La Nouvelle Revue Française/Année 1909, No 6
Année 1909 1er JUILLET
N°6.
LA NOUVELLE
Revue Française
SOMMAIRE :
ANDRE RUYTERS : George Meredith.
Francis Jammes : Lettre à P. C, consul
PAUL FARGUE : Fragments d’un poème.
HENRI GhÉON : Le Classicisme et M. Moréas.
ANDRÉ RUYTERS : La Captive des Borrornées (fin.)
TEXTES Lettre de Leopardi.
NOTES par HENRI GHÉON, ANDRÉ GIDE, EDMOND JALOUX, JEAN SCHLUMBERGER :
Les « Paysages d’eau » de Claude Monet.
Les Heures Claires par E. Verhaeren.
Nouvelles Conversations de Goethe avec Eckermann par Léon Blum ; M. Anatole France et la pensée contemporaine par Raphaël Cor ; Dans le jardin de Sainte-Beuve par Georges Grappe ; Louis Le Çardonnel par A. de Bersaucourt.
Les Représentations Russes au Chàtelet ; Pastiches Gothiques, etc.
78, RUE D’ASSAS, 78
PARIS
Déositaire général: E. DRUET, 108, Faubourg Saint Honoré. LA NOUVELLE
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REVUE MENSUELLE DE LITTÉRATURE ET DE CRITIQUE.
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Jacques COPEAU, André RUYTERS, Jean SCHLUMBERGER.
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�� � 475
��GEORGE MEREDITH
(1828-1909)
Si l'art de Meredith passa souvent pour her- métique et fermé, ce n'est pas tant à sa manière ou à la qualité de sa pensée qu'il convient de s'en prendre qu'à l'étrange difficulté que devant lui notre admiration éprouve à se justifier. Un Stevenson, un Conrad, un Hardy, par la franchise et le vif de leur action, évoquent d'eux-mêmes en nous les mots qu'il faut pour les louer ou définir: l'œuvre de Meredith, au contraire, semble se faire un jeu de dissimuler ses ressorts et, si profondé- ment qu'elle nous atteigne, n'admet pas la critique à décomposer les éléments de son impérieuse autorité.
En quel cadre faire tenir cette complexe et mobile figure, par quel jugement résumer l'im- pression qu'elle fait sur nous ? Les moyens les plus disparates et qu'on a le moins coutume de rencontrer côte à côte, chez lui non seulement se mêlent, mais se coordonnent, collaborent et s'ajustent à souhait pour mieux éluder la classifi- cation qu'on voudrait imposer. C'est peu de dire,
�� � comme certains ont fait, qu’il fut poète avant tout. La forme de sa sensibilité, son don d’amener l’image jusqu’au bord du plus aride concept, cette façon qu’il avait, tout en généralisant, de multiplier entre toutes choses les correspondances et les affinités, semblent certes plus propres à assurer la vie du poème qu’à motiver un roman. Mais n’eût-il été que poète, la difficulté serait simplement déplacée et il n’en resterait pas moins in- explicable que disposant de la strophe pour déployer son lyrisme, il ait presque exclusivement confié à la prose le soin de le manifester. 11 serait insuffisant d’autre part de prétendre uniquement romancier l’écrivain qui entre tous fut le moins asservi aux nécessités techniques du genre et jamais n’hésita à subordonner la composition ou le statut de ses livres au développement d’un caractère ou d’une situation, pourvu qu’il y trouvât l’occasion de faire éclater une beauté pathétique à ses yeux plus importante que l’intérêt même du récit. Au reste pouvons-nous oublier qu’il est l’auteur de maintes séries de poèmes que l’estime de ses compatriotes ne craint pas de placer au rang, sinon au-dessus, de Diana of the Crossways ou de la Beauchamp s Career? — Styliste, tout le monde du moins reconnaît qu’il le fut et magnifiquement. Pour la noblesse, la solidité et la grâce, il n’est guère d’écrivain en Angleterre qui puisse actuellement lui être comparé, et si cette rhétorique, GEORGE MEREDITH 477
foisonnante et cadencée, n'a pas laissé parfois d'in- quiéter un public saxon que ses traditions litté- raires n'y avaient point préparé, elle est au premier abord, une surprise et une joie pour le lecteur français rompu à la volute classique et qui sait quelle part ont eue les lettres de son pays dans la formation intellectuelle de Meredith. Quelque persuasif cependant que soit le charme de son écriture, ce serait singulièrement restreindre ce hautain esprit que de situer le secret de son prestige dans ce contact extérieur et pour lui, somme toute, bien grossier.
C'est ainsi qu'en vain nous cherchons à démêler d'où vient le son délicieux : sitôt que notre main touche le cristal, tout expire à l'instant et devient muet. Poète ou romancier, l'un et l'autre de telle sorte qu'on ne distingue pas où il est plus spéciale- ment contenu, Meredith, par quelque bout qu'on le prenne, résiste à notre curiosité. Le fer glisse sur cette cuirasse dorée sans trouver le joint, et si à le regarder de près, nous parvenons à isoler les raisons que nous avons de l'estimer, force nous est bien de constater que le principe qui combine de si riches matières continue de nous échapper et que nous ne saurions rien dissocier sans rompre du même coup l'unité morale qui fait la grandeur de l'œuvre.
Aussi bien, l'explication que ses livres ni ses confidences ne consentent à nous livrer, c'est à
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cette unité morale proprement qu'il nous appar- tient de la demander. De Richard Feverel à X Amazing Marriage ,dont trente-six années séparent les dates de publication, comment n'être pas frappé de l'homogénéité parfaite, non seulement de la conception romanesque, mais encore du ton et de l'atmosphère, de l'esprit dont s'inspirent les personnages de cette longue galerie et des mobiles qui gouvernent leur conduite ? Qu'on ne croie pas qu'il s'agisse ici de l'application mécanique et sans surprise d'une formule de métier qui s'assouplit et s'affermit à l'usage. Les procédés d'exposition et de construction de Meredith jamais ne se ressemblent : c'est sa fantaisie qui chaque fois impose au roman la perspective dans laquelle il va s'ordonner. Quel rapport d'ailleurs entre le progressif resserrement qui fait tout le mouve- ment de YEgoïst, et le tumultueux déchaînement de catastrophes qui bouscule et désorbite les acteurs de Rhoda Fleming ? 11 n'y faut pas voir davantage l'évolution logique d'un tempérament d'artiste qui s'enrichit et s'amplifie à mesure que, creusant plus avant, il rencontre en son fonds une veine plus large et plus nourrie. Meredith, précisément, n'a guère évolué. Tel qu'il apparut dans son premier volume que salua Carlyle, on le retrouve au dernier, pareil à lui-même, sans ride et sans ombre, également serein, maître de soi et, à près d'un demi-siècle d'intervalle,
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apportant au jeu le même intérêt passionné. Non, cette unité morale, c'est d'une sorte de génial parti pris qu'elle procède, ou si l'on veut d'une constante fidélité à soi-même, semblable à celle qui fait si grande à nos yeux la stature de tel philosophe ou de tel saint. Parti-pris, ai-je dit, mais non entêtement. Si, jusqu'au terme de sa carrière, Meredith poursuivit sans dévier la courbe qu'il avait commencé de tracer, c'est qu'aucun artiste jamais ne prit aussi tôt et aussi clairement conscience de ses aptitudes et de ses limites, de sa pente intime et, pour le dire en un mot, du genre de plaisir qu'il allait goûter à la vie. L'unité morale de Meredith résulte de l'identité de ses choix successifs et concordants. Du premier au dernier de ses romans, Meredith n'a point cessé de disposer, comme pour son propre regard, le tableau des héros et des événements qui étaient le mieux en mesure de représenter sa nature et l'homme secret qu'il portait en lui. Sa personnelle prédilection a seule été son guide. Ce qui contrarie son idéal ou ne le traduit pas, il le supprime simplement : qu'on songe plutôt à l'absence de sentiment d'horreur qu'on constate dans ses romans, si désespérées qu'en puissent être les péripéties. Tout ce qui ne s'adapte pas à sa préfé- rence, tout ce qui ne satisfait pas à son élection, lui est inutile, n'existe pas à ses yeux et ne saurait trouver place en son univers. Parmi la riche huma-
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nité anglaise, il n'a mis en œuvre que l'aristocratie, non qu'il fût de ces Paul Bourget que semble perpétuellement tourmenter la honte de leur roture, mais parce qu'il y rencontrait le personnel le plus physiquement entraîné par la sélection du sang et le naturel de l'élégance à apporter au drame sentimental ces raffinements et cette délicate complication qui sont l'aliment de son art et à partir de quoi seulement, il trouve matière à s'exprimer. Sans doute on rencontre chez lui maintes figures populaires, yeomen ou patriotes italiens, s'il les accepte, ce n'est toutefois qu'à la faveur de quelque héroïque nécessité qui les exalte au-dessus de leur condition et les met pour un temps au niveau des protagonistes qu'ils ne font que servir. Au surplus, Meredith n'aspirait pas à se faire l'historien d'une société, pas même de cette " nobility " qui fournit à la plupart de ses récits le fonds et le décor conformes aux besoins de son esthétique. Il ne fut pas peintre de mœurs : avant tout, l'individu l'attirait, le bel animal humain, aux membres sains, au cœur impatient, et non tant le caractère où la discipline enchaîne le naturel que le type à qui rien ne commande que sa force et son appétit. Par là s'explique son indifférence à l'égard de la moralité de ses créa- tures. Il se soucie peu que ses héros se réalisent dans le bien ou dans le mal. La colère, l'amour, la haine ou l'enthousiasme n'ont à ses yeux qu'une
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valeur toute locale, ce sont circonstances d'art, sans plus. Mais que ces hommes, ces temmes demeurent eux-mêmes jusqu'au bout, ne le cèdent en rien à leur instinct et acceptent avec ardeur le sort qu'ils se font de leurs propres mains, voilà qui lui importe, l'échauffé et provoque en lui cette jouissance spirituelle dont il apparaît enfin de compte que son œuvre toute entière ne fut que l'occasion et le complaisant instrument.
Que d'un si subtil animateur, prodigue et con- certé à la fois, certains aient voulu faire un pessi- miste, on ne saurait assez s'en étonner. Rien de moins accessible en vérité à n'importe quel système philosophique que cet impressionnable tempéra- ment que requiert et séduit tout empirisme du cœur. Si l'attitude qu'il prend au milieu d'un récit le pourrait quelquefois faire passer pour fataliste, ce n'est pas qu'il voie un destin in- exorable peser sur l'humanité, mais tout bonnement que, dramaturge qui réunit dans sa main les fils de son intrigue, il ne peut tenir d'exprimer tout haut la joie qu'il éprouve à voir ses pantins se soumettre docilement et sans hésitation aux exi- gences de sa conception. Une fois de plus, à ce trait significatif, Meredith laisse voir qu'il ne travaille que pour lui. Et qu'est-ce encore que cette rhétorique qui souvent l'encombre et paraît l'arrêter, sinon la trace visible, l'épanouisse- ment même du contentement qu'il trouve dans
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son ouvrage et qui, débordant ses limites, affleure tout à coup et jaillit à la surface du style ? Ainsi, dans le poème et dans le roman, indifférent au genre, s'il se révèle imperturbablement égal à soi, c'est qu'en tout temps, il fut le serviteur du même maître. Meredith toujours écrit pour Meredith. Son art s'est dévoué à lui-même et jamais ne lui a servi qu'à produire de son coeur, de l'homme tel qu'il le voulait, de l'existence telle qu'il l'approuvait, l'expression la plus lyrique, la plus stylisée et la plus vivante à la fois. Il n'y a là ni culte de la " virtù " comme on veut nous faire croire que les gens de la Renaissance le conce- vaient, ni effort vers ce " surhomme " en quoi se résume, pour l'intelligence primaire des Paul Adam, tout l'enseignement de Nietzsche. Meredith fut bien moins un créateur qu'un ingénieux et splendide ordonnateur. Sa fortune considérable — j'entends sa fortune littéraire — lui permettait de vivre de ses rentes. Il n'avait pas à s'évertuer ou à se dépasser : il lui suffisait pour exister de choisir parmi ses ressources, et l'on ne saurait trouver plus péremptoire témoignage de l'utilité des richesses que le respect et l'admiration aux- quels nous oblige un écrivain qui ne dépensa rien que pour son agrément et considéra toujours que le seul objet de son génie devait être d'assurer sa personnelle et égoïste félicité.
André Ruyters.
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��Lettre a P. C, consul.
��J'écris en face des coteaux derrière quoi parfumé par le pain et les meubles ton toit s abaisse sous les longues lignes de corbeaux. Mais il n'est qu'au Versant du deuxième coteau. Un jour ; endurcissant pour le briser ton cœur, tu Tas quitté ce toit tout obscur de grandeur. Je songe à cet uniforme que Von te fil et que Ton t'essaya pour l'admirer, ô fils qui pour suivre ton Dieu as délaissé ton père l Larmes sucrées et cependant qui sont amères, larmes versées par les simples qui ont raison, par les simples qui croient encor que la maison se remplit d'ombre quand un fils y laisse un trou.
C'est l'heure où faisant crépiter son fouet de houx
le postillon a fini de corder les malles.
Et le cri de la mère et cette bouche pâle
et ce pas en avant, inutile. Déjà
l'humble chenal aveugle en accordant son pas
au pas de la jument martèle la vallée.
Voici le pont et i eau qui n'est pas désolée.
�� � 4^4 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE.
Tu pleuras à ton tour, ta mère n'en sut rien, et se laissa tombe?' durement, ô chrétien ! ses bras en croix, sa bouche au dessus du parquet. Le plus dur est fini. Les vagues en paquets ne secoueront jamais ton cœur plus que ne fit la tempe humide de ta mère, ô mon ami !
Eux ils sont toujours là, car ils ne sont pas morts comme on meurt aux romans. Ils t'attendent encor. Le long déroulement de ces coteaux, te dis-je, se continue pareil à quelque grand prodige. Mais puisque tu es loin et puisque je suis près je veux te rappeler la beauté des guérets.
Ce pays-ci n'est pas le mien, longtemps ma femme
V habita. Au-dessus du sol croasse et rame
surtout quand c est V hiver la flotte des corneilles.
Plateaux ou plaines les meules y sont pareilles
à des villages morts cependant que rutile,
parmi les lilas bleus des ardoises, la tuile.
Ici des tours. La des villages que Ton nomme
du flanc d'une hauteur où tremble V anémone,
et plus loin, aussi loin que ton œil puisse voir,
quelque grange qui n'est qu'un point comme un miroir..
C'est un pays de guerre, il ressemble a un plan.
Aux excavations les bouleaux fourmillants
brillent dans la blancheur cassée des carrières.
Un lapin fuit dont on ne voit que le derrière,
et tes perdreaux disparaissent de croupe en croupe.
�� � LETTRE A P. C, CONSUL 485
Par les bosquets et par les champs la route coupe ce que Von voit en deux, et serpente là-bas
jusques auprès de la rivière qui s'en va sans grand bruit, large ouverte et en janvier froissée
par les glaces qui sont par ses bords repoussées. L'usine à sucre au long du champ de betteraves, les traîneux, la roulotte encadrant un front hâve, le rouleau sursautant sur la chaussée, voilà.
Et le poète écrit dans le vent des lilas
pour toi, consul qui vis chez un peuple sauvage,
cette lettre où le rossignol fait son ramage.
Tu me mandes que tu ne retiens pas encor. Qu'importe ! Notre nef fend les flots de la mort elle-même. Le vent de Dieu est dans nos cœurs. Le chant des papillons, la claire paix des fleurs sont au Ciel et le Ciel notre âme y aborde quand nous voulons, la grâce chante dans nos cordes* Souviens-toi de quand nous priâmes à Bayonne ; je croyais tout fini tant la nue était jaune. Mais je me suis sauvé comme ce missionnaire n'ayant qu'une araignée dans sa barque légère. L'enfant de mon sang dort dans la chambre à côté. J'étais mort. J'ai donné la Vie et j'ai testé. C'est chez toi que mon Dieu m'a choisi une femme. Tends-moi la main. Levons les ancres de nos âmes. J? recommande à tes prières ces amis : Gide qui toujours flotte et retient d'Italie ;
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Bordeu qui dans les près que fait couler le vent pousse un cœur sans envie plus riche que l'argent ; Frizeau dont la foi franche a le goût de son vin ; Bonheur qui s'est assis à l'ombre de Samain ; Fontaine dont le cœur dit oui^ la tête non : le fier Suarès qui cherche Dieu ; Edmond Pilon ; Ruyters qui dans la banque évoque F Archipel ; Lacoste ; les Leblond et le père Michel.
