La Politique romaine



DE
LA POLITIQUE ROMAINE
ENVERS LES PEUPLES CONQUIS.[1]

i.
ACTION DE ROME SUR LES RACES DE L’ITALIE.

Denys d’Halicarnasse, exposant les institutions primitives des Romains, celles qu’on attribue communément à Romulus, loue beaucoup ce peuple de n’avoir, contre l’usage suivi par les autres, ni exterminé ni réduit en servitude les habitans des villes conquises, mais de les avoir laissés libres et propriétaires d’une partie de leur territoire, souvent même de les avoir admis comme citoyens dans ses propres murailles : « Ce fut là, dit-il, la plus ferme base de l’indépendance de Rome ; ce fut la source féconde de sa puissance[2]. » Là-dessus il s’élève contre la politique des états grecs, de Thèbes, de Sparte, d’Athènes, qui professèrent, à leur grand détriment, ajoute-t-il, la haine de l’étranger.

Ces mêmes idées, Tacite les exprime à son tour avec son éloquence et son autorité ordinaires. Dans le beau passage de ses Annales, où il nous montre l’empereur Claude demandant au sénat le droit des honneurs pour la Gaule chevelue, et réfutant, à ce sujet, par des raisons tirées de l’histoire, les doctrines d’exclusion sur lesquelles le vieux patriciat appuyait ses refus, il met dans la bouche du prince ces remarquables paroles : « Pourquoi Lacédémone et Athènes, si puissantes par les armes, ont-elles péri, si ce n’est pour avoir repoussé les vaincus comme des étrangers ? tandis que notre fondateur Romulus, bien plus sage, vit la plupart de ses voisins, en un seul jour, ennemis de Rome et ses citoyens[3]. »

L’importance que semblent attacher à ce parallèle un Grec d’une science si incontestable et si variée, et le plus profond des historiens romains ; les conséquences politiques qu’ils en tirent tous deux ; la solennité de la discussion où Tacite fait intervenir ce rapprochement comme un argument d’une grande portée, et presque comme une solution de la controverse ; tout cela doit, à mon avis, appeler sur la question notre attention la plus sérieuse. C’est un mot qui nous signale bien des mystères que l’histoire n’a pas suffisamment examinés ; c’est un éclair jeté dans les entrailles mêmes de la société antique.

L’exclusion de l’étranger, le resserrement, l’isolement de la cité tel fut le principe sur lequel posa généralement la constitution des états grecs. Et ce principe ne tenait pas seulement à une idée d’arrangement et de beauté plastiques ; il n’avait pas seulement pour but un certain équilibre plus parfait de la machine politique ; il était accepté et amplifié, mais non créé à dessein, car il dérivait de lois nécessaires, se rapportant elles-mêmes aux conditions primitives de la société dans ces petits gouvernemens. En Grèce, les constitutions furent diamétralement opposées à tout système de rapprochement et de fusion entre les peuples. Chaque gouvernement avait à tâche de se façonner un peuple exceptionnel, improgressif, dans l’acception la plus large de ce mot. La forme politique ne s’y moulait pas sur l’état social ; elle refaisait la société à son usage ; des institutions bizarres la garantissaient contre les progrès naturels du genre humain ; on l’élaborait comme une œuvre d’art coulée dans un moule arbitraire, et d’autant plus admirée qu’elle était plus inflexible ; puis on l’isolait pour la mieux conserver. Tel était le génie grec, surtout le génie dorien, génie politique par excellence chez les Hellènes.

À Rome, au contraire, la forme politique fut mobile, progressive, livrée incessamment aux fluctuations de l’état social ; elle n’occupa même, à vrai dire, dans la vie nationale, qu’une place secondaire et subordonnée. Rome apparaît dès l’origine avec un double caractère. Comme ville, comme état particulier, elle suit les phases de développement intérieur naturelles à tous les états ; mais cette ville ne reste point, si je l’ose dire, renfermée en elle-même ; elle se répand au dehors ; elle admet dans son sein d’autres villes, d’autres peuples, d’autres races d’hommes ; elle devient la tête d’une véritable société qui va se grossissant de jour en jour, et qui atteint enfin à des proportions gigantesques. Évidemment, l’action portée à l’extérieur dut amener de grandes perturbations dans l’économie intérieure : si Rome agit sur le monde, le monde réagit sur elle. Or il y eut dans cette seconde destinée, toute mêlée à celle du genre humain, quelque chose de bien autrement grand et fécond que la fortune domestique d’une petite république guerrière, développant isolément les combinaisons de sa constitution bien ou mal pondérée. L’histoire de Rome n’est que la lutte de ces deux actions. L’action sociale, comme la plus forte, grandit, domine, absorbe tout, bouleverse plusieurs fois la constitution, finit par la briser, et emporte avec elle jusqu’à la nationalité de la reine des nations.

Comme cette situation est unique dans l’histoire de l’antiquité, je m’arrêterai quelques instans à rechercher les conditions primitives qui purent la produire ; et, pour cela, j’examinerai ce que fut Rome à son berceau, et ce que furent aussi, dans leurs commencemens, la plupart des états grecs.

Deux races d’hommes différentes, superposées sur le même sol, mais séparées par une inimitié implacable, éternelle ; l’une spoliatrice, l’autre dépouillée ; l’une guerrière et oisive, l’autre désarmée, dépérissant dans l’abjection et dans les fatigues du labeur servile ; en un mot, la violence perpétuée en système, l’opposition de race à race, l’abrutissement intéressé de l’homme par l’homme, voilà ce que nous rencontrons constamment à l’origine des cités de la Grèce. Bien au contraire, le fait primitif qui préside à l’organisation de la cité romaine est un fait, non d’esclavage territorial, non d’oppression d’une race par une autre race, mais d’association. Des hommes de toute race, de toute tribu, de tout rang, se donnent la main dans un asile ; l’association d’individus devient une association de tribus, puis de nations et de races entières. L’avenir possible des états grecs était restreint et caduc, parce qu’il était fondé sur l’exclusion ; celui de Rome, par la raison contraire, fut immense en étendue, immense en durée. Le résultat de part et d’autre se rattache au fait originel par un enchaînement évident, et n’en est, en quelque façon, que la dernière conséquence logique.

Rome naquit donc affranchie des funestes nécessités qui pesaient sur les villes de la Grèce. Dans l’asile du mont Palatin vécurent, confondus sans distinction de sang, des hommes de tous les coins de l’Italie, Latins, Sabins, Étrusques, fugitifs de la grande Grèce, aventuriers de l’Ombrie ; grands et petits, libres et esclaves, bannis, meurtriers même, tous y furent admis. « On ne saurait croire, disent les historiens romains, avec quelle facilité merveilleuse s’effacèrent les dissemblances d’origine, de langage, de mœurs ; — et de ces élémens si divers, agglomérés en un seul corps, sortit le peuple romain[4]. » Une vieille tradition, probablement symbolique, racontait que pour créer en quelque sorte à cette colonie universelle un sol qui lui fût propre, une patrie qui la représentât matériellement, chaque habitant nouvellement admis dut apporter avec lui et déposer sur le comitium, dans une fosse consacrée, une poignée de sa terre natale[5]. Ainsi se forma, suivant l’expression de Denys d’Halicarnasse, « la ville commune par essence ; la cité hospitalière et civilisatrice entre toutes[6]. »

En grandissant, Rome se montra fidèle au principe de son origine ; elle chercha autour d’elle des citoyens ; elle en acquit par la paix et les traités, elle en acquit par la guerre même. On la vit importer ses vaincus comme un butin précieux, et les établir de force dans ses murailles, sur son forum, dans son sénat, avec une entière communauté de droits. Tantôt, sur un soupçon d’infidélité, elle confisque, pour ainsi dire, ses alliés albains ; elle se les approprie ; elle s’accroît des ruines d’Albe, comme dit énergiquement Tite-Live[7]. Elle s’approprie jusqu’à ses ennemis victorieux ; elle invite les Sabins, déjà maîtres par surprise d’une moitié de son enceinte, à n’en point sortir, à y fixer leurs pénates, à y vivre fraternellement avec les vaincus. La formule consacrée à ces transfusions témoigne assez de la parfaite égalité qui les sanctionnait. « Que ceci soit bon, favorable et heureux au peuple romain, à moi et à vous, Albains ! disait Tullus Hostilius au peuple d’Albe ; j’ai dessein de transférer le peuple albain à Rome, de donner à la multitude le droit de cité, aux nobles une place dans le sénat, afin qu’il n’existe plus entre nous qu’une même ville et qu’une même république[8]. » Cette formule fut répétée si souvent durant les deux premiers siècles de Rome, elle s’appliqua à tant de peuplades latines, étrusques, sabelliennes, qu’un recensement fait dans la ville et sur son territoire, deux cent quarante-six ans après sa fondation, fournit le chiffre énorme de cent trente mille citoyens[9], au-dessus de l’âge de seize ans. Le dénombrement fait par Servius Tullius, cinquante-six ans auparavant, n’en avait présenté que quatre-vingt-quatre mille[10].

Pendant que Rome allait ainsi se développant par voie d’agrégation, que se passait-il dans ses murailles ? Cette population, incessamment croissante, subissait la loi qui pèse sur toute société : ses membres se divisaient en classes ; il se créait au milieu d’elle une aristocratie qui devint par l’hérédité le premier pouvoir politique. Le gouvernement s’y modela d’abord sur celui de la plupart des états voisins : il fut monarchique, avec un sénat et une assemblée du peuple dont l’action était reconnue nécessaire dans certains cas. La royauté, investie d’une autorité modératrice, maintint quelque temps l’équilibre entre le peuple et la noblesse ; mais, affaiblie par les attaques du patriciat qui grandissait chaque jour en puissance, et enfin devenue odieuse à tous par les crimes des derniers Tarquins, elle tomba, laissant le gouvernement tout entier entre les mains des patriciens.

