La Patrie en danger (Danton)/Jugement de Danton

L. Boulanger (p. 20-32).

BULLETIN DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE
Audience du 13 germinal, an II de la République française.


AFFAIRE CHABOT ET COMPLICES


Interrogé sur son nom, surnom, âge, qualité et demeure, Danton a répondu se nommer Georges-Jacques Danton, âgé de 34 ans, natif d’Arcis sur-Aube, avocat, député à la Convention, domicilié à Paris, rue des Cordeliers. À la demande de son domicile, Danton a d’abord répondu : bientôt le néant, et mon nom au Panthéon.

Le Président. — Accusés, soyez attentif à ce que vous allez entendre.

Le greffier lit le rapport d’Amar, rapport qui n’est que la répétition de celui qu’avait lu le 31 mars, devant la Convention, Saint-Just, au nom du comité du Salut public.

(Numéro 16 du Bulletin du tribunal.)


Le numéro 20 et une partie du 20e renferment les interrogatoires des coaccusés de Danton — puis commence celui de ce dernier inculpé.


Demande. — Danton, la Convention nationale vous accuse d’avoir favorisé Dumouriez, de ne l’avoir pas fait connaître tel qu’il était, d’avoir partagé ses projets liberticides, tels que de faire marcher une armée sur Paris, pour détruire le gouvernement républicain et rétablir la royauté.

Réponse. — Ma voix qui, tant de fois, s’est fait entendre pour la cause du peuple, pour appuyer et défendre ses intérêts, n’aura pas de peine à repousser la calomnie.

Les lâches qui me calomnient oseraient-ils m’attaquer en face, qu’ils se montrent, et je les couvrirais eux-mêmes de l’ignominie, de l’opprobre qui les caractérise ? Je l’ai dit et je le répète : mon domicile est bientôt, dans le néant, et mon nom au Panthéon !… Ma tête est là, elle répond de tout ! La vie m’est à charge, il me tarde d’en être délivré !…

Le Président à l’accusé. — Danton, l’audace est le propre du crime, et la modération est celui de l’innocence. Sans doute, la défense est de droit légitime, mais c’est une défense qui sait se renfermer dans les bornes de la décence et de la modération, qui sait tout respecter, même jusqu’à ses accusateurs. Vous êtes traduit ici par la première des autorités ; vous devez toute obéissance à ses décrets, et ne vous occuper que de vous justifier des différents chefs d’accusation dirigés contre vous ; je vous invite à vous en acquitter avec précision, et surtout à vous circonscrire dans les faits.

Réponse. — L’audace individuelle est sans doute réprimable, et jamais elle ne put m’être reprochée ; mais l’audace nationale dont j’ai tant de fois donné l’exemple, dont j’ai servi la chose publique ; ce genre d’audace est permis, et il est même nécessaire en révolution, et c’est de cette audace que je m’honore. Lorsque je me vois si grièvement, si injustement inculpé, suis-je le maître de commander au sentiment d’indignation qui me soulève contre mes détracteurs. Est-ce d’un révolutionnaire comme moi, aussi fortement prononcé, qu’il faut attendre une réponse froide ? Les hommes de ma trempe sont impayables, c’est sur leurs fronts qu’est imprimé en caractères ineffaçables le sceau de la liberté, le génie républicain ; et c’est moi que l’on accuse d’avoir rampé aux pieds de vils despotes, d’avoir toujours été contraire au parti de la liberté, d’avoir conspiré avec Mirabeau et Dumouriez ! Et c’est moi que l’on somme de répondre à la justice inévitable, inflexible !… Et toi, Saint-Just, tu répondras à la postérité de la diffamation lancée contre le meilleur ami du peuple, contre son plus ardent défenseur !… En parcourant cette liste d’horreur, je sens toute mon existence frémir.

Danton allait continuer sur le même ton, lorsque le président lui observe de nouveau qu’il manque tout à la fois à la représentation nationale, au tribunal et au peuple souverain, qui a le droit incontestable de lui demander compte de ses actions :

Marat fut accusé comme vous. Il sentit la nécessité de se justifier, remplit ce devoir en bon citoyen, établit son innocence en termes respectueux, et n’en fut que plus aimé du peuple, dont il n’avait cessé de stipuler les intérêts. Marat ne s’indigna pas contre ses calomniateurs ; à des faits, il n’opposa point des probabilités, des vraisemblances, il répondit catégoriquement à l’accusation portée contre lui, s’appliqua à en démontrer la fausseté et y parvint. Je ne puis vous proposer de meilleur modèle, il est de votre intérêt de vous y conformer.

