LA JEUNESSE
DE MAZARIN

PREMIERE PARTIE


La famille de Mazarin. — Ses premières études au Collège Romain, son talent de comédien, son bonheur au jeu, son voyage et ses amours en Espagne. — Mazarin docteur en droit civil et en droit canon. — Mazarin officier, capitaine d’infanterie dans la guerre de la Valteline et aide-de-camp du commandant militaire du duché de Ferrare. — Mazarin diplomate, secrétaire de légation dans la Haute-Italie sous le nonce Sacchetti. Son intelligence, son activité, ses succès. Il est témoin de l’expédition française en Piémont en 1628. — Mazarin encore secrétaire de légation sous le cardinal-légat Antoine Barberini et sous le nonce Pancirole, en 1629, dans la guerre soulevée par le duc de Savoie. — Ses relations avec le général impérial Collailo, avec le général espagnol Spinola, avec le duc de Savoie. — Il est envoyé auprès de Richelieu à la fin de janvier 1630 ; il approche pour la première fois du cardinal, leur conférence.



C’est à la mort de Richelieu que Mazarin monte au premier rang, et l’année 1643 nous le fait voir à la tête du gouvernement, fermant le règne de Louis XIII et ouvrant la régence d’Anne d’Autriche. Mais par quel chemin était-il arrivé là ? D’où venait-il ? Quelle carrière avait-il suivie ? A quels événemens avait-il pris part ? Comment avait-il acquis la confiance de Richelieu ? Voilà ce qu’il importe de rechercher, si l’on veut se rendre compte de la fortune extraordinaire de Mazarin et embrasser toute la suite de sa destinée.


I

Ne nous engageons pas dans l’obscure généalogie qu’on lui a donnée, et tenons-nous aux faits certains[1]. Il est établi que son père, Pierre Mazarin, était Sicilien[2], d’une condition fort médiocre[3], artisan aisé et petit propriétaire. Il vint de bonne heure chercher fortune à Rome, où il entra au service de l’illustre et puissante maison Colonna en qualité d’homme d’affaires. Dans cet emploi, il rendit d’assez grands services à son maître, le connétable don Philippe Colonna[4], qui le prit en affection, et lui fit épouser une personne aussi distinguée par sa naissance que par son mérite et sa beauté, sa filleule, Hortense Bufalini[5]. Pierre eut deux fils et quatre filles. L’une d’elles embrassa la vie religieuse ; les trois autres firent successivement des mariages avantageux, qui relevèrent encore les Mazarin : Hiéronyme épousa le chevalier Mancini, Marguerite le comte Martinozzi, claire le marqui Muti, frère de celui qui a eu de si grands emplois à la cour de Savoie. Le plus jeune des garçons, Michel, entra dans l’ordre de Saint-Dominique, et devint successivement provincial de son ordre, archevêque d’aix, cardinal du titre de Sainte-Cécile et vice-roi de Catalogne. L’aîné fut Jules Mazarin.

Il naquit le 14 juillet 1602 à Piscina, dans les Abruzzes. Sa mère, déjà grosse, était venue y passer les plus fortes chaleurs de l’été dans une abbaye qui appartenait à son frère, l’abbé Bufalini : elle y accoucha, et revint quelques mois après à Rome, où l’enfant reçut le baptême à l’église de Saint-Silvestre, dans la paroisse de Saint-Vincent et de Saint-Anastase[6]. Il était né coiffé et avec deux dents, circonstance de bon augure selon les croyances populaires, et à laquelle le cardinal lui-même se plaisait à faire allusion. On l’appela Jules, ou du nom d’un de ses oncles, le chevalier Jules Bufalini, ou de celui de son grand-oncle, le père Jules Mazarin, de la compagnie de Jésus, prédicateur et écrivain alors en réputation.

Dès l’âge de sept ans, on le mit au Collège Romain, que dirigeaient les jésuites. Il y eut constamment les plus grands succès. À la fin de ses études, lorsque parut la célèbre comète de 1618, le père Grassy, l’astronome de la compagnie, fit soutenir au jeune Jules, alors âgé de seize ans, des thèses publiques sur cet intéressant sujet dans la grande salle du collège, en présence d’une nombreuse assemblée de cardinaux, de princes et de lettrés. Mazarin déploya dans l’argumentation une adresse, une fermeté, une éloquence qui lui valurent des applaudissemens unanimes. Un peu plus tard, les jésuites, pour célébrer la canonisation de saint Ignace, donnèrent une grande représentation dramatique, à laquelle ils invitèrent tout ce qu’il y avait à Rome de plus considérable ; mais ils ne savaient à qui confier le personnage de saint Ignace, le héros de la pièce. Ils s’adressèrent à leur ancien élève, qui, après s’être fait un peu prier, finit par accepter, et joua son rôle en ses diverses parties avec une telle vérité que toute l’assemblée fut transportée d’admiration, et le jeune acteur fêté et célébré comme le plus grand comédien qu’on eût jamais entendu. Cette réputation, commencée sur la scène du Collège Romain, nous la lui verrons soutenir dans les comédies de tout genre où le sort l’appela à jouer des rôles encore plus difficiles que celui de saint Ignace.

Jules Mazarin, à la fleur de l’âge, était beau comme sa mère, doux et vif, insinuant et hardi, du visage le plus ouvert et de la gaieté la plus aimable, comme aussi d’une finesse voisine de l’artifice, d’une merveilleuse aptitude à toutes choses, et particulièrement à l’intrigue. Quel sujet pour les jésuites ! Aussi les pères de la compagnie firent tout pour l’acquérir, lui promettant monts et merveilles ; mais ils ne parvinrent pas à le séduire : loin de là, il se hâta de quitter leur école, et de peur de tomber entre leurs mains, il abandonna l’étude, se jeta dans la dissipation et mena une vie fort peu édifiante.

Mazarin avait été presque élevé avec les enfans du connétable Colonna, qui étaient à peu près de son âge et goûtaient fort sa conversation et son esprit. De son côté, il s’appliquait à leur plaire, et dès lors on remarquait en lui le soin qu’il eut toujours de se lier avec des personnes d’une condition au-dessus de la sienne et de s’avancer vers les premiers rangs. Dans le palais Colonna, il fit plus d’une connaissance utile ; il prit le ton et les mœurs du grand monde, il en prit aussi les vices. La grande passion du temps était le jeu. Mazarin s’y livra avec ardeur, et il y devint bientôt maître ; il gagnait beaucoup d’argent, en sorte qu’il menait un assez grand train, avait toujours les plus riches habits, des bijoux, des diamans. C’était un beau joueur dans toute l’étendue du terme, hardi au dernier point, et en même temps généreux. Jamais, si l’on en croit celui de ses biographes qui l’aie plus connu pendant sa jeunesse, on ne le vit changer de visage, jamais il ne lui échappa un mot malséant ; il remuait, comme on dit, les écus à la pelle, et il avait coutume de dire que « le magnifique a le ciel pour trésorier[7]. » Mais la fortune est changeante : un jour elle tourna le dos à son favori d’une si étrange façon qu’il se trouva ruiné, forcé d’engager à un Juif ses beaux vêtemens, ses riches joyaux ; il ne lui restait plus rien d’un peu précieux qu’une paire de bas de soie ; il l’engagea encore et en tira quelques petites pièces avec lesquelles il se remit à jouer, et si heureusement qu’il eut bientôt de quoi racheter ses habits et ses diamans. « C’est un fait que je puis attester en toute certitude, dit le biographe sur lequel nous nous appuyons, car j’étais avec lui quand il alla reprendre ce qu’il avait engagé. »

Après avoir passé plusieurs fois par ces brusques alternatives, un jour nageant dans l’or et le lendemain n’ayant pas un sou, il s’ennuya de cette vie de désordre, résolut d’y renoncer, et pour cela chercha une occasion de quitter Rome pendant quelque temps, afin d’y revenir un homme nouveau. Il semble que la fortune avait écouté ses vœux, car en ce temps le connétable Colonna envoyait en Espagne un de ses fils, don Jérôme Colonna, qui se destinait à l’église et devint depuis cardinal[8]), pour apprendre le droit canon et le droit civil dans la fameuse université d’Alcala, et aussi pour se former aux grandes affaires à la cour de Madrid, qui, tout affaiblie qu’elle était et déjà sur son déclin, passait encore pour le centre de la politique européenne. On faisait alors le voyage d’Espagne comme un siècle auparavant on faisait celui d’Italie, et l’on ne croyait pas avoir achevé son éducation, si on ne savait la langue de Charles-Quint, de Philippe II et de Cervantes. La famille de Jules saisit donc cette occasion de l’arracher aux mauvaises habitudes qu’il avait prises depuis sa sortie du Collège Romain ; on le fit entrer au service de don Jérôme comme un de ses chambellans ou valets de chambre[9], et il quitta Rome à l’âge de dix-sept ans pour accompagner son jeune maître en Espagne. Ils y restèrent trois années.

Don Jérôme séjourna tour à tour à Madrid et à Alcala. Partout il traita avec une distinction bienveillante son jeune chambellan, et, pour le tirer de pair d’avec ses autres domestiques, il lui donnait un appartement séparé. Mazarin acquit en ces trois ans une parfaite connaissance du caractère espagnol, des mœurs du pays et de la langue qu’il écrivit et parla toute sa vie avec facilité. À l’université d’Alcala, il partagea les études de don Jérôme, avança rapidement dans les lettres, et fit déjà paraître le grand art de gagner les esprits et les cœurs de tous ceux qui l’approchaient. Il sut si bien s’emparer de la confiance et de l’affection des étudians, ses camarades, qu’il disposait en souverain de toute cette jeunesse ; mais si Mazarin travailla beaucoup à Alcala, il ne s’amusa pas moins à Madrid, et il y eut une aventure à moitié burlesque, à moitié sentimentale, qui mérite d’être racontée[10].

