LA MORT.

dédié à giotto.


Moissonneuse éternelle en la vallée humaine,
Qui n’as pas de repos au bout de la semaine,

Qui fauches sans relâche et ne sèmes jamais,
Où donc as-tu porté les épis que j’aimais ?
Ô géante maudite aux mamelles pendantes,
Vieille fille ennuyée aux colères ardentes,
Ange déchu, de tous le plus vengeur de Dieu,
Qui ne dis qu’un seul mot, un mot terrible : Adieu !
Sois maudite à jamais, car ton arme fatale
A coupé trop de fleurs sur ma rive natale.

Ton arme est une faulx, ton sceptre un os séché,
L’orfraie annonce seul ton passage caché ;
Quand tu ris, on entend le marteau sur la bière,
Juive errante, vivant de pleurs et de poussière.

Pourtant le cimetière est doux et verdoyant ;
Ce pommier généreux, au feuillage ondoyant,
A des fleurs en avril et des fruits en automne ;
L’oiseau vient y chanter, le soleil y rayonne.
Ici point de maisons sans fenêtre et sans seuil
Où l’on scelle les morts pour montrer son orgueil ;
Point de colonne en marbre et d’épitaphe vaine,
Mais de l’herbe bénie où fleurit la verveine.

Dieu veuille qu’on m’enterre auprès d’un mort aimé,
Non loin du frais enclos où mon cœur fut charmé.
Aux carillons joyeux, à tous les jours de fête,
Réveillé dans la tombe et soulevant la tête,
N’entendrai-je donc pas le doux cri des enfants
S’ébattant sur mes os comme de jeunes faons ?
Le bruit des encensoirs, le chant grave et rustique
S’échappant du portail de l’église gothique ?
La ronde du village et le gai violon
Appelant au plaisir tous les cœurs du vallon ?

Pour aller à l’autel le jour de l’hyménée,
La vierge passera, triste, pâle, inclinée
Sur l’herbe de ma fosse, où j’aurai le matin
Les pleurs de la rosée et les senteurs du thym.