La Plante/Partie II, chapitre VIII
VIII
La Graine.
Considérons le fruit de l’amandier mûr et à l’état frais. Après avoir cassé la coque ligneuse, constituant l’endocarpe, nous obtenons la graine, vulgairement amande. Sur celle-ci, nous reconnaîtrons aisément deux enveloppes, faciles à isoler si l’amande est fraîche : l’une extérieure, grossière et rousse ; l’autre intérieure, fine et blanche. Ces deux enveloppes prennent dans leur ensemble le nom de téguments de la graine. L’extérieure se nomme testa à cause de sa consistance qui, pour certaines graines autres que celle de l’amandier, est comparable à la dureté d’une coque ; la seconde se nomme tegmen.
Pour second exemple, prenons le pois et le haricot. Nous y reconnaîtrons les deux enveloppes trouvées dans l’amande : un tegmen, à l’état de fine membrane ; un testa, plus robuste, verdâtre dans le pois, blanc ou bariolé de rouge, de brun, dans le haricot. Sur l’une et l’autre graine se dessine très-nettement une tache ovalaire blanche que l’on nomme hile ; c’est là qu’adhérait le cordon nourricier ou funicule, qui tenait la graine appendue à la paroi du carpelle et lui distribuait la séve nécessaire à son accroissement. Enfin dans le pois, au voisinage du hile, on distingue, avec un peu d’attention, un très-petit orifice comme pourrait en faire la pointe d’une fine aiguille : c’est le micropyle, par où le tube pollinique a pénétré dans le sac embryonnaire de l’ovule.
Tels sont les traits les plus saillants que l’extérieur de toute graine présente, mais avec des modifications de détails extrêmement variables. Ainsi le hile, si distinct dans le pois et le haricot, manque de netteté dans l’amande, et le micropyle ne peut être aisément reconnu que dans un petit nombre de semences, dans le pois en particulier. Quant au testa, il y en a de mous et de flexibles, de charnus même comme dans le grenadier ; il y en a de durs et de cassants, d’épaissis en solides coques.
Fig. 183. Capsule du Cotonnier.Les uns sont polis, brillants et comme vernissés ; les autres sont ternes, rugueux, burinés de sillons, armés d’arêtes, de papilles, de côtes. Quelques-uns ont des teintes vives, comme on le voit dans certaines variétés de haricots ; d’autres, et ce sont les plus nombreux, sont de couleur mate, fréquemment brune ou noire. Enfin le testa de quelques semences se hérisse de cils raides, ou bien se couvre de longs poils soyeux qui forment autour des graines une enceinte d’ouate. Telle est l’origine du duvet blanc qui s’épanche au printemps des petites capsules du peuplier et du saule ; telle est aussi la provenance du coton ou bourre contenue dans les capsules du cotonnier.
Si l’on dépouille de leurs téguments l’amande, le pois, la fève, il reste l’embryon, c’est-à-dire la plante en son état naissant. La presque totalité de l’embryon est formée de deux corps charnus, égaux, accolés l’un à l’autre. Ce sont les cotylédons ou premières feuilles de la petite plante. Dans leur épaisseur disproportionnée sont amassées des réserves alimentaires, qui doivent servir au développement futur. À la base des cotylédons fait légèrement saillie au dehors un petit mamelon conique, qui prend le nom de radicule et représente les rudiments de la racine. Au-dessus, entre les deux cotylédons, se montre la gemmule, consistant en un faisceau de très-petites feuilles appliquées l’une sur l’autre. La gemmule est le bourgeon initial de la plante ; c’est elle qui, se déployant et se développant, donnera le premier feuillage. Enfin l’étroite ligne de démarcation entre la radicule et la gemmule porte le nom de tigelle ; de là doit provenir le premier jet de la tige. Pareille structure se retrouve dans toute graine appartenant aux végétaux dicotylédonés.