À Madrid, on jouait autant qu’à Rome ; la tentation était grande pour le seigneur Jules, comme on l’appelait ; il y résistait de son mieux, n’ayant pas beaucoup d’argent, craignant de perdre le peu qu’il avait, et n’ayant plus, en cas de malheur, la ressource d’engager ses habits et ses bijoux, comme il le faisait à Rome, parce que don Jérôme, qui le menait avec lui dans les belles compagnies, aurait été fort mécontent s’il l’avait vu tout à coup moins bien mis et moins paré qu’à l’ordinaire. Cependant, comme on ne peut éviter son destin, un jour il risqua au jeu le peu de monnaie qu’il avait pu rassembler, et il la perdit sur le premier coup de dé : cruelle disgrâce pour notre jeune homme, qui ne savait plus où donner de la tête et se disait avec mélancolie : Qu’est-ce que l’homme sans argent ?

Il avait fait la connaissance d’un Espagnol nommé Nodaro, homme à son aise et même riche, qui l’avait pris en grande amitié pour sa jeunesse, sa bonne mine et l’agrément de sa conversation. Le trouvant triste, pâle, abattu, il lui demanda d’où venait son chagrin, s’il lui était survenu quelque fâcheux accident, ou si, loin de son pays, il éprouvait quelque gêne et avait besoin d’argent, mettant bien volontiers sa bourse à la disposition de son jeune ami. Mazarin se garda bien de lui dire toute la vérité ; il lui fit la fausse confidence que depuis quelque temps il attendait par le courrier de Rome une somme assez considérable, et que, le dernier ordinaire ne la lui ayant pas apportée, ce retard le contrariait, ne connaissant personne à Madrid qui le pût accommoder d’une douzaine de doublons. Par là il laissait entendre qu’il avait chez lui du bien, il inspirait de la confiance à Nodaro, et il espérait en tirer une bonne somme, avec laquelle il comptait se remettre au jeu, gagner infailliblement, et s’acquitter ensuite envers le bonhomme en lui faisant accroire que c’était avec l’argent qui lui était arrivé de son pays. L’Espagnol avait aussi son plan. Croyant Mazarin assez riche sur ses allures et ses discours, et en passe de parvenir à tout avec les liaisons et les protections qu’il lui voyait, il s’était mis en tête de lui faire épouser sa fille. Il saisit donc bien vite l’ouverture que lui faisait Mazarin, et, tirant une bourse pleine de doublons, il lui dit : « Prenez ces doublons, mon fils ; il y en a d’autres chez moi qui sont également à votre service, et ne voyez là qu’une marque de la pure et sincère affection que j’ai pour vous. » À cette offre généreuse, Mazarin ne manqua pas de faire un peu de résistance ; mais, pressé par ce tendre ami, il finit par se laisser vaincre : il prit dix doublons en disant que c’était seulement pour ne pas répondre à une politesse par un refus discourtois. L’Espagnol et l’Italien se séparèrent en se faisant mille protestations d’amitié, et en se félicitant au fond du cœur du bon tour qu’ils venaient de jouer. Mazarin, transporté de joie et rempli des plus heureux augures, alla tenter de nouveau la fortune, et il réussit tellement qu’en fort peu de temps il gagna une très grosse somme ; puis, au lieu de la risquer, il quitta le jeu, retourna chez lui, et, le jour du courrier de Rome, se rendit chez son ami, lui dit qu’il venait de recevoir les fonds qu’il attendait, et lui remit ses dix doublons avec force remerciemens. Cette ponctualité persuada encore davantage à Nodaro que Mazarin avait de la fortune, et augmenta son désir de lui voir épouser sa fille. Celle-ci était belle et déjà très experte dans la galanterie espagnole. Les deux jeunes gens se virent, se plurent, s’aimèrent. Le père favorisait leurs amours ; l’affaire marcha vite : le mariage fut demandé, accordé, arrêté, tous les arrangemens pris ; il ne manquait que le consentement de don Jérôme. Mazarin se croyait sûr de l’obtenir. Il peignit au jeune prélat sa chère Nodarina comme une Vénus, sans oublier la dot, qui aurait pu convenir au meilleur gentilhomme ; il lui représenta enfin tous les avantages de ce mariage avec l’éloquence de l’amour et cette parole flatteuse et dorée qui rendit plus tard le diplomate si persuasif. Le futur cardinal Colonna était prudent et avisé, il portait un sincère intérêt à son jeune chambellan ; il vit qu’il allait gâter sa carrière par un mariage prématuré, mais qu’il serait inutile d’opposer la raison à la passion : il prit donc un détour, et, au lieu de le désoler par un refus, il lui dit qu’il avait besoin de lui pour une importante affaire qu’il ne pouvait confier qu’à sa fidélité : il fallait qu’il allât porter à Rome une dépêche au connétable ; en même temps il parlerait à son père de son projet de mariage, obtiendrait aisément son aveu, et reviendrait à Madrid épouser la belle Nodarina. Mazarin ne trouva rien à dire à cela, et il s’élança sur la route de Rome, brûlant d’y arriver pour s’en retourner plus vite. Il remit au connétable la dépêche de don Jérôme, puis, courant chez son père, il lui fit un si beau discours sur les charmes de sa maîtresse, sur sa dot, sur les avantages de toute espèce d’une telle alliance, que Pierre Mazarin, bien qu’il le connût fort amateur d’hyperboles[11], ne résista point, et donna son consentement ; mais la joie de notre amoureux ne fut pas de longue durée. Le connétable, à qui son « fils avait tout dit, fit venir le jeune homme, et, après avoir un instant badiné sur le bonheur qui l’attendait, il prit soudain un visage sévère, et, le regardant de travers, lui commanda de ne plus songer à un aussi sot mariage, de rester à Rome, et de se remettre sérieusement à l’étude, s’il ne voulait éprouver les effets de son indignation[12]. On conçoit le désespoir du pauvre amant. Il ne savait quel parti prendre ; il passait de la colère à l’abattement, enfantait mille projets et y renonçait ; enfin il lui fallut bien se résigner, et, pour se distraire des chagrins de l’amour, il se jeta dans le travail avec une sorte de furie. Il reprit les études de droit canon et de droit civil qu’il avait commencées avec succès à l’université d’Alcala, et suivit à la Sapience les leçons d’un professeur alors célèbre, nommé Cosimo Fideli. Il passait les jours et les nuits sur les livres, et en assez peu de temps il conquit le grade de docteur in utroque jure[13].


II

Mais Mazarin n’était pas fait pour être un homme d’école, et il étudiait bien moins par goût que pour complaire au connétable son protecteur. Le voilà donc à Rome, à vingt ans, sans autre ressource que son esprit et sans aucune vocation bien déterminée. Le sort, qui souvent choisit mieux que nous, décida de sa carrière. Le pape envoyait une petite armée en Lombardie afin d’empêcher, de concert avec la France et Venise, que l’Espagne, déjà maîtresse du Milanais, ne s’emparât de la Valteline. Le prince de Palestrine, de la maison Colonna, levait un régiment qui devait faire partie des troupes pontificales. Mazarin était jeune, plein d’ardeur et de courage ; de tout temps il avait montré plus d’inclination pour le métier des armes que pour celui de la jurisprudence et de la littérature[14]. Après avoir accompagné l’abbé Colonna en Espagne, il suivit à l’armée un autre Colonna qui lui donna une compagnie dans son régiment, et c’est ainsi que notre jeune docteur en droit canon et en droit civil se trouva transformé en capitaine d’infanterie.

Le nouveau capitaine n’avait aucune expérience de la guerre ; mais là comme ailleurs il montra l’intelligence dont il était doué, et il se distingua surtout par l’ordre et la discipline qu’il établit dans sa compagnie. On l’envoya tour à tour en garnison à Lorette et à Ancône. Il ne se contenta pas de remplir parfaitement son emploi : il se fit aimer et considérer de ses supérieurs par ses manières et une tenue de gentilhomme que son talent et son bonheur au jeu lui permettaient de soutenir. Bientôt l’armée pontificale s’avança vers Milan ; elle était commandée par Torquato Conti, général estimé qu’accompagnait en qualité de commissaire apostolique François Sacchetti, frère du cardinal de ce nom. On avait donné à Sacchetti pour le seconder un sous-commissaire d’assez peu de capacité. Mazarin, toujours appliqué et habile à s’insinuer auprès des grands, s’était servi de la protection du prince de Palestrine pour s’introduire chez le haut-commissaire. Celui-ci remarqua l’intelligence et l’activité du jeune capitaine ; il l’employa avec succès en diverses occasions, et Mazarin éclipsa peu à peu le sous-commissaire et le remplaça dans la confiance de Sacchetti. Il faisait tous les personnages, véritable Protée pour les manières et pour la langue, dit un de ses biographes[15], parlant espagnol avec les Espagnols, parlant français comme s’il l’avait su avec les Français, et agréant à tous par sa politesse et ses façons engageantes. Il semblait doué du mouvement universel[16] ; il était partout selon le besoin du service, à Turin, à Venise, à Milan, dans la Valteline. Chargé de plusieurs négociations auprès du duc de Feria, gouverneur du Milanais, il apprit à connaître la politique de l’Espagne, son ambition toujours la même quand sa puissance avait décliné, ses hauteurs à la fois et ses artifices. Dans la Valteline, il vit pour la première fois une armée française à la tête de laquelle était un chef digne de la commander, le futur maréchal d’Estrées, alors marquis de Cœuvres, aussi habile militaire que fin diplomate. Mazarin s’instruisit ainsi des différens intérêts engagés dans cette guerre. Il n’est donc pas étonnant que, s’entretenant un jour avec son général Torquato Conti, il lui parla si pertinemment de la situation des affaires, que celui-ci lui demanda de mettre par écrit ce qu’il venait de lui dire, et envoya ce mémoire à Rome, où l’on en fut très content.

Urbain VIII arrivait au trône pontifical[17], qu’il occupa plus de vingt années. Reconnaissant que la petite armée de Lombardie, sans être assez forte pour rien faire de grand, coûtait des sommes immenses, il prit le parti de la licencier, et le commissaire apostolique s’en revint à Rome avec le capitaine Mazarin. Quelque temps après, le cardinal Sacchetti ayant été nommé cardinal-légat à Ferrare, on lui donna pour commander les troupes de la province son frère François, qui ne manqua pas d’emmener avec lui le jeune et brillant officier qui venait de le si bien servir. La maison des deux frères devint en quelque sorte celle de Mazarin, et c’est lui qui, sous le nom de François Sacchetti, exerça véritablement l’autorité militaire dans le duché de Ferrare[18].

