La guerre qui tuera la guerre
Traduction par Georges-Bazile.
(p. 201-271).

LA PAIX DU MONDE

ESSAI


I


Il n’y eut sans doute jamais auparavant, dans tout le passé de l’humanité, tant de gens convaincus de l’horreur de la guerre ni une aussi grande proportion anxieuse de mettre fin à la guerre et de rarranger les affaires du monde de telle sorte que cet immense cataclysme, fait de privations, de souffrances, de destruction et de tuerie, qui se poursuit en Europe, ne puisse jamais se renouveler.

L’auteur de cet essai fait partie de cette grande majorité de gens. Il veut, autant que cela est possible, mettre fin à la guerre complètement et disposer les choses de façon que, lorsqu’une crise quelconque inévitable se produira, elle puisse être aussi peu cruelle et horrible que possible.

Mais désirer et obtenir, c’est là deux choses différentes. Il ne s’ensuit pas, parce que cette aspiration vers la paix mondiale est presque universelle, qu’elle soit réalisée. Il peut y avoir des fautes en nous, des influences non soupçonnées, intérieures et extérieures, qui peuvent travailler à vaincre nos sentiments superficiels.

Si l’on veut que la paix soit établie définitivement il ne faut pas seulement désirer la paix, mais vouloir la paix. Si sur cent hommes quatre-vingt-dix-neuf désirent la paix et ne s’en occupent pas autrement, le seul homme qui reste à part s’armera et rétablira l’oppression et la guerre.

La paix doit être organisée et maintenue.

La monstrueuse catastrophe actuelle est le résultat de quarante-trois années d’armement mondial systématique, habile, industrieux. Par un désarmement aussi systématique, aussi habile et aussi industrieux, et par cela seulement, nous pouvons espérer arriver à des siècles de paix.

Il n’est besoin d’aucune excuse, par conséquent, pour discuter sur la façon dont la paix doit être organisée et établie à la conclusion de cette guerre.

Je vais établir et estimer, aussi soigneusement que j’en suis capable, les forces en faveur d’une organisation de paix et les forces en faveur de la guerre. Je vais faire de mon mieux pour diagnostiser le mal de la guerre.

Je veux découvrir, pour ma propre gouverne d’abord, et ensuite dans le but de coopérer avec d’autres gens, ce qui doit être fait pour empêcher la continuation et la recrudescence de la guerre.

Une telle enquête est manifestement le premier pas nécessaire vers n’importe quelle pacification du monde. Si manifestement même que, naturellement, d’innombrables personnes, autres que moi, sont en train d’y travailler. C’est une sorte d’exploration scientifique d’un genre particulier.

Chacun de nous découvrira probablement pas mal de vérités et un nombre considérable d’erreurs. Les vérités seront toujours les mêmes et les erreurs se contrediront et se repousseront mutuellement.

Mais il est clair que, dans cette affaire, il n’y a point de simple panacée et que seulement par la volonté et la persistance nous déblaierons une conception générale de la route que la multitude qui désire la paix doit suivre.

D’abord on doit remarquer que chez tout le monde il y a un certain désaccord quant à la guerre. Tout homme est partagé contre lui-même. Dans l’ensemble, la plupart de nous désirons la paix. Mais il n’est guère de gens qui n’aient quelque sentiment belliqueux en sommeil qui ne demande qu’à se réveiller, ou quelque admiration cachée pour les héroïsmes et les attraits imaginatifs de la guerre.

Je suis assis à ma table en train d’écrire sur la paix du monde, mais, immédiatement avant de m’installer à ma table, je lisais le journal du matin et, en particulier, la lutte entre le Sydney et l’Emden aux îles Cocos.

J’avoue avoir ressenti une satisfaction intense à la lecture du récit des coups implacables portés à l’Emden par les canons du navire australien. Il y a une sensation de grandeur, une immensité magnifique, dans un grand nombre des faits cruels de la guerre ; ils excitent en vous une sorte de vigoureuse exaltation.

Nous avons tous en nous cette passion destructive et il ne sert à rien de dire que nous ne l’avons pas. La première chose que nous devons faire pour la paix du monde c’est de commander à ce sentiment. Et pour arriver à cela il n’est rien de plus efficace que d’avoir présent à l’esprit l’autre côté des réalités de la guerre.

Pour ma part, j’ai sous la main certaine lettre d’une doctoresse très capable qui est revenue récemment de Calais.

Le tétanos, la gangrène, des hommes blessés bandés de chiffons sales et gisant lamentablement dans des abris humides, des hommes sans blessures mais si brisés par les horreurs glaciales des tranchées de l’Yser qu’ils sont devenus presque fous : voilà de quoi est composé son tableau.

Un jeune officier lui parla des opérations, des villes et des villages dévastés, de la putréfaction des soldats et des chevaux tués, de ses hommes qui étaient morts, blessés ou mutilés, de la liste des camarades qu’il avait perdus.

« Soudain il se mit à pleurer. Il pleurait à chaudes larmes, tout comme un enfant qu’on aurait trop grondé, et je ne pouvais rien pour le consoler. »

C’était un homme fort et un brave homme et c’est à ça que l’amenèrent trois mois de guerre.

Et, dans cette lettre, il y a encore ceci :

« Il y avait un nombre presque suffisant de docteurs belges, mais pas d’infirmières, si ce n’est quelques jeunes filles françaises peu au courant, presque pas de matériel et pas de place pour une chirurgie convenable. On nous parla d’une maison qui contenait soixante-et-un hommes et ni docteurs ni infirmières — la plupart moururent sans recevoir la moindre assistance médicale. Madame N… et moi, le mercredi suivant, nous trouvâmes quatre hommes, couchés sur de la paille, dans une boutique, avec des blessures aux pieds et aux jambes, qui n’avaient pas été pansés depuis le vendredi et n’avaient jamais été examinés par un docteur. Ajoutez à cela des centaines et des centaines de blessés qui, pouvant marcher, essayaient de trouver un abri dans quelque coin, en outre des nombreux soldats belges et français non blessés en garnison dans la ville.

« Et comme si cet inferno de misère n’était pas suffisant, il y avait encore les réfugiés ! Ce n’était point des Belges ainsi que je l’imaginais, mais des Français. Il paraît que les deux armées anglaise et française durent évacuer la population civile de toute la zone combattante — autant pour empêcher l’espionnage et la trahison (qui ne manquèrent ni à une armée ni à l’autre) que parce qu’elle mourait de faim. Elle fut envoyée à Calais, puis, de là, en bateau jusqu’au Havre. Ce premier dimanche soir un cortège sans fin se déroula, sous une pluie battante, de la gare aux quais.

