La Photographie au service de l’astronomie

La Photographie au service de l’astronomie
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 92 (p. 626-649).
LA PHOTOGRAPHIE
AU
SERVICE DE L'ASTRONOMIE

I. E. Mouchez, la Photographie astronomique à l’Observatoire de Paris et la carte du ciel. Paris, 1887. — II. Bulletin du Comité international permanent pour l’exécution photographique de la carte du ciel, 1888-1889).

Obtenir avec le moindre effort le plus grand résultat, n’est-ce pas là tout le problème de l’industrie moderne, problème que résout par degrés le développement des outils et des machines ? Les engins qu’il invente permettent à l’homme de multiplier à l’infini l’efficacité de ses organes, d’en étendre les aptitudes, et le dispensent de leur demander des efforts excessifs ; ils le soulagent, l’affranchissent de plus en plus de la dure servitude du travail matériel. Se bornant désormais à surveiller les appareils qui besognent pour lui, à mesure qu’il se fatigue moins, il produit davantage et à bien meilleur compte. Est-il possible de comparer la fabrication d’un mille d’aiguilles par une manufacture au travail de l’artisan qui entreprendrait de les façonner une à une, tout seul, chez lui ?

C’est un progrès du même ordre que réalise aujourd’hui l’introduction définitive de la photographie dans les observations astronomiques : elle doit délivrer l’astronome d’une besogne ingrate, pénible, fastidieuse et mortelle pour les yeux. Quand, il y a dix ans, je parlais ici même du grand avenir de la photographie céleste[1], j’osais à peine espérer que la routine et les préjugés désarmeraient si vite. En effet, les premiers essais de la photographie astronomique remontent à 1840, et, pendant près d’un demi-siècle, des tentatives fréquentes, malheureusement toujours isolées, ont montré que les difficultés du problème n’étaient point insolubles ; mais des préventions tenaces, un parti-pris dédaigneux, proscrivaient l’attirail des photographes des sanctuaires où se continuaient les traditions de Cassini et de Bradley. Ce n’est que dans ces dernières années que s’est enfui produit cet élan spontané, ce grand mouvement qui a trouvé son expression dans le « congrès astro-photographique » convoqué à Paris au mois d’avril 1887, et qui promet d’aboutir à une œuvre de la plus haute importance pour les âges futurs : l’exécution photographique d’une carte générale du ciel.


I

Cette application de la photographie est cependant si rationnelle, son rôle était si nettement indiqué et si bien prévu, qu’il semble qu’un pareil progrès eût. dû être obtenu tout de suite, à tout prix. Il y avait là un problème dont la solution était parfaitement circonscrite ; ce n’était vraiment plus qu’une question de temps et d’argent. L’histoire de la photographie, depuis ses origines, est, comme le développement logique d’une même pensée qui se réalise d’une manière continue et prend corps sous nos yeux. Les tâtonnemens par lesquels on découvre des substances de plus en plus sensibles ou les moyens de retenir, de fixer de plus en plus durablement les traces fugitives des phénomènes, tout cela pouvait être, à coup sûr, accéléré et mûri plus vite, en y mettant le prix. Et c’est ici qu’apparaît clairement le rôle toujours plus tyrannique de l’argent dans les entreprises scientifiques de notre époque.

La chimie et les arts mécaniques ont singulièrement multiplie les ressources des astronomes de cette lin de siècle. Est-il besoin de rappeler les progrès accomplis dans la fabrication et la taille des verres d’optique, dans l’agencement des grandes lunettes, les miroirs argentés, les chronographes électriques, le spectroscope et l’analyse spectrale, dont l’entrée en scène, si brillante et si inattendue, a probablement détourné, pendant quelque temps, l’attention des astronomes du développement des procédés photographiques ? Malheureusement, ces instrumens si puissans, ces nouveaux appareils qui ont étendu le domaine de l’observation, sont très coûteux. Pour obtenir de les mettre en œuvre, il a fallu, presque toujours, de grands efforts d’éloquence, le budget des sciences étant, comme on sait, celui dont la dotation est généralement mesurée avec le plus de parcimonie. C’est dans ces situations que la réunion d’un congrès, avec sa publicité solennelle, ses programmes persuasifs et ses vœux impérieux, offre toujours le moyen le plus sûr de venir à bout des résistances inspirées par une économie mal entendue.

Le congrès qui a siègé à l’Observatoire de Paris, il y a deux ans, et qui avait été convoqué par l’amiral Mouchez, sous les auspices de l’Académie des sciences, avait en vue, avant tout, l’exécution d’une carte du ciel. Il comprenait une cinquantaine d’astronomes, venus de tous les points de la terre, quelques-uns déjà familiarisés de longue main avec la pratique de la photographie céleste.

Il serait fastidieux d’énumérer ici, encore une fois, toutes les tentatives qui avaient été faites, depuis Daguerre, pour mettre la photographie au service de l’astronomie descriptive et de l’astronomie de précision. Rappelons seulement que la partie la plus difficile du problème, la reproduction photographique des étoiles, avait été abordée avec quelque succès en Amérique, par G. -P. Bond, aussitôt que l’introduction du procédé au collodion permit d’abréger la durée des poses ; vers 1857, il était déjà parvenu à photographier les étoiles jusqu’à la 6e ou la 7e grandeur. Ces essais furent repris, quelques années plus tard, en Angleterre par M. Warren de La Rue, puis en Amérique, avec un succès toujours croissant, pur M. Rutherfurd et par M. B. -A. Gould. Chargé de la direction de l’observatoire de Cordoba, sous le beau ciel de la République Argentine, M. Gould commença ses travaux dans cette voie vers 1875, et parvint à réunir, en quelques années, une collection de plus de mille photographies stellaires du plus haut intérêt. Après avoir expérimenté lui-même les lenteurs des procédés au collodion humide, il avait pu, dans les derniers temps, utiliser les plaques sèches au gélatinobromure d’argent, dont l’invention marque uni-phase nouvelle de la photographie céleste[2]. Il faut enfin mentionner ici les essais de photographie stellaire de Henry Draper, de MM. Ainslie Common et Isaac Roberts, qui ont étudié les avantages respectifs des lunettes et des télescopes à miroir argenté ; de M. Pickering, qui a fait construire pour l’observatoire de Harvard-Collège, à Cambridge (Etats-Unis), un équatorial photographique spécial destiné à l’exécution rapide de cartes célestes à une échelle modérée ; de M. David Gill, l’éminent directeur de l’observatoire du cap de lionne-Espérance, qui a commencé en 1885 une révision photographique du ciel austral, comprenant les étoiles jusqu’à la 9e ou la 10e grandeur, comme le catalogue dressé par Argelander pour le ciel boréal.

