La Jeunesse de Madame de Longueville
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 15 (p. 377-408).
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LA JEUNESSE


DE


MADAME DE LONGUEVILLE.





III.
AMOUR DE COLIGNY POUR Mme DE LONGUEVILLE. — SON DUEL AVEC LE DUC DE GUISE. — UNE NOUVELLE INÉDITE DU XVIIe SIÈCLE.




Voilà donc Mlle de Bourbon mariée le 2 juin 1642. « Ce lui fut une cruelle destinée : M. de Longueville étoit vieux, elle étoit fort jeune et belle comme un ange. » Ainsi s’exprime sur ce mariage Mademoiselle, fidèle interprète de l’opinion contemporaine[1].

Henri II, duc de Longueville, descendait de ce fameux comte de Dunois, dont le nom est lié à celui de Jeanne d’Arc dans les grandes guerres de l’indépendance, sous Charles VII. Il était fils de Henri d’Orléans, premier du nom, prince souverain de Neufchâtel et Valengin, homme de guerre digne de ses ancêtres, qui porta à la Ligue un coup mortel par la victoire de Senlis. Sa mère était Catherine de Gonzague, fille de Louis de Nevers, père de Marie de Gonzague, reine de Pologne, et d’Anne de Gonzague. la princesse palatine. Né en 1595, Henri II avait d’abord épousé Louise de Bourbon, fille du comte de Soissons, grand-maître de France, morte en 1637, et dont il avait eu Marie d’Orléans, Mme de Longueville, qui, ayant vingt-cinq ans, en 1650, au milieu de la Fronde, y joua aussi un certain rôle, et finit par épouser le duc de Nemours, frère de celui qui avait été tué par le duc de Beaufort. Ainsi, quand le duc de Longueville prit une seconde femme en 1642, il avait quarante-sept ans, et il lui apportait pour belle-fille une personne presque de son âge, d’un caractère tout différent du sien, assez belle, spirituelle, mais dépourvue de toute sensibilité, qui devint bientôt le censeur de sa belle-mère et son ennemie dans le sein de la famille, et jusqu’auprès de la postérité dans les mémoires aigrement judicieux qu’elle a laissés sur la Fronde.

Le duc de Longueville était un vrai grand seigneur. Il était galant et brave, libéral jusqu’à la magnificence, d’un caractère noble et généreux, mais faible, s’engageant aisément, se dégageant volontiers, au fond sans passion et sans ambition, et possédant tout ce qu’il faut pour briller au second rang, mais incapable du premier. Il commença par faire un peu d’opposition à Richelieu, puis il se soumit assez vite; plus tard, on le mit dans la Fronde; il partagea la captivité de ses deux beaux-frères, et, à peine hors de prison, il se raccommoda avec la cour. Naturellement sensé et modéré, il était fait pour suivre la route que ses pères lui avaient tracée, et pour servir la couronne dans de grandes charges militaires et civiles, qu’il eût fort dignement remplies. Le malheur de sa vie a été d’être presque toujours jeté par d’autres hors des voies régulières qui lui convenaient, dans des entreprises et des aventures au-dessus de sa portée, et où ses qualités parurent moins que ses défauts.

Ajoutons que M. de Longueville, de mœurs assez légères, avait eu, dans sa première jeunesse, de Jacqueline d’Illiers, devenue abbesse de Saint-Avit, près Châteaudun, une fille naturelle, Catherine-Angélique d’Orléans, qui fut successivement religieuse en différentes maisons, et mourut abbesse de Maubuisson, à l’âge de quarante-sept ans, en 1664. Déjà sur le retour, il s’était épris de la duchesse de Montbazon, qui avait fort bien accueilli cette conquête utile, et la retint, dit-on, même après le second mariage de M. de Longueville, malgré tout le mécontentement de Mme la Princesse et les reproches, souvent très vifs, qu’elle adressait à son gendre.

Il faut en convenir, il n’y avait pas là de quoi captiver le cœur et l’imagination d’une jeune femme, telle que nous avons dépeint Mlle de Bourbon. Avec ses instincts de fierté et d’héroïsme, ses délicatesses d’esprit et de cœur, ses principes et ses habitudes de précieuse, elle ne pouvait admirer M. de Longueville, et, comme elle était faite, l’admiration était pour elle le chemin de l’amour. Elle devait être blessée qu’avec ce qu’elle était à tous égards, on lui pût donner une rivale; et ce qui pouvait la blesser davantage, c’est que cette rivale, si peu digne de lui être comparée par son caractère, était la plus grande beauté du jour, en sorte que l’infidélité au moins apparente de M. de Longueville ressemblait à une préférence offensante pour ses charmes; et, nous l’avons dit, Mlle de Bourbon n’était pas seulement tendre. elle était glorieuse et un peu coquette. Cependant, comme elle n’aimait pas son mari, sa douceur, aisément soutenue par son indifférence, la sauva de l’irritation. Seulement elle se crut autorisée à se laisser adorer en toute sécurité de conscience, et elle continua de vivre à l’hôtel de Longueville, comme elle le faisait à l’hôtel de Condé, avec la même cour de jeunes et gracieuses amies, de jeunes et brillans cavaliers[2].

Les fêtes du mariage étaient à peine terminées, que Mme de Longueville fit une petite maladie. La petite vérole, alors si redoutée, qui l’avait chassée de Chantilly, et contre laquelle elle avait fait à Liancourt des vers assez médiocres[3], l’atteignit dans l’automne de 1642, et mit en péril le charmant visage. Tout Rambouillet s’émut. La marquise de Sablé, trop fidèle à cette peur de la contagion, qui a été le ridicule de sa vie, ne put obtenir d’elle-même, malgré la tendresse la plus sincère, de soigner l’intéressante malade; mais Mlle de Rambouillet ne l’abandonna point[4], et ce fut une sorte de joie publique lorsqu’on apprit que Mme de Longueville avait été épargnée, et que, si elle avait perdu la première fraîcheur de sa beauté, elle en avait conservé tout l’éclat. Ce sont les propres paroles de Retz[5], et le galant évêque de Grasse. Godeau, les confirme par les complimens alambiqués en manière de sermon qu’il adresse à ce sujet à Mme de Longueville[6].

Pendant cette indisposition, M. de Longueville n’était pas auprès de sa femme. Le cardinal de Richelieu venait de l’envoyer prendre le commandement de l’armée d’Italie à la place du duc de Bouillon, l’aîné de Turenne, qui, compromis dans l’affaire du grand-écuyer Cinq-Mars, avait été arrêté par ordre du cardinal à la tête de son armée, conduit de Cazal à Lyon au château de Pierre-Encise, et se trouva encore très heureux de racheter sa vie par l’abandon de sa place forte de Sedan.

L’hiver de 1643 s’écoula pour Mme de Longueville dans les agréables occupations qui avaient charmé son adolescence. Elle était sans cesse au Louvre, à l’hôtel de Condé, à la Place-Royale ou à l’hôtel de Rambouillet, dont l’éclat s’accroissait chaque jour. C’était à peu près le temps de la Guirlande de Julie. Tallemant s’était proposé[7] d’ajouter au recueil des poésies de Voiture beaucoup d’autres pièces de l’hôtel de Rambouillet. En vérité, nous pourrions le suppléer à l’aide des manuscrits de Conrart, qui était aussi un des habitués de l’illustre hôtel. Nous puiserions à pleines mains dans ces manuscrits inépuisables, et nous n’aurions que l’embarras du choix; mais si tous ces vers peignent à merveille la société du XVIIe siècle, amoureuse de l’esprit comme de la bravoure, enivrée d’héroïsme et de galanterie, ils charmeraient peut-être médiocrement celle d’aujourd’hui, et la dernière fois nous avons mis les lecteurs de la Revue à une épreuve que nous n’oserions renouveler. Disons seulement que Mme de Longueville fut encore plus entourée que Mlle de Bourbon de cet encens poétique[8] un peu fade, il est vrai, mais qui rarement a déplu aux beautés les plus spirituelles. Nous avons sous les yeux des poésies de toute sorte et de toute main qui la représentent tantôt aux bals du Louvre et du Luxembourg, tantôt au Cours avec ses deux belles amies, Mlles du Vigean, tantôt suivant son mari dans son gouvernement de Normandie et rappelée par l’hôtel de Rambouillet[9], partout poursuivie de soins et d’hommages, et montrant partout une douceur pleine de charme, avec la nonchalance qui ne l’abandonnait guère lorsque son cœur n’était pas occupé. Et il ne l’était pas encore, ou il ne l’était qu’à la surface. Elle n’aimait point, mais elle avait distingué dans la foule de ses adorateurs Maurice, comte de Coligny, le frère aîné de Dandelot, le fils du maréchal de Châtillon, qui avait soupiré pour elle avant son mariage, et ne s’était pas retiré devant un mari de quarante-sept ans, peu jaloux, et même encore dans les chaînes d’une autre.