« Chaque famille avait une voiture d’enfant (des plus commodes, d’ailleurs) sur laquelle étaient entassées, avec quelques bouts de pain, quelques hardes enroulées, sous lesquelles, lorsqu’on regardait de près, on apercevait deux petits enfants qui criaient. Il y avait peu de jeunes gens ; c’était pour la plupart des enfants en larmes, à l’air effrayé, et de malheureux vieillards, hommes et femmes, courbés par l’âge et la douleur. Ça paraissait trop effrayant pour être vrai, même lorsqu’ils nous coudoyaient en passant devant nous, sous la pluie, nous ne pouvions croire que ces êtres abattus étaient réels. Ils semblaient surnaturalisés par la misère d’une façon étrange. Quelques-uns dormirent dans des salles de patinage, des entrepôts, d’autres à bord de l’Amiral-Ganteaume[1] (qui aurait pu imaginer qu’aux horreurs de l’exil, ces gens verraient, le lendemain, s’ajouter celles du naufrage ?), d’autres restèrent certainement debout toute la nuit dans la salle d’attente, en face de notre hôtel. Ceci dura toute la semaine et se continuait quand nous partîmes. »

Néanmoins, je ressentis une impression agréable, en songeant aux bombes qui coulèrent l’Emden, avec les hommes à bord de l’Emden, et lorsque je lus, l’autre jour, que des canons de marine avaient détruit plus de quatre mille hommes dans les tranchées aux environs de Middelkerque, je fis la remarque que « nous marchions bien ».

C’est seulement dans l’ensemble que nous autres, qui voulons mettre fin à la guerre, haïssons et condamnons la guerre ; nous retombons constamment dans l’orgueil et si nous oublions ce sentiment belliqueux et cette admiration pour les coups bien frappés que cache notre nature, nous entreprendrons notre tâche dans des conditions irrémédiablement défectueuses. Nous estimerons au-dessous de leur valeur les forces très puissantes qui vont à l’encontre des efforts pacifistes et nous nous méprendrons complètement sur elles.

Considérons donc d’abord les forces qui sont directement opposées à la pacification du monde, les forces qui travailleront ouvertement et d’une façon définie à la conservation de la guerre comme condition humaine. Et n’oublions pas, surtout, que les forces qui sont pour une chose sont presque toujours plus unies, plus concentrées et plus effectives que les forces qui sont contre cette chose.

Nous, qui sommes contre la guerre et voulons l’arrêter, nous le sommes pour une grande multitude de raisons.

Il y a dans la vie d’autres choses que nous préférons, et la guerre arrête ces autres choses. Certains d’entre nous veulent s’adonner à l’art, d’autres veulent mener une vie industrieuse à la ville ou à la campagne, d’autres veulent continuer des études scientifiques, d’autres veulent des plaisirs d’une sorte ou d’une autre, d’autres encore veulent mener une vie de religion, austère ou non. Mais nous sommes tous d’accord à fixer notre esprit sur autre chose que la guerre.

Et tant que nous fixons notre esprit sur d’autres choses, la guerre devient possible et probable à cause de notre inattention générale.

Nous, nous n’y faisons pas attention mais, tout ce temps, les gens qui veulent réellement la guerre et le militarisme fixent leur esprit sur le seul point qui les intéresse. Ils complotent la façon dont cette guerre sera faite, ils projettent comment la causer. Et nous découvrons soudain, ainsi que l’ont découvert l’art et le développement social, l’industrie et la vie agréable, la civilisation de l’Angleterre, de la France, de l’Allemagne et de la Russie, que tout doit être jeté de côté lorsque les penseurs de la guerre ont décidé à donner libre cours à leur jeu.

Et jusqu’à ce que la majorité pacifique produise une organisation satisfaisante quelconque qui surveillera les faiseurs de guerre, nous ne mettrons jamais fin à la guerre, pas plus qu’un pays ne peut mettre fin au crime et au vol sans une police. Dans les deux cas un spécialiste doit veiller sur un spécialiste. De simples expressions d’une haine vertueuse envers la guerre ne mettront jamais fin à la guerre tant que le monde durera.

Les gens qui, actuellement, veulent la guerre ne furent peut-être jamais aussi nombreux. La plupart des gens veulent la guerre parfois et quelques gens seulement veulent la guerre toujours. Ce sont ces derniers qui sont, pour ainsi dire, le germe de la créature « guerre » que nous voulons détruire.

Ce penchant pour un beau coup qui s’épanouit en moi pendant un instant, tandis que je lisais l’exploit des canons de marine, est chez eux une passion dominante. Elle n’est pas contrebalancée et encore moins étouffée chez eux comme elle l’est chez moi par le sentiment de gaspillage, par la pitié et par l’horreur, par l’amour des hommes à l’esprit fort et courageux et qui cependant pleurent amèrement la misère et la mort de bons amis.

Ces amoureux de la guerre sont des créatures d’une continuation plus simple. Et ils semblent capables d’une haine plus grande. Vous découvrirez, si vous leur parlez habilement, qu’ils considèrent que la guerre « ennoblit », et quand ils disent « ennoblir », ils signifiant qu’elle détruit les dix mille choses de la vie dont ils ne jouissent pas ou qu’ils ne comprennent ou ne tolèrent point, choses qui les remplissent par conséquent d’envie et de perplexité — de ces choses, telles que le plaisir, la beauté, la délicatesse, le loisir. Dans l’hypocrisie du langage moderne vous les entendrez appeler : « dégénéré » tout ce qui n’est pas brut et obligatoire dans la vie.

Et remontant jusqu’aux écrits les plus anciens, dans les discours les plus assoiffés de sang des prophètes hébreux, par exemple, vous découvrirez qu’à la base de l’esprit guerrier se trouve la haine pour une vie plus compliquée, plus raffinée, plus jolie et plus heureuse.

Les peuples militaires ont toujours été des peuples durs et plutôt stupides, remplis d’une indignation vertueuse contre tout ce qu’ils ne comprennent point. Le Prussien moderne s’en va en guerre aujourd’hui avec un sentiment de supériorité morale, aussi suprême que les Arabes quand ils se ruèrent sur l’Égypte et l’Afrique du Nord. L’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie reste pour toujours le symbole du triomphe d’une « culture » militariste sur la civilisation. Cette croyance facile des gens tristes ou violents que la guerre « fortifie » vient d’un instinct réel de la défense de soi contre les épreuves plus mobiles de la paix.

Ce type de gens s’accommodera de la guerre, s’il le peut. Il est à la politique ce que le type criminel est à l’ordre social ; il sera hostile à tout essai d’établissement d’un ordre pacifique dans le monde.

Cette lourde envie qui est la caractéristique dominante du type militariste ne lui est, en aucune façon, spéciale. Elle est plus ou moins en chacun de nous tous. En Angleterre, on la trouve beaucoup moins fréquemment chez les soldats de profession que parmi les hommes sédentaires éduqués. En Allemagne, aussi, le militarisme le plus absolu et le plus féroce se trouve sous la redingote des professeurs.

À l’heure actuelle, l’Angleterre est emplie des plaintes respectueuses contre les professeurs allemands, mais, en réalité, il n’y a point de monopole pour cela en Allemagne, et avant l’Allemagne l’Angleterre produisit quelques-uns des spécimens les plus parfaits du militarisme agressif. Lire ce qu’écrivit Froude sur l’Irlande ou Carlyle sur la guerre franco-allemande c’est déguster dans sa perfection ce tempérament qui pousse à la haine.

