La Martinique et l’Atlantide
LA MARTINIQUE & L’ATLANTIDE
La catastrophe de Saint-Pierre a fait craindre la destruction totale de la Martinique sous l’action combinée des flammes volcaniques et des tremblements de terre. Le fléau, non content des milliers de victimes qui avaient succombé dans ce premier acte de l’effroyable tragédie soudainement improvisée par les forces naturelles, semblait vouer l’île à une disparition totale. Au milieu des angoisses provoquées par la possibilité d’un désastre encore plus étendu et plus terrible, la science, interrogée, a tenté de rassurer les esprits pour conjurer de nouvelles paniques. Les géologues les plus en renom se sont efforcés de démontrer que, lorsque de pareils cataclysmes se produisent, leurs effets se limitent toujours à une région circonscrite, soit isocline, où l’aiguille aimantée à la même inclinaison, soit isobare, où, à un moment donné, la hauteur de la pression atmosphérique serait égale. Ces savants en ont conclu qu’il n’y avait pas à redouter l’anéantissement ou l’engloutissement complet de la perle des Antilles ; ils ont nié, avec l’assurance accoutumée de la foi professorale, l’existence d’événements antérieurs sur un point quelconque du globe pouvant contredire leur thèse. L’objection relative à ce que Platon rapporte de l’Atlantide ne les a pas arrêtés, et ils se sont bornés à ranger cette fable, comme ils l’appellent, parmi les pittoresques visions qui sont les ornements littéraires des dialogues du philosophe grec.
I
Le problème de l’Atlantide a occupé les imaginations dans l’antiquité, et aussi dans les temps modernes. La tradition n’en indique pas la primitive origine, mais celle-ci date, évidemment, de très loin, puisqu’il en était déjà parlé dans ces récits que Solon prétendait avoir entendus de la bouche des prêtres Égyptiens. L’existence de l’île mystérieuse et évanouie n’était pas mise en doute. Cependant, aucun de ceux qui y croyaient fermement ne pouvait désigner ni l’Océan ni les parages où elle émergeait jadis des flots dont elle devait devenir la proie. Suivant le législateur, qui fut le conseiller de Crésus, elle avait, dans l’Atlantique, une superficie égale à celle de l’Asie mineure et de la Lybie ; mais ni Platon dans le Critias et le Timée, ni Diodore, ni Pline, ni Arnobe, qui en font également mention, ne sont mieux renseignés que le sage de la Grèce. Une seule conviction leur est commune c’est que l’Atlantide n’était pas une invention chimérique, qu’elle avait été vue et visitée par des marins, qu’elle devait avoir une grande importance avant le déluge auquel échappa Deucalion et que, dans cette inondation générale, elle fut submergée.
Au dix-septième siècle, d’autres opinions se firent jour. Certains cosmographes, ne contestant pas la réalité de l’Atlantide, se persuadèrent qu’elle n’avait pas disparu, comme l’affirmaient les anciens, mais que les navigateurs d’alors, de même que ceux qui avaient parcouru les mers avant Christophe Colomb, s’étaient vainement appliqués à en opérer la reconnaissance. Nombreuses furent les hypothèses émises dans ce sens. Pour Rudbeck, l’île tant cherchée ne pouvait être autre que la Scandinavie ; pour Latreille, c’était la Perse ; pour d’autres, les Canaries. Une des plus curieuses parmi toutes ces suppositions est celle que développa l’Allemand Bircherod, dans son ouvrage De orbe novo non novo qu’il publia en 1685, et où il veut prouver que des navires phéniciens ou carthaginois, poussés par les vents à l’aventure, furent jetés sur la côte d’Amérique, y abordèrent et séjournèrent, puis revinrent dans leur pays, mais sans qu’aucun d’entre les marins, pût dire quel itinéraire ils avaient suivis. À cette version peut se joindre ce que nous savons aujourd’hui, grâce au remarquable travail de M. Henry Vignaud, l’érudit secrétaire de l’ambassade des États-Unis, sur les renseignements dont se servit Colomb pour tracer sa route vers le Nouveau-Monde. Oraux ou écrits, ces documents, mis à profit par l’habile Génois, établiraient que longtemps avant lui cette terre d’Outre-mer avait, même antérieurement aux Normands qui abordèrent au Groenland, été connue des Européens à qui elle devait sans doute ces organisations sociales constatées chez les naturels par les conquérants.