Francis Jammes. Bucy-le-long, Mai 1909.
�� � 4 8 7
��FRAGMENTS D'UN POEME
��Une odeur nocturne, indéfinissable et qui m'apporte un doute obscur, exquis et tendre, entre par la fenêtre ouverte dans la chambre où je travaille.
La lampe fait son chant léger, doux comme on l'entend dans les coquillages. Elle étend ses mains qui apaisent. — J'entends les litanies, les chœurs et les répons des mouches dans son aréole. Elle éclaire les fleurs au bord de la terrasse. Les plus proches s'avancent timidement pour me voir, comme une troupe de nains qui découvre un ogre... Le petit violon d'un moustique s'obstine. On croirait qu'un soliste joue dans une maison très lointaine... Des insectes tombent d'une chute oblique et vibrent doucement, sur la table. Un papillon blond comme un fétu de paille se traîne dans la petite vallée d'or de mon livre. Des souvenirs dansent une ronde enfantine...
Mon chat guette la nuit, tout droit, comme une cruche... Le regard d'un trésor subtil me surveille par ses yeux verts...
Une horloge pleure. Des bruits de cuisine s'en-
�� � 488 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
tassent dans une arrière-cour. Des voix contradic- toires jouent à pigeon-voie. Une voiture démarre. Un train crie dans la gare prochaine. Une plainte lointaine et longue s'élève...
Et je pense à quelqu'un que j'aime et qui est si petit d'être si loin, peut-être, par delà des pays noirs, par delà des eaux profondes. Et son regard m'est invisible...
Mauvais cœur... souffle une voix nocturne. Et je songe à l'enfant que j'ai frappé jadis, dans un jardin d'automne tout encagéd'or. — Ce fut un jour étrange, en vérité. Le soleil donnait sa langueur à tout. Les conseils d'amour et de mort parlaient par les bruits les plus vagues. On avait envie d'em- brasser les beaux enfants qui jouaient dans les parcs, auprès des jolies mères, ou de les frapper.
Nous courions sous des arbres très hauts, bien pris dans la lumière, et qui secouaient parfois leurs chaînes de songes, de toute leur taille, à grands bras tristes : Le vent remuait ses bras forts pour aller tourner plus tard, ailleurs, une ronde serrée d'une forme pleine, bouclée d'une crosse aux lueurs minces, avec un bruit fin et qui se calme... Un parti de folioles traînait s'enfuir sur les paumes tièdes de l'air si dense qu'on eût cru le voir... De l'autre côté de la scène, fermé d'une porte épaisse et sombre, une rue pleurait sa chanson mate. Une balançoire qu'on venait de quitter glissait la plainte d'une bête qu'on tourmente. — 11 n'y avait
�� � FRAGMENTS d'un POEME 489
personne à portée de nos voix, je crois... Le cher enfant. Je le vois encore avec une fixité exquise et terrible, assis sur un banc de pierre, songeur et penché, dans son petit costume marin au béret et à l'ancre d'or, et tel qu'au jour d'angoisse où je frappai sa bonne figure...
Je le cherche. Et je pense à lui dans les fêtes qui fermentent, et dans les foules crieuses, et dans les rues grasses, plus longues au loin des baies des lumières, où des ombres rêvent sur les flaques, les jambes ployées et jointes, sous le poids d'un souvenir qui leur saute aux épaules comme un mauvais singe... Il est des pensées qu'on sent et qui se cachent derrière toutes les autres. Et il n'en arrive de nouvelles que pour elles, qui bouchent par instants les clairières jaunes où la mort est lasse de montrer sa figure trouée comme un liège... L'enfant dérange la nuit chaude... Les yeux de l'orage éclairent sa forme. — Il saute sur la grille d'un arbre. Il accourt dans l'odeur d'une avenue plantée d'ailantes où des phalènes battent comme des paupières... Les soirs où je prends ma part d'une fête, j'ai envie de m'enfuir tout de suite quand j'y pense, de courir dans un quartier pauvre, et d'y souffrir dans un coin sombre... Et il m'arrive de rêver que je le retrouve, homme enfin, noir et bête, abrupt, indolore et cruel, et qu'il est beau, et fort, et riche, dans un endroit de plaisir, avec une cravate indicible, et que
�� � 49° LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
mon pauvre vieux remords ne lui arrive pas à l'épaule.
Une voix chante... Et dans le même arbre, la même étoile nous fait signe. Elle tremble comme un regard que des travaux de nuit fatiguent. Elle semble toujours coudre, d'un air secret, dans l'étoffe sombre.
Regarde. — Le poème des âges s'amuse et sonne, et se presse par toutes les mains des légendes... Mais l'âme des soirs de jadis a gardé son côté intime et comme sur la cour. On entend souffler dans leurs clefs toutes les bêtes de la terre nocturne. Un crapaud râle sous une grosse feuille, d'une crécelle sourde et grave. Un insecte lime à son établi. Tout n'est que douceur lancinante...
Le soir emplit jusqu'aux bords les dahlias écrits en ronde. Les belles-de-nuit ont leurs réveils de vieilles filles. Les vers luisants font leur petite moue lointaine. Les sphinx, en courriers, tirent d'une fleur à l'autre, ou volent sur place et s'auré- olent du ronflement de leurs ailes. Les chauves- souris font leurs tours de cartes sur la lune. — Au fond, les toits de la Bernadine fument légère- ment contre son cœur. — Très loin, l'aboiement des chiens n'est plus qu'un froissement contre la trappe de la route, de cette route si étrange qui descend de chute en chute aux clairières de lune où tremblent les conciles d'argent des potrelles... Le fer d'une roue sur une pierre y tinte. — Quand
�� � FRAGMENTS D UN POEME 49 1
Elle arrivait par l'escalier de bois sonore, elle frôlait les feuilles d'une branche basse. La branche tremble encore. — Une bruire, qui n'est plus la sienne, luit toujours au fond d'un hangar, avec les outils, comme un rappel de la mare...
J'ai fait un songe. Une nuit, nous étions assis là, sur la petite butte. Elle contre l'arbre, moi par terre. Et j'avais laissé rouler ma tête sur ses genoux, dans le tendre silence des pensées. Et je pleurais doucement. Et au bord de la plaine, dans un cercle de lune, une bête charmante, toute droite et toute blanche, était sortie de terre pour nous regarder...
Paul Fargue.
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��LE CLASSICISME ET M. MOREAS
��Confessons-le : nous sommes quelques-uns à avoir trop parlé de " classicisme. " Tant et tant, que le classicisme est venu — mais non point celui que nous attendions. Il nous faut donc en reparler encore... Puisse-t-on nous mieux entendre cette fois !
��*
- *
��C'était au lendemain d'une période riche et confuse, où vingt énergies contradictoires mon- traient la noble ambition de relever un art tout à fait avili. Le " symbolisme " n'avait rien d'une école : il demeurait pourtant au regard de la foule l'école de l'obscurité — et les bons payaient pour les pires. Ce qu'il renfermait de grandeur, de jeune élan, de subtilité et de force, nous, la génération suivante, nous prétendions le recueillir et le faire fructifier.
Nous ne nous trompions pas en discernant sous tels ornements superflus les éléments d'un pro- chain classicisme, c'est-à-dire de cet équilibre par- fait qui est la fin de l'art et sa suprême réussite.
�� � LE CLASSICISME ET M. MOREAS 493
Et vive donc le classicisme ! — Il y eut un malen- tendu.
Combien de fois, depuis dix ans, opposâmes- nous ici et là dans des articles, ce neuf et vivant équilibre à un art d'archaïsme et d'imitation ? Plus nous parlions, plus il semblait que le mot gagnât en faveur, en puissance, mais hélas ! aux dépens de sa profonde signification. Du jour au lendemain on réveilla les antiques formules. Stan- ces, tragédies pullulèrent... Le " classicisme ' renaissait.
Les pauvres tragédies ! les mornes stances ! Comme tout cela nous inquiéterait peu, comme nous laisserions mourir tout cela, mourir — ayant vécu à peine — si nos pseudo-classiques n'avaient pas pour soutien, pour néfaste encouragement l'exemple d'un vrai poète que nous admirons tous — et qu'il faut cependant combattre... J'ai nommé M. Moréas.
Aussi bien, aurais-je retardé encore l'instant de cette extrémité pénible, si dans son Enquête de la Phalange " sur une littérature nationale ' M. Henri Clouard, en louant immodérément ma réponse, n'avait paru me rendre solidaire de ses malheu- reuses conclusions. Il écrivait :
" J'aime à relire la page exquise où M. Henri Ghéon explique que tous les peuples de l'Occident se touchent en nous, se fondent et s'équilibrent et que la France, la France spécifique est réalisée au
�� � 494 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
point où cet équilibre heureux s'accomplit. " Notre originalité supérieure, conclut-il, ce n'est ni la sagacité, ni la finesse, ni l'ironie, c'est de savoir réduire à la mesure, à l'équilibre, à la beauté, l'ori- ginalité des autres et de nous-mêmes, c est notre culture et non nos instincts. "
Ce qui mène notre enquêteur, on voit assez par quel chemin, à cette péroraison ineffable :
" Considérant cette survivance nationale (celle d'une littérature spécifiquement française) dans son plus pur miracle qui est la poésie et voulant oublier l'indignité de ces notes brèves, volontiers les eussé-je dédiées à Jean Moréas, en qui je contem- ple la France.
Non, Monsieur, non ! Je ne puis pas partager votre extase. Après la phrase (excellente, disiez- vous) que j'ai rappelée plus haut et que vous avez reprise comme vôtre, n'oubliez pas que j'ajoutais :
" Originalité durable qui trouve un aliment dans le romantisme, dans le symbolisme, qui fait sortir un ordre nouveau de tout excès — et nous permet, pour ne citer que cet exemple, de consi- dérer comme une manifestation classique le vers libre enfin viable et organisé. Comment crain- drions-nous de la perdre, quand nous pouvons lire aujourd'hui telle page de France, de Renard, de Gide, tel conte de Vielé-Griffîn, telle période de Barrés, — en dépit de son romantisme ?... '
�� � LE CLASSICISME ET M. MOREAS 495
Nous voici loin de compte, dites-moi. A cela, il est vrai, vous objectiez — à propos du vers libre en note :
" Lorsqu'on s'inquiète tant d'une façon de s'ex- primer, n'est-ce pas que l'on n'a pas grand'chose à dire ? Je crois hélas ! que toute recherche trop acharnée d'une forme nouvelle enlève au service de l'Idée les forces les plus précieuses de l'écrivain etc.. Mais ceux qui craignent pour le sort de l'Idée trouveront-ils donc M. Henri Ghéon dans les rangs de l'adversaire ? "
Je répondrai là-dessus, M. Clouard. Mais en passant, dites-moi ce que le champion de l'Idée va faire aux genoux de M. Moréas ?..
Assez citer. Dans ces deux façons de conclure se résume toute la question. Comment le problème du classicisme, qui semble de part et d'autre assez clairement posé, peut-il souffrir deux solutions si dissemblables, c'est ce qu'il sied d'examiner une fois de plus.
��*
- *
��La belle, vaine et luisante " nuée " que leur classicisme rétrospectif ! Mais que ne la pourfend M. Charles Maurras ?
Une nuée, je le répète ; un concept vide ; un absolu affranchi du temps et du lieu, des mœurs et du caractère des hommes ; la panacée de l'art
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applicable indifféremment à tous les cas. Tel il était pour Sophocle ou pour Euripide, tel il reste pour nous. Nous le tenons de nos aïeux du grand siècle, qui le tenaient des Romains, qui des Grecs, qui... — des Dieux, sans doute. — Méditez leur exemple, o classiques d'imitation ! car dans le domaine des lettres, les Grecs n'ont rien reçu en héritage — et ils se sont enrichis cependant.
Voici les faits. En deux mémorables occasions, à vingt siècles de distance, grâce à la rencontre heureuse du Nord et du Midi, l'art littéraire a pu réaliser son maximum de perfection et d'équilibre, une fois en Grèce sous Périclès, une fois en France sous Louis XIV. Deux équilibres, deux classicismes.
C'est à dessein que je ne parle pas de Rome. La littérature latine, issue directement et immédiate- ment de la littérature grecque n'a fait que pro- longer et que refléter celle-ci. Elle n'apportait rien de nouveau que sa langue forte et concise ; ce fut vraiment une littérature de seconde main, comme le pseudo-classicisme anglais qui singea notre dix- septième siècle.
Il en va tout autrement du classicisme français. Je veux bien que la connaissance profonde des littératures anciennes, que le culte qu'on leur vouait, aient eu une influence sur sa direction et sur son apparence... Je ne nie pas qu'un Racine, qu'un La Fontaine, qu'un La Bruyère se soient
�� � LE CLASSICISME ET M. MOREAS 497
fait gloire d'imiter les Grecs... Mais quand je me reporte à ceux qu'ils imitaient, ou qu'ils préten- daient imiter, je trouve un primitif, Esope, le plus audacieux des classiques, Euripide, un alexandrin, Théophraste. Et quand je cherche ce qu'ils leur doivent, je ne rencontre que généralités vagues, comme "la fable", "la tragédie", des titres bien plutôt que des réalités, et quelques scénarios de pièces.
Remarquez que Racine, de nos classiques le plus grec, n'a "imité" les Grecs (si j'ose dire) que trois fois dans la maturité de sa carrière : Andromaque, Phèdre et Iphigénie. Il a créé de toutes pièces, Bérénice et Britannicus, Bajazet et Mithridate, Esther et Athalie. Que si je confronte ses trois " copies " et leurs modèles, il faut bien l'avouer, je n'y rencontre aucune beauté analogue, ni dans la conception, ni dans le déve- loppement, à peine dans le détail. Je me trouve en présence de deux expressions d'art absolument dissemblables, un équilibre français et un équilibre grec. D'une part la concrète et lyrique trilogie grecque, couronnée légèrement de son drame satyrique. D'autre part les cinq actes progressifs, exclusivement nobles, un peu oratoires, un peu abstraits, de la tragédie française.
Et que dirions-nous, si nous parlions main- tenant de Molière et de la Fontaine ?
Imitation des " Anciens " ! Nos auteurs y
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croyaient-ils ? Je pense qu'ils mettaient une cer- taine coquetterie à y faire croire. Les anciens couvraient leurs audaces et leur offraient en outre un excellent terrain pour défendre contre la cabale médiocre des " modernes " la mesure, l'ordre, la solidité, l'harmonie, la discipline enfin, alors neuve et féconde qui convenait à leur rationalisme et que leur rationalisme s'était choisi. Alexandrin classique, coupe en cinq actes, règle des trois unités, autant de nouveautés alors, autant de créations personnelles, résultats d'un siècle de tâtonnements et d'efforts à la recherche d'un équilibre original. Si tout cela est devenu formule, c'est au siècle suivant, chez les continuateurs immé- diats de nos grands auteurs. Tout cela fut vivant, et non pas seulement par la matière humaine que le poète y savait enfermer, mais en soi, et en tant que forme : forme originale, absolue, nécessaire d'une inspiration maîtresse de soi... — et aussi bien que l'alexandrin de Racine, le vers libre de La Fontaine.
Et je dis, cela fut " classique ", et ce qui fut classique ne peut pas le redevenir, — ou excep- tionnellement... Car il y a aussi les Stances — certaines Stances — de M. Jean Moréas...
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��M. Moréas n'est pas de notre temps. Il est
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entré dans la littérature française sur la fin du moyen-âge, tel un joli trouvère naïvement musi- cal. Il a comme naturellement évolué à travers le fatras gréco-latin de notre Renaissance. Il vient de trouver son repos dans cette discipline classique du XVIPsiècle dont je proclamais la légitimité tem- poraire. Grâce à cette évolution, il nous sera dans une certaine mesure permis de trouver ce repos lui aussi légitime. S'étant replacé dans la situation d'un Malherbe, que le poète s'exprime naturelle- ment et en toute sincérité ainsi que s'exprimait Malherbe, cela ne nous choquera pas.
Aussi bien, c'est le miracle singulier de certaines de ses Stances qu'elles semblent avoir été pensées par M. Moréas au commencement du XVII e siècle. Il y a coïncidence absolue entre son inspiration et la forme archaïque dont il la revêt. Il vivifie, il rénove Malherbe, il donne au XVII e siècle qui n'a pas connu le lyrisme, un peu du lyrisme qui lui manquait : un lyrisme court j'en conviens, puis- qu'il se borne presque toujours au développement en douze vers d'un lieu commun sentimental et d'une image, un lyrisme émouvant, noble et pur cependant.