Mais cet obscur théâtre ne pouvait suffire au talent et à l’ambition de Mazarin. Il venait souvent à Rome, et, selon sa coutume, il cherchait à se produire auprès des puissans. Les puissans du jour étaient les Barberini, les neveux du saint-père : Taddée, le plus jeune, qui devait un jour épouser Anna Colonna et devenir préfet de Rome et général de l’église ; le cardinal Antoine, qui jouera un assez grand rôle dans la vie de Mazarin, surtout leur frère aîné François, qui était à peu près à la tête du gouvernement, et qu’on appelait le cardinal-neveu. Mazarin souhaitait vivement entrer au service du cardinal Antoine ; mais les nombreux courtisans qui environnaient le cardinal firent obstacle au jeune officier, dans lequel ils apercevaient un rival redoutable.

Est-il vrai qu’alors, parmi les personnages considérables, dont il recherchait les bonnes grâces, Mazarin ait réussi à gagner celles de l’illustre cardinal Guido Bentivoglio, qui, revenu de ses nonciatures[19] de Flandre et de France depuis 1621, était à Rome protecteur de France, c’est-à-dire chargé des intérêts français et secondant notre ambassadeur dans toutes ses démarches. Bentivoglio était assurément le meilleur ami qu’un jeune homme pût rencontrer, le plus capable de discerner le talent et de lui frayer sa route. Un document assez peu sûr, mais dont il est difficile de ne tenir aucun compte[20], nous montre Mazarin vers cette époque de sa vie au service ou du moins dans la faveur du cardinal, qui l’aurait présenté lui-même au cardinal-ministre, François Barberini, en lui disant : « Je vous le donne, parce que je ne suis pas digne de le garder. En vous faisant ce présent, je crois m’acquitter envers une illustre famille d’une partie des obligations que je lui ai. » Le cardinal-ministre, surpris de ce compliment auquel il ne s’attendait pas, n’ayant pas encore ouï parler du jeune Mazarin, répondit : « Je l’accepte avec joie venant de votre main ; mais, dites-moi, à quoi le jugez-vous propre ? — A tout sans exception, dit Bentivoglio. — Si cela est, reprit le cardinal Barberini, nous ne saurions mieux faire que de l’envoyer en Lombardie avec le cardinal Ginetti : nous ayons besoin d’un homme actif auprès de lui. Parlez-lui en de ma part. — Bentivoglio se chargea volontiers de cette commission, et Ginetti reçut le jeune Mazarin en qualité de secrétaire de légation. » Ce serait donc sous les auspices de l’un des plus habiles diplomates qu’ait eus le saint-siège, que Mazarin serait entré dans la diplomatie ; mais il est une version plus naturelle et plus accréditée. Quand s’éleva la grande affaire du Montferrat et de Mantoue, la cour pontificale s’efforça de conjurer le sanglant orage qui se préparait, et pour la représenter dans cette difficile conjoncture, elle fit choix de l’homme qui connaissait le mieux les intérêts et les dispositions des diverses puissances de la Haute-Italie, où il avait déjà rempli une fonction à peu près semblable. Cet homme n’était pas le cardinal Ginetti, mais François Sacchetti. L’ancien commissaire apostolique fut nommé nonce extraordinaire à Milan et à Turin, et il demanda qu’on attachât à sa nonciature et qu’on lui donnât pour secrétaire celui dont il connaissait si bien les talens, son jeune ami le docteur en droit et capitaine Mazarin. Voilà comment, selon tous les historiens[21], Mazarin entra, en 1628, à vingt-six ans, dans la carrière pour laquelle il était né, et où il s’est fait un nom immortel.


III

Vincent II[22], duc de Mantoue et de Montferrat, allait mourir sans enfans, ne laissant qu’une nièce dont le sexe énervait le droit. Après elle, le parent le plus proche était Charles de Gonzague, premier du nom, dont le père, Ludovic, était venu s’établir en France et y avait acquis le duché de Nevers et de Rethelois. Le droit de Charles était certain ; mais, comme ce droit donnait une couronne italienne à un prince en apparence français, l’Espagne le contestait, et mettait en avant un autre parent de Vincent II, d’un degré bien plus éloigné, le duc de Guastalla, qui était tout à fait dans sa dépendance et l’aurait rendue presque aussi puissante à Mantoue qu’à Milan. La France n’abandonna point le duc de Nevers, et Richelieu montra ici son adresse et sa vigueur accoutumées. Un agent français, envoyé dans le plus grand secret à Mantoue, persuada au duc mourant de reconnaître lui-même pour son héritier Charles de Gonzague, à la condition que le fils aîné de celui-ci, le jeune duc de Rethelois, épouserait la princesse de Mantoue, en sorte que toutes les prétentions légitimes se trouveraient confondues et fortifiées. Vincent II embrassa avec joie une proposition qui assurait la couronne ducale à sa nièce bien-aimée ; il déclara le duc de Nevers son héritier et son successeur, bénit de son lit de mort le mariage de sa nièce et du jeune duc, et expira quelques heures après, le 26 décembre 1627. Le lendemain, Charles de Gonzague était proclamé duc de Mantoue et de Montferrat ; lui-même, quelques jours après, arrivait dans ses états et en prenait possession sans la moindre difficulté. Ainsi s’ouvrait l’année 1628.

Charles de Gonzague était d’une des plus vieilles, des plus illustres familles de l’Italie ; il venait de faire épouser à son fils une princesse italienne. Sans doute il devait beaucoup à la France : il y laissait des biens considérables, avec un trésor tout autrement précieux, trois filles admirables, l’une déjà engagée dans l’état religieux et abbesse d’Avenai ; la seconde, la belle Marie, si vivement recherchée par Monsieur et qui devint reine de Pologne ; la troisième, cette fameuse Anne de Gonzague, princesse palatine, que Retz et Bossuet ont immortalisée ; mais les intérêts que Charles de Gonzague conservait en France s’accordaient merveilleusement avec les intérêts et les devoirs d’un prince italien. La France en effet n’avait qu’une prétention au-delà des Alpes, et cette prétention était une des espérances de l’Italie : ne pas souffrir que la branche de la maison d’Autriche qui régnait en Espagne, tandis que l’autre occupait le trône impérial, déjà maîtresse de la Sardaigne et de la Sicile, de Naples et du Milanais, fît de nouvelles conquêtes et dominât dans la péninsule. Le pape était alors le vrai représentant de l’Italie. Seul il était désintéressé. Urbain VIII ne songeait point à étendre le territoire pontifical. Son unique pensée, digne du père de la chrétienté, était la paix, et, autant qu’il serait en lui, la diminution du joug étranger. Aussi, avec la république de Venise, il était l’allié et l’ami de la France, et à part le bon droit de Charles de Gonzague, il repoussait à Mantoue un serviteur de l’Espagne. Mais il y avait un personnage qui nourrissait de bien autres desseins : c’était le duc de Savoie. Charles-Emmanuel Ier n’était pas un enfant de l’Italie. Sorti des montagnes de la Savoie, à cheval sur les Alpes, ni Français ni Italien, brave et ambitieux, il ne connaissait qu’un intérêt, celui de sa maison, et ne poursuivait qu’un seul but, l’agrandissement de ses états. Étouffant dans des limites trop étroites, il aspirait à prendre son essor et à s’étendre aux dépens de qui que ce fût[23]. Pendant les troubles de la ligue, voyant la France occupée chez elle, et croyant la pouvoir attaquer impunément, en pleine paix, sans le moindre prétexte, au mépris de toute foi publique en Europe, il s’était jeté sur le marquisat de Saluces, qu’un traité solennel assurait à la France, uniquement parce que ce marquisat était à sa convenance. La paix de Vervins à peine conclue, Henri IV avait élevé de sérieuses réclamations. Charles-Emmanuel avait tout fait pour les éluder. Passant de la violence à la ruse, il était venu lui-même tenter d’amuser Henri par de vaines paroles. Il avait fallu que le Béarnais lui fît sentir l’épée de la France : il marcha contre lui, et en moins de trois mois il envahit toute la Savoie. Il aurait pu la garder ; mais, aussi généreux que politique, il rendit cette conquête, et content d’avoir infligé à ce déloyal voisin une rude leçon, il fit avec lui le traité de Lyon, également favorable aux deux parties, qui cédait au duc de Savoie le marquisat de Saluces, enclavé dans le Piémont, et en retour nous donnait la Bresse, le Bugey et le pays de Gex, qui appartiennent essentiellement au territoire français. Charles-Emmanuel aurait dû être satisfait : il avait uni et fortifié le Piémont ; mais son inquiète ambition ne se pouvait reposer, et toutes les fois qu’il se forma quelque mauvais dessein contre nous, il y eut toujours la main. Naguère il avait trempé dans la conspiration du maréchal de Biron ; plus tard, il s’associa à toutes les intrigues ourdies en Europe pour troubler la France et renverser Richelieu[24]. C’était surtout vers les riches plaines de l’Italie que se portaient ses regards ; il convoitait le Montferrat, qui faisait partie des états du duc de Mantoue, et à la mort de Vincent II il crut le moment venu de s’en emparer. Pour cela, il fallait s’entendre avec les deux mortels ennemis de l’Italie : Charles-Emmanuel n’hésita point, et pendant que l’empereur, alléguant que Mantoue est un fief qui relève de l’empire, refusait l’investiture à Charles de Gonzague, se portait juge de ses droits et de ceux de son compétiteur, le duc de Guastalla, et en attendant le jugement définitif déclarait en séquestre le duché de Mantoue, le duc de Savoie signait avec l’Espagne un traité de partage du Montferrat. Le duc prenait pour lui la partie de cette grande et belle province qui entrait le plus dans le Piémont et l’agrandissait de divers côtés ; l’Espagne devait avoir la ville et la forteresse de Casal, alors considérée, avec Mantoue, comme la première forteresse de la Haute-Italie. En conséquence de ce traité, le 25 février 1628, deux armées sortaient de Turin et de Milan, et se répandaient comme un torrent dans le Montferrat. Charles-Emmanuel, avec ses Piémontais aguerris et disciplinés, fondit sur le territoire qu’il s’était attribué, eut aisément raison des troupes italiennes incapables de tenir en rase campagne, et massacra impitoyablement les garnisons des villes qui osèrent résister. La garnison de Mont-Calvo fut presque tout entière passée au fil de l’épée par le fils aîné du duc, le prince de Piémont, Victor-Amédée, qui assista dignement son père dans cette noble expédition. Trino se défendit vaillamment et ne se rendit qu’après seize jours de tranchée ouverte. De son côté, don Gonzalès de Cordoue, gouverneur de Milan, était venu mettre le siège devant Casal, et comptait bien s’en rendre maître par la trahison d’un officier de la place qu’il avait gagné à prix d’argent. Cet indigne Italien s’appelait Spadino. La conspiration fut découverte, et le traître précipité du haut des remparts. Le duc de Mantoue avait mis dans Casal quatre mille hommes de ses moins mauvaises troupes. On ne pouvait emporter d’un coup de main une semblable forteresse ; mais avec d’aussi médiocres défenseurs, on se flattait qu’elle ne ferait pas une bien longue résistance.

