La Lanterne (Buies)/La Lanterne N° 15

(p. 191-205).


LA LANTERNE


No 15



Je soutiens que l’évêque de Montréal n’est pas le représentant du Christ.

En effet, le Christ, sur la montagne, ne disait-il pas aux pharisiens avides de lui témoigner leur empressement pour sa personne :

« Ce ne sont pas ceux qui m’interpellent « Seigneur, Seigneur, » qui iront dans le royaume des élus, mais ceux qui font la volonté de mon père qui est dans les cieux. »

Or, l’évêque de Montréal se laisse appeler, par les pharisiens du Nouveau-Monde et de l’Ordre, non-seulement Seigneur, mais Monseigneur (ce qui indique une servitude personnelle), mais Sa Grandeur, Sa Grâce, l’Illustrissime, le Révérendissimo, rivalisant en cela avec l’évêque Larocque, l’insatiable de titres, qui finira par se faire appeler le Logissime, pour la quantité de logements où il s’installe.

Plus le Nouveau-Monde accable l’évêque Bourget d’issimes, plus le dit évêque accable le Nouveau-Monde de bénédictions.

D’où je conclus que l’évêque de Montréal est un hérétique.

Le pape Pie IX, glorieusement régnant, c’est-à-dire régnant par l’aumône et le chassepot, a conféré à Mgr. Ignace le privilège extraordinaire de distribuer des bénédictions dans les églises de son diocèse.

L’évêque a débuté par la chapelle de son évêché — charité bien ordonnée commence par soi — et il a fini par l’église de Saint-Pierre, dimanche dernier, après avoir passé par celle des Jésuites.

La première église de Montréal, Notre-Dame, qui appartient aux Sulpiciens et qui réunit dans ses murs autant de fidèles que les trois autres ensemble, a été laissée de côté.

Voilà ce que les Sulpiciens perdent à ne pas abandonner tous leurs biens et droits à l’évêque. Mais qu’est-ce en comparaison de ce que perdent les fidèles !

Évidemment, la bénédiction papale a des effets mystérieux et le crime des Sulpiciens est d’une énormité particulière, puisqu’on le punit dans la personne des paroissiens.

Mais ce qui confond d’admiration, c’est la logique impitoyable de l’évêque :

« Ah ! Vous ne voulez pas me laisser maître de votre cathédrale et de vos séminaires ! très-bien : dix mille fidèles seront privés aujourd’hui de la bénédiction papale. »

J’ai cru un instant que la bénédiction papale avait peu de vertu, puisqu’on craignait de l’affaiblir en la distribuant à tous les diocésains, mais je fus bientôt détrompé en apprenant que cette bénédiction ne se donne généralement qu’à Pâques, et que le pape, brûlant d’envie de voir arriver à Rome l’évêque Bourget avant le carême, n’avait pu lui envoyer de bénédiction que ce qu’il en avait de fabriquée dans le moment.

L’évêque dut alors faire un choix ; il passa donc, comme il le dit lui-même, la bénédiction aux hommes de bonne volonté, excluant les Sulpiciens qui ont la volonté de ne pas se laisser dépouiller du peu qu’ils possèdent, acquis à la sueur de leur front, et qui ne comprend que la petite île de Montréal avec le tiers de la ville.

L’évêque est un profond politique. Il ne travaille du reste que pour la gloire de Dieu, et je vais le démontrer :

« À force, se dit-il, de faire toute espèce de misères aux Sulpiciens, de priver Notre Dame de toutes les pompes du catholicisme, je finirai par la faire déserter. »

Alors, comme le Gésu et la chapelle de l’évêché sont déjà remplis, il faudra qu’on bâtisse une nouvelle église pour loger tous les fidèles qui auront fui la « paroisse. »

Alors, des souscriptions, et des souscriptions, et des souscriptions.

Et l’on verra l’argent affluer à l’évêché, et je promettrai un temple comme celui de Saint-Pierre de Rome, et lorsque j’aurai 300,000 piastres, je ferai bâtir une chapelle en briques pour les hommes de bonne volonté. »

Que Dieu doit être heureux d’avoir un serviteur si intelligent, un serviteur qui comprend avec tant de facilité que pour bien servir ses intérêts, il faut avant tout posséder le capital !

Toutefois le Nouveau-Monde raconte que :

« Après la cérémonie de la bénédiction la foule s’écoula lentement, non pas cependant sans avoir attendu le départ de l’illustre évêque, comme pour jouir plus longtemps de la vue de ce père vénéré qui doit pendant plusieurs mois vivre loin de ses enfants. »

On ne peut lire sans une douleur profonde ces lignes qui témoignent du peu de cas que les fidèles ont fait de la bénédiction papale.

Il semble pourtant que lorsqu’on possède un trésor inestimable comme celui-là, on doit oublier tout le reste.

Eh bien ! non. Ce qui préoccupait le plus les assistants, c’étaient le bas de la soutane de l’évêque et la hauteur de ses talons de bottes paternelles.