Réponse. — Je vais donc descendre à ma justification, je vais suivre le plan de défense adopté par Saint-Just. Moi, vendu à Mirabeau, à d’Orléans, à Dumouriez ! Moi, le partisan des royalistes et de la royauté. A-t-on donc oublié que j’ai été nommé administrateur contradictoirement avec tous les contre révolutionnaires qui m’exécraient ? Des intelligences de ma part avec Mirabeau ! Mais tout le monde sait que j’ai combattu Mirabeau, que j’ai contrarié tous ses projets, toutes les fois que je les ai crus funestes à la liberté. Me taisais-je sur le compte de Mirabeau lorsque je défendais Marat attaqué par cet homme altier ? Ne faisais-je pas plus qu’on avait droit d’attendre d’un citoyen ordinaire ? Ne me suis-je pas montré lorsque l’on voulait soustraire le tyran en le traînant à Saint-Cloud ?

(Numéro 21 du Bulletin du tribunal).


Danton continue :

N’ai-je point fait afficher au district des Cordeliers la nécessité de s’insurger ? J’ai toute la plénitude de ma tête lorsque je provoque mes accusateurs, lorsque je demande à me mesurer avec eux… Qu’on me les produise, et je les replonge dans le néant, dont ils n’auraient jamais dû sortir !… Vils imposteurs, paraissez, et je vais vous arracher le masque qui vous dérobe à la vindicte publique !

Le Président. — Danton, ce n’est point par des sorties indécentes contre vos accusateurs que vous parviendrez à convaincre le jury de votre innocence. Parlez-lui un langage qu’il puisse entendre ; mais n’oubliez pas que ceux qui vous accusent jouissent de l’estime publique, et n’ont rien fait qui puisse leur enlever ce témoignage sérieux.

Réponse. — Un accusé comme moi, qui connaît les hommes et les choses, répond devant le jury, mais ne lui parle pas ; je me défends et je ne calomnie pas.

Jamais l’ambition ni la cupidité n’eurent de puissance sur moi ; jamais ces passions ne me firent compromettre la chose publique : tout entier à ma patrie, je lui ai fait le généreux sacrifice de mon existence.

C’est dans cet esprit que j’ai combattu l’infâme Pastoret, Lafayette, Bailly et tous les conspirateurs qui voulaient s’introduire dans les postes les plus importants, pour mieux et plus facilement assassiner la liberté. Il faut que je parle de trois coquins qui ont perdu Robespierre. J’ai des choses essentielles à révéler ; je demande à être entendu paisiblement, le salut de la patrie en fait une loi.

Le Président. — Le devoir d’un accusé, son intérêt personnel veulent qu’il s’explique d’une manière claire et précise sur les faits à lui imputés ; qu’il établisse lumineusement sa justification sur chaque reproche à lui fait, et ce n’est que lorsqu’il a porté la conviction dans l’âme de ses juges, qu’il devient digne de quelque foi, et peut se permettre des dénonciations contre des hommes investis de la confiance publique ; je vous invite donc à vous renfermer dans votre défense et à n’y rien joindre d’étranger.

C’est la Convention tout entière qui vous accuse, je ne crois pas qu’il entre dans votre plan d’en faire suspecter quelques-uns ; car en admettant le bien fondé de ces soupçons envers quelques individus, l’accusation portée contre vous en nombre collectif n’en serait nullement affaiblie.

Réponse. — Je reviens à ma défense. Il est de notoriété publique que j’ai été nommé à la Convention en très petite minorité par les bons citoyens, et que j’étais odieux aux mauvais.

Lorsque Mirabeau voulut s’en aller à Marseille, je pressentis ses desseins perfides, je les dévoilai et le forçai de demeurer au fauteuil, et c’est ainsi qu’il était parvenu à me saisir, à m’ouvrir la bouche ou à me la fermer ! C’est une chose bien étrange que l’aveuglement de la Convention nationale, jusqu’à ce jour sur mon compte, c’est une chose vraiment miraculeuse que son illumination subite !