La mission du nonce extraordinaire François Sacchetti était très difficile. Il venait se jeter entre les combattans et tâcher de leur arracher les armes en les éclairant sur leurs véritables intérêts. Il avait à faire comprendre à don Gonzalès que l’Espagne n’avait pas grand’chose à gagner à une guerre qui tournerait principalement au profit du duc de Savoie, lequel, avec ses desseins bien connus, après avoir pris les trois quarts du Montferrat, prendrait aussi le reste et mettrait un jour la main sur Casal. Il ne s’agissait pas de représenter à Charles-Emmanuel quel crime il commettait envers la patrie italienne en livrant Mantoue à l’empire et Casal à l’Espagne : il n’eût pas entendu ce langage ; mais on pouvait espérer le toucher davantage en lui montrant qu’en introduisant l’Autrichien et l’Espagnol en Italie, il y appelait un autre étranger, le roi de France, qui, pour secourir Charles de Gonzague, pourrait bien de nouveau s’emparer de la Savoie, que cette fois il serait fort tenté de retenir. Enfin il était plus aisé, mais tout aussi nécessaire, d’amener le duc de Mantoue à de sages concessions, soit d’argent, soit même de territoire, pour désarmer ou diviser ses ennemis. De toutes parts des difficultés immenses, mais un but juste et grand. Pour l’atteindre, il fallait une activité et une adresse extraordinaires : il fallait aller des Espagnols aux Piémontais et des Piémontais aux Italiens, donner à tous de bonnes paroles, ménager tous les intérêts, et suppléer à la force qu’on n’avait pas par la supériorité de la raison. C’était là précisément le génie de Mazarin. Il avait une santé robuste, capable de suffire à toutes les fatigues et d’être sans cesse sur la route de Milan, de Mantoue, de Casal et de Turin. Sacchetti, qui l’aimait, lui donna volontiers toutes les occasions de se distinguer. L’étoile de l’heureux secrétaire voulut même que le nonce, ayant appris la mort de son frère le cardinal et étant lui-même tombé malade, s’en retournât à Rome et lui remît ses pouvoirs. Les talens précoces qu’il déploya agrandirent sa réputation et lui gagnèrent la confiance du saint-père.

Le jeune diplomate réussit à se faire bien venir du duc de Savoie, qui se connaissait en mérite, mais sans parvenir à écarter le voile que mettaient sur ses yeux une ambition présomptueuse, de premiers et faciles succès. En vain il lui offrit, au nom du duc de Mantoue, de grosses sommes d’argent et même la forte place de Trino, s’il consentait à se séparer de l’Espagne et de l’empire ; en vain il s’efforça de lui faire comprendre que recevoir de la main du possesseur légitime une ville aussi importante que Trino, qui demeurerait à jamais annexée à ses états et lui ouvrirait un jour le Montferrat, lui était bien plus avantageux que de s’engager dans une guerre dont l’issue pourrait bien tromper et démentir les commencemens, lorsqu’une armée française franchirait les Alpes : l’ardent et obstiné Charles-Emmanuel préféra jouer le tout pour le tout. Déjà il se voyait maître du Montferrat et ne redoutait guère la France, qui en ce moment avait sur les bras une bien autre affaire, celle du siège de La Rochelle, que défendaient toutes les forces du protestantisme et les flottes de l’Angleterre. Il pensait qu’embarqués dans une entreprise d’une telle difficulté et d’un si puissant intérêt, nous ne nous en laisserions point détourner pour nous jeter dans une expédition lointaine, qu’ainsi Casal aurait cédé aux armes espagnoles, et que le traité de partage serait accompli et consommé bien longtemps avant que La Rochelle fût prise et que nous pussions regarder du côté de l’Italie.

La question était donc de savoir qui succomberait la première, de La Rochelle ou de Casal. Les regards de l’Europe étaient fixés sur ces deux forteresses. On sait avec quelle constance et quelle vigueur Richelieu, au milieu de l’année 1628, pressa le siège de La Rochelle, continuant la fameuse digue, battant et dispersant la flotte anglaise, lassant le courage des assiégés par les plus terribles attaques, et en même temps leur offrant une honorable capitulation, l’amnistie la plus étendue, la liberté de leur culte, tout, excepté le droit de former un état dans l’état et d’en appeler à l’étranger dans nos querelles domestiques. Don Gonzalès ne montra ni la même habileté ni la même énergie, et il survint à Casal des défenseurs inattendus. Beaucoup de gentilshommes français étaient alors répandus en Italie. Ils passèrent à travers les lignes espagnoles, se jetèrent dans la place et y formèrent une nouvelle et vaillante garnison. Parmi eux était un gentilhomme d’une vieille et noble famille de Normandie, qui, au mépris des édits du roi, avait provoqué le fameux Montmorency-Bouteville, s’était battu avec lui en plein midi à la Place-Royale et avait prévenu par la fuite le sort qui attendait son héroïque et infortuné adversaire. Bouteville était monté sur un échafaud ; l’autre, désespéré, errait en Italie : c’était Guy d’Harcourt, marquis de Beuyron, l’un des aïeux des ducs et maréchaux d’Harcourt. Beuvron saisit avec joie cette occasion de faire voir au roi que, si l’honneur lui avait fait braver ses édits, il était toujours prêt à combattre et à mourir pour son service. Sa renommée et ses exploits le portèrent promptement au commandement de la place. Il ne se borna point à attendre les Espagnols derrière les murailles, il alla les chercher jusque dans leur camp, déploya autant de talent que de valeur, et prolongea la défense au-delà de toute espérance. Le 1er novembre 1628, La Rochelle tomba au pouvoir du roi. Beuvron célébra la glorieuse nouvelle par des salves d’artillerie et par une sortie audacieuse dans laquelle il fut tué. Heureusement il lui était arrivé depuis peu un digne successeur. Lorsque, devant La Rochelle, Richelieu avait appris la trahison du duc de Savoie, il s’était empressé d’envoyer à Turin un de ses meilleurs officiers, le maréchal-de-camp Guron[25], chargé de protester contre l’invasion du Montferrat et de bien expliquer au duc que la France n’abandonnerait pas le duc de Mantoue, et qu’elle saurait le défendre ou le venger. Les représentations de Guron n’eurent pas plus de succès que les conseils de Mazarin. Au bout de quelque temps, se voyant inutile à Turin, il quitta son rôle de négociateur pour reprendre celui de soldat, et se rendit à Casal. À la mort de Beuvron, il prit le commandement. Il fit placer le drapeau français à côté du drapeau italien. L’Italie entière battait des mains. L’espérance entra dans tous les cœurs, et les dames de Casal apportèrent au nouveau gouverneur leurs diamans, leurs bagues, tout ce qu’elles avaient de plus précieux, pour qu’il en fît de l’argent, afin de payer ses troupes et d’empêcher la ville de tomber au pouvoir de l’Espagne ou de son déloyal et impitoyable allié.

