La Petite Seine
Aux champsHachette et Cie (p. 107-110).


LA PETITE SEINE


L’humble rivière de chez nous
Ne mène pas un grand tapage ;
Avec un bruit paisible et doux
Elle fait le tour du village.

Le lac est fier de sa beauté,
Le torrent, de ses précipices,
Le fleuve a plus de majesté
Et le gave plus de caprices.

Elle n’a rien de tout cela,
Et ne veut pas s’en faire accroire.
Flânant ici, pour courir là,
Encore timide et sans gloire,

 
Elle va de son train charmant,
On l’appelle déjà la Seine :
Paris est loin, heureusement ;
Paysanne avant d’être reine,

Elle cache sa royauté
Entre des rives roturières,
Avec des jardins d’un côté
Et de l’autre des chènevières.

Des saules et des peupliers
Qui sont à peu près du même âge,
Comme des voisins familiers,
Bruissent le long du rivage ;

Et le chuchotement des eaux
Accompagne la voix légère
De la fauvette des roseaux
Qui fait son nid sur la rivière.

Matin et soir, à la fraîcheur,
Avec les bonnes hirondelles,
Leur ami, le martin-pêcheur,
Poursuit les vertes demoiselles.

 
La lourde escadre des canards
Le voit voler d’un œil d’envie ;
Il éveille chez ces traînards
Le trémoussement de la vie.

Quand l’oiseau file à côté d’eux
Toute la bande le regarde ;
Son petit cri, brusque et joyeux,
La rend encore plus bavarde.

Mais loin du peuple cancanier,
Canards, laveuses et commères,
D’un coup de bec, le braconnier
Attrape au vol les éphémères.

Notre rivière a du poisson :
L’able, la truite et la vandoise
Montrent à travers le cresson
Leur dos mince couleur d’ardoise ;

Et lorsqu’un filet de soleil
Rit et frissonne sur l’eau bleue,
On voit dans le rayon vermeil
Reluire l’argent de leur queue.

 
Ainsi coule de son air doux,
Sans aventure et sans tapage,
En faisant le tour du village,
L’humble rivière de chez nous.