LA PESTE BOVINE





Il y a neuf mois à peine, quand la sécheresse brûlait nos prairies et nos pâturages, quand la plupart des récoltes fourragères paraissaient ne devoir donner qu’un bien maigre produit, on se préoccupait de trouver les moyens de nourrir le bétail. Par un triste retour, la moitié de la France pourrait aujourd’hui se demander où elle prendra des animaux pour faire consommer les herbages que les premiers beaux jours vont faire reverdir. À peine Paris était-il débloqué, à peine avions-nous pu revoir sur notre marché les précieux animaux qui font la base de notre alimentation, que nous pouvions observer l’épizootie la plus meurtrière dont l’espèce bovine puisse être atteinte, épizootie qui a tant de fois porté la désolation dans nos campagnes ; nous apprenions que non-seulement elle détruisait les troupeaux que le gouvernement avait formés pour le ravitaillement, mais encore qu’elle ravageait depuis plusieurs mois nos départemens envahis.

Sans doute, grâce aux besoins que doit faire naître la reprise des affaires commerciales, grâce à la pénurie de chevaux, consommés en si grand nombre pendant la guerre, et aux pertes en bétail occasionnées par l’épizootie, la production, fortement stimulée, se remettra bientôt en équilibre avec la consommation, et deviendra assez active pour que l’on ait plus à se préoccuper des quantités de substances végétales propres à former de la viande que de la quantité des animaux consommateurs ; mais aujourd’hui il importe avant tout d’arrêter la propagation du mal, de préserver les pays non encore atteints, de mettre à l’abri les centres d’élevage devenus plus précieux que jamais. Dans cette circonstance et pour obtenir ce résultat si désirable, le concours des cultivateurs, des propriétaires d’animaux, sera plus efficace que celui des hommes spéciaux : d’eux surtout dépend le succès. Seulement il est à craindre que tous n’y apportent pas le zèle que leur intérêt, autant que l’intérêt général, réclamerait.

Un propriétaire du département de la Vienne, qui est aussi un des savans qui ont le plus contribué à populariser les connaissances physiques, M. Ganot, nous écrit de Charroux, arrondissement de Civray, que la peste bovine se rapproche de sa commune. Dès le mois de janvier, le préfet de la Vienne avait interdit la tenue des foires dans les localités voisines des départemens de l’Indre et de la Charente, où règne l’épizootie ; mais postérieurement, sur la demande du maire et du conseil municipal, la tenue d’une foire dans la commune de Charroux a été autorisée. Depuis, l’épizootie a paru dans l’arrondissement de Châtellerault, et, malgré cette situation critique, plusieurs maires, des propriétaires ruraux eux-mêmes, restent fort tranquilles. Il importe de les tirer de leur funeste apathie, il faut instruire la population, lui rappeler les dangers que court notre richesse agricole, lui indiquer le moyen de conjurer ces dangers.


I. modifier

La peste bovine a reçu différens noms qui tous en dénotent la gravité ; on l’a nommée peste dyssentérique, peste varioleuse, fièvre maligne, fièvre aiguë pestilentielle, fièvre ardente, putride et gangreneuse, typhus contagieux des bêtes à cornes. Ces dénominations caractérisent les formes principales qu’elle revêt : tantôt c’est la dyssenterie qui prédomine, tantôt c’est une éruption à la peau, tantôt ce sont des phénomènes nerveux ataxiques. C’est un médecin français, Guersent, qui l’a appelée typhus contagieux des bêtes à cornes, expression qui a l’inconvénient d’être semblable à celle employée pour désigner certaines maladies de l’homme sans que l’analogie des symptômes et des lésions anatomiques la justifie, et qui d’ailleurs n’a pas été adoptée par les savans étrangers qui ont étudié la maladie. Le nom de peste bovine, Rinderpest en Allemagne, cattleplague en Angleterre, que lui ont donné les premiers observateurs, ne préjugeant rien sur la nature de la maladie, convient d’autant mieux que l’affection qu’elle désigne est, comme la peste de l’homme, originaire de l’Orient, excessivement contagieuse et très grave. Vicq-d’Azyr, qui lui avait conservé la dénomination de peste, maladie pestilentielle, admet qu’elle a de la ressemblance avec la peste de l’homme. Il fait la comparaison des deux maladies. Il remarque notamment que, dans le cas où la peste bovine se manifeste par des boutons à la peau, ces boutons ressemblent aux pustules aplaties signalées dans la peste de Londres en 1664, et qu’un peu de sang dans les matières rendues par l’intestin est un bon pronostic, comme dans la peste de Montpellier. Il disait, après avoir énuméré les principaux symptômes de la peste : « En comparant ces symptômes avec ceux de l’épizootie, on trouvera une analogie parfaite ; les tremblemens, les frissons, la pesanteur de la tête, la difficulté de la respiration, les changemens et l’inconstance des évacuations abdominales, les variations dans les éruptions critiques, offrent la même marche, les mêmes dangers à l’observateur et les mêmes conséquences au praticien. » Les vomissemens sont un des caractères de la peste de l’homme. Le bœuf ne vomit pas, c’est une conséquence de son organisation ; mais n’y a-t-il pas chez ceux qui sont affectés de l’épizootie des envies de vomir ? C’est ce que nous nous demandions en analysant les mouvemens de l’encolure et de la tête chez quelques animaux au marché de La Villette. Ce serait une ressemblance de plus entre la peste bovine et la peste de l’homme. Du reste Vicq-d’Azyr avait observé chez les animaux malades de petites convulsions, surtout au cou.

Jusqu’à ces derniers temps, on s’était persuadé que la peste bovine n’attaquait que les individus de l’espèce bovine. Cependant Sauvages avait remarqué l’épizootie de 1745 sur la chèvre et le mouton dans le Vivarais ; Grognier la signale sur la chèvre dans le Mont-d’Or lyonnais en 1814, et d’autres auteurs sur le mouton dans la Bresse et la Franche-Comté à la même époque. Néanmoins ces faits n’étaient pas considérés comme authentiques, car des essais d’inoculation et des essais de transmission par cohabitation avaient échoué. Des observations précises faites en Bohême en 1859 par Maresch, en Hongrie dans l’année 1861 par Galembéos sur des moutons, en Russie par Jessen en 1864 sur des chèvres, et surtout celles faites en 1866 au Jardin d’acclimatation de Paris, ont tranché définitivement la question. Des gazelles qui avaient été achetées en Angleterre importèrent la peste bovine dans cet établissement ; elles succombèrent à la maladie, qui se communiqua au zébu (Bos indicus), au yack (Bos grunniens), à l’auroch (Bos bosanus), à l’antilope, à la gazelle commune, à la biche, au cerf, au chevrotin, à plusieurs variétés de chèvres et au pécari. En 1864 et en 1866, M. Lemaître, attaché comme vétérinaire à la compagnie du canal de Suez, l’avait observée en Égypte sur des moutons et sur des chèvres, sur des chameaux et sur des buffles. En 1871, elle attaque des moutons en France. Il est donc démontré aujourd’hui que la peste bovine peut sévir sur diverses espèces de ruminans ; mais ce sont les espèces du genre bœuf qui la contractent le plus facilement. Il faut même, pour qu’elle attaque d’autres animaux, des conditions que l’on ignore, et que l’on ne fait pas naître à volonté. « J’ai inoculé, disait Da-Olmi au commencement de ce siècle, des brebis, des moutons, des agneaux, des chèvres, sur différens endroits du corps avec le virus morbifique des bestiaux les plus malades, et qui ont péri ensuite, mais toujours sans aucun résultat. On avait fait l’essai en Allemagne d’inoculer les cerfs et les biches avec la matière épizootique la plus virulente, sans qu’il en soit arrivé le moindre accident[1]. »

La peste bovine n’a pas de prise sur l’espèce humaine. Malgré les innombrables occasions d’inoculation qui se sont présentées, quoique l’homme ait été bien des fois l’agent de transmission entre des animaux affectés et des animaux sains, quoiqu’il se soit nourri de la viande des bêtes malades, et dans bien des cas-même de celle des bêtes mortes de l’épizootie, il ne l’a jamais contractée. Une émotion assez vive s’était produite en Angleterre pendant l’épizootie de 1866. Un jeune vétérinaire mourut peu de jours après avoir fait l’autopsie d’une vache qu’on venait d’abattre. On répandit le bruit qu’il s’était inoculé la cattleplague. L’autopsie fut faite en présence d’un jury, qui déclara que la mort avait été occasionnée par l’absorption d’un virus inoculé pendant l’autopsie d’une vache atteinte de la cattleplague. Cette déclaration, faite sous l’impression d’une mort prompte et prématurée, devant un cadavre en décomposition, fut discutée, combattue avec raison, et reconnue erronée, non-seulement en s’appuyant sur l’absence complète de faits de contagion de la maladie à l’homme dans tous les temps et dans tous les pays, mais aussi par l’examen attentif des causes du triste événement qui lui avait donné lieu. Se produira-t-il pour l’homme quelque chose de semblable à ce que nous avons observé sur le mouton, la chèvre, la biche, etc., animaux qu’on avait considérés jusqu’à ces dernières années comme ne pouvant pas la contracter, et qui de nos jours en ont été affectés ? Rien n’autorise à répondre à cette question d’une manière affirmative ; mais il n’en est pas moins prudent d’agir avec précaution, de ne point manier les matières infectes quand on a des plaies aux mains, et de faire éprouver une cuisson complète à la viande qui provient d’animaux malades avant de s’en nourrir, quoique, ainsi que nous le verrons, il ait été fait et il soit fait encore de nos jours une très grande consommation de cet aliment sans le moindre accident.