Charles-Emmanuel allait apprendre à ses dépens que Henri le Grand n’était pas mort tout entier, et que la France était en état de lui donner une nouvelle leçon. L’affaire de La Rochelle à peine terminée, Richelieu s’occupa sérieusement de celle d’Italie, et jamais il ne fit mieux paraître son génie politique, la fermeté de son caractère, l’énergie et la sincérité de son patriotisme. Il avait le plus grand intérêt à ménager la reine-mère, Marie de Médicis, à laquelle il devait tout, et qui, ainsi que la reine Anne, était fort opposée à une guerre avec l’Espagne. Le cardinal de Bérulle, qui avait pris de l’autorité dans le conseil du roi, faisait cause commune avec Marie de Médicis. Il trouvait presque impie de se brouiller avec sa majesté catholique, et aurait voulu que le roi de France et son ministre ne se proposassent d’autre objet que de convertir et de dompter les protestans. Il ouvrit l’avis de mener l’armée royale victorieuse contre les huguenots du midi. Richelieu voulait aussi ce que désirait si ardemment Bérulle, mais il le voulait en temps utile. Il fallait aller au plus pressé : un peu plus tard, on soumettrait Montauban et les autres villes calvinistes, comme on avait soumis La Rochelle ; mais il importait avant tout d’arrêter les progrès de l’Autriche en Italie, et d’établir bien haut en Europe qu’un allié de la France est toujours sûr d’être secouru. Au risque donc de se perdre dans l’esprit de la reine-mère, encore si puissante sur celui de son fils, le cardinal exhorta Louis XIII à ne point abandonner les desseins d’Henri IV. Louis XIII était fait pour entendre Richelieu, et, en dépit des efforts de Marie de Médicis et des prières du bonhomme de Bérulle, une lettre royale, partie de Paris le 26 décembre 1628 et adressée au brave Guron, remerciait Casal de son héroïque défense, et lui annonçait de très prochains effets de la protection du roi. Ils ne se firent pas attendre. Dès les premiers jours de l’année 1629, dans le cœur même de l’hiver, l’armée française s’avança à grands pas du côté de la Savoie. Louis XIII y était en personne, et Richelieu l’accompagnait. Le duc de Savoie, sommé de laisser passer l’armée, répondit en termes ambigu ne cherchant qu’à donner à don Gonzalès le temps d’emporter Casal, réduite aux dernières extrémités, et à se donner à lui-même celui de hérisser les chemins des Alpes de barricades et de retranchemens. Il envoya à la rencontre des Français son fils Victor-Amédée, qui avait épousé une sœur de Louis XIII, Chrétienne de France, plus tard si célèbre sous le nom de Madame Royale. Le prince eut une longue conférence avec Richelieu ; il déclara que les propositions du cardinal lui semblaient si raisonnables, qu’il ne doutait point que son père ne les acceptât, et il promit de revenir le lendemain apporter son consentement. Le lendemain, il ne revint point : il se contenta d’envoyer un courrier pour faire ses excuses, et à sa place le comte de Verrue se présenta pour expliquer les intentions de son maître. Le duc ne se piquait pas plus de fidélité envers l’Espagne qu’il n’en avait montré envers la France, et il proposait nettement d’abandonner ses alliés de la veille, si les nouveaux lui voulaient assurer les mêmes avantages, c’est-à-dire lui reconnaître toute la partie du Montferrat dont il s’était emparé. Richelieu répondit que le roi de France n’était pas libéral du bien d’autrui, qu’il était venu secourir le duc de Mantoue et non pas le dépouiller, et, rompant la conférence, il donna l’ordre à l’armée de franchir le Mont-Genèvre. Il était presque toujours à cheval à côté du roi, veillant à tout, faisant tous les métiers, général, négociateur, intendant militaire. On avait inventé des machines pour transporter le canon sur les montagnes ; on portait à dos de mulet la poudre et le plomb, et les boulets dans des hottes. Il fallait passer par un étroit défilé appelé le Pas-de-Suze, que défendaient des retranchemens formidables. Le 6 mars 1629, l’attaque commença. Louis XIII marchait lui-même à la tête de ses gardes, derrière les enfans perdus et les volontaires, parmi lesquels on voyait les plus grands seigneurs, le duc de Longueville, le comte de Soissons, le comte d’Harcourt, le marquis de Maillé-Brézé, qui avait épousé une sœur de Richelieu, et un autre de ses parens, La Meilleraie, depuis maréchal et grand-maître de l’artillerie. Enflammés par l’exemple de leur roi, les maréchaux de service, Créquy, Schomberg et Bassompierre, se précipitèrent comme de simples soldats sur les barricades. Charles-Emmanuel et Victor-Amédée se battirent avec la bravoure de leur pays et de leur race ; mais rien ne tint devant la furie française : le Pas-de-Suze fut forcé, le duc de Savoie lui-même manqua d’être fait prisonnier par le comte de Tréville, lieutenant des mousquetaires, et le lendemain la ville de Suze apporta ses clés. Le 11 mars, le prince de Piémont et Richelieu y signèrent un traité par lequel le duc de Savoie renonçait à l’alliance de l’empire et de l’Espagne, et s’engageait même à secourir Casal, s’il le fallait. En retour, on ne retirait point les propositions si avantageuses offertes par le duc de Mantoue au début de la guerre : on cédait au Piémont la ville de Trino à perpétuité, avec 15,000 écus d’or de rente en fonds de terre. La France ne demandait pas même une bicoque en Italie pour s’indemniser de ses sacrifices ; elle mettait seulement garnison dans la ville et la citadelle de Suze jusqu’à ce que le traité eût reçu sa pleine et entière exécution. En même temps, un corps de l’armée française s’avançait pour délivrer Casal. À son approche, dans la nuit du 15 au 16 mars, don Gonzalès levait le siège et se retirait à Milan, et le comte de Toiras, un des héros de La Rochelle, relevait Guron dans le commandement de la place. Le.19 avril, un second traité, annexé au premier, formait une sorte de confédération italienne, composée du pape, du duc de Mantoue, de Venise et de la Savoie, sous la garantie de la France, pour maintenir réciproquement leur indépendance et la paix. Enfin un autre traité, habilement ménagé par la république de Venise, conclu et signé à Suze même le 24 avril, obligeait l’Angleterre à ne plus s’immiscer dans les affaires intérieures de la France, et à ne se point arroger la défense des sujets rebelles du roi, qu’ils fussent protestans ou catholiques. En conséquence, après avoir suffisamment donné au duc de Savoie, au sein même de ses états, le spectacle de notre armée victorieuse, Richelieu l’avait ramenée du haut des Alpes jusque dans les plaines du Languedoc, et en trois mois il avait battu le duc de Rohan, pris successivement Privas, Castres, Nîmes et même Montauban, soumis les Cévennes et pacifié le midi.

Le jeune chargé d’affaires d’Urbain VIII avait vu tous ces prodiges de talent, de courage, d’habileté, s’accomplir sous ses yeux en moins d’une année. À la fois militaire et diplomate, il avait saisi tous les ressorts de ces grands événemens. Il avait sans doute admiré la puissance de la France ; mais il avait aisément reconnu que cette puissance lui venait principalement du patriotisme intelligent de Louis XIII, surtout du génie et du caractère de Richelieu. Il avait pu se convaincre qu’il y avait en France un politique tel qu’il n’en avait encore rencontré que dans ses lectures, un homme qui avait des desseins, et qui était capable de les accomplir. Mazarin avait dû se dire qu’on serait heureux d’être au service de cet homme-là. Il allait bientôt le connaître de plus près.


IV

On aurait pu croire que le duc de Savoie, après avoir acquis Trino et des revenus considérables dans le Montferrat, se tiendrait tranquille et remplirait loyalement les engagemens solennels qu’il venait de contracter. L’année 1629 n’était pas terminée que Charles-Emmanuel les avait de nouveau foulés aux pieds. Une première fois il avait poussé l’Espagne à envahir le Montferrat pour en avoir sa part. Il fit plus cette fois-ci : non-seulement il forma une nouvelle ligue avec l’Espagne et l’empire, mais, au lieu de se borner à employer l’empereur à troubler le duc de Mantoue dans la légitime possession de ses états en lui refusant l’investiture, il appela les terribles et féroces régimens impériaux à travers le Tyrol et la Suisse, et alluma une guerre effroyable qui devait mettre la Haute-Italie à feu et à sang. Richelieu, qui suivait d’un œil attentif les intrigues ténébreuses du duc de Savoie, n’hésite pas à le donner comme le principal artisan des nouveaux troubles. Laissons-le parler lui-même, dans son langage inculte et familier, mais plein de force. « Le duc de Savoie, dit-il[26], étoit le principal boute-feu de cette guerre ; il n’avoit traité avec le roi que l’épée à la gorge, et crevoit de dépit d’y avoir été forcé… Ayant toujours affecté la vanité d’être estimé avoir entre ses mains la paix et la guerre d’Italie à cause de ces passages qu’il donnoit à entendre ne pouvoir être forcés, il ne pouvoit se remettre de ce que le roi avoit détrompé le monde de cette créance-là… Il avoit le premier animé l’empereur et demandé d’être lieutenant-général de ses armes en Italie, et lui donnoit avis et invention d’attaquer la Bourgogne, la Bresse ou la Champagne et les évêchés. En Espagne, il avoit fait le même par les quatre évangélistes[27] qu’il y avoit… D’Angleterre, le roi avoit eu avis que le duc empêchoit la bonne intelligence entre les deux couronnes, qu’il tâchoit par tous moyens d’unir l’Angleterre à l’Espagne… De Hollande, le roi étoit averti qu’il promouvoit l’accommodement avec l’Espagne, leur facilitant les moyens de venir à une trêve. En Italie, il ne faisoit rien de ce qu’il avoit promis : il continuoit à faire tout le pis qu’il pouvoit contre le duc de Mantoue… Sur l’évaluation des terres du Montferrat, il faisoit naître tous les jours mille difficultés… Il faisoit des extorsions inouies dans les terres dont, par le traité de Suze, il demeuroit en possession, il y tenoit des garnisons qui pilloient le reste du Montferrat, lesquelles il y faisoit vivre à discrétion contre ce qui avoit été convenu ; il ne voulut jamais permettre qu’il fût porté un grain de blé dans Casal ; il tira de Novare une très-grande quantité d’armes qu’il fit passer dans le Milanois ; on disoit publiquement qu’elles serviroient à chasser les François de Suze… Bref, en toutes choses il se montroit de cœur double et faisoit tout au contraire de ce qu’il avoit promis au roi, auquel il donnoit de belles paroles, mais les effets témoignoient que le cœur étoit très envenimé. »

L’empire et l’Espagne n’avaient pas besoin d’être excités à renouveler la guerre ; ils s’y portaient assez d’eux-mêmes, et firent les préparatifs d’une campagne plus forte et mieux concertée que la précédente. Don Gonzalès fut rappelé, et à sa place on envoya, comme gouverneur de Milan et commandant en chef de toutes les troupes espagnoles, l’un des plus grands capitaines du commencement du XVIIIe siècle, le digne rival de Maurice de Nassau, le conquérant d’Ostende et de Bréda, le profond et habile marquis de Spinola. De son côté, l’empereur rassembla une puissante armée et mit à sa tête le comte de Collalto, en lui donnant pour lieutenans deux généraux renommés, Aldringer et Galas. L’avant-garde de cette armée, commandée par le comte de Mérode, viola audacieusement la neutralité suisse et força le passage des Grisons. Voilà les formidables ennemis que le duc de Savoie déchaînait sur l’Italie pour satisfaire ses ressentimens contre la France et son aventureuse ambition.

À ce grand appareil de guerre, l’Autriche et l’Espagne ajoutèrent une manœuvre qui aurait pu réussir si elle n’eût pas trahi une mauvaise foi trop évidente, et si Richelieu n’eût été là pour la démasquer. Redoutant l’influence morale du pape et les efforts qu’il allait faire pour arrêter l’inique invasion qui se préparait, l’empereur s’appliqua à faire revivre contre le chef de la chrétienté la vieille accusation de se mêler de politique et des choses temporelles, au lieu de passer doucement sa vie à prier Dieu dans ce couvent privilégié appelé la ville de Rome. L’Espagne, qui se disait si fort catholique, trouva fort bonne cette étrange accusation ; elle aussi se mit à flatter les passions protestantes, et commença à parler de réformer l’église et la papauté[28].