Il restait à déterminer comment et quand cette immigration préhistorique s’était effectuée, pourquoi les Égyptiens, les Grecs, les Romains, les Européens d’avant la fin du xve siècle n’avaient exprimé à cet égard que des conjectures, et par quels moyens il était scientifiquement permis de remettre la main sur la clef de cette énigme.
C’est la tâche qu’a entreprise un savant Américain, et l’originalité de ses données a le mérite tout particulier de n’être empruntée à personne. Dans un livre qui a fait sensation aux États-Unis et qui en est, si nous ne nous trompons, aujourd’hui, à la trentième édition, M. Ignatius Donnelly énonce les propositions suivantes :
1. — L’Atlantide a existé réellement. Elle faisait face, dans l’Océan Atlantique, à l’embouchure de la Méditerranée, et, aux âges tertiaire ou quaternaire, elle faisait partie d’un continent Atlantique, dont les bouleversements maritimes et géologiques la détachèrent.
2. — Cette Atlantide, qui est la même que celle dont parle Platon, fut le berceau des civilisations. De là partirent des navigateurs, aventuriers intrépides, qui allèrent peupler les rives du golfe du Mexique, du Mississipi, de l’Amazone, la côte du Pacifique dans l’Amérique méridionale, les lieux riverains de la Méditerranée, la côte occidentale de l’Europe et de l’Afrique, les rivages de la Baltique, de la Mer Noire et de la Caspienne.
3. — Cette même Atlantide était le centre du monde antédiluvien ; là se trouvait l’ombilic du globe, le pays où l’humanité vivait dans la paix et le bonheur, goûtant tous les fruits de cette période d’or dont l’Éden, le Jardin des Hespérides, les Champs Élyséens, les Jardins du roi des Phéniciens Alcinous, les Asgard Scandinaves, les mythes égyptiens et helléniques furent non les symboles mais les témoins. Les divinités de la Grèce, de l’Inde, du Nord étaient en réalité des rois ou des reines, des héros ou des personnages renommés de l’Atlantide et les exploits qu’on leur attribue ne sont pas plus douteux que ceux des souverains ou des guerriers de notre temps.
4. — L’Atlantide fut aussi le premier foyer de la religion et de ce culte du soleil qui, par des colons, se transporta en Égypte et au Pérou. La civilisation égyptienne n’était, dans ces conditions, qu’un écho, peut-être une copie de celle toute florissante dans l’Atlantide avant Ménès en Afrique et avant les premiers adorateurs du feu en Amérique. Et c’est aussi de l’Atlantide que les ouvriers du bronze et du fer se transportèrent dans d’autres régions où l’on connut plus tard l’usage des métaux ; de la même façon que l’alphabet de l’Atlantide, enseigné aux Phéniciens, se communiqua, en subissant des altérations successives, jusqu’aux populations de l’Amérique centrale[1] ; enfin l’Atlantide fut le siège primitif de la race originelle dont les Aryens, les Indo-Européens, les Sémites, les Touraniens ne formèrent que des branches.
5. — Cette Atlantide périt dans une des convulsions de la nature reprenant son bien et rentrant violemment en possession de ce que l’audace humaine lui avait ravi. Les éléments, terre, eau, feu, air, se liguèrent pour recouvrer leur propriété dont les Prométhée et autres téméraires s’étaient rendus maîtres, et l’Océan dévora, de concert avec les flammes souterraines, les habitants de l’Île et l’Atlantide elle-même. Quelques hommes — bien peu — purent se sauver sur des embarcations, sur des radeaux, et allèrent au loin, dans toutes les directions, raconter les détails de ce déluge dont le tableau a été décrit par les poètes de toutes les nations et demeure comme une attestation de la victoire suprême de la Mère universelle des êtres sur l’ambition de ceux qu’elle a engendrés.