Une grande partie de ce caractère littéraire belliqueux est pathologique. Les hommes plongés dans l’étude et emmurés dans les universités attrapent des maladies de foie et de cœur, ils souffrent de timidité, de la persuasion d’un mérite excessif et négligé, mélancolie de vieille fille, et de la haine de toutes les gaietés de la vie. Et leur souffrance s’exhale en des pensées sauvages. Un bain vigoureux quotidien, une société mélangée, la suppression complète de la bière, de l’alcool et du tabac et deux heures de hockey dans l’après-midi feraient probablement des hommes des plus tolérants de tous ces militaristes professionnels enragés. Un régime de ce genre aurait été certainement le salut de Froude et de Carlyle. Il aurait probablement épargné au monde les vitupérations des prophètes hébreux — ces modèles du mal infini…

Des cas extrêmes nous passons aux cas moyens par des degrés insensibles.

Nous sommes tous, probablement, en tant qu’êtres, un peu trop portés vers l’intolérance et si, en toute sincérité, nous voulons mettre fin à la guerre sur cette terre, nous devons nous préparer à des exercices considérables de contrainte personnelle lorsque nous voyons des gens étrangers agir, croire et vivre d’une façon différente de la nôtre. Cette minorité d’âmes continuellement aigries qui veulent voir brûler les villes qui ne leur plaisent pas et fuir et mourir les hommes, forme la force réelle qui s’abrite derrière nos complicités occasionnelles.

Le monde a eu sa dernière leçon de choses dans le mépris des Allemands pour les Anglais et les Français, qu’ils traitaient de « dégénérés », pour les Russes ces « hordes du Mongol », pour les Japonais « ces sauvages jaunes », mais ce ne sont pas seulement les Allemands qui se sont laissés entraîner par la vanité nationale jusqu’à ces laides hostilités envers un mode de vie qui ne leur était pas familier. La première attaque contre la guerre doit être dirigée contre l’orgueil de soi et l’intolérance. Ces choses sont, partout, le germe d’un militarisme absolu et incurable.

Maintenant cette attaque contre l’orgueil de soi, l’intolérance, et le militarisme sévère qui naît naturellement de ces choses, doit être faite d’un certain nombre de façons. La première, c’est une propagande persuasive de la vérité au sujet de la guerre, une résolution opiniâtre de laisser vivace la douleur de la guerre dans les nerfs des inconscients, de laisser la putréfaction de la guerre sous le nez qui sans cela resterait indifférent.

C’est seulement dans le cerveau des ténébreux écrivains mégalomanes que la guerre agressive devient une chose grande et glorieuse. En réalité, c’est un outrage immonde à la vie, une méchanceté délibérée : les habitations saccagées par un idiot, des chauffeurs échaudés, des canonniers éventrés, des femmes violées par des soldats ivres.

Par le livre et par le pamphlet, par la peinture et par le cinématographe, le pacifiste doit organiser la sagesse dans cette affaire. Et ce ne sont plus seulement l’indignation et la misère qui doivent l’aider dans cette tâche. Le farouche militariste absolu ne se laissera pas ébranler dans ses déterminations par notre horreur et notre hostilité. Ces choses ne feront que le « fortifier ».

Il y a un côté plus vulnérable. L’arme ultime contre toute forme de stupidité est le ridicule, et contre la haute imbécilité du militariste, elle est particulièrement efficace. C’est le rire des gens de bon sens qui mettra fin à la guerre.

L’homme farouche, fort silencieux, ne cessera de nous importuner que lorsque nous l’aurons dépouillé de son dernier haillon de prétention et que nous aurons touché la fibre sensible de sa vanité par la mise à nu tant appréhendée de sa sottise.

La littérature aura manqué à son devoir envers l’humanité si elle est assez aveuglée par la monstrueuse misère des Flandres pour passer à côté de la trivialité essentielle qui dirige la guerre actuelle. L’assassinat de dix millions d’hommes ne peut rendre le caractère du kaiser allemand autre que théâtral et imbécile. Nous perdrons complètement la signification de la guerre si nous ne traçons pas un tableau, pour nous et pour la postérité, de l’absurdité indécise de la monarchie allemande, de la figure stupide du kronprinz cambriolant les châteaux de France et emportant les tabatières et les icônes, tandis que toute l’Allemagne saigne mortellement pour faire de lui le César d’un nouvel Empire du monde.

La plus grande partie du monde est dans la douleur et dans la fièvre, mais cela ne rend pas la cause de cette douleur et de cette fièvre noble ou grande. Un homme peut mourir de la fièvre jaune par suite d’une piqûre de moustique ; cela ne rend pas un moustique quelque chose de plus qu’un insecte sale ni un impérialiste agressif quelque chose de mieux qu’un fou de cabaret.

C’est pourquoi nous ne devons reconnaître d’autre guerre héroïque que la guerre défensive, et comme les seuls guerriers honorables ces hommes tels que les paysans de Visé qui partirent armés de fusils de chasse contre la multitude envahissante qui piétinait leurs champs…

Ou la guerre qui aide cette guerre défensive.



II


Mais les gens qui positivement admirent la guerre, la défendent et la désirent pour elle-même, ne sont qu’une petite minorité fiévreuse de l’humanité. Le plus grand obstacle à la pacification du monde ce n’est pas l’homme qui court après la guerre, mais les vastes masses de gens qui, pour les motifs les plus divers, encouragent et maintiennent toutes sortes d’institutions et de séparations qui favorisent la guerre. Ils ne veulent pas la guerre, ils n’aiment pas la guerre, mais ils ne feront pas le moindre sacrifice, ils ne s’efforceront pas, de quelque façon que ce soit, de rendre la guerre difficile ou impossible. C’est eux qui servent d’excuse au maniaque de la guerre. Ils n’éloigneront pas de lui le canon, ils ne mettront pas une limite raisonnable aux disputes dans lesquelles il peut finalement jeter ce qui pour lui remplace une solution. Ils sont comme les gens qui craignent et détestent la fièvre jaune, mais s’opposent à jeter du pétrole sur les mares, ce qui est nécessaire pour l’empêcher, parce que ça pourrait détruire les nénuphars. Maintenant, il est nécessaire, si nous devons avoir une campagne contre la guerre intelligemment dirigée, de faire une classification claire et sûre de ces gens à demi-cœur, de ces gens qui ne veulent pas la guerre mais qui la permettent. Leurs indécisions, leur incertitude, ce sont là les obstacles de brouillard qui s’opposent trop efficacement à notre désir de mettre fin à la guerre pour toujours.

Et, d’abord, il est une chose très évidente, c’est la nécessité d’une autorité mondiale de contrôle si l’on veut que les traités soient respectés et la guerre abolie. Tant qu’il y aura de nombreux souverains au monde absolument libres de faire chacun ce que bon lui semble, armer ses sujets ou renier ses engagements, il ne peut y avoir de paix assurée.

Mais la grande majorité de ceux qui désirent sincèrement la paix ne peut comprendre cela. Il y a, par exemple, de nombreux libéraux anglais à la vieille mode qui dénoncent le militarisme et les « liens des traités » avec une égale ardeur, ils veulent que la Grande-Bretagne reste seule, non agressive, mais libre, ne comprenant pas qu’un tel isolement est le plus sûr encouragement à la cupidité de n’importe quelle puissance amoureuse de la guerre. On trouve la même chose exactement en Amérique, et à un point encore plus grand peut-être. Mais ce n’est que par le tissage d’un réseau de traités, liant tous les pays par des obligations générales à la protection mutuelle, qu’une telle pacification mondiale peut être atteinte. L’alliance actuelle contre l’insupportable militarisme de l’Allemagne peut être le précurseur d’une alliance beaucoup plus vaste contre n’importe quelle agression future. Ce n’est que par un tel arrangement qu’il y a quelque espoir raisonnable d’un contrôle et d’une cessation de ces constantes disputes et passions internationales, de cette concurrence financière, de cette rivalité d’influence dans les petits états neutres, qui ont donné naissance à toutes les luttes du siècle dernier et qui ne peuvent qu’accumuler les tensions en faveur de nouvelles guerres, tant qu’on les supportera.