Ce que nous allons dire de l’épizootie se rapportera exclusivement à la maladie observée sur le bœuf ordinaire, bœuf domestique. C’est lui qui en souffre le plus, chez lequel la maladie s’est toujours développée spontanément, et qui, à toutes les invasions du mal dans nos contrées, en a été le principal propagateur. Tous les hommes qui ont étudié la peste bovine ont reconnu qu’elle ne doit pas être attribuée aux causes qui produisent ordinairement les maladies sur les animaux dans nos pays. Comment, se demandait Vicq-d’Azyr, la même maladie se déclarerait-elle en même temps, avec une intensité marquée dans les symptômes, avec une terminaison semblable dans la crise, avec les mêmes dangers et les mêmes phases, non-seulement en France dans les provinces méridionales et dans les généralités d’Amiens, de Soissons, de Flandre et de Champagne, mais encore en Hollande, en Danemark, en Islande et en Norvège, et comment se serait-elle montrée toujours la même dans des circonstances si différentes, si elle dépendait uniquement de changemens opérés dans les choses naturelles, et si un virus bien décidé n’en était pas le véhicule et le ferment ? Da-Olmi pensait aussi que l’épizootie n’est due ni à la constitution des animaux de nos pays, ni à leur nourriture, ni à l’atmosphère, que les météores et les saisons peuvent bien influer sur la marche rétrograde ou progressive de l’épizootie, mais ne peuvent en être considérés comme la cause primitive.

On ignore quel principe la fait se développer là où elle vient spontanément, là où elle est à l’état enzootique ; ce qu’on sait très bien, c’est que dans nos contrées elle est constamment produite par la contagion. Ce caractère n’avait pas échappé aux deux médecins qui l’ont observée les premiers dans les temps modernes. Ramazzini et Lancisi, qui l’ont étudiée en Italie, disaient : le premier, que, quel que soit le germe de cet affreux fléau, il ne peut pas y avoir de doute sur sa nature virulente, — le second, qu’elle est due au transport des germes d’un individu malade à un individu sain, et que c’est à cette seule communication qu’il faut s’en prendre pour en arrêter les progrès. Vicq-d’Azyr, Paulet, Buniva, professaient les mêmes doctrines ; mais Huzard, Rodet, Hurtrel d’Arboval, Delafond, ont soutenu « qu’elle peut naître spontanément sur les bêtes à cornes dans toutes les contrées lorsqu’elles sont exposées aux causes qui en suscitent le développement sur les bœufs hongrois. »

Ce qui a fait émettre cette dernière opinion, c’est d’abord qu’on a quelquefois pris pour la peste bovine des affections très graves, la fièvre charbonneuse par exemple, qui se déclare assez souvent sous forme épizootique chez les bestiaux mal nourris, exténués de fatigue et réunis en grand nombre dans des lieux malsains ; c’est ensuite qu’il n’a pas toujours été possible de constater par quelle voie ni de quelle manière s’était effectuée la contagion ; c’est en troisième lieu parce qu’on a pu remarquer quelquefois qu’elle ne sévissait pas en Hongrie, province qui a été longtemps considérée comme étant le lieu de son origine, alors qu’elle sévissait dans les états de l’Europe occidentale.

Déjà en 1808, Da-Olmi écrivait que, lorsqu’elle fit tant de ravages en Europe, dans les premières années du xviiie siècle, elle avait pris naissance en Perse, et dans ces derniers temps les recherches des vétérinaires russes et allemands nous ont appris que ce sont les steppes de la Russie, en Europe ou en Asie, qui la font se développer. Au point de vue de son origine, elle n’est pas sans analogie avec les grandes épidémies qui déciment l’espèce humaine. Elle naît dans les plaines baignées par le Dniester, le Dnieper, le Don, comme naissent la fièvre jaune sur le Mississipi, le choléra sur les bords du Gange et la peste sur le Nil ; si elle règne plus souvent en Hongrie que dans l’Europe occidentale, c’est que ce pays est plus rapproché des steppes où elle se produit, c’est que les bêtes à cornes conduites de la Russie en Autriche, en Italie, dans la Dalmatie, le traversent. Ces données doivent nous guider dans le choix dès moyens qu’il faut employer pour combattre la peste bovine. C’est en raison de cette considération que la question de son origine et de ses pérégrinations est intéressante, non-seulement au point de vue historique, mais au point de vue de l’utilité pratique.

Les auteurs qui nient l’origine exotique exclusive de l’épizootie reconnaissent eux-mêmes qu’elle se développe rarement dans nos pays. Après avoir fait remarquer que la guerre de sept ans nous avait valu l’épizootie de 1774, que la guerre de la France contre la Prusse en 1807 fut la cause de l’épizootie qui ravagea pendant deux ans une partie de l’Allemagne, que l’armée prussienne la porta en France en 1814, que les guerres de la Russie contre la Turquie la portèrent en 1826 et 1827 dans la Moldavie et la Valachie, Delafond ajoute : « il est donc incontestable que le typhus accompagne toujours les grandes années, qu’il marche à la suite des approvisionnemens, qu’il est toujours parvenu en France par l’Allemagne, la Hollande, là Belgique, l’Italie, pays qui ont été de tout temps le théâtre où se battaient des armées approvisionnées par des bestiaux venus des bords du Danube, de la Hongrie, de la Dalmatie… À Dieu ne plaise que nous ayons la guerre, car, si malheureusement notre pays était un jour envahi par les peuples allemands, prussiens, russes ou hollandais, à cette calamité viendrait bientôt s’en joindre une autre : le typhus contagieux sur notre gros bétail. » Le siège de Paris a permis encore d’affirmer qu’il ne peut se développer dans nos pays par suite des mauvaises conditions hygiéniques. Ainsi que le faisait remarquer M. Bouley à l’Académie de Médecine, nous avons eu pendant les dernières chaleurs de l’été de grands troupeaux de bœufs placés dans de très mauvaises conditions hygiéniques. Cependant aucun n’a présenté les signes de la peste bovine, tandis qu’aussitôt après l’arrivée des approvisionnemens le fléau s’est montré non-seulement sur les bœufs des parcs de ravitaillement, qui avaient souffert, mais encore dans les vacheries, où les animaux étaient très bien soignés.

La peste bovine est excessivement contagieuse. Si elle ne peut se développer spontanément dans l’Europe occidentale, elle s’y propage par contagion avec une désespérante rapidité. Toutes les parties d’un animal malade ou de son cadavre, les solides, la chair, le cuir, le suif, les intestins et les matières qu’ils renferment, comme les liquides, le sang, la salive, le mucus, la transmettent. Les chiens, les chats, les oiseaux, l’ont plusieurs fois transportée d’un village dans un autre et d’une ferme dans la ferme voisine ; mais ce sont les bêtes à cornes qui la propagent le plus souvent. Des vaches, des bœufs qui n’en sont pas infectés, qui peut-être ne la contracteront pas, peuvent la communiquer. C’est ainsi que par les foires et les marchés l’épizootie envahit rapidement des contrées entières : — le commerce des maquignons est toujours très-nuisible quand il règne des maladies contagieuses sur le bétail. Les valets- de ferme, les mendians, ont été signalés comme une cause de dissémination du mal, et bien des fois des empiriques, qui avaient pour mission de le traiter et d’en préserver les animaux, l’ont, par leur négligence et leur incurie, porté d’une étable à une autre. Ceux qui sont chargés de visiter les étables ne sauraient prendre trop de précautions pour ne point porter, par leurs vêtemens par exemple, les germes du mal dans les lieux où se trouvent ou peuvent se trouver des bêtes indemnes. La rapidité de la contagion dans les contrées que la peste bovine envahit s’explique par la subtilité de ses germes, qui se fixent à tous les corps en rapport médiat ou immédiat avec les animaux malades. Les harnais, les fourrages, les crèches, les murs des. étables, le fumier, peuvent en être des agens propagateurs. L’air atmosphérique peut la transporter à d’assez grandes distances : on a vu des bestiaux infectés par des animaux d’un autre pâturage sans qu’il y eût eu contact. Le simple passage de bœufs malades dans un chemin peut la communiquer à des bœufs qui sont à proximité de ce chemin, à plus forte raison à des bœufs qui, même un temps assez long après, suivraient la même route. Par leurs expériences sur l’inoculation de la peste bovine, les vétérinaires russes ont pu constater que le germe de cette maladie se conserve dans les étables pendant trente-deux jours malgré les ; grands froids. == II. ==