Le Président. — L’ironie à laquelle vous avez recours ne détruit pas le reproche à vous fait de vous être couvert en public du masque de patriotisme pour tromper vos collègues et favoriser secrètement la royauté. Rien de plus ordinaire que la plaisanterie, les jeux de mots aux accusés qui se sentent pressés et accablés de leurs propres faits sans pouvoir les détruire.

Réponse. — Je me souviens effectivement d’avoir provoqué le rétablissement de la royauté, la résurrection de toute la puissance monarchique, d’avoir protégé la fuite du tyran, en m’opposant de toutes mes forces à son voyage de Saint-Cloud, et faisant hérisser de piques et de baïonnettes son passage, en enchaînant en quelque sorte ses coursiers fougueux ; si c’est là se déclarer le partisan de la royauté, s’en montrer l’ami, si à ces traits on peut reconnaître, l’homme favorisant la tyrannie, dans cette hypothèse, j’avoue être coupable de ces crimes. J’ai dit à un patriote rigide, dans un repas, qu’il compromettait la bonne cause en s’écartant du chemin où marchaient Barnave et Lameth, qui abandonnaient le parti populaire. Je soutiens le fait de toute fausseté, et je défie à qui que ce soit de me le prouver. À l’égard de mes motions relatives au Champ-de-Mars, j’offre de prouver que la pétition à laquelle j’ai concouru, ne contenait que des intentions pures, que, comme l’un des auteurs de cette pétition, je devais être assassiné comme les autres, et que des meurtriers furent envoyés chez moi pour m’immoler à la rage des contre-révolutionnaires. Étais-je donc un objet de reconnaissance pour la tyrannie, lorsque les agents de mes cruels persécuteurs, n’ayant pu m’assassiner dans ma demeure d’Arcis-sur-Aube, cherchaient à me porter le coup le plus sensible pour un homme d’honneur, en obtenant contre moi un décret de prise de corps, et essayant de le mettre à exécution dans le corps électoral.

Le Président. — Ne vous êtes-vous pas émigré au 17 juillet 89 ? N’êtes-vous pas passé en Angleterre ?

Réponse. — Mes beaux-frères allaient en ce pays pour affaire de commerce, et je profitai de l’occasion ; peut-on m’en faire un crime ?

Le despotisme était encore dans toute sa prépondérance ; et alors il n’était encore permis que de soupirer en secret pour le règne de la liberté. Je m’exilai donc, je me bannis, et je jurai de ne rentrer en France que quand la liberté y serait admise.

Le Président. — Marat, dont vous prétendez avoir été le défenseur, le protecteur, ne se conduisait pas ainsi, lorsqu’il s’agissait de poser les fondements de la liberté ; lorsqu’elle était à son berceau et environnée du plus grand danger, il n’hésitait pas à le partager.

Réponse. — Et moi, je soutiens que Marat est passé deux fois en Angleterre, et que Ducos et Fonfrède lui doivent leur salut.

Dans le temps où la puissance royale était encore la plus redoutable, je proposai la loi de Valérius Publicola, qui permettait de tuer un homme sur la responsabilité de sa tête. J’ai dénoncé Louvet ; j’ai défendu les sociétés populaires au péril de ma vie, et même dans un moment où les patriotes étaient en très petit nombre.

L’ex-ministre Lebrun étant au fauteuil, a été pour moi démasqué ; appelé contre lui, j’ai démontré sa culpabilité avec Brissot.

On m’accuse de m’être retiré à Arcis-sur-Aube, au moment où la journée du 10 août était prévue, où le combat des hommes libres devait s’engager avec les esclaves.

À cette inculpation, je réponds avoir déclaré à cette époque que le peuple français serait victorieux ou que je serai mort ; je demande à produire pour témoin de ce fait le citoyen Payen, il me faut, ai-je ajouté, les lauriers ou la mort.

Où sont donc tous ces hommes qui ont eu besoin de presser Danton pour l’engager à se montrer dans cette journée ? Où sont donc tous ces êtres privilégiés dont il a emprunté l’énergie ?

Depuis deux jours, le tribunal connaît Danton ; demain, il espère s’endormir dans le sein de la gloire, jamais il n’a demandé grâce, et on le verra voler à l’échafaud avec la sérénité ordinaire au calme de la conscience.

Pétion, sortant de la commune, vint aux Cordeliers, il nous dit que le tocsin devait sonner à minuit, et que le lendemain devait être le tombeau de la tyrannie ; il nous dit que l’attaque des royalistes était concertée pour la nuit mais qu’il avait arrangé les choses de manière que tout se ferait en plein jour et serait terminé à midi, et que la victoire était assurée pour tous les patriotes.

