La Muse qui trotte/43
LE RÉVEIL
h oui, parbleu !… Bravo, bravo !… De tout mon cœur
Moi, l’homme d’aujourd’hui, j’applaudis l’art vainqueur
L’art moderne et vivant dont la France s’honore ;
L’art que nous…
Soit donc ! car, j’aime tout, je suis content de tout…
Au hasard du moment, je fais tourner mon goût
Comme une girouette à la fois sage et folle,
Sans préjugés gênants, sans parti pris d’école,
Sans morose censeur m’arrêtant d’un holà,
De Dumas à Meilhac, de Feuillet à Zola,
Me souciant fort peu, — quand on me met en joie,
Pourvu que j’y sois bien — du moyen qu’on emploie !
Oui !… l’éclectisme en tout, dans le sombre et le gai…
Mais à ce jeu parfois on se sent fatigué,
Et, le palais blasé de choses… épicées,
On rêve un doux retour aux époques passées,
À l’art naïf et pur, souvent même enfantin,
On voudrait moins que l’homme et plus que le pantin…
Lassé de la parole et de la phrase humaine,
On se berce d’un songe entraînant, qui vous mène
Dans un pays suavement délicieux
Où, pour parler d’amour, il suffit que les yeux
Brillent, et que la main, sur le cœur appuyée,
Ait un frémissement d’hirondelle effrayée ;
Un pays fait de bleu, de rose et de lilas
Où chacun va, court, vient sans être jamais las ;
Où les troubles furtifs dont une âme s’agite
Se comprennent bien mieux et s’expriment plus vite,
Par le simple, le vrai, le noble mouvement
Qui jamais ne se trompe et qui jamais ne ment,
Le Geste, le grand geste éloquent et splendide
Qui ne peut — comme plus d’un discours — être vide,
Et qui, sur l’Univers ayant droit de cité,
Est le Verbe éternel de toute humanité !
Mon cher… Genre vieillot, démodé, qui ne rime
Avec rien…
Et pour vite chasser ces regrets superflus,
Courons…
En croirai-je mes yeux ?… Statuettes en plâtre,
Sans doute, mannequins bourrés de son…
Vivant !…
Vivant aussi !… Je fais quelque rêve burlesque…
Je deviens fou…
J’ai bien lu… Je vois bien, là, là, sur mon chemin,
Tous les types connus du grand guignol humain :
Colombine, Arlequin, Pierrot, Polichinelle,
Brillants d’une jeunesse éclatante, éternelle,
Et lassés d’un trop long et trop profond sommeil,
Près de renaître à l’air, à la vie, au soleil !
Ô joyeux Arlequin, fils de Bergame en fête,
Vif, élégant, faisant scintiller la gaîté
Au moindre mouvement de ton corps pailleté…
Un entrechat !… fort bien ! — Coup de batte !… à merveille !
Un saut en l’air !… bravo !… Te voilà dégourdi,
Léger, content, brillant, pimpant, ragaillardi !
Tes yeux pleurent… ta main a frappé ta poitrine…
Tu soupires… l’amour peut-être ?…
Colombine te manque… eh bien, réveille-la !
Tu demandes comment ?… Parbleu ! par la méthode
Ordinaire, agréable et toujours à la mode…
Un baiser !… Jamais femme à ce charmant moyen
Ne résista, mon cher…
Secouant les langueurs du sommeil qui l’oppresse
Dans sa pose ingénue et fine, elle se dresse…
Elle te tend les bras, elle sourit… allons !
Tourtereaux éveillés, roucoulons, roucoulons !
Les déclarations enivrantes et folles,
Les ronds de bras savants, le geste au fin contour,
Toute la pantomime exquise de l’amour !
Non !… un autre moyen sera mieux employé…
Il a là, sous la main, un puissant allié,
L’or, l’or qui mène tout et gouverne le monde !
Il tire de sa poche une bourse fort ronde…
Il la montre… l’agite… Imprudent ! à ce bruit
Plus doux qu’un chant d’oiseau s’égrenant dans la nuit,
Le roi des malandrins, le sacripant féroce,
Polichinelle enfin, a redressé sa bosse !
Laisse ton or… l’amour n’est rien… le vin vaut mieux !…
À ton âge, crois m’en, bonhomme, c’est folie
De vouloir courtiser femme jeune et jolie !
Que peut faire un beau fruit, quand on n’a plus de dents ?
Renonce sans tarder à tes jeux imprudents
Et viens-nous-en tous deux, sous l’ombrage des treilles,
Convertir cet or triste en joyeuses bouteilles ! »
— « Eh parbleu, tu dis vrai ! » fait Cassandre gaîment.
Colombine se jette aux bras de son amant
Qui d’un geste enivré la caresse et l’enlace…
Et, le drame fini, chacun reprend sa place !
Le plus grand !… À genoux, mettez-vous à genoux
Devant lui, saluez sa gloire sans reproche…
Fils de la fantaisie et du rire moqueur,
Être à la fois très triste et très gai, dont le cœur
Vaguement amoureux des étoiles fleuries
Se perd en la douceur des longues rêveries ;
Pierrot macabre et bon, laid et beau, lent et vif,
Terriblement coquin et saintement naïf,
Type fantasque, étrange, et qui n’est autre, en somme,
Qu’un fin rayon de lune à l’apparence d’homme !
Vous le voyez : voici la troupe au grand complet,
Mesdames et messieurs ; j’ai fini mon couplet.
Et prends congé de vous en toute courtoisie…