La Justice au village
La justice au village
Théâtre des jeunes Elèves
de
Monsieur Comte.
N°. 1274
Enregistré le 9 9bre 1837
Galuchon, Bailli.
Calumel, messier.
Butignot, avocat, dentiste, barbier et mercier.
Jacques savoyard
Made Butignot
Catherine servante de Galuchon
Jeanne savoyarde
Paysans Paysannes
Monsieur Le marquis des Martigues
La scène se passe aux Martigues dept des bouches du rhône en l'an 1775
Le théâtre represente le cabinet du Bailli. Table a droite du spectateur, paperasses, plumes encre &a
Scène première
Attention, Mons Calumet cette affaire parait majeure. Point de lenteur, parlez tout net
J’en ai tout au plus pour une heure.
Pour une heure ? mais sans façon vous traitez avec la justice, et pour votre âge mon garçon c’est faire un métier de novice.
Vous parlez toujours de mon âge, comme s’il dépendait de moi d’être plus jeune ? c’est mal à vous, Monsieur Galuchon.
Il n’y a point de Galuchon ici quand je suis en fonction, il n’y a qu’un bailli.
D’accord, Monsieur le bailli.
Et vous dites que les délinquans sont savoyards ?
Oui, Monsieur le bailli.
Mais êtes-vous bien sur qu’ils soient de la Savoie, c’est-à-dire nés hors de France ?
Pour ce qui est de ça, Monsieur le bailli, je ne sais trop que sans répondre.
Diable !… me voilà bien embarrassé. (écrivant) passons à autre chose. (il relit) le 10 mai 1775, dans la commune des Martigues, bouches-du-Rhône, et sur les trois heures de l’après midi, a comparu devant moi, Galuchon, maître d’école et bailli des Martigues, le sieur Jean Ignace Pancréas Crhrisostome Calumet, qui a déclaré, par son procès-verbal en bonnes et dues formes, a déclaré (relevant la tête) qu’avez-vous déclaré ?
Ne savoir pas écrire.
Après ?
Qu’ayant entendu (pendt que Calumet parle, Galuchon écrit) un lièvre partir et ayant vu un coup de fusil courir.
Faites donc attention, fonctionnaire, vous mettez la charrue devant les bœufs… c’est très important, mon jugement serait cassé à la correctionnelle pour défaut de formes.
Juste Monsieur Galuchon
Appelez moi Bailli, je suis en fonctions.
Pardon, excuse, Monsieur Ga… Monsieur le Bailli.
À la bonne heure, j’aime à vous voir respecter la magistrature. Continuez.
Qu’ayant vu un lièvre partir et ayant entendu un coup de fusil il s’était mis, lui Calumet, à courir pour apprehender au corps le délinquant.
Quant.
Quand il courait.
Imbécile je répète ce que vous me dictez.
C’est différent, m’y voilà. Que n’ayant aperçu dans le bois appartenant à Monseigneur des Martigues, autre chose que deux petits savoyards, il leur avait crié de loin : arrêtez de par le roi, au nom de la loi, que les deux susdits savoyards, fille et garçon, au lieu de s’arrêter s’étaient mis à courir à toutes jambes sans donner au dit Calumet le temps de souffler.
Souffler.
Que, heureusement le sieur Butignat, epicier, mercier, dentiste et barbier de la commune des Martigues avait prêté main-forte à l’autorité et contribué à l’arrestation des deux petits vagabonds.
Bonds.
Certainement que c’est bon, vu qu’on a trouvé sur eux.
Le lièvre tué ?
Bien mieux, monsieur Galuchon, bien mieux.
Calumet, appelez-moi Bailli.
Monsieur le Bailli, appelez-moi fonctionnaires.
Poursuivez votre narration.
Que je poursuive, Monsieur le Bailli ?
Votre récit, stupide homme.
Si vous parlez latin comment voulez-vous que je comprenne ? Les Martigues n’en savent pas si long.
Vous me feriez sortir de mon caractère, ignorant. Voyons qu’est-ce que ces enfans portaient de mieux qu’un lièvre ?