Il n'a pu soutenir souvent un si extraordinaire rôle. Même à la lecture des Stances un moment vient où l'inversion gêne, où l'archaïsme irrite, où l'on ne peut plus ne pas voir en M. Moréas notre contemporain, s'évertuant à retarder de deux
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siècles. Je ne parle pas à'Iphigénie, œuvre neutre, glacée, sans vie intérieure, sans nécessité. Si M. Moréas a dépassé Malherbe, il n'a pu atteindre à Racine. On devine pour quelles raisons.
Où je le sens le plus spontanément classique, c'est dans sa prose. Non que " l'Idée ", pour parler comme M. Clouard, ait chez lui la vertu et le foisonnement que nous admirons en Pascal, en La Rochefoucauld, voire en La Bruyère... mais j'y trouve, à ne pas dire grand'chose, une désin- volture charmante, un tour aisé, leste et vivant — de la liberté en somme. Mais ce n'est pas en cela qu'on l'aura jamais " imité ".
M. Clouard se rend-il compte maintenant de mon effarement devant sa conclusion extatique ? Qu'il contemple en M. Moréas la France, libre à lui ; pour moi je ne puis contempler en ce poète, avec vénération et admiration du reste, qu'un coin d'une France passée qui ne ressuscitera pas.
Quoi ? Depuis le XVII e siècle, notre patrimoine national s'est accru de l'apport anglais de l'Ency- clopédie, du romantisme, de la philosophie alle- mande, de l'impressionnisme, de la psychologie russe et Scandinave, du symbolisme, de l'exotisme et de toute la musique des siècles ! Suivant son rôle éternel, l'esprit français a accueilli et absorbé la pensée et l'art de tout l'univers ! Et quand enfin il tente de " réduire à la mesure, à l'équilibre, à la beauté " son originalité propre et l'originalité di-
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verse du monde, au vingtième siècle commençant, l'équilibre qu'il réalise serait celui-là même qu'il réalisait voilà trois cents ans, avant de connaître seulement Shakespeare, et dans la même forme, suivant les mêmes coupes, dans une langue qui n'aurait pas changé ?... Et il choisirait pour maître un Malherbe ? La chose est risible, tout simple- ment.
Si attachés que nous soyons au passé, au plus parfait passé de notre histoire littéraire, nous ne pouvons pas faire que ce qui est ne soit pas, que la sensibilité de nos yeux, de nos oreilles, de notre âme, de notre raison même, ne se soit pas modifiée, et l'art, même classique, est une manifestation de la sensibilité. Notre sensibilité, comme celle de nos ancêtres, cherche une règle à son usage ; et elle doit la trouver comme ils rirent, originale et neuve comme celle qu'ils trouvèrent, et réaliste
— c'est-à-dire conforme à l'état présent de cette sensibilité.
Et voilà pourquoi nous voulons une autre poétique et une autre rythmique, pourquoi nous ne désespérons pas de créer peut-être une tragé- die. Non pas " la tragédie" — une " nuée" aussi
— mais notre tragédie. Nous aurons notre clas- sicisme.
Ce classicisme n'acceptera pas, M. Clouard, vos formes toutes faites, aujourd'hui périmées : Racine, revenant chez nous, n'en voudrait plus. Jamais,
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en aucun temps, quoi que vous prétendiez, une forme devenue formule n'a pu servir l'idée. Elle l'amollit, la ternit, la dilue, elle lui retire tout accent. Du reste, il y a contradiction dans vos paroles, lorsque vous louez tour à tour la difficulté vaincue (o difficulté enfantine de l'alexandrin !) et la liberté d'esprit que cette même forme prévue et mécanique laisse au poète pour " penser ". Vous parlez des " ornements " du vers libre comme quelqu'un qui ne le connaît pas, puisque sa seule ambition c'est de s'adapter logiquement, harmo- nieusement, exactement à la pensée nue. Quoi, en êtes-vous encore à séparer la forme du fond ? Leur union irrésistible et absolue nous semble à nous un trait fondamental du classicisme, de notre classicisme, de tous les classicismes passés et avenir!
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��Marchons-nous dans la bonne voie ? Je le pense. Sommes-nous loin du but ? On juge mal de la valeur exacte de son propre effort. Que devant nos réalisations sans doute imparfaites, on nous traite de décadents ou de barbares. Tant pis ! Nous répondrons en prenant à témoin l'histoire des grandes littératures à leur période de déca- dence. Car le signe d'un art décadent, ce n'est pas l'anarchie, l'impatience de créer autrement, la folie, mais bien précisément cette sagesse moutonnière
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qui se réfugie dans le souvenir d'une perfection révolue, qui s'exténue à en évoquer l'ombre, qui use monotonement chaque touche d'un instrument déjà usé. Que M. Charles Maurras écrivit là- dessus de justes lignes dans un article récent contre le "beau vers " ! — mais peut-être sans s'en douter... Il devrait se lamenter avec nous de voir le noble effort de M. Moréas autoriser de son exemple toutes les lâchetés et toutes les redites, comme après l'alexandrinisme et sous les derniers empereurs romains... Si son "roi " revenait, ce ne serait pas, j'imagine, pour gouverner comme gou- vernait le " grand roi "...?
Que si devait triompher cependant ce " classi- cisme " décadent, formel et vide, aux dépens de notre idéal, — et bien ! au nom de nos plus profon- des aspirations, joyeusement, nous revendiquerions le titre de " barbares ". Car un équilibre vital peut sortir un jour de la barbarie — et nous aimons mieux nous trouver sur le chemin qui mène à la beauté classique, que sur celui qui en revient.
Henri Ghéon.
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��LA CAPTIVE DES BORROMEES
��(Suite)
��Ayant ainsi tout mis en branle pour la réussite du projet que j'avais formé, il ne me restait plus qu'à donner avis à la jeune femme des arrangements pris en vue de sa délivrance. A cette fin, dès la pointe du jour, je descendis aux jardins et d'abord me rendis à l'endroit où je l'avais surprise la veille et où je me flattais un peu inconsidéré- ment de la retrouver aujourd'hui. Mon cœur battait quand je gagnai la petite galerie au bord des flots. Mais le lac était désert : les eaux bleues se balançaient vides au soleil. Sans me laisser abattre, je rebroussai chemin aussitôt et me dirigeai vers le buisson de roses-thé où peut-être elle était assise, à l'ombre de son tendelet de soie blanche. Là aussi, je ne trouvai qu'absence et solitude. En vain je parcourus les allées et les bosquets d'alentour, en vain je fouillai les terrasses et ces escaliers secrets qui dévalaient de toutes parts : à peine rencontrai-je quelque indolent jardinier qui, la corbeille au bras, recueillait les oranges les plus mûres ou bien poussait du balai les feuilles de roses tombées pendant la nuit et qui jonchaient les pierres tièdes des plates-formes. Tout au plaisir et à la hâte de communiquer mes inventions dont je n'étais pas peu fier, je n'avais point fait réflexion qu'un hasard
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fâcheux pouvait soustraire Délia à mes recherches. La déconvenue que j'éprouvai à ne la trouver nulle part rompit le charme : pour la première fois en même temps, je m'avisai qu'il y avait peu d'apparence, en vérité, qu'à cette heure matinale la jeune femme s'aventurât dans le parc où la chaleur et le soleil gagnaient d'instant en instant. — Parbleu, m'écriai-je, je ne suis qu'un sot : c'est au château qu'il me fallait la chercher ! Comment ai-je pu croire que, mise en éveil par mon empressement, la jalousie d'Ascanio tolérerait qu'elle reparût seule dans ces lieux où elle est à ma merci !... — Et incontinent, je me dirigeai vers le palais. Mais comme j'allais traverser la vaste pelouse ombragée qui menait au perron, je m'arrêtai brusquement à la vue de mon cousin qui se promenait de long en large sous les arbres, escorté de son intendant et d'un vieux bonhomme, moitié rustaud, moitié pêcheur, dont la mine servile et l'air de frayeur montraient assez quelle sorte d'inhumaine autorité devait exercer Ascanio sur les malheureux que le sort condamnait à dépendre de ses ordres. Si le Comte m'eût abordé à cet endroit, il aurait mis infailliblement toute ma machine à l'envers, car il importait que Délia fût informée au plus tôt des dispositions sur lesquelles elle allait avoir à régler sa conduite. La chance toutefois me favorisa. Au bout d'un instant, en effet, je vis le trio s'enfoncer dans une allée où ils ne tardèrent pas à disparaître. Je me hâtai pour lors de gagner le logis afin de reprendre mes recherches, où l'alerte dont je sortais m'avertissait de mettre le plus de diligence qu'il m'était possible. Le gros portier dormassait, la bouche ouverte, dans un coin : mon approche ne le réveilla pas. Vivement je m'engageai dans la galerie.
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Il y régnait une grande fraîcheur et une obscurité pres- que complète. Un filet de jour filtrant parfois entre les lames obliques des persiennes éclairait à demi sur leurs socles de basalte les empereurs et les déesses blanches qui peuplaient ces parages silencieux. Convaincu que ce n'était point là que je découvrirais celle que je cherchais, je me portai sans retard au premier étage où je présumais que devaient se trouver les appartements de la jeune femme. Pas plus qu'au rez-de-chaussée d'ailleurs, je ny rencontrai âme qui vive. Le château tout entier semblait assoupi et abandonné ; mes pas animaient seuls le vide des couloirs et des salons majestueux. Au surplus, ne me sentant point l'audace de pousser toutes les portes fermées que j'apercevais, ce qui au demeurant m'eût tenu jusqu'au soir, il me fallut bientôt convenir qu'à moins d'un coup de fortune, ma démarche prenait tournure de demeurer infructueuse. Aussi, après avoir deux fois parcouru de bout en bout l'interminable suite de chambres de toute sorte qui s'étendait de l'aile droite jusqu'à celle de gauche, j'allais me résigner bonnement à prendre position au haut de l'escalier d'honneur qui du moins, commandant la double enfilade, m'offrait un poste d'observation conve- nable, quand, en traversant un cabinet qu'on appelait le pavillon des Grandes Indes à cause des curiosités de ces pays qui s'y trouvaient rassemblées, je distinguai un léger bruit derrière une porte, entièrement masquée par un grand paravent de soie brodée. J'avais fait halte sur-le- champ, mais sans doute on m'avait entendu, car le bruit s'interrompit net. Je ne me décourageai point cependant, et tenant pour certain d'avoir enfin trouvé l'oiseau sur les œufs, si j'ose ainsi dire, je résolus d'attendre patiem-
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ment. J'en fus bientôt récompensé, car, au bout d'un instant, la porte s'ouvrit avec précaution et je vis paraître devant moi une jeune femme toute enveloppée dans un peignoir bleu, ses longs cheveux brillants répandus sur les épaules et les traits exactement cachés sous une ample écharpe de dentelles qui lui couvrait à la fois le visage et la tête. C'était elle ! je n'en doutai pas une seconde, et déjà m'avançant vers Délia, sans me laisser arrêter par la confusion que trahissait sa contenance : — Ah ! je vous rejoins enfin, m'écriai-je. Dieu soit loué ! Depuis deux heures passées à vous quêter partout, je commençais à désespérer de vous pouvoir délivrer à temps mon message... Je me suis promis hier, Madame, de n'épargner aucune peine pour assurer votre salut ; je vous apporte aujour- d'hui de quoi vous bien prouver la sincérité de mon propos. Pour être libre, il n'est plus désormais que de suivre de point en point les avis que je vais vous donner. Sachez donc, Madame, que ce matin, sur mon ordre, mon suivant est allé à Canobbio quérir une des grosses barques que j'y ai laissées avec mon bagage. Elle accostera cet après-midi au quai, mais sitôt la nuit venue, gagnera le petit escalier au pied des terrasses, à la pointe extrême de l'île. C'est là qu'à l'aube, il vous faut vous rendre : les hommes qui montent le bateau sont à moi, vous pouvez vous remettre entre leurs mains : ils démarreront aussitôt, et une heure plus tard vous serez en sûreté dans un lieu où il ne vous restera qu'à m'attendre. — Délia m'avait écouté sans un mot; d'un geste pudique, elle avait rassuré sur sa face l'épaisse écharpe qui me dérobait jusqu'à ses yeux. Comme elle ne répondait pas, j'en tirai qu'elle hésitait. — Eh quoi, fis-je avec vivacité, vous reculez
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ou bien vous méfieriez-vous de moi ? En vérité, ai-je mérité l'offense d'un tel soupçon ?... Mais à cet endroit, elle me fit signe que non. — J'y serai, che- valier ! murmura-t-elle en même temps, et me ten- dant sa main nue à baiser, elle s'enfuit, me laissant tout transporté de plaisir et d'espoir. L'humeur la plus joviale du monde pour lors me remplissait. Cor- bacque, fis-je en redescendant, ou je me trompe fort, mon cher Ascanio, ou demain vous ne serez pas sans éprouver quelque déplaisante surprise ! Telle était ma satisfaction que je ne me reconnaissais même plus la force de garder rigueur au Comte du procédé injurieux dont il avait usé la veille, en ne craignant point de porter la main sur moi. Dans le vestibule, je retrouvai le portier toujours ronflant. L'ayant secoué d'importance, j'appris de lui que mon cousin était toujours dans le parc avec son intendant. A peine d'ailleurs avais-je fait quelques pas, je l'aperçus de loin flanqué de ses acolytes. En me voyant, il les lâcha aussitôt et se porta vers moi avec un em- pressement qui me fit juger qu'il avait à cœur de réparer ses torts. — Eh, cher chevalier, je suis aise de vous rencontrer ! Figurez-vous que j'étais en train de m'éver- tuer à votre intention. Pour vous distraire, j'ai donné ordre qu'on organisât au plus tôt une grande pêche aux flambeaux. Le spectacle est curieux : la saison au de- meurant s'y prête à merveille, rapport au temps qu'il fait et au poisson aussi !... — Pour rompre les chiens, je lui répondis incontinent que j'aurais assisté de grand cœur à ce divertissement, mais que la nécessité qu'il y avait pour moi de me trouver à Milan avant la fin de la semaine m'imposait de quitter le château dès le lendemain. — De-
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main ! fit-il d'un air tout interdit. Ah ! vous me désolez : j'avais bien compté vous garder quelques jours encore, le temps de faire en sorte que vous n'emportiez point de ce logis un trop piètre souvenir. Vous n'avez même pas vu mon cabinet !... — ajouta-t-il d'un ton de désespoir si touchant que je le priai de m'y mener aussitôt. Sur quoi, me prenant par le bras, il me fit pénétrer dans le palais par un escalier dérobé qui donnait accès à ses apparte- ments privés. Au bout de ceux-ci et prenant vue sur le lac par six grandes fenêtres, s'ouvrait ce qu'il appelait son cabinet. Les trois pièces qui le composaient étaient d'un dénuement et d'une simplicité qui me frappèrent d'autant plus que le reste du château laissait voir une profusion de tentures, de glaces, de tableaux et d'objets précieux de toute sorte. Ici point de rideaux, pas un seul meuble, mais une grande table, longue d'une toise, toute encombrée de paperasses et de poussière, deux chaises de paille, et dans les coins, sur le parquet, aux murailles, la plus prodigieuse collection d'armes qui se pût imaginer. Epées, dagues, piques, stylets, sabres et poignards, empilés, étalés en ordre ou accrochés en panoplie, il y avait là, ma foi, de quoi équiper sur-le-champ une compagnie de bandoliers. — Peste ! fis-je en riant. Voilà un fameux arsenal ! Qui croirait que des lieux si enchanteurs recelassent une telle abondance d'instruments meurtriers !... — Mais au lieu d'entrer dans la plaisanterie, mon cousin hocha la tête avec une gravité singulière. — Mon cher chevalier, fit-il, la dernière fois que nous nous rencontrâmes, j'étais un homme encore ; je veux dire que j'avais tous mes mem- bres. Je faisais, pardieu, un assez franc soudard qui connaît le prix de la vie et ne se fait point faute d'y goûter tout
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son saoul. A présent, impotent et manchot, je ne possède plus des joies de ce monde que ce que l'on en peut prendre avec une seule main. Tout enchanteur qu'il soit, comment oublier que ce lieu est celui de ma retraite ? C'est là un mot dur à entendre quand on a mon caractère et mon sang. . . Il me faut bien tromper l'ennui de mon mieux, fût-ce avec de vieux fers rouilles : ne les raillez donc pas, ils sont mes derniers amis, nous mettons en- semble nos souvenirs, ils me rappellent à tout instant le camp, la bataille, les beaux coups donnés ou reçus de grand cœur. Que voulez-vous, on se console comme on peut !... — Eh, fis-je méchamment, vous ne dites pas tout ! ... Il est aussi certain oiseau fort doux à entendre. . . — Vous avez raison, me répondit-il d'un ton hautain. Con- sidérez toutefois qu'il n'est rien comme la cagpour ôter leur voix aux chanteurs !... Et reprenant son expression enjouée : Il y a dix ans, poursuivit-il, j'adorais les femmes. Quelles folies n'ai-je point faites pour elles, vous en savez quelque chose, j'étais jeune alors et assez simple pour imaginer qu'on me payait de retour. Elles m'ont fait bien voir que je m'abusais. A l'heure qu'il est, j'ai la faiblesse, je l'avoue, de les adorer toujours, du moins ne gardé-je plus d'illusion, et si je nourris des rossignols, ce n'est pas sans prendre la précaution de leur attacher un fil à la patte. Corbacque, j'ai passé mes plus belles années à souffrir mille maux pour ces créatures détestables et charmantes : il n'est que justice que je leur rende la pareille pendant le restant des jours que le Créateur veut bien m'accorder. .. — En tout autre temps, ce cynisme dé- goûtant m'eût fait éclater ; l'assurance que le châtiment était en marche me fit supporter l'assaut sans broncher.
