La Littérature historique et la question d’Orient

LA
LITTÉRATURE HISTORIQUE
ET
LA QUESTION D’ORIENT

I. Histoire d’Attila et de ses Successeurs jusqu’à l’établissement des Hongrois en Europe, par M. Amédée Thierry; 2 vol., Paris 1856.
II. Geschichte des Osmanichen Reichs in Europa, de J. W. Zinkeisen; Gotha 1853, etc.



Depuis les premiers jours de la guerre de Crimée, il y a eu toute une littérature spéciale sur la question d’Orient. Les trois pays qui représentent en première ligne le travail intellectuel du monde, la France, l’Allemagne et l’Angleterre, ont ouvert une enquête, au nom de la politique et de l’histoire, sur ce conflit où l’Europe et l’Asie sont en cause. C’est une conséquence inévitable de la vivacité d’impressions qui caractérise notre époque. Cette ardeur est un symptôme heureux : elle atteste un besoin de publicité qui doit nous consoler de plusieurs symptômes contraires. Il y a des siècles que la question d’Orient est posée, jamais elle n’avait si vivement ému l’opinion. Elle était autrefois le souci des gouvernans, la préoccupation secrète des hommes d’état; aujourd’hui c’est devant l’Europe entière que ces problèmes sont débattus. Or, dans la foule de livres consacrés à ce sujet, s’il y en a certainement de très médiocres, il en est aussi qui ne doivent pas un intérêt éphémère aux circonstances du moment. Ici, ce sont des travaux savans, des recherches d’érudition sur les rapports des peuples orientaux avec la civilisation européenne; là ce sont des enquêtes sympathiques et précises sur la situation des pays les plus intéressés au débat, je veux dire les contrées du Danube et les provinces chrétiennes de La Turquie. Quelques-uns de ces écrits sont un peu antérieurs à la guerre de Crimée, mais le succès qu’ils ont obtenu date surtout de cette époque. Il est donc bien certain que l’attention publique est éveillée et ne s’endormira plus. On oublie un article de journal, on n’oubliera pas un mouvement littéraire qui a éclairé à la fois le présent et le passé de l’Europe orientale.

Il faut placer au premier rang la curieuse publication de M. Charrière, les Négociations de la France dans le Levant. Cet ensemble si riche de documens neufs et décisifs semble avoir excité l’émulation de l’Allemagne. MM. Tafel et Thomas, membres de l’académie des sciences de Munich, publient en ce moment des recherches du même genre sur l’histoire commerciale de la république de Venise et ses relations avec l’Orient[1]. On ne peut pas dire que l’ouvrage de M. Charrière ait passé inaperçu, puisqu’il a été couronné par notre Académie des Inscriptions; il est certain pourtant qu’un tel recueil méritait d’occuper plus vivement l’attention du public lettré. M. Michelet, qui y a puisé des renseignemens du plus grand prix dans son Histoire de France au seizième siècle, exprime ce regret, auquel on ne peut que s’associer. L’Allemagne a mieux accueilli le travail de MM. Tafel et Thomas, bien qu’encore inachevé. Il y a un public au-delà du Rhin pour toutes les œuvres sérieuses. A ceux qui ont apprécié parmi nous les recherches de M. Charrière je recommande le recueil de MM. Tafel et Thomas. C’est surtout à propos du XVIe siècle que la publication de notre compatriote offre l’intérêt le plus vif; les deux érudits allemands n’ont pas encore dépassé le XIIIe siècle, et déjà ils ont rassemblé des documens d’une valeur inestimable. Les deux ouvrages se complètent l’un l’autre. Parmi les pièces que publient MM. Tafel et Thomas, j’ai remarqué le rapport du Vénitien Bailo Marsilius sur la Syrie au XIIIe siècle, des indications précises sur les établissemens de Venise à Tyr, un tableau très curieux de l’île de Candie, des lettres diplomatiques des papes, plusieurs traités avec les sultans de la Palestine et du Caire, enfin tout ce qui concerne la croisade vénitienne de 1204 et l’établissement de l’empire latin en Morée. Presque toute la question d’Orient au XIIIe siècle est dans les archives de la république de Saint-Marc.

Nous sommes trop portés à croire que cette question date seulement d’un demi-siècle; il y a plus de mille ans qu’elle est posée. Quant aux problèmes particuliers qu’elle renferme, on est tout surpris de rencontrer des époques où la situation est exactement la même qu’aujourd’hui. Depuis la chute de l’empire grec, combien de périodes où les Ottomans, affaiblis par la paix, ruinés par l’oisiveté, incapables de posséder ce sol qu’ils ont conquis, semblent sur le point d’être expulsés de l’Europe! M. Abeken, dans un livre intitulé l’Entrée de la Turquie dans la politique européenne, M. Zinkeisen surtout dans son Histoire de l’Empire ottoman en Europe[2], ont donné à cet égard des détails pleins d’intérêt, puisés à des sources nouvelles. — Que sont les Turcs, disait Montesquieu, sinon les hommes les plus propres à posséder inutilement un grand empire? — Tel est, selon la spirituelle remarque de Montesquieu, le rôle providentiel des Ottomans; ils possèdent inutilement, c’est-à-dire sans profit pour eux comme sans danger pour l’équilibre des états européens, les contrées qui dans des mains plus fortes seraient la clé de l’Europe et de l’Asie. M. Léopold Ranke, dans sa vive et rapide esquisse des Ottomans, a développé cette pensée de Montesquieu; M. Zinkeisen achève aujourd’hui le tableau de M. Ranke. Quand il raconte l’état intérieur de la Turquie au XVIe siècle d’après les relations des ambassadeurs vénitiens à Constantinople et les lettres du Flamand Busbecq, il ne peut guère renouveler son sujet. M. Ranke avait déjà dit tout ce qu’il y avait d’essentiel à dire. Il lui était aussi fort difficile d’être bien neuf en exposant la politique de François Ier en Orient. Ce tableau est complet chez l’éditeur des Négociations de la France dans le Levant. La partie la plus importante de l’ouvrage de M. Zinkeisen est celle qu’il consacre aux rapports de la Turquie avec les puissances occidentales, à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe. Rien de plus curieux que les négociations de cette période; c’est le moment précis où s’évanouit le prestige des Ottomans. La veille encore on les craignait, ou du moins on réclamait leur appui; désormais on ne voit plus en eux que des eunuques : ils gardent l’Orient, ils occupent inutilement Byzance, voilà le seul service qu’on attend d’eux. Parmi les documens qu’a si bien rassemblés M. Zinkeisen, l’un des plus curieux est la collection des lettres de sir Thomas Roe, ambassadeur du premier des Stuarts auprès du sultan Moustapha Ier. Cet Anglais du XVIIe siècle a apprécié la Turquie avec autant de finesse et de sagacité qu’un Anglais du XIXe . Sir Hamilton Seymour n’aurait pas un jugement plus sûr, un esprit plus délié. Sir Thomas Roe est peut-être le premier diplomate qui ait donné une consultation sur le malade, comme disait le tsar Nicolas. Frappé de l’épuisement des Turcs, il ne craint pas de dire dès 1623 que le moment serait venu de dissoudre et de partager l’empire ottoman ; « mais cette occasion si favorable, ajoute-t-il avec tristesse, les princes chrétiens, divisés par de misérables intérêts, la laisseront échapper. » Ces détails deviennent encore plus significatifs, lorsqu’on sait que trente-cinq ans auparavant la reine d’Angleterre Élisabeth invoquait humblement le secours de la Turquie contre l’armada de Philippe II. M. Zinkeisen a mis tous ces faits en lumière à l’aide des relations des diplomates, et il a tracé un tableau qu’il est impossible d’étudier sans faire maints rapprochemens avec l’histoire de nos jours.