Fig. 184. Embryon d’Amandier.
c, cotylédon ; c′, point d’attache du second cotylédon ; g, gemmule ; t, tigelle ; r, radicule. |
Fig. 185. Graine du Blé.
c, cotylédon ; e, gemmule ; pr, périsperme. |
Le blé, la tulipe, l’iris, enfin les végétaux monocotylédonés ont l’embryon en général cylindrique. Sur le flanc de ce germe, on distingue une étroite fente par où se fait jour la gemmule ; ce qui est au-dessus de cette fente constitue l’unique cotylédon ; ce qui est au-dessous représente la tigelle et la radicule. Ces diverses parties ne sont bien visibles qu’après un commencement de germination.
D’après la figure, on voit que l’embryon du blé ne forme qu’une petite fraction de la graine. Il y a en outre, sous les téguments de la semence, une abondante masse farineuse qui n’existe pas dans les graines du pois, du haricot, de l’amandier. On lui donne le nom de périsperme. C’est une réserve alimentaire qui, au moment de la germination, devient fluide et de ses sucs imbibe et nourrit la jeune plante. On peut comparer le périsperme au blanc de l’œuf ou albumen, qui entoure le germe d’une couche nourricière et dont les matériaux servent à la formation des organes naissants de l’oiseau. La comparaison est d’autant plus fondée, que l’œuf est la graine de l’animal, comme la graine est l’œuf de la plante. Cette étroite analogie n’a pas échappé à l’observation vulgaire, qui donne aux œufs du bombyx du mûrier le nom de graines de ver à soie. Œuf et graine sont d’organisation semblable : sous le couvert d’une paroi défensive, coquille ou testa, est un germe avec un amas de vivres, périsperme ou albumen. L’incubation et la germination appellent le nouvel être à la vie ; le réservoir nourricier fournit les premiers matériaux de ses organes. À cause de la parité des fonctions, on donne au périsperme de la graine le même nom qu’au blanc de l’œuf, c’est-à-dire le nom d’albumen.
L’albumen n’a aucune adhérence avec le germe de la plante ; il forme un amas distinct, nettement séparable de l’embryon, qui est enchâssé dans son épaisseur ou accolé à sa surface. Sa coloration est fréquemment blanche. Sa substance est tantôt farineuse et riche en fécule, comme dans les céréales ; tantôt imprégnée d’huile, comme dans les euphorbiacées ; tantôt coriace et cartilagineuse, comme dans les ombellifères ; tantôt pareille d’aspect à de la corne, comme dans les semences du caféier. Le périsperme du froment nous donne la meilleure des farines ; celui du ricin nous fournit une huile médicinale ; celui du caféier, torréfié puis réduit en poudre, n’est autre chose que le café.
Deux amas nourriciers approvisionnent le germe dans la graine : celui des cotylédons et celui de l’albumen. Les cotylédons existent toujours, mais l’albumen ne se trouve pas dans toutes les graines. Il n’y en a pas dans les semences de l’amandier, du chêne, du châtaignier, de l’abricotier, de la fève, du pois, du haricot ; en compensation, les cotylédons y sont d’une grosseur considérable. Le sarrasin, au contraire, en est pourvu, ainsi que le blé ; mais le premier a ses deux cotylédons de faible volume, et le second n’a qu’un seul cotylédon,
Mouron.Lierre.
Fig. 186. Graines dont l’embryon est entouré d’un périsperme ou albumen.trop peu développé pour venir efficacement en aide à l’alimentation du germe. Cette observation doit être généralisée. Les cotylédons et l’albumen ont des fonctions similaires, ils se suppléent mutuellement pour nourrir la jeune plante en ces débuts. Mais l’excès d’un organe entraînant l’amoindrissement et même le défaut d’un autre, on voit qu’à des cotylédons volumineux doit correspondre un albumen très-réduit ou même nul ; et qu’inversement à des cotylédons de peu de volume doit correspondre un albumen abondant. C’est donc en général la graine à gros cotylédons qui manque de périsperme, exemples : le gland, l’amande, la fève ; et c’est la graine à faibles cotylédons qui en est pourvue, exemple : le sarrasin. Enfin les végétaux monocotylédonés, dont le germe n’a qu’un seul cotylédon, presque toujours de petit volume, sont approvisionnés d’un albumen bien plus fréquemment que les végétaux dicotylédonés.