La révolution consulaire ne fut point favorable aux progrès de l’association romaine, qui marchait jusqu’alors si rapidement et si largement. Tandis que les rois avaient travaillé, à l’envi l’un de l’autre, à multiplier le nombre des citoyens, la république aristocratique sembla tendre tout d’abord à le restreindre. C’était son intérêt sans doute, dans une vue de domination sur le peuple, dans la vue de réduire, par exemple, le plébéien romain à la condition du client étrusque. Pour cela, il fallait arrêter l’agrandissement indéfini de l’état, maintenir la ville dans des limites médiocres, principe observé par toutes les oligarchies anciennes ; il fallait surtout prévenir les perturbations, toujours vives, qu’apportait dans le balancement des forces politiques l’introduction soudaine d’une foule de nouveaux citoyens.

On vit donc, dès les premiers jours du gouvernement consulaire, les adjonctions collectives de citoyens cesser tout à coup et ne se reproduire plus qu’à de longs intervalles, dans des circonstances rares et en quelque sorte exceptionnelles. Le témoignage des faits historiques est confirmé en cela par les chiffres mêmes des dénombremens. Ainsi le cens qui avait suivi l’expulsion des rois, celui de Valérius Publicola, en 246, avait donné cent trente mille citoyens en âge de puberté, non compris les pères sans enfans, les pupilles, tous ceux enfin qui, suivant l’institution de Servius, ne devaient point figurer au rôle censorial ; le rôle de l’année 278 ne présenta plus qu’un chiffre de cent dix mille citoyens, que le recensement de l’année 288 réduisit à cent quatre mille deux cent quatorze, et qui ne remonta en 295 qu’à un peu plus de cent dix-sept mille ; et pourtant Rome, pendant ces cinquante années, fut livrée à des guerres continuelles avec ses voisins. Évidemment, le système politique avait changé ; ce que cherchait le gouvernement consulaire, ce n’était plus l’accroissement de la cité, mais sa domination au dehors. Les guerres même prirent un caractère plus marqué d’injustice et d’acharnement. Tout paraissait avoir été habilement calculé pour détourner le peuple romain des voies de sa véritable grandeur, pour élever autour de lui une sanglante, une infranchissable barrière de ressentimens et d’inimitiés.

Mais le bon sens plébéien aperçut le piége et sut en partie l’éviter. Malgré les haines que durent provoquer à la longue, de part et d’autre, ces guerres sans fin, la masse du peuple romain ne renia jamais sa vieille sympathie pour l’étranger vaincu ou devenu ami. L’histoire nous la montre réclamant sans cesse, en faveur de ses alliés, des traitemens plus doux et des droits plus étendus, ou protégeant, contre l’avarice et la dureté des magistrats, les nations soumises par ses armes. Toutes les fois que, dans les luttes intérieures de la république, l’esprit plébéien devient prédominant, la condition des étrangers s’améliore aussitôt. C’est un fait remarquable que, depuis Sp. Cassius, auteur de la première loi agraire[11], jusqu’aux Gracques, et depuis les Gracques jusqu’à César, les défenseurs des intérêts plébéiens furent également ceux des intérêts italiens. L’instinct populaire qui animait ces grands tribuns leur révélait le but réel où Rome devait tendre ; on eût dit qu’ils travaillaient à en faire d’abord la ville de l’Italie, pour qu’elle fût plus tard la ville du monde[12].

Pourtant, l’esprit d’exclusion et d’usurpation aristocratique, le désir de fortifier le privilége du dedans par celui du dehors, de rendre le peuple romain tyran pour le mieux asservir, ce calcul du patriciat ne fut pas la raison unique du ralentissement qu’éprouvèrent avec le temps les agrégations de citoyens ; d’autres causes y contribuèrent aussi pour une forte part. Ainsi, à mesure que les mœurs se policèrent, ces transfusions volontaires ou forcées, qui portaient en soi un caractère incontestable de barbarie, devinrent de moins en moins praticables. Il fallut songer à un mode d’agrandissement moins sauvage et moins violent. Rome ne devait point s’arrêter dans cette carrière de développemens indéfinis, à laquelle la nature même de sa constitution sociale semblait l’avoir prédestinée. Quand un premier moyen vint à lui manquer, la nécessité lui en suggéra un second, et ce second fut bien autrement puissant entre les mains du parti populaire, bien autrement fécond en conséquences sociales.

Soit qu’on attribue, comme le veut Denys d’Halicarnasse[13], au turbulent consul Cassius, en 261, le premier essai du nouveau système d’agrégation ; soit que Rome, suivant l’opinion la plus commune et la plus vraisemblable, n’en ait fait usage qu’en 365, pour récompenser les Cérites de l’hospitalité qu’ils avaient donnée si généreusement à ses prêtres et à ses dieux, pendant l’invasion gauloise[14] ; ce système consista, non plus à importer les étrangers dans la cité, mais à transporter la cité au dehors ; à créer des citoyens romains dans des domiciles autres que Rome ou le territoire de Rome ; à fractionner même ce droit de citoyen d’après certaines règles que déterminaient les circonstances de la concession. Ainsi, les habitans de Céré (et tel avait été probablement leur désir, dans le but de conserver leurs lois particulières) ne reçurent que la communication du droit civil romain, sans la participation aux actes du gouvernement de Rome, sans la capacité politique ; ils n’eurent ni le droit de suffrage, ni celui d’éligibilité[15]. D’autres peuples plus favorisés obtinrent tous les droits dérivant du titre de citoyen. La cité compta dès-lors, à côté de ses fils domiciliés, des fils non domiciliés qui, sur le forum, dans les légions, au sénat, furent en tout point les égaux des premiers.

Sans doute on avait vu les gouvernemens grecs accorder quelquefois, sous les noms d’isopolitie et d’isotélie, des priviléges de la même nature que ceux-ci, quoique plus étroits et non liés ensemble par un enchaînement systématique ; mais ces concessions étaient rares, ordinairement individuelles, décernées à titre d’honneur pour des services d’exception, et non point destinées, comme à Rome, à grandir la chose romaine,[16]. Graduer ces concessions, les coordonner en système, les répandre autour de soi de la manière la plus large et la plus libérale, en faire la base d’une association de peuples, en les appliquant à son propre accroissement ; ce fut une grande idée que Rome jeta dans le monde, et plus tard les nations de la terre durent saluer de leurs bénédictions, à travers les siècles, le jour où le droit de cité avait été conféré aux Cérites.

Alors, pour la première fois dans l’histoire, la cité, dégagée des conditions matérielles de lieu, de langage, d’habitudes, prit un caractère de spiritualité dont les sociétés anciennes n’offraient point d’exemple. Il se créa, en dehors de la fraternité de sang ou de cohabitation, une fraternité d’idées et de sentimens qui eut, ainsi que l’autre, sa conscience, ses devoirs, son héroïsme. On devint citoyen de la même loi, et le patriotisme consista dans une coopération mutuelle aux mêmes destinées sociales. On ne saurait nier que la constitution intérieure de la ville, déjà travaillée avec tant de force par les progrès de l’esprit plébéien, n’en fût réellement ébranlée, qu’il n’y eût là le germe d’une révolution inévitable et profonde. Aussi, les écrivains modernes qui, se plaçant au point de vue exclusif de Rome, oublient trop de porter quelquefois leurs regards hors de Rome, n’ont point hésité à blâmer le système des concessions de droits, comme funeste à cette république, comme une des causes les plus actives de sa ruine. « La ville, dit Montesquieu, ne forma plus un tout ensemble, et, comme on n’était citoyen que par une fiction, qu’on n’avait plus les mêmes magistrats, les mêmes murailles, les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sépultures, on ne vit plus Rome des mêmes yeux[17]. » Peut-être ; mais on la vit de plus haut. Ce que l’esprit de patriotisme local perdit en énergie fut plus que compensé, dans la vie morale du peuple romain, par les sentimens nouveaux de fraternité, par l’amour du bien universel que fit jaillir, comme une source inépuisable, l’esprit de large et libérale association. Non, le jour où Rome cessa d’être un petit état dominateur pour devenir la tête d’une grande société, ne fut point un jour néfaste dans son histoire ; Rome lui dut sa puissance, sa durée, et une gloire devant laquelle toutes les nationalités s’effacent.

C’est ici le lieu d’exposer sommairement en quoi consistaient les droits du citoyen romain ; comment ils pouvaient être fractionnés et concédés partiellement ; enfin dans quelle situation se trouvaient, à l’égard de Rome, les villes ou les peuples qui en avaient reçu l’octroi en tout ou en partie.

Le citoyen romain, jouissant de la plénitude de son titre[18], réunissait deux espèces de droits, les uns privés ou civils[19], les autres politiques[20]. La loi civile réglait les formes et les effets du mariage, l’exercice de la puissance paternelle, la jouissance et la transmission de la propriété, la faculté de tester, celle d’hériter, etc. ; elle garantissait aussi la sûreté et l’inviolabilité des personnes[21]. La loi politique conférait le droit de cens et de suffrage dans l’élection des magistrats ou dans le vote des lois, ceux d’aptitude aux emplois publics, d’initiation à certains rites religieux, enfin de service militaire dans les légions[22]. La réunion de ces facultés constituait le citoyen de plein droit.

L’admission d’une ville étrangère ou alliée à cette plénitude du droit de cité entraînait pour elle, en premier lieu, la renonciation à ses lois. Elle adoptait le droit civil romain, et elle s’organisait intérieurement sur le modèle de la ville de Rome, avec une assemblée du peuple, une curie représentant le sénat, et des magistrats électifs (deux ordinairement) représentant les consuls : une ville ainsi constituée prenait le nom de municipe[23]. Ses habitans jouissaient du droit de suffrage aux comices de Rome, quand ils s’y présentaient ; ils étaient aptes à toutes les magistratures de l’état[24].

