La Liberté du commerce et les systèmes de douanes/02

La Liberté du commerce et les systèmes de douanes
Revue des Deux Mondes, période initialetome 15 (p. 808-836).
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LA


LIBERTE DU COMMERCE


ET LES


SYSTEMES DE DOUANES.




II.
LES DOUANES ET LA POLITIQUE COMMERCIALE DES PRINCIPAUX ETATS.




I.

Dans la première partie de cette étude, nous nous sommes attaché, avant tout, à résoudre la grande objection que les protectionistes français opposent sans cesse à l’établissement du régime du libre échange, celle qui naît de la cherté générale de nos produits. C’était nous le savions, considérer la question qui nous occupe d’un point de vue assez étroit, peut-être même exclusif. La France est le seul pays au monde où une telle objection se présente, au moins dans toute sa force, parce que c’est le seul pays où les tarifs de la douane frappent sans distinction tous les produits. Il convient maintenant d’élargir notre cadre et de considérer le système restrictif dans ses applications diverses mais, avant de jeter un coup d’œil sur le régime économique des principaux états commerçans, il est nécessaire de pénétrer dans la constitution intime du système protecteur. Pour comprendre ce système dans sa portée véritable, et surtout pour se rendre compte des diverses transformations dont il est susceptible, il faut le soumettre à l’analyse, il faut en décomposer les élémens. C’est ce que nous allons d’abord essayer.

Toutes les lois de douanes n’ont pas le même caractère et ne produisent pas, à beaucoup près, les mêmes effets. Elles diffèrent par les motifs qui les ont dictées, par les principes qui en dirigent l’application, et surtout par la nature des marchandises qu’elles frappent. De là presque autant de systèmes qu’il y a de peuples commerçans. Sans entrer dans le détail de toutes ces dispositions diverses, il nous suffira de marquer nettement les caractères principaux qui les distinguent.

Certaines lois de douanes n’ont été établies que dans un intérêt fiscal, c’est-à-dire en vue d’un revenu. Tel est, par exemple, le caractère général de la législation douanière des États-Unis, au moins si on ne considère que le motif originaire de son institution. La cause du libre échange est en général désintéressée dans l’établissement de ces sortes de lois ; c’est une question d’impôt. En ce sens, le principe en serait irréprochable, s’il ne se démentait jamais dans l’application. Malheureusement il arrive presque toujours, si on n’y prend garde, que les droits établis dans l’unique intérêt du trésor public changent de caractère, en devenant presque immédiatement protecteurs ou restrictifs. L’exhaussement de prix qu’ils déterminent sur les marchandises étrangères excite à produire ces mêmes marchandises, avec des conditions moins favorables, dans le pays. Ainsi se forment à l’intérieur des industries parasites, qui se créent une vie artificielle, une prospérité factice, en détournant vers elle une partie des taxes qui devaient rentrer dans le trésor public. Ce système d’impôt, malgré sa douceur apparente, devient alors le plus onéreux de tous, lors même que les frais de la perception n’en sont pas très élevés, parce que le produit en échappe en grande partie aux mains du gouvernement auquel il est dû, pour aller se perdre à l’intérieur sur les établissemens particuliers que l’existence des droits a fait naître. Ajoutons que la source de ce genre de revenu peut même tarir quelquefois, lorsqu’il arrive que l’industrie nationale parvient, à la faveur des tarifs, à exclure entièrement de la consommation les marchandises étrangères.

Les recettes de la douane sont toutefois pour les gouvernemens une ressource précieuse et quelquefois nécessaire. Il ne s’agirait, pour en faire un impôt vraiment rationnel et en même temps fructueux, que d’éviter les écueils que nous venons de signaler. Il faudrait n’atteindre que des matières exotiques, qui n’auraient pas de similaires dans le pays, et se montrer d’ailleurs décidé, dans le cas où des équivalens viendraient à s’y produire, à les frapper d’un impôt semblable. Il faudrait en outre, ne pas élever trop haut l’échelle des droits, de manière à ménager une importation abondante de ces marchandises et à éviter la contrebande, dont l’action dissolvante n’est pas moins fatale aux intérêts du trésor qu’à la morale publique.

Quand les droits originairement fiscaux deviennent par occasion protecteurs, faute d’avoir été ordonnés selon les vrais principes, ils ne se distinguent plus guère en cela de ceux qui ont été réellement, établis en vue d’une protection, d’autant mieux que ces derniers ne laissent pas d’être souvent productifs de revenu. Il est très vrai d’ailleurs que dans la plupart des lois de douanes les deux principes se combinent ; on y poursuit à la fois un double but : protéger l’industrie nationale et pourvoir aux besoins de l’état ; et, bien qu’à certains égards ces deux principes soient exclusifs l’un de l’autre, on tâche de les concilier en faisant à chacun d’eux sa part. Selon que l’intérêt fiscal ou l’intérêt de la protection domine dans ces lois mixtes, les résultats en sont plus ou moins onéreux ou favorables. Et qu’on ne pense pas, d’ailleurs, que ce soit ici un médiocre objet. C’est pour avoir accordé depuis long-temps à l’intérêt fiscal une plus large place dans son système que l’Angleterre a pu, dès l’année 1839, élever les recettes de sa douane à la somme énorme de 486,673,000 fr., sans compter le produit du droit sur le tabac[1]. En donnant, dans les années suivantes, une nouvelle extension à ce principe, elle est même parvenue à douer cette branche de revenu d’une fécondité encore plus grande, tout en dégrevant un nombre considérable de produits, tandis qu’en France, où l’on a suivi des tendances contraires, bien qu’il n’y ait presque aucune marchandise étrangère que la douane n’atteigne, les recettes ne s’élèvent encore qu’à la somme relativement faible de 150 à 152 millions par ans. Qu’on juge par là de tout ce qu’il serait possible d’obtenir en France en y développant ce principe fécond. Quelle ressource méconnue ! quel puissant levier pour l’homme d’état qui voudra s’occuper sérieusement d’alléger le poids des charges publiques !

A ne considérer les droits de douane qu’au point de vue de la protection, ils se divisent en deux classes profondément distinctes, selon qu’ils s’appliquent aux articles manufacturés, et d’autres termes, aux produits du travail humain, ou aux produits naturels, fruits de l’exploitation du sol ou des mines.

Cette distinction est importante ; elle est, à bien des égards, le nœud du système restrictif. Nous savons qu’elle a été repoussée par plusieurs économistes, qui déclarent également pernicieux, également funestes, tous les droits protecteurs, à quelque nature de marchandises qu’ils s’appliquent. C’est une erreur dont on reviendra sans aucun doute après un examen plus attentif. Que les droits protecteurs soient toujours onéreux au pays qui les adopte, en ce sens qu’ils imposent aux habitans des sacrifices en pure perte, c’est ce que nous admettrons sans peine : il y a toutefois cette différence bien grave, que les restrictions mises à l’importation des articles manufacturés laissent subsister à l’intérieur une concurrence libre, illimitée, en sorte que les charges qui en résultent tendent, par la force des choses, à s’atténuer avec le temps, tandis que les droits qui atteignent les denrées du sol ou les produits des mines constituent, au profit des producteurs nationaux, des monopoles qui ne laissent aux consommateurs aucun espoir d’allègement.

On a beaucoup abusé de ce mot de monopole et le reproche qu’il implique a été souvent dirigé contre des industries qui ne le méritaient pas. Appliqué aux manufactures, et en général à toutes les industries dans lesquelles la concurrence est illimitée à l’intérieur, ce reproche est injuste et faux. Il n’y a point de monopole pour les producteurs dès l’instant que chacun peut à volonté élever à côté de leurs établissemens des établissemens rivaux. La concurrence, bannie du dehors, s’établit au dedans et y produit à peu près les mêmes effets, en ce sens du moins qu’elle restreint les bénéfices jusqu’aux limites du possible. Que si, à la faveur des tarifs, les produits nationaux se vendent alors plus cher que les produits étrangers, comme nous le voyons en France, cette aggravation de prix dont il n’est pas juste de dire que les manufacturiers profitent, représente seulement l’exact équivalent des charges que le régime restrictif leur impose et des faux frais auxquels il les condamne ; mais ce qui n’est pas vrai par rapport aux industries susceptibles de s’étendre indéfiniment à l’intérieur est rigoureusement vrai par rapport à celles dont la croissance est limitée, soit par la nature des choses, soit par quelque erreur des lois. Or, telle est en général, bien qu’à des degrés différens, la situation de toutes les industries qui s’appliquent à l’exploitation de la terre, soit qu’elles se bornent, comme l’agriculture proprement dite, à en exploiter la surface, soit qu’elles pénètrent dans ses entrailles pour en arracher les produits minéraux qu’elle renferme.

Comme il a des hommes qui voient partout le monopole, il y en a d’autres qui le nient dans tous les cas. « La protection, un privilège, un monopole ! s’écriait M. de Saint-Cricq ; mais je ne reconnais de privilège que dans le droit individuel de faire ce qui est défendu à autrui, de monopole que dans la faculté individuelle d’exploiter un profit auquel il est défendu à autrui de prétendre Si vous dites qu’un tel monopole existe dans nos lois pour quelques-uns, vous vous trompez ; si vous dites qu’il existe pour quiconque aura la volonté d’y prendre part, je ne vous comprends plus. » Appliqués à l’industrie manufacturière, ces réflexions sont justes, parce qu’ici le privilège, si privilège il y a, existe véritablement pour quiconque a la volonté d’y prendre part. En est-il de même pour l’exploitation des mines ? Évidemment non. Cela n’est guère plus vrai quant à l’exploiration du sol, et voilà pourquoi, dans ces deux cas particuliers, l’influence du monopole se fait toujours sentir.

