La Peinture en Belgique/Peintures de la fin du XIVe siècle et du commencement du XVe siècle conservées en Belgique

G. van Oest (volume 1 : les créateurs de l’art flamand et les maîtres du XVe siècle ; Écoles de Bruges, Gand, Bruxelles, Tournai.p. 7-9).

II

Peintures de la fin du XIVe siècle
et du commencement du XVe siècle conservées en Belgique.

Un certain nombre d’œuvres qui se rattachent aux artistes et aux productions que nous venons de caractériser doivent être signalées avant de s’arrêter devant les peintures des van Eyck. Le Couronnement de la Vierge (Fig. IV, Musée d’Anvers) est une œuvre franco-flamande du dernier quart du XIVe siècle ; elle est à fond d’or ; le siège, les volutes des manteaux font penser aux miniatures de Beauneveu. Les affreux repeints n’empêchent point l’influence méridionale d’être sensible. Au même Musée est un Calvaire de dimensions importantes (Fig. VI), à fond d’or gaufré, montrant le donateur Hendrik van Ryn agenouillé devant la Croix. Une inscription sur le cadre dit que le tableau ornait en 1363 un autel érigé à l’église Saint-Jean d’Utrecht par le prévôt et archidiacre Hendrik van Ryn. Le type douloureux du Christ, l’élégance mièvre de la Vierge, le tuyautage de son manteau, feraient entrer le Calvaire dans le cycle des œuvres composites, si l’élancement des figures, le visage allongé du saint Jean n’annonçaient le style de l’école de Haarlem tel que Thierry Bouts le fixa. On voit que l’internationalisme du XIVe siècle s’accommodait de variations dialectales. Une autre preuve en est fournie par le Calvaire (Fig. VII) de la corporation des tanneurs de Bruges (église Saint-Sauveur, Bruges) peint également à la détrempe sur fond d’or gaufré comme le Calvaire de Hendrik van Ryn. On n’est pas d’accord sur les caractères de cette œuvre. Au vrai, on y retrouve les éléments du Parement de Narbonne : mièvrerie des saintes femmes, naturalisme timide dans la figure du centurion, pathétique conventionnel pour le visage du Christ, tuyautage des draperies féminines. Mais c’est en Italie, dans la chapelle de Saint-André de l’église inférieure d’Assise qu’il faut chercher les prototypes des figures de sainte Catherine et de sainte Barbe. Cette dernière avec son auréole d’or, son front bombé, ses cheveux blonds en mousse, son visage allongé, occupe sa niche gothique le plus gracieusement du monde. Les princesses mystiques de Memlinc seront de la même race patricienne. On a prononcé au sujet de ce Calvaire des Tanneurs le nom de Jacques Coene qui, en 1388, exécuta un Jugement dernier pour la salle échevinale de l’hôtel de ville de Bruges. Il nous semble bien qu’il faut — comme on l’avait proposé jadis — identifier de Jacques Coene (Cona, Cova), lequel habita Paris et fut réputé comme grand technicien, avec Jacques Cavael d’Ypres qui fit le voyage d’Italie. Si le Calvaire des Tanneurs est de sa main, il ne faut point s’étonner d’y trouver un parfum méridional. — Les peintures qui décorent le charmant retable de la collection Cardon (Fig. VIII) sont très proches comme style du Calvaire des Tanneurs, mais d’une exécution inférieure. On voit sur les volets de droite : la Visitation, la Nativité, l’Adoration des mages ; sur ceux de gauche, la Fuite en Égypte, la Présentation au temple, le Massacre des Innocents où les soldats bourreaux ressemblent fort au légionnaire du Calvaire des Tanneurs. La Fuite en Égypte fait songer à Broederlam ; mais dans les volutes du manteau de la Vierge il y a plus de préciosité parisienne que dans les vêtements féminins du maître d’Ypres et le saint Joseph n’a point la bonhomie vivante de celui de Champmol. Au centre du retable est une Vierge sculptée dont les vêtements dans le bas sont tuyautés à l’extrême. — Le Christ mort soutenu par deux anges (Fig. V, Musée de Gand) évoque la Pietà du Louvre attribuée à Jean Malouel. L’œuvre est peinte sur fond d’or et les deux anges, l’un en chape rouge, l’autre en chape verte, sont de jolies figures qui contrastent avec le Christ dont les souffrances ont un accent violent que Malouel eût évité. Ce tableau porte les marques du vieux style dijonnais tel qu’il s’exprime dans le Martyre de saint Denis et la Pietà du Louvre ; mais il est postérieur à ces œuvres et le réalisme s’y manifeste en progrès. — L’hospice Belle, d’Ypres, possède une petite œuvre votive qui servait d’épitaphe à Yolande Belle, épouse de Josse Bryde, grand bailli d’Ypres, ainsi que l’indique une inscription flamande tracée sur le cadre en 1420 (Fig. IX). Le tableau fut sans doute peint avant cette date. La Vierge, vêtue d’une robe bleu pâle et d’un manteau bleu foncé, est debout devant une tenture d’or où sont tracés des ornements rouges ; cette tenture est portée par deux anges et c’est là un motif emprunté aux bas-reliefs funéraires de l’école tournaisienne de la fin du XIVe siècle. En outre les donateurs présentés d’un côté par saint Georges, de l’autre par sainte Catherine sont disposés comme les donateurs des mêmes bas-reliefs. Il ne faut pas en conclure que nous sommes en présence d’une œuvre de l’école tournaisienne à ses débuts. Quoique peu soignée, cette peinture nous semble une production caractéristique de ces peintres de panonceaux, bannières et armoiries qui étaient aussi peintres de retables mais qui sans doute attachaient moins d’importance à leurs œuvres héraldiques qu’à leurs créations religieuses et en confiaient l’exécution à des élèves et « compagnons ». Dans ces conditions, il est possible de considérer la Madone d’Yolande Belle comme une œuvre de l’atelier de Melchior Broederlam. — Le Saint Michel de l’église de Notre-Dame d’Anvers se détache de l’art franco-flamand ; les draperies tombent sans grâce, en plis droits ; l’exécution est fort médiocre. Un détail assez caractéristique est à signaler : la langue sortant de la bouche du dragon se ramifie en plusieurs branches terminées par des têtes d’hommes. L’œuvre semble sortir d’un atelier rhénan de la fin du XIV e ou du commencement du XVe siècle.