Déjà plusieurs États, et particulièrement le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, ont signé des traités d’arbitrage et le Tribunal de la Haye tisse un premier réseau d’obligations, exemplaires bien que fragiles, entre les pays du monde. Mais ce ne sont là que les faibles suggestions initiales de possibilités beaucoup plus grandes, et ce sont ces plus grandes possibilités qui doivent maintenant être réalisées si tout ce qui a été dit et écrit au sujet de la guerre qui tuera la guerre doit porter des fruits.

Ce qui, maintenant, chaque semaine de la lutte actuelle, devient de plus en plus praticable, c’est l’établissement d’une nouvelle assemblée qui prendra la place des diverses ambassades et organisations diplomatiques, d’une tradition et d’un modèle moyenâgeux, qui ont jusqu’ici dirigé les affaires internationales. Cette guerre doit finir par un accord public, auquel tous les belligérants apposeront leurs signatures ; ce ne sera pas une liasse de traités, mais un traité liant huit ou neuf puissances, ou même davantage. Cet accord sera presque certainement atteint dans une Conférence des représentants des divers ministères des Affaires Étrangères engagés.

Très probablement les puissances neutres intéressées enverront aussi des représentants. Il n’y a pas de raison pourquoi cette Conférence serait dissoute ensuite ; pourquoi elle ne deviendrait pas une Conférence permanente pour les relations entre elles des puissances participantes et le maintien de la paix du monde. Elle pourrait avoir un siège à elle, des fonctionnaires à elle, un revenu à elle ; elle pourrait siéger et discuter en séances publiques, publier les traités généraux liant entre elles les puissances contractantes et revendiquer pour le soutien de ses décisions leurs ressources militaires et navales.

La prédominance des grandes puissances pourrait être assurée en accordant aux représentants un nombre de voix proportionnel à la population représentée, ou par une sorte de représentation proportionnelle. Chaque puissance pourrait nommer ses représentants par l’intermédiaire de son Ministère des Affaires Étrangères ou par n’importe quel autre moyen qu’elle jugerait convenable. Ils pourraient même être élus directement par la nation.

Et un corps de ce genre ne serait pas seulement d’une autorité énorme dans le libellé, l’interprétation et le respect des traités, mais il pourrait encore s’occuper d’une centaine de fonctions utiles relatives à l’hygiène mondiale, le commerce et le voyage internationaux, le contrôle de l’océan, l’exploration et la consécration des ressources mondiales de la matière brute et de l’approvisionnement en nourriture.

Ce serait, en somme, comme un Conseil du Monde.

Aujourd’hui c’est une proposition entièrement praticable et d’un avenir brillant, si nous pouvons seulement surmonter l’opposition de ceux qui s’accrochent à cette croyance qu’il est possible à un pays d’être à la fois entièrement pacifique et entièrement irresponsable envers le reste de l’humanité, même entièrement détaché de lui.

Avec une assemblée de ce genre, une aussi grande alliance des puissances mondiales, beaucoup d’autres choses tendant à la pacification du monde deviennent possibles.

Sans elle, nous pouvons peut-être espérer un certain bénéfice des bons sentiments améliorés de l’humanité et de la défaite de la culture militaire allemande, mais nous ne pouvons espérer l’établissement réel et organisé de la paix…

Je crois qu’un puissant appui en faveur de la création et du maintien d’un Congrès du Monde de ce genre pourrait facilement et rapidement se développer dans l’Amérique du Nord et du Sud, en Grande-Bretagne et dans l’Empire britannique en général, en France et en Italie, dans tous les petits pays de l’Europe septentrionale, centrale et occidentale ; il aurait probablement l’appui personnel du Tsar, à moins que ce dernier n’ait profondément changé d’opinion depuis le jour où il commença son règne ; il aurait l’acceptation de la Chine et du Japon éduqués et la bonne volonté d’une Allemagne renaissante.

Il ouvrirait une ère nouvelle pour l’humanité.



III


Cette idée d’un Congrès des belligérants pour régler l’accord de la paix après cette guerre se développant, par l’adjonction des puissances neutres, en un Congrès du Monde permanent pour faire respecter la loi internationale et maintenir la paix de l’humanité, est si raisonnable, attrayante et désirable que si elle était convenablement expliquée elle recevrait probablement l’appui de dix-neuf personnes intelligentes sur vingt. Néanmoins sa réalisation est, dans l’ensemble, improbable. Un simple dégoût universel de la guerre n’est pas plus susceptible de mettre fin à la guerre que l’aversion universelle de la mort n’a mis fin à la mort. Et bien que la guerre, contrairement à la mort, semble être un sort qu’on peut éviter, il ne s’ensuit pas que son extrême impopularité actuelle y mette fin, à moins que des gens non seulement le désirent mais encore veillent à ce que leur désir soit accompli.

Et là encore on est susceptible de rencontrer une opposition active et forte. Bien que la volonté et le bien-être du monde entier puissent être en faveur de la direction future des relations internationales par l’entremise d’un Congrès du Monde, la masse entière de ceux dont les affaires ont été la direction de ces relations internationales est susceptible d’être ou sceptique ou activement hostile envers un tel projet. Tous les Ministres des Affaires Étrangères, les Ministres Étrangers, les diplomates du monde entier, les politiciens qui se sont spécialisés dans la revendication nationale et les cours qui l’ont symbolisée et renforcée, tous les gens, en un mot, qui auront le contrôle de l’arrangement sont susceptibles de s’opposer à un changement aussi révolutionnaire.

Car ce serait un changement des plus révolutionnaires. Il mettrait fin au secret. Il mettrait fin à tout ce qu’on entend généralement par diplomatie. Il débarrasserait complètement le monde de ces compromis privés et de ces accords en prévision secrets, de ces intrigues, de ces tirages de ficelles et de ces opérations quasi-financières qui ont été la substance même des relations internationales jusqu’ici.

À ces hommes capables et intéressés, pour la plupart très accoutumés à l’état de choses actuel, joueurs habiles et savants du vieux jeu, c’est proposer un jeu nouveau, brutal, difficile et peu sympathique. Ils peuvent, tous ou la plupart d’entre eux, haïr la guerre, mais ils s’attachent à cette conviction que leur méthode d’opérer peut maintenant, après un nouvel arrangement, être parfaitement capable d’empêcher ou d’atténuer la guerre.

Tous les hommes s’habituent à un mode de vie et il est tout aussi difficile à la nature humaine d’abandonner délibérément, au milieu de la vie, une méthode familière de traiter les choses en faveur d’une méthode nouvelle et non encore essayée, que de changer de langue ou d’émigrer dans un pays entièrement différent. Je comprends ce que cette proposition signifie pour les diplomates quand j’essaie de supposer qu’on pourrait m’inviter à assister à l’abolition des livres et du journalisme en faveur du gramophone et du cinématographe, ou m’inviter à adopter l’allemand comme le seul moyen de m’exprimer. Ce n’est que par une pression énorme de l’opinion mondiale sur ces monarques, ces ministres et ces représentants que ceux-ci seront obligés de considérer la possibilité de s’adapter eux-mêmes à ce nouveau style de relations internationales par l’entremise d’un congrès permanent. C’est seulement la considération des espoirs énormes que ce congrès présente au reste du monde qui nous donne le courage de le recommander.