Il est impossible qu’en y réfléchissant un peu, on ne remarque pas à quel point la condition de ces dernières industries diffère de la condition de toutes les autres. et nous insistons sur cette vérité parce qu’elle est capitale, à tel point qu’elle doit être le principe ou le fondement de toutes les réformes à venir. L’étendue du territoire d’un pays étant bornée par la nature, le nombre des exploitations rurales ne peut pas s’y multiplier au gré des besoins, ni même en raison des bénéfices qu’elles rapportent. Dès-lors plus de concurrence indéfinie au dedans. Dès-lors aussi, nulle garantie que les prix des denrées baisseront jusqu’aux limites du possible : c’est par d’autres lois que ces prix sont gouvernés. Ce qui est vrai de l’agriculture l’est encore plus peut-être de l’exploitation des mines, surtout quand il arrive, comme c’est le cas particulier de la France, que les produits de ces mines ne suffisent même pas à la consommation locale. Ici le privilège que les tarifs confèrent aux producteurs nationaux est absolu. C’est un monopole véritable, plus ou moins étroit, plus ou moins abusif, selon les cas. Aux frais ordinaires de la production, aux charges qui résultent des restrictions douanières, viennent donc s’ajouter les profits du monopole, profits qui se convertissent en rente foncière, prélevée, à l’avantage de l’heureux possesseur du fond, sur la foule des consommateurs, bien qu’à vrai dire la plus grande partie de ces prélèvemens s’anéantisse, sans aucun avantage pour personne, dans l’exploitation mal entendue qu’un tel système engendre.

Rendons ces différences sensibles par un exemple, en comparant les résultats des restrictions douanières par rapport à deux produits, l’un naturel, l’autre ouvré. Supposons que, le commerce étranger les livrant l’un et l’autre à 100 francs, l’établissement d’un droit de 20 pour 100 en élève tout à coup le prix à 120 francs dans le pays. Certes, il pourra bien arriver que, dans le moment présent, l’effet soit le même pour les deux cas, en ce sens que les producteurs nationaux profiteront également de toute l’augmentation du prix, et que les consommateurs supporteront en conséquence des deux côtés une perte égale de 20 francs ; mais cette similitude ne se soutiendra pas long-temps. L’établissement des manufactures étant libre et illimité dans le pays, si un accroissement de 10 francs sur les prix assure aux manufactures existantes de plus amples bénéfices, elles ne tarderont pas à voir surgir des concurrens. Dès-lors, et par l’effet seul de cette rivalité croissante, les prix tendront naturellement à baisser. Pour peu que la population du pays soit apte au travail manufacturier, que les institutions civiles ou politiques y soient d’ailleurs favorables, et pourvu que d’un autre côté les matières premières et les agens du travail s’obtiennent à bon marché, ces prix ne tarderont pas à tomber, même sans l’intervention de la concurrence étrangère, de 120 francs à 115, 110, 105 et au-dessous, en sorte que la différence du prix artificiel au prix du commerce libre s’atténuera de jour en jour. Et rien n’empêchera même qu’après un certain temps d’épreuve, les manufacturiers du pays venant à égaler ceux du dehors, cette différence ne s’efface entièrement. Alors la protection cessera d’agir, et la taxe imposée au pays dans l’intérêt de ses manufactures disparaîtra. C’est ce qui est arrivé depuis assez long-temps en Angleterre, par rapport à la plupart des articles manufacturés. C’est ce qui serait arrivé tout aussi infailliblement en France, si le législateur n’y avait éloigné ce résultat comme à plaisir, en maintenant contre toute raison les hauts prix des matières brutes. Il n’en est pas de même pour les produits naturels. Ici plus de concurrence indéfinie qui limite les prix dans le présent, ou qui les fasse baisser dans l’avenir. Les producteurs actuels, maîtres du marché, en jouissent sans trouble et l’exploitent sans remissions. Aussi, dans l’hypothèse que nous, venons d’admettre, le prix de 120 francs, une fois établi par le tarif, se maintiendra toujours. Il y a plus. Les prix de ces sortes de marchandises eussent-ils été précédemment aussi bas dans le pays qu’ils le sont au dehors, le seul établissement des droits restrictifs suffit pour les faire hausser d’un chiffre égal à tout le montant de ces droits, sans que dans la suite aucune circonstance puisse altérer, sinon accidentellement, ces proportions. Le progrès même de l’industrie, en supposant que le progrès soit possible dans ce cas, n’y fait rien. Sil amène une simplification dans le travail et une économie dans les frais de la production, il ne détermine pas pour cela la baisse des prix ; c’est le propriétaire du fonds qui en profite. La rente s’élève, et voilà tout. Ajoutons, toutefois, que cette élévation de la rente ne correspond jamais à la perte subie par le consommateur, parce qu’une exploitation mauvaise, inféconde, est la conséquence inévitable d’un tel régime.

En ce qui regarde les produits des mines, la vérité de cette observation est tellement frappante, elle ressort si clairement des circonstances mêmes du fait, qu’on est vraiment étonné que les esprits les moins clairvoyans ne l’aient pas dès long-temps comprise Aussi, pour notre part, sommes-nous toujours profondément surpris quand nous voyons des hommes éclairés, des hommes de sens, supposer qu’un temps viendra où, par le seul effet du progrès de notre industrie métallurgique, les fers français tomberont au même prix que les fers étrangers, et prétendre qu’il faut attendre cet heureux moment pour supprimer les droits. Disons hautement que ce jour attendu n’arrivera pas. Jamais, tant que les droits actuels subsisteront, les fers français, avec, quelque économie qu’on les produise d’ailleurs, ne descendront aux prix des fers étrangers, car le monopole est là qui s’y oppose. Toujours la différence actuelle se maintiendra, et de plus, sauf quelques variations accidentelles, cette différence sera, dans la suite des temps, comme elle l’est aujourd’hui, sensiblement égale à tout le montant des droits. Et ne suffit-il pas de considérer le passé pour s’en convaincre ? Certes, l’industrie métallurgique française a fait de grands progrès depuis trente ans, moins rapides, à coup sûr, que ceux qu’elle aurait pu faire sous l’empire du commerce libre, mais réels et sensibles. Chaque année, toutes les voix de la renommée les proclament. De 1831 à 1843, la production s’est élevée, pour la fonte, de 2,248,054 quintaux métriques à 4,226,219, et pour le fer, de 1,410,571 à 3,084,450, c’est-à-dire que cette production a doublé en douze ans. Ses procédés se sont aussi notablement perfectionnés. Un grand nombre de nos maîtres de forges ont appris à remplacer avec avantage le charbon de bois par la houille. Dans le groupe si important de la Champagne, où la houille ne peut arriver qu’à très grands frais, ils ont appris à économiser considérablement le bois. Qu’en est-il résulté cependant pour le consommateur ? Aucune amélioration sensible, en ce sens, du moins, que le rapport des prix français aux prix étrangers s’est maintenu sans altération sur le marché. Les prix ont baissé sans aucun doute selon toute apparence, ils baisseront encore, pourvu que la concurrence étrangère, qui n’est pas entièrement bannie les sollicite et les presse. Avec tout cela, cependant, une différence égale au chiffre des droits s’est constamment maintenue dans le passé, et on peut dire à coup sûr qu’elle se maintiendra, par la même raison dans l’avenir.

Tout ce passé de notre industrie métallurgique est plein d’enseigne mens, dont malheureusement on ne profite guère. Avant 1814, sous l’empire le droit sur les fers étrangers n’était que de 4 francs les 100 kilogrammes En outre, la Belgique étant alors province française, nos forges de l’intérieur avaient à lutter contre celles de la Belgique à égalité parfaite de conditions. Si l’on en juge par ce qui se passe aujourd’hui, on croira peut-être que ces établissemens succombaient tous sous ce régime. Qu’on se détrompe. Protégées, d’une part, par un droit si faible ; exposés, de l’autre, sans protection aucune, à une concurrence que nous jugeons les aujourd’hui si redoutable, les forges françaises, c’est M. de Saint-Cricq lui-même qui l’atteste, prospéraient ; elles avaient pris un immense développement. Il est vrai que M. De Saint-Cricq attribue cette prospérité à des causes particulières ; mais, sans nous arrêter à cette interprétation, laissons les faits s’expliquer d’eux-mêmes. Les fers français se présentaient donc alors sur le parché à des prix fort peu supérieurs à ceux des fers étrangers, et parfaitement égaux aux prix des fers belges. En 1814, sous prétexte que l’ouverture des ports mettait la métallurgie française en péril, on se hâta d’élever le droit d’importation sur les fers étrangers à 15 francs les 100 kilogrammes. Qu’arriva-t-il ? En peu de temps, les prix s’élevèrent de toute l’importance du droit, et cela pendant que la Belgique, partie du même point que nous, mais qui avait eu la sagesse, après sa séparation d’avec la France, de suivre d’autres erremens, continuait, sans trop d’efforts, disons mieux, avec des avantages croissans, à braver la concurrence étrangère. Ce n’est pas tout. Quelque élevé que fût le droit de 15 francs par 100 kilogrammes établi en 1814, nos maîtres de forges ne s’en contentèrent pas long-temps. L’Angleterre ayant, vers cette époque, donné une grande extension au traitement du fer par la houille, on s’avisa que cette fabrication, alors nouvelle, menaçait d’une ruine imminente nos établissemens métallurgiques. On crut donc devoir, en 1822, tout en maintenant l’ancien droit par rapport aux fers fabriqués au bois, établir sur les fers traités à la houille un droit spécial de 25 francs. Il en résulta une nouvelle augmentation dans les prix, ou du moins dans la différence des prix français aux prix étrangers. Cette différence se maintint, du reste, sans altération sensible jusqu’en 1836, époque où le droit sur les fers traités à la houille fut ramené au chiffre actuel de 18 francs 75 centimes les 100 kilogrammes. Avons-nous besoin d’ajouter que, si le prix du fer a baissé sous l’empire de ce nouveau tarif, il s’éloigne toujours des prix anglais de toute l’importance du droit[2] ? C’est, en effet, ce qui résulte de la seule comparaison des cours.