A l’Observatoire de Paris, des travaux analogues se poursuivaient également, depuis quelques années, avec un succès de plus en plus marqué. MM. Paul et Prosper Henry avaient entrepris, en 1871, de continuer la « Carte écliptique, » commencée par Chacornac, qui n’avait pu en exécuter que la moitié. Cette carte, extrêmement utile pour la recherche des petites planètes, doit contenir toutes les étoiles jusqu’à la 13e et la 14e grandeur, contenues, le long de l’écliptique, dans une zone de 5 degrés de largeur. Or, à un moment donné, MM. Henry se virent arrêtés dans ce travail par l’impossibilité manifeste de construire, par les anciens procédés, les sections des cartes où un fourmillement d’étoiles annonce les approches de la voie lactée. C’est alors qu’ils prirent le parti de recourir à la photographie. Ils étaient, dit l’amiral Mouchez, admirablement préparés pour vaincre ces difficultés. « Suivant les traditions, trop abandonnées aujourd’hui, des grands astronomes des siècles passés, qui s’occupaient eux-mêmes de la construction de leurs instrumens, ils consacraient depuis longtemps, dans leur modeste atelier de Montrouge, tous les momens de liberté que leur laissait leur service très actif à l’Observatoire de Paris, à l’étude de la taille et du polissage des verres d’optique. Une grande intelligence des questions à résoudre, l’harmonie d’aptitudes un peu différentes et très heureusement associées chez les deux frères, une volonté énergique et un travail persévérant qu’aucune distraction ne venait jamais troubler, ne pouvaient manquer de leur assurer un succès bien mérité. Ils étaient devenus, en quelques années, les plus habiles artistes de France, et leur notoriété n’était pas moins grande à l’étranger. » Après avoir construit, à titre d’essai, un objectif de 0m, 16, qui donna de très bons résultats. MM. Henry se chargèrent d’exécuter la partie optique d’un appareil définitif de 0m, 33 d’ouverture, dont M. Gautier devait fournir la partie mécanique. Le nouvel instrument a été installé à l’Observatoire en mai 1885 et n’a cessé, depuis lors, de fonctionner. La sensibilité des plaques est telle que l’image d’une étoile de 1re grandeur s’obtient en moins d’un centième de seconde, celle d’une étoile de 0° grandeur en une demi-seconde ; pour la 10e grandeur, la durée de pose est de 20 secondes ; pour la 15e, de 33 minutes ; pour la 10e, il faut I h. 20[3]. Les étoiles de 10e grandeur ! Nous voilà déjà loin au-delà des limites de visibilité pour les meilleures lunettes sous le ciel de Paris ! « On a même obtenu, dit M. Mouchez, bien des étoiles de 17e grandeur, qui n’ont sans doute jamais été vues encore. » Enfin, les clichés de Paris ont révélé l’existence de nébuleuses, jusque-là inconnues, dans des légions qui avaient été souvent explorées à l’aide des plus puissans instrumens : telle est la nébuleuse de Maïa, dans les Pléiades, dont la présence a été, depuis, vérifiée directement.

Après de pareils succès, on comprend que le directeur de l’Observatoire n’ait point hésité à prendre l’initiative d’une entente internationale au sujet de l’exécution de la carte complète du ciel, par le moyen de la photographie. La possibilité de cette œuvre considérable étant aujourd’hui pleinement démontrée, a-t-il dit aux astronomes, nous avons contracté, envers la science de l’avenir, le devoir de l’entreprendre sans retard ; quelle que soit la valeur des travaux en cours d’exécution dans les divers observatoires, ils n’auront jamais, pour les astronomes des siècles futurs, une importance comparable à celle de cet inventaire général que nous pourrons leur léguer. Il est d’ailleurs indispensable de nous concerter, de nous distribuer la besogne et d’arrêter un plan de travail, pour éviter les pertes de force, les lacunes et les doubles emplois, et aboutir à une œuvre vraiment homogène. Quant aux frais qu’entraînera l’entreprise, ils seront sans doute assez élevés en soi, mais bien faibles relativement à l’importance du résultat.

Le congrès astrophotographique s’est réuni à Paris, ainsi que nous l’avons dit, au mois d’avril 1887 ; seize nations y étaient représentées. On a commencé par vider certaines questions techniques ; l’emploi des télescopes (réflecteurs), malgré les avantages qu’ils offrent sous quelques rapports, a été rejeté pour l’exécution de la carte du ciel, et un vote unanime a recommandé les réfracteurs, c’est-à-dire les lunettes ; ou les construira semblables à la lunette photographique de l’Observatoire de Paris. Sur la limite de grandeur des étoiles à photographier, les avis étaient d’abord partagés, et l’on a eu quelque peine à s’entendre. Prenant en considération la différence notable des durées de pose nécessaires pour les étoiles brillantes et les étoiles très faibles, on a finalement décidé de faire deux sortes d’épreuves destinées à deux usages différens.

Pour la double série d’épreuves, consacrées à la description du ciel, qui devra comprendre les étoiles jusqu’à la 14e grandeur, la durée de pose sera (sous le climat de Paris du moins) d’environ 12 minutes[4]. Pour la série supplémentaire de clichés, comprenant les étoiles jusqu’à la 11e grandeur seulement, et qui doit, d’une part, assurer une plus grande précision dans la mesure micrométrique des étoiles de repère, et de l’autre fournir les élémens d’un catalogue, la durée d’exposition sera beaucoup plus courte (de 35 à 40 secondes). Ce catalogue contiendra probablement 1 million 1 /2 d’étoiles, — plus du double de celles qui sont bien connues aujourd’hui. Quant au nombre des étoiles qui se trouveront représentées sur la carte proprement dite, on peut l’estimer à 10 ou 15 millions. Les deux séries de clichés qui serviront à construire la carte seront faites de façon que l’image d’une étoile, située au coin d’une plaque, de la première série, se trouve aussi près que possible du centre d’une plaque de la seconde série ; on espère que cela suffira pour éliminer les fausses étoiles et parer à l’inconvénient des points insensibles qui pourraient exister sur les plaques.

En adoptant, pour la carte, une pose de 30 minutes, on aurait pu aller jusqu’à la 15e grandeur, et obtenir un nombre d’étoiles double ou triple, soit 30 ou 40 millions, et peut-être davantage. C’était ce que désiraient plusieurs membres du congrès, qui n’ont pu se résoudre qu’avec peine à tronquer ainsi l’œuvre commune des astronomes du XIXe siècle. M. Mouchez, notamment, a fait remarquer que la limite à laquelle ou s’est arrêté est bien près de celle des astéroïdes que l’on découvre encore tous les jours ; pour obtenir des traces appréciables de ces petits astres, les poses de 12 minutes risquent d’être insuffisantes. Ceux qui ont combattus l’extension du levé au-delà de la 14e grandeur ont allégué, en premier lieu, la longueur du temps que demanderait, dans ces conditions, l’achèvement de la carte. On leur a répondu qu’en fixant à 14,000[5] le nombre total des épreuves nécessaires pour l’exécution de la carte, et en supposant le travail réparti entre quinze ou dix-huit observatoires, chaque observatoire n’aura qu’un millier de clichés à fournir ; en comptant 12 minutes pour chaque épreuve, le travail pourra aisément s’achever en mie ou deux années ; quatre années suffiraient, en adoptant une durée d’exposition de 30 minutes, pour aller jusqu’à la 15e grandeur.

Une autre objection, peut-être plus sérieuse, est tirée de l’impossibilité d’utiliser une pareille surabondance de données. Que ferez-vous, disait M. David Gill, des images de tant de millions d’étoiles, une fois que vous les aurez obtenues ? Où trouver assez d’astronomes pour en tirer parti ? Nous ne sommes pas dans l’île flottante de Laputa, où tous les hommes s’occupaient exclusivement de mathématiques, de sorte qu’il fallait toujours les frapper sur la tête avec une vessie contenant des pois secs pour les réveiller. Ces remarques, sous leur forme enjouée, sont très justes. On a répondu que l’avenir inventerait, sans doute, des procédés d’étude plus rapides que les nôtres, et qu’il ne fallait pas priver nos successeurs de trésors qu’il nous coûterait si peu de leur léguer, lui tout cas, a dit M. Mouchez, on pourrait toujours considérer ces clichés comme des documens à consulter, sans s’astreindre à les étudier dans leurs moindres détails, de même qu’on possède une bibliothèque ou une encyclopédie, non pour en lire tous les volumes d’un bout à l’autre, mais pour y chercher, dans une circonstance donnée, les renseignemens dont on a besoin.

Quoi qu’il en soit, si l’on veut bien supputer la somme de travail qui sera déjà nécessaire pour utiliser les données que fournira l’entreprise, limitée comme elle l’est par les résolutions du congrès, on trouvera peut-être qu’on a sagement fait de ne pas vouloir trop embrasser. Rien n’empêche évidemment d’agrandir, plus tard, dans dix ou vingt ans, le cadre de cette entreprise, si les résultats obtenus sont assez encourageans ; jusque-là, il faut se dire qu’en se limitant on augmentera singulièrement les chances de succès.

Le congrès de 1887, en se séparant, a constitué un comité permanent, chargé d’assurer l’exécution de ses décisions, de centraliser les renseignemens, et de maintenir les observatoires associés en rapports continus. Ce comité, à son tour, a formé un bureau de neuf membres[6], qui a déjà commencé la publication d’un Bulletin spécial, destiné à tenir les astronomes au courant de l’état d’avancement des travaux préparatoires dont le congrès avait reconnu la nécessité. Le comité se réunira à Paris le 15 septembre prochain.

