La Légende des siècles/Le Travail des captifs

Welf, Castellan d’Osbor Victor HugoLa Légende des siècles
Nouvelle série
IX
Avertissements et châtiments


I
Le Travail des captifs
Homo duplex






LE TRAVAIL DES CAPTIFS




 
Dieu dit au roi : Je suis ton Dieu. Je veux un temple.

C’est ainsi, dans l’azur où l’astre le contemple,
Que Dieu parla ; du moins le prêtre l’entendit.
Et le roi vint trouver les captifs, et leur dit :
— En est-il un de vous qui sache faire un temple ?
— Non, dirent-ils. — J’en vais tuer cent pour l’exemple,

Dit le roi. Dieu demande un temple en son courroux.
Ce que Dieu veut du roi, le roi le veut de vous.
C’est juste. —

C’est juste. —C’est pourquoi l’on fit mourir cent hommes.

Alors un des captifs cria : — Sire, nous sommes
Convaincus. Faites-nous, roi, dans les environs,
Donner une montagne, et nous la creuserons.
— Une caverne ? dit le roi. — Roi qui gouvernes,
Dieu ne refuse point d’entrer dans les cavernes,
Dit l’homme, et ce n’est pas une rébellion
Que faire un temple à Dieu de l’antre du lion.
— Faites, dit le roi.

— Faites, dit le roi.L’homme eut donc une montagne ;
Et les captifs, traînant les chaînes de leur bagne,
Se mirent à creuser ce mont, nommé Galgal ;
Et l’homme était leur chef, bien qu’il fût leur égal,
Mais dans la servitude, ombre où rien ne pénètre,
On a pour chef l’esclave à qui parle le maître.

Ils creusèrent le mont Galgal profondément.
Quand ils eurent fini, l’homme dit : — Roi clément,

Vos prisonniers ont fait ce que le ciel désire ;
Mais ce temple est à vous avant d’être à Dieu, sire ;
Que votre Éternité daigne venir le voir.
— J’y consens, répondit le roi. — Notre devoir,
Reprit l’humble captif prosterné sur les dalles,
Est d’adorer la cendre où marchent vos sandales ;
Quand vous plaît-il de voir notre œuvre ? — Sur-le-champ.
Alors le maître et l’homme, à ses pieds se couchant,
Furent mis sous un dais sur une plate-forme ;
Un puits était bouché par une pierre énorme,
La pierre fut levée, un câble hasardeux
Soutint les quatre coins du trône, et tous les deux
Descendirent au fond du puits, unique entrée
De la montagne à coups de pioches éventrée.
Quand ils furent en bas, le prince s’étonna.
— C’est de cette façon qu’on entre dans l’Etna,
C’est ainsi qu’on pénètre au trou de la Sibylle,
C’est ainsi qu’on aborde à l’Hadès immobile,
Mais ce n’est pas ainsi qu’on arrive au saint lieu.
— Qu’on monte ou qu’on descende, on va toujours à Dieu,
Dit l’architecte ayant comme un forçat la marque ;
Ô roi, soyez ici le bienvenu, monarque
Qui parmi les plus grands et parmi les premiers
Rayonnez, comme un cèdre au milieu des palmiers
Règne, et comme Pathmos brille entre les Sporades.
— Qu’est ce bruit ? dit le roi. — Ce sont mes camarades
Qui laissent retomber le couvercle du puits.
— Mais nous ne pourrons plus sortir. — Rois, vos appuis

Sont les astres, ô prince, et votre cimeterre
Fait reculer la foudre, et vous êtes sur terre
Le soleil comme au ciel le soleil est le roi.
Que peut craindre ici-bas Votre Hautesse ? — Quoi !
Plus d’issue ! — Ô grand roi, roi sublime, qu’importe !
Vous êtes l’homme à qui Dieu même ouvre la porte.
Alors le roi cria : — Plus de jour, plus de bruit,
Tout est noir, je ne vois plus rien. Pourquoi la nuit
Est-elle dans ce temple ainsi qu’en une cave ?
Pourquoi ? — Parce que c’est ta tombe, dit l’esclave.