Une fois mûres dans leurs fruits, les graines doivent être dispersées à la surface du sol, pour germer en des points encore inoccupés et peupler les étendues où se trouvent réalisées des conditions favorables. Nous allons examiner ici quelques-unes des précautions, souvent admirables, qui assurent la dispersion des graines ou la dissémination. — Sur les décombres, au bord des chemins, croît une cucurbitacée, l’ecbalium élastique, vulgairement concombre d’âne, dont les fruits, âpres et petits concombres d’une amertume extrême, ont la grosseur d’une datte. À la maturité, la chair centrale se résout en un liquide dans lequel nagent les semences. Comprimé par la paroi élastique du fruit, ce liquide presse sur la base du pédoncule qui, peu à peu refoulée en dehors, cède à la manière d’un tampon, se désarticule et laisse libre un orifice par où s’élance brusquement un jet vigoureux de semences et de pulpe fluide. Lorsque, d’une main inexpérimentée, on ébranle la plante chargée de fruits jaunis par un soleil ardent, ce n’est jamais sans une certaine émotion que l’on entend bruire, comme une décharge dans le feuillage, et que l’on reçoit à la figure les projectiles du concombre.
Le fruit d’une euphorbiacée des Antilles, le sablier, se compose de douze à dix-huit coques ligneuses assemblées en couronne comme le sont les carpelles de nos mauves. À la maturité, ces coques se disjoignent et s’ouvrent en deux valves en lançant leurs graines avec une telle soudaineté, une telle violence, qu’il en résulte une sorte d’explosion. Pour empêcher ces fruits d’éclater et les conserver intacts dans les collections botaniques, il faut les cercler d’un fil de fer.
Les fruits de la balsamine des jardins, pour peu qu’on les touche lorsqu’ils sont mûrs, se partagent brusquement en cinq valves charnues, qui s’enroulent sur elles-mêmes et projettent au loin les semences. Le nom botanique d’impatiente que l’on donne à la balsamine fait allusion à cette soudaine déhiscence des capsules, qui ne peuvent, sans éclater, souffrir le moindre attouchement. Dans les lieux humides et ombragés des forêts croît une plante de même famille qui, pour des motifs semblables, porte le nom encore plus expressif d’impatiente ne me touchez pas. — La capsule de la pensée s’étale en trois valves creusées en nacelle et chargées au milieu d’une double rangée de graines. Par la dessiccation, les bords de ces valves se recroquevillent en dedans, pressent sur les graines et les expulsent.
Les semences légères, celles des composées surtout, ont des appareils aérostatiques, aigrettes, volants et panaches, qui les soutiennent dans l’air et leur permettent de lointains voyages. C’est ainsi qu’au moindre souffle, les semences du pissenlit, surmontées d’une aigrette plumeuse, s’envolent de leur réceptacle desséché et flottent mollement dans l’atmosphère. Pour ces graines voyageuses, une condition est nécessaire : il faut que le délicat appareil aérien ne puisse chavirer, car si l’aigrette, au moment de la descente, atteignait la première la terre, elle maintiendrait la graine soulevée au-dessus du sol et l’empêcherait de germer. Mais la semence, constamment plus lourde, sert de lest à son parachute ; elle occupe donc toujours la partie inférieure, si long que soit le voyage, et touche la première le sol. Soufflez sur la tête d’un pissenlit mûr : vous verrez les fruits invariablement flotter la graine en bas.
L’aigrette des érodiums et des géraniums est plus remarquable encore. Le fruit, qui par sa forme rappelle le bec d’une grue, se partage de bas en haut en cinq achaines, que surmonte un long prolongement hérissé de poils soyeux sur une face. Cet appendice est très-hygrométrique : par un temps sec, il s’enroule à tours serrés en forme de tire-bouchon ; par un temps humide, il se déroule. Son extrémité libre se déplace tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, à la manière d’une aiguille qui marcherait sur son cadran tour à tour de gauche à droite et de droite à gauche suivant l’humidité de l’air. Le fruit quitte la plante à l’état de tire-bouchon serré ; ses poils étalés donnent prise au vent, le soutiennent en l’air et lui servent de parachute. Enfin il tombe, la graine en bas. Celle-ci, très-pointue à l’extrémité, s’engage très-légèrement dans la terre meuble ; mais bientôt sous l’influence alternative de l’humidité et de la sécheresse, l’aigrette se déroule, puis de nouveau s’enroule, et par la poussée de cette espèce de vrille en perpétuel mouvement, la graine s’enfouit assez pour germer.