Le nombre des observatoires qui ont promis de prendre part au levé de la carte du ciel, et qui ont déjà commandé leur lunette photographique, est, jusqu’à présent, de seize : ce sont, en dehors des observatoires français (Paris, Bordeaux. Toulouse, Alger), ceux du Cap (Afrique), de Potsdam (Allemagne), Oxford et Greenwich (Angleterre), Melbourne et Sydney (Australie), Helsingfors (Russie), San-Fernando (Espagne), Santiago (Chili), Rio-de-Janeiro (Brésil), Tacubaya (Mexique), La Plata (République Argentine). La Société royale de Londres songe à établir un observatoire à la Nouvelle-Zélande ; d’autres, comme ceux, de Harvard Collège, de Meudon, de Poulkova, de Leyde, contribuent activement, par des recherches spéciales, à l’avancement de l’œuvre commune. Il s’agit, en effet, de préparer des réseaux dont l’image, imprimée sur les plaques, puisse fournir des repères pour les mesures micrométriques et permettre de reconnaître les déformations de la couche sensible ; il faudra faire une étude préalable de l’échelle des grandeurs photographiques d’étoiles, aviser aux moyens de déterminer la distorsion optique du champ de la lunette, étudier la méthode de mesure et de réduction des clichés, etc. Il importe beaucoup de déblayer ainsi le terrain, avant de commencer l’exécution de la carte, pour ne pas être arrêté ensuite par des obstacles imprévus.

On peut maintenant essayer de se faire une idée de la dépense qu’entraînera l’entreprise projetée. Les frais de la construction d’une lunette photographique sont évalués à 50,000 ou 60,000 francs ; les quinze ou seize lunettes dont on aura besoin coûteront donc près d’un million. En ajoutant à cette somme le prix des plaques, et, pour chaque observatoire, les appointemens d’au moins deux opérateurs pendant deux ans, on arrive à un total d’environ 1 million et demi. Il est vrai que les instrumens restent acquis aux établissemens qui les ont l’ait construire et que le travail pourra être confié au personnel existant. Mais l’exécution des photographies n’est pas la partie la plus coûteuse de l’entreprise. M. David Gill, dans un mémoire inséré au premier fascicule du Bulletin du comité international permanent, a élaboré un plan détaillé d’organisation du travail de cabinet qui devra être accompli en vue de la publication des résultats, et qui consistera, avant tout, dans la mesure et la réduction des clichés destinés à la formation d’un catalogue. Ce travail, d’une nature si spéciale, dit M. Gill, exige une pratique si parfaite et une organisation si habile, pour être mené à bonne fin sans trop de frais, qu’il faudra de toute nécessité en charger un bureau central. Dans ces conditions, voici quelle serait la dépense à prévoir.

M. Gill suppose que les clichés du catalogue seront faits, comme ceux de la carte, en double, et que charpie cliché couvrira 4 degrés carrés, de sorte que le nombre total des épreuves à mesurer sera d’environ 20,000. Le travail de mesures et de réductions pourra être exécuté, sous la direction d’un chef énergique et habile, par des jeunes gens des deux sexes, d’une intelligence moyenne ; il n’en faudra pas moins d’une trentaine, et l’achèvement entier du travail demandera de 17 à 25 années. La publication du catalogue marchera de front avec les calculs. Pour la carte du ciel proprement dite, il suffira d’envoyer aux abonnés, c’est-à-dire aux observatoires, sociétés ou nations en relation avec le Bureau, des positifs sur verre, obtenus au moyen des négatifs originaux. Ces copies seront exécutées par un photographe, assisté de deux aides. D’après un devis détaillé des frais qui résulteront de cette organisation, M. Gill pense que le budget du bureau central devra être, au minimum, fixé à 200,000 francs par an, mais que probablement il faudra le porter à 250,000 francs. La dépense totale s’élèverait ainsi à un peu plus de 6 millions. C’est la somme qui paraît nécessaire pour assurer la publication du catalogue de toutes les étoiles jusqu’à la 11e grandeur, et celle des reproductions photographiques de tous les astres jusqu’à la 14e grandeur, en dehors du prix des lunettes, du traitement des astronomes, etc., dépenses que nous avons déjà évaluées en bloc à 1 million et demi. Il y aurait lieu d’en défalquer le produit de la vente des copies de la carte, qui rapportera, d’après M. Gill, environ 1 million de francs en vingt-cinq ans, c’est-à-dire de quoi payer les lunettes.

La somme de 6 ou 7 millions, à laquelle on arrive ainsi en définitive, est-elle exorbitante, si nous tenons compte de l’importance des résultats qu’il s’agit d’obtenir ? Elle paraît, au contraire, peu de chose au prix de ce qu’il faudrait dépenser pour arriver aux mêmes résultats par les anciens procédés. Dans l’état actuel de l’astronomie, la formation d’un catalogue comprenant toutes les étoiles jusqu’à la 11e grandeur (qui est la limite pratique des étoiles de comparaison dans les observations courantes, avec les instrumens ordinaires des observatoires) peut être considérée comme une nécessité absolue. Or on sait par expérience, dit M. Gill, que le prix d’une seule observation méridienne exacte d’une étoile (en y comprenant le prix de réduction et de publication) n’est jamais inférieur à 10 francs et dépasse souvent ce chiffre. Le catalogue mie l’on se propose de former à l’aide de la photographie comprendra près de 2 millions d’étoiles, dont chacune aura été déterminée deux fois de suite. Pour obtenir le même nombre de positions indépendantes par des observations méridiennes, — en supposant (pion trouve des instrumens méridiens assez puissans pour les fournir, — il faudrait évidemment dépenser environ 50 millions. C’est huit fois plus que le prix du catalogue photographique et de la carte générale du ciel. Quant à la précision des positions photographiques, elle sera supérieure à celle des observations directes. Il suffit, à cet égard, de citer les remarquables résultats que M. Thiele, directeur de l’observatoire de Copenhague, a obtenus par des mesures micrométriques exécutées sur trois épreuves d’un amas d’étoiles, qui lui avaient été communiquées par MM. Henry.

Il faut dire ici quelques mots de l’apparence que présentent les images photographiques des étoiles. Ces images, sur les clichés, ont la forme de petits disques noirs, d’un diamètre à peu près proportionnel à la grandeur stellaire, telle qu’elle est figurée sur les cartes célestes ; leurs dimensions augmentent peu à peu à mesure qu’on prolonge la pose, ce qui, soit dit en passant, est un obstacle assez sérieux aux recherches photométriques, car les expériences de M. Scheiner ont montré que l’augmentation n’a pas lieu suivant une loi simple. Sous le microscope[7], ces taches rondes se résolvent en une multitude de points noirs, très serrés au centre pour les étoiles des dix premières grandeurs, de plus en plus clairsemés pour les astres plus faibles, jusqu’aux vestiges indécis qui marquent l’extrême limite de la perceptibilité chimique. Pour le moment, cette limite est bien plus reculée que celle de la pénétration de l’œil armé d’une lunette. Le pointillé des images provient évidemment de l’action de la lumière sur les molécules du sel d’argent, incorporées dans la couche sensible. Ces étoiles photographiques ressemblent ainsi à des amas d’étoiles, à des nébuleuses plus ou moins résolubles.

Cet aspect est si caractéristique qu’on ne risque guère de confondre les étoiles très petites avec des taches accidentelles, comme on l’avait craint tout d’abord, et il s’ensuit qu’on pourra souvent se dispenser de multiplier les poses. MM. Henry, pour éviter toute confusion, se sont astreints à répéter trois fois les poses sur le même cliché, en déplaçant chaque fois la lunette, de manière à former avec chaque étoile un petit triangle équilatéral de 3e à 4e de côté. Cette apparence triangulaire n’est d’ailleurs perceptible qu’à la loupe ; les clichés reportés sur papier donnent des images qui paraissent parfaitement rondes. Un avantage subsidiaire de ce mode d’opérer, c’est qu’il devient ainsi possible de reculer encore plus loin la limite de visibilité des étoiles ; on pourrait aussi constater plus facilement, de cette manière, la présence d’une planète inconnue, dont le mouvement propre déformerait le triangle microscopique. Mais il est clair que la pose triple entraîne une grande perte de temps. Le congrès a préféré, pour l’exécution de la carte du ciel, comme nous l’avons vu, deux séries d’épreuves parallèles et indépendantes.