Mais on vit assez fréquemment les petits peuples de l’Italie, attachés aux formes de leurs institutions domestiques, à leurs vieilles fédérations nationales, repousser la concession du droit politique romain[25], et se contenter du droit civil qui les mettait sur le pied d’égalité avec les habitans de Rome, quant aux relations d’affaires, au mariage, à l’autorité de la famille, aux garanties de la propriété, à l’inviolabilité de la personne. Rome se plia à ces calculs, d’abord par condescendance, puis par intérêt et par système, afin de ménager en la morcelant une faveur qui devenait plus précieuse de jour en jour, et fut bientôt le but suprême de toutes les ambitions. Tantôt donc elle octroya le bienfait dans toute son étendue ; tantôt elle le restreignit aux seuls droits civils qu’elle réduisait même quelquefois ou qu’elle augmentait d’une portion des droits politiques, suivant les services qu’elle voulait récompenser. Ainsi se formèrent, dans la communauté romaine, plusieurs catégories de priviléges, répondant à des situations civiles et politiques différentes, dont chacune représentait, si je puis ainsi parler, une fraction plus ou moins forte du citoyen romain.

Chaque ville municipale conservait une autorité entière sur tout ce qui concernait : 1o l’exercice du culte et les cérémonies religieuses ; 2o l’administration des finances locales, la construction et l’entretien des édifices publics, la célébration des fêtes, l’élection des magistrats préposés à ces divers services et à la comptabilité des revenus communaux, objets étrangers au pouvoir central ; 3o la police intérieure.

Les citoyens des municipes avaient donc deux patries, suivant l’expression de Cicéron, l’une naturelle, et l’autre politique, l’une de fait, l’autre de droit[26]. « Ainsi, ajoute-t-il, nous regardons comme notre patrie et le lieu qui nous a vus naître et celui qui nous a adoptés ; mais celle-là a des droits plus puissants à notre affection, qui, sous le nom de république, forme la grande patrie ; c’est pour elle que nous devons mourir… Je ne renierai jamais Arpinum pour ma patrie ; mais Rome sera toujours la première et la plus grande ; car elle contient l’autre. »

Rome ne se borna pas à classer ses citoyens d’adoption, elle prit soin de coordonner, avec non moins de régularité, autour d’elle le vaste corps des nations latines et italiennes qui, l’une après l’autre, vinrent tomber sous sa domination.

Le premier rang parmi les alliés appartenait aux peuples de la confédération latine[27] ; leurs traités avec la république continrent généralement des conditions plus favorables que n’en obtenaient les autres peuples de l’Italie. Ainsi ils conservèrent leur territoire, leurs lois, leurs alliances, sous le contrôle de Rome ; ils furent rangés, quant aux tributs, sur le pied d’égalité à peu près complète avec les citoyens romains ; on leur imposa seulement un contingent de soldats qu’ils devaient payer et nourrir. Ils purent acquérir le droit de cité romaine par l’exercice d’une magistrature annuelle dans leur pays, par la translation de leur domicile à Rome, pourvu qu’ils laissassent des enfans dans leur ville, par une accusation publique de concussion contre un magistrat romain, s’ils parvenaient à le faire condamner ; ils jouissaient, quant à la propriété, d’une portion du privilége romain. D’ailleurs, ils n’avaient ni le droit de mariage romain, ni la puissance paternelle romaine sur leurs enfans, ni la capacité de tester en faveur d’un citoyen romain, ni celle d’hériter de lui, ni l’inviolabilité de leur personne. Leur condition était bien meilleure que celle des autres sujets de la république ; elle était inférieure à celle du citoyen ; elle se résumait en une aptitude à acquérir facilement la plénitude de ce titre, et déjà en une participation limitée à ses capacités.

Ce corps de priviléges particuliers aux peuples latins et émanant des traités obtenus par eux, devint avec le temps, sous le nom de droit du Latium ou de Latinité[28], un droit concessible que des individus et des peuples non latins réclamèrent, et qu’ils obtinrent fréquemment[29]. Une fiction avait créé des Romains en dehors de Rome ; en dehors du Latium, une fiction semblable créa des Latins. Les nouveaux Latins, assimilés aux anciens, en prirent le nom, et ce nom devint l’expression d’une condition politique, le titre d’une des catégories dans lesquelles se divisait la vaste association romaine.

Au second rang, dans les alliances de Rome, figuraient les peuples italiens.

Les nations italiques, en cédant aux armes romaines, avaient fait avec la république des traités généralement avantageux, moins avantageux pourtant à bien des égards que ceux qui servaient de base au droit des Latins. Les services rendus dans les guerres de Rome par les alliés italiens contribuèrent encore à rendre leur condition meilleure. En général, les Italiens conservèrent leur indépendance intérieure, leur gouvernement, leurs lois, leurs magistrats, leurs tribunaux ; mais toute alliance entre eux de peuple à peuple leur était interdite, et, quoique libres en apparence, ils recevaient des ordres supérieurs du sénat, qui jugeait leurs moindres querelles de voisinage. Avec la liberté domestique, ils avaient, à l’égard de Rome, immunité de tribut pour les terres et pour les personnes : c’était aussi le droit commun pour les villes latines. Enfin, l’Italien, de même que le Latin, participait aux garanties de la loi romaine, quant à l’acquisition et à la conservation de la propriété. Ce qui rendait surtout sa condition inférieure à celle du Latin, c’est qu’il ne possédait point les mêmes aptitudes à devenir citoyen romain[30]. Dans l’ordre naturel des choses, il fallait que l’Italien passât par la latinité, ou, comme on disait, par le Latium, pour atteindre à la cité, ce point de mire de toutes les prétentions italiennes au commencement du VIe siècle de Rome. Au reste, ce qui était arrivé pour les titres de citoyen et de latin arriva pareillement pour celui d’italien ; il se forma un droit abstrait appelé droit italique[31], qui, appliqué hors de l’Italie, y créa des libertés, des immunités, une condition politique et civile semblable en tout à celles des villes italiennes.

Ce système d’association graduée ne sortit point, comme on le voit, tout d’une pièce et complet, des méditations du gouvernement romain : il dut sa formation à de longs tâtonnemens, à beaucoup d’évènemens fortuits. Quand il fut organisé, l’Italie présenta, sous la prééminence de Rome, une hiérarchie de peuples, dont les uns étaient déjà pleinement Romains, les autres allaient le devenir, ou le pouvaient, le voulaient, et s’y préparaient dans des conditions inférieures. Mais la même influence qui avait fermé jadis l’enceinte de la ville aux bandes latines ou étrusques que Rome y déportait par la main de ses rois, l’intérêt aristocratique entrava de tout son pouvoir le nouveau système d’agrandissement ; il défendit avec la même opiniâtreté les portes de cette cité immatérielle de l’égalité et du droit. Forcée de céder au mouvement qui poussait Rome hors d’elle-même, l’aristocratie défendit pied à pied son ancien terrain, n’accordant que la moindre faveur, empêchant les Latins de devenir citoyens, les Italiens de devenir Latins. Le Ve et VIe siècles de Rome sont remplis de ces luttes qui tournèrent en définitive au profit des alliés.

Dans les crises de cet enfantement laborieux, Rome atteignit la six cent vingtième année depuis sa fondation. Elle s’était élevée successivement, par des guerres toujours heureuses, à la domination d’une partie du monde : maîtresse de l’Afrique carthaginoise, de la Sicile, de l’Espagne, de la Grèce et de l’Asie mineure, elle enchaînait, par la terreur de son nom, les peuples qui n’avaient point encore éprouvé la force de ses armes. Un moment de repos suivit la ruine de Carthage, et l’Italie, occupée jusqu’alors, sous le drapeau romain, à ces guerres lointaines, put ramener ses regards sur elle-même. Les peuples latins et italiens avaient versé le plus pur de leur sang pour la cause de Rome, sur tous les champs de bataille de l’univers ; ils réclamèrent, les uns une condition meilleure, les autres l’égalité de tous les droits ; les Latins commencèrent, et furent suivis de près par les Italiens. C’était dans le présent une question vitale entre Rome et l’Italie ; dans l’avenir, une question vitale entre l’Italie et le monde ; elle se présentait alors aux comices et au sénat avec toute sa gravité. Le peuple, qui appuya les réclamations, le sénat, qui les combattit, sentaient tous deux qu’il ne s’agissait pas là seulement du sort des alliés, mais aussi de la constitution romaine. Pondérée pour quelques milliers de citoyens, comment embrasserait-elle l’Italie ? Verrait-on les routes incessamment couvertes de nations entières venant voter au Forum de tous les points de la presqu’île, ou retournant du Forum dans leurs municipes ? Par quels moyens assurerait-on à cette multitude l’exercice effectif du droit de suffrage ? Quelle serait l’étendue de son vote ? Égaux en droits aux anciens citoyens, les italiens les écraseraient par le nombre, ils disposeraient de la ville et de l’empire ; Rome perdrait sa suprématie et jusqu’à sa liberté intérieure. Au contraire, restreindre le droit serait ne rien accorder ; les concessions partielles ne contentaient plus personne, et un jour ou l’autre, on le reconnaissait bien, il fallait que les inégalités disparussent.

Il était impossible de concilier tout cela, c’est-à-dire, la formation d’une grande société italienne à droit égal, avec l’individualité de Rome, à part de cette société.

Le sénat prit, dans la question, sa place habituelle d’opposition à tout ce qui menaçait d’altérer la constitution de l’état, et de diminuer sa propre autorité. Les plébéiens se jetèrent aventureusement au milieu des chances que le triomphe des Italiens pouvait présenter ; les Gracques furent en cela leurs conseillers et leurs guides. Quant aux alliés, dominés par une haine profonde contre les patriciens qu’ils rencontraient toujours devant eux, ils confondirent, dans leurs malédictions, la forme républicaine avec l’arrogante domination de leurs ennemis. Plus assurés de réussir sous le gouvernement d’un seul, ils appelèrent de tous leurs vœux une royauté, et attirèrent plus d’une fois à ce leurre les ambitieux tribuns qui s’étaient déclarés leurs patrons. Plusieurs prêtèrent l’oreille à ces dangereuses séductions ; un d’eux fut même proclamé roi dans une émeute d’alliés italiens[32]. Mais le rétablissement de la royauté fut repoussé avec force par les plébéiens eux-mêmes, que le mot effrayait plus que la chose. L’odieux attaché à ce nom depuis quatre siècles, avait passé dans les mœurs romaines, et l’on n’avait pas encore deviné que le pouvoir absolu se trouverait tout aussi à l’aise sous les titres républicains de dictateur et d’empereur.

