La Monnaie et le mécanisme de l’échange/15
CHAPITRE XV
le mécanisme de l’échange
Maintenant que nous avons suffisamment discuté la question de la monnaie métallique, nous allons considérer les moyens qui se développent d’eux-mêmes et naturellement dans une nation commerçante bien organisée, pour économiser les métaux précieux ou même éviter complètement l’usage des espèces métalliques. Dès qu’un peuple a fait une expérience complète des avantages d’un bon système de monnaies, il commence à découvrir qu’il peut se dispenser de l’employer comme moyen d’échange, et revenir à une méthode de trafic singulièrement analogue au troc. C’est par le troc que l’on commence et qu’on finit ; mais la seconde forme qu’il prend est, comme nous le verrons, très différente de la première. Les ventes et les achats continuent à s’évaluer en monnaies d’or et d’argent, mais quand on a ainsi reconnu que des marchandises sont de valeur égale, on se sert des unes pour payer les autres. Si la propriété de l’or ou de l’argent intervient quelquefois dans ces transactions, c’est sous la forme de mandats (warrants) ou titres représentatifs, avec lesquels on peut se procurer de l’or, si on le désire, mais dont on fait rarement usage.
Au début, nous avons trouvé que la monnaie remplissait au moins deux, et probablement quatre fonctions distinctes (chapitre III) ; et, quand l’industrie est encore peu développée, il est bon que la même substance métallique remplisse en même temps toutes ces fonctions. Mais il ne s’ensuit pas que dans toutes les circonstances cette accumulation de fonctions soit le meilleur arrangement possible. Nous reconnaîtrons que l’or ou l’argent continuent toujours à être le commun dénominateur de la valeur, mais que ces métaux finissent par ne plus constituer souvent le médium réel de l’échange, et par ne plus passer des mains de l’acheteur dans celles du vendeur. Je montrerai plus tard (chapitre XXV) que la monnaie peut, avec grand avantage, être remplacée dans sa fonction de mesure de la valeur, et cela pour de longues périodes, par un Tableau des valeurs (Tabular Standard).
En partant de la méthode primitive de troc, on a fait des progrès continuels et successifs vers un système parfait et universel pour échanger les marchandises en se servant le moins possible des métaux précieux. Nous pouvons classer les moyens employés pour éviter l’usage de la monnaie métallique sous cinq titres différents, ainsi qu’il suit.
1o Remplacement de la monnaie à valeur métallique par la monnaie représentative.
2o Intervention des livres de crédit.
3o Système du chèque et de la compensation.
4o Usage des lettres de change sur l’étranger.
5o Système international de compensation.
La monnaie métallique, ainsi que nous l’avons vu, facilite et accélère d’une manière prodigieuse, le jeu du mécanisme de l’échange. Mais les nations qui employaient des monnaies d’or et d’argent ont, pour la plupart, découvert avec le temps que des jetons d’une faible valeur métallique, ou même des morceaux de cuir et de papier, d’une valeur purement nominale, pouvaient passer de main en main comme signes de là possession des monnaies Ce qui remplace ainsi la monnaie d’or, d’argent ou de bronze, a d’abord un caractère purement représentatif. Mais, quand une société s’est complètement familiarisée avec une circulation de ce genre, elle reconnaît souvent qu’il est possible de supprimer le métal précieux servant de base à ce système représentatif, et de maintenir cependant en circulation, comme auparavant, ces morceaux de cuir ou de papier dépourvus de valeur. Alors se produit le phénomène anormal connu sous le nom de papier-monnaie non convertible. Toutefois une telle circulation ne s’étend jamais au-delà des frontières de l’État où elle est reconnue.
Les marchands qui dirigeaient de grandes transactions internationales s’aperçurent bientôt que s’ils faisaient leur négoce à l’aide d’espèces réelles, il en résulterait une grande perte d’intérêts et même le risque de perdre le capital. C’est pourquoi ils introduisirent, il y a plusieurs siècles, les lettres de change, qui sont des signes ou des titres attestant qu’une somme est due ; elles passent de main en main à peu près comme une monnaie représentative, et permettent souvent de liquider des échanges nombreux avec un seul déplacement d’espèces.
Il y a encore un moyen plus efficace d’éviter l’usage réel d’un médium d’échange, sans éprouver aucun des inconvénients du troc. Ceux qui faisaient entre eux un commerce continuel, où ils étaient tantôt acheteurs, tantôt vendeurs, finirent par trouver qu’il était absurde de payer une somme pour ce qu’ils avaient acheté, puis de la reprendre pour ce qu’ils avaient vendu. Il suffisait d’évaluer en monnaie les articles échanges, puis de payer la différence, s’il y en avait, en numéraire réel. La pratique s’étant établie de déposer chez les orfèvres ou chez les banquiers, pour la faire garder plus sûrement, la monnaie métallique dont on n’avait pas besoin immédiatement, on reconnut successivement qu’un ordre de payer avec cette monnaie pouvait remplacer, la monnaie, et que, si deux personnes ont des relations d’affaires avec le même banquier, elles n’ont nullement besoin, dans leurs transactions, de déplacer aucune somme d’argent. Un transfert inscrit dans les livres de leur banquier commun suffira pour solder une balance de dette quelconque. Les banquiers peuvent régler de même leurs comptes mutuels, et ainsi s’est développé graduellement en Angleterre et en Amérique un vaste système, — que je propose de nommer système du chèque et de la compensation, — grâce auquel toutes les grandes transactions intérieures sont exécutées par un simple règlement de comptes.
Dans ce système Londres devient naturellement le centre monétaire du Royaume-Uni ; mais il y a en outre une tendance à faire de Londres la banque centrale du monde pour toutes les grandes transactions et les transactions internationales. On a reconnu qu’il est avantageux de déposer de l’argent à Londres ou d’y obtenir du crédit et d’avoir des billets qui soient payables sur cette place, plutôt qu’ailleurs. Par suite de cette concentration des opérations de banque, Londres tend à devenir le siège d’une chambre de compensation ou de règlement de comptes universelle. Tels sont les principaux pas qu’on a faits dans le développements du mécanisme de l’échange, et nous allons les étudier en détail.