Librairie Plon (p. 39-55).

IV


Or, fort allégrement, le lendemain, M. de Chancenay montait la route qui menait du Pré-Béni au château de Prexeuil. Il tenait dans sa main droite un long écrin de peau jadis blanche, très jaunie maintenant, qui contenait un vieil et charmant éventail du dix-huitième siècle. Ceci lui servirait de prétexte. Il avait dit un mot la veille, à Mme Antoinette, de ce legs fait à sa petite-nièce, en ajoutant que Me Boudard serait chargé de le lui remettre sans tarder. Mais il est toujours permis de changer d’avis, de juger plus courtois que cette remise soit effectuée par le petit-fils et mandataire de l’héritière… Mme la chanoinesse n’aurait, vraiment, rien à dire là-dessus !

Oui, tout cela était bel et bien — à condition qu’il vît Élys. Or, la tante aurait vite fait de l’envoyer ailleurs, dès qu’on lui annoncerait le terrible visiteur…

Il aurait fallu qu’il les surprît… Cependant, il ne pouvait pas s’introduire subrepticement dans leur logis !

Cette difficulté, dressée devant son désir par ce qu’il appelait « l’idée fixe d’une vieille fille rancunière », l’irritait et l’excitait, comme tous les êtres accoutumés de voir les empressements et les complaisances plus ou moins serviles s’agiter autour de leur fortune et de leur rang. Il pensait, avec un mélange d’amusement et de défi : « Si je la trouve jamais seule, votre Élys, madame de Prexeuil, je me charge de lui faire la cour, et de lui apprendre que tous les hommes ne sont pas les vilains diables représentés par votre imagination ! »

Or, juste à ce moment, son regard tombant sur un petit sentier tracé plus bas que la route, il vit Élys qui montait, d’un pas souple et vif. Elle tenait à la main son chapeau, et le soleil caressait librement ses cheveux bruns aux doux reflets de soie. La courbe harmonieuse des épaules se dessinait sous le corsage blanc, de forme gracieuse, mais sans rapport avec la mode, pas plus que la jupe de drap noir aux plis élégants qui découvrait les fines attaches des petits pieds cambrés.

Ogier la regarda un moment, tout en marchant, avec un éclair de triomphe dans les yeux. Puis il pensa : « Ce sentier doit déboucher sur la route, probablement pas très loin du château… Il faut que j’arrive avant elle. »

Aussitôt, il s’élança, leste et souple, sur la route montante. Ceci n’était qu’un jeu pour un sportsman comme lui. Bientôt, il atteignit le débouché du sentier, à quelques mètres de l’allée de noyers qui conduisait au château…

Et presque aussitôt, la jeune fille apparut.

À la vue de l’étranger, elle eut un mouvement de surprise. Son regard l’effleura, et elle inclina doucement la tête pour répondre à son salut, en continuant d’avancer.

Ogier fit quelques pas vers elle.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, de vous arrêter ainsi… Mais je venais précisément pour vous remettre le souvenir légué par Mme de Valheuil à sa petite amie… Mme votre tante vous en a sans doute parlé ?

— Oui, monsieur… Cette pauvre chère Mme de Valheuil !

Cette fois, il les voyait bien, les yeux de la petite chanoinesse ! Ils étaient bleus, d’un merveilleux bleu violet, très velouté, sur lequel flottait l’ombre des grands cils bruns. En ce moment des larmes y montaient, au souvenir de l’amie disparue, et leur doux éclat en augmentait encore la beauté.

— Voici, mademoiselle…

Ogier lui tendait l’écrin, qu’elle prit avec un remerciement. Une rougeur légère montait à son teint délicat. Timidement, elle demanda :

— Vous ne venez pas jusqu’au château, monsieur ? Ma tante aimera sans doute à vous remercier elle-même…

Qu’elle était donc jolie, cette jeune châtelaine, avec sa rougeur, son regard ému, un peu gêné, sa petite bouche frémissante ! Le plaisir de mieux l’admirer, d’entendre sa voix au timbre charmant valait bien la peine d’une visite à Mme Antoinette !