Un singe et une vieille habillé de rouge
La vieille ?
Non, le singe.
Scène II
Au clair de la lune, mon ami Pierrot.
Maître Butignot, on ne chante pas dans le sanctuaire des lois.
Céci lé sanctuaire des lois ?
Vous raillez je crois.
Moi ? non jé m’amuse.
Mauvais plaisant.
A ça, Monsieur Butignot, il s’agit…
D’une barbe, d’une saignée, d’un pain dé sucre ? parlez mé voilà, jé suis là. Coup dé peigne, coup dé rasoir ou dé lancette, zai la main faite à tout et jé passe avec la même facilité dé la mercerie à l’épicerie, dé la bouche au menton ; restaurer la barbe ou la machoire tout céla m’est indifférent.
Air :
Jé suis preste
Jé suis leste
Mon état
Mé rend exact.
Soit qu’il gèle
Vente ou grèle
Pour qui mé veut jé suis là
Qu’on m’appelle, mé voilà.
J’ai mis sur mon enseigne
Au nouveau figaro
et commé lui jé saigne
plaide ou cède à propos.
dé ma triste scène.
Chacun est satisfait
jé vends dé l'éloquence
ou jé vends un toupé.
Jé suis preste
jé suis leste
mon état mé rend exact
soit qu'il gèle
vente ou grèle
pour qui mé veut jé suis là
Jé frise, je poudre jé rédige
en un clin d'oeil, ça va, ça va : pa, pa, pan, on n'a pas lé temps dé sé rétourner qué j'ai fini.
Il ne s'agit pas de votre talent, nous le connaissons, mais de deux petits savoyards que vous avez vu arrêter.
Ces deux pétits innocens accusés de vol ?
Précisément.
Diable, la chose est sérieuse, vingt quatre livres.
Vous déclarez qu'ils ont volé vingt quatre livres ?
C'est-à-dire qu'on les leur a prises, mais il n'est pas certain qu'ils les ayent volées.
Toutes les preuves sont contre eux, ils seront condamnés.
Pauvres petits vénérés, jé les plains.
Moi aussi, vu qu'ils sont au secret.
Au sécret, mais ou ?
Dans ma cave
C'est là votre pénitencier ? Gare aux bouchons.
Il n'y a que des tonneaux vides.
Adiu, moussu Galusson, jé m'oublie ici vous permettez ?
Impossible, j'attends votre déposition.
Ma déposition ? Jé n'ai rien dé plus a dire, d'ailleurs les fers sont au feu chez Moussu lé marquis et jé cours lé friser (il va pour sortir).
Calumet arrêter cet homme.
Né vous y risquez pas, mon cher, jé brise tout ce que jé touche.
Arretez-le toujours.
Ma foi non, je ne suis pas de la marée-chaussée.
Mé faire arêter, moi votre ami, papa ? Vous né l'oseriez pas. (il lui frappe sur le ventre)
Cet homme est d'une familiarité.
Adiu séri, adiu. (Il sort en chantant)
Scène IIIe
Décidément cet homme est à mettre aux petites maisons. Impossible d'obtenir de lui une parole raisonnable.
Monsieur je peux t'y entrer ?
Toujours Mamzell' Babet, n'est ce pas Monsieur le bailli ?
Que venez-vous faire ici.
Demander la grace de ces deux pauvres petiots que vous avez fait enfermer.
Babet, ces choses là ne sont pas de votre compettence, mêlez vous de faire la cuisine et n'empiétez poins sur les droits d'un magistrat.
Je ne sais pas ce que c'est qu'un magistrat, mais je me plains du juge.
Que c'est ignorant une fille quand ça ne sait rien.
Tout ce que vous voudrez, il ne faut pas beaucoup de service pour voir une injustice.
Mamzell Babet, Mamzell' Babet...
N'allez-vous pas avoir peur ? Poltron, et ne faut-il pas que je prenne des mitaines pour dire la vérité.