La connaissance de l’histoire de la peste bovine est plus nécessaire pour combattre ce fléau que la notion de ce que la médecine nous apprend sur la nature, le traitement et même sur les modes de manifestation de la maladie ; mais cette histoire ne remonte pas très haut dans le passé. Pour affirmer que telle ou telle épizootie qui a régné à une époque éloignée était, bien la peste bovine, il faudrait avoir sur l’origine de cette épizootie et les contrées qu’elle a envahies, sur ses symptômes et ses lésions cadavériques, des détails que les anciens auteurs négligent quand ils mentionnent les maladies des bestiaux. C’est seulement lors de l’épizootie qui sévit en Europe au commencement du xviiie siècle que furent données avec précision des indications pouvant faire connaître l’origine, les causes de la propagation, et les caractères du mal. À cette époque, elle fit éprouver à l’Italie et à plusieurs autres états des pertes considérables. Deux grands médecins italiens nous en ont laissé la description. D’après Ramazzini, qui la comparait à la petite vérole, et l’appelait variole du bœuf, presque tous les malades avaient une éruption à la peau et en mouraient. Lancisi la considérait comme une peste, ainsi que l’indique le titre de son ouvrage : De peste bovilla. Les caractères de cette maladie, selon lui, rentrent à peu près dans la définition donnée de la peste par Hippocrate : maladie suraiguë, subite, très grave, très contagieuse, qui affecte beaucoup d’individus en fort peu de temps. Comme symptômes, il signale une grande agitation ; des mouvemens violens précèdent la tristesse, des grincemens de dents, des frissons, un écoulement abondant par les naseaux, ce qui faisait appeler la maladie peste morveuse ; une respiration difficile, plaintive, l’air expiré fétide ; la perte de l’appétit, des vésicules dans la bouche, des nausées, la dyssenterie, une grande faiblesse. À l’autopsie, il trouvait des ulcères à la bouche et à l’œsophage, le foie malade, les intestins sphacélés, et le troisième estomac rempli d’alimens secs. Convaincu que la maladie ne se produit que par la contagion, il prescrivit ou fit prescrire la suspension des foires et des marchés, la séquestration des malades, l’interdiction absolue des pays sains aux personnes habitant les pays infectés, l’abatage des chiens errans ; il fit défendre aux maquignons de continuer leur industrie, qui consiste en achats à vil prix d’animaux qui ont été exposés à la contagion pour les revendre ailleurs ; il interdit la vente des cuirs frais et imposa l’obligation d’enterrer dans des fosses profondes les cadavres des animaux, que des cultivateurs ignorans et apathiques jetaient dans le Tibre. — Convaincu aussi que les remèdes étaient inefficaces, il conseillait l’abatage des animaux à la première atteinte du mal, et loue le pape Clément XI, dont il était le médecin, au sujet des indemnités accordées par ce pontife aux cultivateurs qui avaient éprouvé des pertes par suite de l’épizootie. Il ne négligea point de s’occuper du repeuplement du pays en bétail, fit défendre de tuer les veaux pour la boucherie, et recommanda l’importation dans la plaine du bétail sain des montagnes, qu’il faisait soumettre à une quarantaine. Combien de millions anéantis par les ravages de la peste bovine eussent pu être conservés à l’Europe occidentale, si les conseils de Lancisi avaient toujours été suivis !

Ces deux médecins indiquent à peu près de la même manière comment se fit l’importation de la peste bovine en Italie. Le commerce ayant introduit, comme d’habitude, des rives orientales de l’Adriatique dans la Vénétie et le Milanais des bœufs de la Hongrie, un de ces animaux fut perdu, abandonné dans la campagne. Conduit par un domestique dans une ferme du comte Borromée, il communiqua la maladie aux animaux de l’exploitation, qui en moururent tous, à l’exception d’un seul. Du territoire de Padoue, où se trouvait ce domaine, la maladie envahit tout le Milanais, le duché de Ferrare, la campagne de Rome, le royaume de Naples. D’après le comte Borromée, on ne pouvait en expliquer la propagation par le déplacement des animaux ; mais Lancisi combattit cette opinion en citant des faits observés dans les cas de peste de l’homme, et même des faits constatés sur les bestiaux, en prouvant que la contagion peut s’opérer par l’intermédiaire des hommes, des chiens, des oiseaux, même de corps inanimés, des étoffes, des fourrages, etc. Vallisneri avait de son côté publié des faits ayant la même signification. La maladie régna longtemps en Italie, mais il est difficile d’admettre que ce fut par suite de la même infection. Il est plus probable qu’elle y était de temps en temps importée. Ce qui le fait supposer, c’est que les Italiens voulurent cesser le commerce auquel ils croyaient devoir en attribuer l’introduction. « Les villes de Venise et de Padoue, dit Paulet, qui depuis un temps immémorial tiraient leurs bœufs de la Hongrie et de la Dalmatie pour leurs usages ordinaires, ont été si souvent exposées aux dangers qui résultent d’un pareil commerce, qu’elles ont été obligées enfin d’y renoncer entièrement[2]. » Les guerres que nous avons eu à soutenir vers nos frontières du nord et de l’est ont toujours amené la peste bovine. Les armées que nous combattions, approvisionnées par du bétail venu des bords du Danube, nous importaient la maladie ; mais, si les guerres la transportent à de grandes distances ; d’Orient en Occident, ce sont les relations commerciales qui le plus souvent la propagent d’un état à l’état voisin, d’un département à un autre. Ainsi l’épizootie de 1711 se communiqua de l’Italie à la Sardaigne et au Piémont, et s’étendit dans la Suisse, le Tyrol, l’Allemagne, l’Alsace, la Flandre, l’Artois, la Belgique et la Hollande, qui perdit 200,000 têtes de bétail. De la Hollande, le commerce l’importa en Angleterre en 1713 ; mais, mettant à profit les observations faites dans les autres états, les Anglais s’en débarrassèrent en peu de temps. En France, elle se propagea dans l’est, le Soissonnais, la Champagne et la Franche-Comté ; elle y avait été importée aussi du côté du Dauphiné. Elle sévit à cette époque pendant six ou sept ans dans divers états de l’Europe occidentale, et on a pu évaluer à 30 millions de livres les pertes qu’elle y occasionna. Elle s’était étendue d’un autre côté de la Hongrie en suivant les rives du Danube vers l’Allemagne. D’après Scroëkius, elle occasionna les plus grands dommages dans le territoire d’Augsbourg. Des déjections alvines sanguinolentes furent un des principaux caractères de la maladie. De là le nom de dyssenterie maligne que lui avait donné ce médecin. La Société des médecins de Genève, qui l’étudia particulièrement dans la Suisse méridionale et occidentale, lui conservait la dénomination de petite vérole, que Ramazzini avait employée. Après avoir essayé sans succès plusieurs méthodes de traitement, ils eurent recours au moyen extrême proposé par Lancisi, l’abatage. C’est à l’occasion de cette épizootie que la Faculté de médecine de Paris désapprouva publiquement des écrits publiés sur cette maladie ; elle voulut, par une sentence rendue publique en 1714, éclairer la population sur la prétendue valeur curative attribuera quelques médicamens.

Vingt-cinq ans plus tard, l’Europe, la France en particulier, subissait une autre forte attaque de la peste bovine. On désigne cette épizootie par le millésime 1740, comme on désigne celle dont nous venons de parler par le millésime 1711. On l’a considérée pendant longtemps comme ayant pris naissance en Bohême ou dans la Hongrie ; mais on sait aujourd’hui qu’elle provenait des steppes, et n’avait été qu’importée en Bohême. Elle sévissait dans les environs ; de Prague pendant le siège de cette ville en 1741-1742. De là, elle aurait été introduite en Occident par l’armée française. D’autre part, il est reconnu que des steppes, lieu de son origine, elle s’avança du côté du nord par la Pologne, la Courlande, la Poméranie, etc., et du côté du sud par la Moravie, la Dalmatie, l’Autriche et l’Italie. L’Europe entière eut à en souffrir. Elle pénétra de la Hollande en Angleterre par deux veaux importés dans les environs de Londres pour améliorer les races indigènes. On raconte qu’un tanneur contribua aussi à l’infection de ce pays en faisant venir clandestinement des cuirs frais de la Zélande. « C’est ainsi, dit à cette occasion Layard, qu’un homme, pour réaliser un gain illicite, peut entraîner la ruine de l’agriculture d’un pays. » Moins bien inspirés qu’en 1714, les Anglais essayèrent de traiter les malades, et, malgré les moyens méthodiques employés pour guérir, on n’arriva qu’à laisser se développer l’épizootie, qui régna pendant dix ou douze ans, et fit périr 3 millions d’animaux.

Pendant cette longue épizootie, qui fit de si grands ravages, la peste bovine a été étudiée par des médecins de premier mérite. Sauvages l’observa dans le Vivarais et le Languedoc, Raudot dans la Bourgogne, Le Clerc en Hollande, Layard en Angleterre. Les environs de Paris en fuient longtemps préservés ; mais elle y fut apportée par des marchands de vaches, et envahit en peu de temps toutes les vacheries de la ville. La ; faculté de médecine fut consultée par l’édilité parisienne. Le doyen d’abord, M. de l’Épine, puis Chomel, Cochu, Bouvard, Lemoine, Procope, etc., cherchèrent à la guérir. « Jamais, dit un médecin de l’époque, on n’avait fait tant d’honneur à des animaux. » Il eût été difficile en effet de les mettre en des mains plus habiles. Les malades furent soumis aux traitemens que l’on croyait les plus méthodiques, les plus propres à débarrasser les organes digestifs, à calmer l’irritation nerveuse, à exciter les forces, à dériver le mal vers l’extérieur du corps. En outre on essaya les moyens empiriques les plus variés : les mercuriaux, le sang de bouquetin, etc. Quelques malades furent saignés jusqu’à la syncope, d’autres enterrés dans le fumier, plusieurs exposés à l’air frais pendant la nuit. Le parlement de Rouen, par un arrêt du 13 mars 1745, recommanda un masticatoire qui, disait-on, avait été employé avec succès. Tout fut inefficace. La faculté de médecine de Montpellier publia une instruction destinée à éclairer les cultivateurs. Les moyens hygiéniques, l’isolement, la désinfection par des fumigations, y tiennent plus de place que le traitement curatif, qui sauvait à peine un malade sur vingt. La description de la maladie fut faite avec soin. D’après Sauvages, on pouvait entendre le bruit de la respiration à vingt pas, et en effet les médecins de Paris considéraient l’accélération des mouvemens du cœur comme un signe précurseur. On signale encore un écoulement par la vulve. Les larmes creusaient un sillon à la peau en coulant sur le chanfrein. Le marquis de Courtivron fit dans la Bourgogne des expériences fort instructives sur la contagion et sur l’inoculation. Il rapporte des faits d’un grand intérêt sur lesquels nous reviendrons, et qui prouvent que les cultivateurs peuvent, par un isolement complet et bien surveillé, préserver leurs animaux là même où la maladie sévit avec le plus d’intensité. À propos de cette épizootie, il fut publié plusieurs mesures législatives. Les arrêts du conseil du 24 mais 1745 et du 19 juillet 1746 constituent une législation complète de police sanitaire.