Ils ne tenaient qu’à le voir partir.

Oh ! la foi s’en va, la foi s’en va, et l’évêque aussi ! ah !

Mais savez-vous ce qui se passa au moment le plus solennel de cette cérémonie qui jamais ne s’effacera de mon souvenir ?

« Coïncidence singulière ! » s’écrie le Nouveau-Monde. « Au moment où Sa Grandeur commençait à parler, le soleil, qui jusqu’alors s’était tenu caché derrière les nuages, vint tout à coup éclairer le magnifique tableau des officiers sacrés dont notre pontife occupait le centre, et inonder le sanctuaire d’une lumière éclatante, pendant que le reste du temple était plongé dans une demi-obscurité. »

Coïncidence singulière est un blasphème.

Comment ! vous, Nouveau-Monde, vous feignez d’ignorer que Mgr . Ignace avait arrêté le soleil jusqu’au moment où il ouvrirait la bouche, et que le soleil n’aurait jamais osé se montrer avant lui !

Coïncidence ! c’est joli, ah, vraiment ! Quoi ! l’astre du jour étincelant tout à coup sur les officiers sacrés, dont le pontife était le milieu, pendant que le reste du temple est dans l’obscurité, ne démontre-t-il pas clairement combien les mesures étaient prises à l’avance pour que le soleil ressemblât à la bénédiction papale, laquelle ne se donne qu’à un petit nombre ?

Non, vous essaierez en vain de cacher ce nouveau trait de l’humilité de Monseigneur qui cherche à dérober à tous les regards son infinie puissance. Vous ne ferez croire à personne que cette apparition subite du soleil au moment où il va parler est l’effet du hasard.

L’intervention divine est ici évidente, palpable.

Une seule chose est à regretter, c’est que l’évêque, connaissant le moment précis où le soleil se montrerait, n’ait pas convoqué ses enfants la nuit. Avec quel éclat irrésistible sa puissance eût éclaté alors !

Excès d’humilité…

Mgr . a trouvé un autre moyen (n’allez pas de suite songer à vos bourses) de faire coopérer ses ouailles à l’œuvre du Concile. D’abord, l’œuvre du Concile, personne ne la connaît ; mais cela est indifférent, on coopère sans connaître. Il suffit d’être un homme de bonne volonté, — et ce moyen dont je parle, « c’est la savante prédication et la doctrine si bien expliquée qui se donnent au Gésu, et qui semblent être la mission spéciale de ce temple. »

Le Gésu ayant reçu la mission spéciale de bien expliquer la doctrine, il s’en suit que les autres églises n’ont pas reçu cette mission, ou ont reçu celle de mal l’expliquer.

C’est ce que j’admets à priori, mais je l’admettrais encore bien mieux pour le Gésu, dont toute la mission spéciale ne me paraît être que de taquiner sans cesse les Sulpiciens et de les supplanter, s’il est possible, pourvu que le soleil continue à s’en mêler.

Nous n’avons eu jusqu’à présent que les partis politiques, ou politico-religieux, ainsi dénommés : conservateur, libéral, ultra-conservateur et libéral-conservateur, enfin libéral-catholique ; cette dernière nuance représente ceux qui veulent la plus entière liberté d’opinion, pourvu qu’il n’y en ait aucune dans la manière de l’exprimer et surtout de la mettre en pratique.

Maintenant, nous allons avoir les partis religieux. D’un côté le Gésu, l’évêque, le soleil et le Nouveau-Monde, qui représente le reste du temple.

De l’autre la cathédrale, les Sulpiciens et la Minerve.

Je suis convaincu que c’est la fin du monde.

Mais ce ne sont pas là tous les faits et gestes de Monseigneur.

Comme il doit partir bientôt, je veux qu’il n’ait rien à me reprocher et qu’il constate avec quel empressement jaloux, avec quelle extase inquiète je suis chacun de ses pas.

Or donc, le 6 Janvier, après-midi, Monseigneur s’est rendu à l’Hôtel-Dieu,

« Où, suivant une touchante et pieuse pratique, Sa Grandeur a coutume d’aller tous les ans, à pareil jour, servir à la table les pauvres et les malades. Le pieux évêque était comme d’ordinaire, entouré et aidé des membres de la société de Saint-Vincent-de-Paul. » — Nouveau-Monde du 7.

À ce récit, je me suis senti fondre.

Quel enseignement ce doit être que de voir une fois Sa Grandeur réduite à ses justes proportions ! On ne sait pas si Elle avait un tablier.

Sa Grandeur se faisant petite et humble ! Il est vrai qu’elle n’en veut pas prendre l’habitude, et que ce n’est qu’une fois l’an.

Je vois Sa Grâce s’approchant des pauvres et des malades, qu’elle connaît tous par leur nom et dont elle cherche à multiplier le nombre, pour renouveler le plus longtemps possible la touchante cérémonie :

— « Toi, Polycarpe, qu’est-ce que tu prends ?