Cette fille est d'une insolence !
Ne l'exasperez pas.
Parlez tout haut, je n'aimons pas les poltrons, les hypocrites, avec moi un loup est un loup.
Babet, vous avez le verbe trop haut.
Je connais pas ça non plus le verbe.
Moi je l'ai appris quand j'étais jeune et l'ai oublié !
Dame, il y a longtemps que vous étiez jeune.
Est-il vrai que malgré mes ordonnances vous ayez fait sortir les petits savoyards de leur trou.
De leur cave.
Paix (à Babet) Songez que je vous rends responsable de tout ce que ...
Tant pire, je ne ferai pas mon service ; je me suis louée pour cuisinière et non pour guichetière.
Impertinente ; je vous chasse.
Mamzell' Babet, Mamzell' Babet.
Vous m'ennuyez, il faut que je parle. (à Galuchon) N'avez-vous pas honte, Monsieur, de faire un pareil métier, de vous en prendre à des innocens ?
Pour ça, vous avez tort, Mamzell' Babet, vu qu'ils sont coupables.
Vous ne savez ce que vous dites et je veux bien perdre mon nom si je vous épouse.
Vous le perdrez, c'est sur pour devenir ma femme.
Scène IVe
Est-il dur aujourd'hui ce père Butignot.
Faudra bien qu'il se radoucisse, sans ça je ne me mèle plus de son école. Et adieu les écoliers.
Je le voudrais, nous nous marierions.
Pas si vite, vous êtes trop laid.
Je vous aime tant !
Je ne vous aime pas, vous avez arrêté les moutards de la savoie.
Je suis faché de l'avoir fait Mamzell'.
C'est bien temps à présent et que diriez-vous s'ils étaient condamnés ?
Que c'est ma faute, ma très grande faute.
Dieu ! que vous êtes bête, mon ami.
Eh bien ! dites-moi ça je l'aime mieux. Quand vous me parlez sans façon je suis plus à mon aise, il me semble que je touche vot' coeur et alors je suis heureux. Si vous saviez combien je vous aime !
Encore !
Dame, toujours.
Air
Pour prix de cette vive flamme
qu'en secret je ressens pour vous.
Oh ! laissez-moi toucher votre âme.
Pour être heureux soyons époux.
Depuis trois ans, femme trop insensible,
Pour vos attraits je brûl' nuit et jour
Et si vot'coeur n'était incombustible
Il aurait pris au feu de mon amour
Quand vous m'aurez prouver vot' tendresse par vot soumission, nous verrons.
Oh ! Cuisinière estimable, ordonnez, commandez, l'amant et le fonctionnaire public sont à vot' service.
Tenez-vous toujours dans ces sentimens là.
Comptez sur moi.
Eh bien ! Pour le moment... allez-vous-en.
Rompre déjà cet entretien
Vraiment c'est une tyrannie
Et ma foi, je ne comprends rien
À votre capricieuse envie,
Si vous me renvoyez toujours
Comment faire pour nous entendre
Je ferme la porte aux amours
Pour n'avoir pas à m'en défendre
Cruelle !
Vous répétez toujours la même chose !
Je vous aime, c'est bien naturel
Partez donc, vous parlerez de tendresse un aut' jour.
J'obéis, méchante. (Il sort)
Scène Ve
Pauvre homme ! Je le traite mal tout de même.
Couplet
IL m'aime à m'en désespérer
Mais j'le trouvons un peu trop bête
Et si j'l'laissais espérer
Il perdrait surement la tête.
On m'a dit souvent que l'amour
Embellit tout dans la nature
Calumet aura donc son tour
Et j'attends ici chaque jour
Qu'amour le change de figure
Mais il ne s'agit pas de ça et puis qu'ils sont tous partis faisons venir nos petit favoris (elle frappe trois coups dans la main) voila le signal convenu, ils ne se feront pas attendre.
Scène VIe
C'est t-il pour nous mamzell' Babet ?