Quant à moi, dit Danton, je n’ai quitté ma section qu’après avoir recommandé de m’avertir, s’il arrivait quelque chose de nouveau.

Je suis resté pendant douze heures de suite à ma section, et y suis retourné le lendemain, à 9 heures. Voilà le repos honteux auquel je me livrai, suivant le rapporteur. À la municipalité on m’a entendu, demander la mort de Mandat. Mais suivons Saint-Just dans ses accusations. Favre, parlementant avec la Cour, était l’ami de Danton. Et, sans doute, on en donnera pour preuve le courage avec lequel Favre essuya le feu de file qui se faisait sur le Français.

Un courtisan disait que les patriotes étaient perdus. Que fait Danton ? Tout pour prouver son attachement à la Révolution.

On se demande quelle est l’utilité de l’arrivée de Danton à la Législature ?

Et je réponds qu’elle est importante au salut public, et que plusieurs de mes actions le prouvent. J’ai droit d’opposer mes services lorsqu’ils sont contestés, lorsque je me demande ce que j’ai fait pour la Révolution.

Pendant mon ministère, il s’agit d’envoyer un ambassadeur à Londres pour resserrer l’alliance des deux peuples. Noël, journaliste contre-révolutionnaire, est proposé par Lebrun, et je ne m’y oppose pas. À ce reproche je réponds que je n’étais pas ministre des affaires étrangères. On m’a présenté les expéditions : je n’étais pas le despote du conseil. Roland protégeait Noël ; l’ex-marquis Chauvelin disait que Noël était un trembleur et qu’ils se balanceraient l’un l’autre avec Merger, jeune homme de dix-huit ans, qui était mon parent.

J’ai présenté à la Convention nationale Fabre comme un homme adroit, j’ai annoncé Fabre comme l’auteur du Philinte et réunissant des talents. J’ai dit qu’un prince du sang, comme d’Orléans, placé au milieu des représentants du peuple, leur donnerait plus d’importance aux yeux de l’Europe.

Le fait est faux : il n’a d’importance que celle qu’on a voulu lui donner. Je vais rétablir ce fait dans son intégrité. Robespierre disait : Demandez à Danton pourquoi il a fait nommer d’Orléans : il serait plaisant de le voir figurer dans la Convention comme suppléant.

Un juré observe que d’Orléans était désigné comme devant être nommé le vingt-quatrième suppléant, et qu’il le fut effectivement dans cet ordre de rang.

Danton poursuit : On m’a déposé cinquante millions, je l’avoue ; j’offre d’en rendre un fidèle compte : c’était pour donner de l’impulsion à la Révolution.

Le témoin Cambon déclare avoir connaissance qu’il a été donné 400, 000 liv. à Danton pour dépenses secrètes et autres, et qu’il a remis 130, 000 liv. en numéraire.

Réponse. — J’ai dépensé, à bureau ouvert, 200, 000 liv. Ces fonds ont été les leviers avec lesquels j’ai électrisé les départements. J’ai donné 6, 000 liv. à Billaud-Varennes, et m’en suis rapporté à lui.

J’ai laissé Fabre à la disponibilité de toutes les sommes dont un secrétaire peut avoir besoin pour déployer toute son âme ; et en cela je n’ai rien fait que de licite.

On m’accuse d’avoir donné des ordres pour sauver Duport à la faveur d’une émeute concertée à Melun, par mes émissaires, pour fouiller une voiture d’armes.

Je réponds que le fait est de toute fausseté, et que j’ai donné les ordres les plus précis pour arrêter Duport, et j’invoque à cet égard, Panis et Duplain.

Ce fait pourrait regarder Marat plutôt que moi, puisqu’il a produit une pièce ayant pour objet de sauver Duport, qui a voulu m’assassiner avec Lameth : le jugement criminel des relations existe ; mais je n’ai pas voulu suivre cette affaire, parce que je n’avais pas la preuve acquise de l’assassinat prémédité contre moi.

Marat avait une acrimonie de caractère qui, quelquefois, le rendait sourd à mes observations, il ne voulut pas m’écouter sur l’opinion que je lui donnais de ces deux individus : Duport et Lameth.