À ces bruits de guerre, Venise et Mantoue, directement menacées, prirent l’épouvante, et, au nom du traité de Suze, réclamèrent le secours de la France. Urbain VIII s’émut aussi, il avait le cœur trop italien pour ne pas repousser la domination espagnole et impériale ; mais il n’était pas sans crainte sur le puissant allié dont il avait besoin : il ne voulait de la France en Italie que pour en chasser les Autrichiens et les Espagnols, et le véritable but qu’il poursuivait était une paix générale qui délivrât la malheureuse Italie de ses conquérans et de ses libérateurs. Pour donner plus de force à son intervention, il résolut de former une grande ambassade à la tête de laquelle il mit un de ses neveux, Antoine Barberini, comme cardinal-légat. Sous lui était, en qualité de nonce apostolique, Panci-role, depuis cardinal en 1643 et secrétaire d’état sous Innocent X. Il leur adjoignit, avec le titre de secrétaire de légation, Mazarin, que dès lors il considérait comme l’instrument nécessaire de toute négociation dans la Haute-Italie. Le pape ne se trompait point : le nonce Pancirole, trop attaché aux formes et d’une allure compassée, ne réussit guère, et le cardinal Antoine eut le bon sens de s’appuyer sur Mazarin, qui devint encore une fois l’âme de la légation pontificale.

Jamais mission n’avait demandé un coup d’œil plus prompt et plus sûr, plus de tact, de souplesse et de mesure, et au besoin plus de fermeté. Pour faire écouter à l’Autriche et à l’Espagne de justes propositions de paix, on était bien réduit à employer la menace de l’arrivée des Français ; mais on devait bien se garder de les appeler sans une indispensable nécessité : il fallait, selon les conjonctures, hâter leur marche ou la suspendre. Bientôt le nœud des affaires se serra davantage, et la crise redoutée devint imminente.

Dès que Richelieu avait vu Collalto s’avancer vers l’Italie et Spinola prendre le gouvernement de la Lombardie, au commencement de l’automne de 1629, il ne s’était pas pressé d’évacuer la ville et la citadelle de Suze. Loin de là, il y avait peu à peu amassé des forces imposantes, qu’il avait mises sous la main du maréchal de Créquy, homme de guerre et diplomate consommé. Il avait envoyé le maréchal à Turin réclamer du duc de Savoie l’exécution du traité du 19 avril. Le duc recommença son jeu ordinaire et ne chercha qu’à gagner du temps. Au lieu de faire tête à Collalto et à Spinola, il se fortifiait du côté de la France, couvrait de retranchemens la route de Suze à Turin, et ne fournissait à la garnison de Casal que fort peu de vivres et à des prix excessifs. Richelieu ne s’endormit point ; il rassembla une armée considérable dans le Dauphiné, à l’entrée de la Savoie, et il ne tarda pas à en venir prendre lui-même le commandement.

En s’engageant de nouveau dans cette expédition lointaine et hasardeuse, le cardinal ne s’exposait pas seulement aux périls ordinaires de la guerre : à peine guéri de la fièvre, qui tout récemment encore avait manqué de l’emporter en Languedoc, il affrontait la peste et les épidémies qui dévastaient le Dauphiné et le Lyonnais, et, ce qui était d’un bien autre danger, il laissait Louis XIII loin de lui, livré à ses inégalités et à ses incertitudes de caractère, dont un patriotisme sincère ne le défendait pas toujours. Si Richelieu n’eût songé qu’à sa propre fortune, il se serait bien gardé d’abandonner le roi en ce moment critique ; mais il s’agissait de l’honneur de la France et du sort de la grande entreprise à laquelle il prétendait attacher son nom : il sentait bien que lui seul pouvait porter un tel fardeau, que sa présence en Italie donnerait du cœur à nos alliés, animerait nos généraux, qui, sous ses yeux, ne se permettraient ni faiblesse ni négligence, et après avoir remis sa destinée entre les mains de Louis XIII[29], il alla seul poursuivre leurs communs desseins. Avant de partir, il avait demandé et obtenu les pouvoirs les plus étendus : le 21 novembre 1629, des lettres patentes lui avaient conféré le titre de premier ministre, et le 24 décembre il avait été nommé lieutenant-général du roi, représentant sa personne dans l’armée d’Italie. Sorti de Paris le 29 décembre, il avait été passer quelques jours auprès du roi à Fontainebleau ; puis il s’était acheminé vers Lyon, recevant sur sa route des dépêches de toute sorte, y répondant avec sa diligence ordinaire, expédiant partout des ordres, pourvoyant à la sûreté de la frontière de Champagne au cas que l’Espagne osât l’attaquer, et commandant au duc de Guise, gouverneur de Provence, d’armer une flotte qui se pût porter au besoin sur la côte italienne. Il arriva à Lyon le 18 janvier 1630. Là, il se hâta d’envoyer le maréchal de Bassompierre en Suisse pour exciter les cantons à revendiquer leur neutralité et à chasser l’Autriche des Grisons, ou pour y recruter au moins quelques milliers de bons soldats. Il fit partir pour Venise le maréchal d’Estrées, bien connu des Vénitiens, qui l’avaient vu dans la Valteline, avec l’ordre de soutenir les efforts du comte d’Avaux et d’engager la république à faire marcher de nouvelles troupes au secours du duc de Mantoue. D’Estrées devait aussi passer à Mantoue, conseiller et guider Charles de Gonzague, en même temps que le comte de Guiche, le futur maréchal de Grammont, était autorisé à aller lui offrir aussi le secours de ses lumières et de son épée. Richelieu confia au maréchal de La Force un corps de troupes avec lequel il entra immédiatement en Savoie pour se rendre dans le Bas-Monferrat, tandis que lui-même, avec le reste de l’armée, se tenait prêt à s’avancer vers Suze par ces mêmes chemins des Alpes qu’un an auparavant il avait déjà traversés, et qu’il avait eu soin de tenir libres.

On se peut faire une idée des anxiétés de la légation pontificale. Elle fit tout au monde pour prévenir les luttes affreuses qui allaient ensanglanter le sol italien, et son jeune secrétaire porta presque tout le poids des laborieuses négociations qui remplissent l’année 1630. Il avait toute la confiance du cardinal Antoine, et il se ménageait habilement avec le nonce Pancirole, Rappliquant à faire passer en quelque sorte son mérite et ses services à l’ombre d’une modestie sincère ou affectée.

Sa première mission avait été auprès du commandant en chef de l’armée impériale, campée entre Crémone et Mantoue. Collalto n’avait pas fort goûté la gravité un peu cérémonieuse de Pancirole, et il fut charmé de trouver dans celui qu’on envoyait à sa place un jeune officier à la mine ouverte, aux façons vives et décidées ; il le prit en gré et le retint quelques jours auprès de lui. Mazarin se remit aisément à la vie militaire, se montra bon compagnon, joua fort volontiers, et s’insinua si bien dans l’esprit du général autrichien que celui-ci, adressant au cardinal Antoine pour quelques affaires un de ses premiers officiers, Piccolomini, lui fît dire qu’il ne voulait plus traiter avec personne qu’avec Mazarin[30]. Cependant le fin diplomate, au milieu de la liberté et du tumulte des camps, avait su tirer de son hôte un secret de la plus grande importance : le lieutenant de l’empereur attendait de nombreux et puissans renforts avec lesquels il comptait bien emporter Mantoue. C’était là un aiguillon de plus à la légation pontificale pour s’efforcer d’obtenir à tout prix la paix.

Mazarin avait été plus heureux encore dans ses nombreuses conférences avec le chef de l’armée espagnole. Ambroise Spinola était un politique autant qu’un capitaine, et il aurait fort bien pu remplacer Olivarès à la tête des conseils de l’Espagne. Sans doute il était décidé à exécuter les ordres de sa cour, mais il les jugeait et ne les approuvait point. Né à Gênes, au fond du cœur il était Italien. Il avait acquis sa gloire dans les Pays-Bas ; c’était là le champ de bataille qui lui plaisait ; il venait à regret faire la guerre en Italie et verser le sang de ses compatriotes pour servir l’impatiente ambition du duc de Savoie. Il savait qu’on ne pouvait compter sur le duc, et qu’après avoir contracté les plus étroits engagemens avec l’Espagne, Charles-Emmanuel était prêt, s’il y trouvait son intérêt, à s’allier aux Français pour s’agrandir soit du côté de Genève, soit du côté de Milan, soit du côté de Gênes. Spinola avait donc mis le siège devant Casal ; mais il ne le pressait pas très vivement, et Mazarin n’avait pas eu grand’peine à le faire entrer dans les desseins pacifiques du saint-siège.

Près de voir son pays envahi de nouveau par la France, Charles-Emmanuel était fort disposé cette fois à écouter les conseils de Mazarin. Il avait apprécié sa sagacité dans les événemens de 1628 et de 1629, et il embrassa volontiers l’idée d’un armistice proposé par la légation pontificale, parce que cet armistice, sans faire obstacle à aucune des chances qu’il se réservait dans l’avenir, le délivrait du danger présent, l’irruption des Français dans ses états : mais il s’agissait de faire accepter une suspension d’armes à Richelieu, qui avait l’épée à la main et se préparait à reprendre le chemin de Suze. L’entreprise n’était pas aisée, et elle était si importante que Pancirole voulut s’en charger lui-même. Le duc de Savoie, convaincu que Mazarin seul pouvait faire quelque impression sur l’ardent et opiniâtre cardinal, représenta au nonce qu’un voyage en France au milieu de l’hiver ne convenait ni à son âge ni à sa dignité, qu’il fallait aller très vite, et qu’une telle course demandait la force et l’agilité de la jeunesse. Pancirole agréa ces motifs[31], et Mazarin se précipita sur la route de Lyon. C’est là que pour la première fois il approcha de Richelieu. Il avait pu le voir en 1629 à Suze, mais il ne lui avait jamais parlé. Il eut avec lui à Lyon une conférence de trois heures. Animé par la grandeur des intérêts qui lui étaient confiés et par l’envie de plaire à un pareil interlocuteur, il déploya tant d’esprit et aussi tant d’agrément, et montra une si parfaite connaissance des affaires d’Italie, que le cardinal en fut très frappé, et qu’en sortant de cette conférence, il fit devant toute la cour l’éloge de Mazarin. Depuis, les historiens[32] se sont peut-être complu à exagérer cet éloge ; mais il faut bien que le cardinal ait été très satisfait de Mazarin, puisqu’il nous dit dans ses mémoires que celui-ci « le fut des serviteurs du roi, » et il ajoute que lui-même écrivit sur-le-champ et adressa au roi Louis XIII une relation de cet entretien[33]. Mais si touché que le cardinal ait pu être des dispositions extraordinaires qu’il rencontrait dans ce jeune homme, il ne se doutait pas que ce jour-là il avait devant lui son successeur. De son côté, on peut penser si Mazarin dut être flatté de se voir traité avec cette considération par le plus grand homme d’état de l’Europe, et le 29 janvier 1630 il quittait Lyon pour retourner auprès de Pancirole, emportant dans son cœur une particulière inclination pour la France et pour Richelieu, et décidé à les servir autant que le permettraient ses devoirs envers le saint-siège et envers l’Italie.