Oui, oui, venez. (ils entrent)
Oh ! qu'ont êtes bonne, vous Mamzell' et que je vous aimons !
Voulez-vous que je laisse souffrir des innocens.
Ils ne disent pas ça eux, ces Monsieurs de la justice qui nous ont tout pris.
Not' pauvre argent.
Et carabi, not' bon carabi
Oui, vot' singe.
Si docile et qui grimpait que àa faisait plaisir à voir, le v'là mort a c'tt heure, ben mort, mon Dieu.
T'afflige pas, frère.
Oui t'as raison, faut être fort quand on est innocent, mais quand je pense à not' père, au pays, à tout ce que j'avions, c'est pus fort que moi, vois-tu faut que je pleure (il pleure)
All' est ben triste allez Mamzell'.
D'abord comment vous trouvez-vous avoir vingt-quatre livres ?
C'est nos épargnes
Pour sur et je vas vous conter ça, moi qui suis l'ainé
J'écoute.
Nous aut', Savoyards, je somm' pas riches, voyez-vous, mais j'avons pas d'ambition, j'connaissons tous petiots l'économie.
C'est vrai.
J'avions au pays tous les deux, le père et la mère roulaient par le monde et revenaient avec le printemps. La dernière fois, oh ! que ça fut long ! La grand était restée avec nous, tous les amis reveniont, le père et la mère ne reveinont pas. (il s'arrête)
V'là que je me sens attendrit.
T'a peu de courage frère (elle pleure)
C'est pus fort que moi. (continuant) Il se passa bien des nuits, ben des jours et personne... dès le matin j'allions sur la montagne regarder s'ils veniont. Le soir j'appelions de toutes nos forces, je pleuriais, j'prions, rien ne venait... (il s'arrête encore)
J'vas continuer : un jour, c'était sur les midi, comme j'étions à regarder j'(?) venir de loin un homme qui ressemblait au père ; le coeur nous battit ben fort, j'priâmes d'avantage... bientôt cet homme fut près de nous, j'courûmes, c'était lui, c'était ben lui, mais seul, malade, en deuil :
Couplet
Vous comprenez notre douleur ainsi
et les regrets de nos coeurs attendris
il revenait seul et sans notre mère
Oui je comprends vos maux, pauvres petits
Ah ! quand Dieu prend qui nous donna la vie
On sent dans l'âme un chagrin éternel
Sa mère hélas ! jamais on ne l'oublie,
Perdue ici on la demande au ciel
Pauvres enfans ! Une maladie avait enlevé vot' mère ?
Un accident, Mamzelle, un horrible accident, vous savez, dans la savoie les avalanche...
Est-il possible ?
La mère y périt et le père en revint estropié ; des voyageurs le trouvèrent mourant, on le fit emporter à la maison la plus proche et v'là not' histoire.
Comment vot' père ne vous fit-il pas donner de ses nouvelles ?
La crainte de nous affliger et puis, quand on ne sait pas écrire...
Il revint drès qu'il fut guéri, mais sa jambe...
All' le fait bien souffrir.
Je le crois.
A' se fait vieux, a' ne peut pus rouler, c'est à not' tour.
Vous petits coeurs'.
Il y a trois mois que j'avons quitté le pays avec les aut' et j'avons ben économisé.
Quand on travaille pour son père ça donne courage...
Et ces vingt quatre francs ?
Sans compter que je nous privions de tout.
Et se les voir prendre !
C'est ben dur en effet.
Encore l'argent, ça n'est rien, on recommence à not' âge, mais passer pour voleurs c'est ce qui me chagrine.
Vot' innocence finira par être reconnue ; [mot barré]
En attendant j'somm's arrêtés et, sans vous mamzell', j'serions encore dans cette cave ben noire ben humide.
Ousqu' not' pauvre Carabin a mouru.
Vous en aurez un aut' j'ai une idée, monsieur le marquis est juste il saura... (écoutant) J'entends monter, vite rentrez il ne faut pas qu'on vous trouve ici.
Scène VIIe
Impossible de lui faire rien déclarer.