Ces vérités, qu’on s’explique facilement quand il s’agit des fers, dont la production est réellement insuffisante pour le pays, paraîtront, au premier abord, moins évidentes en ce qui concerne les produits du sol, parce qu’après tout, si le nombre des exploitations rurales est borné par la nature, il est pourtant considérable et semble ouvrir un champ assez large à la concurrence des producteurs il est certain pourtant que cette concurrence intérieure, si étendue qu’elle paraisse, ne suffit pas, et l’expérience le prouve. Voyez, par exemple, ce qui s’est passé en Angleterre depuis tantôt un demi-siècle. Le parlement s’y est avisé autrefois, — par quels motifs ? c’est ce qu’il est inutile d’examiner ici, — de frapper de droits à peu près pareils à l’importation les articles manufacturés et les produits du sol. Qu’en est-il résulté ? L’établissement de ces droits n’a pas empêché les manufactures anglaises d’arriver par degrés, quand elles ont obtenu la libre importation des matières premières, à niveler les prix de leurs articles avec ceux des articles étrangers, et même à les porter souvent plus bas. Pour les produits du sol, rien de semblable. De 1815 à 1846, le prix des blés, malgré des variations accidentelles, d’ailleurs très violentes et très brusques, s’est maintenu dans les mêmes limites, ou, s’il a baissé dans une certaine mesure, c’est uniquement parce que le droit a baissé[3]. On vante pourtant les progrès de l’agriculture anglaise, on en raconte des merveilles. On va jusqu’à dire que les champs cultivés en blé rendent, grace à l’abondance des engrais dont on les charge, 35 pour 1, tandis qu’ils ne rendraient que 6 pour 1 en France[4]. Eh bien ! en quoi les consommateurs ont-ils profité de ce progrès ? Ils n’y ont gagné ni l’abondance des blés, ni le bas prix. Même observation pour la viande de boucherie. Qui n’a entendu parler des belles races de bêtes à cornes, des innombrables troupeaux de moutons que l’Angleterre nourrit ? qui ne connaît, au moins par ouï-dire, ses magnifiques pâturages, si étendus, si gras, si verts ? On est émerveillé de ce qu’on raconte sur l’habileté acquise par les cultivateurs anglais dans l’élève et l’engrais des bestiaux. Avec tout cela, la viande est restée chère en Angleterre : nous n’avons pas appris que, jusqu’à la dernière réforme, le prix en ait baissé depuis trente ans, tant il est vrai que, pour ces sortes de produits, le progrès même n’a pas d’action sur les prix. Faut-il citer des exemples pris en France ? ils ne manqueront pas. Autrefois toutes les denrées du sol étaient, en France, à fort peu de chose près, au même prix que dans les états voisins. Depuis qu’on s’est avisé en 1814, et dans les années suivantes, de les charger de droits à l’importation, elles y sont devenues plus chères, et cela d’un chiffre sensiblement égal au montant des droits. C’est ce qu’on peut remarquer pour les blés, les bestiaux, les lins, les chanvres, les laines, et généralement tous les produits agricoles. Pareille observation pour la Belgique et pour les états du Zollverein, pays renommés, il y a quinze ans à peine, pour le bas prix des objets de consommation naturels, et où des droits mis à l’importation de ces denrées ont produit des effets exactement semblables. Aussi un de nos agronomes les plus distingués, M. Moll, signalait-il, en 1843, à la suite d’un voyage fait en Allemagne, par ordre de M. le ministre du commerce, l’augmentation rapide que le prix du bétail et de la viande y avait éprouvée depuis dix ans[5]. Et à quelle cause attribuer cette augmentation, si ce n’est aux droits établis précisément en 1833 sur les bestiaux étrangers[6] ? Ainsi, non-seulement les prix de ces denrées se maintiennent, quoi qu’il arrive, sous l’empire des tarifs protecteurs, mais encore ils s’élèvent rapidement de toute l’augmentation des droits.

Voilà donc déjà, dans les lois restrictives de l’importation étrangère, trois données parfaitement distinctes, qui engendrent autant de système différens : 1° droits d’importation simplement productifs de revenu, système le meilleur sans aucun doute, et qui serait même irréprochable si on savait en éviter les écueils ; 2° droits protecteurs sur les articles manufacturés, système vicieux, en ce qu’il impose aux consommateurs des taxes que le trésor public ne perçoit pas, tolérable pourtant en ce que ces taxes s’atténuent et doivent même disparaître entièrement dans l’avenir, 3° droits protecteurs sur les produits naturels, système le plus vicieux, le plus abusif de tous, système vraiment intolérable, car, outre qu’il atteint les objets les plus nécessaires à l’homme, comme il constitue au profit des producteurs des monopoles réels, les charges qu’il impose au consommateur se perpétuent sans aucun espoir d’atténuation dans l’avenir.

Cette énumération serait toutefois incomplète si nous ne distinguions encore, dans l’ordre des produits naturels, ceux qui sont destinés, comme matières premières ou comme agens du travail, à alimenter les ateliers industriels, de ceux qui servent directement à la nourriture de l’homme. Qu’on ne se récrie pas contre cette nouvelle distinction, elle est aussi importante que juste. A vrai dire, jamais ni législateur, ni économiste n’aurait conçu de prime abord la pensée de séparer, pour les soumettre à des régimes différens, ces deux genres de produits, qui sont, après tout, de même nature. Ce n’est guère qu’en Angleterre que cette anomalie se présente, et elle s’explique par la situation particulière et par l’histoire de ce pays. Là, depuis long-temps, deux puissances ennemies sont en présence : d’une part, l’aristocratie terrienne qui travaille à conserver les monopoles dont elle jouit ; de l’autre, la classe manufacturière, qui lutte avec une ardeur égale pour obtenir l’affranchissement des produits naturels que ses besoins réclament. Or, si jusqu’à ces derniers temps l’aristocratie a été généralement victorieuses dans ces luttes, il est pourtant vrai qu’elle avait déjà fait à sa rivale d’importantes concessions, et c’est aux matières premières que s’appliquaient toutes les réductions de droits antérieures aux dernières réformes. Voilà comment s’est établie, par le concours de certaines circonstances exceptionnelles, cette distinction à laquelle nul ne se serait arrêté d’abord.

Si nous cherchons maintenant à suivre dans leurs conséquences les divers systèmes que nous venons d’énumérer, en laissant à part, toutefois, les dispositions fiscales dont nous n’avons point à nous occuper en ce moment, voici ce que nous trouverons :

Les lois qui restreignent l’importation des articles manufacturés tendent évidemment à développer le travail manufacturier dans un pays. S’il n’existe pas de manufactures, ces lois ont pour résultat naturel de les faire naître, en offrant, aux dépens des consommateurs, une prime aux capitaux qui voudront s’y engager. Quand il en existe, elles tendent encore à en augmenter le nombre par l’appât des gros profits. Pour que ce résultat soit obtenu, il faut, il est vrai que les primes offertes soient plus ou moins considérables, selon que les circonstances intérieures se prêtent plus ou moins au succès de ce genre d’industrie. A cela près, on peut dire que, pour un peuple placé dans des conditions ordinaires de travail et suffisamment avancé d’ailleurs dans la civilisation, des droits même modérés établis sur les articles étrangers suffiront pour le porter activement vers les manufactures.

Sera-ce un bien ou un mal ? A nos yeux, cette question n’est pas douteuse. S’il est bon qu’un peuple se livre au travail manufacturier, ce n’est qu’autant que ses tendances naturelles l’y portent. Produites par l’excitation artificielle des droits restrictifs les manufactures coûtent trop cher au pays qui les possède. Ajoutons qu’elles s’y ordonnent toujours mal, surtout dans le principe, lorsque, trop faibles encore pour soutenir la concurrence étrangère, elles voient leur sphère d’action bornée de toutes parts par les limites de leur pays. Ce n’est que plus tard, lorsqu’elles commencent à se produire au dehors, qu’elles s’organisent sur un meilleur plan ; mais, pour arriver à ce nouvel état, que de transformations à subir ! De là des crises douloureuses, des perturbations funestes, châtimens ordinaires de ces erreurs. Ce qu’il est important de remarquer, c’est que des manufactures créées prématurément sous l’influence des tarifs protecteurs détournent les capitaux de l’agriculture, avant que ces capitaux se soient suffisamment accumulés pour être conduits à chercher par eux-mêmes des directions nouvelles. L’industrie agricole en souffre doublement, et parce que les capitaux s’éloignent d’elle avant le temps, et parce qu’elle perd, sous un tel régime, ses principaux moyens d’échange avec l’étranger.

Si les droits protecteurs qui s’appliquent aux produits ouvrés ont pour résultat de développer le travail manufacturier dans un pays, il semble naturel de croire que des droits pareils établis sur les denrées du sol développent à leur tour l’agriculture. On a dû comprendre cependant, par tout ce qui précède, que l’analogie n’existe pas. D’abord il est impossible que des lois restrictives provoquent, en agriculture, l’érection d’exploitations nouvelles, puisque le nombre de ces exploitations est fatalement borné par l’étendue du territoire. L’effet de ces lois sera-t-il au moins d’imprimer une activé nouvelle aux exploitations existantes ? Loin de là. Ici tout l’effet de cette excitation artificielle est annulé par le monopole dont les producteurs jouissent. Puisque les droits qui s’appliquent aux denrées du sol tendent invariablement, comme on l’a vu à exhausser la valeur vénale de ces denrées, ils ont pour conséquence première de fermer à l’agriculture les débouchés extérieurs, en rendant la vente de ses produits très difficile, sinon impossible, à l’étranger. En outre, le débouché intérieur se restreint sous l’influence de la même cause. Malgré les droits protecteurs les denrées étrangères ne laissent pas d’arriver sur le marché, parce qu’à mesure que ces droits s’élèvent, comme la valeur vénale des produits nationaux s’élève dans la même proportion, elle offre aux produits étrangers une prime toujours croissante. Pour arrêter entièrement l’importation, il faudrait une prohibition absolue ; mais cette prohibition est impossible, au moins pour le plus important des produits du sol, le blé, car, si elle existait jamais, le prix de cette denrée nécessaire s’élèverait si haut, il produirait en peu de temps un tel excès de misère dans le pays, que les barrières des douanes tomberaient bientôt devant le cri général d’un peuple affamé. L’importation est donc inévitable dans tous les cas. D’où il suit que les droits protecteurs établis sur les denrées du sol, loin d’encourager, d’étendre l’industrie agricole, l’amoindrissent et la restreignent de toutes parts.