Pendant que l’Europe prenait ainsi son parti de la présence des Turcs et se félicitait même des services rendus par eux à l’équilibre des états, que devenaient les populations chrétiennes de la Turquie ? C’est là le sujet des études de M. Neigebaur et de M. Siegfried Kapper. M. Neigebaur est un diplomate, un ancien consul de Prusse en Valachie, qui a interrogé les contrées du Bas-Danube, contrées slaves et contrées roumaines, avec une sympathique impartialité[3]. M. Siegfried Kapper a étudié en historien et en artiste les populations gréco-slaves, et surtout les rapports des chrétiens avec les Turcs sur les frontières de l’empire ottoman[4]. M. Neigebaur donne sur les Moldo-Valaques, sur les Serbes, les Bosniens, les Monténégrins, des détails statistiques pleins d’intérêt, et on voit, en le lisant, quelles ressources ces peuples pourraient fournir encore sous une direction intelligente et résolue. Que leur manque-t-il aujourd’hui ? Un homme, un chef, un Étienne le Fort ou un Michel le Brave. M. Siegfried Kapper n’est pas moins intéressant que M. Neigebaur ; il raconte ce qu’il a vu et entendu. Aux bords du Danube et de la Save, en Bosnie, en Bulgarie, il s’est entretenu avec les ratas, il a compris leur misère et recueilli leurs plaintes ; son livre est une enquête fort instructive. Un des passages qui m’ont le plus frappé dans ses récits, c’est une conversation de l’auteur avec un chrétien de Bosnie au moment où l’Angleterre et la France se préparaient à combattre la Russie en Crimée. Le compagnon de voyage de M. Kapper ne comprend rien à une telle expédition. L’écrivain allemand a beau lui expliquer que ni la France ni l’Angleterre ne défendent la cause de l’islamisme : le Bosnien s’obstine à voir une trahison odieuse dans l’alliance des puissances occidentales et de la Turquie. Les plus habiles diplomates de l’Europe essaieraient vainement de le convaincre. « Il m’écouta, dit M. Kapper, avec une scrupuleuse attention; quand j’eus fini de parler, il me prit la main, la serra affectueusement, et me dit ces seuls mots en hochant la tête : « Il est possible que vous ayez raison, mais vous n’êtes pas un raia. » Ce n’est pas là un fait isolé. M. Kapper a recueilli les mêmes sentimens chez tous les chrétiens de l’empire turc. Aux yeux des raias, toute tentative d’union entre les chrétiens et les musulmans est une chimère; ils sont persuadés que les musulmans n’admettront jamais les chrétiens à partager leurs droits dans l’état, que les lois les plus formelles à cet égard seront impuissantes à transformer les mœurs, à vaincre les préjugés de religion et de race. L’événement donnera-t-il un démenti à ces appréhensions? Je ne sais; mais quand on lit les curieux renseignemens fournis par M. Siegfried Kapper, on comprend que, malgré nos victoires en Crimée, l’ambition moscovite conserve en Orient des armes bien puissantes. La Russie apparaît aux chrétiens de la Turquie comme une libératrice; c’est à nous de prendre sa place. Ce qu’elle fait par esprit de convoitise, nous le ferons avec désintéressement, et les populations du Danube ne tourneront plus leurs yeux du côté de Saint-Pétersbourg. Telle est la conclusion qui se dégage naturellement des récits de M. Kapper, et cette conclusion est d’autant plus remarquable que l’écrivain est libre de préjugés : il a étudié les provinces chrétiennes de l’empire ottoman sans parti pris contre les Turcs, il est sympathique à la cause des puissances occidentales, il désire le succès de cette cause, et il raconte simplement les faits dont il a été témoin. On voit quelle inspiration sérieuse tous ces écrits ont empruntée aux événemens de ces dernières années. Études sur la situation actuelle, recherches sur l’histoire des négociations et des luttes provoquées par ces problèmes séculaires, telles sont les deux classes d’ouvrages qu’il est permis de rapporter à cette préoccupation de la pensée publique. Il y en a une troisième, et les ouvrages qui la composent méritent une place à part : ce sont ceux qui, n’ayant pas été écrits en vue des questions du moment, empruntent pourtant à ces questions un intérêt plus vif et des lumières nouvelles. Occupé à fouiller le sol de la vieille Gaule, un historien rencontre sur sa route une grande figure qui appartient aux contrées du Danube; il interroge sa vie, son œuvre, ses héritiers, et les problèmes de nos jours éclairant tout à coup les ténèbres du passé, il aperçoit entre ce personnage et nos affaires présentes des relations qu’on ne soupçonnait pas. Je parle de M. Amédée Thierry, l’historien des Gaulois, et de cette étude si complète, si précise, sur toutes les hordes hunniques, depuis le jour où Balamir et Roua, entraînant avec eux toutes les nations nomades de l’Asie et du Nord, commencent le grand cataclysme, jusqu’à l’heure où les Magyars, derniers fils d’Attila, s’établissent définitivement en Europe.

On connaît les travaux de M. Amédée Thierry : il a raconté avec une science très sûre l’histoire primitive de nos pères, il a peint la Gaule celtique, son génie, ses vicissitudes, son initiation à la culture romaine; puis, arrivé à la fin du IVe siècle, il a vu apparaître tout à coup Attila et ses Huns. Faut-il exposer simplement les rapports d’Attila avec la Gaule? Est-ce assez de mettre en face l’un de l’autre le roi barbare et le général romain, le fils de Mound-Zoukh et le patrice Aétius? La bataille de Châlons est une des grandes journées de l’histoire : pour en apprécier l’importance, il est indispensable de connaître Attila tout entier. M. Thierry s’est donc proposé d’écrire l’histoire d’Attila; or le sujet est immense pour qui sait en embrasser l’étendue. Il touche à la fois au IVe siècle et au XIXe. Le roi des Huns n’a pas seulement passé comme un torrent en furie, il a eu des successeurs qui ont relevé son empire, et certaines traditions qui remontent à son époque se sont perpétuées jusqu’à nous. La politique des empereurs en face des héritiers des Huns, les transformations de ces peuples que le roi sauvage et les kha-kans ont introduits si violemment sur la scène du monde et qui y remplissent sous nos yeux un rôle si différent, toutes ces choses qui datent de mille ans et plus, ce sont les questions d’hier et d’aujourd’hui. Que de problèmes pour un esprit pénétrant! Bien que le récit de M. Thierry conserve toujours la gravité de l’histoire, il est impossible d’y méconnaître la trace des émotions patriotiques provoquées par la guerre de Crimée : c’est là l’intérêt et la beauté de ce livre.

Je ne viens pas analyser l’ouvrage de M. Amédée Thierry: les tableaux de l’Histoire d’Attila sont encore présens à l’esprit de nos lecteurs[5]. On a lu ces pages avec l’intérêt qui s’attache à toute œuvre historique fortement conçue et présentée avec art; on les a lues aussi avec la curiosité bien naturelle qu’éveillait ce rapprochement des guerres du moyen âge et des préoccupations de nos jours. Il y a de savantes histoires qu’on prendrait pour des œuvres sans date, tant l’auteur s’est détaché de tous les intérêts de son temps. Il en est d’autres qui, malgré des recherches très sérieuses, ressemblent à des pamphlets ou à des manifestes. C’est là le double écueil qui rend si périlleux le grand art des Thucydide et des Salluste. L’exactitude sans émotion et sans vie, l’émotion trop ardente qui altère les nuances du tableau, offensent également la vérité. N’oublions pas l’étymologie du mot et tous les préceptes qu’elle renferme : l’historien est un témoin (ἴστωρ), il est le témoin des âges qu’il raconte, et aussi le témoin de son temps. Sa mission est de faire revivre le passé : quelle vie pourra-t-il communiquer à son tableau, si l’homme n’intervient pas dans l’œuvre du savant? L’écrivain qui veut retracer à nos yeux les plus lointaines périodes de l’humanité ne doit donc pas cesser d’appartenir à son époque; contemporain des siècles évanouis, il est toujours et avant tout le contemporain des hommes à qui il parle. Dans quelle mesure doit avoir lieu cette alliance? C’est là le secret du talent.

L’Histoire d’Attila me semble une preuve brillante des principes que je viens d’énoncer. L’auteur a reproduit avec fidélité, avec souplesse, les tableaux éclatans ou sombres que lui fournissaient ses documens, et pourtant la pensée de son temps ne le quitte pas. Le camp d’Attila, la cour de Théodose, l’ambassade de Maximin, les terribles négociations du roi des Huns, les contrastes de la civilisation et de la barbarie, plus tard les fils et les successeurs d’Attila, le deuxième empire hunnique, la grande et chevaleresque figure d’Héraclius, les origines des Slaves, des Valaques, des Roumains, l’établissement de la Bosnie et de la Servie, maints épisodes effrayans ou gracieux, maints traits de mœurs retrouvés dans une phrase, dans un mot d’un chroniqueur inconnu, d’un versificateur obscur, et enchâssés dans le récit avec un art qui rappelle l’historien de la conquête d’Angleterre par les Normands, — tout cela compose un tableau d’une vérité dramatique. Nous sommes bien au milieu de cet immense bouleversement dont le fils de Mound-Zoukh a donné le signal, et qui ne se terminera que sous la main de Charlemagne; nous vivons du Ve siècle au IXe avec des Romains, des Grecs, des Huns, des Goths, des Slaves, des Avars, des Francs, dans le plus étrange et le plus formidable tourbillon de peuples, comme dit Jornandès, — et toutefois, sans parler de l’inspiration générale du récit, telle scène, tel détail particulièrement mis en relief nous ramène sans cesse à notre XIXe siècle. C’est ce côté-là qui m’attire. Je me garderai bien de refaire les tableaux de l’historien; je veux développer seulement, d’après ses indications, certains faits qui se rattachent à des questions encore pendantes. La France a manifesté le désir de fortifier, en les réunissant, les deux principautés roumaines du Danube : n’est-il pas intéressant de montrer que c’est là en somme la vraie politique indiquée par l’histoire, celle que suivirent les deux plus grands représentans de la civilisation en face des fils d’Attila, un empereur romain et un empereur franc, Héraclius et Charlemagne? Il n’y a pas dans l’histoire du moyen âge une plus grande, une plus tragique figure que celle d’Héraclius. La première partie de sa vie ressemble à un poème héroïque, la dernière est une série d’humiliations et de catastrophes. Voyez-le monter sur le trône : Héraclius est un général romain qui commande en Afrique; il est brave, pieux, aimé de tous, et tandis que le tyran Phocas, assassin de l’empereur Maurice, opprime les peuples et avilit le nom romain, on s’accoutume, d’un bout de l’empire à l’autre, à considérer le jeune commandant de l’Egypte comme un libérateur. Un jour arrive enfin où la conscience publique le charge de sa vengeance. Jamais l’histoire n’a vu pareil spectacle. Ce n’est pas un conspirateur qui se cache, le monde conspire avec Héraclius et lui donne mission d’immoler le tyran. Il part des côtes d’Afrique avec quelques vaisseaux et marche sur Constantinople. Les images de la Vierge, clouées au haut des mâts, protègent l’expédition du justicier. Partout, dans les ports, sur les rivages, des acclamations retentissent quand on voit apparaître sa flotte; les peuples le saluent, les prêtres le bénissent; un évêque détache des autels un diadème de la mère du Christ et va l’en couronner sur son navire. Il arrive, il entre à Constantinople; Phocas expie ses forfaits, et le sacrificateur, sa mission accomplie, monte sur le trône de Constantin. Ce n’était rien cependant que d’immoler Phocas, il fallait relever l’empire. Le trésor était vide, l’armée n’existait plus, les Perses ravageaient les villes romaines d’Asie-Mineure, et les Juifs, exaspérés par les persécutions, livraient la Palestine au roi de Perse Chosroès. En présence de tant de périls, les provinces européennes s’endormaient dans un lâche égoïsme, quand une catastrophe terrible vint réveiller Constantinople et permettre à Héraclius d’accomplir ses desseins. Un allié de Chosroès, celui que les Perses appelaient Schaharbarz ou le sanglier royal, se jette sur la Palestine avec une armée formidable; il met tout à feu et à sang, il pille, il brûle les cités et emmène des milliers de captifs qui vont dédéfricher, sous le fouet des Persans, les marais de l’Euphrate et du Tigre. On se croirait revenu aux plus terribles époques de l’histoire racontée par la Bible, aux invasions de Sennachérib et de Nabuchodonosor; seulement ce ne sont plus les Juifs, ce sont des chrétiens que frappe ce Sennachérib. Les Juifs marchent derrière l’armée persane, achetant à prix d’or les captifs, surtout les patriciens, les magistrats, les prêtres, les religieuses, pour les sacrifier à Jéhovah. Quatre-vingt-dix mille chrétiens périrent sous leurs couteaux. Ce n’est pas tout : Jérusalem est prise, les reliques de la passion du Christ sont dispersées, le saint-sépulcre est la proie des flammes. L’église de la Résurrection, bâtie par Constantin sur le Calvaire, conservait précieusement la croix de bois qui a sauvé le monde; l’église est profanée, et la croix emportée dans le fond de la Perse. A la nouvelle de ces désastres, un cri d’horreur retentit dans l’Europe orientale. L’indignation est au comble; le sentiment de la fierté romaine, uni à l’exaltation religieuse, se ranime avec une subite énergie, et l’empereur Héraclius, s’empressant de mettre à profit ce réveil de ses peuples, annonce une expédition contre la Perse. Il s’agit de reconquérir le tombeau du Christ et d’arracher la croix aux infidèles; c’est la première croisade. Héraclius en est tout ensemble le Pierre l’Hermite et le Godefroy de Bouillon. A sa voix, des milliers de soldats accourent. Préparé à la guerre sainte par de pieuses retraites et par une communion solennelle, il s’embarque avec ses compagnons, avec ses frères, et au moment où sa flotte quitte le port, une immense acclamation s’élève sur les rives du Bosphore.