— Je serai heureux d’offrir mes hommages à Mme votre tante, mademoiselle, si je ne dois pas trop la déranger ?

— Mais non, monsieur, pas du tout.

La jeune fille se remettait en marche, et M. de Chancenay l’imita… Elle semblait un peu embarrassée, la jolie chanoinesse. Évidemment, elle n’avait pas coutume d’être escortée par un jeune et très élégant cavalier tel que celui-là… Peut-être s’avisait-elle aussi, tout à coup, du mécontentement probable de sa grand’tante ?

Mais Ogier, pour la mettre à l’aise, lui parlait aussitôt de l’amie défunte. Alors, il vit de nouveau se lever sur lui ces yeux magnifiques, éclairés de la plus pure lumière, ces yeux qui révélaient une âme profonde et toute candide encore. Élys, en quelques mots délicats, dit son affection pour Mme de Valheuil, et combien celle-ci était bonne, serviable à tous. L’émotion donnait un plus chaud reflet à son regard, qui se baissait un peu, par moment, sous celui de l’étranger, attentif et charmeur. La rougeur demeurait à son teint, dont le soleil et l’air de la campagne n’avaient pu altérer la blancheur satinée. Elle avançait d’une allure harmonieuse, près d’Ogier qui ralentissait le pas, à mesure qu’approchait l’extrémité de l’avenue… Car il voulait la contempler le plus longtemps possible, cette admirable petite chanoinesse ! Jamais aucune femme au monde ne l’avait intéressé comme celle-là ! Sa rare beauté mise à part, il la devinait tellement différente, par l’âme et par l’éducation, des jeunes filles qu’il avait rencontrées jusqu’ici !

Sa grâce délicate, sa réserve, sa timidité même ajoutaient à cette beauté un charme singulier. Ogier pensait : « Je n’ai rien vu de plus délicieux !… » Et il ralentissait encore, en parlant de Gouxy, des alentours qu’il eût souhaité de mieux connaître…

Élys aimait son petit coin de pays, dont elle n’était jamais sortie, comme elle l’apprit à Ogier, sinon pour aller deux ou trois fois à Besançon, et un peu plus souvent à Pontarlier. M. de Chancenay s’exclama en souriant :

— Mais c’est extraordinaire, à notre époque !… Et vous n’avez pas désiré de voir d’autres horizons, de changer un peu d’habitudes ?

Elle dit simplement, avec un sourire discret et doux :

— Si, parfois. Mais je ne m’y suis pas arrêtée, sachant un tel souhait irréalisable. Mes tantes ne veulent pas quitter Prexeuil… Et c’est là que, moi aussi, je vivrai toujours.

— Oh ! par exemple, rien n’est moins certain que cela !

Un regard surpris se leva sur lui. Alors, ayant conscience d’avoir mis dans sa protestation plus de vivacité qu’il ne convenait, Ogier ajouta :

— Nul ne connaît l’avenir qui l’attend… Vous pas plus que d’autres, j’en suis sûr, mademoiselle.

Elle dit avec une tranquille gravité :

— Oh ! si, je le connais.

Il pensa tout aussitôt, avec un étrange sentiment d’inquiétude : « Ferait-on vœu de célibat, en entrant dans ce chapitre ? »

Et, voulant savoir, il dit en affectant de sourire :

— Vous êtes cependant bien jeune, pour avoir la certitude, au sujet de votre future existence ! Si, par exemple, suivant le sort à peu près commun, vous vous mariez…

Elle eut de nouveau un regard surpris, rougit un peu plus, et dit avec la même gravité :

— Mais je ne me marierai pas.

— Oh ! sait-on !… À moins que ce ne soit contraire à la règle du chapitre dont vous faites partie ?

Elle secoua négativement la tête.

— Non, les chanoinesses de Sainte-Hedwige ne font pas vœu de célibat.

Il eut une impression de soulagement… Et, un sourire amusé aux lèvres, il dit, en se penchant un peu vers la jeune fille :

— Ce titre de chanoinesse est bien lourd pour vos dix-huit ans, mademoiselle !… Et vous me pardonnerez de ne pas vous appeler « madame », comme je devrais le faire pour obéir au protocole.

