IV

preuves de l’existence de la pierre philosophale. — discussion de leur validité

Nous affirmons que la Pierre Philosophale a donné de son existence des preuves irréfutables et nous allons exposer les faits sur lesquels se basent nos convictions.

Nous avons dit les faits ; car on ne peut considérer comme absolument sérieuses les démonstrations tirées des raisonnements plus ou moins solides. C’est dans le domaine de l’histoire que les affirmations sont toujours faciles à contrôler à toute époque et par là même vraiment irréfutables. Nous allons donc exposer les arguments invoqués par les adversaires de l’alchimie contre la transmutation, et ce sont des faits qui, seuls, pourront victorieusement réfuter chacune de ces objections.

C’est Geoffroy l’aîné qui s’est chargé en 1722 de faire le procès des alchimistes devant l’Académie. Si l’on en croit son mémoire, les nombreuses histoires de transmutation sur lesquelles les adeptes basent leur foi, sont facilement explicables par la supercherie. Des philosophes incontestés tels que Paracelse ou Raymond Lulle laissaient là pour un moment les spéculations abstraites pour faire quelques tours adroits d’escamotage devant de bons naïfs ébahis. Cependant analysons les moyens de tromper dont ils disposaient, et cherchons à déterminer des conditions expérimentales mettant à néant ces arguments.

Les alchimistes se servent pour tromper les assistants de :

1o Creusets à double fond ;

2o Charbons ou baguettes creux et remplis de poudre d’or ;

3o Réactions chimiques inconnues alors et parfaitement connues aujourd’hui.

Pour qu’une de ces conditions se réalise il faut nécessairement que l’alchimiste soit présent à l’opération ou ait touché auparavant aux instruments employés.

Donc, dans la détermination expérimentale d’une transmutation, l’absence de l’alchimiste sera la première et la plus indispensable des conditions.

Il faudra de plus qu’il n’ait eu en main aucun des objets qui serviront à cette transmutation.

Enfin pour répondre au dernier argument, il est indispensable que les données de la chimie contemporaine soient impuissantes à expliquer normalement le résultat obtenu.

Pour que notre travail trouve encore une base d’évidence plus solide, il faut mettre le lecteur à même de contrôler facilement toutes nos affirmations ; c’est pourquoi nous tirerons nos arguments d’un seul ouvrage, facile à trouver : l’Alchimie et les Alchimistes, de Louis Figuier.

Rappelons, avant de passer outre, les plus essentielles conditions :

1o Absence de l’Alchimiste ;

2o Qu’il n’ait touché à rien de ce qui sert à l’opérateur ;

3o Que le fait soit inexplicable par la chimie contemporaine.

Et on peut ajouter encore :

4o Que l’opérateur ne puisse pas être soupçonné de complicité.

Ouvrons le livre de M. Figuier, édition de 1854, chapitre iii, page 206. Là, nous trouvons, non pas un, mais trois faits répondant à toutes nos conditions et que nous allons discuter un à un.

Non seulement l’opérateur n’est pas alchimiste ; mais c’est un savant considéré, un ennemi déclaré de l’alchimie, ce qui répond encore avec plus de force à notre quatrième condition. Parlons d’abord d’Helvétius et de sa transmutation ; nous citons textuellement Figuier :

« Jean-Frédéric Schweitzer, connu sous le nom latin d’Helvétius, était un des adversaires les plus décidés de l’alchimie ; il s’était même rendu célèbre par un écrit contre la poudre sympathique du chevalier Digby. Le 27 décembre 1666 il reçut à la Haye la visite d’un étranger vêtu, dit-il, comme un bourgeois du nord de la Hollande et qui refusait obstinément de faire connaître son nom. Cet étranger annonça à Helvétius que sur le bruit de sa dispute avec le chevalier Digby, il était accouru pour lui porter les preuves matérielles de l’existence de la Pierre Philosophale. Dans une longue conversation, l’adepte défendit les principes hermétiques, et pour lever les doutes de son adversaire, il lui montra dans une petite boîte d’ivoire, la Pierre Philosophale. C’était une poudre d’une métaline couleur de soufre. En vain Helvétius conjura-t-il l’inconnu de lui démontrer par le feu les vertus de sa poudre, l’alchimiste résista à toutes les instances et se retira en promettant de revenir dans trois semaines.

