Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 50-52).
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Troisième douzaine

XXXI. — ENVIE

Assise à côté de son amant, le jeune vicomte Paul de Novis, Emmanuelle Manny traverse, en calèche découverte, la grande rue de Viroflay. Elle est belle, jolie, amoureuse, vêtue d’une robe de printemps, jeune, comme sait l’être une femme pour qui la nature et l’art n’ont plus de secrets, fardée avec tant de mesure que la rougeur de son sang et le rouge du parfumeur se mêlent en une seule et vraie touche rose, et si bien corsetée qu’elle a l’air de ne l’être pas. Elle est heureuse, se sentant adorée par le charmant jeune homme qui boit ses regards ; mais à ce moment, elle voit une fillette en haillons, ébouriffée, assise par terre, ramassant des tessons dans le ruisseau, et férocement baisée par le soleil.

Mordue au cœur, Emmanuelle, en voyant la belle joue de cette enfant sauvage, comprend que maintenant sa joue à elle doit sembler ce qu’elle est en effet, fardée et peinte. Cependant, un spectacle nouveau la fait rêver bien autrement ! Elle donne au cocher l’ordre d’arrêter, et négligemment dit à Paul de Novis :

— « Attendez-moi un instant. Je veux donner quelque monnaie à cette pauvresse. »

Et Emmanuelle va droit à la petite fille, dont la chemise de très grosse toile bise laisse voir sur la poitrine un trou, net comme s’il eût été fait à l’emporte-pièce.

— « Ma petite, dit la belle dame, qui t’a donc fait ce trou à ta chemise ?

— Mais, dit la petite, en abaissant le grossier tissu, et montrant son jeune sein doré et dur comme du cuivre, c’est ça, madame !

— Ah ! » grogne Emmanuelle furieuse, en surveillant Paul, qui heureusement n’a rien vu. Et avant de remonter en voiture, elle donne un louis à la petite vagabonde, et en même temps, avec une haine farouche, elle lui pince le bras — jusqu’au sang !