faveur de Charles-Emmanuel qu’une ligne très étroite du Milanais et de la rivière de Gènes, mais lui livrait toutes les provinces centrales de l’Italie, à la condition d’en exclure absolument les Espagnols.

D’Orméa recevait publiquement ces offres diverses, en pesait les inconvéniens et les avantages et les discutait même sur la carte et sans aucun mystère avec chacun des prétendans. Ceux-ci répondaient en vantant leur marchandise aux dépens de celle de leur concurrent. — « Pourquoi donc, lui disait un jour, par exemple, l’ambassadeur de France, le marquis de Senneterre, préférez-vous une petite partie du Milanais acquise par le moyen de l’Angleterre au Milanais tout entier par le moyen de la France? — En voici la raison, répondit d’Orméa : nous croyons que cette partie vaut mieux sans un prince de Bourbon en Italie que la totalité avec l’infant à nos côtés ; l’infant a des parens trop puissans. — Mais, au moins, reprit l’ambassadeur, vous n’avez pas, comme on le dit, accepté de l’argent des Anglais? — Pardonnez-moi, répliqua le ministre avec un sang-froid imperturbable : deux cent mille livres, mais sans aucun engagement de notre part ; » et, tirant son carnet de sa poche, il lui laissa lire cette note : « Deux cent mille livres envoyées par l’Angleterre, qui ne seront pas restituées si la Sardaigne s’engage envers la reine de Hongrie, mais le seront dans le cas contraire. » D’autres fois, par bravade ou par calcul, il se plaisait à exprimer tout haut ses hésitations. Ainsi, Senneterre lui ayant remis une lettre du ministre Amelot, qui détaillait tous les avantages des propositions françaises, il la lut, la commenta paragraphe par paragraphe; puis il se leva, et malgré sa sciatique (cette sciatique lui servait souvent à éviter les visites importunes), il se promena dans son cabinet en parlant tour à tour français et piémontais, tantôt haut, tantôt bas, a de façon, dit Senneterre, que je ne pouvais rien comprendre. » — « Eh bien ! lui dis-je, quelle réponse voulez-vous que je fasse au roi? — Vous m’y voyez rêver,., je ne vous dissimule pas mon embarras... Je ne veux fermer la porte ni à Vienne ni à Madrid... Tenez, je ne vous engage pas à venir souvent chez moi, parce que les ministres de Vienne et de Londres ne manqueraient pas d’envoyer des courriers à leur cour pour les presser d’en finir, et si je veux avoir de meilleures conditions d’eux, je n’ai qu’à vous revoir deux fois de suite[5]. »

Mais ce qui n’est pas moins curieux que ce marchandage diplomatique fait ainsi en public, c’est que, tandis que les ministres de France et d’Angleterre s’escrimaient à l’envi à Turin, le texte des propositions qu’ils voulaient faire admettre n’était complètement accepté ni à Vienne ni à Madrid : ni la France n’avait plein pouvoir de Philippe pour traiter en son nom, ni le cabinet anglais n’était autorisé à se porter fort pour Marie-Thérèse. Chacun des augustes cliens murmurait, grondait, protestait contre toutes les concessions que son avocat voulait faire en son nom ; et des deux parts (coïncidence encore plus étrange), ces protestations avaient le caractère passionné et peu réfléchi de la colère féminine. La partie carrée était ainsi complète : à Madrid, c’était Élisabeth Farnèse, qui, à chaque lambeau qu’on lui demandait de céder des possessions qu’elle convoitait pour son fils bien-aimé, s’écriait qu’elle était trahie, abandonnée, sacrifiée par Louis XV, qui d’ailleurs, disait-elle, avait toujours détesté son oncle ; à Vienne, c’était Marie-Thérèse, plus obstinée que jamais à ne pas lâcher un pouce de plus de son patrimoine que le traité de Breslau ne lui en avait enlevé. L’irritation des deux parts, presque égale en violence, se ressentait pourtant de la différence de caractère des deux princesses. Chez Élisabeth, c’était un emportement dont l’expression était souvent vulgaire, parce que le mobile n’était que l’ambition de s’approprier le bien d’autrui et n’avait en soi rien de noble ni d’élevé ; chez Marie-Thérèse, c’était toujours la confiance hautaine du droit qui se défend. C’étaient des éclats d’éloquence, parfois mêlés de gémissemens, de larmes, en un mot, cette attitude de victime dont elle avait gardé l’habitude depuis ses premières épreuves et qui n’était plus justifiée depuis que la victoire lui avait fait changer de rôle. Telle était pourtant la ressemblance des situations qu’elle triomphait à certains momens de la diversité des natures et que souvent les mêmes argumens se retrouvaient sur les lèvres des deux reines « Si on m’abandonne, s’écriait Élisabeth, nous irons traiter avec l’Angleterre ; après tout, le roi d’Espagne est libre de traiter avec qui il veut. » — « J’aimerais mieux traiter avec la France, disait Marie-Thérèse à Robinson, qui la pressait trop vivement de consentir à la cession de Parme et de Plaisance ; — elle ne me demanderait rien et m’aiderait peut-être à recouvrer ce que j’ai perdu. » — À cette résistance prolongée et qui semblait inflexible l’Angleterre n’avait qu’un moyen à opposer, c’était de retarder ou de ralentir son action en Allemagne tant qu’elle n’aurait pas obtenu ce qu’elle demandait en Italie, et ce calcul, très visible dans toutes les dépêches anglaises de cette époque, explique mieux que toute autre cause la stagnation étrange des opérations militaires pendant toute une saison ;[6]. Dans le cours de ces transactions si nombreuses, qui se croisèrent ainsi en tous sens pendant cet été de 1743, on s’étonnera sans doute de ne plus voir reparaître le nom de Frédéric. Avait-il donc cessé de se regarder lui-même et d’être, au fond, regardé par tout le monde comme l’arbitre véritable de la situation? Cessait-on, à Londres comme à Paris, d’appeler son intervention? En aucune manière; sa pensée était toujours présente à tous les esprits et tous les regards étaient encore tournés vers lui avec un mélange de crainte et d’espérance. Seulement une telle incertitude planait sur les véritables sentimens de Frédéric, de telles contradictions régnaient dans ses discours et sa parole inspirait si peu de confiance, que personne n’osait plus l’interroger. Jamais même cette incohérence de langage, suite de la perplexité de son esprit, n’avait plus étonné ses auditeurs et rendu la conversation avec lui plus difficile que depuis qu’il avait appris l’issue douteuse de la journée de Dettingue, si tristement commentée par la retraite de l’armée de Bavière. Ce résultat, contraire à toutes ses prévisions, paraissait le jeter dans un véritable égarement. Au premier moment, ce n’étaient dans sa bouche qu’invectives et épigrammes contre les généraux français : « Ne me parlez plus des Français, s’écriait-il, je ne veux plus entendre nommer leur nom; je ne veux plus qu’on me parle de leurs troupes et de leurs généraux. Voyez où j’en serais si je m’étais embarqué avec ces gens-là. On sera habile si on m’y rattrape ! » Mais, peu de jours après, craignant évidemment de faire lui-même la partie trop belle à la reine de Hongrie et à ses alliés : « Voilà bien du bruit pour peu de chose, reprenait-il, et bien des gens tués inutilement. Cette victoire tant criée du roi d’Angleterre se réduit au seul champ de bataille qu’il a maintenu, et perte égale des deux côtés. » Puis venaient des plaisanteries impitoyables sur l’attitude gauche et la bravoure douteuse du roi George, et l’indiscipline des troupes anglaises : « Vos gens vont mourir de faim, disait-il à Hyndford; ils ne vivent que de pillage. » Et comme l’envoyé anglais assurait que le roi d’Angleterre avait déjà ramené son armée sur les bords du Rhin, où elle ne manquait de rien : « M. de Mayence, dit-il, sera un habile homme s’il peut avoir des tables servies pour tant de convives, mais la nappe pourra lui coûter cher. » — « Et au même moment, ajoute Hyndford, il se tourna du côté de M. de Valori et lui dit cent impertinences sur le maréchal de Broglie, puis se retira dans une chambre voisine avec cet ambassadeur, qui lui remit un papier dont, autant que j’ai pu le voir de la chambre où j’étais resté, il n’eut pas l’air d’être mécontent. » Enfin, un peu plus tard, nouveau changement d’attitude. « Je ne suis pour rien dans tout ceci, disait-il à un ministre étranger, j’aime à voir ces gens-là se battre, et il m’est bien égal qui l’emporte. »

A travers ces hésitations qui, réelles ou calculées, n’en avaient pas moins l’effet de dépister tout effort fait pour pénétrer ses desseins, une seule chose était certaine, c’est qu’il remettait ostensiblement son armée sur le pied de guerre et réparait toutes ses forteresses, tant sur les frontières de Bohême que dans le voisinage du Rhin, de manière à les préserver de toute surprise. Évidemment il voyait le moment venir où il devait reparaître sur la scène, s’il ne voulait pas que le drame se dénouât sans son concours. Mais quel rôle prendrait-il et à quelle heure?.. Se remettrait-il avec les vaincus pour les aider à se relever ou avec les vainqueurs pour partager le butin ? C’est ce qu’il ne savait pas encore lui-même ou ne voulait pas laisser savoir. En attendant, Valori et Hyndford, aussi las que dégoûtés d’être si souvent trompés et de ne recevoir que des rebuffades, ne faisaient plus que se communiquer mutuellement leurs répugnances, et leurs dépêches, qu’on dirait copiées les unes sur les autres, envoyaient, à Versailles comme à Londres, ce refrain uniforme : « N’espérez jamais rien obtenir de cet homme-ci, quoi qu’il vous dise; il n’agira que le jour où il saura bien certainement de quel côté est la force ou bien où il se sentira menacé dans son intérêt personnel[7]. »


II.

A défaut cependant des ministres ordinaires de la diplomatie régulière qui donnaient ainsi la démission de leur métier, un ambassadeur vraiment extraordinaire se rencontra pour tenter encore l’aventure. Celui-là ne fut autre que Voltaire, qui, s’étant déjà employé une fois dans une mission officieuse de ce genre sans beaucoup de succès, n’aurait pas dû être bien tenté de revenir à la charge. Comment il se laissa engager de nouveau dans une seconde entreprise, qui ne devait pas mieux réussir que la première, et comment il s’en acquitta, c’est une histoire qui vaut la peine d’être contée avec quelque détail, car c’est peut-être l’un des plus curieux incidens de la vie de cet homme illustre aussi bien que de son royal ami.

Je n’ai pas besoin de rappeler au lecteur l’accueil si peu patriotique que le poète français avait fait à la paix perfide par laquelle Frédéric nous avait faussé compagnie au jour du malheur, la lettre de félicitation qu’il n’avait pas craint d’adresser à ce sujet à Berlin, puis la publicité inattendue que cette épître reçut, enfin l’indignation générale qui s’ensuivit. Pour préserver Voltaire de mesures de rigueur qui n’auraient été que trop bien méritées, il ne fallut pas moins, on l’a vu, que des désaveux répétés de sa part, auxquels le ministère voulut bien faire semblant d’ajouter foi. Une telle conduite avait fait sans doute beaucoup de tort à sa réputation d’honnête homme et de bon citoyen; elle n’avait rien pu enlever pourtant ni à la renommée du grand écrivain, ni à l’admiration du public pour son génie. Bientôt même le désir de ménager Frédéric devint si général parmi les politiques qu’il en rejaillit quelque chose sur celui qui pouvait se vanter d’être son ami. Lui-même alors, au lieu de continuer à se défendre et à rougir d’une amitié qu’on n’osait plus lui reprocher, trouva, au contraire, quelque avantage à l’étaler sans mystère et à s’en vanter en toute occasion. C’était comme une haute protection qu’il invoquait pour se préserver des dangers que pouvaient lui faire courir l’audace croissante et souvent l’inconvenance de ses écrits. « Vous devriez avertir charitablement Voltaire, disait (au récit du chroniqueur Barbier) une dame de qualité à un homme de marque, de ne pas parler si souvent du roi de Prusse et des liens intimes qu’il a avec ce monarque. Malgré son crédit, il pourrait donner de l’inquiétude au ministère; on a plus de prétextes qu’il n’en faut pour le chagriner, et il me semble qu’il devrait être plus sage qu’un autre. — Vous êtes dans l’erreur, madame, reprit l’homme de marque. Voltaire sait qu’il ne tient à rien ici, qu’il a le parlement à dos, et profite de la circonstance des affaires. On a besoin du roi de Prusse et on a garde de le chagriner, et de l’humeur singulière dont est ce prince, il se formaliserait sûrement, si on faisait un mauvais parti à ce poète. Aussi Voltaire ne demande pas mieux qu’on le croie bien avec ce prince, et je suis persuadé qu’il ne néglige rien pour accréditer cette opinion. D’ailleurs on peut se servir de lui pour traiter avec le roi de Prusse. En voilà plus qu’il n’en faut pour mettre cet homme à l’abri des dangers que vous imaginiez qu’il courait[8]. »

Fut-ce cette confiance dans l’appui d’une si haute amitié qui suggéra à Voltaire une idée assurément très singulière, celle de prétendre à la succession du cardinal de Fleury pour le fauteuil que la mort de ce ministre laissait vacant à l’Académie française ? Que Voltaire, à près de cinquante ans, après Œdipe, Brutus, Zaïre, et tant d’autres triomphes, n’eût point encore fait son entrée à l’Académie, c’est ce que notre génération aura peine à croire, et ce dont l’Académie n’a point à se vanter. « S’il n’en est pas, qui est-ce qui en est donc? » disait un petit souverain d’Allemagne, et chacun de nous est prêt à faire la même réflexion. Mais qu’après avoir attendu si longtemps pour se mettre en avant (sans doute parce qu’il connaissait la nature des obstacles qu’il devait rencontrer) il ait choisi pour les braver le jour où il aurait à prendre la place d’un prince de l’église, c’est de quoi il y a lieu aussi d’être surpris. L’éloge du cardinal de Fleury, au point de vue religieux présentait déjà plus d’une difficulté; mais dans la bouche de l’auteur des Lettres philosophiques, c’eût été une étrangeté touchant à l’inconvenance. Le roi, pourtant, dit-on, désirant entendre bien parler de son ancien maître, avait paru donner son agrément à une candidature si mal appropriée à la circonstance; mais il fut bientôt averti du scandale par les réclamations de tout le parti religieux, encore très puissant à la cour, et représenté à l’Académie même par l’archevêque de Sens, Lenglet, auteur d’une Vie de Marie Alacoque et par le théatin Boyer, évêque démissionnaire de Mirepoix. Ce dernier venait, en outre, d’être chargé de présenter à la signature royale toutes les nominations aux dignités ecclésiastiques et, à ce titre, il se croyait investi d’un droit de contrôle à l’égard de toutes les fonctions qui pouvaient exercer une action sur l’état des mœurs et de l’esprit publics, et l’Académie au premier chef lui paraissait de ce nombre.