II
Nous ne retenons ici du travail de reconstitution de l’Atlantide que ce qui se rapporte à la catastrophe dans laquelle cette île disparut. La solution de cette partie du problème étudié par M. Donnelly suffira pour répondre à ceux qui considèrent les phénomènes de ce genre comme impossibles en vertu des lois et des forces mêmes de la matière. S’il est prouvé que l’île, vue par ceux qu’interrogea Solon, s’est abîmée dans la mer sans que celle-ci, impitoyable dans son œuvre, en ait laissé paraître à sa surface aucun vestige, si cette destruction entière a été géologiquement vraie, si enfin les autres cataclysmes, tremblements de terre, éruptions de volcan, ne sont, comme celui qui engloutit l’Atlantide, que des modes différents de ce que l’on pourrait appeler la vengeance de la création sur la créature orgueilleuse et usurpatrice, on peut redouter, dans un avenir plus ou moins prochain, le retour de semblables désastres, et, quoi qu’on en dise, on se trouve devant l’incertitude sur l’avenir des petites Antilles et des autres groupes insulaires.
Tous les continents qui existent aujourd’hui étaient primitivement couverts par les océans, toutes les roches dont ils sont composés, en toutes les couches qui forment leurs assises, étaient, aux âges reculés, complètement sous-marines. Une partie de ces hauteurs rocheuses ne sont que des débris de continents repris par la mer après des bouleversements dus aux volcans et aux causes sismiques ou après de séculaires érosions. Ces débris, d’abord charriés par les flots, sont devenus des sédiments successivement surélevés par les dépôts nouveaux arrêtés à la même place. Il en est résulté que là où était la terre il y a eu reprise de possession par l’eau, et là où existait au début l’océan, il y a eu apparition et développement par surhaussement de la terre ou de la roche. L’archipel australien en offre l’exemple : ses différentes îles ne constituaient, à l’origine des temps, qu’un même continent s’étendant de l’Inde à l’Amérique du Sud, continent auquel les savants ont donné le nom de Lémurie et qui fut, suivant quelques géologues, le premier où prit naissance la race humaine. De même la constitution géologique des États américains de l’Atlantique où les strates de roches sédimentaires, sables, gravier et boue, représentent une épaisseur de plus de 15 000 mètres, ne peut provenir que des débris de continents préexistants sur lesquels ont agi les agents érosifs, pluie, fleuves, courants et autres, les strates plus modernes étant de moindre étendue que celles qui subirent le travail de l’Océan. En sorte que l’on peut supposer que les terrains paléontologiques occupaient une surface plus grande que l’Amérique actuelle, surtout dans sa partie attaquée à l’ouest par le Pacifique et à l’est par l’Atlantique, comme il est facile de s’en rendre compte par l’examen des formations des Apalaches qui, dans les strates de Pensylvanie et de Virginie, ont de 25 000 à 30 000 pieds d’épaisseur, tandis que dans l’Illinois et le Missouri elles ne mesurent pas plus de 3 000 à 4 000 pieds, les dépôts rocheux de texture rude prédominant à l’est, pendant qu’à l’ouest les roches présentent un grain beaucoup plus fin.
Si nous considérons le travail géologique et surtout orographique et hydrographique qui s’est produit relativement au continent européen, nous reconnaissons que ce continent paléozoïque européen dut se prolonger à travers les latitudes boréales et arctiques jusqu’à l’Amérique septentrionale.
D’autre part, les terrains diluviens des Îles Britanniques formaient une masse rocheuse, arrachée du vaste continent qui constituait une chaîne ininterrompue de montagnes comprises entre Marseille et le Cap Nord, avec une largeur moyenne de 11 à 12 lieues et une hauteur moyenne de 5 000 à 5 500 mètres.