Tibérius Gracchus engagea la lutte ; il périt de la main d’un sénateur sur les degrés du Capitole. Caius reprit la noble tâche, et rejoignit bientôt son frère. Drusus osa revêtir la robe de tribun, ensanglantée par ces grands hommes : une main inconnue vint le frapper, au milieu d’une foule d’alliés, au pied de son tribunal, dans l’exercice des fonctions sacrées de sa charge. Ces meurtres audacieux, dirigés, avoués hautement par le patriciat, épouvantèrent les plébéiens et, à la faveur de leur effroi, le sénat fit passer une loi qui déclarait ennemi public quiconque, suivant l’exemple de Drusus et des Gracques, proposerait d’accorder le titre de citoyen aux peuples alliés.

Contre une pareille loi un seul recours était ouvert, les armes : les Italiens s’armèrent donc. « De leur part, dit un écrivain romain, c’était la guerre la plus juste ; car enfin que demandaient-ils ? le droit de bourgeoisie dans la capitale d’un empire dont ils étaient les défenseurs[33]. »

Le succès se rangea du côté de l’équité. Un acharnement et des désastres jusqu’alors inouis signalèrent cette lutte d’alliés et de frères. Mais il fallut bien qu’enfin, sur un amas de décombres, le gouvernement romain proclamât des concessions devenues inévitables, et dont Rome elle-même avait semé les germes autour d’elle. Le droit de citoyen, conféré d’abord aux seuls Latins[34], fut étendu bientôt à tous les Italiens[35]. Vainement le sénat chercha-t-il à restreindre, par des chicanes de forme[36], le bienfait arraché par la force ; le triomphe complet des alliés ne laissait plus de doute, car le principe était solennellement reconnu. Depuis le détroit de Sicile jusqu’au Rubicon, l’homme libre marchait l’égal de l’homme libre ; Rome n’était plus la maîtresse de l’Italie ; elle était la première des villes italiennes, et la tête d’une société de peuples égaux.

II.
ACTION DE ROME SUR LES RACES ÉTRANGÈRES À L’ITALIE.

L’œuvre était donc accomplie pour les vieilles populations de la presqu’île italique, pour ces races qui avaient assisté à la naissance de Rome, et toutes ou presque toutes avaient compté des représentans dans son berceau : elle allait commencer pour le reste du monde.

Le détroit de Sicile, au midi ; au nord, le cours de l’Æsar et celui du Rubicon, c’est-à-dire les limites de l’Italie, furent longtemps aussi les limites de la sympathie romaine. Long-temps le même peuple qui comprenait les souffrances de l’Ombrien ou de l’Étrusque, ne voulut voir, en dehors de son étroite presqu’île, que des états rivaux à détruire, des villes opulentes à piller, ou des barbares qui ne méritaient pas même le nom d’hommes. Pourtant ce peuple, vers la fin du premier siècle avant notre ère, avait soumis les contrées les plus civilisées du globe ; et, malgré la dureté de son gouvernement, on doit l’avouer, à la honte de l’antiquité, il ne faisait qu’appliquer ce qui était alors le droit commun des nations.

Les territoires que la république assujettissait hors de l’Italie, étaient rangés dans trois grandes classes, sous la dénomination de provinces, pays libres ou fédérés, royaumes alliés ou amis.

Le mot de province indiquait l’état d’assujettissement absolu ; il signifiait que la république prétendait exercer, sur le sol et sur les habitans du pays, les droits illimités dérivant de la conquête[37].

Ainsi, le sol provincial appartenait, en principe, au peuple romain, qui pouvait, à sa guise, le confondre tout entier dans le domaine public romain, en dépossédant les habitans, ce qu’il faisait quelquefois ; qui pouvait aussi n’en confisquer qu’une partie et laisser aux anciens propriétaires la jouissance du reste, moyennant un impôt foncier ; c’était le cas le plus ordinaire. Alors pourtant la république ne cessait pas d’être juridiquement propriétaire du tout, les habitans restant simplement détenteurs et usufruitiers des biens qui leur étaient laissés par l’état.

La condition des hommes n’était pas moins incertaine, moins dénuée de garantie que celle du sol. La province perdait ses anciennes institutions, ses magistrats, ses tribunaux ; on lui imposait pour code une formule spéciale[38], loi discrétionnaire, rédigée ordinairement par le général vainqueur, et qui se ressentait, tantôt de l’insolence d’un triomphe facile, tantôt de la colère d’un triomphe disputé. Un arbitraire presque illimité pesait sur la vie comme sur la fortune des provinciaux. Sous le moindre prétexte d’utilité publique, on pouvait les emprisonner, les rançonner, frapper leurs villes de contributions extraordinaires. Lorsque l’Italie eut été rendue exempte d’impôt foncier et de capitation, les province durent subvenir en très grande partie à toutes les dépenses de la république : les taxes de toute nature vinrent donc fondre sur elles avec violence, et, à la suite des taxes, une nuée non moins funeste de publicains et de fermiers de l’état. « Partout où il y a un publicain, disaient les Romains eux-mêmes, le droit s’évanouit, la liberté n’est plus[39]. » Cette autorité absolue de Rome était appliquée, par ses délégués, avec une arrogance qui ne contribuait guère à la rendre plus supportable. Tite-Live met dans la bouche d’un des ambassadeurs macédoniens, à l’assemblée d’Étolie, ce portrait d’un gouverneur provincial dans l’exercice de sa charge : « Voyez le prêteur romain, du haut de ce rempart où son siège est placé, dictant ses arrêts superbes ; une troupe de licteurs l’environne ; les verges de ses faisceaux menacent vos corps, ses haches menacent vos têtes, et chaque année le sort vous envoie un nouveau tyran[40] ! »

Mais quelque dure que fût, en tout point, cette condition légale des provinces, le mal le plus affreux, c’était que l’arbitraire de la loi ouvrait la porte à la concussion, aux rapines, aux cruautés, à toutes les mauvaises passions des gouverneurs et des préposés romains ; c’était que la courte durée des prétures et des proconsulats ne laissait aux provinces opprimées ni paix, ni trêve ; c’était aussi que les crimes des magistrats accusés trouvaient trop souvent impunité devant les tribunaux de Rome, composés d’anciens magistrats, dont beaucoup étaient concussionnaires, ou de candidats qui peut-être avaient hâte de le devenir.

Le régime des territoires libres ou fédérés[41] contrastait, par la douceur ordinaire de ses règlemens, avec celui des provinces : il avait pour base l’autonomie ou la faculté de conserver ses anciennes lois, quelquefois même de s’en faire de nouvelles. Le sol national, les magistratures, les tribunaux étaient respectés ; les villes s’administraient elles-mêmes, et, quand le territoire était vaste, et le peuple fractionné en cités, des assemblées centrales, appelées convention ou conseil commun[42], se formaient ou continuaient à se réunir, avec le droit de régler les affaires générales de la communauté. Ce droit de gouvernement administratif, si l’on peut ainsi parler, portait le nom de liberté, et il y avait là, en effet, une grande liberté intérieure ; mais la servitude n’était pas loin. Rome était censée n’exercer sur les peuples et les villes fédérées, lors même que celles-ci (ce qui arrivait souvent) étaient enclavées dans les provinces, qu’un droit de patronage. « De même que nous considérons nos cliens comme des hommes libres, quoique nous les surpassions en autorité, en dignité, en puissance, dit un jurisconsulte romain, nous devons estimer libres, au même titre, les peuples qui s’obligent à défendre avec affection notre majesté[43]. » Mais, en dépit de cette belle théorie, les représentans de la république dans ces cités libres, investis de fonctions mal déterminées, ne se bornaient pas seulement à percevoir le tribut ordinaire et les redevances extraordinaires en argent et en vivres, à présider aux levées d’hommes, à surveiller le jeu des franchises particulières en ce qui pouvait infirmer les lois générales de l’état ou compromettre sa sûreté ; ils s’immisçaient dans les affaires les plus intimes des villes ; et quand ils n’y portaient ni leur avidité, ni leur tyrannie[44], ils y portaient du moins la preuve trop évidente, que les libertés locales les plus étendues n’auraient rien de réel, tant que la gestion des magistrats ne serait pas l’objet d’un contrôle sévère, et qu’on verrait régner, dans les tribunaux de Rome, la corruption et l’impunité des crimes publics.

Les rois amis ou alliés[45] formaient une classe de hauts tributaires à qui Rome avait imposé, suivant les circonstances de leur soumission, des redevances plus ou moins fortes en troupes et en argent. Leur situation, semblable en beaucoup de points à celle des peuples libres, était à peu près sans garantie ; le sénat pouvait leur écrire comme Auguste à Hérode, roi des Juifs : « Je t’ai tenu pour ami jusqu’à présent, je veux te tenir désormais pour sujet[46] ; » et « l’instrument de servitude[47] » était brisé, ou le royaume confisqué. Dans les derniers temps, les querelles intestines de Rome, les rivalités des chefs, les guerres civiles rendirent cette condition encore plus précaire.