Après l’aigrette, l’aile est l’appareil le plus favorable à la dissémination par les vents. À la faveur de leur rebord membraneux, qui les fait ressembler à de minces écailles, les semences de la giroflée jaune atteignent les hautes murailles des édifices, les fentes de rochers inaccessibles, les crevasses des vieux murs,
Fig. 187. Samares du Frêne.et germent dans le peu de terre provenant des mousses qui les ont précédées. Les samares de l’orme, formées d’un large et léger volant au centre duquel est enchâssée la graine, celles de l’érable, associées deux par deux et figurant les ailes déployées d’un oiseau, celles du frêne, taillées comme la palette d’un aviron, accomplissent, chassées par la tempête, les plus lointaines migrations. D’autres semences voyagent par eau, le germe protégé par un imperméable appareil de navigation. Le noyer a sa graine enfermée entre deux pirogues soudées l’une à l’autre ; le noisetier a la sienne dans un tonnelet d’une seule pièce. Le cocotier, qui peuple toutes les îles des mers équatoriales, confie sa dissémination aux flots. Ses énormes semences, matelassées d’étoupe et cuirassées d’une robuste coque, bravent longtemps l’âcreté des vagues, et vont, d’un archipel à l’autre, échouer et germer sur de nouvelles terres.
Diverses graines se font transporter par les animaux et sont, dans ce but, armées de crochets, qui harponnent la toison des troupeaux ou le poil des bêtes fauves traversant un hallier. La bardane, au bord des chemins, le gaillet-grateron, dans les haies, cramponnent leurs fruits à la laine du mouton qui passe, à nos vêtements mêmes, avec une solidité qui défie les plus longs voyages. Les drupes, les baies et les divers fruits que leur poids semble destiner à rester au pied de l’arbre d’où ils sont tombés, sont parfois ceux dont les semences arrivent le plus loin. Des oiseaux, des mammifères en font leur nourriture ; mais les graines, revêtues d’une coque indigestible, résistent à l’action de l’estomac et sont rejetées intactes, propres à germer, en des lieux très-éloignés du point de départ. Telle semence qui voyage dans le jabot d’un oiseau peut traverser des chaînes de montagnes et des bras de mer. Enfin divers rongeurs, mulots, loirs, campagnols, amassent sous terre des provisions d’hiver. Si le propriétaire du grenier d’abondance périt, si la cachette est oubliée, si les vivres sont trop abondants, les semences intactes germent quand revient la chaleur. C’est ainsi que, par échange de services, chaque espèce animale concourt à la dissémination de la plante qui le nourrit.
C’est l’homme cependant qui contribue le plus à propager les espèces végétales, soit qu’il les sème pour son agrément ou sa nourriture, soit qu’il transporte leurs graines sans le vouloir, avec les objets de son activité commerciale. Par ses soins, les plantes alimentaires ou industrielles sont aujourd’hui multipliées à profusion dans tous les pays où elles peuvent prospérer. Dans nos jardins fleurissent pêle-mêle des végétaux venus de toutes les parties du monde, du Cap, de l’Inde, de l’Australie, de la Sibérie. D’autres, malgré nous, accompagnent nos cultures. En semant le froment, nous semons aussi, à notre insu, le coquelicot, la nielle, le bleuet, originaires comme lui de l’Orient. Avec nos marchandises et nos matériaux d’emballage, une foule de plantes passent d’un hémisphère à l’autre. Depuis le commencement de ce siècle, l’érigeron du Canada, introduit chez nous avec des ballots de marchandises, est devenu la mauvaise herbe la plus commune de nos terres cultivées. Le port Juvénal, au voisinage de Montpellier, doit son renom botanique aux nombreuses plantes de toute provenance qui s’y développent chaque année, apportées en graines avec les laines étrangères qu’on y lave. Inversement, beaucoup d’espèces européennes nous ont suivis à travers l’océan. Les plantes triviales de nos contrées, l’ortie, le mouron, la bourrache, la mauve, importées par nos vaisseaux, croissent en Amérique comme dans leur pays natal.