Les clichés ne nous font pas connaître les positions absolues des étoiles ; ils nous permettent seulement d’en déterminer la situation relative. Encore faut-il, pour l’obtenir avec toute la précision voulue, se servir d’un système de repères. On se procurera ces repères par la reproduction des réseaux que M. Vogel prépare à cette intention, et qui sont gravés à la pointe d’acier sur des plaques de verre argenté ; appliqué sur la plaque sensible, le réseau y laisse une image latente qui, développée plus tard, apparaît sous la forme d’un système de lignes de repère bien tranchées. Ces réseaux de repère ne sont pas seulement d’un grand secours pour les mesures micrométriques des positions stellaires, ils serviront encore à contrôler les déformations de la couche de gélatine. On sait que, pour le collodion, le retrait et les déformations de l’image qu’il entraîne peuvent atteindre une grandeur très sensible ; il n’en est plus de même pour la gélatine, qui adhère plus fortement au verre. C’est du moins ce qui résulte des comparaisons micrométriques d’un réseau original et de plusieurs copies photographiques, que M. Scheiner a récemment entreprises ; mais on ne peut répondre de l’invariabilité des clichés dans chaque cas particulier, sans une vérification spéciale ; il faut notamment s’attendre à des déformations lorsque les copies ont été exécutées avec un faisceau de lumière légèrement convergente.


II

L’avantage vraiment inappréciable de cette intervention de la photochimie dans les procédés de l’astronomie pratique, c’est qu’en transportant, pour ainsi dire, une image authentique du firmament dans le cabinet de travail de l’astronome, elle l’affranchit des obstacles sans nombre qui ont si longtemps entravé les recherches les plus délicates : frais de création et d’entretien d’un observatoire, manœuvre difficile des grands instruirions, veilles fatigantes, brouillards ou nuages qui empêchent si souvent les observations, nécessité de changer d’hémisphère pour étudier certaines constellations, etc. Armé d’un simple micromètre, il pourra désormais explorer des collections de clichés photographiques, formées à quelques années d’intervalle, et faire au coin de son feu des découvertes qui autrefois demandaient de longues luttes, continuées pendant plusieurs générations, contre l’inclémence capricieuse du ciel.

Bien des travaux célèbres se présentent à l’esprit qui ont coûté autrefois de longs efforts que nous n’aurons plus à renouveler. Ce sont d’abord les jauges ou dénombremens d’étoiles que William Herschel entreprenait, il y a cent ans, avec son télescope de 20 pieds, d’après un plan tracé par Wright. On sait que, partant de l’hypothèse d’un espacement à peu près uniforme des astres, il admit longtemps que la richesse relative d’une région indiquait la profondeur des cieux dans la direction considérée, ce qui devait le conduire à attribuer à l’univers visible une structure passablement invraisemblable. Plus tard, il changea de méthode, et se mit à sonder les espaces célestes avec des télescopes de plus en plus puissans, en prenant dès lors pour critérium des distances la résolubilité des amas ou groupes d’étoiles. Les deux méthodes ont le tort de confondre avec des effets de perspective les inégalités de constitution des diverses régions stellaires, dont bien des indices font soupçonner la réalité. Mais, tout en réservant les conclusions qui pourront être tirées des jauges ou sondages du système sidéral, il faudra tôt ou tard reprendre ce grand travail de statistique, et la carte photographique va singulièrement faciliter la tâche des astronomes qui s’en chargeront.

Parlerons-nous des catalogues d’étoiles ? Les plus anciens, ceux d’Hipparque, d’Uugh-Beigh, de Tycho-Brahé, contenaient un millier d’étoiles ; ils avaient été faits sans lunette. Le catalogue, si précieux, que Bessel a tiré des observations de Bradley (faites à Greenwich vers le milieu du siècle dernier) et qui a, pour ainsi dire, inauguré l’astronomie de précision, n’en contient encore qu’un peu plus de 3,000. Celui qui est fondé sur les observations de Lalande, exécutées vers la fin du siècle, à l’observatoire de l’École militaire, et publiées, en 1801, dans l’Histoire céleste française (le catalogue n’a été publié qu’en 1847), comprend plus de 47,000 étoiles. L’Observatoire de Paris s’est attaché, depuis longues années, à les déterminer de nouveau avec le plus grand soin, pour former un nouveau catalogue, qui s’achève peu à peu sous l’habile direction de M. Gaillot. Les deux premiers volumes, comprenant 7,245 étoiles, ont paru en 1887, et cette publication fait ressortir l’étonnante précision à laquelle Lalande et ses collaborateurs ont atteint avec des instrumens en somme bien défectueux.

Le catalogue que Weisse a déduit des « zones » de Bessel contient environ 62,000 étoiles. Celui d’Argelander, fondé sur les « zones boréales » observées à Bonn, en contient 324,000, auxquelles M. Schœnfeld le successeur d’Argelander, a récemment ajouté plus de 133,000 étoiles, tirées de ses « zones australes. » Les zones de Bonn fournissent les positions, rapidement déterminées, des étoiles du ciel boréal et d’une partie du ciel austral, jusqu’à la 9e ou 10e grandeur. Nous avons déjà dit que M. Gill avait entrepris, au cap de Bonne-Espérance, de compléter cet inventaire pour le reste du ciel austral, par le moyen de la photographie ; on a d’ailleurs aussi, maintenant, pour cette partie du ciel, les zones que M. Gould a observées à Cordoba (République Argentine). Ajoutons qu’en 1867 la Société astronomique internationale a pris l’initiative d’une révision générale des zones de Bonn, que se sont partagée une quinzaine d’observatoires, et qui fournira la matière d’un nouveau catalogue. Il s’agit ici de relevés sommaires qui ne comportent pas une bien grande précision des lieux observés ; pour les étoiles plus brillantes, qui ne dépassent pas la 8e grandeur et qui sont beaucoup moins nombreuses, on possède une série de catalogues dressés avec plus de ligueur et fondés sur les moyennes d’observations fréquemment répétées. C’est là que les astronomes prennent les étoiles fondamentales, les étoiles de repère auxquelles on rapporte les autres, pour en rectifier les positions absolues.

Ces vastes travaux, qui ont coûté tant d’efforts et usé tant de vies humaines, faut-il croire qu’ils perdront tout leur prix quand la grande carte photographique sera terminée ? Nous ne le pensons pas. Non-seulement les catalogues de haute précision, fondes sur les observations méridiennes, resteront indispensables pour la fixation exacte des positions absolues ; mais les catalogues des zones serviront à contrôler les positions relatives des astres déterminées par la photographie.

La comparaison de clichés obtenus à deux époques différentes permettra d’entreprendre sur une vaste échelle la recherche des mouvemens propres, qu’on n’a pu encore aborder que pour quelques milliers d’étoiles. Ces petits déplacemens progressifs, qui, en moyenne, n’excèdent pas un dixième de seconde dans l’espace d’une année (dans quelques cas seulement ils atteignent 7 ou 8 secondes par an), ne proviennent qu’en partie de mouvemens réels des étoiles que l’on voit ainsi changer de position ; ce sont, dans une certaine mesure, des déplacemens appareils qui ont pour cause le mouvement de translation du système solaire et qui permettent d’en déterminer la vitesse et la direction[8].

Quelquefois la progression, au lieu d’être uniforme et continue, se trouve affectée d’inégalités périodiques qui révèlent l’existence d’une parallaxe annuelle, c’est-à-dire un effet sensible produit par le changement de position de l’observateur quand la Terre passe d’une extrémité à l’autre de son orbite ; l’oscillation qui en résulte dans le lieu apparent d’un astre permet de calculer la distance qui le sépare de notre système. Ou bien l’inégalité présente une plus longue période, et les positions successives de l’étoile laissent reconnaître une orbite qu’elle décrit autour d’un foyer d’attraction voisin. Nous avons affaire à un couple physique ; les couples optiques, où le rapprochement n’est qu’un effet de perspective, présentent des mouvemens propres indépendans.