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Au surplus, comme s'il eût craint d'irriter une suscepti- bilité qu'il savait assez chatouilleuse, Ascanio se garda d'insister, et me menant vers la fenêtre, à une petite table où était disposé un échiquier garni de ses pièces, il me rappela gaiement les parties qui nous avaient si souvent mis aux prises, à Rome, chez mon oncle le Cardinal, tandis qu'à côté de nous, à califourchon sur sa chaise un vieux carme barbu qui avait eu l'honneur de déjouer le premier le fameux gambit de Philidor sacrait comme un païen à la moindre étourderie qui nous échappait. Le souvenir me dérida et puisqu'aussi bien il fallait de toute façon endurer la société du fâcheux, je lui proposai d'éprouver sur l'heure où nous en étions. Il accepta volontiers, et nous étant installés l'un en face de l'autre, nous commençâmes aussitôt à pousser nos pions. Nous y passâmes la matinée entière dans un réciproque contente- ment. Ascanio coup sur coup me fît trois fois échec et mat ; pour moi, j'y gagnai du moins de ne point trouver le temps trop long à s'écouler. Vers midi, un valet vint nous avertir que le déjeûner était servi ; le jeu, ma foi ! nous avait mis l'estomac dans les talons, nous le suivîmes sans nous faire prier. Les deux couverts que j'aperçus dressés, en pénétrant dans la salle à manger, me firent voir dès l'abord que Délia ne paraîtrait pas au repas. Je n'y avais pas compté, je n'en ressentis aucune déception et me gardai de paraître remarquer l'absence de la jeune femme. Du reste, maintenant qu'une secrète collusion nous unissait, j'aurais appréhendé que la présence de Délia ne causât quelque embarras, soit qu'un mot in- considéré ou un regard ne nous dénonçât aux soupçons toujours prêts de notre hôte, soit que par une rougeur ou
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une réticence, la dame elle-même ne se vendît. Ascanio qui m'observait du coin de l'oeil parut enchanté de ma discrétion et, tout en me faisant asseoir, me réitéra le chagrin que lui causait ma détermination de m'éloigner dès le lendemain. Pour n'être pas en reste avec lui, je m'empressai de le payer en même monnaie et répliquai que toute la peine était pour moi. Afin de m'en donner du moins l'idée, Ascanio entreprit alors de me décrire les ressources diverses que l'île aurait offertes à ma curiosité si les devoirs de ma charge ne m'eussent contraint à un aussi prompt départ. Ainsi commencé, le repas se poursuivit le mieux du monde. La chair d'ailleurs était exquise, et le service ordonné d'une manière qui faisait voir que la main d'une femme y était mêlée d'ordinaire. Après que nous eûmes achevé, mon cousin me conduisit dans un coin de la terrasse et pour terminer la fête me régala d'un certain muscat généreux dont les vapeurs à ce point m'enchantèrent qu'il me fallut convenir que je me serais sans trop de peine accommodé de finir mes jours en cet endroit si Ascanio m'y eût voulu laisser seul, avec sa cave et sa maîtresse. Je pense même que de contentement et de bien-être je me serais proprement assoupi le nez dans ma cravate si le Comte n'y eût mis bon ordre. — Ah ça, s'écria-t-il, en sommes-nous là qu'il nous faille comme de vieilles femmes sommeiller après manger ?... Allons, debout et laissez-moi disposer à mon gré de ce dernier soir qu'il m'est donné de passer avec vous... — D'un pas mal assuré nous nous acheminâmes ensemble vers le parc. Le gros de la chaleur du jour était tombé ; il n'en demeurait sous les ombrages épais qu'une sorte de tiédeur agréable à respirer et une odeur délicate et nombreuse
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qu'on sentait formée de tout ce qu'un soleil prodigue avait su tirer de suc et d'arômes aux fleurs dont l'île était couverte. Pas un bruit ne s'élevait des jardins. Le rou- coulement des colombes paraissait lui-même alangui et comme exténué de trop de délice : immobiles et langou- reuses, on les voyait posées parmi le feuillage des bosquets ainsi que de gros fruits duveteux : à peine sur notre pas- sage dressaient-elles à demi leur col couleur de pêche. Mais soudain, mon cœur battit : appuyée à une balustrade et un petit éventail de nacre levé à la hauteur du visage, je venais de distinguer Délia. Le Comte en même temps l'aperçut et d'abord je crus qu'il allait concevoir sur-le- champ quelque moyen soit de l'écarter, soit de m'attirer plus loin ; à ma vive surprise cependant, il piqua droit sur elle et la salua d'un air de grande satisfaction. Je n'en éprouvais pas moins, surtout à remarquer l'aimable rou- geur qui à mon approche avait embelli les joues de la jeune femme. Il faut juger qu'Ascanio s'était mis en tête de me confondre par sa générosité et ses politesses, car je n'avais pas plutôt achevé mon compliment à Délia qu'il lui proposa de pousser en notre compagnie jusqu'à la terrasse la plus haute où il avait commandé qu'on ap- portât des limonades. Elle accepta volontiers et le Comte ayant pris les devants pour nous guider, nous nous engageâmes à sa suite dans un sentier en rampe qui s'élevait en longeant l'assise même des terrasses. Sur les murailles s'étalaient les plus magnifiques espaliers de cédrats qu'il fût possible de voir. Ascanio au passage en citait les noms et les vertus particulières, et de temps en temps s'arrêtait pour tâter de sa main sèche les fruits durs et dodus. Quel que fût leur éclat sous la noire verdure, j'y
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fus moins sensible qu'à la grâce fragile de certaines petites plantes qui chargeaient de leur feuillage léger comme plume les minces bambous fichés en terre pour les supporter. Délia m'y ayant invité, je portai la main sur l'une d'elles; à peine m'en étais-je approché, je la vis frémir sous mes doigts, se contracter et se refermer ensuite frileusement, ce qui me fît connaître que j'avais sous les yeux ces fameuses sensitives dont j'avais maintes fois ouï parler mais que je n'avais pas encore eu l'occasion d'observer. Mon étonnement amusa Délia. Du bout de son éventail, elle se prit à son tour à provoquer les fines folioles qui, devant même que d'être touchées, manifestaient on se sait quelle crainte farouche, pareille à cette appréhension subtile de la prunelle qui devinant, croirait-on, le coup qui va l'atteindre, à l'instant s'abrite derrière l'écran des cils vivement rabattu. Aux éclats de rire qu'elle faisait, Ascanio curieux d'en connaître la cause, se rapprocha de nous et ayant considéré quelque temps le jeu auquel nous nous livrions: — En vérité, fit-il, la petite grimace de ces plantes me paraît l'image aussi fidèle qu'on peut le souhaiter de cette hypocrite momerie à quoi les femmes ont donné le nom de pudeur. Sous la menace d'une main qui les effleure, ces sensitives se rebiffent : faites attention qu'une fois dissipé le premier émoi, elles ne se défendent plus, vous les pouvez manier à votre guise, elles sont inertes et consentantes. Ainsi en va-t-il avec les femmes. Force simagrées d'abord et une alarme hors de propos ; que si nous passons outre, le plus grand abandon succède aux rebuffades. Heureuses créatures ! Il leur suffit de baisser les paupières et l'honneur est sauf; elles ont tiré le rideau sur l'alcôve où désormais tout est permis... — Je
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ne pris point la peine de relever ces indécents propos : d'un coup d'œil, simplement, Délia et moi, nous nous témoi- gnâmes l'horreur qu'ils suscitaient en nos cœurs. Peu après du reste, nous atteignîmes la terrasse. Du haut de ce spacieux belvédère, on dominait la plus grande étendue du lac : si vif était l'éclat de la lumière dont cet après-midi était inondé que les rives lointaines apparais- saient au travers d'un sorte de vapeur dorée, fluide et transparente comme l'opale vue au jour. De hautes cimes fermaient l'horizon, on n'en distinguait que les lignes indécises, et moins la forme même que les couleurs légères, pâlies et fondantes. Un vieux pin touffu dans un coin de la plate-forme versait une ombre rafraîchissante. Ce fut là que nous nous installâmes sur des sièges de jonc qu'on avait apportés à notre intention. Je n'avais pas été sans redouter que l'humeur mordicante d'Ascanio ne gâtât le plaisir de ces instants que tout s'accordait à faire délicieux, mais l'insinuante volupté de l'air semblait avoir pénétré jusqu'à la coriace enveloppe du manchot. Etendu, les paupières mi-closes, il se taisait et ne prêtait qu'une oreille inattentive aux devis que sa maîtresse et moi ne cessions d'échanger. Une allégresse extraordinaire m'animait : le bonheur d'être auprès de Délia, la certitude que j'avais de mettre bientôt un terme à ses malheurs me remplis- saient d'un feu intérieur qu'il me fallait dépenser sur l'heure du mieux que je pouvais. Parfois tout soulevé hors de moi-même, je me levais, faisais quelques pas sur la terrasse ou bien j'allais longuement enfouir ma face dans le cœur large ouvert de ces belles roses pourpres et jaunes qui grimpaient aux balustres et montaient jusqu'à la hanche de bronze du Neptune qui, une conque à la
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main, se dressait au-dessus de nous. De loin, alors je jetais un sourire clandestin à Délia ; elle penchait un peu la tête pour ne point se trahir, mais le pli de sa bouche, l'expression de tendre connivence répandue sur ses traits faisait la plus charmante réponse. Ce fut au cours d'une de ces fiévreuses promenades que, vers cinq heures, j'aperçus, non loin de l'île, une grosse barque qui se dirigeait vers le château et portait fièrement à la corne du mât un pavillon blanc tout neuf. La joie pensa m'ar- racher un vivat : je venais de reconnaître le signal dont j'avais convenu avec Bridon. D'un geste pressant, derrière le dos d'Ascanio qui rêvassait, j'invitai la jeune femme à me rejoindre, et feignant de lui désigner les toits épars de quelque village distant : — Voyez-vous cette voile, fîs-je à mi-voix. C'est le salut qui approche. Demain, elle portera votre fortune. Je n'ai point à vous en dire plus long en cet endroit : du moins ai-je tenu à vous montrer sur l'heure que je tiens ma parole et que tout s'accomplira selon nos espérances, pourvu toutefois que vous ne vous écartiez en rien de la conduite que je vous ai tracée... — Tandis que j'achevais ces mots, en ses tendres yeux bleus fixés sur moi, il me parut lire je ne sais quelle incerti- tude : ses lèvres en même temps s'entr'ouvrirent comme pour m'interroger. Mais déjà, me penchant vers elle : — Dois-je croire, fîs-je d'un ton de reproche, que vous laissiez tant de votre coeur ici qu'en face de la liberté qu'on vous offre, vous ne puissiez vous défendre d'un regret !... Une rougeur légère à ce moment couvrit son front et dans un soupir, si bas qu'à peine je pus l'entendre : — Ah ! pensez-vous, murmura-t-elle, qu'à vous suivre, je sois si assurée d'être libre désormais ?... —
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Le ton dont elle me la souffla, autant que la confidence elle-même, m'exalta. Tendre effusion d'un coeur qui pres- sentant sa faiblesse ne se défend plus d'y céder, pouvais-je n'y point voir l'aveu ingénu d'un sentiment déjà plus proche de la tendresse que de la simple reconnaissance ? Je ne répondis pas : mes regards et mon attitude toutefois marquèrent à la jeune femme quel transport passionné me soulevait vers elle. A ce compte-là, nous courions tout droit à une imprudence fatale : je ne fus pas fâché, aussi bien, de voir Ascanio, en se rapprochant, nous mettre en garde contre notre propre entraînement. L'après-midi, du reste, s'achevait : pour nous préparer au dîner, bientôt nous reprîmes le chemin du château. Comme si la proxi- mité de mon départ l'eût subitement rassuré, le Comte, on l'a vu, n'avait plus donné signe, de tout le jour, de cette aveugle jalousie dont il avait précédemment paru consumé : sa grandeur d'âme alla jusqu'à permettre que Délia, pour ce dernier repas, s'assît auprès de nous. Tant de générosité ne laissa pas de me toucher : en mon atten- drissement, j'en venais à oublier tous les motifs que j'avais d'en vouloir au vieillard ; à maintes reprises je me surpris à le considérer avec pitié en songeant au coup que je lui ménageais. Ascanio, d'ailleurs, faisait de son mieux pour effacer le souvenir fâcheux qu'il sentait bien que ses brusqueries et sa méfiance risquaient de laisser en moi. Pas une fois, il ne lui échappa de ces boutades grossières qui m'avaient si souvent choqué. Prenait-il la parole, c'était pour prodiguer les flatteries et les caresses, tant à sa maîtresse qu'à moi-même. Peut-être, il est vrai, la félicité dont j'étais rempli me prêtait-elle quelque indul- gence. Je ne voyais que Délia : la pensée du plaisir que
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le lendemain j'aurais à fuir avec elle m'occupait tout entier. A table, installé devant la jeune femme, sur la terrasse ensuite où le café nous fut servi, je ne cessai un seul moment de me griser du délice intime que sa vue, ses regards, le moindre de ses mouvements me dispen- saient inlassablement. Cependant le serein commençait à tomber :. la dame tout à coup eut un frisson ; nous rentrâmes au salon. Je m'approchai alors d'une épinette ouverte près de la cheminée et rassemblant le peu d'anglais que je savais, je proposai à Délia, en souriant, de nous faire entendre un air de son pays. Mais la con- fusion qu'elle fit paraître à ce moment, le coup d'œil interdit et presque alarmé qu'elle jeta sur mon cousin me firent comprendre brusquement quelle avait été ma maladresse de ranimer des souvenirs qui ne pouvaient que la mortifier. Ascanio heureusement intervint à propos : — Corbacque, fit-il, j'ignorais, chevalier, que vous fussiez à ce point féru de musique ; je n'aurais point manqué de vous régaler de quelque sérénade à l'italienne. Au demeurant il est temps encore : un mot, et dans un quart d'heure, tout ce qu'il y a ici de guitares et de voix s'évertuera pour le plus grand plaisir de vos oreilles. — Je me souciais fort peu d'un tel concert et m'empressai de lui représenter qu'il serait malséant de troubler la tran- quillité de cette belle nuit. De fait, j'en avais rarement contemplé d'aussi magnifique. Du haut des balcons je l'admirai à nouveau. La lumière dont elle resplendissait était si pure et si vive qu'elle semblait pénétrer chaque objet et, lui ôtant tout son poids, n'en laisser plus que l'apparence légère et comme translucide. Les eaux balancées, la cime joufflue des bosquets, les terrasses même
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et les monts qu'on voyait au loin, tout paraissait à nos yeux moins reposer que flotter parmi la volatile clarté de l'azur. Mais enfin il fallut se coucher. Délia la première se retira. Je ne tardai pas à suivre son exemple. On eût juré toutefois que le Comte ne pouvait se résoudre à me lâcher. Lui-même, un flambeau à la main, il tint à m'escorter jusqu'à ma chambre. Dix minutes encore, force me fut sur le seuil d'endurer son fastidieux verbiage. Peu s'en fallut qu'excédé à la longue et ne sachant comment me dépêtrer du fâcheux, je ne lui fermasse bonnement la porte au nez.