Ce glorieux souvenir, cher à l’église d’Orient, mais effacé de la tradition latine, M. Thierry le remet en lumière avec un rare bonheur. Pour retrouver tant de précieux détails enfouis dans le chaos des chroniques byzantines, l’érudition ne suffisait pas, il fallait une âme sympathique aux grandes choses. Le tableau de l’expédition d’Héraclius est un des meilleurs chapitres du livre de M. Thierry. Ce fut une croisade, je le répète, et une croisade merveilleuse. Chosroès et le sanglier royal avaient échelonné leurs armées le long des côtes de l’Asie-Mineure; Héraclius, avec l’audace qui donne tant d’originalité à sa pieuse et chevaleresque figure, dirige sa flotte vers la Mer-Noire; il va aborder aux rivages qu’habitent aujourd’hui les Tcherkesses. De l’Anatolie jusqu’à la Mer-Caspienne, il s’appuiera sur la ligne du Caucase, soulevant ces fières tribus, qui combattaient alors la Perse comme elles combattent aujourd’hui la Russie, attaquant le royaume de Chosroès par les frontières septentrionales, et obligeant ainsi ses ennemis à dégager les provinces romaines. Dans les longues guerres des Romains contre les Parthes et les Perses, M. Thierry le remarque avec raison, jamais plan si audacieux n’avait été conçu. Audace de pensée, vigueur d’exécution, voilà les qualités dominantes d’Héraclius; ajoutez-y cette confiance que donne l’enthousiasme religieux. Il était toujours le premier dans la bataille. Pendant la mêlée, dit un chroniqueur, on le reconnaissait à ses bottines de pourpre. Que de marches, que de combats, que de hardis coups de main, pour ne pas se laisser enfermer dans les défilés du Caucase! Quelle fertilité de ressources à travers les incidens d’une telle guerre! Un jour, menacé par trois armées qui se resserrent autour de lui, il apprend qu’une tribu de Huns nomades, les Khazars, saccagent une des provinces du nord de la Perse; il court à leur rencontre et les enrôle dans son armée. L’entrevue d’Héraclius et du chef des Khazars sous les murs de Tiflis est une scène romanesque et poétique dont l’historien a tiré le meilleur parti. Héraclius savait parler aux Orientaux, il savait flatter chez eux ce goût des aventures qui le possédait lui-même. Rien de plus curieux que de voir en présence le chef de la civilisation et le sauvage enfant de la steppe; on dirait par instans une sorte de chevalerie barbare. L’empereur portait sur lui le portrait de sa fille Eudoxie; le chef des Khazars voit le gracieux visage de la princesse, et subitement il en devient amoureux. « Donne-moi ton armée, lui dit Héraclius, tu épouseras ma fille. » Le traité est conclu, la princesse Eudoxie part de Constantinople pour venir trouver son époux, et quarante mille Khazars grossissent l’armée de l’empereur. Aussitôt la guerre recommence avec une vigueur nouvelle. Héraclius remporte l’héroïque victoire de Ninive, qui lui donne l’Assyrie. La Perse est tout entière à la merci du vainqueur : les sanctuaires de l’antique monarchie de Darius sont renversés; la magnifique résidence de Dastagerd, le palais favori de Chosroès , est pillée de fond en comble. Il y avait là, disent les chroniques orientales, un harem de trois mille jeunes femmes servies par douze mille esclaves. Les écuries contenaient jusqu’à six mille chevaux et neuf cent soixante éléphans. Le trône était d’une merveilleuse richesse. Au-dessus du siège étaient suspendus des globes d’or qui représentaient par leur disposition les sept planètes, les douze signes du zodiaque, toute la cosmographie persane. Trois cents drapeaux pris aux Romains ornaient l’une des salles du palais. Or pierreries, tapis brodés, robes de pourpre, tout est pillé par les vainqueurs, et ce qu’on ne peut emporter devient la proie des flammes[6]. Chosroès , avec son troupeau de femmes, s’enfuit de palais en palais devant l’armée d’Héraclius, et bientôt le roi des rois, caché sous des vêtemens grossiers, n’a plus de refuge que dans les cabanes des paysans, jusqu’à ce que, trahi par les siens et victime d’une tragédie domestique, il soit mis à mort par son fils.

Quel triomphe dans le camp d’Héraclius! quel triomphe surtout à Constantinople et à Jérusalem ! Le 14 septembre 628, après avoir traversé l’Asie-Mineure au milieu des acclamations des chrétiens, Héraclius, abordant à Byzance, débarqua au faubourg de Sykes et se dirigea vers la Porte-d’Or. Quatre éléphans blancs traînaient son char triomphal. Devant lui marchait la sainte croix, reconquise sur les Perses. Partout des fleurs, des palmes, de précieux tapis étendus sur le passage du vainqueur; partout des chants et des bénédictions. Héraclius avait voulu que la croix dominât toutes ces magnificences. Quelques mois plus tard, aux premiers jours du printemps (629), il alla la restituer aux lieux saints. Ce fut un triomphe encore, mais d’un caractère bien différent. On croit lire une page de la vie de saint Louis. Des milliers de pèlerins étaient accourus de la Syrie et de l’Egypte pour assister à la solennité. Ils virent Héraclius, suivant la trace des pieds du Sauveur, gravir les pentes du Calvaire, la croix sur ses épaules. L’évêque de Jérusalem l’attendait au sommet; il reçut la croix des mains de l’empereur et la déposa dans l’église de la Résurrection. Ce sont là les grandes journées de l’Orient. L’enthousiasme du nom romain s’unissait aux ardeurs de la foi chrétienne, et de nouvelles destinées semblaient commencer pour l’empire. Que pouvait-on redouter encore du côté de l’Asie? L’empire des Perses était détruit, le successeur de Chosroès n’était plus qu’un vassal d’Héraclius, l’Europe entière était transportée d’admiration, et un petit-fils de Clovis, interprète des sentimens de l’Occident, envoyait une ambassade au vainqueur de Ninive. La France a toujours eu les yeux sur l’Orient, et lorsque Dagobert se faisait représenter solennellement auprès d’Héraclius, il inaugurait la politique de Charlemagne et de saint Louis.