Il est bien surprenant que les mémoires contemporains se taisent absolument sur Coligny, sur son caractère, son esprit, sa personne. Tout ce que nous savons, c’est qu’il était un des amis particuliers de La Rochefoucauld, et surtout du duc d’Enghien[10], qui l’employa dans plus d’une négociation délicate. Nous avouons qu’un tel silence n’est guère en sa faveur; mais répondons-nous à nous-même que Coligny était jeune, qu’il n’avait pas eu le temps de se faire connaître, et qu’il a été naturellement éclipsé par son cadet Dandelot, qui succéda à son titre, et prit sa place auprès de Condé, dont il devint un des meilleurs lieutenans. Dans l’absence de tout autre document, un manuscrit de la Bibliothèque nationale, auquel déjà nous avons eu recours, nous fournit quelques détails dont nous ne garantissons point l’exactitude, mais qu’il ne nous est pas permis de négliger faute de mieux. Ce manuscrit, qui a pour auteur un M. de Maupassant, attaché au prince de Condé, nous représente Coligny comme très bienfait, sans avoir pourtant une tournure fort élégante, de beaucoup d’esprit, de beaucoup d’ambition, avec une médiocre réputation de courage, accusation étrange et tout-à-fait invraisemblable envers un Châtillon et un ami de Condé. Maupassant, prenant l’apparence pour la réalité, suppose aussi que Mme de Longueville partageait les sentimens de Coligny, parce qu’elle ne les rebutait pas, et il peint de couleurs assez romanesques les commencemens de leurs prétendues amours. Nous donnons le passage entier en l’abandonnant au jugement du lecteur[11] :

« Anne de Bourbon, duchesse de Longueville, estoit alors une des plus aimables personnes du monde, tant par les charmes de son esprit que par ceux de sa beauté. Coligny, fils aisné du maréchal de Châtillon, l’aimoit passionnément, et l’on dit qu’il estoit aimé. C’estoit un garçon de fort belle taille, mais qui avoit plustost l’air d’un Flamand que d’un François. Il avoit de l’esprit infiniment et des pensées vastes et grandes, mais on croit que sa valeur n’égaloit pas son ambition. Avant même le mariage de cette princesse, il estoit au mieux avec elle. On dit qu’il se servit d’un moyen assez fin et fort extraordinaire pour lui déclarer sa passion. Le roman de Polexandre[12] estoit fort à la mode et fort en vogue, mais principalement à l’hostel de Condé, qu’on regardoit alors comme le temple de la galanterie et des beaux esprits. Le duc d’Enghien lisoit ce livre à toute heure, et, y trouvant une lettre tendre et passionnée, il la montra à Coligny, pour lequel il n’avoit rien de caché. Celuy-ci sut profiter d’une occasion si favorable, et proposa au duc d’Enghien d’en faire une copie pour la mettre adroitement dans la poche de la duchesse. Il ne se passoit presque pas de jour qu’il n’y eût à l’hôtel de Condé quelque espèce de feste, et l’on y dansoit presque tous les soirs. La proposition fut acceptée, et Coligny s’estant volontiers chargé de copier cette lettre, il la donna au duc d’Enghien. Ce jour-là, tout le monde estoit paré, et la duchesse brilloit de mille rayons. Le bal commença de bonne heure, et le duc, ayant pris la main de sa sœur, exécuta aysément leur dessein. Je ne scay pas davantage, mais il y a apparence que la lettre fut lue et que la duchesse ne s’en plaignit pas. »

Pendant que les jeunes gens se livraient ainsi aux plaisirs de la galanterie, de graves événemens changeaient la face de la cour et de la France.

Richelieu était mort le 2 décembre 1642, après avoir vu Cinq-Mars monter sur un échafaud, le comte de Soissons enseveli dans sa victoire de la Marfée, et le duc de Bouillon contraint de rendre à la royauté la principauté de Sedan. A peine avait-il fermé les yeux, que ses ennemis avaient repris leurs desseins et leurs espérances. Fidèle à son ministre jusqu’après la mort, Louis XIII les contint quelque temps. Il employa Mazarin, que le cardinal lui avait donné, et continua sa politique en l’adoucissant; mais il ne lui survécut pas même une année. Le 14 mai 1643, il alla le rejoindre, laissant un roi de quatre ans, la régence aux mains d’une femme, notre frontière du Nord menacée, les factions frémissantes, et, pour soutenir le fardeau des affaires, le duc d’Orléans et le prince de Condé heureusement unis dans le conseil de régence, Mazarin à la tête du cabinet, et le duc d’Enghien à la tête de l’armée. C’en fut assez pour sauver la France.

Le duc d’Enghien reçut en Flandre, avant tout le monde, par un courrier extraordinaire, la nouvelle de la mort du roi. Il craignit que cette nouvelle n’enflât le courage des Espagnols et ne diminuât celui des Français; il prit la résolution de la cacher et de précipiter l’inévitable bataille où devaient se jouer les destinées de la patrie. Perdue, elle introduisait l’ennemi dans le cœur du pays, mais, gagnée, elle imprimait à l’Espagne et à l’Europe entière une terreur nécessaire au début d’un règne nouveau, elle affermissait la régence d’Anne d’Autriche, elle mettait la royauté au-dessus de toutes les factions, sans compter qu’elle élevait très haut la fortune de la maison de Condé. Le duc d’Enghien soumit l’affaire au conseil des généraux, mais pour la forme, déclarant qu’il prenait sur lui l’événement, et le lendemain 19 mai, pendant que l’on portait à Saint-Denis le corps de Louis XIII, il livra la bataille de Rocroy. Elle dura une journée entière. Quelque temps compromise par le vieux maréchal qu’on lui avait donné pour le conduire, elle fut gagnée par Condé lui-même, qui n’avait pas encore vingt-deux ans, grâce à une manœuvre qui révéla d’abord le grand capitaine et inaugura une nouvelle école guerrière. Condé s’était chargé, avec Gassion, du commandement de l’aile droite. Il avait confié sa gauche à La Ferté-Seneterre ainsi qu’au maréchal de l’Hôpital, qui représentait la vieille école. Il avait mis Espenan au centre avec l’infanterie, et placé la réserve entre les mains de Sirot, officier de fortune comme Gassion[13]. Dirigée par Condé en personne, l’aile droite française renversa tout ce qui était devant elle et poussa vigoureusement l’ennemi. Pendant ce temps, l’aile gauche de La Ferté-Seneterre et du maréchal de l’Hôpital était fort mal traitée, ses deux commandans mis hors de combat, et, en s’ébranlant, elle menaçait d’entraîner dans sa déroute le centre, où Espenan tenait toujours ferme, mais demandait à grands cris du renfort. Un autre, avant Condé, n’eût pas manqué de revenir sur ses pas, de retraverser, dans une attitude équivoque, l’espace glorieusement parcouru, et de se porter ainsi au secours de sa gauche et de son centre, en ménageant sa réserve pour achever la victoire ou pour couvrir et réparer la défaite. Condé prit un tout autre parti. Au lieu de reculer, il avance encore; puis, arrivé à la hauteur des lignes ennemies où était placée l’infanterie italienne, vallonné et allemande, il tourne à gauche, se jette sur cette infanterie, lui passe sur le ventre, et vient fondre sur les derrières de l’aile victorieuse, après avoir fait dire à Sirot de marcher avec toute sa réserve au secours de d’Espenan et de l’Hôpital et de rétablir à tout prix le combat, ce que fit admirablement Sirot. Ainsi prise entre deux feux, l’armée ennemie céda à gauche comme à droite, et la journée fut gagnée. Mais ce n’était pas assez d’avoir délivré la France du danger présent, il fallait, en ce même jour, délivrer en quelque sorte l’avenir, en détruisant ce qui faisait la force et le prestige des armées espagnoles, la vieille infanterie vraiment espagnole, qui formait la réserve en sa qualité de troupe d’élite, et, selon les règles de l’ancienne stratégie et la politique du cabinet de Madrid, avait été précieusement ménagée et n’avait pas encore donné, c’est-à-dire était restée inutile. Elle n’eut plus qu’à mourir. Condé l’assaillit de toutes parts avec ses escadrons victorieux, avec tout ce qu’il put ramasser d’infanterie, surtout avec son artillerie, et il finit, après une mémorable résistance, par la démolir de fond en comble[14] : elle périt presque tout entière à Rocroy.