— Une côtelette de Pacifique, Monseigneur.

— Et toi, Anatasie ?

— Une tranche du mollet de Vital, Illustrissime.

— Et toi, Eutichien ?

— Un morceau de sainte blague aux petits oignons.

— Et toi, Cunégonde ?

— Une soupe d’oseille à l’eau bénite.

— Canut, mon bien-aimé, que prends-tu à ton tour ?

— Un morceau de buffle à la sauce de mandement, divine Grandeur.

— Que t’offrirai-je à toi, Reginfrède chérie ?

— Je ne veux rien, rien, Monseigneur, que votre présence réelle aux champignons,

— Oh ! viens, viens sur mon cœur, toi en qui j’ai mis toutes mes complaisances, reçois-moi, prends-moi, mange-moi, étouffe-toi de moi, vois-tu, oh ! encore ! tiens, voici mon corps et mon sang, avale tout. »

Quelle abnégation et quel sacrifice de soi-même !

C’est à ce moment surtout que la cérémonie devient touchante.

Que reste-t-il à désirer après cela ?

Mourir d’indigestion sacrée.

Puis, le Nouveau-Monde continue en ces termes le récit de toutes les grandes choses accomplies par Monseigneur la semaine dernière.

« Il ne serait peut-être pas déplacé de dire au sujet de la belle fête du Gésu dont nous parlons aujourd’hui, que le magnifique dais suspendu au-dessus du trône de l’évêque est un morceau tout à fait historique. Ce n’est rien moins que le dais qui servit au sacre de Charles X dans la cathédrale de Reims. Donné par la duchesse de Berry aux Jésuites de France, ceux-ci en firent cadeau à leurs frères du Canada lorsqu’ils abandonnèrent leur collége de Brugelette. »

Il ne serait peut-être pas déplacé non plus de dire, au sujet de la belle fête du Gésu, que le magnifique daim assis sur le trône épiscopal est un daim tout à fait national. Ce n’est rien moins que le daim qui n’a jamais servi dans l’église de Notre-Dame de Montréal. Livré corps et âme aux Jésuites du Canada, ceux-ci l’exposent aux curieux, lorsqu’ils officient dans leur église de la rue Bleury.

Ô Christ, ami des pauvres, des déshérités et des accablés de ce monde, où es-tu ?

Te vit-on jamais sur un trône ou sous un dais royal ?

Quelle autre couronne eus-tu jamais que celle des épines qui ensanglantèrent ton front ?

Les grands, la pompe et les spectacles, tu les fuyais. Mais tu relevais sur ta route l’humble écrasé par le sort, tu le consolais en lui montrant les cieux et tu lui donnais l’espérance, seul trésor des infortunés.

Vois aujourd’hui ton représentant qui s’intitule évêque par ta grâce, qui met la croix à côté de ses trésors, reçoit cent coups d’encens à la minute, et montre aux autres ton Calvaire en s’enivrant de splendeurs.

J’ai enfin trouvé un adversaire qui discute avec moi d’une façon sérieuse et digne. Il est vrai qu’il m’a assommé du coup. Mais qu’importe ! J’ai l’âpre plaisir de voir qu’on a gardé pour moi les plus gros traits, les coups décisifs.

Voici ce que dit la Gazette des Campagnes, journal d’agriculture :

« On vient de nous passer un numéro de la salle et dégoûtante guenille de M. Buies, guenille qui a nom La Lanterne, quoiqu’elle n’ait pas reçu le baptême. M. Buies fait de gigantesques efforts pour effacer en lui le signe sacré et indélébile que lui a imprimé ce sacrement, à l’influence duquel il a soustrait sa progéniture. (Progéniture est employé ici au point de vue agricole.) Ce qu’il ambitionne passionnément, c’est de devenir tout à fait semblable à la brute ; en conséquence de ses goûts dépravés, il tente de salir de sa bave immonde ceux qui aspirent à ressembler aux anges, (comme M. l’abbé Pilote, directeur de la ferme-modèle de Sainte-Anne, qui fait des voyages angéliques au compte de la Chambre d’Agriculture dont il n’a jamais été membre.) Que M. Buies prenne patience : s’il a quelque jour la bonne fortune de tomber à quatre pattes, il gardera cette position qu’il affectionne tant. (Je n’ai jamais eu de goût particulier pour le quadrupède, et j’aime autant le directeur de la ferme-modèle que n’importe quelle bête à cornes.) Rien ne saurait nous surprendre dans les faits et gestes de M. Buies : c’est une tête sans cervelle ; il a été rebelle à toute bonne éducation. »

Ceux qui n’ont pas saisi toute la profondeur de ces arguments auront sans doute lu à la légère.

Peut-être aussi que leur forme discrète, équivoque et voilée, en rend le sens d’autant plus difficile à pénétrer par des lecteurs qui ne sont pas habitués à ces finesses de bouvier.