On demandera peut-être pourquoi cette merveilleuse histoire d’Héraclius est associée dans le récit de M. Thierry à l’histoire d’Attila. Quel rapport entre une croisade contre les Perses et les annales confuses des populations hunniques? C’est précisément là qu’apparaît, avec l’importance du règne d’Héraclius, l’originalité de son rôle. Pendant que l’adversaire de Chosroès s’engageait si intrépidement dans les défilés du Caucase et les vallées de l’Euphrate, les fils des Huns, les Avars, établis au nord du Danube, menaçaient sans cesse Constantinople. Héraclius, avant de partir, s’était empressé de faire la paix avec eux. Dès qu’ils le surent arrivé en Asie, ils n’attendirent qu’une occasion pour se jeter de nouveau sur l’empire. L’occasion s’offrit bientôt. Le général de Chosroès, ce même Schaharbarz dont nous parlions tout à l’heure, envoya des députés au kha-kan des Avars, et lui promit le pillage de Byzance, s’il voulait assiéger la ville avec les Persans. C’était un moyen pour ceux-ci de rappeler Héraclius en Europe; si le kha-kan eût réussi, Chosroès n’eût pas été écrasé à Ninive. Ce siège de Constantinople par les Avars est une belle et émouvante peinture. M. Thierry n’a rien négligé pour retrouver les détails de la lutte; tous les documens originaux lui ont livré leurs secrets. On voit dans son récit l’immense armée barbare, non pas une nation seule, dit un témoin oculaire, mais un assemblage de nations, Huns, Scythes, Slaves, Bulgares, Avars, Gépides, envelopper toute la ville du côté de la terre; on entend les menaces du kha-kan et les .cris de ses soldats; on devine, aux préparatifs des assiégés, l’enthousiasme national réveillé par Héraclius. Du fond de la Perse, c’est encore lui qui défend Constantinople. Sans l’ardeur qu’a excitée son exemple, sans le souvenir toujours présent des émotions guerrières de son départ, ce peuple avili par Phocas n’était-il pas vaincu d’avance? Les habitans de Constantinople pensaient à Héraclius, et chacun fit son devoir. Le patrice Bonus (l’histoire doit conserver son nom) dirigeait la résistance. L’image de la Vierge, de la Toute-Sainte, comme l’appelaient les Grecs, promenée sur les remparts, entretenait l’enthousiasme. Protégés par la Panagia, les Grecs avaient la certitude de vaincre, et qui donc eût pu douter de sa protection au moment où Héraclius s’exposait à tant de périls pour arracher la croix aux païens ? Comme dans ces légendes du moyen âge où la Vierge venait prendre la place d’une religieuse échappée de son couvent, la Vierge remplaçait Héraclius à Constantinople, et c’est elle qui sauva la ville. Après cette nuit sanglante où la flotte du kha-kan, culbutée par les trirèmes romaines, sema le Bosphore de débris et de cadavres, c’est à la Panagia que les vainqueurs faisaient hommage de la victoire. Les Avars eux-mêmes se croyaient vaincus par elle. « Je vois, disait le kha-kan un jour qu’il examinait les murailles de la place, je vois là-bas une femme qui parcourt le rempart ; elle est seule et en habits magnifiques. » Tous ces traits qui peignent si bien l’époque, ces visions, cette exaltation mystique unie à l’héroïsme national tout à coup reparu, ont été très heureusement mis en œuvre par M. Thierry. Autrefois ces détails mêmes obscurcissaient pour beaucoup d’esprits la grandeur des événemens. On ne voyait là que des contes de moines, et comme on se souvenait surtout de ces fatales discussions théologiques qui ont énervé l’empire d’Orient, on ne songeait guère à restaurer dans leur éclat primitif les grandes pages de cette histoire. L’honnête Lebeau lui-même, avec sa scrupuleuse érudition, n’a pas le sentiment de ces choses-là ; on s’aperçoit trop souvent, à la timidité des couleurs, que son livre a été écrit pour des contemporains de Voltaire. Notre siècle, plus impartial, plus intelligent, a retrouvé maintes scènes glorieuses du moyen âge, mais on s’en était tenu jusqu’ici aux peuples de l’Occident ; il restait à faire le même travail sur le moyen âge oriental. M. Amédée Thierry a ouvert la voie, et qui sait si l’on ne ferait pas encore de précieuses découvertes dans l’histoire du Bas-Empire, au milieu même des scandales qui la déshonorent ?

Ce beau récit n’éveille pas seulement l’intérêt du lecteur pour les héros de la croisade du VIIe siècle, il suggère à la pensée de curieux rapprochemens politiques. Dans les différentes phases de l’histoire de l’Orient, la civilisation a eu tour à tour à combattre les descendans des Tartares et les héritiers des Huns. Héraclius avait à lutter à la fois contre les Barbares du Nord et contre les Barbares de l’Asie. La question orientale, qui s’est divisée depuis cette époque, se montrait alors tout entière. Les Persans de Chosroès étaient pour Héraclius ce que furent les Ottomans pour l’Europe du XVe siècle ; quant aux Avars, entraînant à leur suite tous les peuples du Nord, convoitant et menaçant toujours Constantinople, ils représentent assez bien le rôle que joue la Russie en Europe depuis Ivan le Terrible et Pierre le Grand. Certes tout s’est bien compliqué à partir de cette époque ; les dissidences religieuses et les catastrophes politiques ont modifié tous les rapports internationaux. Depuis que les Turcs, maîtres de Constantinople, ont été arrêtés dans leurs conquêtes, la France, qui était restée si longtemps à la tête du mouvement des croisades, a pu donner le signal d’une politique toute nouvelle et s’allier à la Turquie dans l’intérêt de l’équilibre européen. Malgré des changemens si profonds, ce n’en est pas moins un phénomène très digne d’étude que la situation de l’empire d’Orient sous le règne d’Héraclius. Tous les dangers qui, durant le cours des siècles, menaceront successivement l’Europe orientale, apparaissent là réunis. Du XIIe au XVe siècle, l’empire d’Orient, et avec lui toutes les nations chrétiennes, sont occupés à combattre l’invasion asiatique, soit que la France, l’Angleterre, l’Allemagne, veuillent arracher la terre sainte aux soldats de Mahomet, soit que l’empire grec lutte contre les Turcs, soit enfin qu’après la prise de Constantinople, les héros de la Pologne et de la Hongrie, les marchands de Venise, les chevaliers de Malte et de Rhodes, attaquent et circonscrivent la puissance ottomane. Depuis le XVIe siècle, la Turquie n’est plus à craindre, mais déjà Ivan le Terrible convoite Constantinople, déjà se forme en Russie la tradition conquérante qui recevra de Pierre le Grand une impulsion nouvelle et sera léguée par lui à tous ses successeurs. Voilà de grands dangers, remarquez pourtant que ces dangers ne se sont déclarés que l’un après l’autre ; sous Héraclius au contraire, on aperçoit comme la complète ébauche de ces luttes séculaires, et les deux invasions, celle qui vient du Nord et celle qui vient d’Asie, marchent ensemble contre Byzance. Vous voyez que cette histoire du VIIe siècle touche de près aux plus vivantes questions du XIXe ; sachons donc ce qu’a fait Héraclius.

M. Amédée Thierry a consacré de curieuses pages à la politique d’Héraclius. Les Persans une fois réduits à l’impuissance, le vainqueur de Ninive s’occupe de rétablir des barrières entre l’empire et les Barbares du Nord. Il s’applique à diviser cette agglomération de races nomades qui menacent toujours d’engloutir le Midi, il s’efforce d’en détacher quelques peuples, et il les associe à la civilisation. Plusieurs états s’organisent, grâce à son génie fondateur, états indépendans, mais qui relèvent de son autorité, qui auront les mêmes intérêts à défendre, et qui assureront ainsi à l’empire une protection efficace. « Plus durable que ses conquêtes, dit très bien M. Thierry, cette création de la politique d’Héraclius est encore debout dans la principauté hunno-slave de Bulgarie, dont il ne fit que jeter les fondemens. Ge sont les établissemens d’Héraclius, destinés à couvrir la métropole de l’empire romain d’Orient, qui protègent encore de nos jours cette reine tombée, et c’est d’eux que dépend en grande partie le sort de la Grèce. Leur histoire intéresse l’Europe à plus d’un titre... » Ainsi deux choses très distinctes dans la politique générale d’Héraclius : quand il a affaire à l’invasion asiatique, il ne songe pas à faire la paix, il traverse le Bosphore, il va attaquer les ennemis du christianisme, il détruit à Ninive le second empire des Perses, comme Alexandre avait détruit le premier dans les plaines d’Arbelles; quand il a en face de lui les Barbares du Nord, il pressent que ces Barbares peuvent être convertis au christianisme et introduits au sein de la civilisation européenne. N’y a-t-il pas là de singuliers rapprochemens qui se présentent d’eux-mêmes à la pensée? Ne devons-nous pas, nous aussi, associer à la civilisation occidentale et par là arracher à l’influence moscovite les petits états qui séparent la Turquie de la Russie? Croatie, Servie, Moldavie, Valachie, principautés slaves et principautés roumaines du Danube, ces états, fondés en partie par Héraclius, n’excitent-ils pas aujourd’hui la sollicitude de tous ceux qui songent à l’avenir de l’Orient? Quant à l’invasion asiatique, représentée par la Turquie, son établissement en Europe est plus qu’un fait accompli, c’est un fait consacré, un fait qui n’a plus rien de menaçant, et qui présente même de précieux avantages, puisque la Turquie occupe sans danger pour l’équilibre général un territoire dont le partage exciterait des luttes acharnées et troublerait pour longtemps la paix du monde. On ne peut donc suivre sur ce point la politique du VIIe siècle. Qui ne voit cependant qu’un jour ou l’autre, dans un siècle, dans plusieurs siècles peut-être, mais un jour qui ne peut manquer d’arriver, l’Influence ottomane doit disparaître de l’Europe? Si cette expulsion se fera par les armes, ou seulement par l’action du christianisme, par la substitution légale des hommes de l’Occident aux débiles possesseurs que nous couvrons aujourd’hui de notre protection, c’est là le secret de l’avenir. Le résultat du moins est inévitable, les plus belles contrées du monde ne seront pas éternellement soumises à une race qui les appauvrit, à une religion qui ne sait pas y faire descendre les bénédictions du travail.