Les recherches de ce genre seront, sans aucun doute, facilitées par l’application de la photographie, car la détermination des positions relatives sera infiniment plus commode sur les clichés que dans le champ d’une lunette, surtout lorsqu’on voudra comparer des étoiles d’éclat très différent. Dans certains cas même, la photographie offre le seul moyen d’obtenir des mesures précises ; comment s’y prendrait-on pour mesurer directement les distances ou les angles de position dans une fourmilière d’astres telle que l’amas d’Hercule ? Sur le cliché, cet amas forme une petite tache diffuse, large de 2 ou 3 millimètres ; en l’examinant à la loupe, on distingue plusieurs centaines d’étoiles dispersées autour d’un noyau d’apparence pulvérulente, que l’on parviendrait sans doute à résoudre, à son tour, en une multitude de points lumineux. On n’a jamais essayé de dessiner ces groupemens, encore moins d’en faire des mesures micrométriques directes, l’œil étant ébloui, dit M. Mouchez, par ce qui apparaît, il l’oculaire, comme un amas d’innombrables et brillans grains de poussière ; mais le cliché, porté sous le microscope, permettra de dresser sans difficulté la carte exacte de ce merveilleux coin du ciel. En la transmettant à la postérité, nous donnerons à nos descendans le moyen de constater les évolutions qui, sans doute, s’accomplissent lentement au sein de cette agglomération de soleils.

La recherche de la parallaxe annuelle, qui nous permet de mesurer la distance des étoiles en prenant pour base d’opération le diamètre de l’orbite terrestre, constitue l’un des problèmes les plus délicats de l’astronomie moderne, car les déplacemens qu’il s’agit de constater ne dépassent jamais quelques dixièmes de seconde, et sont le plus souvent noyés dans les erreurs d’observation. De là le désaccord irritant des déterminations successives d’une même parallaxe, effectuées par des astronomes également habiles, avec les instrumens les plus parfaits. La photographie sera-t-elle plus heureuse ? M. Pritchard, à Oxford, a essayé de l’utiliser, en premier lieu, pour la vérification de la parallaxe d’une étoile double bien souvent observée, la 61e du Cygne. D’après Bossuet et Peters, cette parallaxe ne dépasserait guère un tiers de seconde ; d’après Otto Struve et Auwers, elle atteindrait une demi-seconde (0", 52). M. Pritchard a photographié l’étoile double en question, pendant une année, avec quatre étoiles de comparaison, disposées symétriquement, deux dans la direction des composantes et deux dans la direction perpendiculaire. Les mesures micrométriques lui ont donné, pour chacune des deux composantes, une parallaxe de 0", 43, qui indique une distance égale à environ 500,000 fois celle du soleil, distance que la lumière met sept ans et demi à franchir. Il a dû, toutefois, rejeter quelques épreuves à cause des déformations accidentelles de la couche sensible, survenues pendant le développement. Pour se mettre à l’abri de cette source d’erreur, il faudra n’employer que des plaques impressionnées par un réseau de repère, suivant le conseil de M. Lohse. Depuis l’année dernière, M. Pritchard a simplifié son procédé de recherche, en se bornant à observer chaque étoile pendant cinq nuits dans chacune des quatre périodes de l’armée indiquées par l’ellipse parallactique, que l’étoile semble décrire dans le ciel ; de cette façon, il espère pouvoir déterminer les parallaxes de 10 à 15 étoiles par an. Il a commencé le travail par plusieurs étoiles des constellations de Cassiopée et du Cygne, dont les parallaxes paraissent être comprises entre 0",04 et 0", 19. Pour la Polaire, M. Pritchard a trouvé 0",07 ; cela veut dire que la Polaire est 3 millions de fois plus éloignée de nous que le soleil.

On admet généralement que les étoiles les plus brillantes sont aussi les plus voisines de nous ; cependant, parmi les parallaxes sensibles, connues jusqu’à présent, beaucoup appartiennent à des astres relativement faibles, et rien n’empêche de supposer que dans le nombre des étoiles qui n’ont pas été examinées et qui seront bientôt cataloguées par la photographie, il s’en trouve qui sont encore bien plus rapprochées de notre système solaire. En tout cas, elles ne tarderaient pas à être démasquées, puisque la simple inspection microscopique d’un même groupe, photographié à six mois d’intervalle, suffirait à révéler des déplacemens parallactiques tant soit peu sensibles.

Les mesures micrométriques directes des groupes stellaires ne nous révèlent que des déplacemens dans le sens perpendiculaire au rayon visuel ; le spectroscope seul peut nous faire connaître des mouvemens qui ont lieu dans la direction même du rayon. En effet, la couleur de la lumière qui nous vient d’une étoile est légèrement modifiée par la vitesse avec laquelle l’astre se rapproche ou s’éloigne de nous, et il s’ensuit que les raies spectrales sont un peu déviées vers la droite ou vers la gauche. (C’est pour la même raison que le sifflet d’une locomotive nous semble plus aigu quand le train arrive que lorsqu’il s’éloigne.) On a pu, par ce moyen, estimer la vitesse de translation d’un certain nombre d’étoiles brillantes dont les spectres ne sont pas trop difficiles à observer. Cependant l’œil se fatigue à comparer, aux raies immobiles d’un spectre artificiel, les lignes toujours tremblotantes des spectres stellaires, et les déviations ainsi constatées reposent le plus souvent sur des impressions fuyantes et fort incertaines. M. Vogel a réussi à s’affranchir de cette difficulté, causée par la scintillation, en photographiant les spectres stellaires en même temps que le spectre d’un gaz ; les planches qu’il a publiées font ressortir, avec une netteté surprenante, la déviation d’une raie commune à plusieurs spectres stellaires et qui correspond à la raie violette de l’hydrogène. On constate ainsi, par exemple, qu’une certaine étoile de la constellation d’Orion s’éloigne de l’observateur avec une vitesse de 86 kilomètres par seconde, vitesse qui se réduit à 61 kilomètres si elle est rapportée au soleil.

A Greenwich, où l’étude spectroscopique des vitesses de translation des étoiles se poursuit depuis quinze ans par le procédé d’observation primitif, on s’est trouvé, plus d’une fois, en présence de résultats contradictoires qui tiennent sans doute au peu de fixité des images des spectres stellaires[9]. Il y a lieu d’espérer que la méthode photographique, en faisant disparaître cette cause d’erreur, permettra d’utiliser les données de ce genre au même titre que, les mouvemens propres, perpendiculaires au rayon visuel, qui modifient les positions apparentes des astres. On a déjà essayé d’en déduire la direction et la vitesse du mouvement de translation du système solaire, et les résultats s’accordent assez bien avec ceux que l’on avait obtenus par d’autres méthodes[10]. Enfin, ces données sont, pour le moment, les seules dont on puisse tirer parti pour arriver à une connaissance plus complète des orbites des étoiles doubles, car les observations usuelles ne nous révèlent que les orbites apparentes, telles qu’elles se projettent sur la sphère céleste. Ces projections sont des ellipses, et il est plus que probable que les orbites réelles que nous voyons en raccourci sont également des ellipses ; mais il n’est pas rigoureusement démontré que l’étoile principale y occupe l’un des foyers. Il s’ensuit qu’on ne saurait encore affirmer d’une manière absolue que la loi de Newton, la loi de la gravitation universelle, préside aussi aux mouvemens des étoiles doubles, bien que la généralité de cette loi soit extrêmement vraisemblable[11].