Tout ce que nous disons ici paraîtra sans doute étrange au premier abord, car rien n’est plus contraire, nous le savons, aux idées généralement reçues. Qu’on veuille pourtant jeter les yeux autour de soi, et on verra que nous n’avançons rien qui ne soit confirmé d’une manière éclatante par une masse imposante de faits. Nous pourrions invoquer tour à tour à l’appui de ces déductions l’exemple de l’Angleterre, de la France, de la Belgique, du Zollverein allemand et de tous les autres pays où l’importation des denrées du sol a été, à un degré quelconque, restreinte par les lois. On y toucherait en quelque sorte du doigt l’infaillible résultat de ces mesures. On verrait l’exportation des produits du sol diminuer à mesure que les droits protecteurs s’établissent, diminuer encore lorsque ces droits s’élèvent, et enfin cesser entièrement lorsque ces mêmes droits arrivent, comme en Angleterre, à un certain degré d’élévation, et tout cela sans que l’importation de ces produits, plus irrégulière il est vrai, en soit pour cela moins forte.

Si l’on rassemble les données qui précèdent, on sera frappé de ce fait remarquable, que les lois restrictives, à quelque objet qu’elles s’appliquent, et quelle que soit à d’autres égards la variété de leurs effets, qu’elles surexcitent les manufactures comme en Angleterre, ou qu’elles les dépriment comme nous le voyons en France, ont toute pour conséquence finale d’amoindrir, ou directement ou indirectement, l’agriculture : triste vérité, bien digne des méditations du publiciste et des préoccupations de l’homme d’état.


II.

Appuyé sur les vérités générales qui précèdent, il ne nous sera pas difficile de juger dans son principe et dans ses conséquences la politique commerciale adoptée dans les états les mieux connus. Nous pouvons dire que nous tenons entre nos mains la clé de tous les phénomènes si divers dont l’existence des peuples commerçans nous offre le spectacle. Pas un de ces phénomènes dont nous ne soyons en mesure de rendre compte, pas un pays dont nous ne soyons presque en état de dérouler le tableau intérieur, rien qu’à analyser les dispositions de ses tarifs.

S’il y a des pays dans le monde qui n’aient point de tarifs de douanes, ceux-là sont à coup sûr, en tout ce qui touche à la vie matérielle, les plus heureux, pourvu que les vices d’une administration négligente ou tracassière n’y détruisent pas d’ailleurs les salutaires effets de ce régime bienfaisant. Un juste équilibre s’y maintient entre les productions diverses ; l’agriculture et l’industrie manufacturière y sont également en progrès, bien que celle-là doivent naturellement occuper la première place, surtout dans les pays nouveaux. Point de perturbations fâcheuses, point de crises funestes ; jamais de famines ni de disettes ; ce sont là les fruits amers des systèmes restrictifs. Quant à la classe ouvrière, elle y trouve un travail régulier et constant, bien que le salaire puisse être plus ou moins élevé, selon l’état du crédit.

La Suisse est à peu près dans ces heureuses conditions, et elle en recueille les fruits, quoique la bienfaisante influence de ce régime y soit à bien des égards neutralisée, soit par la division politique du pays, soit encore par des conditions trop géographiques, et surtout par les entraves d’un autre genre qu’on y a multipliées nomme à plaisir. Tous les cantons s’y efforcent, à l’envi l’un de l’autre, de saisir et de grever le produits sous toutes les formes, par des droits généralement faibles, mais répétés à l’infini : droits de licence, d’octroi, de pontonnage, de route, de pavé, de balance, de vente, d’entrepôt, etc. Ces entraves intérieures, qui n’altèrent pas du reste l’application du principe du libre échange, puisqu’elles n’établissent aucune différence de prix entre les denrées étrangères et les denrées nationales, atténuent bien malheureusement en Suisse les avantages que la liberté du commerce extérieur procure ; il en reste assez néanmoins pour attester la fécondité de ce principe. « J’ai pénétré, disait M. Cobden dans une des mémorables séances de la ligue, j’ai pénétré dans ce pays par tous les côtés : par la France, par l’Autriche et par l’Italie, et il faut vouloir tenir ses yeux fermés pour ne pas apercevoir les remarquables améliorations que la liberté du commerce a répandues sur la république ; le voyageur n’a pas plutôt traversé la frontière, qu’elles se manifestent à lui par la supériorité des routes, par l’activité et la prospérité croissante des habitans[7]. » On a déjà vu, par quelques-uns des faits que nous avons cités, et auxquels nous pourrions en ajouter bien d’autres, que le progrès de l’industrie manufacturière n’y est pas en reste avec le progrès de la culture du sol.

Pareille, ou peu s’en faut, était la situation de la Saxe avant qu’elle se fût absorbée dans l’association douanière allemande[8]. Avec un sol pauvre, avec une administration douce, mais peu active, n’ayant d’ailleurs ni capital ni crédit, ce petit pays avait réussi à se créer, grace à la liberté des échanges au dehors, une industrie manufacturière puissante, capable de se mesurer avec l’industrie anglaise sur les marchés lointains. Et pourtant, sans parler de la faiblesse des ressources de ce pays tout faisait obstacle à sa prospérité : sa situation géographique, sa petitesse, sa dépendance, et surtout la politique suivie par les états voisins. Sans contact avec la mer, entouré d’une multitude de petits états dont les douanes s’élevaient à chaque pas comme des barrières, privé de la faculté d’entrepôt, et, à certains égards même, des facilités du transit, il avait triomphé de tant d’obstacles par la seule vertu du principe qu’il avait adopté. Si les salaires y étaient faibles, ils étaient sûrs, et le bas prix, des subsistances en compensait l’exiguïté. Ils se fussent levés sans peine, si, à la salutaire action du régime du libre échange, la Saxe avait ajouté celle des institutions de crédit.

Ils sont malheureusement en petit nombre les pays qui ont adopté cette sage conduite : partout ailleurs une politique plus ou moins restrictive a prévalu. Disons pourtant que la plupart des gouvernemens se sont abstenus de frapper de droits les produits naturels Sans comprendre toute la gravité des restrictions qui atteignent les produits de ce genre, sans être retenus par la crainte des monopoles que ces restrictions engendraient, ils se sont arrêtés, par une sorte de pudeur instinctive, quand il s’est agi de toucher à ces denrées précieuses qui sont l’aliment nécessaire de tous les travaux utiles, ou qui servent directement à la nourriture des hommes. Ce n’est guère que dans les états constitutionnels, où l’influence des propriétaires fonciers domine, qu’on s’est écarté de cette sage réserve. Nous avons déjà signalé ailleurs cette triste vérité[9], et nous sommes obligé de la répéter ici, non pas assurément par aucun sentiment d’hostilité contre une classe respectable dont nous serions, au contraire, disposé à servir les intérêts légitimes, mais parce qu’il faut bien défendre la société entière contre les envahissemens d’un intérêt trop exclusif. Ailleurs que dans les états constitutionnels, c’est en général aux seuls produits manufacturés que les restrictions s’appliquent.

L’ambition de la plupart des peuples, surtout de ceux qui naissent à la civilisation, est de posséder des manufactures. Il semble qu’il y ait dans les établissemens de ce genre un éclat décevant, qui flatte et qui séduit. Tous veulent être manufacturiers, et tous aussi veulent l’être avant le terme, comme s’il y avait quelques privilèges particuliers attachés à ce travail. Il semble qu’un peuple ne soit content de lui-même, qu’il se juge incomplet, s’il ne possède pas, lui aussi, ces brillans joyaux qui forment l’apanage naturel de certaines nations plus avancées dans la carrière : on paraît croire que les manufactures, au lieu d’être le fruit d’un certain ordre social, en sent au contraire les instrumens, et les mobiles Les yeux fixés sur les pays qui les possèdent, pays dont on envie l’éclat sans en sonder les misères, on s’enfle, on se travaille, dans l’espoir trompeur de s’égaler à eux. De là tant de mesures restrictives dirigées de toutes parts contre les produits ouvrés, mesures fâcheuses par rapport au mouvement général du commerce du monde, nuisibles à toutes les nations qui prennent part à ce commerce, funestes surtout aux pays qui les adoptent. La Russie a voulu et veut avoir des manufactures, quoiqu’il lui manque et des chefs pour les conduire et des ouvriers pour y exécuter les travaux, car ce n’est pas dans la classe des serfs que de semblables ouvriers se recrutent. L’Égypte aussi veut être manufacturière, avec des conditions à peu près pareilles, mais plus défavorables encore. N’avons-nous pas entendu naguère le Brésil, après l’expiration de son traité avec l’Angleterre, déclarer à la face du monde qu’il allait entrer dans la même voie par des dispositions hautement restrictives, le Brésil, qui n’a pour ouvriers que des esclaves, dont l’unique capital est dans la fertilité de ses terres et dans les ardeurs de son climat, et devant lequel s’ouvre d’ailleurs une immense étendue de terrains vierges à exploiter ? Tous les pays de l’Italie, sans en excepter les états du pape, aspirent également à devenir manufacturiers, et par des moyens semblables, quoiqu’il soit juste de dire que plusieurs gouvernemens y manifestent depuis peu des tendances plus libérales. Quant à l’Espagne, elle est entrée depuis long-temps, on le sait, dans la voie des mesures prohibitives, et elle y a persisté au milieu de toutes les vicissitudes politiques qu’elle a subies. Les provinces basques sont les seules qui aient pratiqué jusqu’à ces derniers temps le principe du libre échange ; aussi sont-elles de beaucoup les plus florissantes, les plus heureuses, quoique le fléau de la guerre civile se soit plus particulièrement appesanti sur elles. L’aspect de ces provinces tranche vivement sur le sombre tableau qu’offre dans toute son étendue la péninsule ibérique : c’est une oasis dans le désert. Ainsi, grace à l’excitation violente des tarifs protecteurs, à laquelle on ajoute quelquefois des encouragemens d’une autre sorte, les manufactures se propagent de toutes parts, même dans les pays les moins préparés à les recevoir, et chez les peuples les moins aptes à les faire prospérer.