Leurs regards se rencontraient. Celui d’Élys, confus, un peu trouble, se baissa très vite. Un léger frémissement courait sur le charmant visage… La jeune fille hâta le pas. D’ailleurs, le château apparaissait, grande masse grise de majestueuse apparence, que précédait une cour pavée. Ogier s’arrêta pour le considérer, un long moment, demanda quelques détails à son sujet tout en continuant d’admirer la rougissante petite chanoinesse, visiblement désireuse de ne pas prolonger le tête-à-tête.

Il traversa près d’elle la cour où l’herbe poussait entre les pavés, passa dans le grand vestibule voûté, garni de trophées de chasse, et fut introduit dans un immense salon à trois fenêtres, donnant sur le jardin. Là travaillaient Mmes Antoinette et Bathilde, assises en face l’une de l’autre. La voix un peu émue d’Élys annonça :

— Mes tantes, voici M. de Chancenay qui a bien voulu se donner la peine d’apporter lui-même le souvenir légué par la chère Mme de Valheuil…

Les deux dames levèrent la tête. Mme de Prexeuil avait tressailli, et le regard qu’elle dirigea vers l’intrus laissa voir sa surprise irritée.

Ogier, en s’inclinant devant elle, expliqua, un léger sourire aux lèvres :

— Je ne suis pas encore parti, madame, comme vous le voyez. Hier soir, j’ai réfléchi qu’il était préférable d’attendre la lettre de ma grand’mère, pour savoir ce qu’elle décide au sujet de cette maison. Au cas où elle voudrait la vendre, j’en parlerais au notaire, avant de quitter Gouxy… Et je me suis fait un devoir, puisque je suis encore momentanément l’hôte du Pré-Béni, de venir vous présenter mes hommages, et mes remerciements pour l’assistance que vous avez bien voulu me donner hier.

Tout cela était parfaitement correct et plausible. Pourtant, le visage contrarié de la vieille dame ne se détendit pas. Elle offrit sa main à M. de Chancenay, sans aucun empressement, avec quelques mots d’accueil plutôt secs, et lui désigna un fauteuil. Pendant qu’il s’asseyait, Élys disparut. Avait-elle obéi à quelque signe de sa grand’tante ?… Ou bien s’était-elle éclipsée d’elle-même ? Ogier ne le sut pas. Et il quitta Prexeuil sans l’avoir revue, après une visite assez courte, car Mme Antoinette lui témoignait tout juste la politesse indispensable. Quant à Mme Bathilde, les doigts croisés sur sa broderie, ses yeux doux et songeurs attachés sur l’étranger, elle n’avait pas dit trois mots, pendant ce quart d’heure ; mais Ogier avait senti néanmoins comme un courant de sympathie qui s’établissait entre elle et lui.

À peine la porte s’était-elle refermée sur le jeune homme, que Mme de Prexeuil se levait, traversait le salon et ouvrait une autre porte en appelant :

— Élys, es-tu là ?

— Oui, ma tante.

La chanoinesse entra dans une grande pièce meublée de bibliothèques et de bahuts anciens. Devant une table, Élys était assise, un livre à la main. Mme Antoinette s’avança, d’un pas alourdi par l’âge et la corpulence.

— Voudrais-tu m’expliquer comment il se fait que ce soit toi qui aies introduit M. de Chancenay ?

Le ton était sec, mécontent… Un peu de rougeur monta aux joues de la jeune fille, sous le regard scrutateur. Mais elle répondit avec une tranquille sincérité :

— Je l’ai rencontré au bas de l’allée, ma tante. Il m’a remis l’éventail, je l’ai remercié… puis j’ai pensé qu’il était convenable de lui offrir de venir jusqu’ici… Et comme il acceptait, je ne pouvais, il me semble, le laisser là pour revenir seule ?