Au bruit de cette bataille, où tout était merveilleux, la jeunesse du général, la hardiesse et la nouveauté des manœuvres, la grandeur des résultats, la cour et Paris ressentirent des transports d’enthousiasme. On avait redouté les derniers désastres, et on était sauvé, et on était victorieux, et on voyait s’ouvrir devant soi une longue suite de semblables victoires que promettait un pareil début. Depuis Henri IV, la France avait eu sans doute d’excellens généraux qui connaissaient bien leur métier et avaient eu des succès en Allemagne et en Italie; mais voici qu’il s’élevait un général de vingt-deux ans qui les effaçait tous, et créait une nouvelle manière de faire la guerre où l’audace était au service du calcul, comme Descartes et Corneille, qu’on me passe cette comparaison, venaient de créer une philosophie et une poésie nouvelles, pour servir de solide fondement ou d’éclatant interprète à des sentimens et à des pensées sublimes. Rocroy répond au Cid, à Cinna et à Polyeucte, ainsi qu’au Discours de la Méthode, dans l’histoire de la grandeur française : époque incomparable que nulle autre n’a égalée, et dont n’approche pas même celle du consulat après Marengo, parce qu’au milieu de toutes ses splendeurs le consulat n’a eu ni Descartes ni Corneille!

On se figure aisément l’ivresse de l’hôtel de Condé, quand un des camarades du duc d’Enghien dans les amusemens de Chantilly et de Liancourt[15], La Moussaye, qui lui avait servi d’aide-de-camp pendant toute la journée, apporta la triomphante nouvelle. Toutes les muses de Rambouillet, grandes et petites, chantèrent les exploits de leur brillant disciple. Les drapeaux espagnols pris à Rocroy furent étalés pendant plusieurs jours dans les grandes salles de l’hôtel de Condé, avant d’être transportés à Notre-Dame. Le peuple se pressait pour les contempler. Et en même temps que l’orgueil patriotique faisait battre tous les cœurs, on était ému jusqu’aux larmes en apprenant que le jeune capitaine, aussi humain et aussi pieux que brave, avait fait fléchir le genou à toute l’armée sur le champ de bataille pour remercier Dieu, qu’ensuite il avait pris soin des blessés, vainqueurs ou vaincus, comme s’ils étaient de sa propre famille, les consolant, les encourageant, leur distribuant les plus abondans secours sans jamais les humilier, et qu’il avait demandé pour ses lieutenans toutes les récompenses, ne voulant pour lui que la gloire, comme les héros des tragédies et des romans dont il était épris avec tout son siècle, le Cid, Polexandre, Cyrus. Bientôt on sut qu’après quelques jours donnés à la religion et à l’humanité, le duc d’Enghien avait repris la poursuite de l’ennemi, et qu’il était déjà sous les murs de Thionville.

La maison de Condé avait besoin de l’éclat et de la force que lui renvoyait la victoire de Rocroy pour faire face à ses propres ennemis et tirer satisfaction de l’insulte qui venait de lui être faite dans la personne de Mme de Longueville.

Il faut se faire une idée juste de la situation des affaires et de celle des partis qui se disputaient le gouvernement pour saisir l’importance d’une aventure qui en elle-même semble assez peu de chose.

Depuis la mort de Richelieu, il s’était formé une faction puissante composée de tous ceux que l’impérieux cardinal avait sacrifiés à ses desseins, qu’il avait exilés de la cour ou de la France, et qui, leur redoutable ennemi au cercueil, brûlaient de s’emparer de ses dépouilles. Ils croyaient pouvoir compter sur la reine Anne, car elle aussi elle avait été opprimée, et c’était pour son service qu’ils avaient encouru la persécution. La faveur de la régente leur paraissait donc une dette, et ils la réclamaient d’une façon qui peu à peu blessa la reine et la tourna contre eux. À mesure qu’ils perdaient du terrain auprès d’elle, Mazarin en gagnait. Il était jeune encore, beau, doux, insinuant, fidèle à la politique de Richelieu, son maître, mais la pratiquant différemment ; d’un esprit moins élevé et moins vaste, n’unissant pas, comme son incomparable devancier, le génie de l’administration dans toutes ses branches à celui de la politique générale ; particulièrement diplomate, mais diplomate du premier ordre, et ayant attaché son nom aux deux plus grands traités du xviie siècle, le traité de Westphalie et celui des Pyrénées ; inépuisable en ressources et en expédiens ; préférant toujours l’artifice à la violence, ménageant tout le monde, traitant avec tous les partis, aimant mieux les corrompre que d’avoir à les exterminer ; s’appliquant, surtout en 1643, à pénétrer dans le cœur de la reine, comme aussi l’avait tenté Richelieu, mais possédant bien d’autres moyens pour y réussir. Le beau cardinal réussit donc. Une fois maître du cœur, il dirigea aisément l’esprit de la reine, et lui enseigna l’art difficile de poursuivre toujours le même but, la suprématie de l’autorité royale, à l’aide des conduites les plus diverses, selon la diversité des circonstances. Dans le commencement, tout son effort fut de se maintenir et d’écarter les importans. On appelait ainsi les chefs des mécontens, à cause des airs d’importance qu’ils se donnaient, blâmant à tort et à travers toutes les mesures du gouvernement, affectant une sorte de mélancolie, de profondeur et de sublimité quintessenciée, qui les séparait des autres hommes. Ils régnaient dans les salons, et ils exerçaient une autorité considérable à la cour et dans tout le royaume, parce qu’ils avaient à leur tête les deux grandes maisons de Vendôme et de Lorraine.

Le duc de Beaufort, l’aîné des enfans du duc de Vendôme, était alors le vrai représentant de sa maison. Il portait fièrement le nom de petit-fils de Henri IV; il avait de la bravoure et de l’honneur. Pendant les plus mauvais jours, il avait montré une fidélité chevaleresque à la reine, qui, avant d’avoir apprécié Mazarin, penchait fort de son côté, et il l’eût peut-être emporté s’il n’eût gâté ses affaires par des prétentions excessives et une hauteur bien peu habile avec une Espagnole, qu’il fallait flatter long-temps avant de la gouverner. Il n’avait d’ailleurs aucun génie, et il eût échoué d’une façon misérable au premier rang : il n’était fait que pour le rôle qu’il a joué depuis, celui d’un héros de théâtre.