On m’accuse encore : d’être d’intelligence avec Guadet, Brissot, Barbaroux et toute la faction proscrite. Je réponds que le fait est bien contradictoire avec l’animosité que me témoignaient ces individus ; car Barbaroux demandait la tête de Danton, de Robespierre et de Marat.

Sur les faits relatifs à mes prétendues intelligences avec Dumouriez, je réponds ne l’avoir vu qu’une seule fois, au sujet d’un particulier avec lequel il était brouillé, et de 17,000,000 dont je lui demandais compte.

Il est vrai que Dumouriez essaya de me ranger de son parti, qu’il chercha à flatter mon ambition en me proposant le ministère, mais je me déclarais ne vouloir occuper de pareilles places, qu’au bruit du canon.

On me reproche encore d’avoir eu des entretiens particuliers avec Dumouriez, de lui avoir juré une amitié éternelle, et ce au moment de ses trahisons. À ces faits ma réponse est facile. Dumouriez avait la vanité de se faire passer pour général ; lors de sa victoire remportée à Sainte-Menehould, je n’étais pas d’avis qu’il repassât la Marne, et c’est à ce sujet que je lui envoyais Fabre en ambassade, avec recommandation expresse de caresser l’amour-propre de cet orgueilleux. Je dis donc à Fabre de persuader à Dumouriez qu’il serait généralissime, et à Kellermann qu’il serait nommé maréchal de France.

On me parle aussi de Westermann, mais je n’ai rien eu de commun avec lui ; je sais qu’à la journée du 10 août, Westermann sortit des Tuileries, tout couvert du sang des royalistes, et moi je disais qu’avec 17,000 hommes, disposés comme j’en aurais donné le plan, on aurait pu sauver la patrie.

(Numéro 22 du Bulletin du tribunal révolutionnaire.)


Danton. — Les jurés doivent se souvenir de cette séance des Jacobins, où Westermann fut embrassé si chaudement par les patriotes.

Un juré.Pourriez-vous dire la raison pour laquelle Dumouriez ne poursuivit pas les Prussiens, lors de leur retraite.

Réponse. — Je ne me mêlais de la guerre que sous des rapports politiques ; les opérations militaires m’étaient totalement étrangères. Au surplus, j’avais chargé Billaud-Varennes de surveiller Dumouriez ; c’est lui qu’il faut interroger sur cette matière. Il doit un compte particulier des observations dont il était chargé.

Le juré. — Comment se fait-il que Billaud-Varennes n’ait pas pénétré les projets de Dumouriez, qu’il n’ait pas pressenti ses trahisons et ne les ait pas dévoilées ?

Réponse. — Lorsque l’événement a prononcé, il est bien facile de juger ; il n’en est pas de même tant que le voile de l’avenir existe ; mais d’ailleurs, Billaud-Varennes a fait à la Convention son rapport sur Dumouriez et ses agents.

Billaud m’a paru fort embarrassé sur le compte de ce Dumouriez. Il n’avait pas une opinion bien déterminée sur ce fourbe adroit qui avait l’assentiment de tous les représentants : « Dumouriez, me disait Billaud, nous sert-il fidèlement, ou est-ce un traître ? Je n’ose le décider. »

Quant à moi, dit Danton, cet homme m’était suspect à certains égards ; aussi me suis-je fait un devoir de le dénoncer.

Danton parlait depuis longtemps avec cette véhémence, cette énergie qu’il a tant de fois employée dans les assemblées. En parcourant la série des accusations qui lui étaient personnelles, il avait peine à se défendre de certains mouvements de fureur qui l’animaient ; sa voix altérée indiquait assez qu’il avait besoin de repos. Cette position pénible fut sentie de tous les juges, qui l’invitèrent à suspendre ses moyens de justification, pour les reprendre avec plus de calme et de tranquillité.

Danton se rendit à l’invitation et se tut.

(Numéro 23 du Bulletin du tribunal révolutionnaire.)


Suit l’interrogatoire de quelques-uns des autres accusés ; ceux-ci se récriant, l’accusateur public leur dit :

Il est temps de faire cesser cette lutte tout à la fois scandaleuse et pour le tribunal et pour tous ceux qui vous entendent ; je vais écrire à la Convention pour connaître son vœu, il sera bien exactement suivi.

(Numéro 24 du Bulletin du tribunal.)