L’étude photographique des spectres stellaires est d’ailleurs d’un haut intérêt à d’autres points de vue, et surtout pour la connaissance de la constitution de l’univers. On s’y livre avec ardeur en Amérique ; à l’observatoire de Cambridge, où l’on dispose d’une généreuse fondation que la veuve d’Henry Draper a faite, il y a quelques années, en mémoire de son mari, deux lunettes et deux télescopes sont consacrés à ce genre de recherches. M. Pickering, dont l’énergie ne connaît pas d’obstacles, a fait entreprendre une véritable révision spectroscopique du ciel[12]. On a commencé, en premier lieu, un catalogue des spectres de toutes les étoiles visibles à l’œil nu. Un second catalogue contiendra de nombreux spectres d’étoiles plus faibles, jusqu’à la 8e grandeur. On se propose, en outre, de faire une étude détaillée des spectres des étoiles les plus brillantes, des variables, et en général de tous les spectres qui offrent des particularités curieuses. Une première liste de 10,875 spectres est terminée. Cet automne, une expédition sera envoyée dans l’hémisphère austral, probablement au Pérou, pour compléter le travail jusqu’au pôle Sud.

M. Pickering espère aussi mener à bonne fin une série de recherches photométriques qui ont pour but la comparaison des grandeurs stellaires, fournies d’un côté par la photographie, et de l’autre par l’observation directe au moyen des divers photomètres en usage. Ces recherches portent sur un millier d’étoiles voisines du pôle, sur un nombre égal pris dans le voisinage de l’équateur, et sur les étoiles visibles dans la constellation des Pléiades, l’une des mieux connues du ciel boréal, et qui offre l’avantage de ne renfermer guère que des étoiles blanches. C’est aussi cette constellation que M. J. Scheiner a choisie pour les expériences photométriques dont il vient de publier les résultats.

Ces sortes de recherches donneront le moyen de réduire les diverses échelles à une mesure commune. Nous savons déjà que l’échelle photographique s’établit par les diamètres des disques stellaires ; pour un temps d’exposition donné, les différences des diamètres sont, en général, proportionnelles aux différences des grandeurs, telles qu’elles résultent des comparaisons photométriques directes. Avec un peu d’habitude, on arriverait sans doute à estimer les grandeurs pendant les mesures micrométriques des clichés, comme les astronomes les estiment pendant l’observation des passages. Pour une détermination plus précise, on rapporterait toutes les étoiles d’un cliché à trois ou quatre d’entre elles, dont les grandeurs seraient mesurées au photomètre.

Les procédés en usage permettent, en général, de fixer la grandeur[13] d’une étoile à 1 dixième près, au moins pour les neuf ou dix premières grandeurs ; c’est ce que montre l’accord des déterminations publiées par différens observateurs. Il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’étoiles exceptionnellement brillantes, qui se rangent au-dessus de la 1re grandeur, ou d’étoiles très faibles, au-dessous de la dixième, et les désignations de 15e, 16e, 17e grandeur n’ont un sens précis qu’en vertu de la définition adoptée par tel ou tel observateur. On peut, comme on l’a fait à Paris, les définir par la durée de pose nécessaire pour faire apparaître les images, car cette durée varie dans la proportion de 1 à 10,000 depuis la 6e grandeur jusqu’à l’extrême limite de la visibilité, et fournit une échelle des plus étendues. Mais il faut aussi tenir compte de la sensibilité variable des plaques ; enfin, il est clair que le procédé fondé sur l’appréciation des temps de pose ne se prête pas aux applications courantes comme celui qui consiste dans la comparaison des disques, venus sur un même cliché. C’est donc ce dernier que l’on cherche à perfectionner ; car il ne laisse pas d’avoir ses difficultés lorsqu’il s’agit d’étoiles de plus en plus faibles. Les images ont alors, en naissant, des dimensions déjà très appréciables qui n’augmentent que très peu dans les premiers momens ; la comparaison des diamètres peut conduire à des résultats erronés, si elle est faite trop tôt. L’accroissement progressif des disques a pour cause l’irradiation qui résulte de l’illumination intérieure de la gélatine translucide, à l’endroit où se forme l’image.


III

Les mesures d’étoiles doubles sont sujettes à une foule d’erreurs qui tiennent à la différence de grandeur des composantes, à l’inclinaison de la ligne des étoiles, etc., et qui rendent les résultats obtenus par divers observateurs difficilement comparables. On rencontre des difficultés de même nature dans les mesures micrométriques des satellites ; et c’est dans tous ces cas que l’intervention de la photographie promet d’accroître beaucoup l’exactitude et la sûreté des résultats. Les clichés obtenus par MM. Henry permettent de faire des pointés d’une extraordinaire précision. La plaque sensible n’est pas, comme l’œil, éblouie par te voisinage d’un astre brillant, elle reste attentive aux plus faibles lueurs. Le satellite de Neptune, toujours difficilement visible à Paris, a pu être photographié dans toutes les parties de son orbite, même lorsqu’il se trouvait à 8e seulement de la planète.

Des satellites encore inconnus, des planètes nouvelles, révéleront leur existence par la trace de leur marche au milieu des étoiles fixes. Le déplacement apparent d’une petite planète, vers l’époque d’une opposition, c’est-à-dire au moment où elle s’approche le plus de la terre, est en moyenne d’une minute d’arc en 2 heures, ou de 0’,5 par heure ; sur les clichés de l’Observatoire de Paris, il produirait, en une heure de pose, une trace d’un demi-millimètre. Pour la planète Pallas, qui est de 8e grandeur, on a trouvé cette trace facilement reconnaissable ; mais MM. Henry pensent qu’elle serait encore appréciable pour une planète de 14e ou de 1ôe grandeur, d’un éclat relatif 400 ou 500 fois plus faible.

Le nombre des astéroïdes connus s’accroît, chaque année, de plusieurs mutés ; il atteint déjà 283. Grâce à l’intervention de la photographie, la recherche, jusqu’à présent assez pénible, de ces petits astres deviendra si facile que nous les verrons se multiplier trop vite au gré des calculateurs, et qu’on ne trouvera plus le temps de leur choisir des noms. Malgré l’insignifiance de leurs masses, ces humbles comparses du cortège solaire intéressent les astronomes sons plus d’un rapport ; aussi les surveille-t-on de près, pour éviter de les perdre après les avoir découverts et inscrits sur les registres du système planétaire. (Cela arrive encore de temps à autre, quand les premières observations n’ont pas été en nombre suffisant pour fixer d’une manière très sûre les élémens de l’orbite ; il y a, en ce moment, une vingtaine de ces astres qui manquent à l’appel.)

La grande diversité de forme et de situation de leurs orbites ouvre aux jeunes astronomes un champ d’exercices mathématiques, et soulève parfois des problèmes ardus. Pour arriver à déterminer leurs faibles masses, que l’on a pu tout au plus estimer d’après leur éclat, il faudrait pouvoir constater, par exemple, les perturbations mutuelles de deux astéroïdes passant assez près l’un de l’autre pour que leur attraction réciproque devint sensible à côté de celle du soleil. On s’est donc attaché à prédire les rapprochemens ou conjonctions physiques des astéroïdes ; mais les proximités dignes d’être notées sont assez rares, ou du moins elles ont lieu seulement entre les orbites, et non entre les planètes[14]. Peut-être qu’un jour le passage d’une comète à travers l’anneau des astéroïdes nous offrira un autre moyen d’apprécier la puissance d’attraction de ces pygmées. En revanche, les perturbations qu’ils éprouvent eux-mêmes de la part de Jupiter sont parfois très sensibles, et elles ont déjà servi (notamment celles de Thénis et d’Amphitrite) à vérifier la valeur de la masse de cette planète, qui représente un peu moins d’un millième de la masse du soleil. L’une des trois planètes découvertes, au mois d’octobre dernier, par M. Palisa (elle a reçu le numéro 279 et le nom de Thulé) est particulièrement intéressante sous ce rapport, car sa distance moyenne (4,3) surpasse celle de tous les astéroïdes connus, et lui permet de s’approcher assez de Jupiter pour être très fortement troublée dans sa marche. Ce sont là quelques-unes des raisons qui nous font penser que la photographie, en facilitant beaucoup la recherche des petites planètes, ne servira pas uniquement à enfler la statistique du système solaire.