A la vérité, aux scrupules qu’on faisait naître dans la conscience du roi, Voltaire pouvait se flatter d’opposer l’attrait du charme qui touchait son cœur, car par l’intermédiaire d’un ami commun le duc de Richelieu, il s’était assuré du concours très empressé de Mme de La Tournelle. Mais cette alliance elle-même n’était pas sans inconvénient, car elle avait déterminé sur-le-champ l’hostilité déclarée du ministre Maurepas, toujours mal vu de sa cousine, et qui trouvait l’occasion favorable pour la contrarier. Maurepas, le plus léger, le plus frivole des ministres qui aient jamais pris part au gouvernement d’un état, avait dans son département les rapports avec les théâtres et les gens de lettres, et tout en continuant à composer pour son compte et à collectionner des chansons obscènes il n’en prit pas moins parti avec éclat pour la religion et la morale outragées.

A toutes ces oppositions combinées Voltaire fit tête avec toutes les ressources que pouvait lui fournir la prodigieuse variété de son esprit, servie par une souplesse de conscience au moins égale. Le plus loyal, le plus légitime de ses moyens de défense, celui qui, en bonne justice, aurait dû vaincre toutes les résistances, ce fut l’immense succès qu’il sut obtenir pour sa pièce de Mérope, représentée pour la première fois le 21 février de cette année. Jamais triomphe dramatique ne fut plus complet, et le mérite en fut d’autant plus grand que la pièce, réellement belle, était d’une sévérité très rare au théâtre, puisque le mot même d’amour n’y était pas prononcé. Le nom de l’auteur fut salué par des cris d’une admiration frénétique : « On m’est venu prendre, écrit Voltaire lui-même, dans une cache où je m’étais tapi, et on m’a mené de force dans la loge de la maréchale de Villars, où était sa belle-fille. Le parterre était fou : il cria à la duchesse de Villars de me baiser, et il a fait tant de bruit qu’elle a dû en passer par là. J’ai été baisé publiquement, comme Alain Chartier par Marguerite d’Ecosse, mais il dormait, et moi j’étais fort éveillé[9] ».

Quelque austère pourtant que fût une pièce de théâtre, ce n’était pas là un titre qui suffît pour désarmer l’opposition des Boyer et des Lenglet. Voltaire, qui ne s’y trompait pas, prit son parti, sans hésiter, de leur envoyer à l’un et à l’autre une profession de foi franchement et même dévotement catholique : « Il y a longtemps, monseigneur, écrivait-il à Boyer, que je suis persécuté par la calomnie et que je la pardonne. Je sais que, depuis Socrate jusqu’à Descartes, tous ceux qui ont eu un peu de succès ont eu à combattre les fureurs de l’envie. Quand on n’a pas attaqué leurs ouvrages ou leurs mœurs, on s’est vengé en attaquant leur religion. Grâce au ciel, la mienne m’apprend à savoir souffrir. Le Dieu qui l’a fondée fut, dès qu’il daigna être homme, le plus persécuté de tous les hommes. Après un tel exemple, c’est presque un crime de se plaindre. Corrigeons nos fautes et soumettons-nous à la tribulation comme à la mort… Je puis dire devant Dieu qui m’écoute que je suis bon citoyen et vrai catholique, et je le dis uniquement parce que je l’ai toujours été dans le cœur… Mes ennemis me reprochent je ne sais quelles Lettres philosophiques ; j’ai écrit plusieurs lettres à mes amis, mais jamais je ne les ai intitulées de ce titre fastueux : celles qu’on a imprimées sous mon nom ne sont pas de moi ; j’ai des preuves qui le démontrent. »

Et à Lenglet : « J’ai écrit contre le fanatisme, qui, dans la société, répand tant d’amertume, et qui, dans l’état politique, amène tant de troubles, mais plus je suis ennemi de cet esprit de faction, d’enthousiasme, de rébellion, plus je suis l’adorateur d’une religion dont la morale fait du genre humain une famille et dont la pratique est établie sur l’indulgence et les bienfaits. Comment ne l’aimerais-je pas, moi qui l’ai toujours célébrée?.. Vous dans qui elle est si aimable, vous suffiriez à me la rendre chère... Elle nous soutient dans le malheur, dans l’oppression, dans l’abandonnement qui le suit, et c’est peut-être la seule consolation que je doive implorer, après trente années de tribulations et de calomnies qui ont été le fruit de trente ans de travaux... J’avoue que ce n’est pas ce respect véritable pour la religion chrétienne qui m’inspire de ne faire jamais aucun ouvrage contre la pudeur ; il faut l’attribuer à l’éloignement naturel que j’ai eu, dès mon enfance, pour ces sottises faciles, pour ces indécences ornées de rimes qui plaisent, par le sujet, à une jeunesse effrénée. » Notez que la Pucelle était composée depuis dix ans et circulait assez publiquement, bien que sous le manteau, entre les mains des amateurs[10].

Avec Maurepas, qui était homme d’esprit, et faiseur comme lui de petits vers, Voltaire voulait essayer ce que pourrait le charme de sa conversation sur un confrère en poésie légère. Il l’alla voir et, après un entretien où il déploya toutes ses grâces en le comblant de complimens : « Parlons franchement, lui dit-il; vous êtes brouillé avec Mme de La Tournelle que le roi aime, et avec le duc de Richelieu qui la gouverne. Mais quel rapport y a-t-il entre cette brouillerie et une pauvre place à l’Académie française? C’est une affaire entre Mme de La Tournelle et l’évêque de Mirepoix. Si Mme de La Tournelle l’emporte, vous y opposerez-vous? » Maurepas. jusque-là de bonne humeur, se recueillit un moment, puis d’un air sérieux : « Oui, dit-il, et je vous écraserai. » En sortant. Voltaire tout déconfit et très irrité, jura, dit-on, assez haut, qu’il saurait bien venir à bout de la prêtraille, puisqu’il avait pour lui les appas de la favorite. » (J’avertis le lecteur que le mot d’appas est ici substitué à un autre beaucoup plus précis que l’écrivain, tout à l’heure si pudique, n’avait pas craint d’employer et qui ne pourrait être imprimé en toutes lettres.) La liberté du propos, dont Mme de La Tournelle eut connaissance, au lieu de la blesser, la fit sourire. Elle fit venir Voltaire, et le reçut à sa toilette, ce qui était assez l’usage des dames du temps, mais ce qui lui permettait de se montrer dans le costume le plus approprié pour faire apprécier le genre d’avantages sur lesquels Voltaire comptait pour sa candidature. « Eh bien ! monsieur de Voltaire, lui dit-elle, vous parlez de mes appas : qu’en feriez-vous si vous en étiez le maître? — Madame, dit Voltaire en se jetant à ses pieds, je les adorerais[11]. »

Mais Voltaire était loin de compte s’il ignorait que le roi était d’autant plus empressé à rendre des hommages extérieurs à la religion qu’il mettait dans sa conduite personnelle moins de scrupule à en observer les préceptes. Il n’eut garde d’entrer en lutte, pour un sujet qui touchait si peu son indifférence, avec des hommes qu’il respectait et de qui il avait beaucoup à se faire pardonner. Si les gens religieux, d’ailleurs, furent peu touchés des pieuses courbettes de Voltaire, le public en fut à la fois diverti et dégoûté, et on eut moins de peine qu’on en eût peut-être éprouvé, sans cette fausse manœuvre, à trouver un candidat à lui opposer. A la vérité, plusieurs à qui on avait songé, l’archevêque de Narbonne entre autres, se refusèrent à une concurrence qui avait son côté ridicule et, Voltaire se flatta même un instant qu’il allait prendre la place par famine. Mais en ce genre, quand on cherche, on trouve toujours, et jamais la crainte de faire trop mauvaise figure n’a empêché un sot ou un intrigant de prétendre à une place vacante. Dans le cas présent, celui qui se sacrifia fut l’abbé de Luynes, frère du duc et, par là même, très bien en cour. Le jour de l’élection, pas une voix ne lui manqua, et on l’aurait même reçu d’emblée, dans la séance si, avec une modestie digne d’éloges, mais peut-être un peu tardive, le nouvel élu n’avait demandé le temps de préparer son discours, le sujet qu’il avait à traiter étant d’une trop grande étendue pour ne pas mériter beaucoup de réflexions[12].

L’irritation de Voltaire, comme on le pense bien, fut portée au comble et se traduisit, ainsi que c’était son ordinaire, par un déluge d’épigrammes, en vers, en prose, par écrit ou en conversation, plus mordantes les mies que les autres, et chacune d’elles contenant une plaisanterie qui emportait la pièce. La meilleure, sans contredit, fut celle qui, dénaturant la signature connue de Boyer (l’anc, évêque de Mirepoix), faisait de lui, par un sobriquet qui lui resta toute sa vie, l’âne évêque de Mirepoix. Naturellement, toutes ces facéties étaient expédiées par chaque courrier à Frédéric, très curieux de tout ce qui faisait rire à Paris et aussi de tout ce qui lui permettait de rire aux dépens des Parisiens. Voltaire, d’ailleurs, veillait habituellement à ne le laisser en ce genre chômer de rien ; seulement, cette fois, les envois de Voltaire ne furent pas complets, car il eut soin de n’y pas comprendre les lettres édifiantes qu’il avait écrites, avant le combat, aux représentans de l’église à l’Académie, pour les fléchir. Mais Frédéric, qui avait plus d’un collectionneur à son service, les avait eues de première main, et en répondant à Voltaire soi-disant pour le consoler de son échec, il ne manqua pas, suivant son habitude charitable, de lui retourner le poignard dans la plaie. Dans des vers moins mal tournés que ne l’étaient d’ordinaire ses essais de poésie française, il le raillait sans pitié de ses accès subits de dévotion.

Depuis quand (disait-il), Voltaire,
Êtes-vous donc dégénéré ?
Chez un philosophe éclairé
Quoi ! la grâce efficace opère !
Par Mirepoix endoctriné
Et tout aspergé d’eau bénite,
Abattu d’un jeûne obstiné,
Allez-vous devenir ermite ?
..........
Je vois Newton du haut des cieux,
Se disputant avec saint Pierre,
Auquel en partage des deux
Pourrait enfin tomber Voltaire.
..........
Mais quel objet me frappe, ô dieux !
Quoi ! de douleur tout éplorée,
Je vois la triste Châtelet :
« Hélas ! mon perfide me troque.
Dit-elle, il me plante là, net,
Pour qui ? Pour Marie Alacoque ! »

« C’est ce que je présume du moins, ajoutait-il, par la lettre que vous avez écrite à l’évêque de Sens… Les Midas mitres triomphent donc des Voltaire et des grands hommes ! Je crois que la France est le seul pays où les ânes et les sots fassent à présent fortune. » En terminant cependant, pour adoucir la plaisanterie par un témoignage de confiance, il lui envoyait l’avant-propos de son Histoire de la campagne de Silésie, à laquelle il travaillait déjà dans ses momens perdus. Ce n’était qu’une première ébauche, et il y exposait avec une crudité naïve (fort adoucie dans les textes suivans) les motifs d’ambition et de pure convoitise qui l’avaient déterminé à se jeter sans droit sur le patrimoine de Marie-Thérèse.

On conçoit à la rigueur que Voltaire avait trop d’affaires à Paris et trop besoin de trouver appui à Berlin pour ne pas prendre ces cruelles consolations en bonne part. On peut admettre aussi que la communication confidentielle d’un document tout à fait intime était de la part d’un souverain une faveur dont il fallait le remercier. Mais était-il nécessaire pourtant de pousser la reconnaissance jusqu’à se montrer plus indulgent pour le spoliateur de Marie-Thérèse que ce moraliste si peu délicat ne l’était pour lui-même, jusqu’à se mettre en peine de tranquilliser sa conscience sur des scrupules qui ne la troublaient guère ; en un mot, jusqu’à prendre devant lui le rôle du renard de La Fontaine devant le lion, et à l’assurer qu’en mettant la main sur la Silésie, il lui avait fait en la croquant beaucoup d’honneur ?

C’est pourtant à ce raffinement d’adulation que Voltaire ne craignit pas de descendre dans sa réponse aux complimens aigres-doux de son protecteur. « Je vous avouerai, lui dit-il, grand roi, avec une franchise impertinente, que je trouve que vous vous sacrifiez un peu dans cette belle préface de vos Mémoires. Pardon, ou plutôt point de pardon : vous laissez trop entrevoir que vous avez négligé l’esprit de morale pour l’esprit de conquête. Qu’avez-vous donc à vous reprocher? N’aviez-vous pas des droits réels sur la Silésie, au moins sur la plus grande partie? Le déni de justice ne vous autorisait-il pas assez? Je n’en dirai pas davantage : mais sur tous les articles, je trouve que Votre Majesté est trop bonne, et qu’elle est bien justifiée de jour en jour. » Suivait naturellement une invective contre Boyer, sur lequel il avait soin pourtant de concentrer prudemment toute sa colère. « Le choix que Sa Majesté a fait de cet homme, disait-il, est le seul qui ait affligé la nation : tous les autres ministres sont aimés, le roi l’est : il s’applique, il travaille, il est juste, il aime de tout son cœur la plus aimable femme du monde. Il n’y a que le Mirepoix qui obscurcisse la sérénité du ciel de Versailles et de Paris,.. il répand un nuage bien sombre sur les belles-lettres. Il est vrai (ajoutait-il, arrivant au point tout à fait délicat) que ce n’est pas lui qui a fait Marie Alacoque; mais, sire, il n’est pas vrai que j’aie écrit à l’auteur de Marie Alacoque la lettre qu’on s’est plu à faire courir sous mon nom. Je n’en ai écrit qu’une à l’évêque de Mirepoix, dans laquelle je me suis plaint à lui très vivement et très inutilement des calomnies de ses délateurs et de ses espions... Je ne fléchis pas le genou devant Baal. »

La réplique n’eût pas été difficile à Frédéric, qui avait toutes les pièces en main, s’il lui eût convenu de pousser plus loin la plaisanterie; mais il y avait longtemps qu’il n’avait plus rien à apprendre sur la valeur des désaveux de Voltaire, pas plus que sur la sincérité de ses complimens. Satisfait de s’être diverti au point de le piquer jusqu’au sang, il pansa lui-même la blessure, en portant tout haut ce jugement qui fit fortune et courut Paris : « La France est un singulier pays : elle n’a qu’un bon général, c’est Belle-Isle; qu’un bon ministre, c’est Chauvelin; qu’un grand poète, c’est Voltaire : elle va trouver moyen de se priver de tous les trois[13]. »

Effectivement, Frédéric voyait juste, et le séjour de la France ne devait plus être longtemps possible à Voltaire. Avec son intempérance de langue plus déchaînée que jamais, sa bile en mouvement, son exaspération croissante contre toutes les autorités ecclésiastiques, il allait droit à s’attirer une lettre de cachet de la secrétairerie d’état, ou un ajournement personnel du parlement. « Il tonne contre nous, » écrivait-il lui-même à Frédéric. Ses meilleurs amis lui conseillèrent de laisser passer l’orage, et de s’éloigner spontanément pour quelque temps ; mais quels furent ceux qui imaginèrent que cet exil volontaire portant tous les caractères d’une disgrâce pourrait cependant être mis à profit, pour utiliser, dans l’intérêt de l’état, les services de Voltaire et le rapprocher lui-même du pouvoir ministériel qu’il avait intérêt à ménager ? où attribue généralement cette ingénieuse pensée au duc de Richelieu, et je serais porté à croire qu’on a raison, bien qu’une lettre de Mme de Tencin à ce seigneur fasse plutôt supposer qu’il ne connut le projet qu’au moment de son exécution. Quoi qu’il en soit, le plan fut celui-ci, qui fait honneur à l’inventeur, quel qu’il puisse être.