D’après quelques auteurs, la maladie qui au commencement du xviiie siècle avait fait périr un si grand nombre de bêtes à cornes, et qui est désignée particulièrement par le millésime 1711, aurait continué ses ravages jusqu’en 1770 avec des interruptions. On supposait, pour expliquer pourquoi à certaines époques on perdait peu de bétail, qu’elle devenait bénigne en s’acclimatant. C’est ce que font en général les maladies contagieuses ; mais quand de 1771 à 1775 on put l’observer avec ses caractères propres, on comprit qu’elle avait réellement cessé de sévir du moins en France pendant deux longues périodes. Vicq-d’Azyr, qui a été l’historien de cette épizootie, nous a transmis des renseignemens précieux sur la panière dont elle s’était propagée. — De l’Italie, où elle avait été introduite en 1771 par du bétail venu de la Hongrie, elle, gagna les autres états de l’Europe, et la France d’abord par les frontières du nord. Elle ne pénétra dans le midi qu’en 1774 avec des cuirs venus de la Zélande. Des bœufs de la paroisse de Villefranche la contractèrent en portant des peaux suspectes de Bayonne à une tannerie d’Asparen, et la communiquèrent aux animaux des métairies du voisinage. Quelque temps après, deux paroisses étaient infectées, et le commerce des maquignons la transporta en peu de temps dans des lieux très éloignés. Elle envahit le Béarn, le pays basque, les montagnes de la Navarre. Le Bigorre, l’Armagnac, furent bientôt également infectés. Du bassin de l’Adour, elle s’étendit dans l’Agenais et vers Toulouse par l’Isle-Gourdain d’un côté, et dans le Bordelais, le Médoc, la Saintonge, le Périgord de l’autre. Le Bas-Languedoc, le Quercy et l’Auvergne ne furent pas épargnés. Peu d’épizooties ont fait autant de ravages. Plusieurs hommes célèbres, Vicq-d’Azyr ot Bourgelat en France, Camper en Hollande, Haller en Suisse, mirent le plus grand dévoûment à la combattre. Elle fit éprouver des pertes énormes aux cultivateurs du midi de la France ; peu de contrées en ont plus souffert, ce qui s’explique par le nombre considérable de bêtes à cornes qu’on y entretient. Elle devenait cependant de moins en moins meurtrière ; après quelques mois d’existence dans un pays, elle n’enlevait que la moitié des malades, puis le tiers et enfin le quart. Vicq-d’Azyr fit deux voyages dans le midi pour l’étudier, en 1774 et en 1775. À son dernier voyage, il trouva que la maladie, partout où elle avait vieilli, « avait beaucoup perdu de sa férocité. » La marche en était moins rapide, les symptômes en étaient moins effrayans et les victimes moins nombreuses. Dans ces circonstances, le gouvernement ordonna la publication des Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques de Paulet, ouvrage fort remarquable et fort utile par sa consciencieuse érudition.

Vicq-d’Azyr publia plusieurs instructions relatives au traitement curatif et préservatif de la maladie, à l’emploi des mesures administratives, à la police sanitaire. Après de grandes recherches et de nombreuses expériences sur le traitement, il reconnut que l’abatage est le seul moyen d’anéantir le mal ; mais, à cause de l’extension qu’avait acquise le fléau, du nombre considérable d’animaux atteints, cette mesure offrait les plus grandes difficultés. Plusieurs arrêts furent publiés, les uns prescrivant l’abatage des animaux malades, d’autres accordant des gratifications à ceux qui introduisaient des chevaux et des mulets dans les pays ravagés par l’épizootie.

Mais de toutes les pièces publiées à cette occasion, aucune ne mérite plus d’être conservée, ainsi que le dit Vicq-d’Azyr lui-même, que là lettre pastorale de M. de Brienne, archevêque de Toulouse. Après avoir recommandé l’emploi des mesures prescrites par les autorités et avoir engagé les curés à user de leur influence pour les faire soigneusement pratiquer, le digne prélat ajoute : « en excitant vos paroissiens à obtenir du ciel les salutaires effets de sa miséricorde, je ne doute pas que vous ne soyez attentifs à les éloigner de ces pratiques superstitieuses auxquelles le peuple, dans de semblables occasions, n’est que trop porté à avoir recours. Quelques-uns, pour obtenir une bénédiction qu’ils ne craignent pas souvent de confondre avec des remèdes humains, exposeraient, par des sorties indiscrètes ou par la seule réunion, leurs bestiaux à la contagion ; d’autres, contens de l’avoir, négligeraient tous les préservatifs qui leur sont offerts et manqueraient ainsi à la Providence, qui n’aide l’homme qu’autant qu’il s’aide lui-même par son travail et par son industrie ; il faudrait à d’autres des processions, des pèlerinages qui, les détournant des soins de leurs ménages et de leurs occupations habituelles, ajouteraient encore à leur misère, et les exposeraient à rapporter la contagion des lieux qu’ils auraient fréquentés pour s’en garantir. »

L’étude des épizooties contemporaines (quelques-unes ont régné sous nos yeux) confirme les conséquences qui résultent de cette revue historique. Elle démontre que la peste bovine a son origine dans des contrées lointaines, et que nous n’en éprouvons les effets que lorsqu’elle nous est importée par la guerre ou par le commerce. À la fin du siècle dernier, les premières armées dirigées contre la France par l’Autriche nous apportèrent le terrible fléau. Il exerça aussi de grands ravages en Italie. Buniva estime qu’il a détruit près de 4 millions de bêtes. C’est d’après quelques observations faites en Piémont qu’il insista sur les inconvéniens des lazarets dans lesquels on voulait, non pas seulement mettre des animaux en quarantaine pour les observer, mais réunir des malades pour les traiter. Les troupeaux d’approvisionnement de nos armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse en souffrirent ; néanmoins, d’après les descriptions qui nous ont été données de l’état de ces troupeaux, nous pouvons croire qu’il y régnait en même temps que la peste bovine une affection charbonneuse. Elle sévit dans l’Alsace, la Lorraine et les Vosges. Cependant les pertes éprouvées alors par l’agriculture française furent assez minimes, en comparaison surtout de celles qui furent la conséquence des invasions de 1814 et 1815. À cette dernière époque, la peste bovine, traînée à la suite des armées coalisées, fit de grands ravages dans les provinces de l’est et du nord de la France jusqu’à la Loire. Plusieurs vétérinaires nous en ont laissé des monographies. Comme aux autres époques, elle avait été importée par des bœufs hongrois, et parmi les personnes encore vivantes il y en a qui ont gardé le souvenir de ces animaux, remarquables par leurs longues cornes.

Depuis lors, nous avions été préservés de l’épizootie, quoiqu’elle ait sévi fortement en Orient pendant la guerre entre la Russie et la Turquie, et en Allemagne en 1845 ; en 1865 encore, elle a fait éprouver des pertes considérables à l’Angleterre. Elle y avait été importée par le commerce, et fut introduite sur le continent par des vaches expédiées de la Hollande à Londres qui, n’ayant pas été vendues, furent rapatriées dans les herbages de Rotterdam après avoir séjourné trois jours dans le voisinage de la métropole britannique. De Londres, elle s’étendit rapidement dans tous les comtés de l’Angleterre, et des environs de Rotterdam, dans la Hollande et dans les contrées voisines ; mais, bien qu’introduite plusieurs fois en Belgique, elle ne put s’y répandre : des mesures rigoureuses la limitèrent toujours aux localités où elle s’était déclarée d’abord. Il en fut de même en Suisse et en France : de légers sacrifices suffirent pour fin détruire les germes dans les villages des départemens du Nord et du Pas-de-Calais, où des vaches venues de la Belgique ou de la Hollande l’avaient importée. Il faut arriver aux néfastes années de 1870 et 1871 pour trouver quelque chose de comparable aux désastres de 1712, de 1745, de 1775 et de 1815. Comment la peste bovine a-t-elle été introduite et quelle marche a-t-elle suivie ? Importée par l’armée prussienne, elle a envahi les départemens ravagés par cette armée. Nous n’avons donc pas besoin de tracer son itinéraire. Nous dirons seulement que les états voisins n’en ont pas été préservés, mais que là où l’on était libre de ses mouvemens on l’a fait disparaître en peu de temps et sans pertes considérables par l’abatage des animaux malades et des animaux suspects. En France au contraire, elle s’est étendue des localités où les armées ennemies l’avaient introduite, par le commerce et par la nécessité de subvenir aux besoins de nos troupes, jusqu’à l’extrémité ouest de la Bretagne et dans le centre bien au-delà des pays envahis. Les grandes préoccupations du moment, la substitution des autorités prussiennes aux autorités nationales, le désordre administratif qu’entraînaient les pressans besoins de la défense, n’expliquent que trop le peu d’efficacité des moyens employés pour la combattre, et la facilité avec laquelle elle a infecté nos provinces de l’est, du nord et de l’ouest.


