La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 304-305).


LA PAIMPOLAISE

Chanson des pêcheurs d’Islande.


Quittant ses genêts et sa lande,
Quand le Breton se fait marin,
En allant aux pèches d’Islande
Voici quel est le doux refrain
              Que le pauvre gas
              Fredonne tout bas :
« J’aime Paimpol et sa falaise,
« Son vieux clocher, son grand Pardon ;
« J’aime surtout la Paimpolaise
« Qui m’attend au pays breton ! »

Quand leurs bateaux quittent nos rives
Le curé leur dit : « Mes bons fieux,
« Priez souvent Monsieur Saint Yves
« Qui nous voit, des cieux toujours bleus.
              Et le pauvre gas
              Fredonne tout bas :
« Le ciel est moins bleu, n’en déplaise
« À saint Yvon, notre Patron,
« Que les yeux de la Paimpolaise
« Qui m’attend au pays breton ! »

Guidé par la petite Etoile,
Le vieux patron, d’un air très fin,
Dit souvent que sa blanche voile
Semble l’aile d’un Séraphin…
              Et le pauvre gas
              Fredonne tout bas :
« Ta voilure, mon vieux Jean-Blaise,
« Est moins blanche, au mât d’artimon,
« Que la coiffe à la Paimpolaise
« Qui m’attend au pays breton. »


Le brave Islandais, sans murmure,
Jette la ligne et le harpon :
Puis dans un relent de saumure,
Il se couche dans l’entrepont…
              Et le pauvre gas
              Soupire tout bas :
« Je serions ben mieux à mon aise,
« Devant un joli feu d’ajonc,
« A côté de la Paimpolaise
« Qui m’attend au pays breton ! »

Mais, souvent, l’Océan qu’il dompte
Se réveille, lâche et cruel ;
Et, lorsque le soir on se compte,
Bien des noms manquent à l’appel…
              Et le pauvre gas
              Fredonne tout bas :
« Pour combattre la flotte anglaise
« Comme il faut plus d’un moussaillon,
« J’en caus’rons à ma Paimpolaise,
« En rentrant au pays breton ! »

Puis, quand la Vague le désigne,
L’appelant de sa grosse voix,
Le brave Islandais se résigne
En faisant un signe de croix…
              Et le pauvre gas,
              Quand vient le trépas,
Serrant la médaille qu’il baise,
Glisse dans l’Océan sans fond
En songeant à la Paimpolaise
Qui l’attend au pays breton !…

Théodore Botrel.