« Tout en causant avec cet homme et en examinant la Pierre Philosophale, Helvétius avait eu l’adresse d’en détacher quelques parcelles et de les tenir cachées sous son ongle. À peine fut-il seul qu’il s’empressa d’en essayer les vertus. Il mit du plomb en fusion dans un creuset et fit la projection. Mais tout se dissipa en fumée ; il ne resta dans le creuset qu’un peu de plomb et de terre vitrifiée.

« Jugeant dès lors cet homme comme un imposteur, Helvétius avait à peu près oublié l’aventure lorsque, trois semaines après et au jour marqué, l’étranger reparut. Il refusa encore de faire lui-même l’opération ; mais cédant aux prières du médecin il lui fit cadeau d’un peu de sa pierre, à peu près la grosseur d’un grain de millet. Et comme Helvétius exprimait la crainte qu’une si petite quantité de substance ne pût avoir la moindre propriété, l’alchimiste, trouvant encore le cadeau trop magnifique, en enleva la moitié disant que le reste était suffisant pour transmuer une once et demie de plomb. En même temps il eut soin de faire connaître avec détails les précautions nécessaires à la réussite de l’œuvre, et recommanda surtout au moment de la projection d’envelopper la Pierre Philosophale d’un peu de cire afin de la garantir des fumées du plomb. Helvétius comprit en ce moment pourquoi la transmutation qu’il avait essayée avait échoué entre ses mains ; il n’avait pas enveloppé la pierre dans de la cire et négligé par conséquent une précaution indispensable.

« L’étranger promettait d’ailleurs de revenir le lendemain pour assister à l’expérience.

« Le lendemain Helvétius attendit inutilement, la journée s’écoula tout entière sans que l’on vît paraître personne. Le soir venu, la femme du médecin ne pouvant plus contenir son impatience, décida son mari à tenter seul l’opération. L’essai fut exécuté par Helvétius en présence de sa femme et de son fils.

« Il fondit une once et demie de plomb, projeta sur le métal en fusion la Pierre enveloppée de cire, couvrit le creuset de son couvercle et le laissa exposé un quart d’heure à l’action du feu. Au bout de ce temps le métal avait acquis la belle couleur verte de l’or en fusion ; coulé et refroidi, il devint d’un jaune magnifique.

« Tous les orfèvres de la Haye estimèrent très haut le degré de cet or. Povelius, essayeur général des monnaies de la Hollande, le traita sept fois par l’antimoine sans qu’il diminuât de poids. »

Telle est la narration qu’Helvétius a faite lui-même de cette aventure. Les termes et les détails minutieux de son récit excluent de sa part tout soupçon d’imposture. Il fut tellement émerveillé de ce succès que c’est à cette occasion qu’il écrivit son Vitulus aureus dans lequel il raconte ce fait et défend l’alchimie.

Ce fait répond à toutes les conditions requises. Cependant M. Figuier, sentant combien il était difficile à expliquer, ajouta quelques explications dans une édition postérieure (1860).

Voulant trouver partout a priori de la fraude, voici son argument principal :

L’alchimiste a soudoyé un complice qui est venu mettre dans un des creusets d’Helvétius un composé d’or facilement décomposable par la chaleur. Est-il nécessaire de montrer la naïveté de cette objection ?

1o Comment choisir juste le creuset que prendra Helvétius ?

2o Comment croire que celui-ci soit assez sot pour ne pas reconnaître un creuset vide d’un plein ou un alliage d’un métal ?