Aux époques antédiluviennes l’Europe et l’Amérique unies par cet enchaînement de vertèbres géologiques, qui était l’épine dorsale du monde ancien primaire, ne laissaient qu’un lit étroit à l’Atlantique ou même lui opposaient une langue de terre formant barrière. L’Océan, de connivence avec le feu intérieur de la terre, détermina, à la suite d’épouvantables secousses, cette dislocation dans laquelle s’effectuèrent des changements dont l’homme ne fut peut-être pas témoin et dont il a, en tout cas, perdu tout souvenir. Ces phénomènes, qui doivent avoir été soudains, furent caractérisés en même temps par des émergements sur certains points du globe et des dépressions sur d’autres points. Les Préadamites assistèrent peut-être à ces convulsions. Alors, selon toute probabilité, la Grande Bretagne, sauf l’emplacement qu’elle occupe maintenant, fut submergée entièrement et la terre s’y trouva recouverte d’au moins 600 pieds d’eau. Alors aussi, sans doute, la Sicile, qui s’enfonçait dans l’Océan, émergea à 1 000 mètres de hauteur. Alors également, si l’on en croit certains témoignages de la flore et de la faune antédiluviennes, le Sahara, primitivement sous les flots, fut transformé en désert, les eaux, en se retirant, y ayant laissé leurs sédiments de sable.
La disparition de l’Atlantide fut, selon toute vraisemblance, — et M. Donnelly le démontre scientifiquement — contemporaine de ce grand déluge mentionné dans les monuments de tous les peuples. Ce continent s’enfonça dans l’océan et les eaux qui le recouvrirent totalement l’ensevelirent dans l’oubli.
III
Ces convulsions de la nature sont-elles possibles dans ces conditions ? Est-il théoriquement admissible que les désastres produits par ces révoltes géologiques, — nous disons révoltes autant que révolutions, — aient eu de tels résultats ? En d’autres termes, y a-t-il des preuves évidentes et répétées de faits semblables ? Les anciens, peu instruits en géologie, ne le croyaient pas. Et c’est leur ignorance qui enfanta leurs doutes. Presque tous ceux qui commentèrent Platon nient ce qu’il raconte de la catastrophe de l’Atlantide. Or, les études scientifiques actuelles démontrent que les deux derniers siècles ont vu de nombreux phénomènes analogues.
En 1783, l’Islande fut dévastée par des catastrophes géologiques plus terribles que toutes celles qu’on avait connues auparavant ; un volcan sous-marin, à dix lieues de l’île, fit éruption et projeta tant de scories que la mer en fut couverte sur une étendue de 50 lieues et que les navires mouillés dans ces parages subirent des dégâts considérables. Un mois après, une éruption volcanique eut lieu dans l’île même. On vit sortir des flots une nouvelle île qui reçut le nom de Nyœ, et dont le gouvernement danois prit officiellement possession. L’île Nyœ ne fut heureusement pas peuplée. On se défia de sa naissance si soudaine, et l’événement justifia les soupçons : un an après, elle sombra tout entière dans l’océan. Il n’en resta plus que des récifs à trente brasses de profondeur. Ce tremblement de terre et les éruptions de l’Hékla détruisirent près d’un cinquième de la population de l’Islande ; il y eut 9 000 victimes sur 50 000 habitants ; 20 villages furent engloutis et d’autres détruits par le feu. La masse de lave projetée dépassa les dimensions du Mont-Blanc.