Tel était le régime légal des contrées romaines extra-italiques ; évidemment, il valait mieux en droit qu’en fait. La constitution des pays amis ou fédérés reconnaissait un principe excellent, que Rome développa plus tard sur des bases plus uniformes, le principe qui fait la force et la prospérité des grandes sociétés politiques, celui de l’indépendance communale. Dans les provinces même, quoique la formule constitutive fût censée abolir toute législation locale préexistante, et commencer une ère d’organisation complètement nouvelle, il arriva la plupart du temps que les institutions antérieures à la conquête furent conservées en partie par l’impossibilité ou l’inutilité de tout changer brusquement[48]. D’ailleurs les concessions de liberté et d’immunité faites à des villes et à de grandes fractions de province étaient nombreuses, et préparaient un adoucissement graduel pour les populations assujetties. Mais tout ce qu’il y avait de bon dans ce régime manquait de solidité ; la loi était sans vigueur ; l’arbitraire exercé par les gouverneurs s’étendait à tout ; rien n’était respecté ; et durant le dernier siècle de la république, au milieu des troubles qui la déchiraient, on vit la faiblesse ou la complicité des tribunaux absoudre les plus grands crimes, des crimes qu’on serait tenté de révoquer en doute, si l’histoire n’avait confirmé, par des arrêts irrévocables, l’infamie des Pison, des Gabinius et des Verrès.

Il serait injuste, sans doute, de faire peser sur les hommes du parti patricien tout l’odieux de ces abominables excès : le parti populaire ne possédait assurément ni tant de désintéressement ni tant de vertu. Mais comme les accusations contre les vols publics et les réclamations en faveur des provinciaux sortirent presque toujours de ses rangs ; comme il promettait beaucoup de réformes, et que l’appui qu’il avait prêté aux Italiens avant et depuis la guerre sociale, inspirait confiance en sa parole, les provinces s’attachèrent à lui. Elles lui rendirent promesses pour promesses, espérance pour espérance. Il se forma, entre elles et les agitateurs des derniers temps de la république, des liens analogues à ceux qui avaient, un siècle auparavant, compromis les alliés latins dans les entreprises des Gracques. On peut se rappeler avec quel héroïsme l’Espagne adopta et défendit de son sang les derniers chefs du parti de Marius[49]. Catilina lui-même parvint à enrôler sous son drapeau la province gauloise cisalpine, et déjà il entraînait quelques parties de la transalpine, réduites aussi en province. L’incident des ambassadeurs allobroges fait voir de quelle façon se tramaient ces périlleux accommodemens, et comment des peuples entiers, dans l’attente d’une révolution que tout leur montrait inévitable et imminente, se livraient au premier conspirateur qui leur promettait quelque soulagement présent[50]. La gravité des circonstances semblait autoriser même les ambitions les plus indignes, et César n’était pas le seul à dire hautement : « Qu’est-ce que la république ? — Un mot, une ombre sans réalité[51]. »

Parmi tous ces ambitieux, patriciens ou plébéiens, qui, l’œil fixé sur la catastrophe prochaine, ne se bornaient pas à la prévoir, le plus dangereux pour le gouvernement de Rome, sans doute, était César ; et les provinces l’avaient de bonne heure ainsi jugé. Allié de Marius et gendre de Cinna, ce descendant des Jules avait joué, dès l’âge de seize ans, un rôle marquant dans le parti démocratique, auquel se rattachaient alors les Italiens, non encore affranchis. Il trouvait devant ses pas la route de la popularité toute frayée par sa famille ; car sans compter les actes de Cinna et de Marius, la grande et humaine loi qui avait terminé la guerre sociale, en conférant le droit de cité aux Latins, la loi Julia portait le nom d’un de ses proches. Lui-même consacra les premières inspirations de son éloquence à plaider au forum pour des provinces opprimées ou spoliées[52]. On le vit aussi, hors de l’Italie, traîner des préposés romains devant les tribunaux des préteurs, et couvrir, du plus grand nom et du plus grand génie de Rome, ce dangereux protectorat des peuples conquis. Durant ses courses nombreuses en Grèce et en Asie, il se liait avec les hommes les plus notables ; il contractait, avec les sénats locaux et les villes, de ces engagemens d’hospitalité, sacrés chez les anciens, et qui se transformèrent plus tard en alliances politiques, quand il eut besoin de les invoquer. On peut croire que César tira plus d’un profit de ces voyages intéressés, qu’ils développèrent chez lui ce cosmopolitisme d’idées et de sentimens qu’il porta plus loin que tous ses contemporains ; qu’enfin la fréquentation des nations étrangères, la connaissance de leurs mœurs, l’étude de leurs besoins, l’aidant à mieux comprendre leurs droits, effacèrent dans son ame jusqu’aux derniers préjugés du Romain et du patricien.

Des lois, dont l’intention n’était pas équivoque, signalèrent son premier consulat. Une d’elles portait des pénalités rigoureuses contre la concussion[53] ; une autre affermissait sur des bases nouvelles l’indépendance précaire des villes de la Grèce. Mais un acte hardi, qui suivit de près ceux-ci, causa une émotion bien autrement vive. Un plébiscite, provoqué par César, vint conférer à la portion de la province cisalpine située à droite du Pô, à la Gaule cispadane, le droit de cité romaine, et la réunit à l’Italie[54], tandis que des concessions du droit de latinité et l’établissement de plusieurs grandes colonies préparèrent la transpadane à recevoir bientôt la même faveur[55]. Cette mesure était grave sans doute ; elle sanctionnait la réunion d’un territoire barbare au sol de l’Italie, réputé sacré, à la terre antique de Saturne ; elle concédait à des masses entières d’étrangers la qualité de citoyen, octroyée à peine jusque alors à quelques provinciaux isolés ; elle confondait avec les races d’où sortait le peuple romain, une de ces races condamnées à l’asservissement[56], et sur lesquelles il invoquait un droit d’autorité éternelle ; elle brisait enfin la borne posée par la religion même entre l’Italie et le reste du monde. L’aristocratie en fut irritée à ce point que le consul Marcellus, plusieurs années après, fit battre de verges, sous ses yeux, comme n’étant pas vraiment romain, le magistrat d’un des municipes transpadans créés en vertu de cette loi : « Les coups sont la marque de l’étranger, lui dit-il avec une ironie cruelle : va montrer tes cicatrices à César[57] ! »

Mais César, dont cette colère et ces barbaries impolitiques augmentaient l’importance, n’en travaillait que plus opiniâtrement à étendre ses relations hors de l’Italie. Il se faisait l’écho de tous les griefs, le centre de toutes les réclamations publiques ou privées, venues des provinces. Au plus fort d’une guerre fatigante et souvent dangereuse, du fond des bois et des marais de la Gaule, il entretenait, avec tous les points de l’empire, une correspondance où sa sollicitude inépuisable semblait embrasser jusqu’aux plus minces intérêts. Ici, il faisait réparer à ses frais des édifices endommagés ; là, il en faisait construire de neufs ; il reversait en largesses corruptrices sur le monde les trésors dont il dépouillait la Gaule. « Il embellit ainsi par de grands ouvrages, dit un de ses biographes, les villes principales de l’Italie, de la Cisalpine, de l’Espagne, de l’Asie et de la Grèce[58] ; » affectant de mettre, en toute circonstance, sa fortune personnelle à la place du trésor public, et habituant l’empire à reconnaître en lui un régulateur plus juste et plus libéral des besoins de tous, que n’était le gouvernement du sénat. Des provinciaux dévoués à ses projets lui servaient de négociateurs, tantôt près de leurs compatriotes, tantôt à Rome, près des chefs de parti, des sénateurs et des tribuns. La correspondance de l’Espagnol Balbus, conservée dans celle de Cicéron, nous montre quelle était la puissance de ces agens étrangers, et comment, jusqu’aux portes du sénat, ils venaient signifier les volontés de César, et arbitrer, suivant le mot de Tacite, les conditions de la guerre civile ou de la paix[59].

Enfin commença, dans l’hiver de l’année 705 de Rome, quarante-neuvième avant J.-C., cette guerre civile qui contenait le germe d’une si grande révolution politique et sociale. César y recueillit ce qu’il avait semé. Il vit tout aussitôt la Cisalpine se déclarer pour lui ; une partie de l’Illyrie en fit autant ; l’Épire, l’Étolie, et successivement la Thessalie et la Macédoine, travaillées par des amis ardens, passèrent à sa cause, sous les yeux mêmes de Pompée, qui occupait la Grèce. L’Asie et la Syrie, entraînées un instant dans le parti contraire, l’accueillirent bientôt comme un libérateur. C’est qu’il pouvait dire à la plupart de ces nations ce qu’il dit un jour aux Espagnols. « Je vous ai rendu tous les services que j’ai pu ; mon patronage ne vous a jamais manqué ; je me suis fait votre avocat devant le sénat ; j’ai soulevé contre moi bien des haines en défendant vos intérêts publics et privés ; et vous me combattez[60] !… »

Sa conduite, dans tout le cours de cette guerre, fut habile autant qu’humaine ; il adopta envers les provinciaux et les rois alliés un système de ménagemens et de douceur qui ne se démentit que rarement, et qui contrastait avec l’insolence et les rigueurs gratuites dont le parti pompéien semblait au contraire se faire une règle et une gloire. Il tenait la main à ce que ses officiers réprimassent la licence du soldat ; lui-même se montrait impitoyable envers tout chef dont les excès eussent compromis sa cause : « Tu n’as pas fait moins de mal à moi qu’à la république, » disait-il à un de ses tribuns qui, sous le prétexte d’enlever des blés, avait pillé la côte de Sicile ; et il le cassa ignominieusement, en présence des légions rassemblées. Cette modération lui gagnait les cœurs. La plupart du temps, les pays occupés par les troupes de Pompée se donnaient secrètement à son rival ; les habitans entretenaient avec lui des intelligences, les villes lui ouvraient leurs portes. Les acclamations des citoyens d’Utique, préparant le triomphe du vainqueur, purent troubler Caton à son heure suprême et rendre son agonie plus amère. Ainsi le voulait le progrès du monde. L’ambition de César l’avait mieux compris que la vertu des derniers Romains.

Après la victoire, il y eut de grands comptes à régler entre le dictateur et ce monde romain, qui avait si bien aidé à sa fortune. Aucun service ne fut oublié ; beaucoup d’individus, des villes, des peuples entiers reçurent, suivant leurs mérites, les droits quiritaire, latin ou italique. Les soldats de la légion de l’Alouette furent faits en masse citoyens romains ; c’était une légion levée en Gaule et composée de braves qui s’étaient dévoués à la personne du conquérant.