Quant aux peuples plus avancés et auxquels une part du travail manufacturier revient de droit, comme l’Allemagne, par exemple, ils ne se contentent pas de cette juste part que la nature des choses leur donne ; ils veulent à tout prix, par une excitation artificielle, l’étendre au-delà de ses limites. C’est l’œuvre que poursuit, depuis son organisation, le Zollverein allemand, sans considérer que par là il fausse le mouvement industriel du pays encore plus qu’il ne l’étend. Ainsi fait le peuple américain, bien qu’aux États-Unis la direction change parfois selon que l’un ou l’autre des partis opposés domine.

Long-temps la république des États-Unis a pratiqué, comme la Suisse et la Saxe, la doctrine du libre échange, et nul autre pays n’en a tiré des avantages plus éclatans. Là toutes les circonstances étaient d’ailleurs favorables : une belle ligne de côtes maritimes ; une navigation intérieure sans égale ; un territoire fertile et sans bornes ; un crédit étendu, puissant, bien que mal assis et peu solide ; un ordre intérieur admirables, malgré les imperfections et les irrégularités qu’on y rencontre et dont les regards des Européens sont offusqués ; enfin des institutions simples, larges, fécondes, qui laissent au dedans comme au dehors une liberté industrielle sans limites. Aussi quel admirable développement de puissance commerciale, agricole et maritime ! quelle rapide accumulation de la richesse ! quel bien-être pour les masses, et pour l’éclat quel éclat et quelle grandeur ! On s’en souvent encore, car ces merveilles de croissance ne sont pas encore loin de nous, et ce n’est guère qu’en 1842 que le tarif de l’Union américaine est devenu sérieusement restrictif. Mais déjà ce bel astre pâlit, et le déclin commence. Sans parler des luttes sourdes que l’adoption du système soi-disant protecteur fait naître là comme partout, et qui pourraient un jour compromettre l’unité de l’état, quelques symptômes de décadence se révèlent. L’agriculture s’arrête dans ses progrès. On ne voit plus, par exemple, la production du coton, qui en est une des branches principales, suivre comme autrefois d’un vol rapide la marche ascendante de l’industrie européenne et satisfaire sans peine ses besoins croissans. Les sources du bien-être tarissent peu à peu, et bientôt le paupérisme naîtra. Si ces symptômes funestes ne sont pas encore très visibles de loin, ils ne tarderont pas à frapper tous les regards.

C’est dans un intérêt purement fiscal que les douanes des États-Unis ont été d’abord instituées. En ce sens, le système américain n’était à l’origine qu’une application de ce principe que nous avons regardé comme inoffensif et même fécond, celui des droits non protecteurs, mais seulement productifs de revenus. Malheureusement on n’a pas su éviter les écueils dont ce système est semé. Etablis sur une assez grande variété d’articles, la plupart manufacturés, les tarifs ont bientôt changé de caractère et sont devenus protecteurs, quoi qu’on en eût. Derrière la ligne des douanes se sont élevées ces industries parasites dont nous parlions plus haut, qui, profitant de l’augmentation survenue dans la valeur vénale des articles frappés de droits, ont fait tourner cette augmentation à leur profit ; pompant le revenu public, vivant d’une vie artificielle, se créant une prospérité factice dont le trésor fait tous les frais : industries d’ailleurs brillantes dans leurs développemens, que les nationaux admirent, dont il sont fiers peut-être ; et qu’il regardent comme une richesse nouvelle ajoutée à toutes les autres, parce qu’ils ne voient pas la source impure qui les nourrit. Cette tendance, il faut le dire, n’est pas nouvelle aux États-Unis, car les tarifs n’y datent pas d’hier, mais les droits y ont été long-temps modérés, et telle était la prospérité des branches réellement fécondes de l’industrie nationale, qu’il a fallu des droits très élevés pour en détourner les capitaux et les hommes, et les engager à se porter avec quelque ardeur et quelque suite dans ces directions nouvelles où ils avaient à soutenir une lutte inégale contre les manufactures européennes.

Ce qui a fait long-temps la véritable grandeur ou la prospérité de l’Union américaine, c’est le prodigieux développement de son agriculture, suivi d’un progrès correspondant de sa marine marchande. Tous les capitaux engagés dans ces directions y rapportaient, grace aux circonstances favorables dont nous avons parlé, des bénéfices considérables, qui se répartissaient avec une largesse égale entre le capital et le travail. Voilà précisément ce que l’application des tarifs vient changer. Aux sources si fécondes où les Américains puisaient une somme de richesse et de bien-être incomparable, ils tendent à substituer ces industries européennes déjà appauvries par une concurrence trop générale et trop ardente, et où les populations de l’Europe même ne trouvent qu’une existence assez chétive : faute énorme, erreur funeste qui déjà commence à porter ses fruits. La condition du peuple des États-Unis est encore à tout prendre fort supérieure à celle des peuples de l’Europe, car son état social résiste aux malheureuses tendances qu’on lui imprime. Osons le dire cependant, les beaux jours de l’Union américaine, les jours vraiment heureux, vraiment prospères, sont passés, nous ne disons pas sans retour, mais peut-être pour long-temps. Ce pays est sur une pente fata1e. A l’exemple des pays de l’Europe, dont il a pendant long-temps nargué les misères, il s’enfonce dans une ornière profonde d’où il ne sortira peut-être qu’après de longs malheurs.

Une fois entrés dans cette voie, il est malheureusement difficile que les Américains s’arrêtent. Outre que le préjugé national s’en mêle, et que ces mots creux ces mots barbares, système américain, industrie nationale, industrie indépendante, étourdissent et aveu1ent les esprits, il y a là une logique entraînante qui mène les gouvernemens et les peuples presque malgré eux. On commence par des droits modérés qui ne portent d’ailleurs que sur un petit nombre d’articles, et semblent néanmoins promettre un ample revenu ; mais ce revenu, l’industrie qui se forme à l’intérieur, derrière la ligne des douanes et sous l’égide des tarifs, l’industrie parasite le ronge et le dévore ; il s’affaire, il décline peu à peu ; pour le retrouver dans sa première ampleur, il faut arriver bientôt à atteindre un plus grand nombre d’articles et à augmenter les droits. Ainsi, par une pente naturelle, le régime restrictif s’étend et se renforce, et comme, à mesure qu’il gagne, le ver rongeur qu’il engendre ne fait que croître et grandir, on trouve sans cesse de nouvelles raisons pour le fortifier encore. Ajoutons que bientôt toutes les industries parasites qu’il a créées se coalisent pour soutenir et, défendre l’échafaudage qu’on a dressé[10].

A quelques égards, le système du Zollverein allemand ressemble à celui des États-Unis. Des deux côtés, c’est principalement aux articles manufacturés que le tarif s’adresse, bien qu’il y ait des deux parts aussi d’assez notables exceptions. Et quoique le congrès du Zollverein semble avoir, plus que celui des États-Unis, visé à la protection de l’industrie nationale, il est certain pourtant qu’il s’est préoccupé fortement de la question du revenu. L’union douanière allemande est donc en cela dans une situation analogue à celle de la république américaine ; aussi est-elle placée sur la même pente fatale. Les droits y sont actuellement modérés, et néanmoins le revenu qu’ils produisent n’est pas sans importance[11] ; mais, par les raisons que nous avons dites, ce revenu doit diminuer peu à peu, la source doit tarir. Pour le raviver, il faudra sans cesse exhausser les droits, et déjà de fortes tendances vers cet exhaussement se manifestent. Vainement la Prusse, mieux avisée ou plus prudente que la plupart des états associés, ou plus particulièrement touchée de la situation des provinces du nord dont l’agriculture souffre de ce régime, résiste-t-elle à ces tendances ; elle sera tôt ou tard entraînée par le torrent. Les droits s’élèveront donc, et comme il arrivera bientôt un moment où cet exhaussement même ne fera qu’amoindrir plus vite le revenu, en rendant l’importation des produits manufacturés plus difficile, si on veut continuer à percevoir ce revenu, on se verra de toute nécessité conduit plus loin.

Toutefois les pays compris dans l’association douanière allemande n’ont pas encore ressenti en général les mauvais effets de cette politique, parce qu’ils sont partis d’une situation pire que leur situation présente. Un certain nombre d’états, auparavant séparés par autant de lignes de douanes, s’étant associés pour ne former plus qu’une seule ligne commune à tous, ont en cela supprimé bien des entraves et agrandi le cercle de leur activité et, quoique le tarif général qu’ils ont adopté soit peut-être en somme plus rigoureux que le tarif antérieur de la plupart des états associés, le seul fait de leur fusion, qui est un grand pas vers la liberté relative, a plus que compensé, pour la plupart d’entre eux, le funeste effet de l’exhaussement de leur tarif. L’industrie y a fit des progrès, cela devait être. Ces progrès eussent été plus sensibles encore, si on n’avait pas commis l’énorme faute de frapper les fers de droits assez élevés[12]. Enfin la condition même du peuple s’y serait à coup sûr améliorée, si on n’y avait pas commis cette autre faute, encore plus grave, de taxer les denrées alimentaires telles que la viande et le blé. C’est à ces dernières mesures qu’il faut particulièrement attribuer les souffrances, trop réelles de certaines classes, et les désordres qui, en 1844, ont affligé plusieurs provinces.

Toute cette politique, qui consiste à favoriser exclusivement, par des lois restrictives, le travail manufacturier, a trouvé de brillans interprètes. Aux États-Unis, MM. Clay et Webster, en Allemagne M. Frédéric List, l’ont prise sous leur égide. A défaut de raisons solides pour l’étayer, ces éloquens orateurs et cet habile écrivain l’ont du moins ornée de toutes les séductions de leur esprit, en intéressant d’ailleurs les préjugés nationaux à son succès.