3o Pourquoi ne pas se donner la peine de relire le récit des faits ; M. Figuier aurait vu deux points importants :

D’abord la phrase suivante : il prit une once et demie de plomb. Ce qui indique qu’il l’a pesé, qu’il l’a manié, ce qui l’aurait mis à même de vérifier facilement si c’était vraiment du plomb.

4o Ensuite ce petit détail : il couvrit le creuset de son couvercle, ce qui empêche toute évaporation ultérieure.

5o Supposé même que vraiment Helvétius ait été trompé ; que lui, savant expérimenté, ait pris de l’or pour du plomb, la preuve de la transmutation n’en ressort pas moins évidente, car les critiques oublient toujours le fait suivant :

S’il existe un alliage cachant l’or en lui, le lingot, après évaporation ou oxydation du métal impur, pèsera beaucoup moins que le métal initialement employé.

Si, au contraire, il y a adjonction par un procédé quelconque d’or, le lingot pèsera beaucoup plus que le métal initialement employé.

Or la transmutation de Bérigard de Pise, qu’on trouvera ci-après, prouve irréfutablement l’inanité de ces arguments.

Enfin pour détruire à tout jamais les affirmations de M. Figuier, il suffit de remarquer que les orfèvres de la Haye ainsi que l’essayeur des monnaies de la Hollande constatent la pureté absolue de l’or, ce qui serait impossible s’il y avait eu un alliage quelconque. Ainsi tombe d’elle-même l’explication que le critique donne de ce fait.

« Nous ne pouvons guère expliquer aujourd’hui ces faits qu’en admettant que le mercure dont on faisait usage ou le creuset que l’on employait recelait une certaine quantité d’or dissimulée avec une habileté merveilleuse. »

(Louis Figuier, ibid., p. 210.)

Nous avons dit qu’un seul fait bien prouvé suffisait pour démontrer l’existence de la Pierre Philosophale, et cependant il en existe trois dans les mêmes conditions. Voyons les deux autres :

Voici le récit de Bérigard de Pise, cité de même par Figuier, p. 211 :

« Je rapporterai, nous dit Bérigard de Pise, ce qui m’est arrivé autrefois lorsque je doutais fortement qu’il fût possible de convertir le mercure en or. Un homme habile, voulant lever mon doute à cet égard, me donna un gros d’une poudre dont la couleur était assez semblable à celle du pavot sauvage, et dont l’odeur rappelait celle du sel marin calciné. Pour détruire tout soupçon de fraude, j’achetai moi-même le creuset, le charbon et le mercure chez divers marchands afin de n’avoir point à craindre qu’il n’y eût de l’or dans aucune de ces matières, ce que font souvent les charlatans alchimiques. Sur dix gros de mercure j’ajoutai un peu de poudre ; j’exposai le tout à un feu assez fort, et en peu de temps la masse se trouva toute convertie en près de dix gros d’or, qui fut reconnu comme très pur par les essais de divers orfèvres. Si ce fait ne me fût point arrivé sans témoins, hors de la présence d’arbitres étrangers, j’aurais pu soupçonner quelque fraude ; mais je puis assurer avec confiance que la chose s’est passée comme je la raconte. »

Ici c’est encore un savant qui opère ; mais il connaît les ruses des charlatans et emploie toutes les précautions imaginables pour les éviter.

Enfin citons encore la transmutation de Van Helmont pour édifier en tous points le lecteur impartial :

En 1618, dans son laboratoire de Vilvorde, près de Bruxelles, Van Helmont reçut d’une main inconnue un quart de grain de Pierre Philosophale. Elle venait d’un adepte, qui, parvenu à la découverte du secret, désirait convaincre de sa réalité le savant illustre dont les travaux honoraient son époque.