Mais que s’était-il passé dans cette fameuse conférence ? Mazarin était venu proposer à Richelieu au nom du saint-père une trêve ou suspension d’armes pendant laquelle on traiterait de la paix. Le cardinal commença par rejeter bien loin une telle proposition, en disant que l’armée française était toute prête à entrer en campagne, que chaque jour de retard serait une dépense énorme et stérile, et semblerait marquer une irrésolution qui enhardirait les ennemis, que si l’on voulait la paix, il fallait la faire sur-le-champ, solide et durable, que rien n’était plus facile si l’on était de bonne foi, la France ne demandant, de concert avec le saint-siège, que la reconnaissance des droits du duc de Mantoue et la loyale exécution du traité de Suze. Mazarin prit la liberté de répondre que pour arriver à la paix il fallait s’en entretenir, et que pour cela une trêve plus ou moins longue était nécessaire. Le cardinal repartit que tous ces préliminaires étaient épuisés, et que la guerre était devenue le seul moyen de conquérir la paix. Et il demanda en souriant au jeune diplomate si, en venant lui parler encore de négociations, il était bien sûr d’avoir le secret de sa cour, que c’était sur l’invitation formelle du pape qu’il avait pris le chemin de l’Italie, qu’à Rome par le ministre de France, le comte de Béthune, le pape le pressait d’agir, et qu’à Paris le nonce Bagni lui tenait le même langage. Sans se troubler, Mazarin répliqua modestement que telles étaient aussi les instructions du cardinal-légat, mais à cette condition qu’on désespérât de là paix ; qu’alors le pape appellerait hautement et publiquement les Français, et considérerait leurs succès comme les siens propres, parce qu’il voulait, tout autant que la France, le triomphe du bon droit et de l’Italie dans la personne du duc de Mantoue. Restait à savoir si on devait absolument désespérer de la paix par des moyens pacifiques. Et là-dessus il exposa les sérieux motifs sur lesquels il se fondait pour croire qu’on pouvait amener l’Autriche et l’Espagne à une paix raisonnable. Il fit connaître au cardinal l’état de l’armée impériale devant Mantoue : elle dépérissait chaque jour, consumée par les maladies ; Collalto venait même de lever le siège ; il avait consenti sans difficultés à la suspension d’armes, et sa faiblesse était une garantie assurée qu’il travaillerait sincèrement à la paix. Au contraire, si on laissait passer le moment favorable, on devait tenir pour certain qu’il recevrait bientôt de puissans renforts, ou plutôt une nouvelle armée qui balaierait devant elle les mauvaises troupes de Venise et de Charles de Gonzague et s’emparerait aisément de Mantoue, et une fois Mantoue tombée au pouvoir de l’Autriche et défendue par des troupes allemandes, il serait à peu près impossible de la reprendre. L’empereur n’était pas éloigné de reconnaître que cette guerre importait plus à son orgueil qu’à son intérêt, et on pouvait désarmer cet orgueil par de sages concessions. Parmi ces concessions, Mazarin dut indiquer quelques avantages qui se pouvaient accorder au duc de Guastalla, le protégé de l’empereur et de l’Espagne ; mais où il toucha le plus Richelieu, ce fut en lui apprenant les secrètes et véritables dispositions de Spinola, que le cardinal lui-même avait déjà soupçonnées. En même temps il fit sentir qu’il en fallait profiter le plus tôt possible, parce que, s’il ne voyait point jour à une paix prochaine, le vieux capitaine n’aurait rien de mieux à faire qu’à suivre à la rigueur les ordres de son gouvernement, et qu’alors il pourrait bien renouveler dans le Montferrat ses succès des Pays-Bas. Enfin Mazarin, voyant Richelieu résolu à ne point perdre de temps et impatient d’avoir raison des perfidies du duc de Savoie, se réduisit à lui demander d’envoyer le maréchal de Créquy sur les lieux pour juger par lui-même de la vraie situation des affaires, et que pendant ce temps-là il permît à la légation pontificale de continuer ses efforts pour la paix, en s’autorisant de sa bonne volonté et de son nom. Le cardinal y consentit, pourvu que, pendant ces négociations, dont il n’attendait pas un grand effet, il n’y eût pas de suspension d’armes et que chacune des parties intéressées pût agir comme il lui plairait[34]. C’est sur cela qu’il congédia Mazarin, et pour bien faire voir que la France ne reculait point et persistait dans les résolutions qu’elle avait déclarées, lui-même, le 1er février 1630, se rendit de sa personne de Lyon à Grenoble, y transporta son état-major et fit filer des troupes sur Chambéry.


VICTOR COUSIN.