��Quand je rouvris les yeux, ce fut lui derechef que j'aperçus devant moi. Mal réveillé et pensant d'abord qu'à peine je venais de le quitter : — Eh quoi, fis-je en sursaut, vous n'êtes point couché ?... Que se passe-t-il donc?... — Rassurez-vous, me dit-il en riant, il fait grand jour et la nuit, Dieu merci, s'est fort paisiblement écoulée. Assurément me serais-je fait scrupule de troubler votre sommeil, n'eût été l'obligation où je suis de prendre congé de vous sur-le-champ... — S'étant assis à mon chevet, il m'informa alors qu'ayant reçu la nouvelle que certains de ses gens s'étaient un peu entrecoupé la gorge dans un village qu'il possédait de l'autre côté de l'eau, il lui fallait s'y porter d'urgence. — Comment, tout de suite..., — m'écriai-je. La nouvelle de ce départ précipité me confondait en effet à cause des facilités qu'il apportait à l'exécution de mes projets. Le Comte se méprit sur le sens de mon exclamation. — Il le faut, poursuivit-il ; quand cette frénésie les prend, on ne saurait prévoir où
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les coquins s'arrêteront. Vous pensez bien, au demeurant, que ce n'est point sans dépit que je me prive du plaisir d'employer avec vous les derniers moments que vous serez mon hôte... Et s'étant mis debout: Mon cher cousin, ajouta-t-il d'un ton pénétré, il m'est revenu que je passe dans notre famille pour un maniaque et un bourru. C'est une réputation, il est vrai, que je n'ai que trop justifiée par mes façons. Faites-moi la grâce toutefois d'être assuré que chez moi l'écorce seule est rugueuse. J'ai pour vous une très tendre affection : vous n'en doutez pas, je l'espère ,• excusez-moi si malgré tous mes soins, mon diable de caractère n'a pas permis durant votre séjour de la témoigner comme j'aurais voulu. — Je tentai de pro- tester, mais Ascanio m'arrêta court et se penchant sur moi, m'embrassa fort affectueusement, à plusieurs reprises. Je n'avais point accoutumé à trouver tant de sensibilité et de démonstration chez mon cousin ; j'avoue qu'après qu'il m'eût laissé, j'en demeurai quelque temps décon- tenancé : par-dessus tout, je n'étais pas sans me sentir gêné de la confiance qu'il me montrait tout à coup en me livrant en quelque sorte les clefs de la forteresse : pour la seconde fois il m'apparut que ma conduite n'allait pas sans vilenie à l'égard d'un vieillard despote et cruçl, sans doute, mais sincèrement épris et que j'allais plonger dans le plus affreux désespoir. La pensée des souffrances qu'avait endurées sa victime eut tôt fait d'ailleurs d'avoir raison des ces scrupules : entre Délia et le caprice d'un barbon égoïste, pouvais-je hésiter ? Tant pis, m'écriai-je enfin, et m'étant levé d'un bond, je chargeai Bridon de descendre aux jardins et de vérifier ce qu'il était advenu de notre barque. Entre temps pour tromper mon im-
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patience, je m'occupai de rassembler et de mettre en ordre mon bagage. Je n'avais plus que faire désormais en cette demeure, et il me tardait de gagner l'endroit du rendez-vous où j'imaginais fort bien l'anxiété et les transes avec lesquelles la dame devait m'attendre. L'assu- rance que me donna Bridon que la barque n'était plus en vue me rendit quelque tranquillité : je me trouvai même en état de faire honneur à la collation qu'on venait de porter dans ma chambre et qui eût suffi à rassasier six hommes de mon appétit par la quantité de viandes, de pâtés, voire de compotes et de légumes qu'elle comportait. M'étant ainsi restauré, je donnai ordre de charger mon porte-manteau et m'acheminai allègrement vers l'escalier. Mais comme j'atteignais le palier, je me sentis soudain pétrifié d'étonnement à l'aspect de Délia, qui enveloppée dans un grand châle et une mantille sur la tête, errait de- ci de-là d'un air agité. Sans même songer à la saluer : — Comment, fis-je, vous êtes ici !... Il y a un moment l'on m'apprenait que la barque avait disparu et voici que je vous retrouve devant moi... Que s'est-il passé, au nom du Ciel, et quel contretemps détestable vous ramène en ces lieux dont je vous espérais éloignée pour toujours !... — Toute tremblante de ma brusquerie : — Mais je vous atten- dais, balbutia-t-elle. — Vous m'attendiez ! Ah, Madame, ne vous avais-je pas dit de gagner à l'aube l'embarcation qui vous attendait au pied des terrasses ?... En vérité, il y a dans tout ceci quelque chose qui passe mon entende- ment ! Mes hommes avaient mission de ne pas démarrer sans vous : que sont-ils devenus ?. . . — Et comprenant que faute de leur secours, tous mes calculs échouaient, je m'en fus courant comme un dératé afin de vérifier de mes
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yeux si Bridon ne m'avait abusé. J'en fus pour mes peines du reste ; en atteignant les terrasses, il fallut bien convenir que le garçon avait dit vrai, le lac était désert, pas une voile ne demeurait en vue. A la place où je l'avais laissée, je retrouvai la jeune femme, interdite et apeurée. — Madame, lui dis-je brièvement, c'en est fait. La barque qui devait favoriser votre fuite n'est plus à son poste et vous m'en voyez confondu. Il n'est plus temps à présent d'atermoyer : en deux mots, ou vous resterez ici ou vous me suivrez tête haute dans mon propre bateau. A vous voir agir si ouvertement, vos gens imagineront qu'en l'absence du Comte, vous avez bien voulu prendre la peine de me faire la reconduite à sa place. Et à la grâce de Dieu, pour le surplus !. . . — Elle ne fut pas longue à se décider et me tendant la main : — Partons, chevalier, me dit-elle. L'aventure pour le coup devenait épineuse, mais la simplicité avec laquelle Délia en acceptait les risques me communiquait la force de venir à bout de tous les obstacles qui pourraient s'opposer à nos desseins. En attendant, il n'était que de payer d'audace et d'aller hardiment de l'avant. De fait, en nous voyant paraître sur le seuil, il ny eut personne dans le domestique accouru pour me saluer, qui parût trouver la rencontre singulière. Mon bagage déjà était rangé, je n'eus qu'à aider Délia à prendre place dans la barque qui s'éloigna aussitôt, au bruit des acclamations. Quand l'île commença de décroître sur les eaux et que je vis la haute façade du palais s'en- foncer peu à peu dans les verdures qui la pressaient de toutes parts, je respirai plus librement. Je gardai toutefois de donner cours à ma satisfaction. Outre que la présence des hommes qui m'entouraient et qui appartenaient à
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Ascanio, m'imposait une certaine retenue, je ne croyais pas encore tout danger conjuré. Le moment du débarque- ment restait critique, et j'attendais avec curiosité de connaître le parti auquel les gaillards s'arrêteraient en voyant leur maîtresse s'éloigner avec moi. Le sort cepen- dant me réservait une épreuve bien différente de celle que j'imaginais. Comme nous approchions du rivage, un des mariniers se mit en devoir de carguer la grande voile qui jusqu'alors avait arrêté notre vue. Le spectacle qu'elle découvrit en se relevant pensa me glacer d'horreur. Au haut du quai rustique dont nous n'étions plus distants que de quelques longueurs de rame, Ascanio en personne se tenait debout, drapé dans son éternelle capote militaire, plus raide et plus décharné que jamais. En nous aperce- vant, il eut un sourire sardonique dont je me sentis outré. — Le Ciel est contre nous, fîs-je à voix basse à Délia qui, à l'aspect de son bourreau, sans mot dire avait rabattu sa mantille sur les yeux. Je ne me dissimulais pas en partant les dangers de l'entreprise, du moins espérais-je en venir à bout sans violence ! Je commence à craindre que vous n'ayez à être témoin avant peu d'une assez répugnante bagarre. Au reste, c'est lui qui l'a voulu... Advienne que pourra ! — Et la barque accostant à ce moment, je tendis la main à la jeune femme et de l'air le plus assuré l'aidai à prendre pied sur le quai. Ascanio durant ce temps n'avait pas bougé : le même sourire insupportable con- tinuait de flotter sur ses lèvres. — Mon cher chevalier, fît-il enfin, on avait beaucoup exagéré l'affaire dont je vous ai parlé ce matin : il ne m'a fallu qu'une heure pour tout remettre en état. J'ai fait réflexion alors qu'en me pressant, j'aurais chance de vous joindre à cet endroit. Je
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vois bien à présent que j'ai plus de raisons que je ne prévoyais de m'applaudir de cette détermination. — Ascanio me don- nait le ton, il n'était que de danser avec le violon : — Mon cher Comte, répondis-je, au moment de quitter ces bords, je me suis cru autorisé à prier Madame de se joindre à mon cortège. Il m'a paru que l'air de l'île et la rigueur enflammée de son ciel n'étaient pas sans faire tort à sa santé. Un court séjour à Milan, sa rentrée ensuite au pays natal ne manqueront point de la rétablir, ce dont je pense que vous serez le premier à vous réjouir. Par amour pour vous, je suis prêt à l'escorter tout le temps qu'il faudra. Les routes au surplus sont actuellement des plus sûres et je crois qu'il n'y a pas lieu d'appréhender le retour d'un accident pareil à celui qui, voici douze mois, la conduisit en ces lieux. Au demeurant, mon épée est à son service et les gens que j'ai ici se feront un plaisir, au besoin, de verser leur sang pour sa défense. — Je venais en effet de reconnaître autour de moi quelques-uns de mes domes- tiques, garçons dévoués, ne craignant pas les coups et sur qui je pouvais faire fond. Si déguisé qu'il fût, le Comte ne pouvait guère ne pas entendre le défi que renfermaient ces dernières paroles. Il en parut d'ailleurs médiocrement affecté et toujours ricanant: — Vous êtes bien bon, cheva- lier, fît-il et je vous sais gré de vos soins. Devant que de vous mettre en chemin, ne croyez-vous pas cependant qu'il serait expédient de s'assurer auprès de Madame si les fatigues que fait prévoir une telle expédition ne l'ont pas amenée d'aventure à se raviser tout à coup. — - A mon tour, j'eus un sourire de dédain et me tournant vers Délia qui pendant ce débat s'était tenue un peu à l'écart et le visage toujours enfoui sous ses dentelles. — Vous estimerez
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apparemment, madame, lui dis-je, que la seule réponse à fournir à ce discours, c'est d'accepter mon bras et de souffrir que je vous mène à l'hôtellerie prochaine où votre logement est prêt et où je ferai en sorte que ma voiture vienne bientôt vous chercher. A mon grand étonnement toutefois la jeune femme repoussa le bras que je lui offrais et baissa la tête, sans mot dire. — Eh quoi ! m'écriai-je, la crainte vous arrêterait !... Me faites-vous si peu confiance que sous les yeux de votre tyran, vous n'osiez plus tenter ce que, loin de lui, vous paraissiez montrer tant d'ardeur à accomplir ? — Mais comme je faisais un pas vers elle, je la vis reculer, un instant hésiter et regagner enfin, le front bas, la barque même qui nous avait amenés. Une volte- face que j'étais si éloigné de prévoir me plongea dans un étourdissement qui me fit une minute demeurer bouche bée et sans plus savoir où j'en étais. La voix d'Ascanio me rappela à moi-même. — Ma parole, chevalier, vous alliez faire un beau coup ! En même temps, il me prenait familièrement par l'épaule et tournant vers moi son visage qu'animait une joie diabolique : — Voilà bien ces paladins ! poursuivit-il. Pour satisfaire leur toquade, ils sont hommes à traîner malgré elles sur les routes les princesses les plus satisfaites de leur lot !... Au surplus, ajouta-t-il d'un ton calme, je ne vous en veux point. Moi-même à votre place je n'eusse sans doute pas agi autrement. C'est le propre de notre sang d'être prompt à ces généreux entraînements. Aussi bien, cher cousin, demeurons amis. Je serais désolé pour ma part si vous faisiez compte que cette vétille pût porter préjudice à la très profonde affection que j'éprouve à votre égard et dont je suis heureux de vous renouveler une dernière fois
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la sincère assurance. — Je ne lui répondis rien. Qu'eussé- je pu lui dire ? Au vrai, je crevais de dépit : la pensée d'avoir été ainsi berné me remplissait de rage contre moi- même : je me sentais ridicule et par la posture où j'étais et par l'inconcevable reculade de Délia qui me laissait en plan dans le temps tout juste qu'il importait de faire front avec le plus de hardiesse. Le pis, c'est qu'il ne me restait qu'à sauter le bâton. De provoquer l'impudent, il n'y fallait songer, son infirmité le mettait hors de mes atteintes ; je ne pouvais oublier au demeurant qu'après tout, c'était lui qui avait les meilleures raisons de s'estimer offensé ; que si par hasard je le prenais de trop haut il était bel et bien capable de me faire bâtonner par les canailles qui m'entouraient et me considéraient d'un air de raillerie à peine dissimulé. C'est pourquoi prenant mon parti, sans jeter un coup d'oeil derrière moi et dédaigneux de la main qu'il me tendait, je fis demi-tour et plus mortifié que je ne saurais dire, m'acheminai vers l'hôtel- lerie où Bridon déjà avait porté mes hardes. Sa toque à la main, l'aubergiste m'accueillit sur le seuil avec force compliments, courbettes et salutations ainsi qu'ont accou- tumé de l'autre côté des Alpes les gens qui font profession de vivre de la peau de votre dos. Je lui fis bien voir que je n'étais guère d'humeur liante en ce moment, mais sans se laisser abattre, le bonhomme me courut après et, d'un ton mystérieux, me coula à l'oreille que la noble dame, pour qui la veille j'avais fait préparer un logement, m'attendait en haut dans sa chambre. Ma première pensée fut que la farce continuait et que mon hôte était de mèche avec le Comte; même il s'en fallut de peu que je ne lui rappelasse brutalement que la plaisanterie a des
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limites qu'il est dangereux de dépasser. Mais le ton d'innocence et de sincérité sur lequel il me confirma sa communication me fit juger que peut-être je l'accusais un peu promptement. — Ma foi, fîs-je à part moi, au point où j'en suis, il ne peut m'advenir pire déconvenue que celle de tout-à-l'heure : allons donc vérifier de quoi il retourne... — Et sans plus demander d'éclaircissements, comme si la chose m'eût paru toute naturelle, je gagnai l'appartement en question. Il me parut bientôt que je n'avais pas à regretter ma curiosité : à peine en effet eussé-je poussé la porte, je me trouvai en présence d'une jeune femme que je ne connaissais point à la vérité, mais gracieuse, fraîche et faite à ravir, la plus jolie bouche du monde et des yeux à faire tourner les têtes les mieux assurées ; par dessus tout, je remarquai ses admi- rables cheveux blonds qui dès l'abord me firent souvenir de la toison ardente et légère que Délia au bain m'avait montrée. Cependant, m'étant incliné devant elle, je lui marquai que je serais heureux qu'elle voulût bien me faire connaître en quoi je pourrais avoir le plaisir de lui être utile. — Eh quoi, fit-elle aussitôt, avez-vous douté que mon premier soin en me trouvant libre serait de vous remercier de tout ce que je vous dois ! — L'intrigue pour le coup me parut manifeste. La moutarde me monta au nez ; je me contins néanmoins et de l'air le plus froid lui repartis que si j'avais pu être assez simple pour m'intéres- ser au sort de certaines personnes qu'on se fût imaginé malheureuses, cette folie-là, Dieu merci, était bien passée, et tournant les talons, raide comme piquet, je me dirigeai vers la porte. Mais la jeune femme vivement m'y devança et me barrant le passage de ses bras, l'air à la fois interdit