Ainsi : Sale et dégoûtante guenille, mes goûts dépravés, désir rendu si victorieusement manifeste que j’ai de devenir tout à fait semblable à la brute, continuelles tentatives de salir de ma bave immonde ceux qui ressemblent aux anges, passion effrénée que j’ai pour le quadrupède, et cet argument irrésistible par-dessus tous qui démontre que j’ai soustrait ma progéniture à l’influence du baptême, hein ! Qu’en dites-vous ? Mais, c’est un peu fort tout de même pour un célibataire.

Il est évident qu’il faudra que je me fasse exorciser, pour me sortir du corps toute cette agglomération de fils et de petits-fils qui y naissent sans que je m’en doute, ou bien que je me fasse baptiser jusqu’à la cinquantième génération au moins.

Me voici en possession d’une nouvelle Lettre Pastorale. Aujourd’hui, c’est l’évêque de Rimouski qui s’est senti venir l’eau à la bouche en voyant les milliers de dollars perçus par l’évêque de Montréal, car il faut savoir que les Lettres Pastorales n’ont plus aujourd’hui d’autre motif que de faire souscrire ou d’empêcher les discussions d’intérêt public.

De cette façon la foi se maintient d’après le montant des souscriptions. Il faut savoir s’y prendre.

Voyez un peu la maladresse des premiers apôtres et leur étroitesse de vues. Ils s’amusaient à évangéliser, prêchaient d’exemple la pauvreté et l’abnégation, parcouraient les villes et les campagnes, poursuivis, traqués, mais convertissant les âmes, sans s’apercevoir que c’était précisément là le moyen d’inspirer à leurs successeurs directs l’envie d’acquérir.

Je commence à croire que l’Évangile a toujours été mal compris, puisque les évêques, qui sont infaillibles, interprètent, « le fils de l’homme n’a pas un endroit pour reposer sa tête » comme ceci : « Bâtissez-nous de jolies écuries ; donnez-nous des chevaux et de jolis petits carrosses pour promener notre jolie personne, pour l’amour de Dieu, et vous serez bien gentils. »

Paraphrase pratique, ce qui manque d’ordinaire aux interminables discussions sur les textes.

L’Evêque de Rimouski, installé depuis un an dans un spacieux presbytère tout neuf, à côté d’une magnifique église qui a coûté 12,000 louis, et qui n’est pas payée, tant s’en faut, a trouvé que le meilleur moyen de liquider cette énorme dette était de se faire bâtir un palais épiscopal par ses paroissiens.

S’il faut maintenant qu’on introduise l’homœpathie dans la religion, il n’y a personne qui soit certain de son salut, et moi tout le premier, car au premier créancier qui se présentera je dirai : « Pardon monsieur, je vous dois vingt dollars, n’est-ce pas ? Bien, je souscris un écu pour acheter une cuvette à l’évêque de Rimouski ; nous sommes quittes. »

Mais je ne veux pas priver plus longtemps mes lecteurs du texte même de l’immortel document où Mgr . Jean Langevin, évêque de Rimouski, s’adresse aux entrailles de ses ouailles :

JEAN LANGEVIN,

« Par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint-Siège, premier évêque de Saint-Germain de Rimouski.

« Depuis que la voix du chef de l’Église Nous a appelé à la conduite de ce Diocèse, Nous n’avons cessé de chercher les moyens d’y assurer l’avenir de notre sainte religion par la fondation d’un séminaire et d’un évêché. »

Ainsi, à moins que les habitants de Rimouski ne bâtissent un palais à leur évêque, la religion est flambée.

« Il est facile de comprendre qu’il Nous serait impossible de réaliser ces projets importants pour le bien du Diocèse au moyen des faibles contributions qui Nous sont parvenues jusqu’ici. Mais d’un autre côté, Nous voudrions réussir à effectuer ces constructions sans surcharger de dettes, surtout d’intérêts ruineux, la Corporation Épiscopale, (c’est évident, cela avant tout) en même temps que Nous désirerions éviter toute entreprise qui serait trop à charge aux paroisses. »

Le moyen de décharger les paroisses, c’est de les faire souscrire.

« Eh bien ! Nos Chers Frères, (appelons-les Chers Frères, c’est adoucissant) il nous semble que le Seigneur Nous a inspiré un mode tout à la fois efficace et peu onéreux de prélever les fonds nécessaires. »

Il nous semble ! Monseigneur Jean n’est pas certain, mais avec un peu plus de temps, il aurait avoué que c’est l’archange Gabriel lui-même qui lui a apparu et lui a suggéré ce mode facile et lumineux. On voit bien qu’il n’est pas encore rompu au métier comme l’évêque Bourget.

« Voyez quels magnifiques résultats produisent les contributions d’un seul sou par semaine pour la Propagation de la Foi et d’un sou par mois pour la Sainte Enfance ? (Non, on ne les voit pas du tout). Ce sont ces œuvres vraiment catholiques que nous prenons pour modèles. »

Rien n’est catholique comme d’être logé dans un beau palais.