Dans la question de l’abolition possible du système diplomatique actuel, tout comme dans le cas de l’abolition possible de la guerre, bien qu’en faveur de l’abolition il doive y avoir d’énormes intérêts prépondérants et une énorme majorité prépondérante, ce sont néanmoins des intérêts dispersés et une majorité inorganisée et diverse. Du côté adverse, la minorité est, au contraire, compacte, plus intensément et plus immédiatement intéressée et capable de résister à de grands changements avec un maximum d’efficacité.

Il y a par conséquent le plus grand besoin d’une organisation forte et d’une propagande intense en faveur d’un Congrès du Monde si cette minorité, avantageusement postée, doit être surmontée. Et de ces pays tels que les États-Unis en particulier et des petits pays neutres libéraux d’Europe, dont la diplomatie est moins développée et a moins d’influence, les gens à l’esprit libéral sont des plus disposés à attendre, et attendent en réalité, une conduite dans cette affaire particulière. Les forces libérales de Grande-Bretagne, de France et de Russie sont extraordinairement embarrassées et entravées par les vastes nécessités belligérantes dans lesquelles la vie de ces nations s’est trouvée engagée. Mais elles suivraient une conduite de ce genre avec la plus grande vigueur et le plus grand enthousiasme.

Quiconque a suivi l’histoire diplomatique des négociations qui aboutirent à cette guerre, ne peut douter que, si au lieu de traités secrets, il y avait eu de franches proclamations d’intentions et une franche discussion des ambitions internationales, cette catastrophe aurait pu être épargnée au monde. Ce n’est condamner personne ni aucun pays de dire cela. Les réserves, les hésitations et les méprises qui poussèrent l’Allemagne à supposer que l’Angleterre attendrait patiemment que la France et la Belgique soient détruites avant qu’on s’occupe d’elle, étaient inévitables dans les conditions diplomatiques existantes.

Ce que les gens raisonnables doivent faire maintenant, ce n’est pas récriminer sur les détails d’un système dont nous pouvons tous apercevoir qu’il est désespérément mauvais, mais faire leur possible, en ce moment qui en présente l’occasion, pour détruire les obscurités dans lesquelles de nouveaux malheurs sont en réserve pour nos enfants.

Permettez-moi de résumer cette opinion en d’autres mots, d’ailleurs légèrement différents. À la fin de cette guerre, il doit y avoir un congrès d’arrangement. Ce que nous suggérons dans ce chapitre c’est de rendre ce congrès permanent, de l’employer à éclaircir et à mettre au net les relations internationales et d’abolir les ambassades. Au lieu qu’il y ait un ambassadeur britannique, par exemple, dans toutes les capitales suffisamment importantes, et à Londres un ambassadeur de tout État considérable, ainsi qu’un labyrinthe complexe de relations, méprises, fausses interprétations, naissant des activités mal coordonnées de ce double système d’agents, nous proposons d’envoyer un ou plusieurs ambassadeurs dans une ville centrale, telle que La Haye, pour s’y rencontrer avec tous les ambassadeurs de tous les États importants du monde et traiter les affaires internationales en réunion collective avec une franchise nouvelle.

Ceci est maintenant devenu une façon possible de traiter les affaires du monde par suite du développement des moyens de communication et d’information. L’ambassade dans un pays étranger est comme une extension de son pays d’origine, installée là pour surveiller, reprocher et proposer, sorte d’œil et de doigt au cœur du pays-hôte ; en cela, elle est maintenant maladroite, inutile, inefficace et dangereuse. Pour la plupart des travaux de routine, pour les rapports de toutes sortes, pour l’action légale et autre au nom des nationaux en voyage, le service consulaire est suffisant ou peut facilement être rendu suffisant. Ce qui reste de l’appareil ambassadorial pourrait très bien se confondre avec le système consulaire, et l’ambassade devenir une civilité de cour internationale, un vestige cérémonial sans aucune valeur diplomatique.



IV


Étant donné un permanent Congrès du Monde, qui serait le développement du congrès d’arrangement entre les belligérants, une alliance mondiale, avec la faculté, en dernier ressort, de faire appel aux forces des Puissances associées, pour rappeler à la raison les récalcitrants, un grand nombre de possibilités s’ouvrent alors à l’humanité qui, autrement, resteraient inaccessibles.

Mais avant que nous parlions de ces possibilités il serait sage de faire remarquer combien un Congrès du Monde serait plus susceptible à la fin de la guerre de conclure un arrangement satisfaisant qu’un congrès confiné aux seuls belligérants.

La guerre a progressé suffisamment pour convaincre tout le monde qu’il ne peut être question maintenant d’une victoire écrasante de l’Allemagne. Elle finira par une défaite plus ou moins complète de l’alliance germano-turque et par un redressement considérable des frontières autrichiennes et ottomanes.

Assistés par la générosité des Autrichiens et des Turcs prédestinés à la ruine, les Allemands se battent maintenant pour s’assurer une voix aussi grande que possible dans l’arrangement final, et il est possible qu’en fin de compte cet arrangement puisse être très agréable à l’Allemagne restée seule par suite du suicide ultime de ses deux alliés subordonnés.

Il ne peut y avoir de doute que la Russie gagnera l’énorme avantage d’une libre ouverture sur la Méditerranée et que la bataille de la Marne a changé la fortune de la France d’un désastre en une expansion. Mais le reste de l’arrangement est encore vague et incertain, et l’impérialisme allemand travaille déjà sérieusement et intelligemment à atteindre une situation finale favorable, une situation qui permettrait à cet empire militariste de sortir du combat toujours fort, toujours capable de redevenir ce qu’il était et de recommencer à une date pas très éloignée la lutte pour la domination européenne. C’est là une chose qui ne vaut pas mieux pour le peuple allemand, doué de sens, que pour le reste du monde, mais c’est la seule façon permettant à l’impérialisme militant de survivre.

Le contraire d’un impérialisme dépouillé des clameurs de l’agression, devenant constitutionnel et démocratique, c’est-à-dire le contraire d’une grande Allemagne libérale, serait presque aussi désagréable aux gens qui contrôlent les destinées de l’Allemagne aujourd’hui, et qui parleront et agiront au nom de l’Allemagne lors de l’arrangement final, qu’une complète soumission à la Serbie victorieuse. À la conférence finale d’arrangement, l’Allemagne, en réalité, ne sera pas représentée du tout. L’Empire militariste prussien sera toujours en vie et ce sera lui qui prendra place au conseil, travaillant avant tout à conserver son existence. À moins que les Alliés n’insistent sur la présence de représentants de Saxe, de Bavière et autres provinces, et demandent le témoignage des sanctions populaires — une chose qu’ils ne demanderont très probablement pas — c’est ce que « l’Allemagne » signifiera à la conférence.

