Petites Études : La Lanterne magique
G. Charpentier, éditeur (p. 183-184).
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Dixième douzaine


CXIX. — LES GAIS VOYAGEURS

Couché sur le dos au pied de la montagne, le Monstre immense ouvre son énorme gueule embrasée, gouffre d’où sortent des flammes, et il bâille de faim, mais sans trop d’impatience, car il sait bien comme il sera nourri et rassasié tout à l’heure.

En effet, sur l’étroit chemin qui serpente jusqu’au sommet de la montagne verte, s’avance au milieu des chants, des cris et des rires et au bruit des instruments, une foule dansante, ivre, joyeuse, bariolée : soldats sur leurs chevaux, princes aux longues robes d’or, juges vêtus d’écarlate, artisans portant leurs outils, merciers comptant leurs sacs d’écus, jeunes gens et fillettes coiffés de chapeaux de fleurs, voluptueux caressant les jeunes filles aux gorges nues, enfants cueillant des fleurettes, rhythmeurs faisant résonner des luths, vieillards augustes couronné de lauriers.

Sans ralentir leur marche, des écuyers et des échansons leur servent des mets délicieux qu’ils savourent, et leur versent à boire des vins pourprés, et des pages leur offrent, pour essuyer leurs mains, l’or de leurs chevelures blondes. Et riant, causant, chantant, d’un pas toujours plus pressé et joyeux, ils arrivent au haut de la montagne escarpée, et de là, un à un, comme des milliers de cailloux lancés par une invisible main, — tombent dans le gouffre.