Du moment où Voltaire quittait la France pour éviter la persécution, Berlin, où on l’attendait pour le fêter, était le lieu où il devait naturellement porter ses pas. Quand Frédéric le verrait arriver mécontent, parlant mal du roi et des ministres, on pouvait espérer que lui-même ne se gênerait pas pour en parler aussi à son aise et découvrir le fond de son cœur. Voltaire n’aurait alors qu’à ouvrir l’oreille et même à poser avec art quelques questions pour démêler quel était le secret de ces intentions redoutables et mystérieuses qui tenaient toute l’Europe en peine. S’il consentait ensuite à faire connaître à Versailles par quelque canal souterrain le résultat de son enquête, la France saurait enfin si elle devait renoncer définitivement, ou si elle pouvait prétendre encore rallier à sa cause ce puissant et perfide auxiliaire. Tel fut l’artifice que Mme de La Tournelle fut chargée de proposer à Louis XV, et ce prince montrant, ce jour-là, pour la première fois, ce goût pour les négociations secrètes et pour la diplomatie occulte qui fut (comme je l’ai raconté dans d’autres écrits) un des traits les plus singuliers de son caractère, y entra sans difficulté. Le ministre des affaires étrangères Amelot, d’Argenson, ministre de la guerre, et Maurepas, qui était heureux en se réconciliant avec Voltaire d’échapper au feu de ses épigrammes, furent seuls mis dans la confidence.

Avec quel empressement Voltaire adopta la pensée de transformer son exil en mission confidentielle, c’est ce que devineront sans peine ceux qui savent combien les hommes de lettres, même les plus illustres, fatigués d’être traités de rêveurs et de vivre de spéculation, sont souvent pressés de descendre des hauteurs sereines de la pensée pour se mêler au théâtre agité et subalterne de la vie active. Notre siècle a vu plus d’un exemple de ce genre d’impatience qui n’a pas toujours été justifiée, et Voltaire, s’il eût vécu de nos jours, n’eût point fait exception. Il se croyait d’ailleurs sincèrement très propre à traiter d’affaires avec les princes et les gens en puissance, l’art qu’il savait mettre dans son langage lui faisant illusion sur ce qui lui manquait en fait d’adresse et de sagacité véritables. Aussi, dans son contentement, il ne s’arrêta pas à regarder trop près de quelle nature était la tâche qu’on voulait lui confier et si elle ne tenait pas de l’espion plus que de l’ambassadeur, Il ne prit pas le temps de remarquer qu’en le chargeant de sonder, sous un faux prétexte, les intentions du roi de Prusse, — c’est-à-dire de lui soutirer sa confiance pour en abuser, — on ne le chargeait pourtant, dans le cas où il trouverait ces intentions favorables, d’aucune proposition à lui soumettre et d’aucun pourparler à engager : il ne demanda pas de lettres de créance et pas même d’instructions.

Deux choses cependant apportèrent quelque retard à cet empressement : d’abord, le désespoir de sa savante amie. Mme du Châtelet, qui, même pour quelques semaines, ne pouvait se décider à se séparer du compagnon de sa vie intime comme de ses travaux, et d’un amant qui était en même temps son collaborateur en mathématiques. Elle craignait toujours, d’ailleurs, qu’une fois en sûreté auprès d’un roi qui le comblait de caresses, l’infidèle ne fût pas pressé de lui revenir et ne trouvât sur son chemin quelque motif d’oubli ou de consolation. Voltaire avait bien dit à Frédéric en lui annonçant sa venue : « Mme du Châtelet ne pourra m’en empêcher, je quitterai Minerve pour Apollon. » Quand Minerve fut avertie, elle fit éclater tant de colère, suivie d’un tel déluge de larmes que tout Paris le sut et s’en divertit. « Elle a pleuré toute la journée, dit Barbier, d’être obligée de quitter son Adonis. » Pour la calmer, il fallut l’initier elle-même à la confidence et lui promettre surtout qu’aucune correspondance ne passerait que par ses mains[14].

Le règlement des frais de voyage et des honoraires ne fut pas non plus sans difficulté. Cette fois, comme ce n’était pas Frédéric qui prenait l’initiative de l’invitation, il n’y avait pas moyen de compter sur lui pour les déboursés, et d’ailleurs Voltaire savait par expérience que Frédéric n’était ni large ni accommodant sur ce chapitre. « Je reçus, dit-il, dans ses Mémoires, l’argent que je voulus sur mes reçus de M. de Montmartel. » Mais il n’ajoute pas qu’il demanda et qu’il obtint, après quelque négociation, un supplément de viatique sous une autre forme. Ce fut un marché de fournitures pour les armées en campagne, accordé à ses cousins MM. Marchand père et fils, et dans lequel il fut, chacun le savait, largement intéressé. Ces négocians avaient déjà l’entreprise des fourrages, mais ils prétendaient qu’ils y perdaient et demandaient en dédommagement qu’on leur accordât aussi celle des subsistances et des habillemens, « Nous perdons considérablement, écrivait Voltaire à d’Argenson, à nourrir nos chevaux : voyez si vous avez la bonté de nous indemniser en nous faisant vêtir nos hommes... Je vous demande en grâce de surseoir à l’adjudication jusqu’à la semaine prochaine... Marchand père et fils ne songent qu’à vêtir et à alimenter les défenseurs de la France[15]. »

Ces délais et ces pourparlers à la veille d’un voyage dont la cause transpirait toujours plus ou moins n’étaient pas sans inconvénient : car un mécontent cherchant à se venger d’une injustice, ou un fugitif pressé de se préserver d’un péril, n’aurait pas fait tant de façons pour se mettre en route. Aussi le bruit que les sévérités du ministre et les ressentimens de Voltaire n’étaient que des feintes qui cachaient sous jeu une affaire secrète commença-t-il à se répandre avant même que tous les préparatifs du départ, dont tout le monde parlait, fussent terminés. « Ne faites mine de rien savoir, au moins par moi, écrivait au duc de Richelieu Mme de Tencin (qui venait elle-même de faire semblant d’apprendre en confidence de Mme du Châtelet ce qu’elle savait déjà par la rumeur publique), car Mme du Châtelet est persuadée que Voltaire serait perdu si le secret échappait par sa faute... Ce secret est à peu près celui de la comédie. Amelot a très habilement écrit à Voltaire des lettres contresignées; le secrétaire de Voltaire l’a dit, et le bruit s’en est répandu jusque dans les cafés. Il est pourtant vrai que la chose ne peut réussir que par une conduite toute contraire et que le roi de Prusse, bien loin de prendre confiance dans Voltaire, sera, au contraire, très irrité contre lui s’il découvre qu’on le trompe et que ce prétendu exilé est un espion qui sonde son cœur et abuse de sa confiance... Pour mon frère ajoute la chanoinesse, on ne lui en a rien dit ; il est vrai que lorsqu’il en a parlé, sur la publicité, on ne lui a pas nié... Maurepas lui a dit : « Ce n’est pas pour négocier, comme bien vous pensez. » Vous voyez par là le cas que ces messieurs font de Voltaire, et la récompense qu’il peut en attendre[16]. »

La comédie était ainsi percée à jour avant même qu’on eût commencé la représentation. Il devint nécessaire d’y rendre quelque vraisemblance au moyen d’un supplément d’artifice : on résolut donc de donner à Voltaire un nouveau grief, bien formel cette fois, et bien public, le touchant en apparence au point le plus sensible, qui lui permît de jeter avec ostentation feu et flamme et d’être cru sur parole partout où il irait porter l’expression de son mécontentement. L’occasion ne fut pas difficile à trouver, car avec l’incroyable fécondité dont il était doué, à peine avait-il pris le temps de jouir du triomphe de Mérope qu’il sollicitait déjà l’autorisation de faire jouer une autre pièce, la Mort de César, cette imitation heureuse bien qu’affaiblie de l’admirable tragédie de Shakspeare. Le censeur de la Comédie-Française, qui n’était autre que le célèbre Crébillon, s’était prononcé contre la permission demandée par ce motif que l’auteur mettait le meurtre du tyran romain sous les yeux mêmes du spectateur, au lieu d’en faire un récit à la mode classique, ce qui était contraire à la décence de la scène. « Il soutient, disait assez gaîment Voltaire, que Brutus a tort d’assassiner César : il a raison ; il ne faut assassiner personne. Mais il a bien mis lui-même sur la scène un père qui boit le sang de son enfant, et une mère amoureuse de son fils, et je ne vois pas qu’Atrée ni Sémiramis en aient éprouvé le moindre remords. » Effectivement, on n’avait tenu aucun compte de cette raison, qui n’en était pas une : la pièce était montée, les rôles appris par les acteurs, lorsqu’à la fin d’une répétition, arriva de la police une interdiction inattendue de passer outre. Nul doute que ce coup de théâtre n’eût été combiné avec Voltaire, car ce fut le 10 juin à minuit que fut envoyé l’ordre de la police, et, l’avant-veille encore, le 8, il écrivait à d’Argenson : « Je pars vendredi pour l’affaire que vous savez: c’est le secret du sanctuaire, ainsi n’en sachez rien. » Il n’en donna pas moins à sa colère tout l’éclat qu’on pouvait désirer, et avant la fin de la semaine, il était parti, secouant la poussière de ses pieds contre cette terre de Visigoths, où le génie n’avait pas liberté de se produire[17].

C’est à La Haye qu’il se rendit en droiture, dans le dessein, disait-il, d’attendre que le roi de Prusse lui eût envoyé les permis de poste et les passeports qui étaient nécessaires pour traverser l’Allemagne en sécurité, au milieu des troubles de la guerre. Le lieu d’ailleurs était bien choisi ; la Hollande étant par tradition l’asile de la liberté d’écrire et de penser, si maltraitée dans tout le reste de l’Europe, rien d’étonnant qu’un auteur persécuté vînt y chercher la sécurité de sa personne et des imprimeurs pour ses ouvrages. De plus, dans un précédent voyage, Voltaire avait contracté une liaison assez intime avec l’envoyé prussien dans cette capitale, le jeune comte Podewils, neveu du ministre d’état du même nom qui a déjà figuré tant de fois dans ce récit. D’un naturel plus ardent et d’un caractère plus ouvert que son oncle, Podewils était comme lui très avant dans la confidence du maître. On pouvait donc espérer déjà tirer quelque lumière de sa conversation. Le jeune diplomate devançant, par ordre sans doute, l’hospitalité qui attendait le fugitif à Berlin, l’établit tout de suite dans sa propre demeure, assez médiocre logis, — vaste et ruiné palais, dit Voltaire, — mais qui avait l’avantage d’être inviolable, non-seulement comme maison diplomatique, mais aussi comme propriété particulière du roi de Prusse ; et grâce à des relations intimes et tendres qui existaient entre son hôte et l’aimable femme d’un des premiers magistrats de la cité, Voltaire se trouva transporté du premier coup dans le centre même de la politique hollandaise.

C’était en même temps le foyer de l’hostilité la plus déclarée contre la France : car de toutes les Provinces-Unies, celle dont La Haye était le chef-lieu était la plus soumise au joug de l’Angleterre, et le parti qui y dominait était le plus belliqueux. La vie commune avec les ennemis de son pays eût pu causer quelque gêne à un patriotisme plus délicat que celui de Voltaire ; mais rien n’était plus conforme à l’attitude de frondeur et de mécontent qu’il voulait prendre et même de plus utile pour le rôle qu’il devait jouer. Aussi, dès le premier jour, dut-il à cette situation l’avantage de recueillir dans les conversations qu’on tenait devant lui sans précaution deux informations très importantes, dont il fit sans scrupule part à Versailles : l’une était l’indication exacte du chiffre et de la composition des forces que la république pourrait mettre en ligne le jour où elle se déciderait à prendre effectivement part à la guerre : l’autre, les conditions d’un emprunt négocié par Frédéric sur la place d’Amsterdam, précaution qui semblait indiquer qu’il se préparait à quelque opération coûteuse et qui permettait de supposer que, son trésor n’étant plus très bien garni, il ne serait pas insensible, le cas échéant, à l’offre d’un subside pécuniaire[18].

C’était bien le genre de services que pouvait rendre un observateur intelligent, caché sous un déguisement d’emprunt, dans un camp ennemi, et c’est ce que Voltaire appelait par euphémisme « faire tourner à l’avantage de la France l’heureuse obscurité à l’abri de laquelle il pouvait être reçu partout avec assez de familiarité. » Il était pourtant un lieu à La Haye où, même dans ces conditions d’action restreinte et d’une loyauté douteuse, la présence de ce visiteur suspect ne pouvait manquer de causer quelque ombrage : c’était l’ambassade de France. Cette importante légation était confiée alors à un chef très estimable, porteur d’un nom qui, par une singulière coïncidence, est du petit nombre de ceux qu’on peut, dans l’ordre du talent et de la renommée, mettre à côté de celui de Voltaire ; car c’était le marquis de Fénelon, neveu de l’illustre prélat et élevé sur ses genoux, l’aimable Fanfan, en un mot, à qui sont adressées, dans une correspondance qu’on ne saurait trop relire, des lettres charmantes, modèles inimitables de grâce et de douceur paternelle.