M. Frédéric List[13] exalte beaucoup la grandeur et l’importance de l’industrie manufacturière, et cela aux dépens de l’industrie agricole, à laquelle il refuse le rôle bien autrement important qui lui revient. L’industrie manufacturière a seule, selon cet auteur, le don d’étendre l’empire de l’homme sur les forces productives de la nature, d’animer le commerce intérieur et extérieur, qui, sous le régime agricole, manque à la fois d’objets et de moyens de transport, de créer les canaux, la navigation à vapeur ; les chemins de fer et la navigation maritime, d’animer enfin l’agriculture elle-même en lui donnant des consommateurs pour ses produits : tableau singulièrement forcé, ou qu’un malentendu seul explique ! Un peuple purement agricole, dit M. List, est un peuple incomplet ; c’est comme un homme qui n’aurait qu’un bras. Soit ; mais le peuple purement agricole est un mythe qui ne se rencontre pas sur la terre, et la preuve de cela, c’est qu’il n’y a pas de pays agricole au monde où il n’existe des villes ; or, les villes ne sont pas, que nous sachions, habitées uniquement par des cultivateurs. Il y a, en effet, un grand nombre d’arts utiles ou d’industries diverses, comme aussi plusieurs genres de commerce qui relèvent directement de l’agriculture, qui en sont les annexes obligées, le cortége nécessaire, et qui s’établissent partout où cette industrie mère prend son assiette. Quand on parle de l’agriculture, il faut donc la prendre avec ses dépendances naturelles. Ainsi comprise ; elle possède à un très haut degré tous les dons que M. List lui refuse, et l’exemple des États-Unis le prouve surabondamment C’est à l’agriculture seule que le peuple des États-Unis doit ses routes, ses canaux, ses chemins de fer, et même sa navigation maritime, et l’on sait tout ce qu’il a fait en ce genre depuis un demi-siècle. Ce n’est rien moins que ce qui a été exécuté pour l’Europe entière dans le même espace de temps. Il existe bien quelques manufactures aux États-Unis, mais ce n’est pas à leur intention qu’ont été créées les voies intérieures dont ce pays est sillonné, et ce n’est pas d’elles non plus que la navigation maritime reçoit son aliment. Sans rien ôter aux manufactures, qui sont d’admirables et fort utiles créations, quand elles viennent en leur temps et leur place, sachons donc rendre à l’agriculture, cette mère commune de toutes les industries, le juste hommage qui lui est dû.

Nous savons gré toutefois à M. List de nous avoir fourni l’occasion de placer ici une observation importante que nous tenions à faire. C’est qu’il n’y a pas un peuple en Europe qui sache tout ce que son agriculture peut rendre, parce qu’il n’y en a pas un seul qui ne se soit plu à l’étouffer, ceux-ci en la détournant de ses voies naturelles, ceux-là en la dépouillant au profit des manufactures à naître, de son droit de vente au dehors ; plusieurs en lui attribuait au contraire des monopoles qui ne lui sont pas moins funestes que la privation de ses droits ; quelques autres en l’écrasant d’impôts mal assis ; tous, enfin, en l’appauvrissant, en la desséchant, pour faire affluer artificiellement vers les manufactures les forces disponibles du pays, sans parler des états où l’on retient encore en servitude les hommes utiles qui l’exercent. Du système général qui prévaut depuis long-temps en Europe, il résulte que les manufactures y ont reçu presque partout un développement exagéré ; qu’une concurrence active, ardente, acharnée, s’est portée de toutes parts dans cette voie unique dont elle a épuisé les canaux en y amoindrissant tous les profits, tandis que l’agriculture, cette source féconde de biens, est comparativement délaissée. Et ce n’est pas, selon nous, une des moindres causes de cette souffrance générale, de ce paupérisme croissant, qui après trente années d’une paix profonde au sein d’un état social d’ailleurs prospère, travaille sourdement l’Europe et l’envahit. Il ne s’agit pas ici de renouveler contre les manufactures ces accusations banales et ridicules dont elles ont été si souvent l’objet. En lui-même le développement des manufactures est salutaire et bon ; ce qui est un mal, c’est cette excitation factice au moyen de laquelle on pousse, s’il est permis de le dire, les populations haletantes dans cette voie unique, trop étroite pour leur donner à toutes un suffisant abri.


III.

L’histoire comparée de la Franc et de l’Angleterre jetterait un grand jour sur la question qui nous occupe, si on pouvait la suivre dans ses diverses phases. On y remarquerait tour à tour toutes les conséquences des régimes les plus divers. Ces deux pays n’ont pas toujours eu, en matière de douanes, la même politique qu’aujourd’hui, et, selon les différentes combinaisons qu’ils ont adoptées dans leurs tarifs, leur position relative a changé. Sans entrer, dans le détail de ces variations, rappelons du moins les plus graves.

Sous l’ancien régime, et pendant tout le cours du XVIIIe siècle, la politique de la France consista à frapper de droits protecteurs les seuls produits manufacturés en laissant au contraire toute liberté d’importation pour les denrées alimentaires et les matières brutes. Tel était le véritable esprit du système qu’on a attribué, à tort ou à raison, à Colbert. On protégeait les manufactures ; mais, loin d’étendre cette protection sur les produits naturels, on allait même quelquefois jusqu’à en interdire l’exportation : système vicieux sans aucun doute, mais fort supérieur à notre système présent. Si l’agriculture, devait en souffrir, on a vu que l’industrie manufacturière devait en recevoir, au contraire, une vigoureuse impulsion. En effet, jusqu’à l’époque de la révolution, malgré les vices de notre régime intérieur, la France tint en Europe le sceptre des manufactures ; l’Angleterre ne marchait que loin derrière elle, et tous les écrivains du temps, comme tous les documens officiels, l’attestent.

En 1814, la France adopte une politique nouvelle qui consiste à frapper de droits à l’importation les produits naturels aussi bien que les produits ouvrés. « C’est surtout, disait M. de Saint-Cricq, l’un des principaux promoteurs de ces innovations ; c’est surtout par rapport à l’agriculture qu’ils (les législateurs de 1814) ont innové, à l’agriculture jusque-là délaissée par les tarifs ; sous l’impression de cette vieille maxime que la surabondance des produits naturels ne saurait jamais nuire. Les droits qui protègent les céréales, les laines, les bestiaux, les huiles (ajoutons-y les fers), sont leur ouvrage, et ils se félicitent, comme d’un service rendu, d’avoir mis en honneur un principe trop long-temps méconnu. » Quoi qu’il en soit de ce service, il est certain que c’était là renverser de fond en comble le système de Colbert, dont ces législateurs invoquaient sans cesse le nom, et non pas, comme le suppose M. de Saint-Cricq, le continuer en le complétant. Aussi la supériorité que l’industrie française avait conquise sous l’empire de cet ancien système ne devait-elle pas lui revenir ?

Sous ce nouveau régime, la France, qui avait perdu au milieu du tumulte des armes le sceptre des manufactures, ne peut plus le reprendre. Tous ses produits ouvrés, plus chers que ceux des autres pays, ne trouvent un faible débouché au dehors que grace à la supériorité de son goût, et, malgré l’accroissement prodigieux survenu dans le mouvement général du commerce des peuples, ce n’est qu’en 1830, après quinze ans de paix, que ses exportations arrivent à égaler le chiffre de 1787. Qu’on ne pense pas, d’ailleurs, que ce nouveau régime fût plus favorable que l’ancien à son à son agriculture ; nous croyons avoir montré le contraire. On s’abuserait gravement si on en jugeait par l’état réel de la culture aux deux époques, car il faut se souvenir que, sous l’ancien régime, les gens des campagnes étaient écrasés par des impôts vexatoires et désastreux, et qu’en outre la circulation des produits du sol était gênée à l’intérieur par des entraves, qui sous le nom de douanes intérieures ou de péages, se multipliaient de toutes parts. Ce qui tranche la question en faveur de l’ancien système, même au point de vue de l’agriculture, c’est que toutes les denrées du sol étaient alors en France à bon marché, sans en excepter les produits minéraux, et que l’exportation en était considérable, tandis que, sous le nouveau système, tous ces produits sont chers, et que l’exportation, même en ce qui regarde les vins, a presque entièrement cessé.

En Angleterre, les événemens se présentent dans un ordre différent, sinon entièrement opposé. Dès le dernier siècle l’influence de l’aristocratie terrienne y avait fait interdire ou frapper de droits l’importation d’un grand nombre de produits naturels. De là une infériorité sensible en industrie, infériorité que ni les prohibitions à la frontière, ni les encouragemens prodigués par le gouvernement et la législature, ne parvenaient à pallier. C’est vers la fin du dernier siècle que l’Angleterre commence à modifier son système. En 1784, elle affranchit les laines brutes, et commence alors seulement à entrer en rivalité avec la France pour la fabrication des lainages ; elle affranchit ensuite successivement les fers, les lins et les chanvres, elle n’impose que de faibles taxes sur les cotons, matière exotique, enfin, dans les années 1820 à 1824, elle dégrève encore les soies brutes, qu’elle avait jusque-là, dans un intérêt probablement fiscal, frappées de droits assez élevés[14]. Elle maintient il est vrai, elle aggrave même, en 1815, les restrictions relatives aux denrées alimentaires ; mais, pour les matières brutes que le travail manufacturier réclame, elle les dégrève les unes après les autres, quand elle ne les affranchit pas entièrement. C’est grace à cette politique nouvelle qu’après avoir saisi, durant nos longues guerres, le sceptre des manufactures, que la France avait laissé tomber de ses mains, l’Angleterre a pu de jour en jour étendre et fortifier son empire.