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et résolu : — Ça, monsieur, fit-elle, vous aurais-je offensé sans le vouloir... En quoi ai-je mérité un tel traitement et quelle est cette mine que vous faites tout à coup de renier vos bienfaits ? N'est-ce pas à vous que je dois d'être ici, n'est-ce point dans votre bateau et sous la conduite même de vos hommes que j'ai pu fuir ce matin une rive exécrée ? Le ciel m'est témoin que j'eusse mis moins d'empressement à accepter vos services si j'avais prévu que vous dussiez si tôt vous reprocher de me les avoir offerts!... — Je ne l'écoutais plus. C'était à mon tour de me trouver interdit. Un instant je demeurai a quia, incapable d'une réponse à cause de la stupéfaction où venaient de me plonger ses dernières paroles. Ainsi, c'était cette dame inconnue qui, à l'aube, avait pris place dans la barque destinée à Délia. L'histoire n'en devenait pas plus claire pour cela, bien au contraire. — Mais alors, m'exclamai-je enfin avec effort, et comme malgré moi, mais alors, ou je n'y entends rien ou il y avait donc deux captives ?. . . — Ce fut au tour de la dame de froncer les sourcils; une ombre passa sur son visage et s'écartant de moi, elle alla s'asseoir sur une chaise près de la fenêtre : — Ah ! je comprends à présent, murmura-t-elle d'un ton de dépit, l'humeur que vous montrez et aussi que ce n'est pas moi que vous aviez dessein d'obliger... Ainsi que tous les autres, vous fûtes dupe des roueries d'Ascanio et si enfin j'échappe à ses fers, c'est le hasard avant vous qu'il faut que je remercie... — Déjà je l'avais rejointe. A la façon inattendue dont elle venait de mettre mon cousin en cause, j'avais soudain dressé l'oreille. Ah ! je songeais bien à m'esquiver maintenant !... Anxieux de débrouiller le mystère dont je pressentais qu'elle avait la
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clef, il ne me tardait plus que de la presser de questions. Et puis, s'il faut tout dire, à la grâce de la dame, à son expression mêlée de langueur et de vivacité, à la flamme contenue qui brillait sous ses paupières, j'avais cessé d'être insensible. Je lui pris la main et avec chaleur, la priai tout d'abord d'excuser ma méfiance et la rigueur de mon accueil. — Mais depuis quelques heures, continuai-je, je marche dans un imbroglio où je me perds. Tout à mes yeux prévenus n'est plus que déception et surprise. Aussi bien, madame, s'il est en votre pouvoir, hâtez-vous, je vous en conjure, de mettre fin à un désordre que je ne
saurais endurer davantage Oui, pourquoi le nierais-je,
cette jeune infortunée que le Comte détient contre son gré, j'avais projeté de la soustraire au honteux esclavage où elle languit. Une barque, apostée par mes soins au pied des terrasses, devait à la pointe du jour la mener ici même. Ce matin cependant, j'eus l'étonnement de constater ensemble et que le bateau avait disparu et que
la dame contre toute attente était toujours au château
— Ma foi, monsieur, fit-elle à cet endroit, peut-être jugerez-vous qu'il y a moins sujet d'admirer qu'elle n'ait pas suivi vos avis lorsque vous saurez que c'est à moi qu'hier, dans le pavillon des Indes, vous les avez com- muniqués... — Eperdu et sentant à ces mots renaître toutes mes incertitudes : — A vous ! fis-je. Comment, c'était vous, cette femme voilée à qui je parlai... Mais, au nom du Ciel, qui êtes-vous alors et qui est Délia ? — Eh, monsieur, fît-elle en m'arrêtant, laissez là cette fille, elle ne mérite point d'occuper votre esprit... — Et là-dessus, toute amusée de mon ébahissement, elle me révéla que j'avais en face de moi la captive anglaise qu'un
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an auparavant, mon cousin avait introduite sous son toit et qu'il tenait depuis rigoureusement cloîtrée. Quant à l'autre, la fausse Délia, ce n'était qu'une comparse, une simple soubrette, complaisante et délurée, à qui Ascanio avait eu la malice de faire tenir ce rôle tant en vue de détourner l'attention de sa véritable prisonnière qu'afin de déjouer d'avance les entreprises de ses hôtes en qui la jalousie ne lui faisait voir que des espions et des traîtres conjurés à sa ruine. De plus, tenu soigneusement au courant par la créature de tous les projets d'évasion dont elle était l'objet et auxquels elle faisait mine de se prêter après les avoir elle-même fomentés, le comte n'était jamais si heureux que lorsqu'il lui était donné, comme il l'avait fait avec moi, de surprendre les ravisseurs au moment où déjà ils s'applaudissaient de leur adresse et de leur chance. Sans omettre enfin que l'histoire s'ébruitant à la longue, il se flattait que, désormais avertis, les gens les plus téméraires y regarderaient à deux fois avant de se lancer dans une équipée qui avait accoutumé de tourner à la confusion de ceux qui la tentaient. — Pour déjouer sa vigilance et ses soupçons, il a fallu que le hasard vous conduisît inopinément en ma présence lorsque tout juste vous cherchiez mon double et ma figurante. J'ai tiré parti sans scrupule de la confidence qui ne m'était point desti- née, et ainsi, en dépit des meilleures intentions du monde, c'est presque malgré vous que vous avez ouvert la cage à l'oiseau... Puis, après un moment de silence, détour- nant un peu la tête, et tandis qu'une vapeur rosée échauffait ses joues limpides: "Pourtant, ajouta-t-elle avec hésitation, je n'étais pas sans avoir lieu de penser que c'était bien moi que vous aviez distinguée. Je vous l'ai dit, c'est moi
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qu'hier vous avez surprise ; n'est-ce pas à moi que vous avez jeté ces lauriers-roses, quand vous passiez en barque sous ma fenêtre, ce soir où, craignant de voir la super- cherie découverte, Ascanio eut l'audace de porter la main sur vous. Et cette femme que vous avez failli poursuivre dans la galerie, le lendemain de votre arrivée, comme vous finissiez de déjeûner, c'était moi encore... — Mon cœur à ce moment se mit à battre avec violence. Mes yeux peu à peu s'étaient dessillés. Son discours enfin avait éclairé ce qui dans l'ordre des événements autant que dans l'attitude de la prétendue Délia m'avait parfois paru si singulier. Aux dernières paroles qu'elle me dit, la lumière brusquement se fît en mon esprit. Je tombai à ses genoux, comme ébloui. — Ah ! Madame, m'écriai-je, n'achevez pas... Non, je n'ai rien oublié... Cette jeune déesse qu'au premier matin de mon séjour, j'ai surpris les cheveux épars et toute blanche dans les eaux du lac, c'est vous aussi : mes yeux, mon coeur vous reconnaissent à la fois ; c'est ce souvenir qui m'a fait votre esclave devant même que j'eusse le bonheur de vous approcher. .. — Et comme transporté hors de moi-même, je la saisis dans mes bras. Le feu de ses joues se fit plus ardent. Elle ne répondit pas, mais mollement reposa son front contre mon épaule cependant que j'osais porter les lèvres sur une belle bouche entr'ouverte que l'on ne me refusa point: à quoi je connus que si mon cornard de cousin avait eu la première manche, je pouvais bien me flatter d'avoir 2;agné la seconde et la belle par surcroît.
André Ruyters.
�� � 532
TEXTES.
"… Voi dite benissimo ch'egli è assurdo l'attribuire ai miei scritti una tendenza religiosa. Quels que soient mes malheurs, qu'on a jugé à propos d'étaler et que peut-être on a un peu exagérés dans ce journal, j'ai eu assez de courage pour ne pas chercher à en diminuer le poids ni par de frivoles espérances d'une prétendue félicité future et inconnue, ni par une lâche résignation. Mes sentiments envers la destinée ont été et sont toujours ceux que j'ai exprimés dans Bruto minore. Ç'a été par suite de ce même courage, qu'étant amené par mes recherches à une philosophie désespérante, je n'ai pas hésité a l'embrasser toute entière ; tandis que de l'autre côté ce n'a été que par effet de la lâcheté des hommes, qui ont besoin d'être persuadés du mérite de l'existence, que l'on a voulu considérer mes opinions philosophiques comme le résultat de mes souffrances particulières, et que l'on s'obstine à attribuer à mes circonstances matérielles ce qu'on ne doit qu'à mon entendement. Avant de mourir, je vais protester contre cette invention de la faiblesse et de la vulgarité, et prier mes lecteurs de s'attacher à détruire mes observations et mes raisonnements plutôt que d'accuser mes maladies."
Leopardi.
Nous laissons en italien les deux premières lignes de ce fragment
de lettre (No 748 de l'Epistolario, cité déjà par Sainte-Beuve,
T. III des Portraits Contemporains) — le reste de la lettre est en
français comme la plupart des lettres de Leopardi à M. de Sinner,
son correspondant parisien. En 1832 Leopardi avait 34 ans. — Il
mourut le 14 juin 1837. 533
��NOTES
��LES "PAYSAGES D'EAU" de CLAUDE MONET.
Digne couronnement d'une admirable carrière ! Ce n'est pas un vieillard que le peintre exalté qui cinq années durant, chaque jour et hier encore, se pencha sur l'étang fleuri de nénuphars qui est le thème de ses récentes œuvres, pour célébrer d'une passion inlassable le reflet des arbres et du ciel dans l'eau. Quelle foi ! quelle candeur ! quelle maîtrise ! Le métier compte-t-il ici ? Non plus. Nous l'avons connu là franc et brutal, là insaisissable, dans les Meules, les Falaises, les Peupliers, les Cathédrales, les Rues de Londres, pour chaque série différent, comme la solution unique du problème d'art qui se posait devant le maître à chaque effort nouveau. Ici, ce multiple métier Monet le domine, Monet le dépasse. Et tour à tour la matière de ces stupéfiants morceaux se montrera à nous, toute lisse de glacis, toute granuleuse et poreuse, toute hachée d'empâtements, et l'indication d'une fleur sur l'eau naîtra d'une touche volontaire et grasse, d'un frottis subtil, d'une éclaboussure fortuite, ou d'un nerveux paraphe curieusement expressif. Que cette suprême liberté ne soit pas virtuosité vaine, que le peintre loin d'étaler à plaisir la variété de ses moyens se les laisse imposer par son émotion toute fraîche et donne ainsi à cette émotion comme spontanément sa forme absolue et définitive, voilà bien le miracle — et Monet l'a réalisé.
Mais que vais-je parler maintenant de matière, de justesse dans les valeurs, d'atmosphère, de coloris ! ce sont là termes de peinture. Il y a plus que de la peinture ici : l'eau même, ce qui s'y reflète, et une émotion devant l'eau.
�� � 534 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Je conçois l'hostilité de certains artistes contre les œuvres de Claude Monet et j'admets qu'ils refusent de voir dans aucune d'entre elles ce qu'on nomme à l'Ecole "le tableau"... c'est moins et plus., une distinction s'impose.
Entre Monet et ses confrères les plus admirables, il n'y a pas de commune mesure. Les plus novateurs de ceux-ci, un Corot, un Degas, un Cézanne se tiennent cependant dans certaines limites de la tradition qu'ils continuent et que l'on continuera à leur suite. Monet lui, n'en a pas souci ; il ne continue rien, ni personne — sinon la révolte finale d'un Turner ! — et il ne doit pas être continué. Alors qu'un seul tableau devrait suffire à un Degas, à un Cézanne pour exprimer toute leur science et toute leur émotion, Monet a besoin d'un ensemble. Ils peignent dans l'espace, lui — si j'ose dire — dans le temps. Chacun de ses panneaux se suffisant cependant à lui-même, en suppose, en appelle d'autres, et avant et après lui. Conception exceptionnelle, que justifie la réussite. De même aussi l'abdication du dessin. Où régnent lumière et couleur, et changement de lumière, qu'y viendrait ajouter sa précise éloquence ? Du superflu. C'est volontairement que Monet y renonce. Qu'il sache dessiner, ses premiers tableaux en font foi. Il fut l'égal d'un Edouard Manet dans la construction des formes. Il ne lui faut plus désormais que le contour d'un motif, le plus simple motif possible. Et plus le motif sera simple plus Monet prétendra en extraire d'émotions.
Remarquez comme au cours de cinq années d'études au bord du même étang fleuri, le champ de sa vision, Claude Monet le restreint de façon progressive. Il peint d'abord l'étang cerné de rives, puis les rives s'écroulent, demeure leur reflet ; l'année suivante, plus rien que le reflet des arbres, puis rien que le ciel dans l'eau. Et aussi, du parterre de nénuphars ne reste à la fin qu'une fleur à peine, — De même, c'est la solidité du paysage qu'il évoque d'abord par un temps limpide et glacé, puis son embrasement, puis sa
mollesse et sa subtilité ; ainsi jusqu'à l'évanescence
Malheur à qui choisirait Monet pour son maître. Classique-
�� � notes 535
ment parlant, Monet ne peut rien enseigner — que le métier. Plus grand malheur à qui ne comprendrait pas un pareil exemple et qui tenterait l'art sans se sentir capable d'aller comme lui jusqu'au bout, " dans son sens", le sens quel qu'il soit de ses impulsions profondes ! Ayant pris conscience de sa valeur " lyrique ", Claude Monet l'aura cultivée exclusivement, au mépris des traditions et des formules. Tableau ou non : cela est beau.... Tel, toutes proportions gardées, Michel Ange à la Sixtine, Beethoven dans ses derniers quatuors. Affirmation isolée, têtue, formidable et inimitable, sans passé et sans lendemain, de la force qu'on nomme " génie ", force d'instinct, force de volonté.
H. G.
��*
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��LES HEURES CLAIRES par Emile Verhaeren.
Le dur poète a une femme, une maison et un jardin. Las des villes, des étendues, des discours et des multitudes, il vient se reposer dans le printemps ou dans l'été intérieur d'une douce vie familière. Quel étonnement fut le nôtre lorsque sa bouche rude, voici quelques années, prononça ces mots calmes et attendris :
la splendeur de notre joie Tissée en or dans l'an de soie.
Voici la maison douce et son pignon léger Et le jardin et le verger.
Voici le banc sous les pommiers D'où s'effeuille le printemps blanc Des pétales frôlants et lents.
Voici des vols de lumineux ramiers Planant ainsi que des présages Dans le ciel clair du paysage... etc.
Etonnement sans plus, d'abord. Nous eûmes l'impression de la nudité, d'une nudité gênante ; certaines gaucheries nous
�� � 53^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
choquèrent au même moment. Il faut y revenir. Aujourd'hui c'est pour nous un charme. Quelle franchise ! Quelle candeur ! Quelle absence de tous procédés littéraires ! De ce que préci- sément notre poète ne s'est jamais préparé au rôle d'intimiste et de poète personnel, son langage prend dans les plus tendres notations un accent entrecoupé et brutalement sincère, tel que nous n'avons jamais rien entendu de pareil, sauf peut-être de Verlaine, dans Sagesse ou dans Amour...
Pour nous aimer des yeux Lavons nos deux regards de ceux Que nous avons croisés far milliers dans la vie
Mauvaise et asservie
ou bien
Dis-moi, ma simple et ma tranquille amie, Dis, combien l'absence d'un jour
Attriste et attise l'amour Et le réveille en ses brûlures endormies.
D'ailleurs cette même flamme qui jaillissait des grandes épopées lyriques du poète, de ses Campagnes hallucinées, de ses Villes tentaculaires, elle couve ici et chauffe le foyer conjugal d'une ardeur vraiment magnifique :
En ces heures où nous sommes perdus
Si loin de tout ce qui n'est pas nous-mêmes
Quel sang lustral ou quel baptême
Baigne nos cœurs vers tout l'amour tendus f
Joignant les mains, sans que l'on prie Tendant les bras, sans que l'on crie Mais adorant on ne sait quoi De plus lointain et de plus pur que soi L'esprit fervent et ingénu Dites comme on se fond, comme on se vit dans l'inconnu Comme on s'abîme en la présence De ces heures de suprême existence Comme l'âme voudrait des deux
�� � notes 537
Pour y chercher de nouveaux dieux, Et l'angoissante et merveilleuse joie Et l'espérance audacieuse
D'être un jour à travers la mort même la proie De ces affres silencieuses.
��Mais je ne sais de ces litanies passionnées à la gloire d'un amour tout quotidien, si je ne préfère pas les dernières. Elles chantent, après les Heures claires, les Heures d'après-midi. C'est la même puissance de sympathie. Mais on y sent un apaisement noble et grave et on y goûte plus de maîtrise. Lisez encore :
C'était en juin dans le jardin C'était notre heure et notre jour Et nos yeux regardaient avec un tel amour
Les choses Qu'il nous semblait que doucement s'ouvraient Et nous voyaient et nous aimaient Les roses.
Lisez enfin :
Avec mon sens, avec mon cœur et mon cerveau Avec mon être entier tendu comme un flambeau
Vers ta bonté et vers ta charité Sans cesse inassouvies
Je t'aime, et te louange et je te remercie
D'être venue un jour si simplement
Par les chemins du dévouement. Prendre en tes mains bienfaisantes ma vie.
C'est une admirable oasis d'amour parmi le tumulte du monde, que ce livre dans l'œuvre d'Emile Verhaeren. Il ne s'explique pas, il se lit ou, se cite. Excusez-moi de n'avoir guère fait que citer ! Explique-t-on une belle âme ?
H. G.
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�� �
Les Nouvelles Conversations de Goethe avec Eckermann qui parurent de 1897 à 1900 dans la Revue Blanche avaient été déjà réunies en volume. À huit ans de distance, sans y changer un mot, mais avec une couverture nouvelle qui cette fois porte son nom, Léon Blum vient de les réoffrir au public.
Sans doute M. Blum peut espérer atteindre ainsi partie des nombreux lecteurs que lui avait acquis, depuis, son important traité du Mariage. Je souhaite qu’il y réussisse car voici son livre le meilleur.