Ça été toujours ainsi, une tête, une tête... que voulez-vous les artistes, les hommes de génie, il faut leur passer quelque chose.
Viendra-t-il à l'audience
Pour ça vous pouvez y compter
Qu'il ne se mêle pas d'y prendre la parole
Dame, Monsieur Galuchon, les libertés sont libres, mon mari est bien le maître de défendre un innocent qu'il ne croit pas coupable.
Qu'il fasse des barbes
C'est une belle profession que celle d'avocat et qui s'allie fort bien avec les arts, il y a eu de grands orateurs qui ont fait, comme mon mari, des barbes et des plaidoiries. Parce qu'on n'est pas noble ce n'est pas une raison, chacun se sent ; Il vaut mieux faire envie que pitié. On se lance, l'un par ci, l'autre par là, le monde est si grand ! Qui cherche trouve et comme dit cet autre, l'ancien : il n'y a pas de petit rat qui fasse son trou. C'est consolant, on dort sur l'espérance, on rève chat, arraignée, lièvre, on a une idée, on saisit l'occasion, qui sait le bonheur ; aujourd'hui, demain. Un pied glisse, un autre le remplace, c'est comme ça ... faut pas s'en étonner... moi qui vous parle je l'ai vu vous ne croyez pas ? Tant pis, mon cher, c'est la vérité, Monsieur Butignot me l'a toujours dit.
Quel diable de galimathias me débitez-vous là ? Si j'y comprend' un mot je veux être pendu.
Vous ne comprenez pas ? C'est facile cependant.
Couplet
Dans ce siècle tout positif
On arrive par de l'audace
Le plus adroit, le plus actif,
Toujours sait y prendre sa place
Ce savoir faire vient à bout,
De nous tenir lieu de génie
Et c'est le seul passe partout
Qui fasse bien passer la vie.
Je ne comprends pas le calembourg.
Il n'y a pas de calembourg la dedans et vous être une cuistre si vous ne comprenez pas
Insulter un magistrat (s'assayant) verbalisons.
Je me moque bien de vos grimoires, est-ce que je n'ai pas un mari pour me défendre ?
J'écris toujours (il écrit) Dame Louise, Bénédicte Butignot ayant insulté, humilié vilipandé le magis...
-ter de la commune.
Sévices, injures graves ? Hola, hé ! Calumet, Babet, la garde, la marée-chaussée.
Que la colère vous va bien ! Foi de Bénédicte vous êtes gentil comme ça.
Voulez-vous me lacher.
L'aimable bailli ah ! ah ! ah !
Redoutez ma colère.
Je ne vous crains pas, maitre d'école. (elle sort)
Satanée femelle tu me payeras tout cela. (il lui court après)
Scène VIIIe
À qui donc qu'il en a notre magister.
Dieu me pardonne je crois que c'est à la Butignot.
Elle lui aura joué un tour de sa façon.
Bien fait, pourquoi qu'il est si chose cet original ?
Un homme d'esprit c'est exigeant, voyez-vous.
Lui de l'esprit ? Par exemple
Dire qu'il s'est creusé la tête pendant 15 jours pour faire une épitaphe à ce pauvre Jean le marguillier.
Que même tous les notables du pays y ont travaillé.
C'est donc pour ça qu'elle est si bête ?
Ci-git Jean.
(on rit) ah ! ah !
Quinze têtes qui travaillent 15 jours pour ce chef d’œuvre.
Oui, c'est fameux.
Pauvres martiguais, faut dire qu'ils ne sont pas de ces pas malins.
Jean le marguillier, c'est celui qui grimpa à la corde du clocher pour la couper ?
Et qui se cassa la jambe en tombant avec.
Qui voulut couver les œufs d'une poule et fit l'omelette à son pantalon ?
Qui pour être plutôt dans les bras de Monsieur le curé s'élança du haut du clocher.
Et se cassa le cou, le grand niais qu'il était.
(on rit) ah ! ah ! ah !