Le regard, droit et pur, ne se baissait pas sous celui de la vieille dame… Celle-ci convint, avec un peu d’effort :

— Non, tu ne le pouvais pas… C’est lui qui aurait dû…

Elle hésita un moment… Visiblement, d’autres questions étaient sur ses lèvres. Qu’avait dit à Élys M. de Chancenay ?… Mais Mme Antoinette jugea préférable de paraître ne pas accorder d’importance à cet incident, qui en avait cependant beaucoup à ses yeux, étant donnée surtout la séduisante personnalité de l’étranger. Elle dit après un court silence :

— Enfin, il n’y a là rien que d’insignifiant, après tout. M. de Chancenay a commis une incorrection en s’adressant à toi ; mais nous ne sommes vraisemblablement pas destinées à le revoir, car il partira dans quelques jours, et le Pré-Béni, en admettant qu’il ne soit pas vendu, n’aura sans doute plus l’honneur de l’abriter. C’est un trop simple logis, où il s’ennuierait à mort, sans son luxe, ses distractions habituelles, son grand train de vie. Les traditions, les souvenirs qui s’y rattachent ?… Qu’est-ce que cela, pour ces êtres qui ne voient dans la vie que le plaisir, et qui foulent aux pieds tous les devoirs ?

Une amertume profonde, un mépris violent passaient dans la voix de la vieille dame. Les beaux yeux attachés sur elle se voilèrent un instant de tristesse inquiète… Puis Élys dit pensivement :

— Pauvre Pré-Béni !… Ce sera dur, de le voir habité par des étrangers !

— Oui, très dur. Mais nous n’y pouvons rien… Et de toutes façons, maintenant que notre amie n’y est plus, c’est une maison fermée pour nous.

Quand sa tante fut sortie de la bibliothèque, Élys reprit son livre, machinalement. Mais sa pensée n’était plus là. Elle retournait vers l’allée de noyers, où, près d’Élys de Valromée, marchait un jeune homme à l’allure élégante et souple, qui parlait d’une voix bien timbrée, singulièrement agréable à l’oreille. Et ce jeune homme avait un beau visage expressif, un sourire d’ironie légère, très captivant, des yeux superbes…

Élys frémit légèrement, et rougit, au souvenir du chaud regard que le sien avait rencontré, à un moment…

Le livre glissa de ses mains, sur la table. Les doigts croisés, elle resta un moment immobile. Élys, la sage, la pieuse Élys rêvait… Mme Antoinette pouvait bien veiller, maintenant ! Toujours, dans sa vie solitaire, la chanoinesse Élys de Valromée emporterait le souvenir des yeux aux vifs reflets orangés qui l’avaient regardée avec tant de chaude admiration… avec de l’amour déjà.

Car Ogier dut se l’avouer, ce soir-là, en réfléchissant : il était positivement amoureux de cette ravissante Élys.

Là, comme cela, en coup de foudre ?… Lui, le sceptique, lui dont ses amis disaient : «  Chancenay ? Il ne veut surtout pas de chaînes, et s’il permet qu’on l’aime, il réserve toute son indépendance. »

Oui, il n’avait jamais aimé jusqu’à ce jour. Seuls, des caprices avaient passé dans sa vie, en ne lui laissant qu’un souvenir indifférent, un peu dédaigneux… Car Sari, là encore, avait bien deviné : il méprisait les femmes qui les lui avaient inspirés, il les tenait en marge de sa pensée, où elles n’entraient que lorsqu’il le voulait bien.

Mais il s’agissait d’autre chose, maintenant. Seul en face de lui-même, il devait s’avouer qu’Élys avait produit sur lui une impression profonde, et très nouvelle. Cette beauté, ce charme candide avaient raison de son indifférence, du projet qu’il avait fait de ne pas se marier avant quatre ou cinq ans. Elle valait bien la peine qu’on se mît un peu plus tôt dans les liens de l’hymen, cette délicieuse chanoinesse !

La grande question était l’opposition de la tante. Mais M. de Chancenay jugeait inadmissible que, de son propre chef, Mme de Prexeuil condamnât sa petite-nièce au célibat. Il serait peut-être dur de lui faire changer d’avis ; néanmoins, Ogier se sentait assez de volonté pour y parvenir, surtout si Élys l’aidait, en agissant de son côté sur la vieille dame.