Avec les années, Fanfan avait grandi et même vieilli ; s’il n’avait pas hérité du génie de son oncle, il avait au moins profité de ses leçons : il était devenu le chef respectable d’une nombreuse famille ; un brave général ayant conquis tous ses grades sur le champ de bataille et dont on avait fait sans peine un diplomate éclairé et prudent. Fénelon était d’ailleurs utilement secondé par un jeune ecclésiastique qu’il avait amené lui-même comme précepteur de ses enfans, dont il avait ensuite fait son secrétaire, et dont le mérite avait été si vite reconnu qu’on le laissait sans inquiétude chargé des affaires pendant les fréquentes absences de son chef. L’abbé de La Ville était lui-même un écrivain fort distingué en son genre, puisque bien des années plus tard, après avoir dirigé longtemps les bureaux des affaires étrangères, il fut appelé à siéger à l’Académie française, — bonne fortune qui n’est arrivée, je crois, après, lui dans les mêmes conditions, qu’à mon ami M. de Viel-Castel.

À eux deux, à force de soins et de prudence, ces dignes agens avaient réussi, sinon à changer la tendance naturelle de la politique hollandaise qui la rapprochait de l’Angleterre, au moins à en paralyser les effets. Ils avaient su opposer avec art le flegme flamand aux ardeurs autrichiennes et britanniques, les intérêts commerciaux et pacifiques aux susceptibilités républicaines et protestantes. S’ils n’avaient pu former un parti qui disputât la majorité, ils groupaient du moins autour d’eux tous les esprits raisonnables et modérés auxquels répugnaient les partis extrêmes, et jouissaient auprès de tous d’une considération véritable. En un mot, ils avaient réussi (et c’était le comble de ce qu’on pouvait espérer) à faire de la Hollande, suivant l’expression de La Ville, une non-valeur dans les comptes de l’Angleterre.

Ce n’étaient pas là des serviteurs qu’on pût traiter sans ménagement. Aussi, usant avec eux de meilleurs procédés que Louis XV n’en eut plus tard avec ses ambassadeurs et même ses ministres, on ne leur avait pas fait mystère de la mission secrète de Voltaire. Ils n’avaient donc pas lieu d’être trop surpris de son attitude, mais ils n’en étaient pas moins très gênés. La présence d’un homme dont la réputation était européenne, venant apporter le prestige de son amitié aux adversaires qu’ils n’avaient cessé de combattre, — détruisant par là une partie de l’effet de leurs conseils et de leurs menaces, — laissant échapper à tout moment, soit dans des accès d’humeur, soit pour mieux cacher son jeu, des épigrammes piquantes contre la cour, les ministres et les généraux français, qui circulaient de bouche en bouche et finissaient par passer dans les gazettes, — c’était là un appui dont ils se seraient bien passés. Ce partenaire brouillait leurs cartes ; aussi, malgré leur respect pour l’ordre ministériel, ne pouvaient-ils s’empêcher d’en témoigner discrètement leur humeur dans leurs dépêches : « M. de Voltaire est arrivé, écrivait Fénelon le 21 juillet ; il voit toutes sortes de monde. » — « Il est plus à portée que personne, ajoutait-il le 6 août, de vous faire connaître les dispositions réelles ou affectées des plus grands ennemis que la France ait dans ce pays, car c’est avec eux qu’il vit dans la plus intime familiarité… Il n’y a qu’à souhaiter qu’il ne se méprenne pas dans la façon dont on lui fait envisager les choses et dans le compte qu’il a l’honneur de vous en rendre. »

Quelques jours après, l’abbé de La Ville envoyait, en pièce jointe à sa dépêche officielle, une comédie intitulée la Présomption punie, qu’on jouait publiquement sur le théâtre d’Amsterdam, aux applaudissemens de la foule. On y voyait un vieux bailli impuissant qui, ne pouvant séduire une jeune fille, tâchait de la priver de la succession de son père et finissait par être mis à la raison par un cousin nommé Charlot : c’étaient Fleury, Marie-Thérèse et Charles de Lorraine. Le jeu, comme le costume des acteurs, ne permettait pas de s’y tromper. L’auteur était, disait-on, un médecin de La Haye. — « M. de Voltaire, écrivait La Ville, est plus en état que personne de vous donner des notions sur ce médecin, avec lequel il vit en particularité. » Et effectivement, à la même date, Voltaire envoyait cette facétie au duc de Richelieu en l’accompagnant d’une plaisanterie d’un goût douteux : « J’aime mieux, disait-il, cette farce que celle de Dettingue ; on y casse moins de bras et de jambes[19]. »

Il faut ajouter que Voltaire, novice dans le métier autant qu’impatient de s’y distinguer, et ne pouvant tenir, deux jours durant, la même conduite, s’y prenait avec un manque d’égards, de suite et de ménagemens qui auraient agacé les nerfs du tempérament diplomatique le plus calme. Ainsi, un jour, Fénelon lisait dans la Gazette de Bruxelles qu’un courrier d’ambassade français venait de traverser la ville à bride abattue ; n’ayant aucune mémoire d’avoir fait cet envoi, il alla sur-le-champ aux informations. « M. de Voltaire ne m’a pas dissimulé, écrit-il au ministre, que c’était lui qui avait fait partir, par cet exprès, une lettre pour vous, et il m’a même dit qu’il était en grande inquiétude sur le sort de ce courrier, dont il n’avait aucune nouvelle depuis son expédition. » Une autre fois, il arrivait chez l’ambassadeur, déployant une grande lettre du roi de Prusse, dont il ne lui laissait lire qu’une partie. Puis il empruntait le chiffre de la chancellerie pour rendre compte de cette pièce à Paris, dans une dépêche dont il ne donnait aussi à Fénelon qu’une communication incomplète. Une ignorance absolue eût paru moins désagréable à l’ambassadeur que des demi-confidences qui blessaient son amour-propre et engageaient à l’aveugle sa responsabilité.

Tout alla bien pourtant, ou du moins tolérablement, tant que Voltaire consentit à se renfermer dans son rôle d’agent d’observation et même, au besoin, d’agent provocateur ; mais, exalté par les premiers complimens qu’il reçut de Paris, il ne tarda pas à se lasser de ce métier en soi-même un peu louche et qui ne mettait pas suffisamment en lumière, à son gré, les talens dont il se croyait pourvu. Il avait beau écrire au ministre : « Il ne m’appartient pas d’avoir d’opinion. Je laisse le jugement à M. l’ambassadeur et à M. l’abbé de La Ville, dont les lumières sont trop supérieures à mes faibles conjectures. Je n’ai ici d’autre avantage que celui de mettre les partis différens et les ministres étrangers à portée de me parler librement. Je me borne et me bornerai toujours à vous rendre un compte simple et fidèle ;.. » ce rôle d’auditeur et de rapporteur ne lui suffisait pas, il aspirait à exercer lui-même une action qui pût constater son influence par quelque résultat de nature à lui faire honneur. Ce fut sur le jeune Podewils d’abord qu’il essaya ou se vanta d’exercer son empire. Dans les mouvemens militaires qui se préparaient, quelques officiers hollandais avaient eu le tort d’emprunter, pour le passage de leurs troupes, une lisière des provinces prussiennes limitrophes des Pays-Bas ; Podewils ayant dû rendre compte de cette irrégularité, Frédéric, qui n’entendait pas raillerie sur le moindre de ses droits, envoya sur-le-champ à son ministre l’ordre de demander réparation. Voltaire vit dans cette démarche une occasion toute trouvée pour lui d’amener, entre la république et la Prusse, une rupture favorable, suivant lui, aux intérêts français. Prenant feu sur cette espérance, il oublia qu’il était censé à La Haye la victime de l’injustice et non le serviteur des intérêts de la France. Il conseilla et crut avoir persuadé à Podewils de donner à ses réclamations un grand éclat et d’en aggraver même le caractère en interdisant, pour l’avenir, non-seulement tout passage de troupes, mais tout transport de munitions de guerre à travers le territoire prussien. « Je fais fermenter ce petit levain, « écrivait-il tout joyeux à Amelot. Puis il vint annoncer mystérieusement à Fénelon qu’on allait voir, grâce à ses utiles excitations, le ministre prussien adresser aux états-généraux une note de telle nature et conçue dans de tels termes que le séjour de La Haye ne lui serait pas longtemps possible. Frédéric se trouverait, par cette retraite, engagé bon gré mal gré, dans une voie d’hostilité déclarée avec l’un au moins des ennemis de la France.

Fénelon savait par expérience qu’il y avait toujours lieu de rabattre un peu des menaces proférées par Frédéric dans un premier accès d’humeur ; il doutait encore plus que ce prince, à la fois irascible et prudent, attendît les conseils de personne, pas même de Voltaire, pour prendre souci de sa dignité. Il se borna donc à faire son compliment sur la bonne nouvelle avec un léger sourire d’incrédulité. Il n’avait pas tort ; car, dès la semaine suivante, c’était Voltaire lui-même qui venait lui annoncer, la tête basse, que décidément Podewils était trop attaché au séjour de La Haye par le charme qui l’y retenait pour se décider à faire quoi que ce soit qui pût l’en éloigner : « La mésintelligence, écrivait-il à Amelot, que j’avais trouvé l’heureuse occasion de préparer, était fondée sur l’intérêt. Celle qui naît du passage des troupes vient du juste maintien de la dignité de la couronne. Je souhaiterais que ces deux grands motifs pussent servir à déterminer le monarque au grand but où il faudrait l’amener. Mais j’ai peur que son ministre à La Haye, qui a plus d’une raison d’aimer ce séjour, ne ménage une réconciliation, et je ne m’attends plus à une rupture ouverte. » En réalité, ni Podewils, ni sa maîtresse n’étaient pour rien dans ce changement de front. C’était tout simplement Frédéric lui-même qui, ne se souciant pas qu’on lui fît faire un pas de plus qu’il ne lui convenait, avait prescrit à son agent de modérer ses exigences de manière à ne pas alarmer les états-généraux. « Il est regrettable, écrivait malicieusement Fénelon, que les espérances de M. de Voltaire ne soient pas mieux justifiées[20]. »

N’ayant jamais compté sur rien, Fénelon n’éprouvait que peu de mécomptes ; mais une autre manœuvre de Voltaire, plus déplacée encore, quoique moins importante, vint lui causer plus de surprise et d’impatience. On lui écrivit de Paris pour lui demander qui était un sieur van Haren, à qui Voltaire, de son chef et sans consulter personne, avait offert de le faire désigner pour le poste d’ambassadeur à Paris. Le titulaire en exercice de cette fonction était un brave docteur van Hoey, excellent homme, aimé à Paris et s’y plaisant, s’employant toujours de son mieux à accommoder tous les différends, très bon chrétien d’ailleurs, ne parlant que par citations de l’Écriture sainte et méritant lui-même toutes les béatitudes que l’Évangile promet aux pacifiques. Dans les circonstances présentes, c’était, par la simplicité de son esprit et la droiture de son cœur, un diplomate tout à fait à souhait pour ceux qui avaient à traiter avec lai. On n’avait aucune raison de désirer sa retraite et moins encore de le mécontenter en y travaillant sous main. Qu’était-ce donc que le successeur que Voltaire imaginait de lui donner ?

Fénelon n’eut pas de peine à répondre, car il ne connaissait que trop bien le protégé de Voltaire. C’était un tout jeune homme, récemment nommé aux états de Hollande, où il affectait des allure de tribun, et, par son déchaînement passionné contre la France, scandalisait même cette petite assemblée, très malveillante pour nous, mais toujours paisible de caractère. De plus, il était poète à ses heures et consacrait sa verve à célébrer les vertus de Marie-Thérèse et à exciter par des vers enflammés le tempérament, à son gré trop peu militaire, de ses compatriotes. Quand viendrait le jour décisif, il annonçait qu’il paraîtrait lui-même sur le champ de bataille, et ses amis lui avaient frappé d’avance une médaille avec cette inscription : Quæ canit, ipse facit. Voltaire, en le saluant à son arrivée, l’avait baptisé lui-même de Tyrtée des états-généraux, « Je suis bien aise, avait-il dit, pour l’honneur de la poésie, que ce soit un poète qui ait contribué ici à procurer des secours à la reine de Hongrie et que la trompette de la guerre ait été la très humble servante de la lyre d’Apollon. » Naturellement van Haren avait répondu à ces complimens par d’autres pareils, comme c’est assez l’usage entre poètes, surtout quand ils ne sont ni rivaux ni compatriotes. Il n’en fallut pas davantage pour que Voltaire s’imaginât qu’il avait exercé sur lui une séduction irrésistible, et tel était l’homme à qui il proposait de faire confier, dans les conjonctures les plus délicates, une mission dont pouvait dépendre, à un moment donné, la sécurité même de la frontière française. Il comptait sans doute ainsi compléter la preuve qu’il donnait déjà dans sa personne de l’union naturelle du génie poétique et de l’habileté diplomatique. « Il m’a paru, écrivait-il à Amelot, qu’il aime la gloire et les ambassades, » Van Haren n’était pas absolument le seul à qui on pût appliquer cette appréciation piquante[21].

Il ne fut pas difficile à Fénelon de faire comprendre qu’un dithyrambe fait en l’honneur de Marie-Thérèse n’était pas un titre suffisant pour devenir à Paris un négociateur prudent et pacifique. Le seul résultat de ces fausses manœuvres fut d’avoir amené Voltaire à découvrir imprudemment son secret et à rendre sa situation, dans ses rapports surtout avec la société qu’il s’était choisie, des plus embarrassantes. Cette ardeur subite qui l’enflammait pour les intérêts français dessillait, en effet, tous les yeux ; car tant de zèle patriotique eût supposé chez un mécontent une vertu surhumaine dont, avec la meilleure volonté du monde, ni le caractère ni le passé connu du grand écrivain ne permettaient de le croire capable. Et que devaient penser van Haren et ses amis d’un proscrit qui se croyait assez bien en cour pour promettre des ambassades au premier venu ? La feinte, ainsi mise à nu, n’était plus qu’une supercherie enfantine propre seulement à offenser ceux qui avaient été assez simples pour s’y laisser prendre. Le bruit que Voltaire n’était que l’agent, assez mal déguisé, du cabinet de Versailles se répandit aussitôt dans toute la Hollande et les gazettes se divertirent aux dépens des dupes qu’il avait pu faire.