Laissons là les secrets de l’avenir; ce qui nous intéresse, c’est le présent. Des deux politiques d’Héraclius, il y en a une qui est encore à l’ordre du jour; c’est celle-là qu’il faut considérer de plus près. L’historien d’Attila raconte avec précision l’établissement de la Croatie, de la Servie, de la Bulgarie, et par là il nous donne sur la question des principautés roumaines des indications qu’il est bon de recueillir. Les Croates, c’est-à-dire les montagnards, étaient une confédération de Vendes et de Slovènes établis sur le revers septentrional des Carpathes. Les Slovènes depuis longtemps avaient à subir de la part des Huns d’odieuses humiliations; race paisible et livrée aux travaux agricoles, ils étaient, on peut le dire, les souffre-douleurs des populations hunniques. Héraclius le savait : s’adressant à une de ces tribus de montagnes plus guerrière que les autres et plus digne de servir ses desseins, il lui offrit une partie des terres que les Avars avaient usurpées au midi du Danube. Les Croates répondent à cet appel; Héraclius les lance en Dalmatie, et bientôt, vainqueurs des Avars, ils fondent un état puissant sur les côtes de l’Adriatique. Attachés à l’empire par les liens politiques, ils ne tarderont pas à lui être plus étroitement unis par les intérêts religieux. Une mission demandée au pape par Héraclius va porter le christianisme dans ces provinces dalmates, qui s’appelleront désormais la Croatie baptisée. Les Croates, malgré leur union politique et religieuse avec l’empire, n’en conservaient pas moins leurs lois nationales; ils étaient indépendans et gouvernés par leurs chefs. Cet exemple attira d’autres tribus; les Serbes arrivent du bord de l’Elbe, demandant à Héraclius la concession de quelques provinces; Héraclius leur abandonne la Dacie, la Dardanie, une partie de la Macédoine et de l’Épire, et ainsi sont créées les principautés de Servie et de Bosnie.

La première pensée d’Héraclius, après sa victoire sur les Avars, avait donc été d’établir cette forte ligne de peuples entre l’empire et les hordes hunniques, et, selon la remarque de M. Thierry, cette barrière élevée il y a douze cents ans est encore debout aujourd’hui. N’est-il pas remarquable que la même pensée soit venue à la France dès le lendemain de nos victoires en Crimée? Un des meilleurs moyens de fortifier cette ligne de défense qui arrête l’ambition russe au nord de la Turquie, c’est de fortifier les principautés roumaines. La réunion de la Moldavie et de la Valachie, l’organisation d’une Roumanie indépendante sous le protectorat de la France, ce serait là un des plus grands résultats de la dernière guerre, une des plus sures garanties de l’avenir. Des voix éloquentes se sont élevées pour soutenir cette politique; je signalerai surtout la patriotique brochure d’un jeune Valaque, M. Bratiano, qui, dès la prise de Sébastopol, a défendu avec talent la cause des populations roumaines et montré les services que son pays pouvait rendre à l’Europe. C’est à la France que s’adressent les Roumains, car la France a le glorieux privilège d’être plus désintéressée qu’aucun autre pays dans les affaires d’Orient; elle ne peut y intervenir, et l’Orient le sait bien, que pour y défendre les intérêts de tous, pour y représenter l’Europe et la civilisation. De là cette confiance des Roumains : pressés longtemps entre les Turcs et les Russes, soumis tour à tour à l’une et à l’autre influence, le jour où le sentiment national s’est réveillé chez eux, ils ont fait appel à la France. La première fois qu’ils se tournèrent vers nous, ce fut sous l’empire; mais Napoléon refusa de les entendre, et dans cette fatale entrevue d’Erfurth, où tant de fautes furent commises, les principautés danubiennes furent livrées à la Russie. Aujourd’hui, malgré ces tristes souvenirs, leur confiance reparaît, et nous espérons bien que la France ne manquera pas cette fois à sa mission. En dépit de la distance, ces précieux intérêts ont ému l’opinion. Déjà en 1845, dans un substantiel ouvrage intitulé la Romanie, un homme qui connaît bien ces contrées, M. Vaillant, a émis des idées très dignes d’attention sur le rôle possible des Moldo-Valaques; ces questions éveillent une sollicitude plus vive encore depuis les belles études de M. Edgar Quinet[7]. Nous voulons croire qu’une telle cause défendue ainsi ne sera plus abandonnée. La diplomatie française s’en occupe; le Moniteur a prononcé à ce sujet des paroles qui ont produit une impression très vive, et s’il était besoin de rappeler cette affaire à ceux qui peuvent la mener à bien, je leur signalerais les pages de M. Amédée Thierry sur les créations d’Héraclius. Ce grand homme était au VIIe siècle le défenseur du monde civilisé; il convient à la France de reprendre la même poli- tique pour écarter les mêmes périls.

Il est vrai qu’Héraclius pouvait créer la Servie, la Croatie, et jeter les fondemens de la Bulgarie, sans inquiéter les états à demi barbares de l’Europe : aujourd’hui la réunion des principautés danubiennes a rencontré dans la diplomatie de sérieux adversaires. Cette discussion ne peut que servir la cause roumaine; les argumens employés contre la Moldo-Valachie, bien que présentés avec une modération habile, n’ont pas affaibli nos convictions, et nous avons la confiance qu’aucun esprit impartial ne prendra le change. Si j’interroge sur ce point la presse européenne, je vois que la réunion des principautés a été surtout combattue par le cabinet de Vienne. La Gazette d’Augsbourg, qui défend avec talent la politique de l’Autriche, a publié sur cette question de remarquables articles manifestement écrits à l’adresse de la France. Quels sont les argumens de la feuille allemande? On peut les réduire à un seul : fortifier les principautés, c’est fortifier la Russie. Les éminens publicistes allemands ont mis et mettent encore une singulière insistance à développer cette thèse. La Russie seule, si on les en croit, profitera des changemens que réclament les Moldo-Valaques, car aucune puissance n’est en mesure de balancer l’influence moscovite sur le Danube, et tout ce qui sera fait à l’avantage des Roumains sera fait à l’avantage de leurs suzerains réels, qui ne siègent pas à Constantinople, mais à Saint-Pétersbourg. L’argument serait décisif, s’il n’était absolument contredit par le mouvement de renaissance nationale qui agite les contrées du Danube depuis le commencement du siècle. On pouvait parler ainsi à l’époque où les Roumains n’avaient pas encore retrouvé leurs traditions. Pour qui connaît les aspirations ardentes des chrétiens de l’Europe orientale, c’est le contraire qui est vrai. Les Moldo-Valaques ne sont plus placés seulement comme autrefois entre les Turcs et les Russes : fils des colons de Trajan, frères des nations néo-latines, héritiers d’Etienne le Grand et de Michel le Brave, ils savent qu’ils appartiennent à la civilisation libérale, et c’est en nous qu’ils ont mis leur espoir. Les Moldo-Valaques sont placés désormais entre la Russie et l’Europe occidentale. Tant que cette Europe s’intéressera à leurs destinées, on n’a rien à craindre de la propagande moscovite sur le Danube. Supposez au contraire que la France ferme l’oreille à leurs plaintes, c’est alors que l’influence russe serait bien forte, et qui sait si dans un moment de désespoir les hommes qui nous tendent les bras aujourd’hui ne préféreraient pas la suzeraineté des tsars au protectorat des Ottomans? On verrait recommencer du moins, la chose est trop certaine, cette période de défaillance et d’anarchie où le sentiment national de la Roumanie semblait évanoui pour toujours. Ce foyer s’est rallumé; ne le laissons pas s’éteindre.

L’exemple de la Bohême jette une vive lumière sur ces questions. Voilà un peuple, non pas d’origine latine comme les Roumains, mais de race slave, et uni par l’Autriche à la civilisation de l’Occident. Les Tchèques de Bohême, en même temps et aussi vivement que les Moldo-Valaques, ont réveillé leur langue, leurs traditions, leur histoire, et réclament une place au soleil. Or en 1848, au moment où l’esprit révolutionnaire disloquait la monarchie des Habsbourg, le cabinet de Vienne, effrayé du péril, comprit qu’il fallait se rattacher les Tchèques; le chef du mouvement national de la Bohême, l’illustre historien Franz Palacky, fut appelé au portefeuille de l’instruction publique, et on put espérer un instant que, la Bohême obtiendrait ce qu’elle demande encore, une administration distincte, une existence nationale, des droits pareils à ceux que la Hongrie a possédés si longtemps. Quel fut le résultat de cette politique trop vite abandonnée? On vit les Tchèques reconnaissans s’attacher avec amour à cette monarchie en péril; l’Autriche n’eut pas de meilleur soutien pendant la crise qui suivit immédiatement la révolution de mars, et le parlement de Francfort, qui voulait affaiblir l’Autriche au profit d’une Allemagne unitaire, ayant invité M. Palacky à siéger dans son sein, le noble historien lui adressait ces remarquables paroles : « Je vous remercie de votre appel, mais je ne puis y répondre. Je ne suis pas Allemand, je suis Slave; il n’y a pas de place pour moi dans une assemblée allemande. De plus, vous voulez affaiblir l’Autriche, vous voulez la soumettre à un pouvoir central, république ou empire, qui dictera ses arrêts à l’Allemagne entière. Or sachez-le bien, la force et l’indépendance de l’Autriche sont nécessaires aux Slaves de Bohème. Prêtez-moi, je vous prie, votre attention. Vous savez quelle est cette puissance colossale qui occupe tout l’orient de notre Europe; presque inattaquable sur son propre sol, on la voit déjà menacer la liberté du monde et tendre à la monarchie universelle. Cette monarchie universelle, bien qu’elle s’annonce au profit des peuples slaves, moi, Slave de cœur et d’âme, je la regarderais comme un mal effroyable, comme une calamité sans fin et sans mesure. Je passe en Allemagne pour l’ennemi des peuples germaniques : on dira de même en Russie que je suis l’ennemi des Russes. Que m’importe? Au-dessus des intérêts de race j’ai toujours placé les intérêts de l’humanité et de la civilisation, et le simple projet d’une monarchie universelle exercée par les Russes n’a pas d’adversaire plus résolu que moi, non parce que ce serait une monarchie russe, mais parce que ce serait une monarchie universelle. Or, de tous les peuples situés au sud de l’Europe orientale, il n’en est pas un seul qui puisse résister à l’envahissement des Russes, si un lien vigoureux ne les réunit en faisceau... » Ainsi parlait un Slave, chef ardent d’une croisade inspirée par l’esprit slave; or les Roumains ne sont pas Slaves, ils sont comme nous de race latine, et l’on craindrait qu’une fois en possession de cette vie nationale, si ardemment désirée, ils n’en fissent usage au profit de la Russie! Pures chimères, encore une fois : il n’y a qu’une chose qui puisse profiter à l’influence moscovite, c’est l’inaction de l’Europe et par suite le découragement des Roumains.