Une découverte infiniment plus intéressante serait cependant celle de la planète transneptunienne, qui n’a pas cessé de hanter l’imagination des astronomes. Rien ne prouve, en effet, que Neptune soit le dernier terme de la série des planètes qui gravitent autour du soleil. On sait que Le Verrier, en 1846, était parvenu à déterminer la position de cet astre à l’aide des erreurs ou résidus des Tables d’Uranus, qui allaient jusqu’à 20", et qu’il attribuait, avec raison, aux perturbations produites par une planète inconnue. Le jour où il put annoncer à l’Académie des sciences que M. Galle avait rencontré cette planète à la place indiquée, il ajoutait : « Ce succès doit nous laisser espérer qu’après trente ou quarante années d’observations de la nouvelle planète on pourra l’employer, à son tour, à la découverte de celle qui la suit dans l’ordre des distances au soleil[15]. » En continuant ainsi, « on tombera malheureusement bientôt sur des astres invisibles, à cause de leur immense distance au soleil, mais dont les orbites finiront, dans la suite des siècles, par être tracées avec une grande exactitude, au moyen de la théorie des inégalités séculaires. » Plus de quarante ans se sont écoulés depuis la découverte de Neptune sans que l’espoir de Le verrier se soit réalisé ; c’est que ses formules représentent toujours avec précision non-seulement les observations de Neptune faites depuis 1846, mais encore quelques observations beaucoup plus anciennes (Lalande avait rencontré la planète deux fois, en 1795, et l’avait inscrite dans son catalogue comme une étoile de 8e grandeur). On ne sait donc sur quoi s’appuyer pour renouveler la prodigieuse découverte de Le verrier, qui déjà elle-même n’a été possible que grâce à un heureux concours de circonstances. C’est ce qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître en lisant l’exposé magistral que M. Tisserand a fait de l’histoire de la découverte de Neptune dans le tome Ier de son Traité de mécanique céleste, qui a paru il y a quelques mois.

La planète transneptunienne, si elle existe, se trouve peut-être à une distance très grande, dépassant plus de 100 fois le rayon de l’orbite terrestre, ou bien sa masse est relativement faible, et l’action qu’elle exerce ne s’accusera qu’à la longue ; n’oublions pas que c’est à peine si Neptune a parcouru le quart de son orbite depuis l’époque de sa découverte. Il se pourrait même que l’action d’une masse relativement forte restât longtemps cachée pour nous, en se confondant avec celle des autres planètes. Il y a donc peu de chances de découvrir l’astre hypothétique par la seule vertu de la loi de Newton. Il faudra plutôt compter sur un heureux hasard poulie reconnaître au milieu des étoiles de 12e ou 13e grandeur, parmi lesquelles il se trouve sans doute égaré. Tout cela n’a pas empoché M. David P. Todd de se constituer le prophète de la planète transneptunienne, dont il poursuit la recherche, depuis 1874, par l’exploration systématique de certaines régions du ciel[16]. Pendant l’hiver 1877-1878, il a employé à cette exploration le grand réfracteur de l’observatoire de Washington ; il a fini par mettre son espoir dans la photographie, qui paraît appelée à rendre ce genre de recherches beaucoup plus facile. M. Todd fonde sa conviction de l’existence de la planète sur l’examen des derniers résidus des Tables d’Uranus, auxquels il a appliqué un procédé graphique très simple, indiqué par sir John Herschel à propos des perturbations d’Uranus dues à Neptune. Ce qui l’a fortifié dans cette conviction, c’est l’accord très probablement fortuit de son résultat avec celui auquel a été conduit M. G. Forbes par la considération d’un prétendu groupement des aphélies des comètes périodiques, dont les distances au Soleil coïncideraient plus ou moins exactement avec les distances moyennes des grosses planètes. Ayant trouvé, d’autre part, sept comètes dont les distances aphélies approchent de 100, et six dont les distances aphélies approchent de 300 (l’unité étant toujours le rayon de l’orbite terrestre), M. Forbes en conclut qu’il pourrait y avoir deux planètes transneptuniennes, situées respectivement aux distances 100 et 300, et dont la puissante attraction aurait conquis ces comètes au système solaire. Les comètes ainsi capturées pourraient alors nous renseigner sur la position actuelle de la planète à laquelle nous les devons, et qui a dû jadis se trouver à proximité de leurs aphélies. Mais, abstraction faite du peu de valeur de ces prémisses, les données numériques sur lesquelles reposent les calculs de M. Forbes ne supportent pas l’examen. L’accord des résultats de M. Forbes et de M. Todd ne signifie plus rien quand on voit comment ces résultats ont été établis. Malgré tout, la planète transneptunienne pourrait très bien un jour apparaître à nos regards étonnés sur un des clichés qui serviront à préparer la carte générale du ciel.

L’astronomie physique, elle aussi, voit s’ouvrir devant elle des horizons nouveaux. Je ne parlerai pas ici longuement des photographies du soleil et de la lune ; il y a longtemps qu’on a pu en voir qui sont d’une grande beauté. On sait avec quel succès M. Janssen, à Meudon, poursuit l’application de la photographie à l’étude des phénomènes solaires. Des recherches du même genre se font à Potsdam, et M. Wilsing, en relevant sur une centaine d’épreuves les positions des groupes de facules, est arrivé à cette conclusion inattendue, que (contrairement à ce qui a eu lieu pour les taches) la vitesse de rotation des facules est la même pour tous les parallèles, et égale à celle de l’équateur. Le retard du mouvement des taches explique très bien pourquoi celles qui naissent au pied d’une facule s’échelonnent dans le sens de son parallèle, comme des laisses semées sur sa route. Il paraît probable que la vitesse inégale que possèdent les taches est bornée à une couche assez mince de l’enveloppe solaire, tandis que le gros de la masse tourne tout d’une pièce avec la vitesse constante des facules.

Ou commit les effets stéréoscopiques qui s’obtiennent avec des photographies de la Lune, prises à deux époques convenablement appariées. Perfectionnées de jour en jour, ces photographies serviront à étudier plus exactement la libration ; elles feront aussi reconnaître les changemens qui s’accomplissent peut-être à la surface de notre satellite, et qui, affirmés par les uns, contestés par les autres, sont restés jusqu’à présent très douteux. Au contraire, la réalité de modifications, parfois assez brusques, paraît aujourd’hui bien constatée pour quelques planètes. Il suffit de rappeler, à cet égard, les mystérieux canaux rectilignes que MM. Schiaparelli et Perrotin ont signalés à la surface de Mars. M. Janssen a fait remarquer, à propos des croquis envoyés de Nice, qu’il était urgent de chercher à obtenir, à l’aide de nos grands instrumens, des images photographiques, assez parfaites pour remplacer les dessins. « Je sais, a-t-il dit, que lorsqu’il s’agit de phénomènes aussi délicats que ceux qui ont été découverts à Milan et à Nice, la photographie, malheureusement, ne peut encore lutter avec la vue ; mais il faut entrer résolument dans cette voie, pour préparer l’avenir. Si à la place des dessins, nous avions des images photographiques même moins détaillées, nous pourrions déjà en tirer, sur les changemens qui ont lieu à la surface de Mars, des notions incomparablement plus certaines que celles dont nous sommes obligés de nous contenter. »

Pour juger de la difficulté qu’on éprouve à confronter des dessins d’origine diverse, on n’a qu’à passer en revue la longue série de croquis de la nébuleuse d’Orion, faits depuis deux siècles par des observateurs tels que Huygens, Mairan, Messier, De Vico, Lamont, J. Herschel, Lassell, O. Struve, les deux Bond, lord Rosse, le père Secchi… En 1882, M. Holden a consacré à cette nébuleuse une monographie où il donne les résultats de ses propres observations, en même temps que des copies des plus célèbres dessins de cet objet fameux. Ces copies, pour être très imparfaites, n’en font pas moins naître la conviction qu’il serait téméraire d’invoquer de pareils témoignages pour prouver quoi que ce soit, tellement l’aspect varie d’un dessin à l’autre. M. Holden a également reproduit une photographie de la nébuleuse, obtenue par H. Draper en 1882. Elle a été, depuis, photographiée par M. Common, par M. Roberts et par d’autres astronomes. MM. Holden et Struve pensent que les contours de la nébuleuse d’Orion n’ont pas changé depuis qu’on l’observe avec soin, mais que l’éclat de certaines parties a subi des variations qui continuent de se produire sous nos yeux. La photographie seule pourra, un jour, nous donner, à cet égard, une certitude complète, comme elle nous permet déjà de surveiller les rapides changemens des comètes, aux contours si mobiles.