La maison de Guise épuisée ne possédait en ce moment aucun homme supérieur. Long-temps exilée, elle avait perdu en Italie son chef, Charles de Lorraine, en 1640, et, en 1639, le prince de Joinville, auquel on avait autrefois songé pour Mlle de Bourbon. A la mort de ce prince, celui de ses frères qui venait après lui était cet Henri de Guise, d’abord archevêque de Reims, puis duc de Guise, si célèbre par ses aventures, sa bravoure et sa légèreté, qui eut toutes les ambitions, forma toutes les entreprises, et ne réussit à rien, pas même à être un héros de roman, quoi qu’on ait dit. Voyez en effet, je vous prie, si c’est ici la vie d’un chevalier, d’un de nos anciens paladins, comme l’appelle Mme de Motteville[16], et s’il fit l’amour comme dans les romans, ainsi que le prétend Mademoiselle[17]. Après la mort de son père et de son frère aîné, il fait sa paix avec Richelieu et revient à la cour; un an à peine écoulé, il conspire contre Richelieu avec le comte de Soissons, et il est forcé de quitter la France. Pendant qu’il était archevêque de Reims, il s’était épris de la belle Anne de Gonzague, depuis la princesse palatine; il s’était engagé avec elle par une promesse de mariage authentique et signée[18], et lorsque Anne de Gonzague, comptant sur sa parole, fait la folie de s’enfuir pour aller le rejoindre à Bruxelles, se faisant déjà appeler Mme de Guise, elle le trouve marié à la comtesse de Bossu, dont il se lasse bientôt, et qu’il quitte à son tour pour revenir à Paris, quand Richelieu et Louis XIII ne sont plus. Là, il fait une cour bien facile à Mme de Montbazon. Un peu après, il devient éperdument amoureux de Mlle de Pons, une des filles d’honneur de la reine Anne, fort jolie et fort coquette; il veut l’épouser; il s’en va solliciter à Rome la rupture de son premier mariage, et par occasion, pour conquérir une couronne à sa nouvelle maîtresse, il court se mettre à la tête de l’insurrection de Naples. Il arrive à travers mille hasards, fait faute sur faute, déploie la valeur la plus brillante, sans aucun talent ni politique ni militaire, est fait prisonnier par les Espagnols, supplie Condé, malheureusement alors tout-puissant en Espagne, d’obtenir sa délivrance, lui promettant un dévouement à toute épreuve; et, après qu’il a retrouvé sa liberté, grâce à l’intervention de Condé, au lieu de le servir comme il s’y est engagé par une déclaration publique, il l’abandonne, passe à Mazarin, prend part à tout ce qui se fait contre son libérateur, intente à cette même Mlle de Pons, dont il voulait faire une reine de Naples, un procès honteux, pour ravoir les meubles et les pierreries qu’il lui avait donnés, devient grand chambellan, et n’est bon qu’à parader dans les fêtes et les tournois de la cour, et à faire dire, quand on le voit passer avec Condé : voilà le héros de la fable à côté du héros de l’histoire; emportant avec lui au tombeau, en 1664, cette illustre maison de Guise, qui méritait de finir autrement. En 1643, à son arrivée à Paris, il était tombé dans le parti des importans, et il était merveilleusement fait pour être un des chefs de ce parti, car il était vain, brillant et incapable.

Les femmes occupaient une grande place dans cette Fronde anticipée du commencement de la régence.

La reine Anne avait eu autrefois pour confidentes et pour amies la célèbre duchesse de Chevreuse et Mlle d’Hautefort, devenue depuis la maréchale duchesse de Schomberg. Ces deux dames n’avaient de commun qu’une grande beauté et une disgrâce courageusement supportée. Marie d’Hautefort était, avec Mme de Sablé, un des modèles de la vraie précieuse, aussi belle, aussi spirituelle, et qui avait égalé sa conduite à ses maximes. Fille d’honneur de la reine, Louis XIII avait eu pour elle cet amour platonique, alors à la mode, dont il aima aussi Mlle de Lafayette. Richelieu, après avoir essayé inutilement de la gagner, l’avait brouillée avec son royal amant et fait exiler de la cour. La reine Anne l’avait aimée presque autant que le roi, et, aussitôt qu’elle avait été libre et maîtresse d’elle-même, elle lui avait écrit de sa main : « Venez, ma chère amie, je meurs d’impatience de vous embrasser. » Mlle d’Hautefort était accourue; mais, quand elle avait voulu parler de Mazarin comme autrefois de Richelieu, elle avait trouvé une audience moins favorable, et, n’ayant pas su s’accommoder à la situation nouvelle, ses tendresses impérieuses avaient bientôt fatigué. Mme de Chevreuse était loin de valoir Mlle d’Hautefort. Elle avait eu sa beauté, mais non pas ses vertus, et son esprit était surtout un esprit d’intrigue. Marie de Rohan Montbazon, fille du duc de Montbazon, d’un premier lit, d’abord mariée au connétable de Luynes, veuve de très bonne heure, était entrée dans la maison de Lorraine en épousant le duc de Chevreuse. Victime de sa fidélité à la reine, bannie par Richelieu, elle avait long-temps erré en Europe, et elle rapportait en France les prétentions d’une émigrée. Tout entière à la galanterie, dévouée à l’amant du jour, elle remua ciel et terre pour renverser Mazarin et mettre à sa place Châteauneuf, ancien garde des sceaux, qui passait dans le parti pour un homme d’une capacité supérieure et en état d’être premier ministre. Elle exigeait aussi une grande situation pour La Rochefoucauld, qui lui avait été plus ou moins tendrement attaché, et qui en était encore à cette sentimentalité romanesque, à la façon du duc de Guise, dont le fond est presque toujours une vanité effrénée, honteuse d’elle-même, et dont le dernier mot devait être ici, au bout des intrigues de la Fronde, le livre des Maximes.

Mazarin se défendait, comme nous l’avons dit, en s’insinuant peu à peu dans le cœur de la reine, et, aux attaques des maisons de Vendôme et de Lorraine, il opposait le poids des anciens partisans de Richelieu, nombreux encore et accrédités, surtout la maison de Condé, avec ses alliances et ses amitiés, les Montmorency, les Longueville, les Brézé, les Ventadour, les Châtillon. C’en était fait de Mazarin dans ces commencemens difficiles, si le prince de Condé n’était pas demeuré inébranlablement attaché à l’autorité royale. Il soutint l’incertain duc d’Orléans, qui, après avoir mis la main dans plus d’une intrigue contre Richelieu et s’être sauvé lui-même en livrant ses amis, était tenté de reprendre ses allures équivoques. M. le Prince était trop politique pour ne pas comprendre qu’il lui valait bien mieux être le puissant protecteur que l’adversaire inégal de la royauté; qu’en ce cas il fallait la défendre avec énergie, et que son rang l’élèverait toujours bien au-dessus d’un ministre, quand ce ministre n’était pas Richelieu; et si personne alors ne contestait la capacité de Mazarin, personne aussi ne soupçonnait toute sa portée. Chef du conseil et gouverneur de Paris, M. le Prince s’appliqua, de concert avec Monsieur, lieutenant général du royaume, à déjouer toutes les trames des importans, et par là il s’en fit d’ardens ennemis.

Leur haine pour la maison de Condé rejaillissait à peine sur Mme de Longueville. Sa douceur dans toutes les choses où son cœur n’était pas sérieusement engagé, sa parfaite indifférence politique à cette époque de sa vie, avec les grâces de son esprit et de sa figure, la rendaient aimable à tout le monde et la protégeaient contre l’injustice des partis. Mais, en dehors des affaires d’état, elle avait une ennemie, et une ennemie redoutable, dans la duchesse de Montbazon. Nous avons dit que Mme de Montbazon avait été la maîtresse de M. de Longueville; il faut la faire un peu plus connaître, car elle est un des principaux personnages du drame que nous avons à raconter.

Marie de Bretagne, née vers 1612, morte à quarante-cinq ans en 1657, était la fille aînée de cette fameuse comtesse de Vertus dont le père était La Varenne Fouquet, maître d’hôtel et serviteur très complaisant d’Henri IV. Le comte de Vertus, de l’illustre maison de Bretagne, avait épousé Mlle de La Varenne à cause de son extrême beauté, et il s’était empressé de la tirer de Paris et de l’emmener chez lui. Il n’y gagna rien, et Tallemant[19] nous a raconté de la belle comtesse une histoire galante, terminée de la plus tragique manière. La fille était digne de sa mère par sa beauté, et elle la laissa bien loin derrière elle par ses vices. Mariée en 1628 au duc de Montbazon, le père de Mlle de Chevreuse, lorsqu’il était déjà vieux[20] et qu’elle était encore au couvent, elle se mit bientôt à son aise. L’esprit n’était pas son plus brillant côté, et le peu qu’elle en avait était tourné à la ruse et à la perfidie. « Son esprit, dit l’indulgente Mme de Motteville[21], n’étoit pas si beau que son corps; ses lumières étoient bornées par ses yeux, qui commandoient qu’on l’aimât. Elle prétendoit à l’admiration universelle. » Sur son caractère, tous les témoignages sont unanimes. Retz, qui la connaissait bien, en parle ainsi[22] : « Mme de Montbazon étoit d’une très grande beauté. La modestie manquoit à son air. Son jargon eût suppléé dans un temps calme à son esprit. Elle eut peu de foi dans la galanterie, nulle dans les affaires. Elle n’aimoit rien que son plaisir, et au-dessus de son plaisir son intérêt. Je n’ai jamais vu une personne qui ait conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu. » Souverainement vaine et aimant passionnément l’argent, c’est à l’aide de sa beauté qu’elle poursuivait l’influence et la fortune. Elle en prenait donc un soin infini, et comme de son idole et comme de sa ressource et de son trésor. Elle l’entretenait et la relevait par toutes sortes d’artifices, et elle la conserva presque entière jusqu’à sa mort. Mme de Motteville assure que dans ses dernières années elle était « aussi enchantée de la vanité que si elle n’avoit eu que vingt-cinq ans[23] ; » qu’elle avait le même désir de plaire, et qu’elle portait son deuil avec tant d’agrément que « l’ordre de la nature se trouvoit changé, puisque beaucoup d’années et de beauté se pouvoient rencontrer ensemble. » Dix ans auparavant, en 1647, à trente-cinq ans, lorsque Mazarin donna une comédie à machines et en musique, à la mode d’Italie, c’est-à-dire un opéra, le soir il y eut un grand bal, et la duchesse de Montbazon y parut parée de perles et avec une plume rouge sur la tête, dans un tel éclat qu’elle ravit toute l’assemblée, « montrant par là que des beaux l’arrière-saison est toujours belle[24]. » On peut penser ce qu’elle était en 1643, à trente et un ans.