« Après avoir consulté les membres du clergé que Nous avons pu voir, (pourquoi les consulter, si vous êtes inspiré ?) particulièrement ceux de notre Conseil, » (ah ! on ne pouvait mieux choisir. Voilà un homme qui sait se faire approuver) « et avoir rencontré partout une approbation entière de notre plan, (ça va de soi), Nous nous proposons donc de remplacer les différentes quêtes indiquées pour le collège et l’évêché par une seule contribution annuelle, et cette contribution sera, en moyenne, de quinze sous ou la valeur de quinze sous par communiant, pendant dix ans. »

L’éreintement n’est pas encore visible. Il faut des précautions oratoires, pour ne pas effaroucher les gens ; vous allez voir arriver les piastres tout-à-l’heure.

« De cette façon, une famille de quatre communiants n’aura à donner par année que d’un écu à trois trente sous. (Voilà que ça vient). Nous sommes d’ailleurs persuadé que beaucoup de familles à l’aise n’hésiteront pas à offrir deux, trois et quatre piastres annuellement, (Aïe, aïe, ça y est), afin de suppléer à la pauvreté de quelques-uns de leurs co-paroissiens. »

Quand ils seront tous pauvres, Monseigneur aura son palais, et il les bénira pour leur donner des rentes.

Je crois remarquer dans l’évêque Langevin des tendances annexionnistes. Avant deux ans, son diocèse sera vide, tous les habitants l’auront quitté pour les États-Unis.

« Quel est celui d’entre vous qui ne dépense pas inutilement ou mal à propos la valeur de quinze sous par année ? Or, voilà les etrennes que nous demandons au nom de l’Enfant Jésus à chaque communiant de notre Diocèse. »

Allons, bon ! voilà l’enfant Jésus là-dedans.

Des étrennes, des étrennes, mes enfants. Ah ! comme mon cœur paternel s’émeut. Soyez bénies, ouailles adorées :

« Nous voudrions pouvoir parcourir les différentes localités et réclamer Nous-même cette légère contribution. »

Vous voyez que ça n’est pas l’envie qui manque. Mais Monseigneur n’a peut-être pas encore de carrosse, et il n’aime pas à aller à pied, comme saint Pierre.

« Nous avons la douce (Douce est attendrissant ; je mets la main dans ma poche) confiance que personne ne refuserait de verser dans la main de son évêque ces quelques sous, destinés à faire tant de bien. »

Il n’est pas besoin d’être évêque pour mendier de cette façon-là ; Montréal est rempli de gamins en guenilles qui en font autant tous les jours.

Mais ils ne disent pas que ces quelques sous sont destinés à faire tant de bien. Il leur manque l’infaillibilité.

« Mais ce que Nous ne pouvons faire, vous voudrez bien l’exécuter (oui, exécutez les paroissiens) en notre nom, vénérables curés, nos dignes coopérateurs. »

Dignes s’entend dans le sens de capables de bien quêter.

« Mais comment, dira peut-être quelqu’un, une contribution si minime, quinze sous par année, pourra-t-elle suffire à des œuvres si importantes ? »

Attendez un peu ; Mgr . prépare ses batteries pour demander davantage et suppose des objections, mais il ne dit pas si elles sont inspirées. C’est essentiel pourtant.

« Comme Nous sommes sur le point de demander des soumissions à des entrepreneurs, Nous comptons que personne ne fera défaut. »

Ce n’est pas seulement aux entrepreneurs que les évêques demandent des soumissions ; jusqu’à présent, c’était à tout le monde. Les entrepreneurs feront une variante.

« Nous avons besoin du concours de tous sans exception, et nous le réclamons au nom de la gloire de Dieu, au nom des intérêts les plus chers de la religion, au nom de la conscience, qui oblige chaque fidèle à contribuer au recrutement du clergé, au logement et à l’entretien de son premier Pasteur. »

Crescendo. Voilà l’obligation maintenant. Mais pourquoi demandez-vous au lieu d’ordonner, si vos paroissiens sont obligés ?

C’est pour la gloire de Dieu ! songez-y ; il faut que ça marche.

 S’il faut encore à quelques-uns un autre motif pour exciter leur générosité, ils le trouveront dans les avantages spirituels suivants :

Une messe basse sera célébrée dans la chapelle du nouveau séminaire et dans celle du nouvel évêché, une fois par mois pendant vingt-cinq ans, (c’est long, mais ça paie si bien !) pour tous ceux qui auront régulièrement contribué de la somme demandée. »

Et à ceux qui n’auront pas contribué on refusera l’absolution.