Dans la séance de la Convention du 15 germinal, Saint-Just, au nom du Comité de salut public et de sûreté générale, monte à la tribune et dit :

L’accusateur public du tribunal révolutionnaire a mandé que la révolte des coupables avait fait suspendre les débats de la justice jusqu’à ce que la Convention ait pris des mesures. Vous avez échappé au danger le plus grand qui jamais ait menacé la liberté ; maintenant tous les complices sont découverts, et la révolte des criminels aux pieds de la justice même, intimidés par la loi, explique le secret de leur conscience ; leur désespoir, leur fureur annonce que la bonhomie qu’ils faisaient paraître, est le piège le plus hypocrite qui ait été tendu à la Révolution.

Quel innocent s’est jamais révolté devant la loi ? Il ne faut pas d’autres preuves de leurs attentats que leur audace. Quoi ! ceux que nous avons accusés d’être les complices de Dumouriez et d’Orléans, ceux qui n’ont fait une révolution qu’en faveur d’une dynastie nouvelle ; ceux-là qui ont conspiré pour le malheur et l’esclavage du peuple, mettent le comble à leur infamie.

S’il est ici des hommes véritablement amis de la liberté, si l’énergie qui convient à des hommes qui ont entrepris d’affranchir leur pays, est dans leur cœur, vous verrez qu’il n’y a plus de conspirateurs cachés à punir, mais des conspirateurs à front découvert, qui comptant sur l’aristocratie avec laquelle ils ont marché depuis plusieurs années, appellent sur le peuple la vengeance du crime.

Non, la liberté ne reculera pas devant ses ennemis : leur coalition est découverte. Dillon, qui ordonne à son armée de marcher sur Paris, a déclaré que la femme de Desmoulins avait touché de l’argent pour exciter un mouvement, pour assassiner les patriotes et le tribunal révolutionnaire. Nous vous remercions de nous avoir placés au poste de l’honneur ; comme vous, nous couvrirons la patrie de nos corps.

Mourir n’est rien pourvu que la Révolution triomphe ; voilà le jour de gloire, voilà le jour où le Sénat romain lutta contre Catilina, voilà le jour de consolider pour jamais la liberté publique. Vos comités vous répondent d’une surveillance héroïque. Qui peut vous refuser sa vénération dans ce moment terrible, où vous combattez pour la dernière fois contre la faction qui fut indulgente pour vos ennemis, et qui aujourd’hui retrouve sa fureur pour combattre la liberté ?

Vos comités estiment peu la vie, ils font cas de l’honneur. Peuple, tu triompheras, mais puisse cette expérience te faire aimer la Révolution par les périls auxquels elle expose tes amis.

Il était sans exemple que la justice eût été insultée ; et si elle le fut, ce n’a jamais été que par des émigrés insensés, prophétisant la tyrannie. Eh bien, les nouveaux conspirateurs ont récusé la conscience publique. Que faut-il de plus pour achever de nous convaincre de leurs attentats ? Les malheureux, ils avouent leurs crimes en résistant aux lois. Il n’y a que les criminels que l’équité terrible épouvante. Combien étaient-ils dangereux tous ceux qui sous des formes simples cachent leurs complots et leur audace. En ce moment on conspire dans les prisons en leur faveur ; en ce moment l’aristocratie se remue : la lettre qu’on va vous lire vous démontrera vos dangers.

Est-ce par privilège que les accusés se montrent insolents ? Qu’on rappelle donc le tyran, Custine et Brissot du tombeau, car ils n’ont pas joui du privilège épouvantable d’insulter leurs juges. Dans le péril de la patrie, dans le degré de majesté où vous a placés le peuple, marquez la distance qui vous sépare des coupables. C’est dans ces vues que le comité vous propose le décret suivant :

« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public et de sûreté générale, décrète que le tribunal révolutionnaire continuera l’instruction relative à la conjuration Lacroix, Danton et autres, que le président emploiera tous les moyens que la loi lui donne pour faire respecter son autorité et celle du tribunal révolutionnaire, et pour réprimer toute tentative de la part des accusés pour troubler la tranquillité publique, et entraver la marche de la justice :

« Décrète que tout prévenu de conspiration, qui résistera ou qui insultera la justice nationale, sera mis hors des débats sur-le-champ.

