Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 83-84).
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Cinquième douzaine

LII. — FLEURISSEZ-VOUS !

On l’appelait Nini quand elle était jeune et belle comme une déesse, et on l’appelle encore Nini, à présent qu’avec des ongles furieux la Vieillesse a creusé sur son visage tanné mille profondes rides, et de dessous son madras tire des touffes de tignasse grise, pareilles à des touffes de laine qu’on tire d’un matelas. Les haillons de Nini, le caraco, le gilet de laine, les jupes n’ont plus ni forme ni couleur. Tout cela est déchiré, noué de nœuds hideux, raccommodé avec des bouts de ficelle. La vieille n’a pas de bas, et le bout de ses pieds nus sort de ses souliers d’homme, qui tirent la langue.

Cependant, en songeant au passé, Nini ne regrette ni les toilettes, ni l’hôtel, ni les meubles de soie, ni les fringantes voitures de son bon temps. La seule chose à laquelle elle n’a pu se résigner, c’est de n’avoir plus de fleurs, elle à qui le prince de Messine envoyait chaque matin, à son réveil, une hotte de lilas ! Tout à coup elle voit par terre les débris d’un vieux bouquet de roses qu’on a jeté là dans la rue ; de ses doigts osseux elle ramasse des pétales effeuillés, les saisit encore tout tachés de boue, et voluptueusement — les respire !