Et ce qui est vrai de l’Allemagne sera plus ou moins vrai de plusieurs autres Puissances alliées…

Une conférence confinée purement aux belligérants sera en réalité une conférence qui ne représentera même pas les belligérants. Et elle sera teintée de toute la politique traditionnelle — agressions, suspicions et subterfuges — qui aboutit à la guerre. Ce ne sera pas la fin du vieux jeu — ce vieux jeu qui est un obstacle aussi abominable au développement de la civilisation moderne.

L’idéalisme de la grande alliance sera certainement soumis à de dures épreuves, et toute l’énergie des diplomates de l’Europe Centrale sera dirigée vers le développement et l’utilisation de ces épreuves.

Ceci, je crois, doit être évident même aux ministères des Affaires Étrangères intéressés. Ils doivent voir déjà devant eux un terrible problème d’arrangement, un problème que les mauvaises traditions qui leur sont propres ne leur permettront jamais de solutionner. « Dieu nous garde », pourraient-ils prier, « de nos propres habileté et perspicacité », et ils pourraient même se réjouir de la promesse d’un résultat plus vaste que la coopération des Puissances neutres amènerait avec elle.

Tout ministère des Affaires Étrangères a ses éléments mauvais et vilains, et probablement tout ministère des Affaires Étrangères craint ces éléments. Il y a certainement des imbéciles russes qui rêvent de l’Inde, des imbéciles allemands qui rêvent du Canada et de l’Amérique du Sud, des imbéciles anglais qui rêvent de l’Afrique et de l’Orient : agressionnistes dans le sang, gens qui ne peuvent pas plus laisser les nations vivre en paix que les kleptomanes ne peuvent garder leurs mains dans leurs poches. Mais très probablement il y a aussi, il y a certainement, d’honnêtes monarques et d’équitables ministres des Affaires Étrangères tout prêts à s’emparer de l’occasion pour écraser le mal qui sévit dans leurs exécrables chancelleries.

C’est précisément ici que la valeur de la participation des neutres entre en scène. Quelque ambition que puissent avoir les puissances neutres, on peut dire qu’en général elles sont très fortement intéressées à empêcher que l’arrangement ne dégénère en une affaire de profits ou d’avantages permettant, d’un sens ou d’un autre, d’autres nouvelles agressions.

Les États-Unis d’Amérique et la Chine sont, traditionnellement et incurablement, des puissances pacifiques, professant et pratiquant une politique non agressive ; et les principaux petits États sont également désireux d’assurer un arrangement qui sera définitif.

De plus, tous les accords internationaux sont maintenant si vastes que ces pays neutres n’ont pas seulement un droit à intervenir juridiquement, mais aussi un droit très pressant à y participer en ce sens qu’aucune sorte de réajustement en Europe, en Asie occidentale et en Afrique ne peut laisser leur avenir indifférent.

Ils sont nécessaires non seulement dans l’intérêt des peuples belligérants mais aussi dans leur propre intérêt et dans celui du monde en général.

Il n’est pas possible qu’on ne tienne pas compte de cela.



V


Une Conférence du Monde, une fois qu’elle est assemblée, peut s’attaquer à certaines questions qu’aucune solution partielle ne résoudrait jamais.

La première de ces questions est le désarmement.

Quiconque a suivi en simple spectateur la politique des quarante dernières années ne peut avoir aucun doute sur la très grande part que les affaires et la finance de la fabrication d’armements ont dans les causes de l’horrible carnage actuel, et quiconque a lu des récits de la lutte actuelle ne peut avoir aucun doute sur la façon dont cette industrie a augmenté la terreur, la cruauté et la monstruosité de la guerre. Jadis, dans la vieille façon de faire la guerre, un homme était frappé après une heure, ou environ, de combat acharné, et tous les blessés sur le champ de bataille étaient ou assassinés aussi humainement que possible ou soignés avant la chute du jour suivant. On était tué par des mains humaines, à la suite de blessures compréhensibles et tolérables.

Mais dans cette guerre-ci la majeure partie des morts — du côté des Alliés en tout cas — ont été tués par des machines, les blessures ont souvent été d’une horreur inconcevable et le sort des blessés a été plus effrayant que ne fut jamais celui de blessés entre les mains de sauvages victorieux. Durant des jours des quantités d’hommes ont été laissés, infirmes, déchiquetés, à moitié ensevelis dans la boue et la saleté, gonflés d’eau ou gelés, criant, gémissant, entre les deux tranchées adverses. Le nombre d’hommes, sans blessures physiques réelles, que la guerre a abattus mentalement ou rendus fous par son bruit particulier, par l’effort qu’elle exige, par son étrange anomalie, est énorme. L’horreur dans cette guerre a détruit plus d’hommes que ne firent tous les arcs de Crécy.

Presque tout le caractère terrible de cette guerre est dû à sa machinerie nouvelle de destruction que la science a rendue possible. La blessure ou la destruction globale d’hommes par des instruments qu’auparavant on n’avait jamais vus, sans la moindre chance de rendre la pareille, a été sa plus constante caractéristique. Vous ne pouvez ouvrir un journal, quelle qu’en soit la date depuis le début de la guerre, sans y lire des récits d’hommes brûlés, échaudés et noyés par l’éclatement de torpilles sous-marines ; d’hommes tombant du ciel du haut d’aéroplanes brisés ; de femmes et d’enfants à Anvers, à Paris, même en Angleterre, mutilés terriblement ou mis en pièces par des bombes aériennes ; d’hommes écrasés ou ensevelis vivants par des obus. Une violence absolument diabolique d’explosifs résultant en cruautés pour la plupart sans aucun effet au point de vue militaire : c’est là le refrain incessant de cette histoire.

La terreur accrue de la guerre due aux armes modernes est, cependant, la seule conséquence de leur développement. La praticabilité de la guerre agressive dans des pays établis maintenant est entièrement dépendante de l’emploi de l’artillerie élaborée sur terre et des navires de guerre sur mer. N’y eût-il que des fusils au monde, le fusil ordinaire fût-il la plus grosse espèce de canon permise, et les navires spécialement faits pour la guerre n’eussent-ils point été faits ainsi, il serait alors impossible d’envahir un pays défendu par une population patriotique et courageuse ayant, de son côté, tout espoir de succès par suite de l’énorme capacité défensive de l’infanterie retranchée, non soumise à une irrésistible attaque d’artillerie.

La guerre moderne dépend entièrement de l’équipement le plus cher et le mieux agencé. Un accord général au sujet de la réduction de cet équipement, non seulement réduirait grandement le mal que cause toute guerre qui éclate, mais serait un grand pas fait vers l’abolition de la guerre.

Une communauté d’hommes pourrait ne pas vouloir renoncer à son droit de se combattre les uns les autres si l’occasion s’en présentait, mais elle pourrait toutefois être d’accord de ne pas porter d’armes, ou de porter des armes d’un genre le moins mortel possible : porter, par exemple, des pistolets au lieu de fusils ou des bâtons au lieu de sabres. Ç’a été, en réalité, l’histoire de l’amélioration sociale dans bien des communautés, et ça a conduit à une réduction dans le nombre des rencontres. Ainsi, de la même façon, les puissances du monde pourraient vouloir une semblable limitation des armements tout en conservant leur droit souverain de déclarer la guerre dans certaines éventualités. Sur les assurances d’un conseil du Monde, menaçant d’une intervention générale, en cas de manquement à la parole donnée, un tel désarmement partiel deviendrait beaucoup plus facile.