Ces dettes du champ de bataille une fois payées, la pensée de l’homme d’état se porta vers de plus hautes questions. L’ordre politique était brisé ; des espérances sans bornes avaient été inspirées aux sujets de l’empire ; il fallait tout reconstituer, la société et le gouvernement. La mort vint le surprendre dans l’enfantement de ce grand travail, où il eût déployé sans doute cette intelligence universelle et cette fermeté de décision qui faisaient, avec sa prodigieuse activité, le cachet particulier de son génie. Quel était son plan ? Comment concevait-il cette réorganisation du corps des nations romaines ; leur classement, leur initiation aux droits divers qui s’échelonnaient jusqu’au droit de cité ? L’histoire ne le dit point ; mais, d’après les règlemens qu’il eut le temps d’achever, d’après ceux dont il ne fit que déposer le germe et que ses premiers successeurs développèrent, dans une pensée qui fut très probablement la sienne, on peut reconnaître que son plan fut un plan d’émancipation graduelle ; et que, sans rien précipiter, il voulait amener par degrés et avec le temps toutes les parties de l’empire à l’unité qui régnait déjà en Italie.

D’abord, il entreprit de réunir toutes les lois de la république dans un seul code qui les coordonnât, les fixât, et en répandît en tous lieux la connaissance. « Il projetait, dit Suétone, de réduire le droit civil à une certaine mesure, et de rédiger en très peu de livres ce qu’il y avait de bon et de nécessaire dans l’immense et diffuse quantité des lois existantes[61]. » Il ébaucha à peine ce projet de code, qui se rattachait par des liens étroits à la conception d’un gouvernement unitaire.

Une des plaies du régime provincial, la plus sensible peut-être, était dans la composition des tribunaux qui jugeaient à Rome les crimes publics, et dont l’iniquité avait soulevé tant de clameurs ; il en commença la réforme.

Il exclut du sénat tout magistrat convaincu de concussion ; et pour compléter cette assemblée dont il porta le nombre à mille membres, il y fit entrer des provinciaux notables, tirés principalement des deux Gaules cisalpine et narbonnaise, ainsi que de l’Espagne. Dans cette circonstance, il n’oublia point son ami et son conseiller, le Gaditain Cornélius Balbus, qui bientôt même fut promu au consulat[62].

Pour arriver graduellement et sans perturbation à cette communication universelle du droit de cité qui devait créer l’unité romaine, César paraît avoir imaginé un système de catégories qu’il ne fit qu’essayer, mais que ses successeurs perfectionnèrent. Ce système consistait à attacher à certaines conditions de lumières, de fortune, d’utilité, des droits propres, des capacités inhérentes à ces conditions, et qui ne dépendissent plus des concessions individuelles et arbitraires du gouvernement. Par là on introduisait directement dans la communauté les classes riches, éclairées, industrieuses, qui présentaient à la fois avantage et sécurité pour l’ordre. La république s’était assimilé jadis, par un procédé semblable, les magistrats des municipes latins, c’est-à-dire la tête de la population latine. César conféra le droit de cité à tous les médecins étrangers pratiquant à Rome, à tous les professeurs des arts et des sciences[63]. Auguste l’étendit aux provinciaux qui, déjà Latins, viendraient dépenser leur fortune en Italie, et feraient, par exemple, à Rome, des constructions d’une certaine valeur : c’est ce qu’on appela le droit d’édifice[64]. Claude, à son tour, y comprit le Latin propriétaire d’un vaisseau de certain tonnage destiné à certain commerce : ce droit fut connu sous le nom de droit de navire[65]. D’autres industries furent favorisées de la même manière, non-seulement dans l’intérêt de Rome et de l’Italie, mais dans l’intérêt de tout l’empire. Les lois Ælia Sentia et Junia Norbana, rendues sous Auguste et Tibère, ouvrirent une voie encore plus large, en déclarant citoyen de plein droit le Latin mari d’une femme latine, et qui l’aurait épousée dans le but d’avoir des enfans. Des concessions de plus en plus libérales du droit de latinité créèrent de toutes parts une multitude de Latins qu’un mariage fécond rendait aussitôt citoyens de Rome, eux et leur famille. Sous Tibère, la loi Vitellia attacha la capacité romaine au service dans certains corps de l’armée. Ces catégories et d’autres encore sur lesquelles je ne m’étendrai pas, réunies aux anciens modes d’acquérir la cité, formèrent des sources abondantes d’où l’assimilation s’étendit chaque jour et sans secousse.

En même temps, et afin de multiplier au milieu des nations sujettes les foyers de vie romaine, César répartit quatre-vingt mille citoyens dans les colonies d’outre-mer[66]. Deux villes autrefois illustres, reines toutes deux de la Méditerranée, et toutes deux ruinées depuis cent ans, Corinthe et Carthage, attestaient, par le spectacle de leurs débris, les vengeances de la république ; il les fit reconstruire, comme le gage d’un nouveau pacte entre Rome et le monde. Suivant l’historien Appien, il avait médité cette grave mesure pendant son expédition d’Afrique. Se trouvant alors campé près des restes de Carthage, il avait vu en songe une grande armée qui semblait pleurer ; réveillé en sursaut, et tout troublé par cette vision, il avait écrit sur ses tablettes : coloniser Carthage[67]. Cette armée en larmes qui criait à César merci, dans ce songe réel ou supposé, était-ce autre chose que la grande armée des nations conquises ? Quoi qu’il en soit du récit d’Appien, l’acte du dictateur rebâtissant Carthage et Corinthe fut accueilli par tout l’empire, comme un acte de haute réparation ; l’histoire aussi l’a enregistré comme un acte de haute et humaine politique.

« César, dit à ce sujet Dion Cassius, se montra aussi admirable dans l’administration qu’à la tête des armées ; il acquit même une gloire spéciale en relevant Carthage et Corinthe. Rétablir ou fonder plusieurs villes en Italie et hors de l’Italie, il eut cela de commun avec quelques autres. Mais ressusciter Corinthe et Carthage, deux villes antiques et glorieuses, en y envoyant des colons romains, en leur donnant le droit de cité ; montrer par là qu’il honorait la mémoire de leurs anciens habitans, et qu’il ne gardait aucune haine contre des lieux célèbres, innocens des actions coupables de leurs premiers possesseurs ; cette gloire n’appartient qu’à César[68]. C’est ainsi que Carthage et Corinthe, qui jadis avaient été détruites à la même époque, commencèrent à reprendre simultanément une vie nouvelle, et devinrent une seconde fois très florissantes. » Trois mille colons furent envoyés à Carthage ; le reste fut pris dans le pays voisin et adjoint à la colonie.

Telles furent les lois portées ou projetées par César pendant sa dictature, celles du moins qui avaient pour but l’organisation générale de l’empire. Si l’on examine leur caractère intime, on voit qu’elles se rattachent l’une à l’autre logiquement, qu’elles dérivent d’une pensée commune, l’unité.

Au reste, on se tromperait si l’on croyait que ces théories, mêlées de philanthropie et de politique, fussent des vues particulières à l’homme puissant qui les exécutait, de pures créations de son génie ; elles fermentaient dans beaucoup d’âmes ; beaucoup d’esprits, que les préjugés romains n’aveuglaient plus, les avaient pressenties, comme un remède efficace aux maux présens. De nombreux passages, pris çà et là chez les écrivains contemporains, en fourniraient au besoin la preuve ; mais on la trouve nettement établie par un document trop curieux pour que je ne m’y arrête pas quelques momens, par deux lettres, ou comme nous dirions aujourd’hui, deux pamphlets, adressés à César, l’un avant la bataille de Pharsale, l’autre après, et émanés d’un de ses plus chauds partisans. L’opinion commune les attribue à l’historien Salluste, dont ils portent le nom et reproduisent les formes de style et le talent. Pourtant y aurait-il erreur sur ce point, ce que je ne pense pas, l’erreur importerait peu, car évidemment les pièces dont je parle datent de ce temps, et évidemment encore, elles sont l’œuvre d’un personnage important, versé dans la pratique des affaires.

Encourager César dans ses projets de domination, l’éclairer sur les moyens dont il dispose ; lui bien exposer, avec la situation véritable de la république, les désirs et l’attente de son parti : tel est le but de ces deux lettres. L’écrivain politique dépeint le gouvernement romain comme un corps ruiné, qui tombe de vieillesse et menace d’entraîner l’empire avec lui. « Si, en effet, ajoute-t-il, par son état de consomption, ou par les coups du sort, cet empire venait à succomber, qui ne voit qu’aussitôt la terre entière serait livrée à la désolation, à la guerre, au carnage[69] ? » C’est au nom de la paix du monde, c’est pour la sûreté des provinces et pour le salut de l’Italie[70], que César doit prendre en main le pouvoir suprême ; il faut qu’il relève et raffermisse la chose publique.

Pour réussir, trois moyens s’offrent à lui.

Qu’il embrasse d’abord, d’un même regard, toutes les branches de l’administration, tous les membres de l’empire. « Organiser à la fois les terres et les mers ; » voilà la première tâche. Son importance rassure quiconque connaît César : de minces détails ne seraient peut-être point accessibles à un génie tel que le sien ; mais aux grands travaux les grandes gloires.

En second lieu, qu’il écrase la faction de la noblesse, faction d’hommes corrompus et lâches, mais qui, compacte et armée, gouverne avec insolence non-seulement les nations sujettes, mais le peuple romain et le sénat. Aussi ce sénat, dont la sagesse faisait autrefois l’espoir de la république dans ses périls, flotte çà et là, poussé par le caprice, et décidant des intérêts de l’état, au gré de la haine et de l’arrogance de ceux qui le dominent. Quelques nobles, avec un petit nombre d’auxiliaires de leur faction, sont maîtres d’approuver, de rejeter, de décréter ; ils règnent[71].

