Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 31-32).
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Deuxième douzaine

XVII. — L’AUTOMNE

Madame Jacqueline de Riberpré a mieux que la jeunesse : elle a la beauté épanouie et superbe des reines qui, dans les festins, tiennent d’une main blanche et grasse leur coupe d’or emplie d’un généreux vin. Elle n’est pas seulement désirée de tous ; elle est ardemment, uniquement adorée d’un seul, et toutes les femmes lui envient avec raison l’amour du comte Ogier de Sagrède. C’est lui, ce vaillant, ce gentilhomme de race royale, qui l’accompagne dans le verger débordant de fruits où, tyrannisés par un habile artiste, les espaliers couverts de poires, de pommes, de pêches rougissantes, affectent des figures d’éventails, d’urnes et de lyres, et ploient leur fierté au tout-puissant caprice de l’homme. Madame de Riberpré porte la légère corbeille dans laquelle elle mettra les pêches qu’elle va cueillir, et qu’elle veut choisir dignes d’être appréciées par le plus gourmand des évêques.

Silencieux à côté d’elle, le comte Ogier l’admire, et qui ne l’admirerait ? Sous la robe décolletée en damas d’un jaune rosâtre à grandes fleurs, ses formes opulentes déroulent leurs magnifiques lignes ; ses traits hardis et purs sont d’une charmeresse dominatrice, et le dessin de sa bouche rouge et charnue éveille l’idée de perfection. Sur son cou robuste un collier d’un seul rang, fait de perles d’un prix inestimable, complète une étrange harmonie de blancheurs, et ses seins lourds, qu’on voit plus qu’à demi, sont pareils à la chair blanche et savoureuse des lys.

Subitement, un rayon de soleil a inondé de sa flamme le noble visage de madame de Riberpré. Un vague, un fugitif, un imperceptible mouvement a contracté les yeux du comte ; mais ce mouvement, Jacqueline l’a surpris, et elle s’est sentie frappée, comme d’un coup de couteau, en plein cœur. Car elle est certaine qu’à ce moment-là, sous la fulgurante clarté, son amant a vu les rares fibrilles rouges qui déjà couperosent sa joue superbe, et les cinq ou six gros cheveux blancs, implacables indices de la vieillesse prochaine, qui brutalement se glissent dans sa noire, épaisse et soyeuse chevelure.