J’ai l’air de m’éloigner du livre de M. Amédée Thierry; un des mérites de cette histoire, c’est précisément de provoquer la pensée et d’appeler des rapprochemens avec notre situation présente. Revenons pourtant à Héraclius. La fin de sa vie fut lamentable. Au moment même où, vainqueur de Chosroès, il se félicitait d’avoir écrasé en Asie les plus redoutables ennemis de la croix, au moment où il enfermait les Avars entre ces peuples nouvellement constitués, Serbes, Croates, Bulgares, et les réduisait à l’impuissance, un ennemi nouveau, plus terrible bientôt que tous les autres, celui qui devait un jour chasser la Panagia des églises de Constantinople, le mahométisme apparaissait dans le monde, le fer et le feu à la main. Mahomet avait assisté en silence à la lutte d’Héraclius et de Chosroès, tout prêt à se jeter sur le vaincu. Une fois Chosroès abattu et l’empereur Héraclius retourné à Constantinople, Mahomet projetait une expédition contre la Perse quand la mort l’arrêta (632). Son successeur, Abou-Bekr, attaque et la Perse et l’empire : tandis qu’il soumettait l’Irak arabique et préparait la conquête de la Perse, un de ses généraux réduisait sous le joug les provinces romaines de l’Asie, la Syrie, la Mésopotamie, la Palestine. Jérusalem était prise en 637; deux ans après, Alexandrie et Memphis étaient au pouvoir de l’islam. Qu’on se représente la douleur d’Héraclius : c’était d’Alexandrie qu’il avait mis à la voile, vingt-deux ans auparavant, lorsqu’il allait délivrer l’empire du despotisme de Phocas; c’était à Jérusalem qu’il avait fêté la plus glorieuse journée de son règne. Vaincu partout malgré son génie et son courage, il voyait commencer par la Palestine et l’Egypte le démembrement de l’empire. Il voulut du moins, avant la prise de la ville sainte, sauver une seconde fois cette croix de Jésus-Christ reconquise naguère sur les Perses et rapportée à l’église du Calvaire au milieu des acclamations de la chrétienté. Il retourna à Jérusalem, il remonta au Calvaire, recommençant, hélas! dans un appareil bien différent le chemin qu’il avait fait en pieux triomphateur. Le patriarche Sophronius, fondant en larmes ainsi que tout le peuple, lui remit le précieux dépôt; Héraclius ne pleurait pas, une douleur sombre et morne troublait déjà sa raison. Qu’y a-t-il de plus triste que la folie chez un pasteur de peuples? C’est vraiment une tragique figure que celle de ce malheureux génie. Je lisais dernièrement une bien belle page de Christine de Pisan dans le Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles V. Charles Y, sur son lit de mort, fait demander à l’évêque de Paris la couronne d’épines du Sauveur gardée à Notre-Dame, à l’abbé de Saint-Denis la couronne du sacre des rois, et quand on les a placées en face de lui, il les apostrophe en ces termes : « couronne d’épines, tu semblés terrible, tu es toute garnie de pointes sanglantes; mais que tu es belle et bonne, et désirable, ô diadème de notre salut, tant est doux et emmiellé le soulagement que tu donnes! Et toi, couronne de France, tu brilles, tu parais précieuse, mais que tu es vile et lourde à porter! Ceux qui te reçoivent, combien de douleurs, de tourmens, d’angoisses, combien de périls de corps et d’âme tu leur imposes ! Qui considérerait bien ces choses te laisserait plutôt traîner dans la boue que de te placer sur sa tête. » Il est impossible de lire cette page sans être ému, car ce cri, cette plainte déchirante arrachée au malheureux roi par le sentiment des désastres publics et la prévision de l’avenir, Charles V la profère en présence du dauphin, de celui qui sentira bientôt combien la couronne est lourde, et qui en perdra la raison, Héraclius, qui avait porté si glorieusement la couronne de l’empire, sentit aussi combien elle pesait à son front; il préférait, comme Charles V, la couronne d’épines.

Héraclius, placé sur la limite de la période romaine, semble annoncer d’avance les plus nobles et les plus douloureuses figures du moyen âge. On ne serait pas étonné de rencontrer un tel homme du XIIe au XV siècle. Je l’ai comparé à saint Louis, la fin de sa vie nous rappelle Charles VI. Le moyen âge a eu le sentiment de cette parenté, il a conservé ce grand nom et l’a associé au nom de Charlemagne et de Roland. A l’époque où nos trouvères célébraient les croisades sous le voile des poèmes carlovingiens et des épopées bretonnes, lorsque Charlemagne, Arthur, Perceval, parcouraient l’Europe et l’Asie dans des expéditions merveilleuses, Héraclius fut chanté aussi par les trouvères de France et d’Allemagne. Il y a un poème français du XIIIe siècle, intitulé Eraclius, qui a obtenu un grand succès au moyen âge[8]. L’auteur, Gauthier d’Arras, le dédie au bon comte Tiebault de Blois, le plus vaillant ki soit d’Islande juske à Romme. Un poète allemand qui paraît être, selon les critiques d’outre-Rhin, le célèbre chroniqueur Othon de Frisingue, l’a traduit et arrangé dans la langue des Minnesingers. L’Eraclius de Gautier d’Arras, comme celui d’Othon de Frisingue, est rempli d’incidens bizarres, d’aventures amoureuses, de superstitions et de puérilités qui peignent assez bien le siècle de l’auteur, mais qui défigurent étrangement le caractère du héros. On y trouve pourtant de belles scènes. Si la première partie est un conte des Mille et Une Nuits, la seconde, qui suit de plus près l’histoire, contient des épisodes vraiment épiques. Héraclius sous les murs de Jérusalem est peint avec grandeur, et comme par un poète qui songeait à Godefroy de Bouillon. Quand Héraclius arrive devant la ville sainte, toute la nature est en fête : c’est le jour de Pâques-Fleuries, et l’empereur, monté sur un beau cheval d’Espagne, son manteau de pourpre agrafé à son cou, s’avance comme un triomphateur; mais tout à coup les portes se ferment, et un ange lui apparaît du haut des remparts : « Héraclius, lui dit-il, pourquoi viens-tu en si grande pompe?

Orgueilleuse est ta vêture.
Et fière ta chevauchure;


ce n’est pas ainsi que Jésus a passé par ce chemin. » Aussitôt l’empereur descend de cheval, il jette son manteau de pourpre, ses vêtemens impériaux, et pieds nus, en chemise, il entre à Jérusalem portant la sainte croix sur ses épaules et disant molt oreisons. Une autre idée qui contient une intention poétique, c’est d’avoir fait naître Mahomet le jour même où Héraclius, vainqueur de Chosroès, rapporte la croix à Jérusalem. N’est-ce pas là signaler d’un mot ce qu’il y a eu de tragique dans la destinée de l’empereur d’Orient? Mais ce n’est pas seulement Mahomet, s’il faut en croire le trouvère, qui vint au monde le jour du triomphe d’Héraclius; un autre chef illustre, Dagobert, roi des Francs, est né aussi ce jour-là. Pourquoi ces rapprochemens singuliers et ces démentis à l’histoire? Le poète a voulu dire qu’Héraclius est le dernier des grands soldats de la civilisation dans l’empire d’Orient, qu’en face du danger nouveau de nouveaux champions se lèvent pour la chrétienté, — en face de Mahomet et des kalifes les Francs de Dagobert et de Charlemagne, les croisés de Godefroy de Bouillon, de saint Bernard et de saint Louis.