III. modifier

Les premiers symptômes de la peste bovine se montrent de quatre à quinze jours après que les animaux ont absorbé le germe de la maladie. Des expériences sur l’inoculation ont permis de déterminer la durée de l’incubation ; elle est le plus souvent de quatre à huit jours, mais quelquefois de dix à douze, et rarement de quatorze à vingt. La durée de dix jours proposée par le congrès vétérinaire de Vienne en 1865, et par celui de Zurich en 1867 pour les quarantaines, est trop courte ; elle exposerait à des accidens. — Ce n’est pas à un ou deux signes caractéristiques, c’est à un ensemble de signes qu’on reconnaît la peste bovine. Dès les premières atteintes du mal, la température du corps s’élève ; un ou deux jours après ce phénomène observé par le professeur Gamgel, les animaux sont tristes, indifférens à ce qui les entoure. Leur aspect frappe l’observateur : ils ont la tête basse, tendue, le des est voûté, les quatre membres sont rapprochés ; on remarque des frissons, des tremblemens dans les parties charnues, un trémoussement des chairs, et à la tête et à l’encolure des mouvemens qui rappellent ceux qui se produisent dans les envies de vomir. La sensibilité de l’épine, qui se montre lorsqu’on la presse même légèrement, est grande surtout vers le garrot et vers le train postérieur ; le bassin s’abaisse rapidement quand on le comprime, et la poitrine se relève quand on presse la région xyphoïdienne. Le corps est tantôt froid, tantôt chaud ; mais, avec les progrès du mal, il se refroidit sur le dos. Le dessus du corps est emphysémateux, crépitant, si on le presse ; les oreilles et les cornes sont froides. Les malades perdent l’appétit et ruminent irrégulièrement. Il arrive quelquefois qu’ils sont d’abord constipés ; mais la constipation est bientôt remplacée par la diarrhée, par la dyssenterie. Les matières fluides, quelquefois sanguinolentes, sont fétides ; la circulation se trouble, la respiration s’accélère graduellement, elle devient bruyante et les mouvemens du flanc sont fréquens et saccadés. Des vésicules apparaissent sur toutes les parties de la membrane buccale, et des ulcères leur succèdent ; une bave écumeuse s’écoule de la bouche en filamens gluans, les yeux sont ternes et deviennent enfoncés, ils laissent ou non couler des larmes. Dans les femelles, il y a diminution du lait, et il tarit presque complètement dès le troisième ou le quatrième jour. Les membranes muqueuses apparentes sont d’un rouge acajou avec des points plus foncés. Vers la fin de la vie, le pouls est irrégulier, et les battemens du cœur sont inégaux. Les animaux sont très faibles ; s’ils veulent se coucher, ils tombent comme des masses. Le corps est froid, et la sensibilité nulle : ils ne témoignent aucune douleur quand le boucher, pour les saigner, leur coupe la gorge ou leur ouvre la poitrine.

Dans quelques épizooties, la maladie s’annonce par plus de vigueur, par de la gaîté. Les bœufs exécutent parfois des mouvemens désordonnés, que dans ma jeunesse j’ai entendu rappeler par des habitans du midi, qui en avaient été frappés en 1776. Assez souvent, on a remarqué à la peau une éruption de boutons aplatis ou de petites tumeurs. Lorsque ce symptôme ne se montre que sur quelques malades, qu’il ne forme pas le caractère principal de la maladie, il est indiqué par les auteurs comme un présage de guérison : c’est une crise heureuse. Alors les yeux sont vifs, les oreilles dressées, et l’appétit se maintient ou reparaît.

Les lésions cadavériques les plus fréquentes sont la rougeur briquetée ou acajou, avec des points ou des plaques plus foncés, des membranes muqueuses ; dans le tube digestif, la couche épidermique est détachée ou peu adhérente, des ulcérations se voient sur des surfaces plus ou moins étendues, principalement à la bouche et dans le quatrième estomac. Les follicules isolées de l’intestin sont gonflées, et les plaques de Peyer, nues ou couvertes de mucosités, sont plus visibles que dans l’état normal ; les ulcérations sont très dissemblables, quelques-unes sont taillées à pic, régulières ou irrégulières, visibles ou recouvertes de fausses membranes. L’intérieur du cœur et des vaisseaux sanguins est rouge, ecchymose même ; le poumon est emphysémateux. On a quelquefois remarqué le gonflement et le ramollissement du foie et de la rate. D’autres fois, ces organes ne sont pas sensiblement altérés ; la vésicule biliaire est pleine. Les muscles contiennent plus d’albumine soluble que dans l’état de santé, le sang plus de fibrine et moins d’eau, l’urine est albumineuse. — Des corpuscules fusiformes, des organites selon les uns, des organismes végétaux simples, sporophytes, selon les autres, se trouvent souvent, sinon toujours, dans la substance musculaire. — On ignore encore la nature de ces corpuscules et le rôle qu’ils jouent dans la peste bovine. La question est à l’étude. Quand l’épizootie est à sa période de début dans un pays, le mal a une marche très rapide. Si les animaux sont dans de mauvaises conditions de santé alors qu’ils sont exposés au principe contagieux, ils périssent après vingt-quatre ou quarante-huit heures de maladie ; si au contraire ils sont en bon état, ils vivent quatre, cinq jours, souvent sept ou huit ; c’est la durée la plus ordinaire de la maladie. Quant à la persistance de l’épizootie dans une localité, elle dépend des soins avec lesquels on la combat. Dans un mémoire couronné par la Société d’agriculture de Paris, le 16 mai 1765, Barberet faisait remarquer que, durant l’épizootie qui a régné de 1740 à 1750, on ne prenait dans nos campagnes aucune précaution pour empêcher le progrès du mal. On écorchait les bœufs et les vaches qui mouraient pour en garder la peau. « Économie funeste au bétail, disait-il, et ruineuse pour le maître. » Ce manque de soins, dans certains pays, constituait un danger pour les états voisins, grâce aux relations commerciales ; d’autres causes tendaient à produire le même résultat. Aussi Paulet pouvait-il écrire en 1775 : « La Hollande est aujourd’hui un foyer de contagion qui se renouvelle presque tous les ans, et qui ne cesse de répandre sur le reste de l’Europe des étincelles du feu qu’elle reçoit et nourrit dans son sein. » Serait-ce son climat, se demande l’auteur, qui la rend plus exposée qu’une autre ? Mais avant 1745 son climat était également insalubre, peut-être plus qu’il ne l’est aujourd’hui, et cependant ce mal y était inconnu. Serait-ce la malpropreté ? Il n’y a pas un peuple au monde plus propre que le peuple hollandais. Serait-ce le commerce ? L’auteur conclut affirmativement. En effet, l’invasion et la durée de ce fléau dépendent moins de sa nature et des conditions hygiéniques que des mesures administratives et des relations internationales des contrées où il sévit. Si on ne voit qu’un malade et si on ne peut pas expliquer par la contagion l’origine de la maladie, le diagnostic de la peste bovine est souvenu difficile ; ceci est reconnu par tous les auteurs. Appelé pour constater la nature d’une maladie dans les environs d’Anvers, M. Thiernesse, directeur de l’École vétérinaire de Bruxelles, m’a affirmé l’existence de la peste bovine qu’après ; s’être assuré que la maladie se transmettait par contagion avec les signes et les lésions qui la caractérisent. Vicq-d’Azyr conseille particulièrement ce moyen dans son ouvrage : avant de se prononcer sur la nature du mal, il faut observer bien les symptômes, procéder à l’autopsie des cadavres, voir si la maladie est contagieuse et comment s’opère la contagion ; mais il recommande qu’on ait soin de commencer par le « renfermement » des animaux, afin de ne pas courir les dangers de la communication. Pour faire sentir la nécessité d’une investigation rigoureuse, il rappelle « que les plus grands médecins ont erré sur la nature et l’existence de la peste humaine, que Capivaccius et Mercurialis se sont trompés relativement à la peste de Venise en 1576, que Chicoineau refusa d’abord Le nom de peste à celle de Marseille. »

Le plus souvent les moyens particuliers conseillés pour établir le diagnostic de la peste bovine sont inutiles. Le grand nombre d’animaux atteints simultanément ou dans un court espace de temps, lai gravité de la maladie, les données que l’on peut obtenir sur son origine, sur ses progrès dans le pays, joints aux symptômes que l’on observe, permettent d’affirmer l’existence de la terrible affection. Et, même quand le propriétaire : déclare qu’il n’y a pas eu de communication entre ses animaux et ceux de l’extérieur, en finit avec un peu de persévérance, quand on sait avec quelle facilité la peste bovine se transmet, par remonter à l’origine du mal.

La peste bovine n’est pas toujours identique quant aux symptômes. Elle peut revêtir différentes formes ; les diverses dénominations que lui ont données les auteurs, comme des descriptions qu’ils en font, le prouvent. Tantôt ce sont des boutons, apparaissant à la surface du corps qui frappent surtout l’observateur, tantôt ce sont des tumeurs ou des dépôts ; quelquefois il n’y a ni boutons, ni tumeurs, et alors la maladie est plus meurtrièrei. La dyssenterie, qui se montre le plus fréquemment, et qui constituait le caractère principal dans l’épizootie de 1774, manquait souvent dans celle de 1746, décrite dans la Saxe par Ens. Vicq d’Azyr nota les diverses formes sur les malades qu’il observa dans le midi de la France. Vitet a donné le nom de peste dyssentérique, morveuse ? exanthématique, à celle de 1714, qui en effet se manifestait tantôt par un grand écoulement nasal, tantôt par une forte dyssenterie, et d’autres fois par une éruption exanthématique à la peau. Ceux qui ont vu des malades de l’épizootie de 1865-1866 et de celle de 1870-1871 ont pu constater entre les deux épizooties d’assez grandes différences. Dans la maladie régnante, om remarque une grande prostration des forces, une diminution presque complète de la sensibilité, une marche foudroyante du mal, ce qui s’explique sur beaucoup d’animaux par les fatigues, la misère, l’épuisement. Des bêtes qui, à un moment donné, ne me paraissaient que légèrement affectées étaient mortes, ou mourantes deux heures après. La bave qui s’écoule de la bouche est moins abondante qu’elle ne l’était chez les animaux atteints en 1866. Il en est de même du mucus qui s’écoule des naseaux. Quant aux larmes, d’ordinaire elles manquent totalement. Dans les abattoirs et les beuveries de La Villette, où j’ai examiné un jour peut-être cent malades, je n’ai constaté ce symptôme sur aucun. Le symptôme qui frappe surtout, c’est le trouble des phénomènes respiratoires, la dilatation des naseaux : les angles supérieurs de ces ouvertures se relèvent comme consulsivement à chaque inspiration. Ces symptômes constituent un caractère prédominant sur la plupart des animaux malades. Je les ai remarqués sur les vaches de l’hospice des Enfans-Assistés, qui étaient vigoureuses et bien soignées, comme sur les bêtes en piteux état des troupeaux de ravitaillement.