« Ces entreprises importantes, (Importantes ! hein !) Nous les mettons humblement sous la protection de la très-sainte Vierge, (La sainte Vierge a pas mal d’ouvrage de ce temps-ci. Il y a tant d’évêques qui mendient sous sa protection, qu’elle pourrait bien se tanner. Mais enfin, en lui rafraîchissant le souvenir…) convaincu que cette bonne et tendre Mère fera réussir ces projets au-delà même de notre attente, et que, sous ses auspices, la jeunesse studieuse du Diocèse pourra, d’ici à deux ans, prendre possession du nouveau séminaire, et qu’il ne s’écoulera guère plus de deux autres années avant que l’Évêque puisse entrer dans sa nouvelle demeure . »

C’est là ce qu’il ne faut pas perdre de vue.

Je ne puis me lasser d’admirer combien on est heureux d’être évêque. On mendie, on conjure, on tond, on se fait donner quelques sous qui finissent par des piastres, et quand tout le monde est ruiné, on rejette cela sur le compte du bon Dieu, de la sainte Vierge et de l’enfant Jésus.

« Le succès de ces deux œuvres amènera d’ailleurs la réalisation d’une autre également intéressante, l’établissement d’une maison-mère et d’un noviciat pour les Sœurs de la Charité à Rimouski. (Encore ! encore de la charité ! ah ! voyons, y a un bout). C’est dans ce but que nous faisons construire une allonge à notre demeure provisoire. »

Ici, Mgr . sent le besoin d’une allonge.

« Nos Chers Frères, il est toujours pénible d’être réduit à mendier ; mais quand c’est un père qui implore la charité de ses enfants, il a au moins la consolation de ne pas solliciter en vain. »

Oui, cela est un peu ennuyeux dans les commencements ; mais quand on en a l’habitude comme l’évêque de Montréal, ça devient un vrai plaisir.

On a des enfants, après tout, c’est pour qu’ils soutiennent notre vieillesse.

« Certain que vous vous rendrez tous à nos désirs, nous vous bénissons très-affectueusement au commencement de la nouvelle année, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Ah ! Ah ! quand je vous le disais que la bénédiction viendrait par là-dessus !…

Le Saint-Esprit n’avait pas encore fait son apparition. Mais il n’a rien perdu pour attendre, comme vous voyez.

Maintenant que les trois personnes de Dieu sont en cause, Mgr . Jean peut-être certain du succès.

Mais quel habile homme, et dire qu’il n’en est encore qu’à son début ! vertudieu ! Il succédera à l’évêque Bourget.

La Gironde contient les détails suivants sur la manière dont se sont conduites les troupes de la reine d’Espagne, à Béjar :

« Repoussés par les libéraux, retranchés dans les maisons et derrière les barricades, quelques soldats ont tué des vieillards, des femmes, des enfants dans la petite partie de la ville qui a été six heures à leur merci. Un soldat a embroché un enfant arraché du sein de sa mère, et l’a promené au bout de sa baïonnette dans la ville. Un autre soldat a tué la mère. »

On remarquera que le droit divin ne ressemble pas au droit populaire. Le premier fait éventrer les enfants ; le second pardonne aux bourreaux.

J’allais oublier un de ces documents comme Dieu permet qu’il en existe, afin que ma Lanterne soit toujours à flot.

Poussé par une fatalité providentielle, le Nouveau-Monde me remet en voie. Mardi, il revenait encore sur la question de l’Institut-Légal.

« Si les élèves, dit-il, persistent à se réunir à l’Institut-Canadien, quelle espèce de public peuvent-ils se flatter de réunir ? Depuis que l’Institut-Canadien se trouve sous le coup des censures ecclésiastiques, quel est l’auditoire qui se rend à ses séances publiques ?

« Il existe dans Montréal des Sociétés, hautement patronnées par le public canadien, qui se feraient grand plaisir, nous en sommes sûr, d’accueillir l’Institut-Légal et de mettre à sa disposition leurs salles et leurs livres : pourquoi n’essaierait-il pas quelques démarches ? »

Quand on parle de ces « Sociétés hautement patronnées… » c’est avant tout, bien entendu, de l’Union-Catholique qu’il s’agit. Eh bien ! lecteurs, attrapez moi ceci, et jugez un peu si le public qui patronne cette société bouffonne, n’est pas revêtu d’une carapace de stupidité ou de plate hypocrisie qui défie tous les projectiles connus.

À moins que ce public n’aille à l’Union pour rire de ce qu’il y entend ; alors c’est autre chose. L’Ordre appelle ce qui suit une belle adresse. Pourquoi pas ? il dit bien aussi que l’évêque de Montréal est un homme éloquent !

C’est M. Bourgoin portant la parole à M. l’évêque Bourget, à une séance récente de l’Union-Catholique :

« Monseigneur, vous apportez à cette séance remarquable l’éclat de votre présence, et nous la sincérité de notre affection et de notre dévouement pour un auguste prélat ; et nous voudrions que les portes de notre institution fussent aussi vastes que celles de nos cœurs pour recevoir dignement la plénitude de votre prestige sacré, comme nos cœurs sont toujours prêts à livrer passage aux affections d’un dévouement et d’une admiration illimités envers Votre Grandeur.