A ne considérer la situation économique de ces deux pays que depuis vingt-cinq ou trente ans, l’action si différente de leurs tarifs s’y fait partout sentir. Favorisée par le bas prix des matières premières et des agens du travail, on comprend que l’industrie manufacturière anglaise a pu se développer, s’étendre avec avantage au dehors comme au dedans, en remplissant toutes les conditions d’une production à bon marché. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’elle se croie aujourd’hui assez forte pour braver à tous égards la concurrence étrangère. A vrai dire, l’étendue du crédit commercial a beaucoup ajouté à sa puissance en lui permettant d’agir dans le commerce extérieur avec cette grandeur de moyens qui est souvent une condition du succès ; mais le premier fondement de cette puissance n’en est pas moins dans les facilités que le tarif lui laisse par rapport aux agens du travail. Sa supériorité une fois assurée par là, elle la fortifiée, tant par l’usage des grands capitaux dont elle dispose que par l’étendue des débouchés acquis, et par une plus grande division du travail, qui en est la conséquence. Quant à la cherté de la main-d’œuvre, il nous serait facile de montrer que ce n’était point un obstacle ou du moins que cette cherté est compensée par le bas prix des capitaux. Il est clair cependant qu’avec des capitaux bon marché et une main-d’œuvre chère, l’industrie anglaise devait porter de préférence vers les emplois qui demandent plus de capital et moins de main-d’œuvre, ou du moins qu’elle devait y réussir beaucoup mieux. C’est ainsi que, par rapport à la grande industrie des tissus, elle a plus de chances de succès dans la filature, où le capital domine, que dans le tissage, où c’est la main d’œuvre qui l’emporte. Aussi la filature est-elle prospère en Angleterre que le tissage y est soufrant. C’est le contraire en Allemagne, où les capitaux sont rares et la main-d’œuvre à bon marché. De toutes les classes de travailleurs anglais, celle des tisserands, et surtout des tisserands à la main, est la plus misérable, et M. Edouard Baines atteste[15] qu’il en est ainsi depuis plus de cinquante ans.

Moins heureuse en cela, sous le nouveau régime qu’on lui a imposé en 1814, l’industrie manufacturière française s’est débattue contre un problème insoluble : produire à bon marché avec des matières premières et des agens de travail à très haut prix. Dieu sait pourtant quels efforts elle a faits pour y parvenir, mais en vain. Aussi pas un progrès sérieux n’a été fait vers son émancipation depuis trente ans, et voilà comment, après de si longues épreuves ; elle réclame encore avec tant d’ardeur la protection : non pas qu’elle soit demeurée stationnaire, loin de là ; mais comme les industries étrangères ont marché aussi bien qu’elle, en conservant toujours l’avantage du bas prix des matières premières, sa situation relative n’a pas changé. Que si cette situation s’est un peu modifiée, en ce que certains droits restrictifs ont été légèrement adoucis[16], la différence n’est guère sensible.

A d’autres égards pourtant, notre situation économique a été jusqu’à présent meilleure ou moins tourmentée que celle de nos voisins. Si les ménagemens du tarif anglais pour les matières premières ont assuré à l’industrie manufacturière de ce pays un développement puissant auquel la nôtre ne peut actuellement prétendre, on a déjà compris aussi que les rigueurs de ce même tarif, en ce qui touche les denrées alimentaires, ont engendré des maux dont la France est moins fortement atteinte. Dans la situation qu’elle s’est faite, malgré les prodiges de son industrie et même malgré l’extension si favorable de son crédit commercial, l’Angleterre ne nourrit, après tout, qu’une population misérable, incessamment travaillée par le besoin. Le développement de l’industrie offre à cette population un actif aliment de travail ; l’extension du crédit lui assure en outre, pour ce travail, une rémunération assez large ; mais la cherté des subsistances annule ce double bienfait, en absorbant dans les seules nécessités journalières tout ce que le travail produit. Les salaires sont élevés, mais le haut prix des subsistances les dévore. De là la gêne, la misère, la souffrance, au sein du mouvement industriel le plus puissant qui fut jamais.

Témoins des souffrances trop réelles de la population anglaise beaucoup d’écrivains en ont fait un crime à l’industrie même, supposant que ces souffrances étaient son œuvre, qu’elles formaient comme le cortège nécessaire, inévitable, d’un développement industriel puissant. Et Dieu sait combien de réflexions niaisement philosophiques ces rapprochemens ont inspirées. Qu’on ouvre les yeux maintenant, et l’on verra que ces souffrances trop réelles, et qu’avec raison on déplore, sont les fruits malheureux de lois spoliatrices, pervertissant, anéantissant comme à plaisir les bienfaits que l’industrie répand.

Les effets que ce régime a produits relativement à l’agriculture ne sont pas moins curieux à observer. En autorisant, dans l’intérêt des manufactures, l’importation de tels et tels produits en toute franchise, tandis qu’elle prohibait les autres ou les grevait de très forts droits, la douane anglaise a forcé l’agriculture à abandonner les premiers pour concentrer toute son activité sur les autres, qui ne sont pas en très grand nombre. On comprend en effet que les restrictions mises à l’importation de certaines denrées du sol venant à élever la valeur vénale de ces denrées au-dessus des prix du commerce libre, les autres, qui n’acquéraient pas ce surcroît de valeur, ne pouvaient plus être produites qu’avec un désavantage relatif, d’autant mieux que les baux de fermage se réglaient naturellement d’après les prix des articles protégés. Par là, le système restrictif a réduit l’agriculture anglaise à une simplicité étonnante, dont on n’avait pas encore vu d’exemple ailleurs. Tous les produits agricoles qui ne sont pas protégés en Angleterre contre l’importation du dehors y sont abandonnés, et cela doit être. Ainsi, outre que ce pays ne cultive pas, ce qui se comprend d’ailleurs, les plantes qui appartiennent aux climats méridionaux, telles que la vigne, le mûrier, l’olivier, il a même abandonné plusieurs de celles qui semblent convenir plus particulièrement à son climat, comme le lin, le chanvre, ces plantes précieuses auxquelles la France consacre cent quatre-vingt mille hectares de ses meilleures terres. L’Angleterre ne cultive guère non plus le colza ni les autres plantes grasses. Plusieurs graines d’espèces secondaires lui manquent, aussi bien qu’un grand nombre de fruits : elle ne nourrit que peu de volailles, et elle est obligée de tirer de France les œufs dont sa population est si friande. Enfin les plantations de bois y ont depuis long-temps presque entièrement disparu. Son territoire est consacré tout entier à la culture des céréales, à celle des plantes fourragères, des herbages surtout, et à l’élève des bestiaux. C’est que ce sont là les produits que la loi des subsistances, corn and provisions law, a pris sous sa protection spéciale. L’Angleterre est littéralement couverte de pâturages et de bestiaux, ce qui donne à ses campagnes un aspect particulier, assez riant, mais uniforme, où la monotonie d’un immense tapis vert n’est coupée que par des éclaircies de champs cultivés en grains.

C’est un aspect tout différent qu’offrent les campagnes de France, où la variété des cultures est peut-être poussée trop loin. Par les restrictions qu’il met à l’importation des produits étrangers, le système français étouffe aussi le commerce des denrées du sol, et il frappe ainsi la culture d’un alanguissement général ; mais, comme il en protége à peu près également toutes les branches, il n’en décourage aucune d’une manière particulière, et les maintient toutes à peu près au même niveau. Il y entretient donc cette variété qui est dans la nature des choses, et que l’Angleterre n’a pas bannie impunément. Disons même qu’il engendre dans nos campagnes une variété de productions trop grande et qui excède les justes bornes, puisqu’à côté des productions naturelles à notre sol, et qui sont déjà en si grand nombre, il en fait naître, par une excitation factice, plusieurs autres, telles que le tabac, la betterave à sucre, qui conviennent mieux à d’autres climats.

Plusieurs agronomes admirent l’agriculture anglaise, les uns à cause de sa simplicité même, les autres parce les innombrables troupeaux qu’elle nourrit produisant une immense quantité d’engrais, les terres cultivées en céréales y sont effectivement d’un plus grand rapport. Nous conviendrons, pour notre part, que si le problème à résoudre en agriculture consiste à produire sur un plus petit espace une quantité plus grande de grains, l’Angleterre l’a merveilleusement résolu ; mais si l’on pense, au contraire, que la fin principale de l’agriculture est de nourrir dans l’aisance une population nombreuse, aucune culture au monde ne s’éloigne plus du droit chemin. On assure que la production brute annuelle de l’agriculture anglaise dépasse celle de tout autre pays sur une étendue égale, et particulièrement de la France : nous nous permettons de douter de la vérité de cette assertion ; nous oserions même affirmer le contraire, et, s’il était possible de soumettre de telles données à un calcul exact, nous essaierions de le prouver. Il ne faut pas oublier, en effet, que, si les champs cultivés en blé produisent en Angleterre plus qu’ailleurs les autres terres ont aussi un produit brut bien moindre. Ainsi, en admettant que le capital agricole de l’Angleterre, long-temps accumulé, excède le capital agricole de la France, qui ne s’est guère grossi que depuis cinquante ans, nous croyons fermement que le produit annuel, le produit brut du moins, est de beaucoup inférieur au nôtre. Quoi qu’il en soit, il est certain que cette agriculture si simple, et si l’on veut, si belle, loin d’enrichir les populations qu’elle occupe, les plonge dans la misère et l’abjection. Si les districts manufacturiers de l’Angleterre offrent des exemples malheureusement trop nombreux de dégradation humaine, c’est dans les districts agricoles qu’il faut chercher le tableau d’une misère à peu près générale. Ce qui n’est pas moins certain c’est que l’agriculture anglaise, au lieu d’attirer à elle les populations, en lui fournissant un aliment de travail actif, ne peut pas même entretenir celles qui la servent, et les rejette en masse vers les manufactures. Les campagnes se dépeuplent en Angleterre, et les hommes qu’elle rejette sur les villes y vont encombrer les ateliers. Le mouvement des capitaux n’y est pas plus actif que celui des hommes, et le crédit est mort. Capital et travail, tout cela se porte vers les manufactures, et ne contribue pas peu à produire, avec l’encombrement, cette surexcitation maladive qui les agite ; à forcer l’industrie à se précipiter avec une ardeur fiévreuse vers les débouchés extérieurs, et à enfanter ces crises funestes qui l’ébranlent de temps en temps. Aussi, cette tendance trop exclusive vers l’industrie manufacturière, que nous avons signalée dans la plupart des états commerçans, est-elle encore plus prononcée en Angleterre qu’ailleurs. Si l’on ajoute à tout cela les variations convulsives dans les prix des grains, et les disettes qui viennent de temps à autre, s’appesantir comme un fléau sur le pays, on aura une idée assez juste de ce que l’Angleterre doit à l’admirable organisation de sa culture. Sans être riche et féconde, comme elle pourrait l’être sous l’empire du commerce libre, l’agriculture française est du moins exempte des violentes convulsions de ce régime. Si elle ne procure aux populations qu’elle nourrit qu’une existence chétive, elle les conserve du moins, et ne les chasse pas dans les villes : elle leur laisse des alimens de travail, appauvris sans doute, mais nombreux. Elle est affranchie enfin, grace à la douceur relative de la loi des céréales, de ces violens soubresauts dans les prix, qu’on peut considérer comme des calamités publiques.