  1. Les deux biographes de Mazarin qui nous serviront de guides, surtout pour les commencemens de sa carrière, sont deux de ses compatriotes et contemporains qui l’ont parfaitement connu : 1° l’abbé Elfridio Benedetti, de Rome, son agent et son homme d’affaires, Raccolta di diverse Memorie per scrivere la vita del cardinale Giulio Mazarini, etc., in-4o, à Lyon, sans date ; 2 l’auteur anonyme d’un mémoire sur la vie de Mazarin, et particulièrement sur sa jeunesse, récemment publié par M. chiala dans un recueil de Turin, Rivista contemporanea, novembre 1855. Cet anonyme est un ami d’enfance de Mazarin ; il est favorable au cardinal, mais pourtant bien plus impartial que Benedetti. On trouve aussi des détails qui ne sont point à dédaigner dans Brusoni, Supplemento all’ Istoria d’Italia di Girolamo Brusoni, etc., Francfort 1664, ainsi que dans les mémoires inédits de Brienne le fils, publiés par M. Barrière, 2 vol. 1828. Nous avons eu aussi sous les yeux l’Histoire du Ministère du cardinal Jules Mazarin, par le comte Priorato, traduite de l’italien, 3 vol. in-12, Amsterdam 1071, t. Ier ; Vita del Cardinale Giulio Mazarini, del dottore Alfonso Paioli, Venise et Bologne 1675, in-12 ; l’Histoire du cardinal Mazarin, par Aubery, 2 vol. ; l’abbé de Longuerue, Recueil de pièces intéressantes pour l’histoire de France, — abrégé de la Vie du cardinal Jules Mazarin.
  2. Le nom de Mazarin vient d’un petit lieu de Sicile appelé Mazare, si l’on en croit la mazarinade intitulée Lettres du chevalier George à monseigneur le prince de Condé, ou d’un castello Mazarino, selon Benedetti et le mémoire anonyme publié récemment à Turin.
  3. Mémoire anonyme : « commodo artigiano. » Une copie meilleure et plus étendue de ce mémoire, que M. Chiala a bien voulu nous communiquer, dit quelque chose de plus : « commodo mercadante e possessor di qualche bene di fortuna. »
  4. Philippe Colonna, duc de Palliano et de Tagliacotti, grand-connétable du royaume de Naples, mort en 1639.
  5. Voyez Benedetti. Le mémoire anonyme, dans la bonne copie communiquée, célèbre encore plus les avantages de ce mariage : « Il contestabile gli diede una sua figliana di casa Bufalini, casa nobilissima della quale ne teneva il contestabile protettione, con una dote più che conveniente alle facoltà ed ai natali dello sposo, sendo inoltre molto dotata di una bellezza non ordinaria, e molto virtuosa. » Hortense Bufalini avait deux frères, tous deux attachés à la maison Colonna : l’un riche abbé, l’autre chevalier, puis commandeur de Malte, militaire qu’Aubery nous donne comme fort habile dans l’escrime, et qui même en avait fait un traité dédié à Louis XIII sous ce titre : Quel parti doit prendre le vrai cavalier, quand il survient des querelles et des matières d’éclaircissement entre des gentilshommes ?
  6. Tel est le récit de Benedetti, et Brienne dit aussi, t. Ier p. 283 : « Il signor Giulio naquit dans le bourg de Piscina en Abruzze, et reçut le baptême dans l’église de Saint-Silvestre de Rome. » Le mémoire anonyme fait naître Mazarin à Rome, où en effet il avait été conçu et où il fut baptisé. Les deux versions se peuvent donc accorder.
  7. On lit dans la bonne copie du mémoire anonyme : « Mostrava maneggiur i denari, come si suol dire, con la pala, e sovente dir soleva che ad un uomo splendido il cielo è tesoriero. »
  8. Né en 1604, cardinal en 1627, archevêque de Bologne, puis évêque de Frasca, mort en 1666.
  9. Benedetti : « In sua camerata. » Le mémoire anonyme : « Uno de’ suoi camerieri. »
  10. Benedetti y fait allusion sans paraître y croire, trouvant sans doute l’aventure au-dessous de son héros ; mais Paioli l’adopte sans difficulté, et le mémoire anonyme s’y arrête avec complaisance. Nous n’avons fait ici qu’abréger ce mémoire et quelquefois le traduire.
  11. Mémoire anonyme : « Quantunque lo conoscesse amatore d’iperboli. »
  12. Benedetti, qui supprime tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de Mazarin, même dans sa première jeunesse, et qui ne parle pas plus de ses aventures d’amour que de ses aventures au jeu, donne un autre motif à son retour d’Espagne. Ce motif aurait été la nouvelle inattendue que Pierre Mazarin, accusé à Rome d’un assassinat, avait rappelé son fils pour le défendre. Rien de moins vraisemblable. Une telle accusation ne s’accorde guère avec les mœurs que Benedetti lui-même donne à Pierre Mazarin, et les défenseurs capables de le tirer d’embarras en une telle affaire étaient ses deux beaux-frères, l’abbé et le commandeur Bufalini, surtout les Colonna, et non pas un jeune homme obscur qui avait à peine vingt ans. Il faut dire pourtant que Benedetti est suivi en cela par Priorato.
  13. C’est à cette époque que le mémoire anonyme place le doctorat de Mazarin ; Benedetti, suivi par Priorato, le met un peu plus tard. Cette différence importe peu.
  14. Le mémoire anonyme, dans la bonne copie : « Avendo in ogni tempo mostrato più inclinazione all’armi che alle lettere, lo diede a vedere mentre facendosi spedizioni per la Valtelina si fece capitano, etc. »
  15. Benedetti, p. 14 : « Col trasformarsi, secondo il bisogno, quai Proteo, di abito e di lingua, coi Francesi in francese et coi Spagnuoli in spagnuolo. »
  16. Beucdetti, ibid. : « La sua ordinaria residenza era riposta in un continuo moto. »
  17. Le cardinal Maffeo Barberini fut élevé au saint-siège le 6 août 1623. Il mourut le 29 juillet 1644.
  18. Benedetti, p. 16 : « Giov. Francesco appoggiò la maggior parte di quella incumbenza alla esperimentata fede e habilità del Mazarini. »
  19. Né à Ferrare en 1579, successivement nonce en Flandre et en France, cardinal en 1621, évêque de Palestrine en 1641, mort on septembre 1644, quelques mois après Urbain VIII. Ses œuvres ont été recueillies en un volume in-folio, Paris 1645. Tout récemment on a publié à Turin des lettres écrites par le cardinal pendant sa nonciature de France qui jettent le plus grand jour sur le ministère du maréchal d’Ancre et sur celui du duc de Luynes. Qui ne connaît l’admirable portrait de Bentivoglio gravé par Morin ?
  20. Ce document nous est fourni par Brienne le fils dans ses mémoires inédits, t. Ier, p. 283. C’est une relation d’un ambassadeur de Venise à Rome, datée de l’année 1639, que Brienne prétend avoir vue et qu’il cite textuellement. Brienne n’est pas sans doute une autorité bien solide ; il peut avoir plus ou moins altéré cette relation, mais il ne l’a pas inventée. Reste à supposer que c’est une pièce apocryphe et faite après coup qu’il aura prise pour authentique : cela est fort possible ; mais dès 1621 Bentivoglio était de retour à Rome de sa nonciature en France, et il a très bien pu, de 1621 a 1628, connaître et favoriser Mazarin.
  21. Voyez Benedetti, Priorato, etc. — A compter de ce moment, le mémoire anonyme nous abandonne, mais nous le retrouverons un peu plus tard.
  22. Voyez, pour tout ce qui suit, les mémoires de Richelieu, t. V et VI, dans la collection Petitot, et l’Histoire du Règne de Louis XIII, du père Griffet, la fin du t. Ier et le commencement du t. II.
  23. Tous les historiens sont unanimes à représenter comme nous le faisons le caractère de Charles-Emmanuel. Récemment encore un historien piémontais, M. Carutti, bien qu’enflammé par un patriotisme auquel nous applaudissons, après avoir célébré en Charles-Emmanuel Ier le vaillant soldat, le politique audacieux et fertile en expédiens, termine ainsi son portrait : « Queste rare doti furono offese da troppa versatilité di voleri, e da soverchia fidanza in se stesso… La prudonza non fù in lui sempre pari all’ardire ; per quelle sue perpétue guerre toccò il Piemontc l’ estremo della miseria. » — Storia del Regno di Vittorio-Amedeo II, scritta da Domenico Carutti, Torino 1856, p. 5.
  24. Voyez Madame de Chevreuse, ch. Ier, p. 21.
  25. Disons un mot de ce brave officier dont le nom est tombé dans l’oubli. Jean de Rechigne-Voisin, sieur de Guron, avait déjà servi sous Henri IV dans l’expédition de Savoie en 1600. Il se distingua à l’attaque du Pont-de-Cé, et reçut le brevet de maréchal-de-camp le 20 septembre 1627. Il leva en 1628 un régiment d’infanterie et le mena au siège de La Rochelle. Avant la prise de la ville, il fut envoyé à Turin. En 1629, il accompagna le roi et Richelieu en Languedoc, et c’est lui qui négocia la soumission de Montauban. En 1631, il alla en Lorraine pour tacher d’arranger le différend du duc Charles IV et de la France, et en 1633 il eut une mission auprès des Suédois et de Gustave-Adolphe. Voyez Pinart, Chronologie militaire, t. VI, p. 80.
  26. Collection Petitot, Mémoires de Richelieu, t. V, p. 233. — Il est à remarquer que Benedetti n’est guère moins sévère que Richelieu envers le duc de Savoie, p. 22 : « Il fuoeo veniva tanto maggiormente accolorato dalle sagaci et artificiose manière di Carlo Emanuel duca di Savoia, che con la mira di dilatare il suo stato nel Monferrato, e con la speranza di poter rendersi arbitro di quelle armi, con varie e ben sovonte frà se stesse contrarie risoluzioni, pose il suo stato in grandi contingenze e dannosi pericoli. » — Brusoni, dans son Supplément à l’Histoire d’Italie, dédié, en 1664, au petit-fils de Charles-Emmanuel, tout en ménageant le duc de Savoie, est bien forcé de blâmer ses desseins hasardeux, « suoi precipitosi consegli, » et l’appelle « principale architetto con gli Spagnuoli delle turbolenze…, etc. » Supplemento all’ Istoria d’Ilalia, di Girolamo Brusoni, dedicato all’ altezza reale di Carlo Emmanuele II, duca gloriosissimo di Savoia, in Franforte 1664, page 154, 155.
  27. Richelieu appelle ainsi les quatre envoyés du duc de Savoie, parce qu’ils étaient ecclésiastiques : le plus connu d’entre eux est l’abbé Scaglia.
  28. Richelieu, ibid., p. 232 : « Les Espagnols commencement à parler de réformer l’église et le pape, qui ne pensoit, disoient-ils, qu’à s’enrichir, lever des armées et fortifier des places, au lieu que sa charge est de prier Dieu ? »
  29. Mémoires de Richelieu, ibid., p. 331 : Il dit au roi « que, bien qu’en diverses occasions passées il eût tâché de témoigner à sa majesté son affection, il ne pensoit point avoir fait aucune action qui lui en rendit preuve plus signalée qu’il en recevrait par ce voyage, puisqu’il ne l’entreprenoit que pour empêcher qu’il n’y allât en personne ; ce qu’il ne pourroit faire sans beaucoup d’inconvéniens pour lui et pour son état, et que, par ce moyen, il s’exposoit à plusieurs accidens, dont les moindres étoient ceux qu’on considéroit d’ordinaire à la guerre ; qu’il savoit que les plus raffinés courtisans avoient pour maxime d’être le moins qu’ils pouvoient absens de leur maître et jugeoient que les grands sont esprits d’habitude auprès desquels la présence fait beaucoup ; qu’ils croiroient qu’ayant été mal avec la reine, il pouvoit retomber aisément en pareil malheur, ce qui enfin pourroit attirer la disgrâce de sa majesté ;… mais que puisqu’un serviteur n’est pas tel qu’il doit, s’il ne sacrifie tous ses intérêts pour ceux de son maître lorsque l’occasion le requiert, toutes ces considérations raisonnables ne l’empêcheroient point de marcher… »
  30. Benedetti, p. 21, suivi par Priorato.
  31. Benedetti, p. 23, et Brusoni, Supplemento all’ Istoria d’Italia, p. 155.
  32. Benedetti, p. 23 : « Fù questa la prima volta che il cardinal Richelieu conobbe di presenza il Mazzarini ; e ne restò talmente rapito che fece quel grand’eroe publiche esagerationi di stima delle qualità peregrine che haveva ravvisate in questo soggetto, che nel poco tempo del suo soggiorno in Lione s’introdusse considerabilmente nella buona grazia del, cardinale. » Brusoni, Supplemento, etc., p. 155 : « Questo primo congresso di Mazzarini con Riscegliù fù il primo grado che fece all’ acquisto della sua grazia. Poiché dopo d’averlo tenuto per tre hore continue a stretta conferenza, disse a’grandi della corte di non avere ancora trovato huomo alcuno, che nel primo incontro svegliasse pià di lui concetti del proprio valore nella sua mente, ne che favellasse con tanto vantaggio e riputazionc delle cose del suo padrone, o si mostrasse meglio instrutto degli affari di stato, o di quelli d’Italia in particolare. » Aubery, Histoire du Cardinal Mazarin, liv. Ier, p. 21 : « Aussi ne sçauroit-on concevoir l’estime et l’amitié que conserva toujours pour lui le cardinal de Richelieu. Et il ne put ou plutôt il ne voulut le dissimuler ni s’en taire à l’heure même. Au sortir de leur conférence, qui dura plus de trois heures, il avoua aux maréchaux de Bassompierre et de Créquy, et à d’autres personnes de qualité, qu’il n’avoit point rencontré jusque-là de plus beau génie, ni personne qui fût entré plus heureusement dans les négociations et dans les affaires. » Longuerue va plus loin et fait dire à Richelieu « qu’il venoit d’entretenir le plus grand homme d’état qu’il eût jamais vu. » Tout cela ressemble bien à des propos inventés, après coup.
  33. Mémoires, t. V, p. 385 et 386.
  34. Cette lettre est la plus ancienne que nous ayons pu découvrir de la main de Mazarin. L’écriture en est jeune, ferme, décidée. L’original italien est aux archives des affaires étrangères, dans le fonds intitulé France, année 1630, t. 53, f° 84.