Des deux conditions de la beauté parfaite, la force et la grâce[25]. Mme de Montbazon possédait la première au suprême degré ; mais cette qualité étant presque seule ou tout-à-fait dominante laissait quelque chose à désirer, c’est-à-dire précisément ce qui fait le charme de la beauté. Elle était grande et majestueuse, même à ce point que Tallemant, qui exagère toujours et ment rarement, dit : « C’étoit un colosse[26]. » Elle possédait tout le luxe des attraits de l’embonpoint. Sa gorge rappelait celle des statues antiques, avec un peu d’excès peut-être. Ce qui frappait le plus en sa figure était des yeux et des cheveux très noirs sur un fond d’une éblouissante blancheur. Le défaut était un nez un peu fort, avec une bouche trop enfoncée qui donnait à son visage une apparence de dureté[27]. On voit que c’était juste l’opposé de Mme de Longueville. Celle-ci était grande et ne l’était pas trop. La richesse de sa taille n’ôtait rien à sa délicatesse. Un embonpoint tempéré laissait déjà paraître et retenait encore dans une mesure exquise la beauté des formes de la femme. Ses yeux étaient du bleu le plus doux : son abondante chevelure du plus beau blond cendré. Elle avait le plus grand air, et malgré cela son trait particulier était la grâce. Ajoutez la suprême différence des manières et du ton. Mlle de Longueville était dans tout son maintien la dignité, la politesse, la modestie, la douceur même, avec une langueur et une nonchalance qui n’étaient pas son moindre charme. Sa parole était rare ainsi que son geste; les inflexions de sa voix étaient une musique parfaite[28]. L’excès, où jamais elle ne tomba, eût été plutôt une sorte de mignardise. Tout en elle était esprit, sentiment, agrément. Mme de Montbazon au contraire avait la parole libre, le ton leste et dégagé, de la morgue et de la hauteur.

Ce n’en était pas moins une créature très attrayante, quand elle voulait l’être, et elle eut un grand nombre d’adorateurs, et d’adorateurs heureux, depuis Gaston, duc d’Orléans, et le comte de Soissons, tué à la Marfée, jusqu’à Rancé, le futur fondateur de la Trappe. M. de Longueville avait été quelque temps l’amant en titre, et il lui faisait des. avantages considérables. Quand il épousa Mlle de Bourbon, Mme la Princesse exigea, sans être il est vrai bien fidèlement obéie, qu’il rompît tout commerce avec son ancienne maîtresse. De là dans cette ame intéressée une irritation que redoubla la vanité blessée, lorsqu’elle vit cette jeune femme avec son grand nom, un esprit merveilleux, un charme indéfinissable, s’avancer dans le monde de la galanterie, entraîner sans le moindre effort tous les cœurs après elle, et lui enlever ou partager du moins cet empire de la beauté dont elle était si fière, et qui lui était si précieux. D’un autre côté, le duc de Beaufort n’avait pu se défendre pour Mme de Longueville d’une admiration passionnée qui avait été très froidement reçue. Il en avait eu du dépit, et cette blessure saigna long-temps, c’est son ami La Châtre qui nous l’apprend[29], même après qu’il eut porté ses hommages à Mme de Montbazon. Celle-ci, comme on le pense bien, aigrit encore ses ressentimens. Enfin le duc de Guise, récemment arrivé à Paris, s’était mis à la fois dans le parti des importans et au service de Mme de Montbazon, qui l’accueillit fort bien, en même temps qu’elle s’efforçait de garder ou de rappeler M. de Longueville, et qu’elle régnait sur Beaufort, dont le rôle auprès d’elle était un peu celui de cavalier servant. On le voit, Mme de Montbazon disposait ainsi, par Beaufort et par Guise, comme aussi par sa belle-fille, Mme de Chevreuse, de la maison de Vendôme et de la maison de Lorraine, et elle employa tout ce crédit au profit de sa haine contre Mme de Longueville. Elle brûlait de lui nuire; elle en trouva l’occasion.

Un jour qu’elle avait chez elle une nombreuse compagnie, on ramassa deux lettres qui n’avaient pas de signature, mais qui étaient d’une écriture de femme et d’un style peu équivoque. On se mit à les lire, on en fit mille plaisanteries, on en rechercha l’auteur. Mme de Montbazon prétendit qu’elles étaient tombées de la poche de Maurice de Coligny, qui venait de sortir, et qu’elles étaient de la main de Mme de Longueville. Le mot d’ordre une fois donné, tous les échos du parti des importans le répandirent, et cette aventure devint l’entretien de la cour. Voici quelles étaient les deux lettres trouvées chez Mme de Montbazon; une frivole curiosité nous les a très fidèlement conservées[30]:

I.

« J’aurois beaucoup plus de regret du changement de votre conduite si je croyois moins mériter la continuation de votre affection. Je vous avoue que, tant que je l’ai crue véritable et violente, la mienne vous a donné tous les avantages que vous pouviez souhaiter. Maintenant, n’espérez pas autre chose de moi que l’estime que je dois à votre discrétion. J’ai trop de gloire pour partager la passion que vous m’avez si souvent jurée, et je ne veux plus vous donner d’autre punition de votre négligence à me voir que celle de vous en priver tout-à-fait. Je vous prie de ne plus venir chez moi, parce que je n’ai plus le pouvoir de vous le commander. »

II.

« De quoi vous avisez-vous après un si long silence? Ne savez-vous pas bien que la même gloire qui m’a rendue sensible à votre affection passée me défend de souffrir les fausses apparences de sa continuation? Vous dites que mes soupçons et mes inégalités vous rendent la plus malheureuse personne du monde; je vous assure que je n’en crois rien, bien que je ne puisse nier que vous ne m’ayez parfaitement aimée, comme vous devez avouer que mon estime vous a dignement récompensé. En cela, nous nous sommes rendu justice, et je ne veux pas avoir dans la suite moins de bonté, si votre conduite répond à mes intentions. Vous les trouveriez moins déraisonnables si vous aviez plus de passion, et les difficultés de me voir ne feroient que l’augmenter au lieu de la diminuer. Je souffre pour n’aimer pas assez et vous pour aimer trop[31]. Si je vous dois croire, changeons d’humeur; je trouverai du repos à faire mon devoir, et vous devez y manquer pour vous mettre en liberté. Je n’aperçois pas que j’oublie la façon dont vous avez passé avec moi l’hiver, et que je vous par e aussi franchement que j’ai fait autrefois. J’espère que vous en userez aussi bien, et que je n’aurai point de regret d’être vaincue dans la résolution que j’avois faite de n’y plus retourner. Je garderai le logis trois ou quatre jours de suite, et l’on ne m’y verra que le soir : vous en savez la raison. »

Ces lettres n’étaient pas controuvées. Elles avaient été réellement écrites par Mme de Fouquerolles au beau et élégant marquis de Maulevrier[32], qui avait eu la sottise de les perdre dans le salon de Mme de Montbazon. Maulevrier, tremblant d’être reconnu et d’avoir compromis Mme de Fouquerolles, courut chez un des chefs du parti des importans, La Rochefoucauld, qui était son ami, lui confia son secret, et le supplia de s’entremettre pour assoupir cette affaire. La Rochefoucauld fit comprendre à Mme de Montbazon qu’il était de son intérêt de faire ici la généreuse, car on reconnaîtrait bien aisément l’erreur ou la fraude, dès qu’on en viendrait à confronter l’écriture de ces lettres avec celle de Mme de Longueville; qu’il lui fallait donc prévenir un éclat qui retomberait sur elle. Mme de Montbazon remit les lettres originales à La Rochefoucauld, qui les fit voir à M. le Prince et à Mme la Princesse, à Mme de Rambouillet et à Mme de Sablé, particulières amies de Mme de Longueville, et, la vérité bien établie, les brûla en présence de la reine, délivrant Maulevrier et Mme de Fouquerolles de l’inquiétude mortelle où ils avaient été pendant quelque temps[33].