Mais tout ce que nous venons dire de l’Angleterre est déjà, fort heureusement pour elle, dans le passé. Un nouvel ordre de choses commence pour ce pays. Si l’on nous demande quelles seront les conséquences des dernières réformes, nous dirons que tout ce qui précède les fait déjà pressentir. Osons annoncer hautement, sans craindre que l’évènement nous démente, qu’amis et ennemis de la liberté du commerce y seront également trompés. L’avenir confondra les sinistres prédictions des uns et surpassera les espérances des autres. Pour l’agriculture, on est à peu près généralement convenu des deux côtés qu’elle restreindra sa production sous l’influence de la concurrence étrangère, résultat dont les uns s’épouvantent, que les autres acceptent, parce qu’après tout, comme ils le disent ave raison, le premier besoin, la première loi, c’est que le peuple soit nourri et qu’il le soit à bon marché. Nous disons, nous, que la production agricole s’étendra, sinon dans les années de transition, au moins plus tard, quand elle aura repris son assiette. L’agriculture anglaise pourvoira sans peine à tous les besoins du peuple anglais, et elle le fera d’ailleurs au même prix que l’étranger. Des importations auront lieu sans doute, sinon plus abondantes, au moins plus régulières qu’autrefois ; mais l’exportation aura son tour, et l’on verra cette Angleterre, toujours si besoigneuse depuis trente ans, étonner de nouveau le monde par l’abondance de ses récoltes.

Pour l’industrie manufacturière, on croit qu’elle recevra de cette réforme une impulsion nouvelle au dehors, et qu’elle achèvera d’écraser, comme on dit, les industries du continent. Certes, elle y gagnera en prospérité et surtout en sécurité, en bien-être, mais nous croyons que cette surexcitation fiévreuse, qui l’anime depuis un demi-siècle, se calmera. Elle se débarrassera d’abord d’un certain nombre de branches parasites qui la surchargent, et qui émigreront, selon toute apparence, à l’étranger. Pour les autres branches, elles acquerront, sans nul doute, une vigueur nouvelle ; cependant c’est surtout à l’intérieur du pays qu’elles verront leurs débouchés grandir, et nous ne serions pas étonné si durant quelques années, l’exportation anglaise en produits manufacturés diminuait. L’industrie manufacturière anglaise pourra bien être encore l’admiration de l’Europe, elle n’en sera plus l’effroi.

C’est, du reste, la classe ouvrière, celle des campagnes autant que celle des villes, qui ressentira le plus la bienfaisante influence du nouveau régime. À moins qu’il ne survienne des crises ou des perturbations fâcheuses dues à d’autres causes, les salaires ne baisseront pas ; loin de là, ils tendront plutôt à s’élever. Et comme, d’un autre côté, les denrées alimentaires seront à plus bas prix et le travail plus abondant, l’existence de cette classe sera désormais aussi facile et aussi douce quelle a été précédemment douloureuse et pénible. Il ne faut pas demander cependant qu’un tel changement s’opère en un jour. C’est bien le moins qu’on laisse au nouvel ordre de choses le temps de porter ses fruits.

Rappelons maintenant, pour conclure, les vérités générales qui ressortent de tout ce qui précède. Toutes les lois restrictives ont des conséquences pernicieuses, mais celles qui atteignent les produits naturels sont de beaucoup les plus funestes. Elles pèsent durement sur la condition du peuple, et, quand elles s’appliquent aux matières premières, elles tiennent l’industrie même captive. Pour opérer une réforme sans trouble, pour la tenter avec fruit, c’est donc à ces dernières lois qu’il faut d’abord s’adresser. Ainsi a procédé l’Angleterre en obéissant à la seule force des choses : c’est vers le même résultat que la France doit tendre si elle veut obtenir des succès pareils. Quant aux droits sur les articles manufacturés, ils n’ont plus en France les inconvéniens qu’ils peuvent encore avoir en Allemagne ou aux États-Unis. Ce mouvement vers l’industrie manufacturière, qu’on cherche à produire artificiellement dans le Zollverein et dans l’Union américaine, est aujourd’hui pour la France un fait consommé. Notre industrie, quoi qu’on en dise, est tout aussi perfectionnée que l’industrie anglaise, à cela près de l’organisation, qui est une conséquence naturelle de l’étendue du débouché. Qu’on vienne à supprimer les droits sur les matières premières et sur les agens du travail, et elle sera tout étonnée de se trouver l’égale de cette industrie anglaise qu’elle redoute si fort aujourd’hui. Alors elle provoquera elle-même la suppression des droits protecteurs qui la concernent. Jusque-là il n’y a aucun danger à les lui conserver ; à d’autres égards, la prudence même en fait une loi.


CHARLES COQUELIN.

  1. Les recettes de la douane anglaise, pour l’année finissant au 5 janvier 1840, s’élevaient en tout à la somme de 22,962,610 liv. st., soit 574,000,000 fr. afin de comparer plus exactement les recettes effectuées en Angleterre et en France, nous retranchons de cette somme le produit du droit perçu sur le tabac, produit qui ne figure pas en France dans les tableaux de la douane. Il s’est élevé en Angleterre, pour l’année dont nous parlons, à la somme de 87,392,000 francs.
  2. Dans les renseignemens extraits de la correspondance des villes de commerce et délivrés par M. le ministre du commerce aux conseils-généraux dans leur dernière session, le prix du fer anglais en barres est porté à 20 fr. 10 cent., et celui du fer français à 39 francs. Les frais de transport jusqu’à nos villes maritimes sont compris dans ces chiffres : ils sont à peu près les mêmes des deux côtés.
  3. Le prix soi-disant rémunérateur avait été fixé en 1815 à 80 shillings le quarter. Plus tard, après plusieurs remaniemens de la loi, on le fixa à 70 shillings. Il était à ce dernier taux, lorsque sir Robert Peel commença ses réformes.
  4. De l’Agriculture en France d’après les documens officiels, par M. L. Mounier, avec des remarques par M. Rubichon, Paris, 1846.
  5. Rapport à M. Le ministre de l’agriculture et du commerce sur l’état de la production des bestiaux en Allemagne, etc. par M. Moll, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers. – Voyez aussi l’Association douanière allemande, par M. Henri Richelot.>
  6. Dans le tarif du Zollverein, le droit sur les bestiaux étrangers était, en 1843, de 5 thalers par tête pour les bœufs et taureaux, 3 thalers pour les vaches, et 2 pour les veaux. – Le thaler vaut 3 fr. 90 cent.
  7. Londres, 3 mai 1843. 6 Voyez Cobden et la Ligue, par M. Frédéric Bastiat.
  8. Voici quel était le tarif saxon pour les principaux articles manufacturés : (en quintal)
    Tissus de coton, 1 thaler – Tissus de laine autres que draps, 1 thaler – Draps, 2 thalers – Tissus de soie, 4 thalers – Parfumerie, modes, orfévrerie et bijouterie, 2 thalers.
  9. Voyez la Question des céréales dans la Revue du 1er décembre 1845.
  10. Depuis que ces lignes sont écrites, le nouveau tarif américain a été apporté en Europe. La cause libérale a triomphé cette fois dans le congrès, malgré l’opposition de M. Webster et de son parti. On a écarté le principe de la protection pour s’occuper spécialement du revenu. Cela changera-t-il sensiblement le cours des événemens ? nous ne le croyons pas ; D’abord la cause du libre échange n’a triomphé qu’à une faible majorité, et il suffit du moindre changement dans l’état numérique des partis pour que le principe contraire l’emporte à son tour. Ensuite, ce n’est guère que théoriquement que le nouveau tarif est plus libéral que l’ancien. Au point de vue pratique, les choses restent à peu près dans le même état, parce qu’on a persisté à percevoir le revenu sur un grand nombre d’articles dont le peuple américain possède ou peut produire les similaires. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, un tarif devient nécessairement protecteur ou restrictif, quand il frappe autre chose que des produits vraiment exotiques.
  11. 95 millions en 1843.
  12. 11 francs les 100 kilogr.
  13. Système national d’économie politique, 1841. M. List continue à propager ses doctrines avec ardeur dans le Zollvereinsblatt (Journal du Zollverein), qui se publie à Augsbourg.
  14. Nous ne précisons pas les dates de ces affranchissemens successifs, parce que les choses n’ont pas toujours été faites en une seule fois, et aussi parce qu’il y a eu, s’il est permis de le dire, des va-et-vient. L’aristocratie faisait des concessions quand elle était trop faible pour les refuser, puis les reprenait quand elle se sentait plus forte, pour les rendre encore lorsque la roue politique avait tourné.
  15. History of the Cotton Manufacture, by Edward Baines.
  16. Par exemple, les charbons en 1835 et 1837. — On a vu aussi qu’il y a eu une légère réduction sur les fers en 1836.