Aujourd’hui, plus préoccupé du retentissement de sa pensée, Léon Blum a quelque peu perdu de cette aisance savante, dégagée, à la fois tranquille et émue, que lui enseignait et à laquelle l’obligeait Goethe. Parlant au nom de Goethe il s’astreignait.
« Je répondis à Goethe, — fait-il dire à Eckermann presque au début du livre — que je n’étais pas également frappé par tous ses arguments, et qu’il me semblait s’être décidé dans ce cas — ce qui ne lui est pas ordinaire — avec la sensibilité plutôt qu’avec la raison. » Goethe proteste ; Eckermann est allé trop loin ; mais les livres suivants de Léon Blum, éclairant mieux celui-ci, en accusent mieux la tendance. Son Goethe nous apparaît aujourd’hui, non moins intelligent, mais d’une intelligence plus inclinée. Les conclusions qu’il va tirer le préoccupent dès les prémisses et l’on sait d’avance lorsqu’il secoue l’arbre de quel côté tombera le fruit.
Rien de plus significatif que de le voir, à propos de Résurrection, louer Tolstoï précisément pour ce qui fait l’infériorité de ce livre :
« Partout ailleurs, Tolstoï donnait les résultats, mais non les détails de l’évolution des caractères. Nous n’avions pas coutume de voir ses héros s’arrêter, mesurer le chemin parcouru, revenir en arrière, s’étonner, détailler avec cette curiosité anxieuse les nuances de leurs émotions ou les mobiles de leurs actes. Ils étaient, tout simplement. L’observation même a changé de ton. NOTES 539
Elle n'est plus sereine et plane, distribuant toutes choses avec cette précision tranquille, cette puissance d'objectivité qui n'a pas d'égale. Elle est devenue narquoise, incisive, violente, je dirais presque tendancieuse et partiale.*.
...Il a choisi ses héros conformément à sa morale; il a voulu que du récit dramatique se dégageât une leçon, un enseignement. Aussi ne se contente-t-il plus de peindre; il généralise; il conclut; et finalement il requiert contre l'état présent des mœurs et contre la société qui l'exprime,"
Désormais c'est en fonction de ces conclusions que Léon Blum jugera, pensera, écrira. Et comme il reste dévoué à sa cause et chevaleresquement désintéressé, c'est en fonction de ces conclusions qu'il vivra. On peut dire de lui ce qu'il dit au sujet de la race juive tout entière, en une des plus éloquentes pages de son volume :
" Dans la mesure où je discerne la poussée collective de leur race, c'est vers la Révolution qu'elle les mène. La force critique est puissante chez eux; je prends le mot dans son acception la plus haute, c' est-a-dire le besoin de ruiner toute idée, toute forme traditionnelle, qui ne concorde pas avec les faits ou ne se justifie pas pour la raison. Et en revanche, ils sont doués d' une puissance logique extraordinaire, d'une audace incomparable pour rebâtir méthodiquement sur nouveaux frais. Au point de vue moral, j'aperçois un contraste du même genre, et dont les effets peuvent être tout aussi féconds. Je n'ai jamais rencontré de gens aussi débarrassés de notions ou de traditions religieuses...
...El, cependant, la race est profondément croyante, éminem- ment capable de foi.
— Mais que peut bien être, (demande l'interlocuteur) cette foi qui n'est pas religieuse !
— Elle est toute rationnelle, répond Goethe. Elle tient en un mot : la Justice. Le Juif a la religion de la Justice comme les Positivistes ont eu la religion du fait, ou Renan la religion de la Science."
Des plus significatives également cette phrase que cite M. Baldensperger, dans son intéressant Gœthe en France :
�� � 54-0 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
" Notre devoir actif, c'est de savoir que la vie n'est pas immo- bile et figée, quelle change, qu'elle évolue, qu'elle se perfectionne et que nous devons la rendre meilleure en nous rendant nous- mêmes meilleurs. Car nos devoirs envers nous-mêmes et envers autrui se confondent, et nous sommes responsables vis-à-vis du monde de ce que nous portons d'utile et de bon en nous" .
Singulier et dangereux mélange d'utopie et de sens pratique! Rien de plus ruineux en art que cette notion d'utilité ; insen- siblement c'est vers l'utilisation de la pensée que l'on glisse, et voici compromis le libre mouvement de l'esprit — au sens où l'entendait Renan lorsqu'il disait : " Pour pouvoir penser librement, il faut être sûr que ce que l'on écrit ne tirera pas à conséquence." Mais c'est précisément aux conséquences de ce qu'il pense que songe avant tout Léon Blum; il n'admet plus que les meilleures qualités de son esprit puissent être aussi bien les plus rares, parce qu'il sait de reste que les plus rares ne sont jamais les plus actives, ou le plus immédia- tement — et parce qu'il se veut homme d'action.
Devant ce livre d'un goût si sûr, d'un tact si délicat, d'une présentation si prudente, d'une écriture si habile, si précise et si nuancée, on se prend à douter si des qualités plus actives étaient vraiment les préférables.
A. G.
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��LE VENT ET LA POUSSIERE par Francis de Miomandra.
Ce qui caractérise avant tout le talent de M. de Miomandre, c'est l'originalité de sa fantaisie. Elle ne rappelle ni celle de Henri Heine, ni celle de Musset, dont une des oeuvres les plus fantaisistes, l'exquis Voyage où il vous plaira, est totalement ignorée. Henri Heine ou Musset plaçaient leur fantaisie dans la conception même qu'ils se faisaient de chaque chose, Miomandre ne la trouve que dans la combinaison même de ces choses. Il n'y a dans le Vent et la Poussièrc> comme dans Ecrit sur de l'eau, que des faits vrais, possibles, presque habituels, mais la juxtaposition de. ces faits est aussi
�� � NOTES 541
irréalisable que les rêveries de Wells. De là vient l'incertitude de beaucoup de critiques et de lecteurs. Puisque chaque événement est presque banal, ils se demandent pourquoi le livre leur paraît aussi fou, et ils croient à une faute de composition, alors que c'est sa vision même du monde que M. de Miomandre nous offre; c'est avec ce masque et ces parures que la réalité lui apparaît. Il a toujours vu que les incidents les plus vaudevillesques interrompent les plus sin- cères tendresses et que les gens que l'on connaît le moins détruisent notre vie sans s'en douter. Il se mêle, dans ces œuvres curieuses, l'imagination d'un auteur comique du Palais- Royal et celle des tragiques grecs ; c'est la Fatalité vue par un philosophe sceptique qui consentirait à écrire des pièces à quiproquos; la pièce est fort drôle, mais ne riez pas trop, vous retrouverez bien vite le philosophe désen- chanté et le poète qui courbe la tête sous le poids du Destin. Il y a dans le Vent et la Poussière un pantin que l'auteur affectionne et qui s'appelle Pierre Pons. Quelques critiques le lui ont reproché; ils n'ont pas voulu écouter l'amère leçon que l'écrivain leur donne. Entre Heury, Lyon- nette, Germaine et Pierre Pons, la différence est peu sen- sible; ce sont également des pantins, inconsistants, incertains, tâtonnants, tourbillonnant à tous les souffles du vent, comme des grains de poussière. Et le lecteur refuse de reconnaître que cette humanité falote, comique, incohérente, affolée est plus près de la vérité que celle de plus grands réalistes qui voient des forces et des volontés dans le spectacle de l'univers. Mais ce qui fait le charme de M. de Miomandre en dehors de sa poésie et de son observation, c'est l'esprit, un esprit français, moqueur, alerte, pétillant, qui court sous toutes les pages, pénètre toutes les paroles et empêche qu'une larme ne vienne troubler notre regard, quand cette vie absurde et logique devient tout à coup déchirante et que la poésie des adieux se mêle à celle des fanfreluches, des soupers et des méditations.
Edmond Jaloux.
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�� � 54~ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
M. ANATOLE FRANCE ET LA PENSÉE CONTEM- PORAINE par Raphaël Cor.
A la stupeur de beaucoup de monde, il a plu ces dernières années à M. Anatole France de tenir un rôle politique. Ceux qui aiment à philosopher s'expliquaient cette nouvelle attitude par la loi des compensations qui règle presque toutes les contradictions humaines et qui veut que souvent, l'esprit le plus critique secoue sa secrète paralysie et tente de se rattraper par les actes les plus arbitrairement dogmatiques, tandis qu'il arrive à des fanatiques intellectuels d'expier leur hardiesse par l'indécision pratique la plus timorée. Je ne sais s'il était plus vrai, mais il était assurément plus élégant de chercher comme le fait M. Raphaël Cor à relier de façon plus déductive l'anti- cléricalisme de M. France a sa littérature.
" Je m'essaie ici moins à retrouver un s}'stème qu'un en- semble, d'ailleurs cohérent et harmonieux de tendances. Peut- être avec tout cela n'échapperai- je pas au reproche d'avoir introduit dans la trame de cette œuvre d'artiste une logique qu'elle ne comportait pas. Il est vrai que certaines parties en échappent aux lois de la dérivation." M. Raphaël Cor montre combien fut usurpé le titre de parfait sceptique dont ennemis et admirateurs ont longtemps désigné l'auteur de la Rôtisserie. Parce qu'à l'égard du christianisme l'attitude d'Anatole France fut toujours condescendante ou agressive, ceux qui ne con- naissent d'autres valeurs morales que celles de la religion n'ont pu voir dans ces vingt volumes que manie de douter, et qu'universelle destruction. Mais "l'hostilité à l'égard d'une doctrine, lorsqu'elle est profonde, ne va pas sans un système positif " et M. Cor montre avec beaucoup d'ingéniosité ce qu'il y a de rationalisme optimiste, d'équilibre, de saine in- dulgence chez ce dilettante.
Ajoutons qu'une admiration alerte et émue n'empêche pas la constatation des limites étroites où reste enfermée cette intelligence subtile et charmante :
" Qui sait si cet esprit, si fier d'être moderne, n'appartient pas en réalité à un autre âge ? Ce qui est certain c'est qu'il a retrouvé un monde vraiment païen, radieux, paré de grâces.
�� � notes 543
légères, mais qui n'est plus le nôtre. Et sans doute ne l'a-t-il retrouvé si aisément que parce que lui-même en était. Ne vous paraît-il pas que son art essentiellement lumineux, manque un peu de pénombre ? De même sa pensée. Et toute pensée ne faisant jamais que se réfléchir elle-même, faut-il s'étonner que la sienne reste fermée aux sombres grandeurs du christianisme ou, plus généralement, à ce qu'il y a dans l'âme moderne d'indéfini, de " cimmérien " et si l'on veut, de barbare (i). Il y a là un désordre pathétique qui lui échappe, ou peut-être simplement lui déplaît et dont instinctivement il s'écarte. Mais par là même, il se reporte avec plus d'ardeur vers ce qu'il aime : beauté, raison harmonieuse, pensée pure et science, en sorte que cette réaction aboutit à lui constituer une foi, un système nouveau et rival de croyances ".
Ce volume, qui est presque un livre de début, témoigne d'un sens critique aigu, dégagé, fait de culture et surtout d'esprit de finesse et que sert une langue élégante et juste.
J. S.
��* *
��DANS LE JARDIN DE SAINTE-BEUVE, par Georges Grapfe.
J'ai longtemps habité dans la maison de Sainte-Beuve, joué dans ce petit jardin que M. Georges Grappe décrit ; j'étais enfant alors ; le buste de l'auteur des Lundis, glabre, au sourire onctueux, au front demi-couvert par une toque, qu'on voyait dans le vestibule, me semblait celui de quelque prélat. Le nom : Sainte-Beuve, gravé sous le buste, y aidait; je m'éton- nais seulement de cette désinence féminine. Maison et jardin étaient occupés alors par un professeur chez qui j'étais pen- sionnaire ; je n'y suis plus retourné depuis. Avec quelle joie j'y accompagne aujourd'hui M. Grappe ! Avec quelle émotion je reconnais le petit jardin !
L'auteur de ce livre de critique, dans une très ingénieuse
(i) M. Raphaël Cor ajoute en note : Un mot explique tout : M. France est réfractaire à la musique ; il ne la sent pas.
�� � 544 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
préface, feint que pour un instant Monsieur Sainte-Beuve ne soit pas mort. Georges Grappe qui vient lui soumettre son livre, a la chance de rencontrer chez lui M. Veyne. Sainte- Beuve cause abondamment ; trop abondamment même ; avec 20 pages de moins cette préface fantaisiste (qui en compte 1 10) serait charmante ; le début enchante ; à la fin elle lasse un peu. Goûtons cette expressive description de l'appartement ;
" Les meubles étaient de l'acajou le plus vulgaire, sans angles, presque sans saillies, tout arrondis en courbes dénuées de grâce, laids et confortables, comme il était de mode au temps du roi Louis-Philippe.
Le petit lit du maître, presque enfantin, ornait l'un des coins de la pièce : il était recouvert d'un couvre-pied d algérienne, éclatant et modeste. Sur les fauteuils en tapisserie, de petits ouvrages féminins, lourds, de grâce vieillote, aggravaient encore le je ne sais quoi de désuet qu'ils accusaient déjà. Les murs r clairs, bordés d'un filet d'or, portaient quelques épreuves de peinture romantique. Des répliques de chefs-d'œuvre anciens encombraient la cheminée. Le long de la glace, quelques daguer- réotypes déjà pâlissants, portraits d'écrivains amis ou de com- pagnons d'espérance, se trouvaient rapprochés bizarrement. Tout cela était frotté, propret, rangé avec un soin méticuleux.
Ce décor sentait tout ensemble la chambre meublée et la chambre de la vieille fille."
Goûtons aussi cette jolie réponse de Sainte-Beuve, lorsque M. Grappe lui avoue que "jamais, à son grand dommage, il n'aura l'âme d'un partisan ".
— " Je vous comprends, mon cher enfant, me répondit Sainte- Beuve, en souriant. Votre histoire m' arriva jadis à moi-même.
Vous savez combien de milieux j'ai traversés. Parce que j'étais de ceux qui voulaient libérer le vers de sa chaîne classique, on me jugeait nécessairement catholique fervent et ultra. Je fréquentai les Saint-Simoniens et l'on m'affubla d'un seul coup de toute la doctrine. Je vis à un certain moment, presque quotidiennement, ce pauvre et grand M. de Lamennais et l'on me crut, d'emblée, converti au catholicisme, cette fois encore. Plus tard, ce fut au protestantisme, parce que les nécessités de mon état m'avaient amené à Lausanne.
�� � NOTES 545
En réalité, je n'ai eu qu'une sympathie intelligente pour toutes ces doctrines. Je les ai aimées comme de belles idées. J'ai, peut- être même, eu foi quelque temps en elles, mais enfin, comme disait le vieux Latin, je suis homme, et le changement est l'essence de l'homme.
— Je suis heureux de ce que vous voulez bien me dire, mon cher maître. Mais beaucoup s'acharnent à ne pas admettre que nos opinions puissent se transformer.
— Cela, c'est une chose que vous n'empêcherez jamais, man pauvre enfant, jamais " .
L'on comprend fort bien que, durant l'espace d'une préface M. Grappe ait pu croire vivant Sainte-Beuve. Cette admirable intelligence " pour qui le goût du vrai n'était qu'une forme de curiosité " (i) et sur qui M. Maurras et M. de Gourmont écrivaient leurs meilleures études, n'a jamais travaillé plus heureusement que de nos jours à rassembler les esprits les mieux doués et les plus divers.
Des études sur Hugo, Dumas père, George Sand, Quinet, Balzac, Mérimée, et de nouveau Sainte-Beuve, forment le corps de ce volume dont la préface tient le tiers ; études sévères et d'apparence un peu bourrue, qui n'apportent sans doute pas, sur les auteurs en question, grandes clartés nou- velles, mais nous font connaître en Georges Grappe un esprit pénétrant, actif, bien lesté, et sur qui l'on va pouvoir compter.
A. G.
LOUIS LE CARDONNEL par A. de Bersaucourt.
Il faut bien prendre notre parti de ces biographies de con- temporains qu'on ne dirait soucieuses que d'arriver bonnes premières et qui sans recul, sans scrupules, également suspec- tes dans la louange et dans le blâme, sont un des plus fâcheux produits du journalisme littéraire.
Sachons gré, du moins, à M. de Bersaucourt d'avoir, d'une
(i) Cette heureuse expression de M. Faguet est citée par Georges Grappe.