Pour rendre de la force au sénat, il faut augmenter le nombre de ses membres, et établir le vote au scrutin secret. Le scrutin sera une sauve-garde à l’abri de laquelle les esprits oseront se prononcer avec plus de liberté ; dans l’augmentation de ses membres, ce corps trouvera plus de force et d’action. »

Enfin, César doit régénérer la masse même du peuple, qui s’est dépravée au sein de la corruption générale, qui a fait de sa liberté et de la chose publique un trafic honteux. Autrefois, la multitude était souveraine et en possession de commander aux nations de la terre ; mais elle s’est désorganisée ; et, au lieu d’une part dans l’autorité publique, chacun s’est créé sa servitude particulière. Or, cette multitude, d’abord infectée de mauvaises mœurs, puis adonnée à une diversité infinie de métiers et de genres de vie, composée d’élémens incohérens, est devenue impropre au gouvernement de l’état. Il faut la mélanger par l’introduction de nouveaux citoyens pris dans les classes les plus honorables des provinces. « J’ai grand espoir, dit l’auteur des lettres, qui se croit obligé, par décence, de parler un peu de liberté ; j’ai grand espoir qu’après ce mélange, tous se réveilleront pour l’indépendance, car, chez les uns, naîtra le désir de la conserver, et chez les autres celui de mettre fin à leur servitude. Tu pourras les établir dans les colonies ; ainsi s’accroîtront nos forces militaires, et le peuple, captivé par des occupations honnêtes, cessera de faire le malheur public. »

« Mais, ajoute-t-il, je n’ignore pas, je ne me cache pas combien l’exécution de ce plan excitera d’emportemens et de tempêtes parmi les nobles. Ils s’écrieront avec indignation qu’on bouleverse tout, que c’est imposer l’esclavage aux anciens citoyens, que c’est transformer en royaume un pays libre, si, par le bienfait d’un seul, une multitude nombreuse parvient au droit de bourgeoisie. »

Il cite alors l’exemple de Drusus assassiné pour des projets pareils, et engage César à redoubler de soins, pour s’assurer des amis dévoués et de nombreux appuis.

Tels sont, en résumé, les conseils contenus dans ces lettres, qu’on peut regarder comme une sorte de programme du parti démocratique, donné par un de ses plus fougueux tribuns. Les lois de César semblent n’en être, sur beaucoup de points, que l’application. On y trouve clairement indiqués les trois principes que je signalais tout à l’heure : 1o établir l’unité dans l’empire ; 2o propager le droit de cité dans les provinces ; 3o atteindre l’aristocratie dans le sénat même, en renouvelant et en agrandissant cette assemblée.

Par malheur, Salluste avait trop bien vu, les innovations du dictateur irritèrent profondément la noblesse, et par-dessus tout et avant tout, l’introduction des provinciaux dans le sénat. Cet acte, en effet, était décisif ; il montrait clairement à tous les yeux la voie dans laquelle César poussait sa patrie. S’il n’eût eu que l’intention vulgaire de se faire une assemblée à sa dévotion, l’Italie ne manquait, certes, ni d’admirateurs sincères du grand homme, ni de complaisans de l’homme tout-puissant. Mais l’intrusion des races étrangères venait tout à coup changer le caractère politique du sénat ; au corps aristocratique par essence, né et grandi avec Rome, seul représentant, seul conservateur de l’esprit quiritaire, elle tendait à substituer une simple assemblée de notables : c’était le premier germe d’une représentation de tout l’empire, sur le pied d’égalité. Aucun des actes de César ne blessa donc aussi vivement que celui-ci le vieux patriotisme romain. Mais bon gré, mal gré, il fallut obéir. Il fallut que les Cornélius, les Fabius, les descendans de Tulius et de Numa, ouvrissent leurs rangs aux demi-barbares, comme on aimait à les appeler, qui venaient voter avec eux, qui parlaient devant eux de leurs droits, qui décidaient souvent, par leurs suffrages, des institutions de la ville. Il fallut obéir ; mais on se vengea de César et des intrus de César par des cris de colère, par des sarcasmes, par de malignes plaisanteries. Tantôt des avis affichés sur les places invitaient le peuple à ne point indiquer aux nouveaux pères conscrits le chemin du sénat ; tantôt on faisait chanter par les soldats au triomphe du dictateur : « Qu’il conduisait les Gaulois devant son char, mais pour les mener au sénat, où ils quitteraient leurs braies et prendraient le laticlave[72]. » Les paroles, les gestes, l’accent de ces étrangers fournissaient matière aux critiques les plus amères et aux plus ridicules doléances. Parce que l’accent était rude quelquefois et le langage incorrect, on s’écriait que tout était perdu, le bon goût et la belle langue latine, avec la dignité romaine[73] ; et Cicéron, homme nouveau, ne rougissait pas de se faire l’écho de pareilles puérilités. Mais tout ce courroux, toutes ces insultes n’aboutissaient qu’à resserrer encore davantage les liens qui unissaient les provinciaux à César.

Aussi, le poignard qui le frappa sembla, du même coup, avoir frappé au cœur toutes les provinces. La consternation fut universelle, et lorsqu’on sut que, par son testament, il léguait à la Sicile le droit de cité, comme un magnifique adieu qu’il envoyait en mourant aux nations conquises, la douleur n’eut plus de bornes. Dans ce brusque dénouement de tant d’espérances si vives et si tristement déçues, on crut reconnaître la main d’une fatalité ennemie. La superstition se mêla aux regrets ; chaque pays eut ses prodiges ; chaque peuple raconta ses pressentimens ; et l’apparition d’une comète, au milieu de cette disposition des esprits, vint donner en quelque sorte à toutes les illusions un droit d’incontestable réalité. Les étrangers qui se trouvaient alors à Rome (et le nombre en était immense) prirent le deuil spontanément, et firent retentir les rues et les places de lamentations prononcées dans tous les idiomes de la terre. Les Juifs se distinguèrent entre tous, dans ce cortége funèbre des peuples, par la vivacité de leur affliction : pendant plusieurs nuits de suite, ils restèrent en sentinelle près du bûcher.

Ces faits, si authentiques qu’ils soient, se refuseraient à toute explication, s’ils ne se rapportaient qu’à l’homme et au peu de bien qu’un homme, fût-il César, peut faire à l’humanité. Mais ici l’action personnelle du fondateur de l’empire se confondait avec le mouvement intime du monde ; son ambition avait favorisé, excité une tendance qui devenait irrésistible ; son génie avait trouvé pour point d’appui la plus grande crise qu’ait éprouvée la société antique. La situation des peuples était neuve effectivement ; les organisations politiques du passé croulaient de toutes parts ; Rome, après avoir détruit les nationalités diverses dans tout l’univers civilisé, sentait à son tour sa propre nationalité chanceler et céder à la réaction de l’univers. Il était manifeste à tous que les conditions sous lesquelles avaient jusqu’alors vécu les sociétés politiques, ne suffisaient plus à une grande portion du genre humain, et qu’un ordre de choses tout nouveau allait commencer. Cet ordre de choses, quel serait-il ? L’histoire ne jetait aucun jour sur les incertitudes présentes, car rien dans le passé ne faisait deviner un tel avenir.

Le mot mystérieux qui échappait à la science humaine, les masses le demandèrent à la religion. On feuilleta de toutes parts les livres sacrés ; on recueillit les vieux oracles ; on en imagina de nouveaux au profit de l’idée qui travaillait toutes les ames. Jamais l’anxiété du doute, jamais la crédulité, ne furent plus en émoi. Des prophéties, en vers et en prose, circulaient d’Orient en Occident, et d’Occident en Orient, par milliers de volumes ; chaque nation apportait les siennes, empreintes de sa foi religieuse et de son génie poétique, et les donnait comme la clé de cet avenir sans nom, vers lequel gravitaient toutes choses. Pour le Latium et la Grèce, nourris de fictions gracieuses, c’était un retour à l’âge d’or, au règne du bon Saturne, à la paix perpétuelle, à l’innocence des hommes. L’aruspice étrusque y voyait la fin d’un jour du monde, tandis que des sectes mystiques saluaient en lui l’aurore d’une année céleste, dont les grands mois allaient poindre. En Orient, d’autres interprétations religieuses, d’autres calculs cosmogoniques, d’autres rêves, d’autres espérances. Mais une concordance frappante au milieu de ces diversités, c’est que toutes les traditions, toutes les explications, annonçaient la venue d’un roi, qui réunirait les nations sous son sceptre et fermerait à jamais le temple de la guerre. Cette croyance était surtout répandue parmi les nations orientales[74]. À Rome même, à la face du Capitole et sous les yeux du sénat, bien des signes avaient effrayé les pontifes, et bien des voix s’étaient écriées : « La nature est en travail d’un roi[75] ! » César sembla répondre à l’attente universelle, et le monde suivit avec anxiété sa marche à ce trône universel, qu’il élevait sur les débris du gouvernement de sa patrie. Chose étrange, que ce mysticisme politique débordant tout d’un coup au sein d’une société dont la tête rejetait à peu près toute religion positive ; que ces prédictions et ces prodiges appliqués à César, à l’ambitieux épicurien qui, en plein sénat, avait nié l’immortalité de l’ame, au profit des complices de Catilina[76] !