Pour cela, il fallait qu’il se fît aimer. Donc, il devait revoir la jeune fille… Mais comment ? L’accueil de Mme Antoinette avait été vraiment trop froid pour qu’il pût songer à renouveler sa visite. Restait donc à tenter la chance de rencontrer Élys, de temps à autre…

Assis dans un vieux fauteuil recouvert de tapisserie fanée, il songeait ainsi, près d’une porte-fenêtre du petit salon-bibliothèque ouverte sur le jardin. Liaou, le Terre-Neuve, qui s’était glissé par là, demeurait étendu à ses pieds. Un air frais, un peu humide, entrait dans la pièce garnie de solides meubles anciens, de tentures aux nuances passées, de sièges lourds et confortables…

Ce cadre, si différent de ceux auxquels Ogier était accoutumé, apparaissait sous un aspect nouveau, ce soir, au jeune homme qui l’avait jusqu’alors considéré avec indifférence. Dans cette maison, tout aussi bien que dans le somptueux château de Sarjac, demeure patrimoniale des Chancenay, flottait l’ombre des ancêtres, le souvenir des générations éteintes. Ici, l’évocation était plus intime, dans la simplicité noble et paisible de ce logis provincial où Mme de Valheuil avait mené la même vie pieuse et retirée que beaucoup de ses devancières. Car le Pré-Béni avait été plus particulièrement l’abri des veuves, dans la famille de Châtelbray dont la marquise de Chancenay se trouvait maintenant la dernière descendante.

Peut-être, aussi, Ogier voyait-il avec plus d’indulgence le vieux logis parce que, cet après-midi, une petite bouche aux lèvres délicatement pourprées avait dit :

— J’aime beaucoup le Pré-Béni.

Il se leva et se dirigea vers le salon voisin, grande pièce lambrissée où Rosalie avait allumé deux lampes. Près de la fenêtre demeuraient toujours le grand fauteuil de la défunte, sa table à ouvrage en bois de rose, une corbeille d’osier pleine de laine grise et blanche. À droite de la cheminée, l’acajou d’un vieux piano brillait dans la pénombre. Au milieu de la pièce, une table ovale s’allongeait, couverte d’un tapis de velours vert fané. Des livres, des albums de photographies s’y trouvaient, bien rangés… M. de Chancenay s’en approcha machinalement, ouvrit l’un des albums d’une main distraite…

Cette jeune femme à l’air doux et gracieux, c’était Mme de Valheuil. Ogier reconnaissait les traits du portrait à l’huile, œuvre d’un artiste de talent, que lui avait montré Rosalie, hier, dans une chambre du premier étage.

Puis elle encore, vieille dame, cette fois, la mine bienveillante et sereine.

Un peu plus loin, le vicomte de Valheuil, bel homme poseur, qui avait presque ruiné sa femme avant de périr dans un duel.

À côté, leur unique enfant, mort à six ans — inconsolable douleur de la mère, avait dit à Ogier la vieille femme de chambre.

M. de Chancenay tourna une page… Et sa physionomie prit une expression de vif intérêt. Car cette jolie enfant rieuse, aux longues boucles, c’était Élys… Et elle encore, un peu plus loin, jeune fille, sa main sur la grosse tête de Liaou…

Cette petite photographie d’amateur était fort bien faite. Élys avait aux lèvres un gai sourire d’enfant, qui animait aussi les beaux yeux profonds. Ce sourire semblait s’adresser à M. de Chancenay, qui murmura :

— Vous êtes idéale, ma jolie chanoinesse !

Il fit quelques pas à travers la pièce, puis de nouveau revint à l’album ouvert. Longuement, il contempla encore la photographie. Sa physionomie avait en ce moment une expression adoucie, un peu émue, qui ne lui était pas habituelle. L’amour pour cette enfant pure et charmante faisait vibrer une fibre jusqu’alors ignorée de cet homme qui, par la faute de ses éducateurs, était devenu un élégant jouisseur, un insouciant égoïste, mais dont l’âme conservait comme la nostalgie de l’existence utile et noble qui aurait pu être la sienne.

Il songea : « Je vais m’arranger pour rester ici quelque temps… Il faut que je la revoie, absolument ! »