« La présence de Votre Grandeur dans cette enceinte est pour nous un événement ; mais Mgr ., je ne dirai pas que c’est un spectacle inaccoutumé. Il ne nous est pas donné, il est vrai, de vous posséder souvent, et nous pourrions compter nos bonheurs : (l’Union Catholique n’a qu’une séance tous les six mois, ce qui est certainement un grand bonheur, pour ses membres et pour le public), mais nous qui sommes l’Union-Catholique, l’union des cœurs et des esprits dans la vérité de l’enseignement religieux, nous nous croyons en quelque sorte, identifiés avec l’Église même, dont nous sommes les enfants. Quand nous venons ici réchauffer nos cœurs dans ce brasier entretenu par la main savante des bons Pères, et dont la foi s’échappe en rayonnements suaves et pénétrants, nous vous portons tous dans notre âme comme notre chef et notre père. Votre autorité est là à côté de celle de l’Église ; le respect que nous portons à la sainte institution de Dieu se confondent dans l’unité de l’enseignement divin, dans l’Union Catholique de nos aspirations et de notre vénération !

« Nous sommes donc habitués, Mgr ., à votre présence mystique, à votre présence symbolique, sous laquelle ont lieu toutes nos réunions. Votre Grandeur n’y vient presque jamais et Elle y est toujours. De loin comme de près, c’est vous qui nous guidez, parce que vous êtes la tête de l’Union-Catholique dont nous sommes les membres. Vous travaillez ailleurs que chez nous, et nous vous possédons dans les attributs de votre dignité hiérarchique.

« Monseigneur, cela ne nous empêche pas de savoir sentir les faveurs que nous attachons à votre présence réelle et véritable. C’est une grande fête pour nous ; car ce n’est pas seulement l’autorité de l’Église que Votre Grandeur porte avec Elle ; c’est aussi l’autorité de la vertu et de la sainteté dont vous nous donnez le consolant spectacle. Nous nous réjouissons de la présence de Votre Grandeur, parce que nous respectons le caractère sacré, la dignité inviolable, le mérite supérieur, les vertus modèles de Votre Grandeur. Vous êtes l’âme du diocèse et votre approche nous communique une nouvelle vie. Votre passage au milieu de nous sera marqué de nouvelles grâces, car le ciel bénit toutes vos œuvres, et vous nous aurez imprimé un élan plus vigoureux de ce « même bras qui lança dans l’opinion publique le projet de la sainte croisade vers la Ville Éternelle. »

Et cætera, et cætera, et cætera. On vous mangera bientôt, Mon seigneur, pour en finir. Faites comme le pélican, partagez-vous à vos enfants, qu’ils se mettent votre Grandeur dans le corps. Ils ont partout dans la tête et dans l’âme votre présence mystique et votre présence symbolique ; c’est bien le moins qu’ils aient quelques bouchées de votre présence réelle.

Jésus-Christ, Monseigneur, qui n’était qu’une pâle image de ce que vous êtes, s’offre tous les jours à manger au genre humain. Vous, condescendez à nous donner une de vos côtelettes tous les six mois, afin que nous vous possédions dans les attributs de votre dignité hiérarchique.

Je lis dans la Minerve du 7 Janvier.

Les Rapports annuels du Surintendant constatent une série de progrès marqués dans toutes les branches de l’enseignement, mais on aurait tort de donner à ces chiffres toute la valeur qu’ils paraissent avoir.

« En supposant que tous les chiffres fussent exacts, il ne resterait pas moins prouvé que dans la réalité, dans les résultats définitifs pratiques, notre instruction n’a pas la valeur qui lui est assignée dans ces Rapports Les faits sont plus frappants que les chiffres, et on aura beau entasser toutes tes additions possibles, on ne prouvera pas que notre système d’instruction publique a atteint les dernières limites du progrès et de la perfection.

« Nous sommes prêts, encore une fois, à reconnaître tous les succès obtenus et à donner tous les mérites possibles à qui de droit, mais nous disons aussi que le temps est venu pour le Bas-Canada d’avoir une politique parfaitement tranchée sur l’instruction publique, et que la nouvelle tendance doit être de plus en plus dans le sens de la propagation d’une instruction éminemment pratique.

Et plus loin :

« Nous aimerions à voir la législature de Québec donner une part convenable de son attention à une question qui en est si digne. Il ne s’agit pas de dépenser des sommes considérables, de créer des établissements dispendieux, de vouloir rivaliser, pour l’enseignement supérieur, avec les vieilles sociétés d’Europe. Cela ne nous convient pas.

« Laissons à l’Europe ce qui est de la nature des sociétés européennes, et n’oublions jamais que nous avons besoin d’une instruction à l’américaine. »

C’est pour avoir dit la même chose depuis quatre ans que l’on m’a décoché toute espèce d’appellations doucereuses, telles que brouillon, révolutionnaire, démagogue, perturbateur, destructeur d’ordre social… etc.