Pourtant il en fut ainsi, et, dans la conscience d’un grand nombre d’hommes, cet homme fut vraiment dieu[77]. L’auréole dont son laurier impérial avait été environné passa après sa mort au front de son fils. Octave devint à son tour un sujet de prodiges, de prophéties et de visions, même dans une sphère sociale, où l’on sait se garantir des impressions populaires[78]. On voulait le croire prédestiné à l’accomplissement du grand travail ébauché par son père ; et, comme le poète latin, on suppliait les dieux indigètes, les génies de Rome et du sol italique, divinités exclusives et jalouses, d’épargner au moins ce jeune homme, de ne point arrêter dans ses mains la consolidation du monde

Di patrii indigetes, et Romule, Vestaque mater,
Quae tuscum Tiberim et romana palatia servas,
Hunc saltem everso juvenem succurrere sæclo
Ne prohibite
[79] !…

Ainsi finit, dans Rome, ce gouvernement républicain aristocratique, qui n’avait eu de volonté et de puissance que pour subjuguer. Ébranlé profondément par la réaction des races italiques, il tomba sous celle des races étrangères. L’unité de l’Italie avait pu sortir toute faite du bouleversement de la guerre sociale, parce que les italiens étaient déjà assimilés, parce qu’ils étaient déjà Romains, sauf de droit. Rien de pareil n’existait encore pour les nations sujettes, du moins quant à la plupart ; et ni Pharsale, ni Munda, ni Philippes ne durent enfanter l’unité de l’empire. Ce que les provinces gagnèrent dans les dernières guerres civiles, fut surtout une conquête morale : ce fut la ruine du système politique qui maintenait l’exclusion sociale ; ce fut la reconnaissance définitive du principe d’association, à devoirs et droits mutuels ; ce fut enfin, dans une reconstitution de l’ordre politique, la garantie que Rome ne combattrait plus désormais ce principe, sur lequel reposait la destinée de tant de peuples. En fait, l’autocratie des Césars n’eut pas un autre caractère que la toute-puissance tribunitienne des Gracques et de Marius, ou la royauté offerte à Sp. Cassius, à Saturninus et à tant d’autres ; pouvoirs extraordinaires confiés à un seul par la majorité contre l’oligarchie, dans un but de progrès général. Cette grande et respectable mission du pouvoir impérial légitima, aux yeux d’une partie du monde, la perte de la liberté politique ; aux yeux de l’autre, elle en adoucit le regret.


Amédée Thierry.
  1. L’auteur de l’Histoire des Gaulois, M. Amédée Thierry, doit publier dans quelques mois, pour faire suite à ce livre, dont la réputation est consacrée, une Histoire de la Gaule sous la domination romaine. En tête de ce nouvel ouvrage, dans une introduction qui ne forme pas moins d’un volume, l’auteur trace un vaste tableau de la société et du gouvernement envisagés en dehors de Rome, sous le point de vue des intérêts provinciaux et de la civilisation du monde soumis par la conquête. C’est une véritable histoire romaine, telle qu’un sujet de Rome aurait pu l’écrire vers le IIIe siècle, quand l’unité de l’empire était à peu près accomplie. On y sent par degrés et tour à tour l’action de la cité victorieuse sur toutes les races de l’ancien monde, puis la réaction de ces races sur l’Italie et sur Rome : conception neuve, qui donne la clé non-seulement des destinées de tant de peuples si fortement marqués à l’empreinte romaine, mais de celles de Rome elle-même, qui, après avoir détruit toutes les nationalités autour d’elle, vit à son tour sa propre nationalité emportée par le mouvement qui poussait tous ces peuples vers la même unité sociale.
  2. Ant. rom., II, 16.
  3. Tacit., Ann., XI, 24.
  4. Flor., I, 1. — Tit-Liv., I, 8.
  5. Plut., Rom., 10. — Fest., V. Mundus.
  6. Antiq., I, 89.
  7. Tit.-Liv., I, 30.
  8. Tit.-Liv., I, 28.
  9. Denys., Ant., V, 20. — Plut., Public., 13.
  10. Tit.-Liv., I, 44. — Denys d’Halicarnasse, Ant., IV, 22, en compte 85,000 d’après les tables des censeurs ; et Eutrope (I, 71), 83,000.
  11. An de Rome 268.
  12. Roma sola urbs, cætera oppida. Isid., VIII, 6. — Sidon. Apoll., Epist., I, 6.
  13. Antiq., VIII, 69, 74, 77. — Beaufort réfute cette assertion de Denys., Rep. rom., V, 84, 127 et seqq.Cf. Spanh., Ex., I, 7.
  14. A. Gell., Noct. att., XVI, 13. — Strab., V, 222. — Tit-Liv., V, 50. — Spanh., Orb. rom. Exerc., I, 7.
  15. De là l’expression in tabulas Cœritum referre, pour désigner l’acte des censeurs qui privait un citoyen du droit de suffrage. A. Gell, l. c.Ascon. Paedian., in Civ. Divin.Cærite cera digniHorat., Ep., I, 6.
  16. Ad augendam rem romanan. Tit-Liv., VIII, 13.
  17. Grandeur et Décadence des Romains, c. 9.
  18. Civis optimo jure.
  19. Jus Quiritium.
  20. Jus civitatis.
  21. Connubium ; patria potestas ; jus legitimi dominii, testamenti, hæreditatis, libertatis.
  22. Jus census, suffragiorum, honorum et magistratum, sacrorum et militiæ.
  23. Festus, V. Municipium et Municeps. A. Gell., XVI, 13. — Beaufort, Rep. rom., V, 212 et suiv.
  24. L, 18. D. de Verb. signific.Cf. Ulpian., L, 1, § I. D. ad. Municip.
  25. Tit.-Liv., XXIII, 28. — Cf., IX, 43 ; XXVI, 20 ; XXXIV, 43. — Cicer., Pro Balb., 21. — Spanh., Orb. rom. Ex., 11, 9.
  26. Cicer., de Leg., II, 2.
  27. Socii, Socii latini, Socii nominis latini. — Cf. Dionys., Ant., VI, 95. — Tit.-Liv., II, 22. — Cicer., Pro Balb., 21, 23.
  28. Jus Latii, jus Latinitatis. — Tit.-Liv., VIII, 14 ; IX, 43 ; XXV, 3 ; XXXVIII, 36, 44 ; XLI, 8. — Cicer., Pro Sext., 13 ; Pro Balb., 13 ; Brut., 6, etc.
  29. Tacit., Ann., XV, 32. — Plin., Hist. nat., III, 3.
  30. Sigon., de Ant. jure Ital., I, 9 et seqq. — Beaufort, Rep. rom., V, 166 et seqq. — Savigny, Geschichte des rœm. Rechts, I. b. 1. k. ; et Ueber das Jus italicum. — M. Naudet, Des Changemens opérés dans toutes les parties de l’administration romaine, etc., I, 42.
  31. Jus italicum.
  32. Flor., III, 16. — Cf. Appian., Bell. civ., I, 28 et seqq.Vell. Pat., II, 2. — Plut., Mar.
  33. Vell. Pat., II, 15.
  34. Loi Julia, de Civitate sociis et latinis danda, an de Rome, 664. — Avant J.-C., 90.
  35. Loi Plautia, an de Rome, 665. — Av. J.-C., 89. — Les Samnites et les Lucaniens ne furent admis qu’en 670.
  36. Vell. Paterc., II, 20. — Appian., Bell. civ., I, 49. — Epit., Tit.-Liv., LXXX.
  37. Provinciae appellabantur, quod populus romanus eas provicit, id est, ante vicit. (Festus.)
  38. Forma, formula, lex provinciœ.
  39. Tit.-Liv., XLV, 18.
  40. Ibid., XXXI, 39.
  41. Civitates liberæ, fœderatæ ; populi liberi, fœderati.
  42. Conventus, commune concilium, ou simplement commune.
  43. Procul., D. L., 7. De Capt. et postlim.
  44. Cicer., Pison, passim.
  45. Reges amici, socii ; reges inservientes. Tacit., Hist., II, 81.
  46. Joseph., Ant., XVI, 15.
  47. Tacit., Agric., 14.
  48. Savigny, Geschichte des rœm. Rechts, 1. b., 2. k.
  49. Guerre de Sertorius de 677 à 682.
  50. Sall., Catil., 41. — Appian., Bell. civil., II, 4. — Cicer., in Catil., III, 2, 5. — Flor., IV, 1. — Cf., Histoire des Gaulois, II, 265 et suiv.
  51. Suet., J. Cœs., 77.
  52. Suet., J. Cœs., 4. — Plut., J. Cœs., 3, 4. — Tacit., De Caus. corrupt. eloq., 34.
  53. De repetundis. — Cicer., Fam., VIII, 7 ; Pison, 16, 21, 37 ; Rabir., 4 ; Vatin., 12 ; ad Attic., V, 10, 16. — Suet., J. Cœs., 43
  54. Tacit., Ann., XI, 24. — Strab., VI.
  55. Dion., XLI, 36.
  56. Tu regere imperio populos, Romane, memento
  57. Appian., Bell. civ., II, 26. — Suet., J. Cœs., 28. — Plut., J. Cœs., 37.
  58. Suet., loc. cit.
  59. Cicer., ad Att., VIII, 15 ; IX, 7, 12, 13. — Tacit., Ann., XII, 60.
  60. Caes., Bell. hisp., 42.
  61. Suet., J. Cœs., 41. — Dion., XLIII.
  62. Cicer., ad Famil., X, 32. — Plin., Hist. nat., V, 5 ; VII, 43.
  63. Suet., J. Cœs., 42.
  64. Gaius, Instit. Comm., I, 33. — Cf. Ulpian., Fragm., III, 1.
  65. Ulpian., Fragm., III, 6. — Gaius, 1, 34. — Suet., Claud., 18, 19.
  66. Suet., J. Coes.Dion., XLIII.
  67. Appian., Bell. pun., VIII, 136.
  68. Dion., XLIII, 50. — Cf. Plut., in Cœs., 57. — Strab., XVII. — Pausan., II.
  69. Sallust., ad Cœs. ep., I, 12.
  70. Sallust., Ep., II, 5, 6, 8.
  71. Ep., I, 10 ; II, 7.
  72. Suet., J. Cœs., 80.
  73. Cicer., ad Papir. Poet. ; Div., IX, 15.
  74. Vesp., 4 — Tacit., Hist., V, 13 — Joseph., Bell. jud., VII, 28 — Appian. ap. Zonar., Ann. II.
  75. Suet., Aug., 94.
  76. Sallust., Catil., 51.
  77. Suet., J. Cœs., 88. — Dion., XLV, 7.
  78. Voir dans Suétone et dans Plutarque les songes de Catulus et de Cicéron.
  79. Virg., Georg., I, 498.