Le 18 octobre 1822, un tremblement de terre bouleversa l’île de Java, près de la montagne de Galung-Gung. On entendit une violente explosion, le sol oscilla ; d’immenses colonnes d’eau et de boue bouillantes, mêlées de cendres et de lapilli dont plusieurs avaient la grosseur d’une noix, furent lancées en un terrible jaillissement avec une force tellement prodigieuse que beaucoup de ces matières allèrent tomber en pluie dense à 13 ou 14 lieues de là. Nyell, qui raconte l’événement, ajoute : « L’éruption dura 5 heures, sans relâche, et, les jours suivants, la pluie s’abattit à torrents ; les eaux, chargées de limon, débordèrent ; il y eut un véritable déluge dans toute la contrée. Une seconde éruption, plus effroyable encore, se produisit le mois suivant, le volcan vomit de l’eau chaude et de la boue. Il lança d’énormes blocs de basalte à deux lieues et demi d’éloignement du cratère. Un tremblement de terre accompagnait l’éruption. L’aspect de la montagne fut complètement changé ; son sommet s’effondra et l’un de ses flancs, jusqu’alors couvert d’arbres, s’ouvrit en creusant un golfe semi-circulaire ; 4 000 personnes y périrent et 114 villages furent détruits. La même année le sol du Chili fut soulevé sur une longueur de près de trente lieues.
En 1831, une commotion sous-marine fit naître dans la Méditerranée, sur la côte de Sicile, une nouvelle île que l’on appela Graham. Elle fut littéralement lancée en l’air, disent les témoins, comme en un jet d’eau à 60 pieds de haut, embrassant un circuit d’environ 800 mètres. Un mois après, on put constater qu’elle avait 200 pieds d’altitude et une lieue de circonférence ; puis elle disparut sous les eaux. En 1842, une convulsion volcanique qui dura trois mois couvrit une immense superficie de l’île de Théra. Presque toutes les habitations furent détruites et les émanations de soufre et d’hydrogène asphyxièrent les hommes et les animaux. L’île s’enfonça de plus de 1 200 pieds.
C’est sur la côte européenne, à proximité de l’ancienne Atlantide, que se manifestèrent, à toutes les époques, les plus grands cataclysmes géologiques. Celui du 1er novembre 1775, qui fut signalé par le désastre de Lisbonne, est l’un des plus mémorables. Un affreux coup de tonnerre précéda la secousse qui, immédiatement après, renversa la plus grande partie des constructions de la ville. En 6 minutes il y eut 60 000 victimes. Aux premiers symptômes la population s’était réfugiée sur un nouveau quai que l’on venait d’achever. Ce quai s’écroula sous le choc géologique et aucun de ceux qui y avaient cherché un abri ne put se sauver. Les eaux engloutirent dans un tourbillon les vaisseaux ancrés dans le port. Tous ceux qui se trouvaient à bord périrent. Là, où était situé le quai, il y a aujourd’hui 600 pieds d’eau. Humboldt affirme que dans cette convulsion de la nature une surface du globe équivalente à quatre fois celle de l’Europe fut simultanément ébranlée. Les phénomènes sismiques s’étendirent de la Baltique aux Indes occidentales et du Canada à Alger. À huit lieues de la côte du Maroc, à l’intérieur des terres, le sol s’ouvrit et dévora 10 000 habitants en se refermant aussitôt sur eux.
L’Irlande, qui se trouve dans l’axe de cette aire volcanique, allant des Canaries à l’Islande, eut beaucoup à en souffrir. Ses plus anciennes annales font mention de cataclysmes précédés d’éruptions. En 1490, à Sligo, il y eut des centaines de victimes, — presque toute la population, — et en 1788 une pluie de lave tombant à Antrim durant trente-six heures détruisit le village de Ballyowen. Tous les habitants succombèrent sauf une seule famille, composée du mari, de la femme et de deux jeunes enfants.
Les îles des Indes occidentales qui se trouvent à l’ouest de l’ancienne terre dont parle Platon n’ont pas été plus épargnées. La Jamaïque fut en partie détruite par un tremblement de terre en 1692. Beaucoup d’habitants y périrent, une étendue considérable de terrain s’abîma dans l’Océan en moins d’une minute. Les Açores sont très probablement les pics de l’Atlantide. Elles constituent un centre d’activité volcanique. Les éruptions et les tremblements de terre s’y sont succédés. En 1808 un volcan surgit tout à coup de San Jorge à 3 500 pieds et brûla pendant six jours, ravageant toute l’Île. En 1811, un autre volcan émergea soudainement de la mer, près de San Miguel, formant une île de 100 mètres d’altitude qui reçut le nom de Sambrona. Elle disparut bientôt après.