Mais dites donc, vous autres, le bailli se fait bien attendre aujourd'hui, est-ce que l'audience ne va pas bientôt commencer ?
Ça m'étonne, il aime tant à juger.
Il dit que les procès instruisent
Vieux satan qu'il est, on devrait bien l'abdiquer.
C'est mon avis.
Et le mien.
Et le mien, et le mien.
Scène IXe
Silence.
Garde, introduisez les prisonniers (Calumet sort, Galuchon aux paysans) Tous les témoins se sont rendus ici ?
Oui, oui.
C'est très bien (aux Savoyards qui entrent) Approchez (Les paysans parlent entre eux)
Silence !
Comment vous appelez-vous ?
Jacques Martin, Monsieur, pour vous servir.
Votre pays ?
La Savoie.
Votre âge
Quatorze ans
Votre profession ?
Ramoneur.
Et vous, votre nom
Jeanne Martin, Monsieur ; pour vous servir
Votre pays ?
La Savoie.
Votre âge ?
Douze ans
Votre profession ?
Joueuse de violle.
Jacques et Jeanne Martin, vous êtes accusés d'avoir tué un lièvre et volé 24 libres dans le bois de Monseigneur des Martigues, qu'avez-vous à répondre ?
J'avons rien tué du tout, Monsieur le juge et pour ce qui est de voler j'en sommes incapable.
Les preuves sont contre vous et nous allons entendre les témoins (ici Made Butignot se présente) cette femme ici...
Apparamment. Puisque je suis témoin il faut bien que je m'y trouve.
Le tribunal récuse votre témoignage.
On récuse tout le monde quand on veut condamner.
Retirez-vous.
Allez vot' train, Dieu est juste, la punition vous arrivera un jour.
Silence !
Calumet approchez ; n'avez-vous pas arrêté ces deux enfans dans le bois.
Oui, Monsieur le bailli.
Scène Xe
C'est-à-dire, c'est moi et ce n'est pas moi.
Voilà qui est bien clair.
Silence.
N'avez-vous pas trouvé 24 francs sur ces enfans ?
Parfaitement.
Un lièvre mort ?
Je crois que je ne me le rappelle pas. (on rit)
N'ont-ils pas fui quand vous leur avez crié de s'arrêter ?
Ils ont (regardant Babet) je crois crois qu'ils ont fui.
C'est faux.
Silence.
Je parlerai.
Et moi aussi.
Scène XIe
Jé parlérai plus haut qué vous tous et jé mé constitue lé défensur d'office dé ces deux enfans.
Messius !
Vous avez devant vous deux enfans, un garçon et une fille, une fille et un garçon accusés d'avoir, sans poudre ni fusil, tué un lièvre dans lé bois de Monseigneur des Martigues : Dominus Martigus. Quare, pourquoi c'est cé qué jé né pourrais dire, moi qui ai eu lé malhur dé contribuer à lur infortune mais jé lé demande, Messiurs, est-il présumable qué ces deux enfans ayant, simultanément et du même coup, tué un lièvre et escroqué dé l'argent. À qui ? c'est cé qu'on né dit point. Dérober, escroquer à cet âge, avec dé pareilles figures, c'est impossible, céla né sé put.
C'est un fait prouvé.
Négo je nie. Vous êtes un esprit d'accusation, un homme qui se plait à accuser. Accusatorius. animus. A mon avis, sententia mea, on doit être lent à condamner.
Pourtant le procès-verbal.
Vous ne savez pas écrire.
Je l'avais oublié (on rit)
Il oublie ce qu'il veut.
Silence.
Il né sait pas écrire il né sait pas signer et il accuse. Voilà l'homme. Ecce hommo, et on l'écoute. Bravo tout va comme nous le désirons. Nostro it dies. Accuser, c'est nous donner le droit de défenser. Plus la cause presente dé difficultés plus elle a d'attraits. Nous ne plaignons point notre peine, nous y mettrons le temps.
On s'est étonné qué ces enfans eussent 24 livres en lur possession, mais messiurs, un travail assidu vient à bout de tout. Labor omnia vincit. Et l'on connait l'économie des savoyards.