C’est donc la France, dès le VIIe siècle, qui succède à l’empire d’Orient dans l’héroïque défense de la chrétienté. M. Amédée Thierry a mis en pleine lumière ce rôle de notre patrie. Je cédais tout à l’heure au plaisir d’ajouter quelques traits à son tableau d’Héraclius; il n’y a rien à ajouter à son récit des guerres de Charlemagne contre les héritiers d’Attila. Ce second empire hunnique, affaibli par les victoires et la politique d’Héraclius, Charlemagne eut la gloire de le détruire. On ne connaissait guère jusqu’ici cette lutte des Francs et des Avars; il semblait que ce fût un épisode perdu dans une immense épopée. Au milieu des cinquante-trois expéditions qui remplissent la vie du grand empereur, quand on le voyait aux prises avec les Aquitains et les Lombards, avec les Saxons et les Arabes, qui donc songeait à le suivre aux bords du Raab et du Danube? L’historien d’Attila a pris plaisir à retrouver tous ces détails, et il a été soutenu dans sa tâche par le sentiment de la mission de la France. C’est là une inspiration très vive chez M. Amédée Thierry. Notre philosophie de l’histoire, en proclamant la nécessité des invasions, qui venaient mêler un sang jeune et vivace au sang corrompu du vieux monde, nous fait trop souvent oublier les malheurs de nos pères et les dangers qui menaçaient la culture intellectuelle et morale du Ve au IXe siècle. Nos formules abstraites nous cachent la vérité vivante : assurés du résultat, nous parlons fort à l’aise de ces effroyables catastrophes, et nous ne nous souvenons plus qu’il y avait là des hommes, des hommes qui souffraient, qui combattaient, pour qui le présent était incertain et l’avenir plein d’épouvante. Tel n’est pas M. Thierry. Peintre de la Gaule romaine et des Barbares, il est le défenseur naturel de la civilisation. Il prend part à ses luttes, il souffre de ses angoisses et se réjouit de ses triomphes. Partout où il rencontre ses représentans, à Rome ou à Constantinople, dans le camp d’Aétius ou dans l’ambassade de Maximin, il marche avec eux contre la barbarie, et lorsque les Gaulois d’abord, les Francs ensuite, prennent le premier rôle dans la lutte, lorsque la France, succédant à l’empire romain, est chargée des destinées du monde, on sent passer dans son récit l’enthousiasme contenu qui anime sa pensée. Je me suis rappelé, en lisant ce livre, ces beaux vers de Corneille, citation toute naturelle ici, puisque je l’emprunte à l’Attila du poète :

Un grand destin commence, un grand destin s’achève.
L’empire est prêt à choir, et la France s’élève.


Oui, l’empire choit, et la France s’élève; le sceptre passe de Rome à la France, comme il avait passé primitivement de l’Orient à la Grèce et de la Grèce aux Sept-Collines. L’unité de l’Histoire d’Attila est toute dans cette idée. C’est sur notre sol que le fils de Mound-Zoukh, fondateur du premier empire hunnique, est vaincu par Aétius ; quatre siècles plus tard, c’est par Charlemagne et par ses fils que le second empire des Huns est détruit, ses fortifications renversées, ses rapines enlevées et partagées à l’Europe. En 451, Attila foulait le sol de la Gaule ; en 811, le pays des Avars s’appelle le pays des Francs, Φραγγοχωριον (Fraggochôrion), et les chefs des vaincus reçoivent le baptême à Aix-la-Chapelle.

Ce n’est pas tout : quand un troisième empire hunnique est fondé, quand les Hongrois sont devenus une des nations chrétiennes de l’Europe, nos Français du moyen âge jouent encore un rôle dans leur histoire. Les temps sont bien changés : il ne s’agit plus de repousser avec les Gaulois l’invasion d’Attila ni d’anéantir avec les Francs de Charlemagne la puissance des kha-kans ; les Hongrois font partie de la société européenne, ils grandissent en face du royaume de Bohême et du duché d’Autriche. Or, après bien des vicissitudes, affaiblis par l’anarchie et les guerres intestines, abattus par l’invasion des Mongols au XIIIe siècle, ils ont besoin d’un chef qui relève la couronne de saint Etienne; vers qui tournent-ils les yeux ? Vers la France. Un petit-neveu de saint Louis, Charles d’Anjou, est élu roi de Hongrie par les acclamations populaires, et la Hongrie, depuis saint Etienne, n’a pas eu de souverain plus glorieux. Pendant tout le XIVe siècle, ce sont des princes de la maison d’Anjou qui gouvernent cette race généreuse et la préparent aux luttes du siècle suivant : Hunyade et Mathias Corvin n’ont fait que poursuivre la tâche commencée par une dynastie française. Qui se souvient aujourd’hui de ces héroïques aventures ? Notre France est ainsi faite : prodigue de son génie, elle accomplit de grandes choses et n’en garde pas la mémoire. M. Amédée Thierry n’est pas de ceux qui oublient si aisément les titres de nos pères. Il n’avait pas à tracer l’histoire de la Hongrie, son récit s’arrête au moment où les compagnons d’Arpad s’établissent dans la vallée du Danube : il se gardera bien cependant d’omettre une telle indication ; l’image des princes de la maison d’Anjou termine cette galerie où brillent, d’Attila jusqu’à Arpad et d’Aétius à Mathias Corvin, tant de noms diversement fameux.

Ainsi la pensée de la France nous est sans cesse présente dans cette vaste peinture des bouleversemens de l’Europe orientale. Les rapprochemens les plus inattendus sont marqués d’une main sûre et provoquent la méditation. Une des plus curieuses péripéties de ce long drame, c’est à coup sûr la transformation de ces neveux d’Attila, qui, civilisés par un neveu de saint Louis, deviennent les plus hardis champions de l’Europe en face des Ottomans. Ce nom du roi des Huns, qui avait été si longtemps l’épouvante des nations chrétiennes, prend sur les bords du Danube une signification toute différente. Lorsque Mathias Corvin entraîne ses peuples à la croisade contre Mahomet II, un chroniqueur hongrois l’appelle le nouvel Attila. La politique d’Héraclius est consacrée par des triomphes qu’il lui était impossible de prévoir; le travail des siècles est accompli, la civilisation a vaincu, comme elle doit toujours vaincre; elle a amené peu à peu ses plus terribles ennemis à combattre pour sa cause. Que de leçons politiques, quels enseignemens de philosophie sociale dans ces péripéties de l’histoire!

Ce livre, avec ses dramatiques tableaux et ses vues lumineuses, a obtenu le succès dont il est digne; il a été lu par les esprits qui aiment les émouvantes peintures de l’histoire, il a été médité par les publicistes qui savent demander au passé des conseils ou des indications. L’Allemagne s’est empressée de le traduire; il en a paru aussi plusieurs versions hongroises. Cette Hongrie, dont l’auteur parle en si nobles termes, et qui retrouvait dans ce tableau le fil trop souvent rompu de ses traditions, devait accueillir avec reconnaissance l’œuvre du savant historien. On peut dire que la publication de l’Histoire d’Attila a été une sorte d’événement pour les Magyars. Si le paysan des bords de la Save et de la Theiss conserve dans sa cabane le portrait d’Attila roi des Hongrois, le fier et élégant Magyar, sans garder une sympathie très vive au fils de Mound-Zoukh, n’est pas fâché de voir ces traditions entretenir l’esprit national du peuple. Certaines parties du livre de M. Thierry, commentées, arrangées par des rapsodes populaires, courent déjà les campagnes. Dans ce curieux appendice qui complète son œuvre, au milieu de l’histoire légendaire de son héros, à côté des traditions germaniques et des traditions latines sur le fondateur du premier empire hunnique, les traditions hongroises ne sont pas les moins intéressantes. Ce sont ces poétiques récits, à moitié perdus depuis longtemps et rassemblés aujourd’hui par une main sûre, qui charment l’imagination du paysan, tandis que les seigneurs magyars relisent avec orgueil cette belle page de la préface : « Puisque je viens de toucher à des choses modernes en parlant de la Hongrie, qu’on me permette d’ajouter quelques mots sur le temps présent! Ce noble peuple magyar, si abattu qu’il paraisse, est encore plein de vie et de force, heureusement pour le monde européen. C’est lui qui veille aux portes de l’Europe et de l’Asie; qu’il en soit le gardien fidèle! Il y aurait mauvaise et fatale politique de la part d’une puissance civilisée, allemande et catholique, à vouloir étouffer une nationalité qui est sa sauvegarde du côté où s’agite une inépuisable passion de conquête, appuyée sur la barbarie; mais, quoi qu’on ose faire, la Hongrie vivra pour des destinées dont la Providence n’a point voulu briser le moule. Nul peuple n’a traversé des vicissitudes plus amères ; conquis par les Tartares, envahi par les Turcs, opprimé vingt fois par les factions intérieures et plus d’une fois aussi trahi par ses propres rois, il s’est relevé de toutes ses ruines, fort et confiant en lui-même. Cette énergique vitalité qui maintient depuis quinze siècles, et malgré tant d’efforts conjurés, des peuples de sang hunnique aux bords de la Theisse et du Danube, réside au fond de l’âme du Magyar, et éclate jusque dans son orgueil froissé. La nation de saint Etienne, de Louis d’Anjou et des Hunyades, a prouvé qu’elle sait durer pour attendre les jours de gloire. »

Je n’ai pas eu tort, on le voit, de rattacher l’ouvrage de M. Amédée Thierry aux émotions nationales de la guerre de Crimée. Lors même que l’Histoire d’Attila ne nous révélerait pas dans sa préface la patriotique inspiration qui a soutenu ses recherches, il est visible que nos soldats de Balaklava et d’Inkerman lui faisaient plus vivement apprécier le Φραγγοχωριον (Fraggochôrion) de Charlemagne. Tel détail des chroniques byzantines qui aurait pu ne pas frapper son esprit a été subitement éclairé à ses yeux par les événemens de ces dernières années. Voilà dans quelle juste mesure l’historien des temps qui ne sont plus doit rendre témoignage à son époque; voilà comment le passé, en donnant des leçons au présent, peut recevoir de ce présent même une lumière qui nous le fait mieux comprendre.