« En même temps, monseigneur, écrivait La Ville à son ministre, que je me fais un devoir de rendre témoignage au zèle de M. de Voltaire, à son envie de devenir utile au service du roi et au désir extraordinaire qu’il a de mériter votre approbation, je ne dois pas vous dissimuler que le motif de son voyage auprès du roi de Prusse n’est plus un secret. La Gazette de Cologne, en faisant usage de ce qui se trouve à ce sujet dans le supplément de celle d’ici, du 16 de ce mois, n’a été que l’écho de ce qui se dit publiquement[22]. »

Voltaire lui-même ne tarda pas à sentir la gaucherie de sa position et laissa apercevoir assez clairement son embarras à l’ambassadeur. Le marquis, dont le bon sens et la droiture souffraient depuis longtemps d’être mêlés à une comédie assez peu honnête, lui conseilla tout simplement d’y renoncer et de se donner sans détour pour ce qu’il était : « Je lui ai dit, écrivait-il, qu’il ne pouvait se couvrir plus longtemps de ce masque. Il me par la encore hier, dans ce qu’il me fit voir qu’il vous écrivait, de ce qu’il concertait avec le comte de Podewils, en l’engageant à écrire au roi son maître, dans un esprit tout français. Comment concilier cette manière de se conduire envers ce ministre avec la disposition d’un homme sorti de France mécontent ?.. Je lui ai donc conseillé de déposer toute cette fiction et, quand il verrait le roi de Prusse, de couper court sur ce point en répondant laconiquement à ce prince qu’il ne pouvait être que très content puisqu’il se voyait arrivé auprès de lui. Après ce début, ce serait à lui de se prévaloir, sans mélange de déguisement, des occasions que la familiarité du prince lui donnerait de placer à propos toutes les réflexions lumineuses que lui fournissait votre dépêche, que je lui ai remise, et dont il ne pouvait trop se remplir pour en former son langage. J’ai dit aussi ma pensée à M. de Voltaire sur ses idées au sujet de M. van Haren. Puisqu’il s’était avancé jusqu’à lui parler de l’ambassade en France et à le flatter des agrémens personnels qu’il y trouverait, il était sans doute de son devoir et de sa fidélité de vous rapporter l’impression qu’il se figurait lui avoir faite et ce qu’il en espérait pour le changer en notre faveur. Mais j’ai, en même temps, averti M. de Voltaire de l’obligation où je me croyais, de mon côté, de vous donner à considérer le revers de la médaille, de ce qui pourrait être regardé comme une recherche de la part de M. van Haren. Je ne connaissais rien de plus propre à nous faire tomber, ici, dans le mépris et à confirmer l’opinion que l’on voudrait si fort accréditer, de notre faiblesse, et qu’elle est si grande qu’il n’y a rien que nous ne soyons disposés à subir pour nous tirer d’embarras… Il y avait une autre manière de s’y prendre avec M. van Haren, et qui, à mon jugement, serait la seule décente : au lieu de le flatter, on pourrait profiter du désir que M. de Voltaire croit lui avoir reconnu de pouvoir figurer en France pour lui remontrer avec ménagement, mais néanmoins sans lui dissimuler la vérité, combien il a à réparer avant de pouvoir concevoir l’espérance de rien de semblable. On pourrait en même temps lui représenter notre cour comme n’étant point implacable, et la France comme pleine de gens qui sauraient priser ses talens et lui faire honneur quand on l’aurait vu faire des démarches qui marquassent que, s’il s’était laissé aller à son feu dans la cause qu’il avait prise en main, il savait en revenir quand il était temps et qu’il n’y a plus de prétexte d’animer cette république contre la France. Il faut bien du temps et une longue expérience de ce pays-ci pour ne se pas méprendre dans le discernement à y faire des choses… Enfin, concluait Fénelon, quand j’aurais parlé à mon fils, je n’aurais su lui dire rien de plus pour lui indiquer les moyens de réussir. » Ces réflexions étaient si sages qu’à Paris on s’y rendit sans peine et qu’on écrivit à Voltaire pour lui faire savoir que le temps des feintes était passé et que, pour lui rendre plus facile son changement d’attitude et de langage, on était prêt à lever l’interdiction de sa pièce de Jules César et à lui ôter ainsi son motif de plainte le plus apparent[23].

Mais ce changement de front, sur place, en plein champ de manœuvre diplomatique, n’était pas si aisé à opérer, et quand on est sorti de la voie droite, il n’est pas si commode d’y rentrer que le pensait le bon ambassadeur. Après avoir fait retentir La Haye de l’écho de ses plaintes et s’être glissé à la faveur de ces fausses confidences dans l’intimité des chefs d’un parti politique, venir tout à coup leur avouer qu’on n’était que l’agent secret du gouvernement qu’on accusait la veille, c’était se donner à soi-même un triste démenti et confesser qu’on avait joué un singulier personnage. Heureusement pour Voltaire, un billet du roi de Prusse, auquel étaient joints les passeports qu’il avait demandés, vint le tirer de peine. Le prince, de retour d’une tournée en Silésie, l’attendait avec impatience à Berlin. « Ce ne sont pas, disait-il, en lui envoyant ses permis de poste, des Encéphales qui vous amèneront, ni des Pégases non plus ; mais je les aimerai davantage parce qu’ils m’amèneront mon Apollon. » Voltaire ne se le fit pas dire deux fois, ravi de trouver une bonne raison pour se dérober au rôle ridicule d’un comédien dont on a reconnu la voix sous le masque et d’un trompeur pris dans son piège.

Quant à Frédéric lui-même, il y avait longtemps qu’il savait à quoi s’en tenir sur le caractère de la visite qu’il allait recevoir. Soupçonnant tout de suite quelque artifice, il mit en œuvre pour le déjouer un de ces procédés d’une malice dénuée de scrupule qui lui étaient familiers. Parmi les épigrammes envoyées par Voltaire, sous l’empire d’un premier accès d’irritation, il fit choix de celles qui contenaient les traits les plus sanglans contre l’évêque de Mirepoix, et, les expédiant à un ami sûr qu’il avait à Paris, il le chargea de trouver quelque moyen détourné pour faire passer ces outrages sous les yeux du prélat offensé lui-même. « Je veux, écrivait-il à ce correspondant, brouiller si bien Voltaire avec la France qu’il ne puisse plus quitter Berlin. » Et telle est, en effet, l’explication que Voltaire lui-même (informé plus tard, comme on va le voir, du tour qui lui était joué) en a donné dans ses Mémoires. Il y en a une plus vraisemblable : Frédéric avait tout simplement calculé que Boyer, piqué au vif, irait porter plainte auprès des ministres et demander justice. S’il ne l’obtenait pas, si quelque lettre d’exil ou quelque arrêt du parlement (auquel plus d’un livre de Voltaire avait déjà été dénoncé) ne venait pas venger l’autorité offensée, c’est que cette autorité elle-même avait quelque raison de ne pas s’émouvoir : c’est qu’injure, colère et disgrâce, tout n’était qu’un jeu concerté dont on prétendait, lui, Frédéric, le rendre dupe.

La pièce envoyée dans ce dessein était bien choisie, car elle contenait un trait qui, passant par-dessus la tête de l’évêque, devait atteindre plus haut que lui et était presque un acte de lèse-majesté.


Non, non (y était-il dit), pédant de Mirepoix,
Prêtre avare, esprit fanatique,
Qui prétends nous donner des lois,
Sur moi tu n’auras pas de droits.
Loin de ton ignorante clique,
Loin du plus stupide des rois,
Je vais oublier à la fois
La sottise de Mirepoix
Et la sottise académique.


Les choses se passèrent pourtant exactement comme Frédéric l’avait prévu, et cette indigne supercherie (que Frédéric qualifie lui-même d’une expression beaucoup plus vive) eut tout le succès qu’il s’était promis. Boyer, qui n’était prévenu de rien, laissa éclater son ressentiment, mais les ministres firent la sourde oreille à ses réclamations. Louis XV, ou ne fut pas averti de ce qui le touchait, ou s’en émut pas, et Maurepas conseilla au prélat le pardon des injures. Tout était clair alors : le prétendu proscrit n’était qu’un agent déguisé ; celui dont on voulait sonder les intentions était mis sur ses gardes ; on voulait se jouer de lui, ce fut lui qui s’apprêta à se bien divertir[24]


Voltaire à peine débarqué à Berlin, la plaisanterie commença. L’artifice de Frédéric, cette fois très innocent, surtout pour un homme mis en défense légitime, consista tout simplement à aller lui-même, avec une franchise apparente, au-devant des explications qu’on espérait tirer de lui par surprise. Si Voltaire s’était flatté de prendre son temps, de commencer par reconnaître son terrain et de guetter l’heure favorable où le prince, entraîné par la chaleur de la conversation, laisserait échapper quelque parole indiscrète, il était loin de compte, car on ne lui donna pas même un jour pour se mettre en observation. Il raconte bien, dans ses Mémoires, qu’il eut l’adresse d’amener insensiblement Frédéric de la littérature à la politique et de le faire causer des affaires courantes sans qu’il s’en aperçût, à propos de l’Énéide et de Virgile ; mais ses lettres à Amelot (dont il ne pouvait avoir perdu le souvenir, puisqu’il en gardait la minute, qui est imprimée dans ses Œuvres) attestent que tant d’art ne lui fut pas nécessaire. Ce fut, au contraire, Frédéric lui-même qui, le soir même de l’arrivée de Voltaire, après l’avoir comblé d’embrassades et de complimens, puis établi dans un appartement d’honneur du palais, le fit dîner presque en tête-à-tête avec l’ambassadeur de France (celui qu’il ne cessait d’appeler mon gros ami Valori), comme s’il eût voulu tout de suite témoigner qu’entre le représentant officiel de Versailles et l’envoyé secret qu’on lui députait en éclaireur, il ne faisait vraiment pas de différence. Puis, dès le lendemain matin, c’est encore Frédéric lui-même qui entre familièrement chez son hôte : « J’ai été bien aise, lui dit-il, de vous faire dîner avec l’envoyé de France, afin d’inquiéter un peu ceux qui seraient fâchés de cette préférence. » Et, là-dessus, il entame au pied levé toutes les questions du jour avec une abondance et une liberté de langage, mais aussi une confusion de pensées dont son interlocuteur (dans le compte visiblement embarrassé qu’il en rend) paraît à la fois surpris, flatté et déconcerté. Quelque effort, en effet, que fasse Voltaire pour donner à ce premier entretien la gravité d’une conférence diplomatique où il s’attribue à lui-même un assez beau rôle, rien ne ressemble moins à une conversation sérieuse que la suite d’assertions incohérentes qui sortent, pour ainsi dire, pêle-mêle de la bouche de Frédéric. Tous les points y sont abordés et aucun n’est résolu. Ce sont alternativement des sarcasmes amers contre les armées françaises et des invectives méprisantes contre le roi d’Angleterre : puis une énumération formidable des ressources militaires de la Prusse, de la force de ses citadelles et de l’effectif de son armée, suivie du serment de rester en paix et de ne jamais sortir de la stricte neutralité ; le tout dit d’ailleurs par le roi avec bonhomie, en quelque sorte le cœur sur la main. Il n’évite même pas les souvenirs les plus délicats à réveiller, puisqu’il ne craint pas de convenir du tour qu’il nous avait joué à Breslau et de demander (à la vérité, dit Voltaire en baissant les yeux) si la France, dans le cas d’une alliance nouvelle, ne lui en garderait pas toujours rancune et ne lui rendrait pas à l’occasion la pareille. Le silence le plus affecté eût été moins énigmatique que ces idées sans suite noyées dans un flux de paroles.

Les mêmes scènes se renouvelèrent plusieurs jours de suite et se continuèrent même par écrit au moyen de petits papiers tracés au courant de la plume et échangés d’un appartement à l’autre quand le roi, retenu par ses occupations, n’avait pas le temps de sortir du sien. La seule chose peut-être qu’un observateur vraiment sagace aurait relevée dans ce rapide passage de pensées incohérentes, c’étaient des complimens un peu ironiques à l’adresse de Louis XV. Ces flatteries aigres-douces étaient sans doute destinées, si elles passaient sous les yeux du monarque français, à le piquer d’honneur en lui montrant qu’on mettait encore en question, en Europe, les résolutions viriles dont on lui témoignait, à Paris, une reconnaissance prématurée[25].

« Vous me dites tant de bien de la France (écrit par exemple Frédéric dans un de ces billets du matin) et de son roi, qu’il serait à souhaiter que tous les souverains eussent de pareils sujets et toutes les républiques de semblables citoyens… Cette nation est la plus charmante de l’Europe, et si elle n’est pas crainte, elle mérite qu’on l’aime. Un roi digne de la commander, qui gouverne sagement et qui s’acquiert l’estime de l’Europe entière, peut lui rendre son ancienne splendeur… C’est assurément un ouvrage digne d’un prince doué de tant de mérite que de rétablir ce que les autres ont gâté, et jamais souverain ne peut acquérir plus de gloire que lorsqu’il défend ses peuples contre des ennemis furieux et que, faisant changer la face des affaires, il trouve le moyen de réduire ses adversaires à lui demander la paix humblement. J’admirerai tout ce que fera ce grand homme, et personne de tous les souverains d’Europe ne sera moins jaloux que moi de ses succès. Mais je n’y pense pas de vous parler politique : c’est précisément présenter à sa maîtresse une coupe de médecine… Adieu, cher Voltaire. Veuille le ciel vous préserver des insomnies de la fièvre et des fâcheux[26] ! »

Au bout de quelques jours passés dans cet échange de communications stériles. Voltaire sentit pourtant la nécessité d’arriver à quelques informations plus précises. Le temps pressait, en effet, car le roi annonçait son prochain départ de Berlin pour Baireuth, où il devait faire visite à sa sœur, la margrave, femme du souverain de ce petit état, et il ne cachait pas qu’il comptait y rencontrer plusieurs princes importans d’Allemagne et s’entretenir avec eux des intérêts de l’empire. Tout le désir de Voltaire était d’être emmené avec lui, comme conseiller et comme auxiliaire, dans cette tournée diplomatique. Mais auparavant, il semblait pourtant nécessaire de savoir ce qu’on y allait faire. Voltaire saisit donc l’occasion d’une lettre qu’il avait reçue de l’abbé de La Ville, lui annonçant des propositions de paix faites par un magistral hollandais, et en communiquant ce renseignement à Frédéric, il crut pouvoir lui poser quelques questions dont il le priait de mettre en marge les réponses. Le roi ne s’y refusa pas, et cette pièce, écrite sur deux colonnes, a été conservée dans les manuscrits de Voltaire, qui en fait mention avec complaisance dans ses Mémoires. Bien qu’elle soit connue sans doute de plus d’un lecteur, je ne puis me refuser le plaisir de la citer intégralement, quand ce ne serait que pour la recommander à l’attention des faiseurs de Maximes et de Caractères, des La Rochefoucauld ou des La Bruyère futurs qui seraient tentés de moraliser sur les illusions de l’amour-propre. Si Voltaire, en effet, qui avait assez raillé en sa vie pour s’entendre en plaisanterie, ne s’est pas aperçu, ce jour-là, à quel point on se moquait de lui, c’est que les nuages élevés par la vanité dans l’intelligence sont trop épais pour que tout l’esprit du monde suffise à les dissiper.