À la somnolence du germe tel qu’il est dans la graine succède, sous le stimulant de certaines conditions, un réveil actif pendant lequel l’embryon se dégage de ses enveloppes, se fortifie avec son approvisionnement alimentaire, développe ses premiers organes et apparaît au jour. Cette éclosion de l’œuf végétal se nomme germination. L’humidité, la chaleur et l’oxygène de l’air en sont les causes déterminantes ; sans leur concours, les graines persisteraient un certain temps dans leur état de torpeur, et perdraient enfin leur aptitude à germer.
En l’absence de l’humidité, aucune graine ne germe. L’eau remplit un rôle multiple. D’abord elle imbibe l’albumen et l’embryon, qui, se gonflant plus que ne le fait l’enveloppe, déterminent la rupture de celle-ci, serait-elle une coque très-dure. Par les crevasses des téguments éclatés, la gemmule sort d’un côté, la radicule de l’autre, et la petite plante est désormais sous l’influence directe des agents extérieurs. L’embryon est plus ou moins tardif à se dégager suivant le degré de résistance des parois de la graine. S’il est enfermé dans un noyau compact, ce n’est qu’avec une lenteur extrême qu’il s’imbibe d’humidité et qu’il parvient enfin à rompre sa cellule. Aussi, pour abréger la durée de la germination, a-t-on le soin d’user sur une pierre les téguments des semences trop dures. À ce rôle mécanique de l’eau pour faire entr’ouvrir les graines, en succède un autre, relatif à la nutrition. Les actes chimiques, par lesquels les matériaux alimentaires du périsperme et des cotylédons se liquéfient et se transforment en substances absorbables, ne peuvent se passer qu’en présence de l’eau. D’autre part, ce liquide est indispensable à la dissolution des principes nutritifs et à leur circulation dans les tissus de la jeune plante. On conçoit donc que, dans un milieu sec, toute graine serait absolument incapable de germer, et que, pour conserver des semences, la première condition est de les garantir de l’humidité.
Avec de l’eau, il faut de la chaleur. C’est en général à la température de 10 à 20° que la germination s’accomplit le mieux ; cependant quelques plantes des régions tropicales germent plus activement avec une température supérieure. En dehors de ces limites, soit en dessus, soit en dessous, la germination se ralentit, puis cesse quand l’écart est trop fort.
Le concours de l’air ou plutôt de l’oxygène n’est pas moins nécessaire. Exposez des graines à la température et à l’humidité convenables sous des cloches pleines d’un autre gaz, comme l’hydrogène, l’azote, l’acide carbonique ; si longtemps que l’expérience se prolonge, la germination ne s’effectuera pas. Mais si cette atmosphère est remplacée par de l’air ou de l’oxygène seulement, les graines se mettent à germer et suivent les phases habituelles de leur évolution. On reconnaît encore que, dans de l’eau privée d’air par l’ébullition, la germination est impossible, et qu’elle n’a pas même lieu sous l’eau ordinaire, si ce n’est pour les semences des végétaux aquatiques. On constate enfin que, pendant la germination, les graines consomment de l’oxygène et dégagent du gaz carbonique. L’embryon, dès son premier éveil, est donc soumis à la combustion vitale, caractéristique de tous les êtres vivants, de la plante aussi bien que de l’animal ; il respire, c’est-à-dire il vit en se consumant, et tel est le motif qui rend indispensable la présence de l’oxygène.
Cette nécessité du principe comburant de l’air nous explique pourquoi les graines trop profondément enfouies ne parviennent pas à germer ; pourquoi la germination est plus facile dans un sol meuble et perméable à l’air que dans un terrain compacte ; pourquoi les semences délicates doivent être couvertes de très-peu de terre ou même simplement déposées à la surface du sol humide ; pourquoi enfin les terrains remués se couvrent parfois d’une végétation nouvelle, au moyen de semences qui sommeillaient inactives depuis longues années, et que le contact de l’air fait germer quand nos fouilles les ramènent des profondeurs à la surface.