Aux Antilles, et principalement à la Martinique, les tremblements de terre et les éruptions volcaniques furent surtout fréquents. Le premier souvenir qu’on en ait date de 1727, mais il est bon de savoir que, bien auparavant, il y eut là des manifestations sismiques et des désastres. 1771 et 1788 sont des dates terribles sous ce rapport. Au XIXe siècle, de 1817 à 1823, les Martiniquais connurent une vingtaine de ces désastres plus ou moins étendus. 1830, 1834, 1839 (destruction de Fort de France), 1841, 1843 (destruction de la Pointe à Pitre), 1851, furent aussi des années néfastes. Et chacune de ces catastrophes fut accompagnée de bouleversements géologiques plus ou moins marquants. On sait comment le xxe siècle les a inaugurés par la disparition de Saint-Pierre.
Si l’on trace une ligne du Nord au Sud à travers l’Atlantique, elle jalonnera les volcans, éteints ou encore en activité. Tels sont en Islande l’Œrafa, l’Hékla, le Rauda-Kamba ; aux Açores le Pico ; dans les Canaries le pic de Ténériffe ; Fogo dans les îles du Cap Vert. Ajoutons, que Fernando de Noranha, l’Ascension, Sainte-Hélène, Tristan d’Acunha sont d’origine volcanique.
Darwin émettait, il y a près de 70 ans, l’opinion qu’il se forme au milieu de l’Atlantique une île ou un archipel dont il annonçait l’apparition à des dates plus ou moins éloignées. Et il ajoutait que ce ne serait pas la première fois qu’un foyer d’action volcanique aurait donné naissance à de semblables improvisations géologiques. On en a la preuve par les dépôts de coquillages de certaines îles, par les strates calcaires étudiées à San Iago, une des Açores. Et le même savant complétait son pronostic par cette pensée économique : « Ces îles nouvelles pourraient, aux siècles futurs, avoir une importance considérable si elles émergent entre Sainte-Hélène et l’Ascension ».
IV
Tout conduit donc à démontrer qu’en dépit des immunités isoclines ou isobares les disparitions soudaines des archipels et des îles sont des phénomènes naturels qui ont eu lieu dans le passé et qui peuvent se représenter à des dates plus ou moins proches. D’autre part tout tend à établir que ce que l’on appelle la vision de Platon est une réalité. On peut prévoir le moment où ce problème recevra définitivement une solution affirmative aussi complète que celle de tant d’autres questions controversées pendant des siècles d’insuffisance scientifique. Les fouilles faites à Troie par Schliemann et d’autres découvertes archéologiques, telle que celle toute récente du palais de Minos, prouvent aujourd’hui qu’il y a un grand fond de vérité dans les poèmes homériques. Les localités célébrées par l’Iliade et l’Odyssée existent réellement.
De même que les héros chantés par le grand rapsode grec vécurent vraiment, on peut dire que c’est la réalité qui inspira les deux maîtres modernes à qui l’on doit les grandes épopées de l’Atlantide : Népomucène Lemercier, notre Apollonius de Rhodes français, trop peu étudié et Verdaguer, dont la Catalogne pleure la perte irréparable.
- ↑ Cette théorie concorde avec celle qui fut partiellement prouvée par un orientaliste français, Terrien de la Couperie, enlevé prématurément à la science philologique. Dans ses Babylonians Records il a essayé de démontrer que le Chinois et l’Assyrien cunéiforme n’étaient qu’une même écriture. Il a établi en outre que les Chinois n’étaient pas, comme on l’avait cru pendant des siècles, des peuples autochtones, qu’il y a eu des Chinois avant la Chine, et que les origines de celle-ci se trouvaient dans une civilisation antérieure à toutes celles dont parle l’histoire.