Tous les remèdes-connus[3] et tous les procédés de traitement imaginables ont été employés contra la peste bovine. Les vétérinaires les plus expérimentés, même les médecins les plus illustres, s’en sont occupés, et tout ce qu’on a essayé a été inefficace. Quel est donc ce triste résultat ? se demandait Paulet, après avoir apprécié les effets de tous ces moyens, il n’y a donc pas de ressources contre un pareil fléau ! — Tous les observateurs consciencieux ont reconnu que es cures constatées étaient dues plutôt à des efforts de la nature qu’aux remèdes employés. Les Hollandais, qui ont tant eu à souffrir de la peste bovine pendant le xviiie siècle, et qui auraient bien désiré pouvoir s’en préserver sans mettre des entraves à leurs relations commerciales, avaient fondé un prix de 8,000 florins pour celui qui aurait trouvé un spécifique ou un préservatif certain de la maladie. Excitées par l’appât de cette récompense, plusieurs personnes firent en vain tous leurs efforts. La proposition de ce prix n’eut d’autre effet que de causer le plus grand préjudice, non-seulement à la Hollande, mais encore aux nations voisines. Au point de vue des épizooties meurtrières, les nations ressemblent aux particuliers affectés de maladies incurables. Elles ne peuvent pas se résigner à leur sort, supporter leur mal en cherchant à l’atténuer ; il faut qu’elles consultent, qu’elles essaient des moyens actifs ; Un grand médecin, en voyant sortir mécontent de son cabinet un malade atteint d’une maladie incurable auquel il s’était borné à conseiller des moyens hygiéniques, dit à des amis : « Ce pauvre diable est las de vivre, il veut qu’on le fasse mourir ; je ne veux pas me charger de l’exécuter. »

Le plus puissant argument contre le traitement des bêtes affectées de la peste bovine, c’est le danger de propager la maladie en conservant des individus qui en portent les germes. On a voulu conjurer ce danger en établissant des lazarets dans lesquels on traite les animaux malades. Ce moyen paraît rationnel, et a été plusieurs fois mis en pratique en Italie, en France et ailleurs. L’Angleterre aussi a voulu, malgré les conseils de la science, avoir en 1865 son sanitarium ; mais elle n’a pas tardé à reconnaître qu’il était plus nuisible qu’utile. Les lazarets sont des foyers d’infection par eux-mêmes d’abord, et ensuite par le transport des animaux qu’on y conduit. Tout homme de bien, dit Delafond, doit les repousser, et les gouvernemens doivent les défendre. Il n’y a pas de traitement préservatif proprement dit contre la peste bovine. La mauvaise tenue des étables, la misère, la fatigue, l’encombrement dans des lieux malsains, l’épuisement, peuvent-ils prédisposer les animaux à l’épizootie ? C’est probable. Dans tous les cas, de mauvaises conditions de santé et d’hygiène les rendent plus sensibles au mal. Nous en avons la preuve en 1871, et il faut, quand on est menacé d’une épizootie, pratiquer exactement les règles de l’hygiène vétérinaire ; mais ce n’est pas là-dessus qu’on peut compter pour se garantir de la maladie. Dans tous les temps, on a reconnu l’inutilité des moyens médicaux et hygiéniques. C’est par des mesures administratives qu’il faut agir. Tous les gouvernemens ont promulgué à cet égard des lois, des décrets, des arrêts, des ordonnances, des arrêtés, etc. À ceux que nous avons rappelés, nous ajouterons un arrêté du directoire exécutif du 27 messidor an V, une ordonnance du roi du 27 janvier 1815, les articles 459, 460, 461 du code pénal, la loi du 11 juin 1866, concernant les indemnités à accorder après l’abatage. Tous ces documens prescrivent la déclaration des animaux malades par les propriétaires, le recensement, la visite, l’estimation de ces animaux faits par ordre des autorités, la séquestration, l’établissement de cordons sanitaires, la réglementation ou la suspension des foires et des marchés, l’abatage des animaux, l’enfouissement des cadavres et des débris, la désinfection des étables, des harnais, etc. L’utilité de ces prescriptions est évidente. Il nous suffira d’insister sur l’isolement, l’abatage des animaux et l’utilisation de leurs produits.

Une mesure qui peut remplacer toutes les autres, et sans laquelle les autres seraient inutiles, c’est l’isolement des animaux. L’histoire de la science possède des faits curieux qui en montrent l’efficacité. Nous en proposons quelques-uns comme exemple aux propriétaires de bestiaux. Un cultivateur des environs de Saint-Quentin préserva ses vaches au milieu du pays visité par la terrible épizootie de 1775. Il possédait douze vaches soignées par un domestique auquel il fut défendu d’avoir aucune communication avec les gens du village. Tenues renfermées, ne sortant que pour aller boire dans une mare qui leur était exclusivement réservée, aucune ne fut affectée de la maladie. À la même époque, le lieutenant criminel du bailliage de Saint-Quentin, le seigneur de Dallon, procura le même avantage à ses vassaux. La paroisse de Dallon fut la seule préservée dans les environs de Saint-Quentin. Ayant appris que la maladie exerçait de grands ravages dans la Hollande et dans la Flandre, et qu’elle se rapprochait de sa contrée, il fit rendre une ordonnance qui défendait aux habitans d’introduire dans le pays aucune vache du dehors ou de conduire celles de Dallon dans les marais et pâturages qui étaient communs à plusieurs localités. On fit même tenir les vaches à l’étable quand on apprit que l’épizootie faisait des progrès. Il était défendu de laisser pénétrer dans les étables aucun étranger. Ces précautions contrarièrent beaucoup les paysans, qui, rigoureusement surveillés, n’osaient pas cependant y contrevenir ; mais ils virent bientôt périr les vaches de leurs voisins, et ne tardèrent pas à reconnaître la sagesse de la conduite qu’on les avait obligés de tenir. Ils sauvèrent tous leurs bestiaux. Le marquis de Courtivron, dont le nom est bien connu de tous ceux qui se sont occupés de la peste bovine, rapporte que le jardinier du château, en isolant soigneusement son bétail dans l’enclos, le préserva, tandis que dans le village toutes les bêtes périrent de l’épizootie. Il cite plusieurs cultivateurs qui conservèrent de même leur bétail par l’isolement. L’histoire nous fournit de nombreux faits semblables ; mais elle nous apprend aussi que pour être efficaces, ces précautions doivent être continues, l’isolement doit être rigoureusement surveillé. Durant l’épizootie de 1774, un seigneur du Bigorre fit construire dans un herbage une étable très vaste où il renferma tous ses bestiaux, il en confia le soin et la garde à un domestique qui ne devait jamais entrer dans une autre étable, ne jamais recevoir de visiteurs. Pendant longtemps, la conservation de tous les bestiaux fut la récompense des précautions prises ; tous les métayers environnans faisaient des pertes cruelles, et enviaient en quelque sorte le bonheur du propriétaire prudent. Un jour, le gardien oublia de fermer la porte de l’étable et s’absenta un moment. Un voisin s’y introduisit et toucha les animaux. Le surlendemain, la maladie se déclara parmi eux, et en peu de temps les enleva tous les uns après les autres. Les précautions des particuliers sont presque infaillibles et les mesures administratives sont d’une efficacité certaine, si les propriétaires comprennent bien leur intérêt et sont disposés à le sauvegarder, tandis qu’elles restent sans effet, s’ils sont indifférens et négligent la surveillance de leurs bestiaux.

Les insuccès qui ont lieu dans les essais individuels d’isolement s’expliquent par la négligence des employés. Ce sont des domestiques inintelligens qui compromettent les intérêts confiés à leurs soins. Quand on est habitué à rechercher les causes des maladies des animaux, on sait avec quelle habileté les serviteurs cherchent à cacher leur paresse et leurs imprudences. Ils s’attachent à prouver les choses les plus invraisemblables ; ils attribuent à un développement spontané des maladies qui sont évidemment produites par des causes physiques. À plus forte raison, ils attribuent à des causes inconnues les affections internes pour cacher les conséquences de leur brutalité ou de leur incurie.

Avant la découverte de la vaccine, l’inoculation de la petite vérole présentait des avantages généralement reconnus, La maladie communiquée artificiellement était plus bénigne que lorsqu’elle se développait naturellement. L’éruption qui se produisait à la peau du bétail affecté de la peste bovine fit croire qu’il y avait de l’analogie entre cette maladie, appelée variole du bœuf par Ramazzini, et la variole de l’homme. Cette supposition fit espérer que l’inoculation de l’affection épizootique rendrait les services que rendait celle de la variole. En 1769, Camper et Won-Doeveren pratiquèrent de nombreuses inoculations en Hollande. De leurs essais faits à Groningue, ils avaient conclu que la maladie communiquée est moins grave que lorsqu’elle se développe spontanément. On avait même ajouté que les animaux qui l’ont eue une fois, soit naturellement, soit après l’inoculation, ne la contractent plus. Des essais eurent lieu vers la même époque en France et en Angleterre. Le résultat le plus certain fut la prolongation de l’épizootie. On attribue aux inoculations les pertes énormes qu’éprouva la Hollande. L’expérience fut répétée en France en 1815. Girard pratiqua l’inoculation à l’École vétérinaire d’Alfort. Il en avait même conclu que la maladie est moins grave quand elle est inoculée. « Cette pratique, disait-il en parlant de l’inoculation, a l’avantage d’atténuer la maladie et de la rendre curable. Elle suffit pour préserver les animaux d’une seconde infection. » Les faits antérieurement observés sont contraires à cette seconde opinion. Le marquis de Courtivron nous apprend que, lors de l’épizootie de 1745, des maquignons vendaient des animaux portant encore l’empreinte de la peste bovine, mais guéris, 200 et même 300 livres, « c’est-à-dire, vu les lieux, plus de six fois leur valeur. » Les cultivateurs de la Bresse, du Bugey, du Maçonnais, les achetaient, dit-il, à cause de la croyance que les animaux qui avaient échappé à la maladie se trouvaient ensuite hors de son atteinte. Il n’en était rien. Les animaux mouraient entre les mains des acquéreurs, à une seconde ou à une troisième atteinte du mal. Personne ne songerait aujourd’hui à pratiquer l’inoculation dans nos pays. Elle n’aurait d’autre conséquence que de nous imposer des pertes plus grandes peut-être que celles qu’eut à supporter la Hollande par suite des inoculations faites par son célèbre médecin. Il paraît cependant démontré qu’elle rend des services là où la maladie est enzootique, dans quelques parties de la Russie, Près du lieu de son origine, la peste bovine attaque naturellement presque tous les animaux ; on cherche à la produire quand le moment, la saison paraît favorable. D’après M. Jessen, sur 1,417 bêtes inoculées à Karlowka de 1857 à 1865, il n’y en a eu que 77 dont la maladie soit devenue mortelle, tandis que sur 1,247 cas de maladies venues spontanément de 1853 à 1857, il y en a eu 625 de mortels. L’immunité produite par une première atteinte dm mal serait, d’après les observations faites dans l’Europe orientale, de trois et même de cinq ans.