Un autre aspect du désarmement qui mérite d’être signalé et que seul un congrès du Monde peut solutionner, c’est l’armement des pays barbares, ou industriellement arriérés, par les nations industriellement puissantes ; la création de marines et de forces d’artillerie dans des pays tels que la Turquie, la Serbie, le Pérou, etc. En Belgique d’innombrables Allemands furent mis en pièces par des canons de fabrication allemande ; l’Europe arme le Mexique contre les États-Unis ; la Chine, l’Afrique, l’Arabie sont remplies d’armes de fabrication européenne et américaine. Ce n’est que la jalousie mutuelle des états hautement organisés qui permet cette perte de pouvoir. Les monstrueux avertissements de notre guerre devraient servir à tempérer leurs sottes hostilités, et c’est maintenant, ou jamais, le temps de contenir ce fol armement des communautés moins avancées.

Mais avant que cela puisse être fait, il est nécessaire que la fabrication du matériel de guerre cesse d’être un commerce privé et une source de profits pour des particuliers, que toutes les inventions et les entreprises qui fleurissent en général autour des affaires ne soient plus dirigées vers l’amélioration progressive du massacre humain. C’est une chose indigne et à laquelle on n’aurait jamais songé que de respectables gentlemen britanniques dirigent des masses d’artisans, magnifiquement organisées sur les rives de la Tyne, dans la fabrication d’armes qui pourront, par la suite, réduire en morceaux certains de ces mêmes artisans. Au risque d’être appelé « utopiste », je soutiens que le monde n’est pas assez idiot pour permettre que cette sorte de chose continue indéfiniment. C’est en vérité un développement humain tout récent.

La conduite de toutes les grandes entreprises d’armement sur des principes commerciaux ne date que d’un demi-siècle. Mais elle a poussé avec la vigueur d’une mauvaise herbe, elle a fait naître elle-même une sombre jungle de publicité indirecte et elle a compromis et corrompu un grand nombre de capitalistes et de financiers. C’est peut-être le plus puissant intérêt isolé de tous ceux qui combattent contre la diminution systématique et l’abolition de la guerre, et plutôt que de manquer son but, il pourra être nécessaire au pacifiste d’acheter toutes ces entreprises et d’insister auprès des divers gouvernements qui les ont abritées pour que ceux-ci les prennent ensuite entièrement à leur charge. D’après ce que nous connaissons de l’officialisme un peu partout, le simple transfert impliquera aussitôt un déclin dans leur vigueur et dans leur énergie d’innovation.

C’est peut-être un bonheur que la couronne princière du commerce privé en armements soit portée par l’organisation Krupp, et que sa capture et sa suppression soient une affaire d’une suprême importance pour toutes les puissances alliées. La Russie, avec sa grande population, n’a pas encore développé la fabrication des armements sur une très grande échelle, et elle accueillerait sans doute avec empressement des propositions qui diminueraient la valeur de la machinerie et, ainsi, augmenteraient celle des hommes. À part Krupp et quelques maisons américaines pour la fabrication de carabines et de mitrailleuses, seul le capital anglais et français est très profondément investi dans le commerce des armements. Le problème n’est sûrement pas trop difficile à résoudre pour l’honnêteté et l’art humains.

Nous ne voulons pas dire que la fabrication d’armes doit cesser dans le monde, mais simplement que dans tous les pays elle doit devenir un monopole d’État et, par ce fait même, être entièrement sous le contrôle de l’État. Si l’État peut monopoliser la fabrication et la vente de l’alcool ainsi que l’a fait la Russie, s’il peut, après la Grande-Bretagne, contrôler la fabrication et la vente d’une substance élusive aussi petite que la saccarine, il est ridicule de supposer qu’il ne peut pas se tenir complètement informé de l’existence d’une machinerie aussi élaborée que celle nécessaire pour fabriquer une carabine automatique moderne. Et cela demande un minimum de travail, une bonne foi et de bonnes intentions de la part des divers pays manufacturiers afin de s’entre informer, et d’informer le monde, en général, de leur équipement respectif militaire.

De cet état de choses à la définition d’un maximum permis de force sur terre et sur mer pour toutes les grandes puissances contractantes, il n’y a qu’un pas très facile à faire. Le désarmement n’est pas un rêve ; c’est une chose plus praticable qu’une convention hygiénique générale et beaucoup plus facilement applicable que des droits de douanes et des impôts.

Maintenant rien de tout ceci n’implique réellement l’abolition des armées, des uniformes ou du service national. À vrai dire, jusqu’à un certain point, c’est au contraire rendre à l’homme son importance au détriment de la machinerie. Une conférence du Monde pour la préservation de la paix et la suppression des armements n’interviendrait ni dans ces incorrigibles discussions des partis Orange et Vert en Irlande (bien qu’elle pourrait les priver de leurs armes les plus mortelles), ni n’empêcherait absolument la guerre entre des États adjacents. Elle serait cependant une force très puissante qui retarderait l’ouverture des hostilités et serait capable d’insister avec une vigueur tout à fait nouvelle sur l’observation des lois de la guerre.

Ça ne vaut rien de prétendre que le simple pacifisme mettra fin à la guerre ; ce qui mettra fin à la guerre, ce qui, en réalité, est peut-être en train de mettre fin à la guerre, en ce moment, c’est la guerre contre le militarisme.

La force se respecte mais ne respecte aucun autre pouvoir.

L’espoir d’un monde pacifique dans l’avenir repose en ceci : dans la possibilité d’une grande alliance, si puissante qu’elle forcera les adhésions ; une alliance préparée à faire la guerre contre le gouvernement de n’importe quel État qui deviendrait agressif par son militarisme, une alliance qui s’appliquerait alors à détruire cet État et à le remplacer. Cette alliance sera, en fait, un Congrès du Monde contenant perpétuellement la sécession agressive, et, de toute évidence, elle doit considérer tous les « No-Man’s Lands », ces immensités qui n’appartiennent à personne — et particulièrement cette immensité sauvage, l’océan — comme son plus grand chemin.

Les flottes et les armées des Puissances du monde alliées doivent de toute nécessité devenir la police des déserts et des eaux de la terre.



VI


Un tel contrôle collectif des passions et des relations internationales est l’arrangement logique évident du conflit mondial actuel ; c’est si manifeste, si juste, que sur vingt personnes auxquelles on le proposerait, dix-neuf lui accorderaient probablement leur assentiment. Elles seraient d’accord à reconnaître qu’une telle mesure, ou toute autre du même genre, est de beaucoup préférable aux isolements et à la menace perpétuelle d’une guerre nouvelle.

Mais, contre ce contrôle, des forces travaillent, chez ces personnes elles-mêmes et autour d’elles, qui rendent le but de cette solution, acceptable en général, beaucoup moins probable qu’une sorte de non-solution qui ne serait que la réouverture de toutes nos hostilités et de tous nos conflits sur une nouvelle base. Certaines de ces forces sont vagues et générales et ne peuvent être combattues que par une littérature libérale variée et abondante, en un combat vaste et divers dans lequel tout homme à l’esprit droit devra agir ainsi que sa conscience lui dictera.