Peut-être eût-il été sage de s’en tenir là. C’était l’avis un peu intéressé du faible et prudent M. de Longueville, qui voulait ménager Mme de Montbazon, et ne croyait pas que l’honneur de sa femme eût beaucoup à gagner à un plus grand éclat. Mme de Longueville n’était pas non plus fort animée; mais Mme la Princesse, avec son humeur altière et dans le premier enivrement des succès de son fils, exigea une réparation égale à l’offense, et déclara hautement que, si la reine et le gouvernement ne prenaient pas en main l’honneur de sa maison, elle et tous les siens se retireraient de la cour : elle s’indignait à la seule idée qu’on pût mettre un moment sa fille en balance avec la petite-fille d’un cuisinier, disait-elle, voulant parler de La Varenne, père de la comtesse de Vertus, et qui avait été maître d’hôtel d’Henri IV. En vain tout le parti des importans, Beaufort et Guise à leur tête, tint des assemblées, s’agita et menaça; en vain Mme de Chevreuse, qui n’avait pas encore perdu tout crédit auprès de la reine, soutint vivement sa belle-mère : Mazarin était trop habile pour se mettre sur les bras deux ennemis à la fois, et pour se brouiller avec les Condé sans aucun espoir d’acquérir ou de désarmer les Lorrains et les Vendôme. Il tourna aisément la reine du côté de Mme la Princesse. Mme de Longueville était allée passer les premiers momens de cette désagréable aventure à la Barre, auprès de ses chères amies, Mlles du Vigean. La reine elle-même alla l’y voir, et lui promit sa protection. On décida que la duchesse de Montbazon se rendrait chez Mme la Princesse, à l’hôtel de Condé, et lui ferait une réparation publique. Mme de Motteville raconte avec beaucoup d’agrément tout ce qu’il fallut de diplomatie pour ménager et régler ce que dirait Mme de Montbazon et ce que répondrait Mme la Princesse. « La reine étoit dans son grand cabinet, et Mme la Princesse étoit avec elle, qui, tout émue et toute terrible, faisoit de cette affaire un crime de lèse-majesté. Mme de Chevreuse, engagée par mille raisons dans la querelle de sa belle-mère, étoit avec le cardinal Mazarin pour composer la harangue qu’elle devoit faire. Sur chaque mot, il y avoit un pourparler d’une heure. Le cardinal, faisant l’affaire, alloit d’un côté et d’autre, pour raccommoder leur différend, comme si cette paix eût été nécessaire au bonheur de la France et au sien en particulier. Il fut arrêté que la criminelle iroit chez Mme la Princesse le lendemain, où elle devoit dire que le discours qui s’étoit fait de la lettre étoit une chose fausse, inventée par de méchans esprits, et qu’en son particulier elle n’y avoit jamais pensé, connoissant trop bien la vertu de Mme de Longueville et le respect qu’elle lui devoit. Cette harangue fut écrite dans un petit billet qui fut attaché à son éventail, pour la dire mot à mot à Mme la Princesse. Elle le fit de la manière du monde la plus fière et la plus haute, faisant une mine qui sembloit dire : Je me moque de ce que je dis. »

Mademoiselle[34] nous donne les deux discours prononcés : « Madame, je viens ici pour vous protester que je suis très innocente de la méchanceté dont on m’a voulu accuser : il n’y a aucune personne d’honneur qui puisse dire une calomnie pareille. Si j’avois fait une faute de cette nature, j’aurois subi les peines que la reine m’auroit imposées; je ne me serois jamais montrée dans le monde et vous en aurois demandé pardon. Je vous supplie de croire que je ne manquerai jamais au respect que je vous dois et à l’opinion que j’ai de la vertu et du mérite de Mme de Longueville. » Mme la Princesse répondit : « Madame, je reçois très volontiers l’assurance que vous me donnez de n’avoir nulle part à la méchanceté que l’on a publiée; je défère trop au commandement que la reine m’en a fait. »

On trouve dans le journal manuscrit d’Olivier d’Ormesson[35] quelques détails qui ajoutent au piquant de cette scène de comédie. Elle eut lieu le 8 août. Le cardinal Mazarin y assistait, comme témoin de la part de la reine. Mme de Montbazon ayant commencé son discours sans dire madame, Mme la Princesse s’en plaignit, et l’autre dut recommencer avec l’addition respectueuse. Un pareil raccommodement ne finissait rien, et quelques jours après la guerre recommença.

Outre la satisfaction qu’elle venait de recevoir, Mme la Princesse avait demandé et obtenu la permission de ne se point trouver en même lieu que la duchesse de Montbazon. A quelque temps de là, Mme de Chevreuse invita la reine à une collation dans le jardin de Renard. Ce jardin était le rendez-vous de la belle société. Il était au bout des Tuileries, avant la porte de la Conférence qui conduisait au Cours, c’est-à-dire à l’angle gauche de la place Louis XV, sur le terrain occupé depuis par deux de ces fossés qui jusqu’à ce jour ont gâté cette magnifique place qu’il serait si aisé de rendre la plus belle de l’Europe. L’été, en revenant du Cours, qui était la promenade du grand monde, et où les beautés du jour faisaient assaut de toilette et d’éclat, ou venait se reposer au jardin de Renard, y prendre des rafraîchissemens, et entendre des sérénades à la manière espagnole. La reine se plaisait fort à s’y promener dans les belles soirées d’été. Elle voulut que Mme la Princesse y vînt avec elle partager la collation que lui offrait Mme de Chevreuse, l’assurant bien que Mme de Montbazon n’y serait pas; mais celle-ci y était, et prétendait même faire les honneurs de la collation comme belle-mère de celle qui la donnait. Mme la Princesse feignit de vouloir se retirer pour ne pas troubler la fête; la reine ne pouvait pas ne la point retenir, puisqu’elle était venue sur sa parole. Elle fit donc prier Mme de Montbazon de faire semblant de se trouver mal et de s’en aller pour la tirer d’embarras. La hautaine duchesse ne consentit pas à fuir devant son ennemie, et elle demeura. La reine offensée refusa la collation et quitta la promenade avec Mme la Princesse. Le lendemain, un ordre du roi enjoignait à Mme de Montbazon de sortir de Paris.

Cette disgrâce déclarée irrita les importans. Ils se crurent humiliés et affaiblis, et il n’y eut pas de violences et d’extrémités qu’ils ne rêvèrent. Le duc de Beaufort, frappé à la fois dans son crédit et dans ses amours, jeta les hauts cris, et le bruit courut qu’il y avait eu un complot pour assassiner Mazarin[36]. Dans ces conjonctures, le cardinal se montra le digne héritier de Richelieu. Quoiqu’il demandât surtout ses succès à la patience, à l’habileté et à l’intrigue, il n’était pas dépourvu de courage, et il sut prendre son parti. Il était déjà assez bien avec la reine, et il commençait à lui paraître nécessaire, ou du moins fort utile. Il lui représenta doucement, mais fortement, ce qu’elle devait à l’état et à l’autorité royale menacée; qu’il fallait préférer l’intérêt de son fils et de sa couronne à des amitiés convenables peut-être en d’autres temps, mais qui étaient devenues dangereuses. Il l’emporta, et la ruine des importans fut décidée. Le 2 septembre, on arrêta le duc de Beaufort au Louvre même, et on le conduisit à Vincennes. On ôta le commandement des Suisses à La Châtre, ami de Beaufort. L’évêque de Beauvais, qui avait eu la confiance de la reine et s’était mis en tête de succéder à Richelieu, fut renvoyé à son église; le duc de Vendôme, ainsi que le duc de Mercœur, exilés, et Mme de Chevreuse reléguée à Tours. Ces mesures, exécutées à propos, dissipèrent le parti des importans. Les discordes intestines qui menaçaient le nouveau règne durent attendre des jours plus favorables. Mazarin, bientôt sans rival auprès de la reine, continua au dedans, et surtout au dehors, la politique de son prédécesseur, et la royauté, ainsi que la France, comptèrent une suite de belles années, grâce à l’union des princes du sang avec la couronne, aux ménagemens habiles du premier ministre, à la prudence du prince de Condé et au génie militaire du duc d’Enghien.