Une instruction publiée par le gouvernement à l’occasion de la terrible épizootie qui en 1774-75 dépeupla le sud-ouest et causa des pertes que l’on a évaluées à plus de 15 millions de livres pose sagement la question de l’abatage, moyen rigoureux, mais seule capable de débarrasser une contrée de la peste bovine. Il est constant, dit-on dans cette instruction, qu’aucun remède connu n’a pu triompher du fléau, que, s’il est possible de sauver quelques individus, ce ne pourrait être que par un traitement commencé dès les premiers instans du mal et suivi méthodiquement avec une attention dont seuls les médecins expérimentés sont capables. « Quand même, ajoutait-on, avec les soins les plus constans et en employant les remèdes les plus appropriés, on aurait une espérance raisonnable d’en sauver un sur trois, le propriétaire serait exactement indemnisé du sacrifice des bestiaux tués en recevant le tiers de leur valeur, et, si l’espérance était presque nulle, comme tout le prouve, le paiement de ce tiers est un pur acte de bienfaisance du roi envers ses sujets. »

De nombreux exemples ont montré l’utilité de cette mesure. Ainsi, pendant que la Gascogne et la Guyenne éprouvaient en 1775 des pertes si grandes, que les cultivateurs de ces provinces étaient réduits à laisser les terres incultes faute de bétail pour exécuter les travaux ruraux, et que le gouvernement accordait une indemnité de 24 livres par tête de cheval ou de mulet propre au service du labour vendu aux foires de Libourne, d’Agen et de Condom, le Périgord, le Languedoc, administrés par des intendans intelligens, parvinrent par de légers sacrifices à diminuer considérablement les ravages de la maladie.

La Suisse, au siècle dernier et plusieurs fois dans le courant de celui-ci, a pratiqué avec succès la mesure de l’abatage. Écrivant à Bourgelat, Haller s’en félicitait. « Nos voisins et vos gens de la Franche-Comté, lui disait-il, ont voulu guérir leur bétail et le soustraire au massacre. Tout ce qu’ils ont gagné, c’est que le mal a duré des années entières et a ravagé à diverses époques plusieurs de leurs districts. » Le grand physiologiste répondait à Bourgelat, qui lui savait écrit : « Mes principes sont établis sur des faits et confirmés sous mes yeux par l’expérience, et cependant j’ai grand besoin d’une autorité aussi respectable que la vôtre pour me faire écouter. » — Il reste toujours au centre des pays infectés par l’épizootie des étables, des fermes, des villages même où le mal n’a pas pénétré. Ce qui a lieu quand les épizooties envahissent un état se produit quand elles attaquent un département, un canton, une commune. En agissant avec vigueur, on sauve les villages et les étables restés indemnes. On détruit les premiers foyers de l’infection avant qu’elle ait exercé tous ses ravages ; mais qu’on se garde bien d’une loi aussi sévère que l’abatage des animaux, disait Vicq-d’Azyr, lorsqu’on n’a pas assez de courage pour la faire exécuter partout en même temps, car, au lieu d’une mesure utile, on n’exercerait qu’une suite de vexations. Il ne peut y avoir intérêt à temporiser, à traiter les malades que là où la maladie est bénigne, ce qui arrive quelquefois quand elle est ancienne dans le pays ; seulement il ne faut jamais lui laisser le temps de prendre ce caractère.

En 1865, la Suisse, la France et la Belgique se préservèrent de la peste bovine, tandis que l’Angleterre et la Hollande en éprouvèrent des pertes énormes. Il ne peut donc pas y avoir d’hésitation sur la convenance de pratiquer l’abatage au début de l’épizootie dans un pays. En sacrifiant les animaux malades et les animaux suspects, on arrête la maladie, on n’a qu’un petit nombre d’animaux à sacrifier, et on sait que l’épizootie est toujours très meurtrière à sa période de début. Quel regret peut-on avoir de faire abattre quelques animaux, alors que l’épizootie enlèverait les dix-neuf vingtièmes de ceux qu’elle attaquerait, et qu’elle les attaquerait presque tous ? Quand néanmoins la maladie est répandue sur une large surface, surtout si elle y règne depuis longtemps et si elle a perdu de sa gravité, les avantages paraissent problématiques. La question s’est présentée plusieurs fois, et elle a été résolue de différentes manières. Il est rare néanmoins qu’au temps actuel surtout il n’y ait point bénéfice à pratiquer l’abatage. Lorsqu’on faisait abattre des bestiaux du temps de Vicq-d’Azyr, c’était pour le cultivateur une perte sèche. Il ne retirait même pas les peaux des victimes, car on les faisait taillader, hacher, afin que les malheureux ne fussent pas tentés d’aller les déterrer pour se les approprier. Le propriétaire ne pouvait en général espérer d’autre dédommagement que la légère indemnité accordée par l’état, quand il en accordait. Par suite de la grande consommation de viande qui se fait de nos jours dans tous les pays et de la facilité des transports, nous avons des ressources qui manquaient à nos pères. Nous ne sommes pas réduits, comme en 1774, à perdre complètement les animaux malades abattus. Alors on les conduisait sur les bords d’une fosse où on les enterrait après les avoir assommés. On avait soin de ne rien laisser sur les bords de la fosse, ni sur le chemin parcouru pour y arriver. Tout était perdu pour le cultivateur ; aujourd’hui tous les produits peuvent être utilisés à son profit. Aussitôt qu’on apprend qu’un animal a été exposé à la contagion, qu’il est suspect, parce qu’il a cohabité ou simplement voyagé avec des bêtes malades, on a intérêt à en tirer parti soit en l’exportant dans un centre de consommation, soit en l’abattant sur place pour en utiliser la viande. À la vérité, si on emploie le premier moyen, on peut craindre que les animaux exportés ne deviennent malades en route ; qu’ils ne disséminent sur les voies parcourues à travers les jointures des planches des voitures ou des wagons des liquides contagieux, que ces matières tombées dans les gares ou sur les passages à niveau ne propagent l’épizootie ; mais on peut éviter les accidens en ne conduisant les animaux que dans des lieux peu éloignés, en fixant la durée du voyage à vingt-quatre heures par exemple, en ne permettant de les transporter que dans des pays infectés, en refusant l’autorisation, si des trains doivent traverser des herbages où pâturent des bestiaux. Cependant il est plus prudent d’abattre les animaux sur place et d’exporter la viande. C’est même de rigueur quand les animaux sont atteints, la maladie serait-elle à son début ; en les faisant voyager, on ne serait jamais sûr qu’ils arriveraient en vie à leur destination. Ce moyen est encore le seul praticable, s’il y a de grandes distances à parcourir, si les étables infectées sont éloignées des chemins de fer, si, pour arriver au lieu de consommation, il faut traverser des contrées indemnes et riches en bétail. Il y a aujourd’hui dans tous les bourgs et dans beaucoup de villages des hommes sachant préparer les bêtes de boucherie. D’ailleurs la peste bovine se montre rarement dans une seule ferme, et plusieurs cultivateurs pourraient presque toujours s’entendre entre eux pour l’abatage des animaux, le transport et la vente de la viande, pour l’emploi des abats et pour la désinfection des lieux, des abreuvoirs, des marchés, etc. Aussi y a-t-il bien peu de circonstances, au point de vue de l’intérêt général et même de l’intérêt des propriétaires, où il ne soit pas avantageux d’abattre pendant l’existence de la peste bovine les animaux malades et même les animaux simplement suspects. Au produit qui résulte de la vente de la viande, s’ajoute la valeur des débris. Les cuirs, qui dans le siècle dernier étaient perdus, peuvent être et sont utilisés. La science, l’industrie, connaissent des moyens, ont des procédés de désinfection qui étaient ignorés en 1774.

