La Petite Fadette (illustré, Hetzel 1852)/Chapitre 32

J. Hetzel (Œuvres illustrées de George Sand, volume 1p. 39-41).
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XXXII.

Cette fois, Sylvinet manqua mourir le premier jour ; mais le second, il fut plus tranquille, et le troisième, la fièvre le quitta. Il prit de la résignation d’abord et de la résolution ensuite ; et, au bout de la première semaine, on reconnut que l’absence de son frère lui valait mieux que sa présence. Il trouvait, dans le raisonnement que sa jalousie lui faisait en secret, un motif pour être quasi satisfait du départ de Landry. Au moins, se disait-il, dans l’endroit où il va, et où il ne connaît personne, il ne fera pas tout de suite de nouvelles amitiés. Il s’ennuiera un peu, il pensera à moi et me regrettera. Et quand il reviendra, il m’aimera davantage.



Eh bien, sachez, si cela vous plaît, que je l’aime depuis longtemps déjà. (Page 29.)

Il y avait déjà trois mois que Landry était absent, et environ un an que la petite Fadette avait quitté le pays, lorsqu’elle y revint tout d’un coup, parce que sa grand’mère était tombée en paralysie. Elle la soigna d’un grand cœur et d’un grand zèle ; mais l’âge est la pire des maladies ; et, au bout de quinze jours, la mère Fadet rendit l’âme sans y songer. Trois jours après, ayant conduit au cimetière le corps de la pauvre vieille, ayant rangé la maison, déshabillé et couché son frère, et embrassé sa bonne marraine qui s’était retirée pour dormir dans l’autre chambre, la petite Fadette était assise bien tristement devant son petit feu, qui n’envoyait guère de clarté, et elle écoutait chanter le grelot de sa cheminée, qui semblait lui dire :

Grelet, grelet, petit grelet
Toute Fadette a son Fadet

La pluie tombait et grésillait sur le vitrage, et Fanchon pensait à son amoureux, lorsqu’on frappa à la porte, et une voix lui dit :

— Fanchon Fadet, êtes-vous là, et me reconnaissez-vous ?

Elle ne fut point engourdie pour aller ouvrir, et grande fut sa joie en se laissant serrer sur le cœur de son ami Landry. Landry avait eu connaissance de la maladie de la grand-mère et du retour de Fanchon. Il n’avait pu résister à l’envie de la voir, et il venait à la nuit pour s’en aller avec le jour. Ils passèrent donc toute la nuit à causer au coin du feu, bien sérieusement et bien sagement, car la petite Fadette rappelait à Landry que le lit où sa grand’mère avait rendu l’âme était à peine refroidi, et que ce n’était l’heure ni l’endroit pour s’oublier dans le bonheur. Mais, malgré leurs bonnes résolutions, ils se sentirent bien heureux d’être ensemble et de voir qu’ils s’aimaient plus qu’ils ne s’étaient jamais aimés.



Jamais il n’avait vu tant d’argent à la fois. (Page 42.)

Comme le jour approchait, Landry commença pourtant à perdre courage, et il priait Fanchon de le cacher dans son grenier pour qu’il pût encore la voir la nuit suivante. Mais, comme toujours, elle le ramena à la raison. Elle lui fit entendre qu’ils n’étaient plus séparés pour longtemps, car elle était résolue à rester au pays.

— J’ai pour cela, lui dit-elle, des raisons que je te ferai connaître plus tard et qui ne nuiront pas à l’espérance que j’ai de notre mariage. Va achever le travail que ton maître t’a confié, puisque, selon ce que ma marraine m’a conté, il est utile à la guérison de ton frère qu’il ne te voie pas encore de quelque temps.

— Il n’y a que cette raison-là qui puisse me décider à te quitter, répondit Landry ; car mon pauvre besson m’a causé bien des peines, et je crains qu’il ne m’en cause encore. Toi, qui es si savante, Fanchonnette, tu devrais bien trouver un moyen de le guérir.

— Je n’en connais pas d’autre que le raisonnement, répondit-elle ; car c’est son esprit qui rend son corps malade, et qui pourrait guérir l’un guérirait l’autre. Mais il a tant d’aversion pour moi, que je n’aurai jamais l’occasion de lui parler et de lui donner des consolations.

— Et pourtant tu as tant d’esprit, Fadette, tu parles si bien, tu as un don si particulier pour persuader ce que tu veux, quand tu en prends la peine, que si tu lui parlais seulement une heure, il en ressentirait l’effet. Essaie-le, je te le demande. Ne te rebute pas de sa fierté et de sa mauvaise humeur. Oblige-le à t’écouter. Fais cet effort-là pour moi, ma Fanchon, et pour la réussite de nos amours aussi, car l’opposition de mon frère ne sera pas le plus petit de nos empêchements.

Fanchon promit, et ils se quittèrent après s’être répété plus de deux cents fois qu’ils s’aimaient et s’aimeraient toujours.