Il y a les vagues antagonismes nationaux, les réserves en faveur du droit de son propre pays, la sévère hypocrisie religieuse, sociale et morale — du genre de celle de Carlyle — l’ambition, le ressentiment et la suspicion. La plus grande de ces oppositions vagues est ce manque de foi qui fait dire aux hommes que la guerre a toujours été et doit toujours être ; qui les fait prophétiser que tout ce que nous pouvons faire deviendra corrompu et mauvais, même en face des intolérables corruptions et maux actuels.

Lorsqu’au début de la guerre, je publiai un article intitulé : Pourquoi l’Angleterre est partie en guerre[2], aussitôt un confrère se hâta de réfuter mon rêve impraticable : « La guerre a toujours été ». Que la force de ce mot est grande ! Il oubliait complètement le fait que la guerre a changé de caractère une demi-douzaine de fois en une demi-douzaine de siècles, que la guerre que nous livrâmes dans le Sud-africain, la guerre actuelle, les guerres de l’Italie médiévale et les guerres des Peaux-Rouges ont presque autant de commun entre elles qu’un chat, un homme, une paire de ciseaux et une automobile, à savoir qu’ils peuvent tous être un moyen de mort. Si la guerre peut changer de caractère autant qu’elle l’a fait, elle peut en changer entièrement. Si la paix peut être conservée indéfiniment dans les Indes ou l’Amérique du Nord, on peut, tout aussi bien, la conserver dans le monde entier. Ce n’est pas moi qui rêve, c’est mon critique et ceux de son genre qui ne sont pas encore complètement éveillés, et c’est leur somnolence que je crains plus que tout quand je songe à la grande tâche de l’accord mondial.

C’est cette masse, plutôt désespérante, inerte, pseudo-sage, d’incrédules qui rend possible la continuation des dangers de la guerre. Ils encouragent l’activité de la minorité mauvaise qui hait, qui vit d’orgueil et de satisfactions hideuses et qui désire ardemment, par conséquent, avoir sans cesse de nouvelles guerres. Et c’est eux qui s’opposeront à ce que le démêlement final soit confié à d’autres mains qu’aux mains diplomatiques. « Que connaissons-nous des nuances de toutes ces choses ? » demanderont-ils, avec cette paresse qui singe la modestie. C’est eux qui se plaindront lorsque nous chercherons à acheter les entreprises d’armements. Toutes les maisons privées d’armements du monde entier pourraient, sans doute, être achetées pour soixante-dix millions de livres sterling (1.750 millions de francs), mais les incrédules secoueront la tête et diront : « Achetez-les, mais ce sera tout simplement remplacé par autre chose ! »

Il y a cependant de nombreuses forces, non calculées, qui militent en faveur du grand arrangement. Le cynisme n’est jamais rien de plus qu’une demi-vérité, et parce que l’homme est imparfait il ne s’ensuit pas qu’il doive être futile.

La Russie est un pays de silences étranges, mais il est manifeste, quel que puisse être le caractère intime du Tsar, qu’il n’est point un vulgaire conquérant cabotin du genre Wilhelm. Il commença son règne, et il peut maintenant arriver à son apogée, en essayant d’établir la paix sur des bases plus neuves et plus larges. Sa religion, semble-t-il, est sa maîtresse et non sa servante. Il n’y a heureusement pas eu de Bernhardi russe.

L’on a fait beaucoup de bruit en Amérique, par la parole et la plume, depuis le début de la guerre, et ce bruit n’a pas été sans surprendre le monde. Je dois avouer, personnellement — et, je crois, au nom de nombreux Européens — qu’en cette affaire ce que nous craignions le plus des États-Unis, c’était la frivolité. Nous comptions sur un simple énervement, de violentes fluctuations d’opinions, une irresponsabilité confuse et peut-être de malignes et désastreuses interventions. C’est inutile de cacher un secret de Polichinelle. Nous jugions l’Amérique d’après son titre pacifique. Il est temps que nous offrions nos excuses à l’Amérique et à la démocratie. Après avoir lu d’innombrables journaux et articles américains, parmi les plus divers, après avoir suivi les actes du gouvernement américain et parlé à des Américains autorisés, on s’aperçoit de l’existence d’une forte mentalité nationale, très claire, d’une volonté ferme, maîtrisée, collective, beaucoup plus considérable dans son ensemble que tout ce que le monde a pu voir auparavant. Nous pensions que les États-Unis seraient sentimentalement patriotiques et irresponsables, qu’ils agiraient comme si le Nouveau-Monde était en réalité une planète séparée, et comme s’ils n’avaient aucun devoir ou aucune fraternité envers l’Europe. Il est tout à fait clair, au contraire, que le peuple des États-Unis considère cette guerre comme son affaire, à lui aussi, et qu’il aura un sentiment très vif de sa responsabilité dans le bien-être général de l’humanité.

Si bien que, comme seconde chance, après la possibilité d’un appui complet du Tsar dans l’arrangement que nous proposons, et comme une probabilité encore beaucoup plus grande, se trouvent l’insistance de l’Amérique à user de son droit de parole lors du règlement ultime et une initiative de l’hémisphère occidental qui aboutira à un Congrès du Monde. Ce sont là les deux sources les plus encourageantes de cette grande proposition.

C’est dans la tradition de la conduite nationale britannique d’être banal jusqu’à l’ennui, et toute l’intelligence coalisée de la Grande-Bretagne luttera en vain contre la passion nationale pour l’ordinaire. L’Angleterre, sous le costume de sir Edward Grey, prendra place au Congrès comme un notaire de province prendrait place parmi les dieux. Mais l’Angleterre suivra volontiers un exemple : le notaire de province est honnête et rempli d’intentions excellentes. La France, la Belgique et l’Italie sont trop profondément impliquées dans l’affaire pour prendre une initiative qui révolutionnerait les relations internationales…

Il y a cependant une troisième source possible d’où la proposition d’un Congrès du Monde pourrait venir, avec l’appui à la fois des neutres et des belligérants, et c’est La Haye. S’il y avait en ce moment à La Haye un homme de force et de génie, un homme parlant avec autorité et non comme un scribe, il pourrait doter le monde de bienfaits énormes…

C’est de ces trois sources que, je l’espère, viendra la ligne de conduite. Du nouveau pape et de son influence, je ne sais rien. Je suivrais volontiers le Pape, j’oublierais toutes mes querelles avec le Christianisme s’il pouvait donner une ligne de conduite au monde, s’il pouvait être autre chose que faible. Mais dans la situation actuelle des affaires du monde, il nous sied mal d’attendre oisivement que l’on vienne déblayer la route pour nous.

Tout homme qui comprend les vastes conditions de la situation, tout homme qui doit parler ou écrire ou se faire l’écho, doit tenter le possible pour répandre sa compréhension d’un Congrès du Monde et l’établissement définitif de la loi mondiale et de la paix mondiale qui gisent sous les misères, les cruautés et les confusions de cette époque catastrophique…

Avec une opinion fortement répandue et organisée, des initiatives naîtront de tous côtés efficacement ; mais il faut vouloir et vouloir fort : sans quoi elles seront partout infructueuses.



fin




  1. L’Amiral-Ganteaume fut détruit par un sous-marin allemand.
  2. Voir la traduction en tête de ce volume.