L’accusateur public. — Danton, vous êtes accusé d’avoir blâmé Henriot dans la journée du 31 mai ; de l’avoir accusé de vouloir vous assassiner et d’avoir demandé la tête de ce patriote qui servait si bien la liberté ; et en cela vous étiez d’accord avec Hérault et Lacroix ; vous lui faisiez un crime du mouvement qu’il avait fait pour échapper à un acte d’oppression de votre part ; comme vous présagiez la perte de Paris.

Danton. — C’est une monstrueuse calomnie dirigée contre moi ; je ne fus point l’ennemi de la révolution du 31 mai, ni de pensées, ni d’actions, et je combattis fortement les opinions d’Isnard ; je m’élevai fortement contre les présages ; je dis : y a-t-il cinquante membres comme nous, cela suffirait pour exterminer les conspirateurs.

(No 24 du Bulletin du tribunal.)


L’accusateur public. — N’ayant pu consommer votre projet, vous dissimulâtes votre fureur, vous regardâtes Henriot, et lui dites d’un ton hypocrite : n’aie pas peur, va toujours ton train.

Danton. — Bien longtemps avant l’insurrection, elle avait été prévue par moi, et nous ne nous sommes présentés devant la force armée que pour constater que la Convention n’était pas esclave. Je somme de nouveau les témoins qui pourraient m’accuser, comme j’invoque l’audition de ceux propres à m’absoudre… Je n’ai point demandé l’arrestation d’Henriot, et je fus un de ses plus fermes appuis.

(No 25 du Bulletin du tribunal.)


À l’ouverture de la troisième séance, Danton et Lacroix ont renouvelé leurs indécences, et ont demandé, en termes peu respectueux, l’audition de leurs témoins : on voyait que leur but était de soulever l’auditoire, et d’exciter quelque mouvement propre à les sauver.

L’accusateur public, pour arrêter les suites de ces sorties scandaleuses, a invité le greffier à faire lecture du décret tout récemment rendu par l’Assemblée nationale, qui mettait hors des débats tout accusé qui ne saurait pas respecter le tribunal ; il a déclaré bien formellement aux accusés Lacroix et Danton, qu’il avait une foule de témoins à produire contre eux, et qui tous tendaient à les confondre ; mais qu’en se conformant aux ordres de la Convention, il s’abstiendrait de faire entendre tous ces témoins, et qu’eux accusés ne devaient point compter de faire entendre les leurs ; qu’ils ne seraient jugés que sur des preuves écrites, et n’avaient à se défendre que contre ce genre de preuves.

Il a également rendu compte des tentatives faites par Dillon, dans les prisons, pour soulever les détenus contre toutes les autorités constituées, et de sommes répandues dans le public pour sauver les accusés. Les débats ont ensuite été repris.

Après plusieurs interrogatoires adressés aux frères Frey, Danton et Lacroix demandaient à continuer leur défense, lorsque l’accusateur public, conformément au décret qui veut que le jury soit interrogé, s’il est suffisamment éclairé, quand une affaire a duré plus de trois jours, a invité les jurés à faire leur déclaration à cet égard.

Ils ont demandé à se retirer dans leurs chambres pour délibérer.

Alors les accusés et principalement Lacroix et Danton ont crié à l’injustice et à la tyrannie : nous allons être jugés sans être entendus, ont-ils dit. Point de délibération, ont-ils ajouté, nous avons assez vécu pour nous endormir dans le sein de la gloire ; que l’on nous conduise à l’échafaud.

Ces sorties indécentes ont déterminé le tribunal à faire retirer les accusés ; le jury de retour s’est déclaré suffisamment instruit, les questions ont été posées, et, d’après la question unanime du jury il est intervenu le jugement suivant :

« D’après la déclaration du jury portant :

« Qu’il a existé une conspiration tendant à rétablir la monarchie, à détruire la représentation nationale et le gouvernement républicain ;

« Que Danton est convaincu d’avoir trempé dans cette conspiration.

« Le tribunal, faisant droit sur le réquisitoire de l’accusateur public, condamne le dit Danton à la peine de mort, conformément à la loi du 23 ventôse dernier ; déclare les biens dudit condamné acquis à la République, conformément à l’article 2 du titre 2 de la loi du 10 mars 1793.

« Ordonne qu’à la diligence de l’accusateur public, le présent jugement sera mis à exécution dans les 24 heures, sur la place de la Révolution, à Paris ; imprimé et affiché dans toute la République. »

(Numéro 26 du Bulletin du tribunal révolutionnaire.)