Vous récusez toutes les preuves, maître Butignot mais qui osera lutte ouvertement contre moi ?
Ego, moi. Et, si tu veux être ou valoir quelque chose, si vis esse aliquis, juge, né parle pas autrement qu'il ne faut. Contrà atque.
Butignot, si vous continuez à me tutoyer je vous interdis la parole.
Laissez-le parler.
Oui, oui, mais qu'il parle français.
Vous l'entendez ? Vox populi vox dei...
Si vous recommencez je suspends la séance.
Àh ! Vous né voulez pas du latin, classe ignorante, jé vais parler français : deux enfans sont accusés jé demande qu'on les interroge.
Ils ont fait mourir not' singe, les méchans.
Oui, leur singe est mort de douleurs.
Rhumatismales.
À la bonne heure, vous m'aviez effrayé.
Jacques, répondez.
Je ne demande pas mieux, monsieur le juge, mais faute être juste, voyez-vous.
Oui, oui.
Silence.
Si le public prend encore la parole, le tribunal se retire.
Oui, le tribunal se retire.
Y a t-il des témoins à charge (à Calumet) dites ce que vous savez.
J'entendis un coup de fusil, je vis courir ces enfans devant le lièvre et je me dis : bon voilà les coupables.
Mais s'ils couraient devant le lièvre, ils ne l'avaient donc pas tué ?
Ils auraient pu l'avoir tué.
Continuez.
Je criai à ces enfans de s'arrêter, je ne vis plus l'animal, ils étaient seuls dans le bois et je me dis : ça ne peut être qu'eux, c'est sûr, ils ont fait le coup. Dire comment ils l'ont pu, je ne le sais, mais c'est égal.
Leur avez-vous trouvé une arme, de la poudre ?
Non, j'ai seulement entendu le coup.
Belle preuve, en vérité.
Certainement que c'en est une.
Calumet... !
C'est-à-dire que peut-être, ils n'avaient point d'arme, peut-être qu'ils sont innocens et même je les crois innocens (à Babet) êtes-vous contente Mamzell' Babet ?
Il vaut mieux tard que jamais, je vous pardonne
Je vous destitue. (à Babet) et vous je vous chasse.
Monsieur le bailli.
Ignorant !
Je demande la parole.
Et moi aussi.
Faites faire silence.
Silence !
Je déclare que ces enfans ont d'excellens papiers. Je déclare que si on les condamne ce sera une indignité.
Je dépose dans les mêmes termes.
S'ils sont condamnés je proteste et j'en rappelle
Nous protestons.
Accusés qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
Hélas ! Monsieur, je sommes innocens, aussi vrai que le jour nous éclaire et si vous nous retenez ici, si not' père sait que j'sommes en prison il en mourra, voyez vous et il n'y aura pus de bonheur sur la terre pour les pauvres petits savoyards. Oh ! laissez-nous retourner au pays. Gardez not' or, mais rendez-nous la liberté.
Monsieur le juge, n'écoutez pas ce qu'ell' dit (à Jeanne) Garder not' or ? est-ce que je voudrais de leu grace ? non, non faut qu'ils nous jugent, vois-tu. Marqué, leu grace, quand il nous faut justice tu parles de ça comme un enfant, Jeanne, mais moi je comprends qu'il faut garder pur le nom de not père et j'veux êtr' jugé.
Et que te restera-t-il, s'ils te condamnent ?
Air de la petite mendiante
Il me restera ma conscience
C'est un trésor qui vaut pour moi
Mieux que le luxe et l'opulence
Que donne le titre de roi.
Si j'suis condamné sur la terre
Dieu m'absoudra t-il pas au ciel
Ici la peine est passagère
La haut le bonheur est éternel
Il a raison.
Je demande la parole.
La cause est suffisamment entendue, le tribunal va délibérer. (il se lève et appelle Calumet) Calumet.