A Frédéric II, roi de Prusse.


Septembre 1743.

Votre Majesté aurait-elle assez de bonté pour mettre en marge ses réflexions ses ordres ?


¬¬¬

VOLTAIRE FREDERIC
1° Votre Majesté saura que le sieur Bassecour, premier bourgmestre d’Amsterdam, est venu prier M. de La Ville, ministre de France, de faire des propositions de paix. La Ville a répondu que si les Hollandais avaient des offres à faire, le roi son maître pourrait les écouter. 1° Ce Bassecour est apparemment celui qui a soin d’engraisser les chapons et les coqs d’Inde pour Leurs Hautes Puissances?

¬¬¬

2° N’est-il pas clair que le parti pacifique l’emportera infailliblement en Hollande, puisque Bassecour, l’un des plus déterminés à la guerre, commence à parler de paix? N’est-il pas clair que la France montre de la vigueur et de la sagesse? 2° J’admire la sagesse de la France ; mais Dieu me préserve à jamais de l’imiter !
3° Dans ces circonstances, si Votre Majesté parlait en maître, si elle donnait l’exemple aux princes de l’empire d’assembler une armée de neutralité, n’arracherait-elle pas le sceptre de l’Europe des mains des Anglais qui vous bravent et qui parlent hautement de vous d’une manière révoltante, aussi bien que le parti des Bentinck, des Fagel, des Obdam? Je les ai entendus et je ne vous dis rien que de très véritable. 3° Ceci serait plus beau dans une ode que dans la réalité. Je me soucie fort peu de ce que les Hollandais et Anglais disent, d’autant plus que je n’entends point leur patois.
4° Ne vous couvrez-vous pas d’une gloire immortelle en vous déclarant efficacement le protecteur de l’empire? Et n’est-il pas de votre plus pressant intérêt d’empêcher que les Anglais ne fassent votre ennemi le grand-duc roi des Romains? 4° La France a plus d’intérêt que la Prusse de l’empêcher; et en cela, cher Voltaire, vous êtes mal informé : car on ne peut faire une élection de roi des Romains sans le consentement unanime de l’empire. Ainsi vous sentez bien que cela dépend toujours de moi.
5° Quiconque a parlé seulement un quart d’heure au duc d’Aremberg, au comte de Harrach, au lord Stairs, à tous les partisans d’Autriche, leur a entendu dire qu’ils brûlent d’ouvrir la campagne en Silésie. Avez-vous, en ce cas, sire, un autre allié que la France ? et, quelque puissant que vous soyez, un allié vous est-il inutile? Vous connaissez les ressources de la maison d’Autriche, et combien de princes sont unis à elle. Mais résisteraient-ils à votre puissance jointe à celle de la maison de Bourbon? 5° On les y recevra,

Biribi,
A la façon de Barbari,
Mon ami.

6° Si vous faites seulement marcher des troupes à Clèves, n’inspirez-vous pas la terreur et le respect, sans crainte que l’on ose vous faire la guerre? N’est-ce pas, au contraire, le seul moyen de forcer les Hollandais à concourir sous vos ordres à la pacification de l’empire et au rétablissement de l’empereur, qui vous devra deux fois son trône et qui aidera à la splendeur du vôtre? 6° Vous voulez donc qu’en vrai dieu de machine,

J’arrive pour le dénoûment;
Qu’aux Anglais, aux Pandours, à ce peuple insolent,
J’aille donner la discipline ?
Mais examinez mieux ma mine ;
Je ne suis pas assez méchant.

7° Quelque parti que Votre Majesté prenne, daignera-t-elle se confier à moi comme à son serviteur, comme à celui qui désire de passer ses jours à votre cour? Voudra-t-elle que j’aie l’honneur de l’accompagner à Baireuth et, si elle a cette bonté, veut-elle bien me le déclarer afin que j’aie le temps de me préparer pour ce voyage? Pour peu qu’elle daigne m’écrire quelque chose de favorable dans la lettre projetée, cela suffira pour me procurer le bonheur où j’aspire depuis six ans de vivre auprès d’elle. 7° Si vous voulez venir à Baireuth, je serai bien aise de vous y voir, pourvu que le voyage ne dérange pas votre santé. Il dépendra donc de vous de prendre quelles mesures vous jugerez à propos.

¬¬¬

8° Si, pendant le court séjour que je dois faire cet automne auprès de Votre Majesté, elle pouvait me rendre porteur de quelque nouvelle agréable à ma cour, je la supplierais de m’honorer d’une telle commission. 8° Je ne suis dans aucune liaison avec la France ; je n’ai rien à craindre ni à espérer d’elle. Si vous voulez, je ferai un panégyrique de Louis XV, où il n’y aura pas un mot de vrai; mais, quant aux affaires politiques, il n’en est aucune à présent qui nous lie ensemble ; et d’autant plus, ce n’est point à moi à parler le premier. Si l’on me demande quelque chose, il est temps d’y répondre ; mais vous qui êtes si raisonnable, sentez bien le ridicule dont je me chargerais si je donnais des projets politiques à la France sans à-propos, et, de plus, écrits de ma propre main.
9° Faites tout ce qu’il vous plaira; j’aimerai toujours Votre Majesté de tout mon cœur. VOLTAIRE. 9° Je vous aime de tout mon cœur, je vous estime, je ferai tout pour vous avoir, hormis des folies et des chopes qui me donneraient à jamais un ridicule dans Voltaire. l’Europe, et seraient dans le fond, contraires à mes intérêts et à ma gloire. La seule commission que je puisse vous donner pour la France, c’est de leur conseiller de se conduire plus sagement qu’ils n’ont fait jusqu’à présent. Cette monarchie est un corps très fort, sans âme et sans nerfs. FREDERIC.

Il eût été impossible, on en conviendra, d’être moins pressé que Voltaire ne l’était par Frédéric de le suivre à Baireuth; aussi hésita-t-il un peu à user d’une permission si froidement donnée. « Je ne sais, écrivait-il à Amelot, si le roi me mettra du voyage ; ma situation pourra devenir très épineuse. » Il se décida cependant à partir avec le roi, à la surprise de ceux qui, l’ayant entendu se plaindre de sa santé et des fatigues du voyage, ne trouvaient peut-être pas qu’il fût nécessaire de s’en imposer de nouvelles pour se rendre à une invitation assez peu chaleureuse. On sait, en effet, qu’il ne cessait de gémir de ses infirmités et qu’il est resté mourant toute sa vie jusqu’à quatre-vingt-quatre ans. Pour un tempérament délicat, Frédéric, avec ses allures brusques et pressées, était un compagnon de route assez incommode ; aussi Valori, qui en savait quelque chose par expérience, fit-il honneur à Voltaire de cet acte de dévoûment dans ses dépêches avec une nuance d’ironie : « M. de Voltaire, dit-il, va partir avec le roi de Prusse : il s’expose à aller un train inconnu aux Muses... J’admire beaucoup son courage dans l’état où il est, car il ne paraît avoir qu’un souffle de vie... Il peut être d’une grande utilité, si l’on en juge par son zèle et par la manière dont il s’est conduit ici. »

Le sacrifice était plus méritoire encore, à ce qu’il paraît, que Valori ne le supposait; car au moment où cet envoyé fermait sa lettre, il vit Voltaire lui-même entrer chez lui pour lui confesser que ce voyage de Baireuth, en retardant son retour à Paris, l’exposait, de la part d’une belle abandonnée, à de tendres reproches dont l’éclat pouvait être fâcheux. En conséquence, il demandait à ajouter lui-même à la dépêche annonçant son départ un post-scriptum qu’on y retrouve, en effet, tout entier écrit de sa main et qui est ainsi conçu : « Le roi de Prusse me donne l’ordre de le suivre à Baireuth. J’y vais, monseigneur, uniquement pour votre service. Je vous supplie d’engager M. le comte de Maurepas à le faire entendre à une personne qui se plaint trop d’une absence nécessaire. Sauvez-moi le ridicule en faveur de mon zèle[27]. » Je ne sais, en vérité, pourquoi Voltaire s’est plaint dans ses Mémoires de n’avoir rencontré chez Valori, pendant le cours de sa mission secrète, que méfiance et jalousie; ce simple détail tout intime, inséré dans une lettre officielle, montre que la confiance entre eux était complète et que l’ambassadeur même ne manquait pas de complaisance.

Au demeurant, si Voltaire, en se mettant en route, éprouvait encore quelque scrupule de se faire de fête là où il n’était pas précisément appelé, l’accueil qu’il reçut à Baireuth eut bien vite dissipé ce léger embarras. De la part de la margrave elle-même d’abord, il n’avait rien à craindre, car, depuis son premier voyage à Berlin, il avait dans cette princesse une admiratrice, une correspondante assidue, presque une amie. De toutes les sœurs du roi de Prusse Frédérique-Wilhelmine, margrave de Baireuth, était la plus spirituelle, la plus aimable, la plus chère aussi à son illustre frère. Associée à tous ses malheurs, pendant leur jeunesse commune, confidente de toutes ses peines, dévouée, depuis qu’il était roi, à tous les intérêts de sa gloire, elle partageait même de loin toutes ses préoccupations et tous ses goûts. Dans la petite ville obscure qui servait de capitale à son mince état et qui était pour elle un lieu d’exil, elle vivait consacrée au culte des lettres, de la philosophie et des arts. Elle avait même élevé aux Muses (pour parler le langage du temps) un véritable temple dont elle a fait la description dans les piquans Mémoires qu’elle nous a laissés. C’était un château d’un seul étage, bâti à quelque distance de la ville, dans un site agréable et solitaire. De vastes salles dont les parois étaient revêtues de marbres rares et de boiseries du Japon conduisaient à une salle de spectacle et de concert dont toutes les frises étaient surmontées des plus belles peintures. A la suite venait un petit cabinet décoré de laque brune, ouvrant par une seule fenêtre sur le jardin. C’était la retraite où Wilhelmine se réfugiait pour se livrer, loin des importuns, à ses études favorites. Combien de fois et avec quelle dévotion le nom de Voltaire avait été prononcé dans cet asile de méditations savantes ou rêveuses! C’était là qu’après chaque envoi de France, étaient dévorés avec avidité les moindres écrits sortis de sa plume, les moindres fruits de sa verve poétique. C’était là aussi qu’étaient reçues et serrées précieusement les lettres flatteuses qu’il adressait à « la princesse philosophe, la protectrice des arts, la musicienne parfaite, le modèle de la politesse et de l’affabilité. » Le recevoir en personne dans ce lieu où on avait si souvent parlé de lui était un bien inespéré. C’était vraiment le dieu qui paraissait dans le sanctuaire.

Ce furent aussitôt de longues, d’interminables, de charmantes conversations auxquelles la princesse se prêta avec d’autant plus d’empressement que le commerce de la petite noblesse allemande, telle qu’elle nous l’a dépeinte, lui imposait pour son régime ordinaire un jeûne plus complet des plaisirs d’esprit. Les confidences allèrent même assez loin, s’il est vrai, comme le rapporte Voltaire, qu’en lui racontant les malheurs de son jeune âge, elle ne se borna pas à lui parler des violences matérielles que lui avait infligées la main brutale de son père : « Elle en gardait, dit-il, des cicatrices au-dessous du sein gauche, qu’elle m’a fait l’honneur de me montrer[28]. »

Le margrave lui-même, jeune prince moins ami des lettres, mais encore très épris de sa femme et subissant entièrement sa domination, s’associa de bonne grâce à cette réception chaleureuse, et il ne fut pas le seul ; car la cité, ordinairement peu animée, de Baireuth devint tout de suite le rendez-vous de tous les princes du voisinage appelés par Frédéric ou accourus pour lui faire leur cour. Toutes les puissances petites ou grandes du cercle de Franconie, têtes couronnées ou mitrées, noblesse, magistrature, se pressaient autour du héros du jour. L’illustre Français qui vivait dans la familiarité du grand homme devint ainsi lui-même l’objet d’une curiosité universelle. Son nom était, d’ailleurs, du petit nombre de ceux qui étaient apportés dans ces pays reculés par les échos lointains de la renommée. C’était le représentant de ce génie français dont le prestige éblouissait, depuis des siècles, l’Allemagne entière. Aussi, dans une suite de fêtes brillantes, disposées avec art par le goût éclairé de la margrave, Voltaire se vit-il entouré d’hommages qui lui causèrent un véritable enivrement et lui firent oublier pour un moment ses soucis et ses prétentions politiques : « J’ai suivi à Baireuth, écrivait-il tout en extase à Podewils, l’Orphée couronné! J’y ai vu une cour où tous les plaisirs de l’esprit et tous les goûts de la société sont rassemblés. Nous y avons des opéras, des comédies, des chasses, des soupers délicieux. Ne faut-il pas être possédé du malin esprit pour s’exterminer sur le Danube ou sur le Rhin, au lieu de couler aussi doucement sa vie ? » Son entraînement était tel que, oubliant tout, il négligea quinze jours de suite d’écrire à Mme du Châtelet[29]. Le crédit de Voltaire auprès de Frédéric était d’ailleurs si bien établi dans la pensée de tous que les princes eux-mêmes recouraient à lui pour les grâces qu’ils voulaient obtenir. C’est ainsi que, mandé un jour par la duchesse régente de Wurtemberg, il la trouva tout éplorée, et le suppliant presque à genoux de lui faire rendre son fils, qui, bien que déjà en âge de régner, était retenu presque de force à la cour de Prusse. Voltaire promit son intercession et eut la jouissance de se faire bénir d’une princesse en séchant des larmes maternelles[30].