�� � 54-6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Conférence consacrée à Louis Le Cardonnel, exclu du mieux qu'il a pu tout élément anecdotique. C'était assez déjà d'avoir à parler des crises de conscience, des doutes et des luttes qui conduisirent M. Le Cardonnel au noviciat, le ramenèrent pour un temps dans les cénacles littéraires et lui firent enfin pro- noncer les vœux. Dans les Poèmes parus en 1904, ces débats intérieurs s'exprimaient assez directement. M. de Bersaucourt n'y a guère ajouté, si ce n'est que la prose accuse et précise ce qu'enveloppait le voile poétique. L'humilité chrétienne ne répugne pas à publier ses joies et ses angoisses mystiques. Elle admet qu'on s'en entretienne, mais comme d'événements anonymes ou plutôt divins auxquels l'âme individuelle n'a servi que de scène. Rien ne nous permet de suspecter le renoncement de M. l'abbé Le Cardonnel et sans doute doit-il préférer que, parlant de son œuvre, on ne touche point à sa vie, même quand c'est pour le faire, comme M. de Bersau- court, avec décence, délicatesse et respect.
J. S.
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��LES REPRESENTATIONS RUSSES AU CHATELET.
Jacques- Emile Blanche exprimait, dans le Figaro, à la fin du mois de mai, son admiration pour la mise en scène et les décors des représentations russes auxquelles le Châtelet nous a conviés. Sans doute, au cours de son éloquent article, un peu moins d'étonnement se serait manifesté si M. Blanche avait eu connaissance des efforts tentés en ce sens par Reinhardt, Martersteig, Valentin, à Berlin, Cologne, Vienne, etc., et de leurs réussites parfois si heureuses. La toile de fond du Prince Igor ne lui en eût pas paru moins admirable, mais à coup sûr le décor du Pavillon d'Armide.
Notre esthétique théâtrale reste encombrée d'un tel ramas- sis de formules et se laisse gêner par de si inutiles soucis, que la moindre simplification cause au spectateur artiste et intelli- gent un soulagement appréciable. Que n'eût pu tenter Antoine, avec l'autorité et le crédit dont il jouissait, si de néfastes préoccupations de réalisme n'eussent remplacé chez lui tout
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souci d'art ! Quel chemin nous avons parcouru pour que cette mise en scène, ce décor d'un Louis XIV à peine retouché par Beardsley, nous cause, servi par la Russie, une telle surprise ! Oui, ces jets d'eau sveltes et d'un gris si délicat entre les verts acides des ifs taillés et les violets vineux du tendelet d'Armide furent d'une fraîcheur exquise; j'estime pourtant qu'un pareil spectacle était loin d'atteindre la précise beauté à laquelle il pouvait prétendre ; je ne puis comparer ce spectacle aux représentations de l'Opéra qui m'assassinent d'ennui et aux- quelles je n'assiste presque jamais ; je veux bien croire puis- que nous le dit Jacques Blanche, qu'il les laisse loin en arrière; — mais combien notre plaisir ne fut-il pas plus vif encore, plus parfait lorsque la Schola Cantorum, il y a quelques années, nous offrit dans le cadre étroit de sa cour cette Guirlande de Rameau que dansèrent si précieusement les sœurs Mante. Il est vrai que la musique de Tcherepnine, sur laquelle se danse et se mime le Pavillon d'Armide, reste d'une uniforme médio- crité. Mais quel ravissement sans mélange nous réservait le Prince Igor! Je ne sais si, depuis les chœurs du théâtre égyp- tien de l'Exposition nous avions goûté plus étrange émotion musicale ; celle du premier chœur de Borodine la rappelait et l'égalait ; un chœur que toute la désolation du désert et de la steppe habite, et, semble-t-il, devait habiter de tout temps. Enthousiasmantes encore dans le Prince Igor les danses nationales sur des airs populaires, et particulièrement le pas des archers... Mais qui dira jamais suffisamment ce que la musique russe doit à son folklore et au voisinage de “la langoureuse Asie.…” !
Nous aurions souhaité revoir dans la Pskovitaine les six sveltes gaillards qui bondissent le pas des archers ; mais le seul grand Chaliapine suffit à rassembler l'émotion d'une pièce assez médiocre. Sans doute le soutenait, l'inspirait, dans Boris Godounov, à l'égal de la partition, le pathétique poème drama- tique de Pouchkine ; la partition de la Pskovitaine reste sensi- blement moins belle, et ne laisse reconnaître que par endroits le prodigieux symphoniste d'Antar et de Schéhérazade.
A. G.
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�� � 548 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
PASTICHES GOTHIQUES.
On s'imagine trop aisément que le pastiche soit une inven- tion de notre moderne impuissance architecturale. Peut-être en effet n'en rencontrerait-on guère chez nous d'anciens exem- ples. Les frontons romains du temps de Napoléon I er ou les grotesques gothiques où se plaisait le romantisme sont repro- duits avec une trop naïve infidélité pour ne pas constituer des formes originales. Mais pour ce qui est de l'Angleterre, on trouvera de curieux documents dans l'étude que M. Joseph Aynard consacre à Oxford et Cambridge dans la série des "Villes d'art célèbres". N'est-il pas singulier qu'on ait conti- nué de construire des Collèges gothiques jusque dans le XVII e siècle, sans que la persistance d'un style suranné ait ici pour cause, comme il en est de la peinture byzantine au Mont Athos, l'ignorance de formes plus nouvelles. Ainsi les deux cours du Collège Saint John à Oxford présentent de pompeuses colonnades à l'italienne, tandis que la façade donnant sur les jardins et qui date de la même époque est une charmante construction de pur style Tudor. A la rigueur le sens de la tradition et de la continuité, si vif chez les Anglais, suffirait à rendre compte de cette anomalie, mais ne faut-il pas plutôt en chercher la raison dans un sentiment du confort, de l'intimité et de l'adaptation aux besoins ? Ne serait-il pas naturel qu'ayant inventé un style de la richesse du " perpendicular ", aussi propre à des édifices d'apparat qu'aux plus modestes manoirs de campagne, le peuple anglais y ait trouvé un cadre à sa mesure et qu'il l'ait longtemps préféré secrètement aux importations de la renaissance italienne ? Ce fait expliquerait que le gothique ait pu rester là-bas un style vivant, au point que, nous dit M. Aynard, des architectes contestèrent les comptes de construction de la chapelle de Wadham Collège, tant ils avaient de peine à admettre que ce monument, en apparence du XV e siècle, n'eût été terminé que vers 1610. Ajoutons que le " perpendicular ", avec son uniforme appareil d'arêtes parallèles, est à peu près dépourvu de fantaisie ornementale et qu'il pouvait, mieux que tout autre style, demeurer, sans trop se faner, en usage long-
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temps après la disparition de ses inventeurs. — Enfin, pour ne pas fournir d'arguments à la défense des pasticheurs con- temporains, n'oublions pas qu'il y a une nuance entre l'emploi persistant d'un style démodé ou l'usage érudit de formules hors d'usage depuis des générations.
Signalons à ceux qu'intéresse la psychologie anglaise la notice que, dans ses Silhouettes d'Outre-Manche, M. Jacques Bardoux consacre à Holman Hunt. Mieux encore que les théories de Ruskin, celles de ce vertueux fanatique qui s'avisa de peindre, révèlent de quelle gangue morale l'art anglais dut se libérer et les paradoxes d'un Wilde prennent en regard de cette outrance un rôle de contre-poids et une sorte de sage opportunité. J. S.
COMMENT ELLES PRENNENT LA CRITIQUE.
Nous empruntons aux Marges la note ci-dessous qu'y publie la jeune poétesse visée par l'article de notre collabora- teur André Ruyters, paru dans notre n" de mai sous le titre Féminisme :
" J'ai lu dans la Nouvelle Revue Française, une note dont le rédacteur me prend grossièrement à partie. Ce monsieur signe A. R., et parcourant la couverture de la revue en question, j'ai trouvé le nom d'un André Ruyters, qui doit être bien célèbre dans le Congo ou dans le Brabant, puisqu'il me reproche de ne pas être très connue. Mais serait-il lui aussi un littérateur improvisé ? Les qui, que, quels, les qui, qui, qui, les que, que, que, dont son style est farci, ne font supposer qu'il ait appris à écrire. Comme ma cuisinière quand elle veut bien parler, il tient à fourrer partout des subjonctifs " Si immodérément qu'elles en usassent, la lyre ne satisfait plus leur ambition ". Pourquoi usassent, Seigneur !
Mais s'il ne sait pas écrire, l'emberlificoté A. R. peut se flatter aussi de ne pas savoir lire : je n'ai jamais dit que le I> Mardrus fût l'auteur des poèmes qu'on trouve dans sa traduction des contes arabes, — mais exactement le contraire."
�� � 55°
��ERRATA
��Dans notre dernier numéro qu'avait mis en retard la grève des postiers, se sont glissées quelques malheureuses coquilles :
��page 431, lire M. de Bersaucourt au lieu de M. de Bersen- court.
id. lire " notre centre " au lieu de " notre contre "
page 437, lire bien que je ne visse point son visage au lieu de que je ne vis point.
page 448, lire les tristes conjonctures au lieu de conjectures
�� � TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS
LES SIX PREMIERS NUMÉROS.
��FRANÇOIS-PAUL ALIBERT
Sur la Terrasse de Lectoure
Le Berger d'Apollon (poème)
��MICHEL ARNAULD
L'Image de la Grèce
Ragotte, par Jules Renard . . . Exposition P.-A. Laurens . . . La Vie Secrète par E. Estaunié . Les Doigts de Fée par M. Boulenger L'Homme divin par E. Vernon .
��III
�(II)
�128
�(H)
�27
�(I)
�212
�(H)
�302
�(III)
�303
�(III)
�304
�(III)
�312
�(III)
��RENE BICHET
L'Attente; Fête; Histoire de l'Epi 424 (V)
PAUL CLAUDEL
Hymne du Saint Sacrement 241 (III)
JACQUES COPEAU
M. de Faramond théoricien 138 (II)
La Dette par G. Trarieux 222 (II)
Brisson contre Becque 224 (II)
Le Métier au Théâtre 319 (IV)
La Société Nouvelle 388 (IV)
Une élection Académique 394 (IV)
JEAN CROUÉ
Rivages 20 (I)
LOUIS DUMONT-WILDEN
Chardin par Edmond Pilon 458 (V)
�� � PAUL FARGUE Poèmes en Prose 487 (VI)
��HENRI GHEON
R. Boylesve et le roman d'amour . . . 307 (III)
Lettres de Jeunesse d'Eugène Fromentin . 309 (III)
A la gloire du mot " Patrie " 331 (IV)
Douze histoires et un rêve par H. G. Wells . 382 (IV)
A propos des Indépendants 389 (IV)
Le classicisme et M. Moréas 492 (VI)
Les " Paysages d'Eau " de Claude Monet 533 (VI)
Les Heures Claires par Emile Verhaeren . 535 (VI)
ANDRÉ GIDE
La Porte Etroite {i K partie) 43 (I)
Contre Mallarmé 96 (I)
La vie unanime par Jules Romains ... 98 (I)
Poèmes far un riche Amateur 10 1 (I)
La Porte Etroite (suite) 144 (II)
Rouveyre et Remy de Gourmont : Le Gynécée 209 (II)
Ecrit sur de l'Eau par F. de Miomandre . 217 (II)
Mœurs littéraires : Autour du tombeau de Catulle
Mendès 229 (III)
La Porte Etroite (fin) 265 (III)
Rayons de Miel par Francis Jammes . . 372 (IV)
Couleur du Temps par H. de Régnier . . 375 (IV)
A propos de Colette Baudoche 380 (IV)
Nationalisme et Littérature 429 (V)
Provinciales par Jean Giraudoux . . , . 463 (V)
Attitudes et Poèmes par S. Bonmariage . . 467 (V)
A u jardin de Sa 1 n te-Beuve par George Grappe 543 (VI)
Les représentations russes au Châtelet . . 546 (VI) Nouvelles Conversations de Gœthe avec Eckermann par Léon Blum.
JEAN GIRAUDOUX
A l'Amour et à l'Amitié 132 (II)
EDMOND JALOUX
Poèmes en Prose 402 (V)
Le Vent et la Poussière, par F. de Miomandre 540 VI)
FRANCIS JAMMES
Lettre à P.C., consul 483 (VI)
�� � LUCIEN JEAN L'enfant Prodigue 12 (I)
ANDRÉ LAFON Soirs 421 (V)
��EDMOND PILON Suite au récit du Chevalier des Grieux .... 336 (IV)
��JACQUES RIVIERE
Bouclier du Zodiaque, par Suarès 260 (III)
André Lhôte 393 (IV)
��ANDRE RUYTERS
Francis gammes et le sentiment de la Nature
par Edmond Pilon 98 (I)
Les Veillées du Chauffeur par T. Bernard 216 (II)
Colette Baudoche . . 256 (III)
Le reste est silence par E. Jaloux. . . . 305 (III)
Le défaut de V Armure par A. Erlande . . 380 (IV)
Le Livre de désir par Ch. Démange . . . 383 (IV)
Féminisme 395 (IV)
La Captive des Borromées 435 (V)
Nouvelles Revues 469 (V)
George Meredith 475 (VI)
La Captive des Borromées (suite et fin). . . . 504 (VI)
JEAN SCHLUMBERGER
Considérations 1 (I)
Les Pastorales par M™ Marie Dauguet . . 94 (I)
Le Poulailler par Tristan Bernard .... 105 (I)
Les Eaux-fortes de M. Brangwyn . . . 210 (II)
Pierre Hamp 214 (II)
André Lafon 218 (II)
Jean Dominique 218 (II)
Miss Isadora Duncan 220 (II)
G. Lavaud et la confidence sentimentale . 307 (III)
La Mort de Philae par P. Loti .... 310 (III) Les représentations du Schauspielhaus de
Dusseldorf 313 (III)
�� � Epigrammes Romaines 327 (IV)
Le Symbolisme et J. Ochsé 373 (IV)
Chroniquedu Cadet deCouiraspar A. Hermant 378 (IV)
Connais-toi par P. Hervieu 384 (IV)
Les réfractaires de J. Richepin 385 (IV)
Exposition Louis Sue 392 (IV)
Exposition des Cent Portraits 460 (V)
Exposition Elie Nadelmann 462 (V)
M. Anatole France et la pensée contemporaine
par Raphaël Cor 542 (VI)
Pastiches gothiques . • 548 (VI)
Louis Le Car donne! par A. de Bersaucourt . 545 (VI)
EMILE VERHAEREN
L'Exposition Georges Seurat 92 (I)
FRANCIS VIELÉ-GRIFFIN
Swinburne 300 (y)
X. Y. Z.
Aquarelles et dessins de Bonnard, Cézanne
Cross, etc 93 (I)
Le cinquième acte du Foyer 103 (I)
Expositions Bonnard, SéYuzier .... 207 (II)
L'interprétation de la Parisienne. . . . 221 (II)
Antoine contre Bouhélier 223 (II)
Expositions Clément Faller et Valtat . . 301 (III)
Le Juif Polonais 387 (IV)
La Pâque des Roses, par Touny-Lerys. . . 467 (V)
Musique italienne . . . 468 (V)
Matinées classiques 470 (V)
��Le Gérant : André Ri;yters.
��The St.Catherixe Press Ltd. (Ed. Verbeke & Co .). Eruges Belgique.
�� � SOMMAIRE du No 4.
Jacques Copeau : Le Métier au Théâtre.
JEAN SCHLUMBERGER : Epigrammes Romaines. HENRI GHÉON : A la gloire du mot " Patrie ".
EDMOND PlLON : Suite au récit du Chevalier des Grieux.
TEXTES.
NOTES :
Rayons de Miel par Francis Jammes. — Le Symbolisme et J. Ochsé.
Couleur du 'Uemps par H. de Régnier. — Chronique du Cadet de Coutras par A. Hermant. — Le défaut de l'Armure par A. Erlande. — Douze histoires et un rêve par H. G. Wells. — Le Livre de désir par Ch. Démange.
Connais-'Uoi par P. Hervieu. — Les réfractaires de J. Richepin. — Sur Bernard Shaw, etc.
La Société Nouvelle. — A propos des Indépendants. — Louis Sue. — A. Lhôte, etc.
��SOMMAIRE du No 5.
Francis Viele-Griffin : Swinbume.
EDMOND JALOUX ; Poèmes en Prose.
André Lafon : Soirs.
RENÉ BlCHET : l'Attente, Fête, Histoire de l'Epi. ANDRÉ GiDE : Nationalisme et Littérature. ANDRÉ RUYTERS : La Captive des Borromées.
TEXTES NOTES
Chardin par Edmond Pilon. — Exposition des Cent 'Portraits Expositions Luce Elie et &£adelmann
'Provinciales par Jean Giraudoux. — Jlttitudes et 'Poèmes par S. Bonmariage. --La Pâque des Roses par Touny-Leris.
Musique Italienne. — Nouvelles Revues. — Matinées classiques. — L'École du Style.
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