Quelques circonstances malheureuses ont fait faire sur la consommation de la viande des bestiaux affectés ou même morts de la peste bovine des expériences qu’on n’aurait jamais osé tenter volontairement. Ainsi, pendant le siège de Strasbourg en 1815, la population de cette ville a été obligée de se nourrir de viande pareille ; elle n’en a pas été incommodée. Il a été fait aussi une grande consommation de viande d’animaux pestiférés en 1865-66 en Hollande et en Angleterre. Dans cette occasion, c’était bien volontairement. C’est dans un des wagons qui servaient au transport de cette viande des comtés à Londres qu’avaient contracté l’épizootie, ainsi que les recherches précises de M. Bouley l’ont constaté, les deux gazelles qui l’ont introduite à Paris, au Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne. Nous avons donc pu apprendre par des observations faites en grand que la viande des bœufs et des vaches malades de la peste bovine ne possède aucune propriété malfaisante. Au début de la maladie, elle ressemble à celle des animaux sains ; on ne pourrait la distinguer ni à l’aspect, ni au goût. On doit, autant que possible, abattre les animaux aussitôt qu’ils présentent les premiers signes du mal, ou même avant qu’il se déclare, s’ils sont suspects. Si on attend que le mal ait fait des progrès, la viande devient emphysémateuse, se gorge de liquides à mesure que les fonctions languissent, et perd la graisse avec une grande rapidité. Elle m’est pas malfaisante par suite d’un vice spécial provenant de la maladie ; mais elle est, comme celle de tous les animaux gravement malades, de qualité inférieure. Si on n’abat les animaux pestiférés que lorsque le mal est fort avancé, quand le sang circule à peine, quand la respiration se fait incomplètement, la viande est très rouge, molle ; elle n’a aucun mauvais goût, et n’est pas insalubre ; seulement elle est d’un aspect repoussant, et on ne doit la consommer que dans les cas où il n’est pas possible d’avoir d’autres alimens.

Pour le transport de la viande, des précautions sont moins nécessaires que pour le transport des bestiaux. Cependant il est toujours prudent d’exercer une surveillance sur le service, d’agir comme pour autoriser le déplacement des animaux. D’après les règlemens, un propriétaire, dès qu’il règne une épizootie contagieuse, ne peut introduire, un bœuf dans une commune où la maladie n’existe pas qu’en prouvant que l’animal sort d’un pays indemne. S’il habite un pays infecté et s’il veut vendre ses bestiaux, il faut qu’il déclare le lieu où il veut les conduire, et qu’il prouve ensuite qu’il a tenu son engagement. Rien ne serait plus facile que de prendre des moyens semblables pour la viande. Celui qui serait chargé de la conduire serait tenu de la rendre dans l’endroit qui lui serait assigné. Si à ces précautions on ajoutait le soin de faire connaître par des écriteaux, par des affiches, par des avis publiés dans les journaux, les routes et les chemins de fer affectés au transport des bestiaux et des viandes, on mettrait les propriétaires à même de prendre les mesures nécessaires pour préserver leurs fermes. Ces précautions seraient utiles dans toutes les circonstances, même quand les communications auraient lieu entre des pays et à travers des pays infectés, car il reste probablement toujours dans les communes traversées par les convois, même dans les communes infectées, des cultivateurs dont les bestiaux ne sont pas attaqués. Il faut les avertir afin que, par ignorance du danger, ils n’exposent point leurs étables à la contagion.

La Suisse, qui, par des mesures de police sanitaire comme elle sait en prendre, avait assez facilement préservé son bétail de l’épizootie actuelle pendant plusieurs mois, en a été envahie lors de l’entrée sur son territoire de notre malheureuse armée de l’est. Aucune surveillance, aucun cordon sanitaire ne pouvait être efficace pendant que nos 80,000 hommes allaient lui demander l’hospitalité. C’est alors que l’épizootie y a pénétré ; mais les mesures énergiques proposées par M. Zanguer et commandées avec toute la rigueur nécessaire par le conseil fédéral ont rapidement enrayé la marche du fléau. Le 12 de ce mois, nous disait tout récemment M. Barral à la Société d’agriculture, le mal ne faisait plus de progrès, mais on ne se départait en rien des mesures qui avaient été adoptées et mises en pratique. L’Allemagne, d’après ce qu’on rapporte, a su se préserver en partie. Elle avait été obligée d’ouvrir ses frontières orientales au bétail étranger, et, comme cela est toujours arrivé, ce bétail a traîné après lui l’épizootie, qui a sévi pendant quelque temps dans le Palatinat. Sur notre territoire, des généraux allemands ont été obligés de faire abattre des troupeaux de bœufs pour en préserver d’autres. Ce qui a borné les ravages du mal dans quelques-uns de nos départemens, c’est la rareté du bétail. À l’approche de l’ennemi, les cultivateurs avaient vendu leurs animaux, ou les avaient conduits loin du passage de ses armées. Les quelques vaches restées dans les pays parcourus par les troupes allemandes n’ont pas tardé à succomber. Un habitant de la Champagne nous affirmait, après le débloquement de Paris, que depuis plus de deux mois la maladie avait disparu. Dans quelques cantons de l’est, elle n’a pas non plus longtemps persisté.

Ce qui doit nous préoccuper encore, ce sont les mesures à prendre après la disparition de l’épizootie. À la suite des grandes pertes qu’elle avait éprouvées en 1712-1713, l’Italie fit venir du bétail des montagnes pour repeupler ses plaines. Depuis, son exemple a été suivi par d’autres états. Avec les ressources dont nous disposons, les vides faits par l’épizootie seront rapidement comblés ; mais, avant de songer à repeupler le pays en bétail, il faut se débarrasser des malades, et, par la désinfection des lieux où ils auront séjourné ou seulement pénétré, détruire les germes de la maladie. Ce qu’il importera de faire ensuite, ce sera la surveillance des animaux importés. Il ne doit être introduit, là où la maladie ne s’est pas montrée et là d’où elle a disparu, que des animaux venant d’un pays sain. C’est alors que des certificats de santé constatant la provenance doivent être rigoureusement exigés. C’est alors encore qu’il peut être utile de faire faire des quarantaines aux animaux venant de l’étranger. Dans les contrées où l’on craint la péripneumonie contagieuse, les cultivateurs et les nourrisseurs intelligens ne manquent pas d’employer ce moyen. Toutes les fois qu’ils achètent des animaux, ils les tiennent isolés pendant quelques semaines avant de les introduire à côté de ceux qu’ils possèdent déjà.

Quelques obligations doivent également être imposées aux compagnies de chemins de fer. En Suisse, celles-ci sont tenues de désinfecter les wagons qui ont servi à porter du bétail : une amende leur est infligée, si elles ne se conforment pas à cette sage prescription. L’autorité a réglé aussi l’emploi des wagons. Il n’est pas permis d’introduire dans un pays où la maladie n’existe pas des wagons ayant transporté des animaux malades, ou seulement ayant servi dans les contrées où la maladie règne. Au besoin, le transbordement du bétail peut être exigé, afin de ne pas faire entrer dans un pays infecté où sont apportés des animaux qui doivent y être abattus des véhicules devant fonctionner dans des pays indemnes. Le transport des objets qui peuvent s’imprégner des germes de l’épizootie, des fourrages, des cuirs, doit aussi être exactement surveillé. C’est par les fourrages que la peste bovine vient de pénétrer dans quelques vacheries de Paris qui, en raison de leur isolement, de leur position au fond d’une cour, auraient été facilement préservées.

Pour éviter les atteintes de la peste bovine, tous les états, quand ils s’en croient menacés, interdisent l’entrée par les frontières exposées à la contagion des objets susceptibles de porter les germes de l’épizootie. Si des marchandises dont l’entrée est permise sont emballées avec des matières poreuses, avec de la paille par exemple, on les fait déballer à la frontière pour retenir et brûler les objets dont l’entrée pourrait offrir des dangers. Aussi l’existence de la peste bovine dans nos campagnes est-elle un fait exceptionnel. Il a fallu la grande calamité qui nous afflige pour qu’il se produisît. En temps ordinaire, les contrées allemandes de l’est, l’Autriche, l’Italie et la Suisse font bonne garde et nous en garantissent. Elles surveillent les animaux qui viennent du côté de la Russie et les mettent en quarantaine, et, si ce moyen se trouve une fois inefficace, si un cas de peste bovine se déclare, on y porte remède immédiatement. Ces états, en se préservant du fléau, établissent une barrière entre lui et nous.

J. H. Magne.

  1. Observations et expériences sur l’épizootie, par Vincent-Frédéric Da-Olmi.
  2. Fracastor, qui d’après Vicq-d’Azyr est le premier qui ait décrit une maladie semblable à l’épizootie de 1775, l’avait observée en 1514 sur les bœufs du territoire de Vérone. C’était, selon, les auteurs, une fièvre pestilentielle exanthémateuse provenant des environs de Venise, où elle avait été importée de la Dalmatie. En 1690, Ramazzini avait aussi traité dans le voisinage de Padoue une épizootie présentant les mêmes caractères. Ces épizooties avaient été importées en Italie par des bœufs venus de l’autre rive de l’Adriatique, ce qui doit nous faire supposer, lors même que nous ne connaissons les caractères symptomatiques et cadavériques que d’une manière incomplète, qu’elles étaient de la nature de l’épizootie actuelle. Et l’on conçoit ainsi que les Vénitiens, s’apercevant enfin dans le xviiie siècle des dangers que leur faisait courir l’importation des bestiaux de la Hongrie et de la Dalmatie, aient pris la résolution rapportée par Paulet.
  3. Nous avons cité les principaux à l’occasion des épizooties contre lesquelles ils ont été employés. Un médicament puissant inconnu des anciens, l’acide phénique, qui agit avec la plus grande énergie sur les êtres organisés, a été essayé, mais sans succès, par les Anglais en 1866. Le docteur Déclat le fait administrer dans ce moment comme agent préservatif et curatif à Paris et en Bretagne. Sans être concluans, les faits observés démontrent que les expériences offrent un grand intérêt scientifique. Les Allemands, qui ont une très grande expérience de tout ce qui se rapporte à la peste bovine, sont tellement convaincus qu’il est dangereux, de traiter les animaux malades, qu’ils défendent même la vente des remèdes conseillés pour cet usage. Un arrêté publié à Nancy par ordre du gouverneur de la Lorraine, von Bonin, contient la disposition suivante : « Art. 16. — La vente, l’emploi et la recommandation des remèdes et des préservatifs contre la peste devront être interdits. Les moyens de désinfection ne sont pas considérés comme remèdes et pourront être appliqués. »