Van Helmont exécuta lui-même l’expérience seul dans son laboratoire. Avec le quart de grain de poudre qu’il avait reçu de l’inconnu il transforma en or huit onces de mercure. Il faut convenir qu’un tel fait était un argument presque sans réplique à invoquer en faveur de l’existence de la Pierre Philosophale. Van Helmont, le chimiste le plus habile de son temps, était difficile à tromper ; il était lui-même incapable d’imposture, et il n’avait aucun intérêt à mentir puisqu’il ne tira jamais le moindre parti de cette observation.

Enfin, l’expérience ayant eu lieu hors de la présence de l’alchimiste, il est difficile de comprendre comment la fraude eût pu s’y glisser, Van Helmont fut si bien édifié à ce sujet qu’il devint partisan avoué de l’alchimie. Il donna en l’honneur de cette aventure le nom de Mercurius à son fils nouveau-né. Ce Mercurius Van Helmont ne démentit pas d’ailleurs son baptême alchimique. Il convertit Leibnitz à cette opinion ; pendant toute sa vie il chercha la Pierre Philosophale et mourut sans l’avoir trouvée, il est vrai, mais en fervent apôtre.

Reprenons maintenant ces trois récits et nous constaterons qu’ils répondent aux conditions scientifiques posées. En effet :

Le mercure ou le plomb contenaient-ils de l’or ? Je ne le pense pas, attendu :

1o Qu’Helvétius qui ne croyait pas à l’alchimie non plus que Van Helmont et Bérigard de Pise, qui étaient dans le même cas, n’allaient pas s’amuser à en mettre ;

2o Que dans aucun cas l’alchimiste n’avait touché aux objets employés :

3o Enfin que dans la transmutation de Bérigard de Pise, si le mercure avait contenu de l’or et que celui-ci fût resté seul après la volatilisation du premier, le lingot obtenu aurait pesé beaucoup moins que le mercure employé, ce qui n’est pas.

Après ces arguments on pourrait croire que la liste est close ; pas le moins du monde, il en reste encore un, peu honnête, il est vrai, mais d’autant plus dangereux :

Tous ces récits, tirés de livres imprimés, ne sont pas l’œuvre des auteurs signataires, mais bien d’habiles alchimistes imposteurs.

Voilà certes une terrible objection qui semble détruire tout notre travail ; mais la vérité peut encore apparaître victorieusement.

En effet, il existe une lettre d’une tierce personne aussi éminente que les autres, le philosophe Spinosa, adressée à Jarrig Jellis. Cette lettre prouve irréfutablement la réalité de l’expérience d’Helvétius. Voici le passage important :

« Ayant parlé à Voss de l’affaire d’Helvétius, il se moqua de moi, s’étonnant de me voir occupé à de telles bagatelles. Pour en avoir le cœur net, je me rendis chez le monnayeur Brechtel, qui avait essayé l’or. Celui-ci m’assura que, pendant sa fusion, l’or avait encore augmenté de poids quand on y avait jeté de l’argent. Il fallait donc que cet or, qui a changé l’argent en de nouvel or, fût d’une nature bien particulière. Non-seulement Brechtel, mais encore d’autres personnes qui avaient assisté à l’essai, m’assurèrent que la chose s’était passée ainsi. Je me rendis ensuite chez Helvétius lui-même qui me montra l’or et le creuset contenant encore un peu d’or attaché à ses parois. Il me dit qu’il avait jeté à peine sur le plomb fondu le quart d’un grain de blé de Pierre Philosophale. Il ajouta qu’il ferait connaître cette histoire à tout le monde. Il paraît que cet adepte avait déjà fait la même expérience à Amsterdam où on pourrait encore le trouver. Voilà toutes les informations que j’ai pu prendre à ce sujet.

« Boorbourg, 27 mars 1667.
« Spinosa. »
(Opera posthuma, p. 553.)

Tels sont les faits qui nous ont conduits à cette conviction : La Pierre Philosophale a donné de son existence des preuves irréfutables, à moins de nier à jamais le témoignage des textes, de l’histoire et des hommes.