Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 108-109).
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Sixième douzaine

LXX. — GENS DU MONDE

Plus serré et ficelé qu’une andouille de Vire dans son rigide veston, le beau, l’élégant, le divin concierge, monsieur Rodolphe Capitain, vautré dans un fauteuil en peluche brodé de fleurs de soie, caresse de ses doigts pâles sa fine barbe blonde, et fume un cigare également blond, comme la Belle aux Cheveux d’Or. Tout respire le luxe, la joie et la tranquillité du triomphe, dans la loge tendue d’une rouge étoffe orientale à dessins jaunes, où un jeune marmiton en habits blancs couleur de neige fait cuire le miroton traditionnel dans une casserole d’argent.

Tandis que monsieur Capitain s’entoure de spirales bleues, sa femme Jane (par un A parce que c’est plus anglais) vient de fermer la Revue des Deux-Mondes, travaille à des vêtements pour les petits pauvres, et sur le piano à queue peint de petites roses sur un fond vert clair, sa fille Ada au col de cygne joue une Rêverie de Chopin, en levant ses prunelles d’un bleu désolé. Cependant, le fonctionnaire déchire nonchalamment la bande du Journal officiel, et parcourt la liste des distinctions accordées à propos de la fête nationale. Puis, jetant son cigare non éteint dans le crachoir de lapis-lazuli :

— « Allons ! dit-il, cela se passera cette année comme les autres. Je vois qu’ils n’ont encore pas décoré un seul concierge ! »