La Minerve elle-même, se joignant en Octobre dernier au concert des journaux trempés d’eau bénite, ne s’exclamait-elle pas en présence des statistiques du Journal de l’Instruction « que nous étions le peuple le plus instruit de la terre, et que, dans aucun autre pays, il n’y avait une si forte proportion d’enfants fréquentant les écoles ? »

Aujourd’hui, nous voilà devenus le plus ignorant peuple du monde, et les statistiques ne sont qu’un mirage.

Seuls, les démagogues, perturbateurs, destructeurs, comme moi, restent fidèles à ce qu’ils ont dit d’abord, parce qu’ils ont besoin de ne rien dire que d’incontestable, sans s’occuper des cris et des tempêtes.

La Minerve prend du reste un soin scrupuleux de démontrer par son propre exemple combien est juste ce qu’elle dit aujourd’hui.

En jetant un coup-d’œil sur ses Informations quotidiennes, j’y vois les expressions suivantes qui sont faites pour démolir toutes les statistiques imaginables du Journal de l’Instruction Publique. Réparages. — La sympathie de la France vis-à-vis de l’objet de l’ambassade Chinoise.

Senor Sagosta accuse les réactionnistes, de vouloir empêcher de prendre le plébiciste.

Et cela dans un seul numéro, s’il vous plaît !

Quand, il y a quelque temps, je me moquai des traductions de la Minerve, et fis voir par là combien il était difficile de trouver un jeune homme sorti de nos collèges avec assez de connaissance du français, de l’histoire et de la géographie, pour faire un simple traducteur de dépêches, je vis tomber une fois de plus sur moi les tuiles consacrées.

La Minerve donna entre autres pour excuse qu’il était bien naturel que des expressions incorrectes se glissassent dans des traductions faites la nuit à la hâte.

Eh bien ! il me semble que le Pays a, lui aussi, des traductions à faire, dans le même temps absolument que la Minerve, sans plus d’avantages, si ce n’est qu’il a plus de dépêches, et voici comment il a rendu la même phrase :

Senor Sagosta, ministre de l’intérieur, attribue les derniers troubles à Cadiz et à Malaga aux intrigues des réactionnaires, et il prétend que leur objet est de prévenir le plébiciste.

Ceci, au moins c’est du français.

Il est vrai que le Pays ne commence pas tous ses articles par des Veni Sancte, et ne finit pas ses traductions par des signes de croix.

Voici, du reste, comment le Pays répond, dans un article plein de justesse et d’à-propos, à tous ces braillards de la jeunesse incerto-conservatico-libérale qui font leur apparition de temps à autre, et auxquels la Minerve veut bien prêter par-ci par-là ses colonnes, comme on donne une beurrée à des petiots :

Quelques brebis attaquées se sont glissées au bercail et ont communiqué la contagion à un grand nombre.

Les jeunes surtout, dont le caractère et l’ardeur se plient difficilement au joug, dont l’intelligence aime à s’exercer, qui tous cherchent un champ, une carrière à parcourir, s’insurgent dès aujourd’hui et ne veulent plus obéir à la voix de leurs chefs. Prudents et dissimulés, ils voudraient changer les cadres du régiment sans toucher aux manœuvres. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils tentent l’impossible et que l’obéissance et la discipline sont les seules vertus appréciées dans le parti !

Discuter, donner des raisons, c’est de l’indépendance, de la libre recherche, tout cela sent la révolte et frise l’hérésie. Vous vous êtes appuyés jusqu’ici sur un appui qui vous a manqué qui s’est même changé en cause de chute, lorsque vous en avez eu besoin. Eh bien ! sachez qu’il en sera toujours ainsi, tant que vous voudrez conserver votre individualité. Il n’y a pas de tiers parti possible ; conservateurs ou libéraux, choisissez. Vos vêtements d’emprunt et vos allures multiples ne donnent le change à personne vous perdez inutilement le bénéfice de vos métamorphoses ; vous ne pourrez que devenir suspects aux vôtres sans servir le progrès.

Voilà pourquoi, enfin, les conservateurs vous repousseront comme dangereux, et nous comme inutiles, tandis que votre ridicule conspiration n’aura servi qu’à river plus fortement vos chaînes, affermir ce qu’elle voulait ébranler et livrer le secret du silence des uns comme du langage des autres.

Comprendrez-vous enfin, jeunes gens, comprendrez-vous qu’entre les mains du clergé, vous ne pouvez être qu’un instrument de circonstance qu’il brise dès qu’il n’en a plus besoin, qu’en croyant vous faire de lui un allié, vous vous êtes donné un maître qui exploite à son profit unique tout le bien que vous pouvez faire avec vos talents et votre énergie, qu’en persistant à ne pas vous arracher à vos chaînes, vous perdez de plus en plus le sentier de l’avenir, que vous vous rendez inhabiles aux conditions nécessaires de notre prochain état de société, et que vous vous trouverez avant longtemps peut-être isolés au milieu d’un monde qui aura marché sans vous ?

Mais combien de temps encore devrai-je prêcher dans le désert ?