Je citerai un exemple analogue que j’emprunte à l’histoire littéraire de notre siècle. Il y a trente ans, un écrivain de l’Allemagne du midi, initié par l’étude et les voyages aux annales les plus secrètes de l’Europe orientale, M. Fallmerayer, publiait son Histoire de l’Empire de Trébisonde[9]. On était alors dans une phase toute différente de la question d’Orient. C’était contre la Turquie que la France, l’Angleterre et la Russie marchaient sous le même drapeau. Au moment où les grandes puissances chrétiennes, l’Allemagne seule exceptée, arrachaient la Grèce au joug de l’islamisme, M. Fallmerayer entreprit de raconter les derniers jours de l’empire d’Orient. Une haute pensée morale inspirait l’historien; il voyait l’Europe s’enthousiasmer pour le réveil de la race hellénique, il voyait le royaume de Grèce décrété par la diplomatie et fondé par les armes des nations chrétiennes. — Excellente intention, se disait-il, mais fonde-t-on ainsi un état? Cet enthousiasme ne cache-t-il pas des illusions dangereuses? Les Grecs sont-ils préparés au rôle qu’on leur assigne, et sauront-ils en remplir les devoirs? — M. Fallmerayer crut qu’il était nécessaire de rappeler aux Hellènes de nos jours ce qui avait perdu leurs aïeux du XVe siècle. La lutte des Grecs contre les Turcs de Mahomet II s’est prolongée en Asie après la prise de Constantinople. Il y avait au sud du Caucase, sur les côtes de la Mer-Noire, un empire fondé et régi par la famille des Comnènes depuis la révolution de palais qui en 1185 leur arracha le trône de Constantin : c’était l’empire de Trébisonde. Quelles avaient été de 1185 à 1453 les destinées de cet empire? que devint-il après la chute de l’empire d’Orient? — Toutes ces questions étaient fort obscures. Ducange, qui a débrouillé l’histoire des dynasties de la Grèce, déclare qu’un voile impénétrable couvre cet épisode des Grecs de Trébisonde; Gibbon exprime la même opinion dans son Histoire du Bas-Empire. M. Fallmerayer, avec la passion de l’érudit et l’ardeur du publiciste, s’appliqua à dissiper ces ténèbres. Initié aux principales langues de l’Orient, il interrogea les Turcs, les Persans, les Tartares, en même temps qu’il consultait les ambassadeurs vénitiens et espagnols; il compulsa les chartes, les manuscrits, il eut même la bonne fortune de découvrir un chroniqueur inconnu jusque-là, l’historiographe de l’empire de Trébisonde, Michel Panarètos, dont le récit a éclairé ses recherches et comblé bien des lacunes. Muni de tous ces documens, M. Fallmerayer nous a montré les derniers Comnènes essayant de lutter contre Mahomet II après que le chef des Ottomans était déjà le padishah de Byzance.

Hélas ! c’est une tragique histoire. Il y a encore là quelques hommes audacieux pour engager cette lutte, mais leur vie passée, leurs habitudes d’esprit et de conduite pèsent sur eux et les enchaînent. A Trébisonde comme à Constantinople, on est plus accoutumé aux disputes monacales qu’aux actions viriles. « Refoulés dans ce petit coin de l’empire d’Orient, ces hommes, dit l’auteur, m’apparaissent comme des assiégés dans le coin d’un palais. Le palais est ouvert de tous côtés, le palais est envahi ; ils continuent à se défendre sans aucune chance de succès... » Certes la résolution est belle; pourquoi faut-il que les Comnènes soient si peu préparés à la soutenir? C’est là ce qu’il y a de vraiment tragique dans cette agonie de l’empire de Trébisonde. L’empereur David tend de tous côtés ses mains suppliantes, il s’adresse à l’Orient et à l’Occident, aux soldats de Mahomet et aux soldats du Christ, aux Turcomans et au pape. Les Turcomans seuls viennent à son secours, mais ils sont battus avec lui, et bientôt en 1465 David est égorgé à Constantinople avec ses huit fils. Sa femme, l’impératrice Hélène Cantacuzène, assista à l’horrible exécution; elle ensevelit elle-même les cadavres de tous les siens, puis, enfermée dans une hutte de chaume où l’on respecta sa douleur, elle mourut au milieu des pratiques d’une piété ardente, exaltée encore par ces catastrophes. M. Fallmerayer ne déclame pas, c’est à peine s’il tire de ce tableau la moralité qu’il contient, mais cette moralité, qu’il n’exprime qu’à demi, est l’inspiration constante de son œuvre. Ce n’est pas assez de vaincre les Turcs, il faut réparer les fautes de vos pères, il faut redevenir une nation : telle est la leçon adressée aux Grecs du XIXe siècle par M. Fallmerayer, — virile leçon et bien remarquable, ce me semble, au moment où l’Europe entière saluait avec un enthousiasme si confiant la renaissance des Hellènes !

On voit que la question d’Orient n’a pas été inutile aux études historiques. Ce que nous avons tenu à mettre ici en lumière, c’est moins le zèle des érudits que l’ardeur des publicistes. Dans les différentes phases que cette question a traversées depuis des siècles, elle a provoqué des traités, des actes diplomatiques, des relations d’ambassadeurs, en un mot toute une littérature d’affaires. Aujourd’hui nous voyons des érudits, des historiens d’élite ressentir le contre-coup des événemens et traduire ces impressions de leur âme dans leurs travaux les plus sévères. Ils n’écrivent pas des œuvres de circonstance, ils écrivent des œuvres durables auxquelles l’inspiration du moment communique le mouvement et la vie. Ce sont là des symptômes qui attestent la supériorité de notre âge. Il n’est plus permis aux peuples d’assister avec insouciance aux événemens de l’histoire. A l’époque où les peuples étaient encore en tutelle, les tuteurs seuls réglaient les grandes questions politiques; un moyen pour eux de prouver que la période de la tutelle est passée, c’est de faire acte de virilité par le libre exercice de l’opinion. Or l’opinion s’exerce, quoi qu’on puisse dire. N’est-ce pas elle qui se manifeste jusque dans ces graves domaines de la science, d’où on l’écartait si soigneusement autrefois? Un historien français nous peint le tableau des invasions hunniques, et les émotions de la guerre de Crimée doublent les forces de son talent; un érudit allemand découvre l’histoire perdue des derniers Comnènes, et il en fait sortir une leçon à l’adresse des Grecs de nos jours : dans l’un et l’autre de ces livres, on sent, et de la manière la plus heureuse, la trace des préoccupations du temps. Il s’agissait en 1828 de l’affranchissement de la Grèce; M. Fallmerayer retrouva une page tragique de l’histoire du Bas-Empire. Aujourd’hui il a fallu arrêter la marche envahissante de la Russie; M. Amédée Thierry nous raconte ce que firent les empereurs d’Orient et d’Occident, Héraclius et Charlemagne, pour circonscrire l’invasion des Barbares du Nord. Le double aspect de ce grand et périlleux problème a donc été présenté au monde à trente années de distance, et dans ces deux circonstances si différentes, la question vitale de l’Europe a inspiré deux livres également remarquables par la science de l’érudit et l’élévation du publiciste, — l’Histoire de l’Empire de Trébisonde, de M. Fallmerayer, — l’Histoire d’Attila, de M. Amédée Thierry.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. Urkundm zur aeltern Handels-und Staatsgeschichte der Republik Venedig, mit besonderer Bezichung auf Byzanz und die Levante, von Dr Tafel und De Thomas; 2 vol., Vienne 1855-1856.
  2. Der Eintritt der Turkei in die europäische Politik des 18 Jahrhunderts, von H. Abeken, 1 vol., Berlin 1856. — Geschichte des Osmanischen Reiches in Europa, von J. W. Zinkeisen, 3 vol., Gotha 1855. — On peut signaler encore l’ouvrage de M. Th. Mundt, Der Kampf um das schwarze Meer, etc., 1 vol., Brunswick 1855, — celui de M. Hermann Sauppe, Skizzen aus der Geschichte der Krim, 1 vol., Weimar 1855, — et une brochure de M. Heinemann, Æneas Sylvius als Prediger eines allgemeinen Kreuzzuges gegen die Türken.
  3. Die Sudslaven und deren Laender in Beziehung auf Geschichte, Cultur und Verfassung, von J. T. Neigebaur, 1 vol., Leipzig 1851.
  4. Sudslavische Wanderungen, 2 vol., Leipzig 1853. — Christen und Türken, ein Skizzenbuch von der Save bis zum eisernern Thor, von Siegfried Kapper, 2 vol., Leipzig 1854. — Signalons aussi l’ouvrage d’un touriste anglais connu déjà par d’intéressantes peintures du Caucase : Travels in european Turkey, through Bosnia, Servia, Bulgaria, Macedonia, Roumelia, Albania and Epirus, etc., by Edmond Spencer, 2 vol., Londres 1853.
  5. Voyez la Revue du 1er et 15 février, du 1er mars et 1er avril 1852, du 15 juillet, 1er et 15 novembre 1854, du 15 avril 1855 et 15 février 1856.
  6. Voyez, pour tous ces détails, Ritter, Erdkunde, t. IX, p. 497, et Julius Braun, Geschichte der Kunst, t. Ier, p. 256.
  7. Voyez, dans la Revue du 15 janvier et 1er mars 1856, les Roumains, par M. Quinet.
  8. Ces deux poèmes ont été publiés en Allemagne. Eraclius von Otte und Gautier von Arras, herausgegeben von Massman. 1842.
  9. Geschichte des Kaiserthums von Trapezunt, 1 vol. in-4o, Munich 1827.