La substance la plus communément répandue et la plus abondante de l’albumen et des cotylédons, réservoirs alimentaires du germe, est la fécule, qui ne peut directement servir à la nutrition de la jeune plante à cause de son insolubilité dans l’eau. Pour imbiber les tissus et leur distribuer des matériaux d’accroissement, elle doit devenir substance soluble. À cet effet, l’embryon est accompagné d’un composé spécial, la diastase, qui, par sa seule présence, sans rien prendre à la fécule, sans rien lui céder, transforme celle-ci en une matière sucrée, nommée glucose, soluble dans l’eau en toute proportion. Pour provoquer ce merveilleux changement, il faut une douce température et de l’eau. Tant que la graine ne peut germer, la provision de fécule se conserve intacte ; mais dès que la germination se déclare, avec le concours de la chaleur, de l’air et de l’humidité, la diastase agit et résout l’amas farineux en liquide sucré. C’est ce liquide, formé aux dépens soit de l’albumen soit des cotylédons, qui pénètre par imbibition dans les tissus, et les alimente jusqu’à ce que la racine et les premières feuilles puissent suffire à la nutrition. Métamorphose de la fécule en matière sucrée par l’action de la diastase, absorption d’oxygène pour la combustion vitale et dégagement d’acide carbonique, tels sont, en résumé, les faits chimiques les plus saillants accomplis dans une graine qui germe.
Avec les mêmes conditions de température, d’humidité et d’aération, toutes les semences sont loin d’employer le même laps de temps pour germer. Les graines des mangliers et de quelques autres arbres qui, dans les régions tropicales, peuplent les rivages fangeux de la mer, germent au sein même du fruit encore suspendu à sa branche. Quand la chute a lieu, l’embryon, déjà développé, s’implante dans la vase et continue son évolution sans intervalle d’arrêt. Le cresson alénois germe, en moyenne, au bout de deux jours. L’épinard, le navet, les haricots, mettent trois jours à lever ; la laitue, quatre ; le melon et la citrouille, cinq ; la plupart des graminées, environ une semaine. Il faut deux années et parfois davantage au rosier, à l’aubépine et aux arbres fruitiers à noyaux. En général, les semences à téguments épais et durs sont les plus lentes à germer, à cause de l’obstacle qu’elles opposent à la pénétration de l’humidité. Enfin, semées dans l’état de fraîcheur où elles sont immédiatement après leur maturité, les graines germent plus vite que semées vieilles, parce qu’elles doivent reprendre, par un séjour prolongé dans le sol, l’humidité que leur a fait perdre une longue dessiccation.
Les graines, suivant leur espèce, conservent plus ou moins longtemps la faculté de germer ; mais rien encore ne peut nous renseigner sur les causes qui déterminent la durée de cette persistance vitale. Ni le volume, ni la nature si diverse des enveloppes, ni la présence ou l’absence d’un albumen, ne paraissent décider de la longévité. Telle semence se maintient vivante des années entières, des siècles même ; telle autre cesse de pouvoir lever au bout de quelques mois, sans motifs accessibles à notre observation. Les graines de quelques rubiacées, du caféier notamment, et celles de diverses ombellifères, de l’angélique en particulier, ne germent que si le semis est fait aussitôt après la maturité. Mais on a vu germer des graines de sensitive après soixante ans de conservation ; des haricots après plus de cent ans ; du seigle après cent quarante ans. À l’abri de l’air, certaines semences traversent les siècles, toujours aptes à germer lorsque les conditions favorables se présentent. C’est ainsi que des semences de framboisier, de bleuet, de mercuriale, de romarin, de camomille, retirées de sépultures gallo-romaines ou même celtiques, sont entrées en germination comme l’auraient fait des semences de l’année même. Enfin, on a fait lever des graines de jonc retirées des profondeurs du sol dans l’île de la Seine, primitif emplacement de Paris. Ces graines dataient sans doute de l’époque où Paris, sous le nom de Lutèce, consistait en quelques huttes de boue et de roseaux sur les rives marécageuses du fleuve.