Celui-ci était revenu à Paris à la fin de la campagne, après avoir pris Thionville et plusieurs autres places, et promené sur le Rhin l’armée française victorieuse. La reine l’avait reçu comme le libérateur de la France. Mazarin, qui tenait plus à la réalité qu’à l’apparence du pouvoir, lui fit dire que toute son ambition était d’être son chapelain, et son homme d’affaires auprès de la reine. De loin, le duc d’Enghien avait applaudi à tout ce qu’on avait fait, et il revenait brûlant encore pour Mlle du Vigean, et furieux qu’on eût osé insulter sa sœur. Il adorait sa sœur, et il aimait Coligny. Il connaissait et il avait favorisé sa passion. Engagé lui-même dans un amour aussi ardent que chaste, il savait que sa sœur pouvait bien n’avoir pas été insensible aux empressemens de Maurice; mais il se révoltait à la pensée qu’on lui attribuât les lettres d’une Mme de Fouquerolles, et il le prit sur un ton qui arrêta les plus insolens.

Parmi les amis du duc de Beaufort et de Mme de Montbazon était au premier rang le duc de Guise, devenu le chef de la maison de Lorraine en France. On l’avait ménagé ainsi que toute sa, famille à cause de Monsieur, Gaston, duc d’Orléans, qui avait épousé en secondes noces une princesse de cette maison. Le duc de Guise était tel que nous l’avons dépeint. Il avait déjà fait plus d’une folie, mais il n’avait pas encore honteusement échoué dans toutes ses entreprises; son incapacité n’était pas déclarée; il avait tout le prestige de son nom, de la jeunesse, de la beauté et d’une bravoure portée jusqu’à la témérité. Serviteur avoué de Mme de Montbazon, il avait épousé sa querelle, sans être entré néanmoins dans les violences de Beaufort, et il était resté debout en face des Condé victorieux.

Coligny avait eu la sagesse de se tenir à l’écart pendant l’orage, de peur de compromettre encore davantage Mme de Longueville en se portant ouvertement son défenseur ; mais, quelques mois s’étant écoulés, il crut pouvoir se montrer, et, comme le dit Maupassant dans l’ouvrage inédit sur la régence que nous avons plusieurs fois cité[37], « la prison du duc de Beaufort lui ostant les moyens de tirer avec lui l’espée, il s’adressa au duc de Guise. » La Rochefoucauld s’exprime ainsi[38] : « Le duc d’Enghien, ne pouvant témoigner au duc de Beaufort, qui étoit en prison, le ressentiment qu’il avoit de ce qui s’étoit passé entre Mme de Longueville et Mme de Montbazon, laissa à Coligny la liberté de se battre avec le duc de Guise, qui avoit été mêlé dans cette affaire. » Le duc d’Enghien connut donc et approuva ce que fit Coligny. Pour Mme de Longueville, il est absurde de supposer qu’elle voulut être vengée et poussa Coligny, car tout le monde lui attribue une conduite fort modérée en opposition avec celle de Mme la Princesse. Loin d’envenimer la querelle, elle était d’avis de l’étouffer, et Mme de Motteville réfute elle-même le bruit qu’elle rapporte en disant : « La jalousie qu’elle avoit contre la duchesse de Montbazon, étant proportionnée à son amour pour son mari, ne l’emportoit pas si loin qu’elle ne trouvât plus à propos de dissimuler cet outrage. »

Maupassant est le seul qui ait élevé le moindre doute sur le courage de Coligny. Nous répétons que cette imputation isolée est dénuée de toute vraisemblance. En vérité, on peut bien supposer la bravoure dans tout gentilhomme, quand on sait dans quelles traditions d’honneur, dans quelles habitudes martiales la noblesse était élevée. Tous les Coligny naissaient militaires. Qu’eût fait un homme d’un courage équivoque parmi ces jeunes guerriers qui entouraient Condé, et dont il exigeait non pas une vaillance ordinaire, mais une audace à toute épreuve ? Imagine-t-on un homme d’une bravoure douteuse adressant ses hommages à Mme de Longueville ? La Rochefoucauld nous apprend la vérité et explique très bien ce qui va suivre. Coligny relevait d’une longue maladie ; il était faible encore, et il n’était pas fort adroit à l’escrime. C’est dans cet état qu’il s’attaqua au duc de Guise, preuve, ce semble, bien suffisante de courage, car celui-ci se portait à merveille, et, comme tous les héros de parade, il était d’une rare habileté dans ce genre d’exercices.

Disons quelques mots des seconds qu’ils se choisirent ; ils en valent la peine à tous égards. Les seconds étaient alors des témoins qui se battaient. Coligny prit pour second, et pour faire l’appel, comme on disait alors, Godefroi, comte d’Estrades, d’une bravoure froide et éprouvée. D’Estrades avait commencé à servir en Hollande sous Maurice de Nassau. Il s’était distingué dans plusieurs semblables rencontres. Un jour, à ce que raconte Tallemant[39], se battant contre un matamore qui se mit sur le bord d’un petit fossé et dit à d’Estrades : Je ne passerai pas ce fossé; et moi, dit d’Estrades en faisant une raie derrière soi avec son épée, je ne passerai pas cette raie. Ils se battent : d’Estrades le tue. Il fut employé tour à tour et avec un égal succès à la guerre et dans la diplomatie, et devint maréchal de France en 1675. Le second du duc de Guise était le marquis de Bridieu, qui, en 1649 et 1650, ayant pris parti pour le roi, défendit admirablement une importante place forte de la frontière de Flandre contre l’armée espagnole et contre Turenne, et pour cette belle défense, où il y eut vingt-quatre jours de tranchée ouverte, fut fait lieutenant-général.

On convint que l’affaire aurait lieu à la Place-Royale, théâtre accoutumé de ces sortes de combats qu’ils avaient mille fois teint du meilleur sang. C’est aussi à la Place-Royale qu’habitaient les plus grandes dames, la fleur de la galanterie, Marguerite de Rohan, Mlle de Guimenée, Mme de Chaulnes, Mme de Saint-Géran, Mme de Sablé, la comtesse de Maure et tant d’autres, sous les yeux desquelles ces légers et vaillans gentilshommes se plaisaient à croiser le fer[40]. Beaucoup d’entre eux y avaient laissé leur vie. Dans le premier quart du XVIIe siècle, le duel était une mode à la fois utile et désastreuse, qui entretenait les mœurs guerrières de la noblesse, mais qui la moissonnait presqu’à l’égal des combats, et pour les causes les plus frivoles. Tirer l’épée pour une bagatelle était devenu l’accompagnement obligé des belles manières, et, comme la galanterie avait ses élégans, le duel avait ses raffinés. En quelques années, neuf cents gentilshommes avaient péri dans des combats particuliers. Pour arrêter ce fléau, Richelieu avait fait rendre au roi l’édit terrible qui punissait la mort par la mort et envoyait les provocateurs de la Place-Royale à la place de Grève. Richelieu fut inflexible, et l’exemple de Montmorency-Boutteville, décapité avec son second, le comte Deschapelles, pour avoir provoqué Beuvron et s’être battu avec lui, imprima une terreur salutaire et rendit assez rares les infractions à l’édit. Coligny brava tout: il fit appeler Guise, et, au jour marqué, les deux nobles adversaires, assistés de leurs seconds, d’Estrades et Bridieu, se rencontrèrent à la Place-Royale.