Mais pendant que la royauté littéraire était ainsi comblée d’encens et de complimens, que faisait le roi véritable et de quoi parlait-il dans ses entretiens particuliers avec les princes qui s’étaient rendus à son appel ? Évidemment, des projets d’alliance et de confédération étaient toujours en travail dans son esprit : mais dans quel sens et dans quel dessein ? Était-ce pour venir en aide à la France ou pour se passer d’elle en lui fermant les portes de l’Alleœagne ? C’est ce que Voltaire, malgré l’étourdissement des plaisirs, aurait pourtant désiré savoir et sur quoi il essaya, à plus d’une fois, d’obtenir des confidences. Mais ces tentatives furent, cette fois, très mal accueillies. Frédéric se plaignit avec amertume que la France, ne savait que mendier la paix à tout le monde, qu’elle frappait à toutes les portes pour l’obtenir et fit entendre qu’il était obligé de se mettre en garde contre la tentation qu’elle pourrait avoir, pour se tirer d’affaire, d’entrer dans des arrangemens contraires aux intérêts de la Prusse. Voltaire, il faut lui rendre cette justice, ne craignait pas d’user, même avec les princes, d’une hardiesse gracieuse qui lui avait plus d’une fois réussi. Il essaya donc, sans se troubler, de prendre le ton plaisant et demanda au roi en souriant s’il n’avait pas lui-même quelque péché de ce genre sur la conscience et si on ne pourrait pas le prendre en flagrant délit de pourparlers avec les ennemis de la France. Mais le roi s’en défendit avec une vivacité maussade : « S’il ne le faisait pas, dit-il, c’est qu’il ne lui plaisait pas de le faire, car il en était pressé tous les jours, et s’il offrait seulement dix mille hommes à l’Angleterre et à l’Autriche, il ferait la loi à son gré dans l’empire. Que la France gardât seulement, ajoutait-il, ses frontières pendant une année et il se chargeait à lui seul de protéger l’empereur[31]. »

Éconduit ainsi sans façon, Voltaire essaya encore de revenir à la charge par une voie indirecte. Le jeune margrave, à qui son puissant beau-frère venait de faire décerner le titre de feld-maréchal du cercle de Franconie, brûlait de se distinguer et, avec l’ardeur naturelle à son âge, accusait souvent tout haut les lenteurs et les hésitations de la politique prussienne. Voltaire lui persuada que s’il détenait seulement de Frédéric la disposition d’un corps de dix mille hommes, on lui ferait aisément avancer par la France un subside suffisant pour lever lui-même une force pareille; ces troupes, jointes aux débris de celles qui restaient autour de l’empereur pourraient former le noyau d’une petite armée qui, sous le nom d’armée des cercles, arborerait l’étendard de la liberté germanique et à laquelle plus d’un prince de l’empire serait empressé de se rallier. Le prince entra avec chaleur dans cette pensée et en fit part à Frédéric. Celui-ci, sans le décourager absolument, lui annonça qu’il allait faire une courte visite au margrave d’Anspach, mari d’une autre de ses sœurs, chez qui il verrait les princes du cercle de Souabe, et ajouta d’un air mystérieux, qu’il reviendrait de là avec de grands desseins et peut-être de grands succès. Le voyage d’Anspach eut lieu en effet et dura quelques jours, au bout desquels Frédéric revint à Baireuth et ne dit rien du tout à son beau-frère, ce qui, dit Voltaire, l’étonna beaucoup.

Force était donc bien de regagner Berlin aussi incertain qu’on en était parti, et Voltaire, sortant de son enchantement, dut faire part de son mécompte au ministre sur un ton de découragement : « Sa Majesté prussienne est partie pour Leipsig et n’a rien déterminé... Mais toutes ses conversations me font voir évidemment qu’il ne se mettra à découvert que quand il verra l’armée autrichienne presque détruite... » — « Je reviens de Franconie, écrivait-il en même temps à un ami, à la suite d’un roi qui est la terreur des postillons comme de l’Autriche, et qui fait tout en poste. Il traîne ma momie après lui[32], »

A Berlin, Valori l’attendait avec une révélation qui n’était pas faite pour le mettre en meilleure humeur : l’ambassadeur avait découvert, je ne sais comment, la perfidie royale qui avait livré à l’évêque de Mirepoix les épigrammes sanglantes du candidat refusé par l’Académie. Voltaire apprit ainsi ce qu’il devait penser des fausses caresses dont il était bercé, et comme Valori n’avait pas manqué de faire rapport de tout au ministre (qui devait déjà en savoir quelque chose), il était clair que la mystification était complète et qu’on s’amusait à ses dépens à Versailles comme à Paris. Jamais réveil ne fut plus pénible, et son dépit fut tel, qu’un moment il songea à partir sans prendre congé : « Ce que vous mande M. de Valori, touchant la conduite du roi de Prusse à mon égard, écrivit-il à Amelot, n’est que trop vrai... Ne pouvant me gagner autrement, il croit m’acquérir en me perdant en France, mais je vous jure que j’aimerais mieux vivre dans un village suisse que de jouir à ce prix de la faveur dangereuse d’un roi capable de mettre de la trahison dans l’amitié même; ce serait, en ce cas, un trop grand malheur de lui plaire. Je ne veux point du palais d’Alcine, où l’on est esclave parce qu’on est aimé, et je préfère surtout vos bontés vertueuses à une faveur si funeste. Daignez me conserver ces bontés et ne parlez de cette aventure curieuse qu’à M. de Maurepas[33]. »

Qui l’aurait cru, pourtant? les charmes d’Alcine furent encore les plus forts, et huit jours n’étaient pas écoulés que déjà le plaisir de paraître le favori d’un souverain l’emportait sur le déplaisir d’avoir été sa dupe. Frédéric, d’ailleurs, en était sûr d’avance ; car, averti que sa ruse était éventée, il en donnait avis, en riant sous cape, à son complice de Paris : « La Barbarina, disait-il (c’était le nom d’une danseuse italienne attendue par l’opéra de Berlin), ne pourra venir qu’au mois de février, étant déjà engagée à Venise. A propos de baladins, Voltaire a déniché la petite trahison que nous lui avons faite, il en est étrangement piqué; il se défàchera, j’espère. » Le moyen, en effet, de rester fâché contre un prince qui avait aidé lui-même à mettre en musique le bel opéra de Métastase, la Clémence de Titus, et qui vint offrir à Voltaire d’en faire donner une représentation tout exprès en son honneur? « En quatre jours de temps, écrivait Voltaire le 8 octobre, Sa Majesté prussienne daigne faire ajuster sa magnifique salle de machine et faire mettre son opéra au théâtre, le tout parce que je suis curieux[34].» Un tel procédé ne réparait-il pas toutes les injures du monde? Puis, au cours de la représentation même, un bon sentiment, suivi d’une bonne œuvre, vint encore contribuer à apaiser le ressentiment du poète. Il y avait dans la prison de Spandau un pauvre Français enrôlé de force dans l’armée de Frédéric-Guillaume, en raison de sa belle taille, puis condamné, pour désertion, à la captivité perpétuelle, après avoir eu le nez et les oreilles coupés. Il avait fait appel à la puissante intercession de Voltaire. « Je pris mon temps (disent les Mémoires) pour recommander à la clémence de Titus ce pauvre Franc-Comtois sans oreilles et sans nez... Le roi promit quelque adoucissement, et il eut la bonté de mettre le gentilhomme dont il s’agissait à l’hôpital à six sous par jour. Il avait refusé cette grâce à la reine mère, qui, apparemment, ne l’avait demandée qu’en prose[35]. »

Dès lors tout fut oublié. Frédéric, ne craignant même plus les explications, eut l’art de persuader à l’offensé que le tour qu’il lui avait joué, loin de devoir être pris en mauvaise part, ne faisait qu’attester l’excès de son amitié et son désir ardent de le garder à sa cour. Il lui arracha même la promesse qu’il reviendrait le plus tôt possible, pour ne plus quitter. « Choisissez, lui dit-il, appartement ou maison, réglez vous-même ce qu’il vous faut pour l’agrément et le superflu de la vie,.. vous serez toujours libre et entièrement maître de votre sort. Je ne prétends vous enchaîner que par l’amitié et le bien-être[36]. »

Mais, en attendant le retour d’un ami si cher, il fallait bien se résigner et se préparer à son départ. Le mot d’ordre fut donné d’éblouir Voltaire, pendant ces derniers jours, par une profusion de coquetteries sans conséquence et de politesses, à la vérité, toujours étrangères à la politique. « Tout, ici, est tranquille, écrit Hyndford à Carteret, et le roi de Prusse ne semble plus occupé qu’à préparer des opéras et des bals. M. Voltaire est revenu ; il est constamment avec Sa Majesté prussienne, qui semble décidée à lui donner la matière d’un poème sur les divertissemens de Berlin. On ne parle que de Voltaire. Il lit des tragédies aux deux reines et aux princesses jusqu’à les faire fondre en larmes, il dépasse le roi lui-même en verve satirique et en saillies extravagantes. Personne ne passe pour un homme bien élevé s’il n’a pas la tête et les poches pleines des compositions de ce poète et s’il ne parle pas en vers. J’espère cependant que Votre Seigneurie m’excusera si je prends la liberté de l’assurer, sur le ton de mon refrain ordinaire (in humming), que j’ai l’honneur, etc. »

Le même Hyndford raconte pourtant que, quelque soin que mît Frédéric à ne pas mêler dans ses représentations brillantes la politique à la poésie et aux arts, l’habitude parfois l’emportait, et des coups de langue lui échappaient qu’il ne pouvait retenir. Ainsi, à un ballet d’opéra, un incident assez comique survint: avant la représentation, le rideau se trouva à moitié levé, et l’on aperçut les jambes des danseuses françaises, qui essayaient leurs pas, sans qu’on pût voir leur visage. Le roi se mit à rire et dit à demi-voix, mais assez haut pour être entendu de l’envoyé de France : « Voilà le ministère de France, des jambes qui remuent et point de tête. — Voilà mon paquet, dit Valori à Hyndford, et pour ce soir, c’est moi qui l’empoche[37]. » Mais Frédéric était le seul qui prît la liberté d’interrompre par des traits piquans de si belles réunions. Toute la cour, d’ailleurs fidèle à la même consigne ou subissant le même entraînement, ne semblait sensible qu’au plaisir de posséder encore l’homme de génie et troublée seulement par le chagrin de le quitter. Les princesses, plus que tous autres, étaient sous le charme, et une en particulier, la princesse Ulrique, plus tard reine de Suède. De toutes les sœurs de Frédéric si Wilhelmine était la plus spirituelle, Ulrique était la plus jolie. C’est pour ce motif sans doute que Voltaire semblait aussi plus empressé de lui plaire, et on vit s’établir entre eux un échange de propos aimables qui semblaient parfois dépasser, chez l’une, la mesure de l’admiration et, chez l’autre, les bornes du respect. Il est vrai qu’il est admis que c’est en ce genre surtout que la poésie a ses licences, et que ce qui se dit en vers n’est jamais compromettant. Aussi assure-t-on que la princesse permit au poète de lui faire une déclaration, sous la seule condition que le mot d’amour n’y serait pas prononcé, et c’est alors que, sur place et sur-le-champ, il improvisa ce madrigal, qui est dans toutes les mémoires et qui est vraiment la perle du genre.


Toujours un peu de vérité
Se mêle au plus grossier mensonge.
Cette nuit, dans l’erreur d’un songe,
Au rang des rois j’étais monté.
Je vous aimais alors et j’osais vous le dire.
Les dieux à mon réveil ne m’ont pas tout ôté
Je n’ai perdu que mon empire.


Ulrique n’était pas de force à répondre séance tenante, sur le même ton, aussi ne fit-elle (c’est-elle qui le dit elle-même) qu’une assez chétive réplique. Mais la nuit porte conseil, et aidée par son frère, elle renvoyait le lendemain une pièce plus longue, plus lourde, où elle entrait dans la plaisanterie, avec beaucoup moins de grâce, mais non sans un certain art pour garder son rang et éloigner la familiarité. C’était Apollon, qui, informé qu’elle avait reçu des vers de son favori, l’avertissait qu’il s’était trompé d’adresse, et qu’en songe il l’avait prise pour la belle Emilie.


Quand vous fûtes ici, Voltaire,
Berlin, de l’arsenal de Mars,
Devint le temple des beaux-arts,
Mais trop plein de l’objet dont le cœur sut vous plaire,
Emilie est toujours présente à vos regards.

Au sortir de ce songe heureux,
La vérité, toujours sévère,
A Bruxelles bientôt dessillera vos yeux.
………………..
Je sens assez de nous la différence extrême ;
Au haut de l’Hélicon vous vous placez vous-même,
Moi, je tiens tout de mes aïeux.
Tel est l’arrêt du sort suprême,
Le hasard fait les rois : la vertu fait les dieux[38].


Faut-il croire que pendant que Frédéric dictait à sa sœur cette réponse pleine de tact et de dignité, il s’amusait à en versifier à huis-clos une tout autre, qui parut plus tard sous son nom, où Voltaire était traité de faquin, et où sa prétention d’aspirer, au moins en songe, à la main d’une princesse, était comparée au rêve d’un chien qui aboie à la lune? — Les biographes de Voltaire contestent avec une sorte d’indignation l’authenticité de cette grossière boutade. Pour l’honneur du bon goût comme de la dignité royale, nous ne demandons pas mieux que d’en douter avec eux. Mais les éditeurs allemands sont moins délicats ; car dans la collection officielle des œuvres de Frédéric, les deux pièces mises dans la bouche d’Ulrique sont insérées à la suite l’une de l’autre, sans qu’ils aient l’air de se douter du joli trait de caractère que, par ce rapprochement et ce contraste, ils prêtent à leur souverain.