En attendant, elle a déjà évoqué, du sein des ténèbres, des nébuleuses inconnues que l’œil humain n’avait point aperçues. Sur un cliché des Pléiades, que MM. Henry avaient obtenu le 10 novembre 1885, l’étoile Maïa se montrait accompagnée d’une petite queue de comète très brillante ; on reconnut que c’était une nébulosité. Il s’est trouvé qu’elle s’était aussi dessinée sur un cliché de M. Pickering, qui datait du 3 novembre : mais, en Amérique, on l’avait prise pour une tache accidentelle, Une fois avertis, les astronomes en possession de lunettes très puissantes ont pu en vérifier directement l’existence ; on l’a observée successivement à Poulkova et à Nice, à Vienne, à Washington, à Genève et ailleurs, avec plus ou moins de facilité. Depuis lors, MM. Henry ont continué à perfectionner leurs procèdes, et ils refont chaque année le cliché des Pléiades, qui en vaut bien la peine. Les épreuves de 1888, obtenues avec des plaques très sensibles et une pose de quatre heures, ont dévoilé avec une surprenante netteté l’amas diffus de matière cosmique qui enveloppe cette constellation, et dont les nébuleuses de Maïa et de Mérope ne sont que les parties les plus lumineuses. Une particularité curieuse et très inattendue, c’est un filament rectiligne de matière nébulaire qui sort de la masse principale, sur une longueur de 10’ d’arc et une épaisseur de 3’ à 4’ seulement ; il rencontre sur sa route sept étoiles qu’il semble réunir connue des grains de chapelet. Une seconde ligue, semblable, mais plus courte, existe au milieu de la masse nébulaire. Le nouveau cliché contient, en outre, deux fois plus d’étoiles que les premiers : environ 2,000. La carte des Pléiades de M. C. Wolf, qui avait demandé plusieurs années de travail, n’en contient que 671.

M. Pickering est entré dans la même voie, et tout récemment ses clichés ont révélé l’existence de cinq ou six nébuleuses nouvelles dans diverses régions du ciel. Enfin, il y a quelques mois, M. Roberts a communiqué à la Société astronomique de Londres des photographies de la nébuleuse elliptique d’Andromède, qui sont comme une révélation. Ce qui semblait un amas informe de matière cosmique, traversé par des tissures irrégulières, apparaît maintenant comme un système solaire dans son devenir ; on y distingue les anneaux qui se détachent de la masse centrale, comme le veut l’hypothèse de Laplace, et deux satellites en voie de formation, dont les positions relatives ont dû subir quelques changemens depuis l’époque des observations de Bond. La photographie rend ainsi intelligible une structure que les dessins dissimulaient plutôt.

Les succès obtenus sur ce terrain peuvent tenir, dans une certaine mesure, au pouvoir photogénique particulier des nébuleuses ; mais ils s’expliquent surtout par ce lait, que la plaque sensible n’est pas éblouie par le voisinage d’objets plus brillans. La nébuleuse qui entoure l’étoile variable Eta d’Arago était invisible quand cette étoile paraissait de 1re grandeur, et n’a été découverte que lorsque l’étoile qui l’éclipsait fut descendue au quatrième rang (elle est maintenant de 7e grandeur).

On trouve un avantage du même ordre dans l’application de la photographie à l’enregistrement de phénomènes instantanés ou de très courte durée, comme les éclipses, les occultations, les passages au méridien, où le sang-froid de la plaque sensible nous met à l’abri du trouble et des erreurs inséparables d’une observation précipitée. Un grand nombre d’éclipses totales de soleil, ainsi que les deux passages de vénus, de 1874 et de 1882, ont été déjà observés par ce moyen. Les mesures des nombreux clichés rapportés par les expéditions françaises ont été confiées à un personnel féminin sous la direction de M. Bouquet de La Grye ; elles sont terminées, et les calculs sont très avancés.

Nous bornerons là cette rapide revue des services que la photographie a rendus à l’astronomie, ou qu’elle doit lui rendre dans un délai prévu, et qui sont déjà, en quelque sorte, escomptés. Tant de résultats, et de si inespérés, acquis en si peu de temps, n’est-ce pas la plus belle garantie de l’avenir ? En même temps, les lunettes se perfectionnent et atteignent des dimensions colossales. La plus grande, pour le moment, est le réfracteur de 0m,90 d’ouverture qui vient d’être installé au sommet du Mont-Hamilton, en Californie, où se dresse, à 1,300 mètres au-dessus du niveau du Pacifique, un observatoire fondé par James Lick. Cet ancien facteur d’orgues, enrichi par d’heureuses spéculations, et désireux de perpétuer son nom dans la mémoire des hommes, avait, longtemps hésité entre une pyramide, sous laquelle on l’aurait enterré, et un observatoire qui serait érigé au-dessus des nuages. On lui dit que la pyramide, qu’il voulait à l’entrée de la baie de San-Francisco, pourrait, en cas de guerre, être prise pour mire par l’ennemi, et il se décida pour l’observatoire, où il repose maintenant sous la grande lunette. On a dépensé, pour le construire et pour faire une route, plus de 700,000 dollars ; le legs n’y suffisait pas, et l’Etat a dû intervenir. Mais l’atmosphère y est d’une pureté inconnue ailleurs : au moins deux jours de beau temps sur trois.


R. RADAU.

  1. Voir la Revue du 15 février 1878.
  2. Rayet, Notes sur l’histoire de la photographie astronomique. (Bulletin astronomique, t. IV, p. 318.)
  3. Nous prenons ces indications dans la notice de l’amiral Mouchez, qui date de 1887 ; mais ces temps de pose sont déjà abrégés beaucoup en faisant usage de plaques plus sensibles, toiles que les plaques américaines dont se sert M. Pickering, et que MM. Henry ont essayées à leur tour.
  4. Peut-être aussi beaucoup moindre, avec des plaques plus sensibles.
  5. En comptant 6 degrés carrés par cliché, il en faut 7,000 pour couvrir le ciel, et 14,000 avec les duplicata.
  6. Président, M. Mouches ; membres, MM. Christie, Duner, Janssen, Struve, Tacchini ; secrétaires, MM. Gill, Lœwy, Vogel.
  7. A défaut d’une loupe, on peut se servir, pour contempler ces images, d’un simple carton, percé d’un petit trou, qu’on applique sur l’œil : c’est une loupe primitive.
  8. voir, dans la Revue du 1er octobre 1875, les Progrès de l’astronomie stellaire.
  9. Les changemens de sons de la vitesse de Sirius, s’ils sont réels, pourraient s’expliquer par un mouvement orbitaire.
  10. En prenant la moyenne des nombreuses déterminations, tentées depuis W. Herschel, on trouve, pour les coordonnées du point vers lequel se dirige le soleil, 267 degrés d’ascension droite et 31 degrés de déclinaison boréale. Quant à la vitesse de ce mouvement, on peut l’évaluer à 25 ou 30 kilomètres par seconde ; c’est à peu près la vitesse de la Terre dans son orbite.
  11. Tisserand, Traité de mécanique céleste, t. I, p. 42.
  12. E. -C. Pickering, Annual Reports of the photographic study of stellar spectra.
  13. D’une grandeur à la suivante, l’éclat relatif diminue (en moyenne) dans la proportion de 1 : 0, 42.
  14. La plus courte distance des orbites de Thétis et de Bellone est évaluée à 30.000 kilomètres ; pour Clylie et Némésis, cette distance est de 115,000 kilomètres, et les deux planètes se trouveront à 950,000 kilomètres l’une de l’autre au mois d’août 1880 ; c’est deux fois et demie la distance de la Lune à la Terre.
  15. Galle ayant proposé pour la nouvelle planète le nom de Janus, Le Verrier lui répond : « Le nom de Janus indiquerait que cette planète est la dernière du système solaire, ce qu’il n’y a aucune raison de croire. »
  16. Account of a speculative and practical search for a transneptunian planet, 1880. (Comptes-rendus de l’Académie américaine des sciences, 1880-1886.)