Voilà (ils ont l'air de délibérer, les paysans murmurent. Calumet crie de temps en temps :) Silence.
Oui ! ... les plaintes de messier Calument.
Je n'ai rien dit.
Oui... Les dépositions des témoins à décharge. Oui... les deux accusés Jacques et Jeanne Martin. Oui, la plaidoirie de l'avocat des parties, le tribunal, après avoir statué sur le droit et le fait :
Considérant qu'il y a eu un coup de fusil tiré dans le bois de Monseigneur des Martigues ;
Considérant que les deux savoyards, Jacques et Jeanne Martin ont été trouvés seuls dans le dit bois, qu'en outre ils avaient sur eux une pièce d'or.
Par ces motifs, le tribunal les condamne, à la majorité des voix, à deux mois de prison et aux dépens. La séance est levée.
(Les paysans murmurent)
Scène XIIe et dernière
Tous les témoins n'ont pas été entendus et j'espère que le bailli ne me récusera pas.
Monseigneur, je suis perdu !
Vous avez cru, Monsieur, que l'intrigue pouvait suppléer au droit et, parce que vous avez supposé un délit, pour vous donner de l'importance, il vous a fallu des coupables. Graces au ciel je suis arrivé à temps pour tout arrêter et justice sera rendue.
Un coup de fusil a été tiré ?
Par moi.
Monsieur le marquis, si j'avais su...
Je vous crois sans peine (aux paysans) écoutez-tous mon arrêt : en ma qualité de seigneur des Martigues je destitue maître Galuchon de ses doubles fonctions de bailli et de magister et je donne cette place à Butignot. Quant à vous, Calumet, il vous est enjoint d'apprendre à écrire avant de dire que vous verbalisez.
Oui, Monseigneur
Oh ! je ne vous crains pas, je trouverai ben un aut' maître.
Je vous prends à mon service.
Merci, Monsieur le marquis.
Vous m'épouserez ?
Nous verrons.
Adieu, Martiguais, je pars... (il sort furieux, les paysans chantent bon voyage Mr Dumolet)
Quant à vous, mes amis, voici de quoi remplacer Carabi. (il leur donne sa bourse)
Que Dieu vous bénisse, mon bon seigneur.
Regagnez vos foyers et ne quittez plus votre père, à votre âge il est trop difficile de marcher seul dans la vie.
A présent que j' sommes riches j' ferons ce que vous me conseillez. Ce cher père, sera t-il heureux ! (à sa soeur) Vois Jeanne, vois, une fortune.
Pourquoi, mon enfant
Puisqu'on nous a arrêté pour vingt quatre francs j' courons ben pus de danger avec ce trésor.
C'est vrai, t'as raison. (au marquis) tenez, Monsieur, j'aimons mieux êtr' pauvres, mais qu'on nous croie honnêtes.
Aimables enfans ! (haut) ne craignez rien, je trouverai le moyen de vous mettre à l'abri du soupçon (aux paysans) allons, mes amis, que cette journée soit consacrée au plaisir, venez danser au château, votre joie me prouvera que j'ai bien fait de rendre justice.
Et nous pourrons partir, mon bon Seigneur ?
Oui, quand vous serez calmes et reposés.
J' me sentons pus de fatigue !
Petite Jeanne votre vielle nous fera danser.
Et moi j' chanterai les chansons du pays.
Allons danser.
Je vous retiens pour la première contredanse.
Allons, je veux bien, touchez là.
Quel bonheur !
J'espère que tout le monde est content.
Oui, oui, vive Monsieur le marquis.
Le plus juste des marquis.
Le plus magnanime des marquis.
Le plus noble des marquis.
Le plus aimé des marquis.
Air : de l'angélus
Messieurs, comme notre seigneur
Ayvez ce soir de l'indulgence
Et ne condamnez pas l'auteur
Qui met en vous son espérance
Du sifflet, toujours si fatal,
Montrez vous sobres, je vous prie
Donnez des bravos le signal
Frappez, sans vous faire de mal
Et par vous cette œuvre aura vie
Là