La date fatale du 12 octobre fixée pour le départ arriva enfin, et Voltaire, faisant son compte à la dernière heure, dut tristement reconnaître qu’il s’en retournait absolument les mains vides, sans rapporter même un indice, même un soupçon des véritables intentions du roi. Il se résolut alors de tenter un dernier effort, véritablement désespéré et pourtant très modeste. Il supplia le roi de Prusse, dans un dernier entretien, de lui donner à porter un mot de sa main, un seul, propre à être mis sous les yeux de Louis XV, et qui pût attester que son langage à Berlin n’avait tendu qu’à rapprocher les deux souverains et à faire tomber les préjugés qui les éloignaient l’un de l’autre. Il demandait cette légère faveur non comme un acte utile à la politique, mais comme un service personnel, propre à lui faire obtenir à Versailles le retour des grâces royales dont on l’avait privé. « Je n’ambitionne point du tout, disait-il, d’être chargé d’affaires comme Destouches et Prior, deux poètes qui ont fait deux paix entre la France et l’Angleterre. Vous ferez tout ce qu’il vous plaira avec tous les rois du monde sans que je m’en mêle; mais je vous conjure instamment de m’écrire un mot que je puisse montrer au roi de France... Je ne demande autre chose, sinon que vous êtes satisfait aujourd’hui des dispositions de la France, que personne ne vous a jamais fait un portrait si avantageux de son roi, que vous me croyez d’autant plus que je ne vous ai jamais trompé, et que vous êtes bien résolu à vous lier avec un prince aussi sage et aussi ferme que lui. Ces mots vagues ne vous engagent à rien et j’ose dire qu’ils feront un très bon effet : car, si on vous a fait des peintures peu honorables du roi de France, je dois vous assurer qu’on vous a peint à lui sous les couleurs les plus noires, et assurément on n’a rendu justice ni à l’un ni à l’autre. Permettez donc que je profite de cette occasion si naturelle pour rendre l’un à l’autre deux monarques si chers et si estimables. Ils feront de plus le bonheur de ma vie : je montrerai votre lettre au roi, et je pourrai obtenir la restitution d’une partie de mon bien que le bon cardinal m’a ôté. Je viendrai dépenser ici ce bien que je vous devrai[39]. »

Comme nous ne trouvons pas de réponse à cette supplication, il est à présumer que Frédéric fui insensible, et ce qui prouve bien que même cet acte de bonne grâce fut refusé, c’est que, pour y suppléer, Voltaire fut réduit à citer dans une dépêche postérieure adressée au ministre, un fragment d’une des lettres royales que j’ai citées et où le nom de grand homme était décerné à Louis XV, dans un sens que la tournure de la phrase rendait manifestement ironique. Cette rigueur n’empêcha point Frédéric d’assurer au voyageur, du plus grand sérieux du monde, avant de le mettre en voiture, qu’il avait eu tort de ne pas apporter de lettres de créance, ce qui aurait permis de traiter avec lui.

Ce n’est pas là, je le sais, le compte que rendent de ce dernier entretien les écrivains qui s’en sont fiés aux Mémoires de Voltaire. Tous racontent, au contraire, qu’au moment de le quitter, Frédéric lui glissa dans l’oreille ces simples paroles : Que la France déclare la guerre à l’Angleterre et je marche avec elle. Par malheur, rien de pareil ne se trouve dans les correspondances, et comme elles sont imprimées depuis longtemps, tous les narrateurs auraient pu prendre la peine de s’en assurer. La suite des faits fera voir d’ailleurs que cette exigence imposée, en effet, par Frédéric à la France, ne lui vint à l’esprit que beaucoup plus tard et par suite de circonstances qui n’étaient pas encore réalisées[40].

Voltaire partit donc, — il le fallait bien; — mais il s’éloignait à regret, se rendant non en droiture à Paris, où il n’avait rien à dire, mais à Bruxelles, où Mme du Châtelet se mourant d’impatience, était venue l’attendre et où il ne paraît pas qu’il fût également pressé d’arriver ; car il s’arrêta de ville en ville, dans les petites cours d’Allemagne, où chacun voulait le retenir, entre autres à Brunswick, pendant deux mortelles journées dont Emilie comptait toutes les minutes. « C’est un voyage céleste, écrivait-il, où je passe de planète en planète. » Et, la tournée finie, il ne demandait pas mieux que de recommencer ; il proposait, au contraire, à Âmelot de repartir sans débrider si on voulait le charger de lettres pressantes de Charles VII pour tous les princes de l’empire, afin de les décidera agir en commun sur les résolutions de Frédéric. Il ne savait pas, et personne ne lui fit savoir que, pendant qu’il cherchait ainsi à renouer les fils d’une négociation qui n’avait pas même été entamée, Frédéric faisait venir Valori dans son cabinet et lui proposait d’aller, de sa personne, porter à Versailles le plan d’une action commune avec la France. La comédie était jouée ; la partie sérieuse allait commencer[41].

« Ce siècle-ci, dit Frédéric dans l’Histoire de mon temps, est bien fait pour les événemens singuliers et extraordinaires, car je reçus un ambassadeur poète et bel esprit de la part de la France : c’était Voltaire, un des plus beaux génies de l’Europe, l’imagination la plus brillante qu’il y ait peut-être jamais eu, mais l’homme le moins né pour la politique. En même temps, il n’avait point de créditif ; mais aussi peux-je assurer qu’il ne s’était pas débité ambassadeur sans fondement ; sa négociation fut une plaisanterie, et elle en resta là[42]. »

Les modernes éditeurs des papiers politiques de Frédéric ont vu dans cette appréciation dédaigneuse une leçon qu’ils ont cru devoir suivre ; aussi ont-ils retranché avec soin de leur publication tout ce qui pouvait rappeler la négociation prétendue de Voltaire ; son nom même n’est pas prononcé dans leur recueil, et ils ont poussé le scrupule, je dirais volontiers, la pruderie, jusqu’à faire disparaître de plusieurs lettres des paragraphes où ce nom figurait[43], Ces consciencieux serviteurs ont-ils bien fait? Ont-ils bien compris la pensée du maître? N’ont-ils pas manqué eux-mêmes de mémoire et de reconnaissance? Les voyages répétés de Voltaire à Berlin ont été, il faut bien en convenir, sans résultat pratique, sans action directe sur la politique des cabinets et les incidens du jour. Mais, vues de plus haut et de plus loin, ces apparitions brillantes ont-elles été sans influence, sinon sur le cours immédiat des événemens, au moins sur la révolution d’idées qui a si profondément modifié, depuis lors, les relations de la France et de l’Allemagne? Voltaire n’a-t-il pas, par sa seule présence, aidé Frédéric à faire de la demeure gothique des vieux chevaliers teutons un centre de civilisation prêt à devenir la capitale d’un grand empire? A la suite de Voltaire, le génie français pénétrait, avec sa grâce légère et frondeuse, jusque dans les sables de Brandebourg et sur les rives glacées de la Baltique. Mais, la communication une fois établie, n’est-ce pas par la route ainsi frayée que l’esprit allemand, à son tour, devait, d’un pas plus lourd peut-être, mais par une sorte de retour offensif, venir opérer parmi nous des conquêtes intellectuelles qui ont précédé et préparé la victoire du champ de bataille? Qu’est-ce que la puissante Allemagne d’aujourd’hui ne doit pas, en bien comme en mal, à l’influence du génie de Goethe, et Goethe lui-même, que n’a-t-il pas dû à Voltaire? Si Voltaire n’eût précédé Mme de Staël à Berlin, y eût-elle été chercher, en eût-elle rapporté le livre révélateur qui le premier a fait apprécier l’originalité de la pensée germanique?

Il faudrait pourtant ne pas être plus dédaigneux que ne l’était au fond Frédéric lui-même, malgré les boutades de son humeur sarcastique, car si Frédéric aimait à se jouer de Voltaire, jamais pourtant il n’a renoncé à l’honneur et même au profit qu’il croyait tirer de ses hommages. En lui fermant l’entrée de son cabinet diplomatique et de son camp, il lui gardait toujours grande ouverte celle de sa cour et de son palais. Ces amitiés philosophiques et littéraires, qu’il malmenait à ses heures, il n’a jamais cessé de les étaler avec un orgueil complaisant. C’étaient des joyaux, direz-vous, dont il aimait à parer sa couronne? Oui, mais il savait que leur éclat, loin d’être un vain ornement pour sa puissance, en propageait le rayonnement, et qu’éblouir les hommes est le plus sûr moyen de les dominer.


DUC DE BROGLIE.

  1. Ces couplets et cette anecdote se trouvent dans une correspondance du temps, que son possesseur, M. de Trudert, a bien voulu mettre à ma disposition. (Maurice de Saxe, par Vitzthum, p. 473.)
  2. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. VIII.
  3. D’Arneth, t. II, p. 264, 267.
  4. Correspondance de Bavière, juillet et août, passim. — Blondel à Amelot, 7 août 1743. — Lautrec à Amelot, 11 août 1743. — Chambrier au roi de Prusse, 23 août 1743. — (Ministère des affaires étrangères. — Rousset, t. I. Introduction, p. LXXVI.)
  5. Senneterre à Amelot, 23 mars 1743. (Correspondance de Turin. — Ministère des affaires étrangères.)
  6. Correspondance d’Espagne, 1743, passim. (Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. II, p. 280, 288. — Correspondance de Vienne, juillet, août 1743, passim. (Record Office.) — Presque toutes les dépêches de cette date sont relatives aux affaires d’Italie et font connaître les efforts réitérés et longtemps impuissans des Anglais pour obtenir des concessions de Marie-Thérèse.
  7. Valori à Amelot, 18 juin, 16 juillet 1743. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Hyndford à Carteret, 6, 16 juillet, 15 août 1743. (Record Office.) — Frédéric au comte de Rottenbourg, 3, 13 juillet 1743. (Pol. Corr., t. II, p. 381, 385.)
  8. Journal de Barbier, t. VIII, p. 262.
  9. Desnoiresterres.
  10. Voltaire à Boyer, mars 1743. (Correspondance générale.) — L’autre lettre de la même date ne porte pas de suscription; mais tous les éditeurs de Voltaire ont pensé qu’elle était adressée à l’archevêque de Sens, et une lettre de Frédéric qu’on trouvera plus loin confirme cette opinion.
  11. Voltaire, Mémoires. — Journal de Barbier, t. VIII, p. 370. — Le récit de Voltaire a fait l’objet de beaucoup de contestations ; Maurepas notamment s’est toujours défendu de lui avoir fait la réponse brutale qui lui est prêtée et qui effectivement n’est pas conforme au caractère connu de ce ministre. Il est à remarquer que Voltaire appelle toujours dans ce passage Mme de La Tournelle, la duchesse de Châteauroux, titre qu’elle ne porta que quelques mois plus tard.
  12. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 452.
  13. Voltaire à Frédéric, juin 1743. (Correspondance générale.)
  14. Barbier, t. VIII, p. 301-309. — Voltaire, Mémoires.
  15. Voltaire à d’Argenson, 8, 15 juillet 1743. (Correspondance générale.)
  16. Mme de Tencin au duc de Richelieu, 18 juin 1743.
  17. Voltaire à d’Argenson, 8 juin 1743. (Correspondance générale.)— Desnoiresterres.
  18. Voltaire à d’Argenson, 15, 18, 23 juillet à Amelot, 2 août 1743. (Correspondance générale.)
  19. Fénelon à Amelot, 21 juillet, 2, 6 août 1743. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.) — Voltaire à Richelieu, 6 août 1643. (Correspondance général.)
  20. Voltaire à Amelot, 2, 3, 17 août 1743. (Correspondance générale.) — Fénelon à Amelot, 9, 23 août 1743. (Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Podewils. (Pol. Corr., t. II, p. 390, 401.)
  21. Voltaire à Amelot, 16 août ; à Thiériet, 6 août 1743. (Correspondance générale.) — Fénelon à Amelot, août 1743. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)
  22. L’abbé de La Ville à Amelot, 20 août 1743. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)
  23. Fénelon à Amelot, 17 août 1743. — Amelot à Voltaire, 22 août 1743. (Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.)
  24. Frédéric au comte de Rottenbourg, 17 et 27 août 1743. (Correspondance générale de Frédéric, dans ses Œuvres complètes, t. XV, p. 523 à 525.) Si le lecteur est curieux de savoir comment Frédéric lui-même qualifie le procédé qu’il employa dans cette occasion, cette indication lui en donne le moyen. La décence ne me permet pas d’en dire davantage.
  25. Voltaire à Amelot, 3 septembre 1743. (Correspondance générale.) — Les dépêches de Voltaire à Amelot, datées de Berlin, sont imprimées dans sa Correspondance générale, d’après les minutes qu’il avait sans doute conservées lui-même. Le texte définitif ne s’en trouve pas, ou n’a pu être mis à ma disposition au ministère des affaires étrangères.
  26. Frédéric à Voltaire, 7 septembre 1743. (Correspondance générale.)
  27. Valori à Amelot, 7 et 10 septembre 1743 (Correspondance de Prusse. Ministère des affaires étrangères.)
  28. Desnoiresterres, Voltaire et la Société au XVIIIe siècle, t. II, p. 401.-— Voltaire, Mémoires.
  29. Voltaire à Podewils, 3 octobre 1743. (Correspondance générale.)
  30. Voltaire à Amelot, 3 octobre 1743. (Correspondance générale.)
  31. Voltaire à Amelot, 13 septembre 1743. (Correspondance générale.)
  32. Voltaire à Amelot, 3 octobre. — A Thiériot, 8 octobre 1743. (Correspondance générale.)
  33. Voltaire à Amelot et à Thiériot, 8 octobre 1743. (Correspondance générale.) — Frédéric à Rottenbourg, 14 octobre 1743. (Correspondance générale.)
  34. Voltaire à Amelot et à Thiériot, 8 octobre 1743. (Correspondance générale.) — Frédéric à Rottenbourg, 14 octobre 1743. (Correspondance générale.)
  35. Voltaire à Thieriot, 8 octobre 1743. (Correspondance générale.) — Mémoires.
  36. Frédéric à Voltaire, 7 octobre t843. (Correspondance générale.)
  37. Hyndford à Carteret, 3 et 29 octobre 1743. (Correspondance de Prusse. Record Office.)
  38. Ulrique à Voltaire, octobre 1743. (Correspondance générale. )
  39. Voltaire à Frédéric, octobre 1743. (Correspondance générale.)
  40. Voltaire à Amelot, Bruxelles, 5 novembre 1743. Correspondance de Hollande. Ministère des affaires étrangères.) — On trouve dans la Correspondance générale de Voltaire, une lettre également adressée à Amelot en date du 27 octobre, et qui est si semblable pour le fond, et souvent même pour la forme, à celle-ci, qu’il est à présumer que l’une n’est que le brouillon dont l’autre est le texte définitif.
  41. Voltaire à Amelot, dépêche citée. — Valori à Amelot, 5 octobre 1744. (Correspondance générale. Ministère des affaires étrangères.)
  42. Frédéric, Histoire de mon temps, chap. IX. Nous extrayons ce passage du texte primitif dont les archives de Berlin ont donné récemment connaissance au public. La forme, mais non le fond, en a été altérée dans le texte définitif, le seul connu jusqu’à ces dernières années. Voici cette variante : « Sur ces entrefaites, Voltaire arriva à Berlin. Comme il avait quelques protecteurs à Versailles, il crut que cela était suffisant pour se donner les airs de négociateur ; son imagination brillante s’élançait sans retenue dans le vaste champ de la politique : il n’avait point de créditif et sa mission devint un jeu, une simple plaisanterie. »
  43. C’est ce dont on peut s’assurer en comparant les correspondances de Frédéric avec Rottenbourg, insérées dans le Recueil général du 18 mars, avec cette même correspondance telle qu’on la trouve dans le nouveau Recueil politique. Tous les passages relatifs à Voltaire ont été supprimés.