Nous pouvons donner les moindres détails du combat, grâce aux divers mémoires contemporains, grâce surtout à deux documens nouveaux, le manuscrit de Maupassant sur la régence et le journal inédit d’Olivier d’Ormesson.

C’est le 12 décembre au matin[41] que d’Estrades alla appeler le duc de Guise de la part de Coligny. Le rendez-vous fut pris pour le jour même, à la Place-Royale, à trois heures[42]. Les deux adversaires ne firent rien paraître de toute la matinée, et à trois heures ils étaient au rendez-vous. On prête[43] au duc de Guise un mot qui répand sur cette scène une grandeur inattendue, fait comparaître à la Place-Royale et met aux prises une dernière fois les deux plus illustres combattans des guerres de la Ligue dans la personne de leurs descendans. En mettant l’épée à la main, Guise dit à Coligny : « Nous allons décider les anciennes querelles de nos deux maisons, et on verra quelle différence il faut mettre entre le sang de Guise et celui de Coligny. » Coligny porta à son adversaire une large estocade, dit le journal de d’Ormesson[44]; mais, faible comme il était, le pied de derrière lui manqua, et il tomba sur le genou. Guise alors passa sur lui et mit le pied sur son épée. Coligny, désarmé, ne voulut pas demander la vie. Guise lui aurait dit[45] : « Je ne veux pas vous tuer, mais vous traiter comme vous méritez, pour vous être adressé à un prince de ma naissance, sans vous en avoir donné sujet, » et il le frappa du plat de son épée[46]. Coligny, indigné, ramasse ses forces, se rejette en arrière, dégage son épée et recommence la lutte[47]. Dans cette seconde rencontre. Guise fut blessé légèrement à l’épaule[48] et Coligny à la main; mais Guise, passant une seconde fois sur Coligny, se saisit de son épée, dont il eut la main un peu coupée, et, en la lui enlevant, lui porta un grand coup dans le bras qui le mit hors de combat. Pendant ce temps, d’Estrades et Bridieu s’étaient blessés grièvement[49].

Telle fut l’issue de ce duel, le dernier, je crois, des duels célèbres de la Place-Royale. Il fit dans Paris, dit Maupassant, un fracas terrible. L’affaire fut déférée au parlement, mais les poursuites de la justice s’arrêtèrent devant le crédit de Condé, et surtout devant[50] l’état déplorable où l’on sut bientôt qu’était Coligny, le principal coupable, puisqu’il avait été le provocateur. La preuve que Coligny était d’intelligence avec Condé, c’est qu’il trouva un asile dans sa maison de Saint-Maur. Là, il languit quelque temps[51] et mourut de sa honte autant que de ses blessures, désespéré d’avoir si mal soutenu la cause de sa propre maison et celle de Mme de Longueville.

Cette affaire, avec ses dramatiques circonstances et son dénoûment tragique, eut un immense et douloureux retentissement dans Paris et dans la France tout entière. Elle ranima un moment les divisions des partis, et suspendit les divertissemens et les fêtes de l’hiver de 1644[52]; elle n’occupa pas seulement les familles intéressées et la cour, elle frappa vivement toute la haute société, et demeura quelque temps l’entretien des salons. On pense bien qu’en se répandant elle se grossit de proche en proche d’incidens imaginaires. D’abord on supposa que Mme de Longueville aimait Coligny. Il le fallait pour le plus grand intérêt du récit. De là cette autre invention, qu’elle-même avait armé le bras de Coligny, et que d’Estrades, chargé d’appeler le duc de Guise, ayant dit à Coligny que le duc pourrait bien désavouer les propos injurieux qu’on lui prêtait et qu’ainsi l’honneur serait satisfait, Coligny lui aurait répondu : « Il n’est pas question de cela; je me suis engagé à Mme de Longueville de me battre contre lui à la Place-Royale, je n’y puis manquer[53]. » On ne pouvait s’arrêter en si beau chemin, et Mme de Longueville n’aurait pas été la sœur du vainqueur de Rocroy, une héroïne digne de soutenir la comparaison avec celles d’Espagne, qui voyaient mourir leurs amans à leurs pieds dans les tournois, si elle n’eût assisté au combat de Guise et de Coligny. On assura donc que le 12 décembre elle était dans un hôtel de la Place-Royale, chez la duchesse de Rohan, et que là, cachée à une fenêtre, derrière un rideau, elle avait vu la terrible rencontre.

Alors, comme aujourd’hui, c’était la poésie, c’est-à-dire la chanson, qui mettait le sceau à la popularité d’un événement. Quand l’événement était funeste, la chanson était une complainte burlesquement pathétique et toujours un peu railleuse. Telle est celle-ci, qui courut toutes les ruelles, et fut réellement chantée, car nous la trouvons dans le Recueil de chansons notées de l’Arsenal[54] :

Essuyez vos beaux yeux.
Madame de Longueville;
Essuyez vos beaux yeux,
Coligny se porte mieux.
S’il a demandé la vie.
Ne l’en blâmez nullement ;
Car c’est pour être votre amant
Qu’il veut vivre éternellement.

Après la chanson, le roman; Mme de Longueville eut aussi le sien. Un bel esprit du temps, dont le nom nous est inconnu, composa en cette occasion une nouvelle, où, sous des noms supposés, et mêlant le faux au vrai, il raconte la touchante aventure qui occupait alors tout Paris. Nous avons découvert cette nouvelle inédite du milieu du XVIIe siècle à la bibliothèque de l’Arsenal et à la Bibliothèque[55] nationale. Elle a pour titre : Histoire d’Agésilan et d’Isménie, c’est-à-dire histoire de Coligny et de Mme de Longueville. Elle a l’avantage d’être fort courte. Nous n’osons pourtant la donner tout entière, et nous nous bornerons à faire connaître rapidement ce petit monument de la célébrité naissante de Mme de Longueville.

Bien entendu, Isménie aime le plus tendrement du monde Agésilan, et elle l’aimait avant d’avoir été mariée à Amilcar, le duc de Longueville, par l’ordre de son père et de sa mère, Antenor et Simiane, M. le Prince et Mme la Princesse. Isménie a pour ennemie Roxane, Mme de Montbazon, jalouse de sa beauté, et ici viennent deux portraits d’Isménie et de Roxane, qui sont d’une exactitude tout-à-fait historique. « Roxane étoit piquée des louanges qu’on donnoit à Isménie de sa beauté, qui véritablement estoit des plus grandes. Ses cheveux d’un blond cendré, ses yeux bleus, la blancheur de son teint et sa taille estoient incomparables; son esprit doux, insinuant, parlant agréablement sur toutes sortes de sujets, lui donnoit l’approbation de tout le monde. Roxane, qui a une beauté et une humeur différente, n’avoit pas des approbateurs sur sa grâce en si grand nombre qu’Isménie, bien que sur la beauté les esprits fussent partagés. Ses cheveux étoient bruns sur un teint blanc et uni; ses yeux noirs et bien fendus, d’où il sortoit un feu à pénétrer jusque dans les cœurs les plus insensibles; sa mine, haute et fière, la faisoit plutôt craindre qu’aimer; son esprit étoit cruel, plein de violence. Il ne falloit pas se partager avec elle. »

Voici une conversation des deux amans moins longue, grâce à Dieu, que celles de l’Astrée et du grand Cyrus, mais qui a leur agréable fadeur, leur sentimentale mélancolie : «Pensive à son malheur, Isménie se promenoit le long d’un ruisseau qui arrose le bois de Mirabelle (Chantilly). Elle vit tout d’un coup sortir un homme de l’épaisseur du bois, et, pâle et défait, se jeter à ses genoux. Elle connut d’abord que c’étoit Agésilan qui lui dit: Quoi! ma princesse, m’abandonnerez-vous après tant de promesses de votre fermeté? En refusant le parti qu’on vous offre, ne ferez-vous pas connoître à tout le monde que ma princesse a autant de fidélité que de beauté, et que sa parole est inébranlable quand elle l’a donnée? S’il vous reste encore quelque souvenir du malheureux Agésilan et des tendresses que vous aviez pour luy, donnez-luy un mois avant que d’accomplir ce mariage. Le terme est court pour une si grande disgrâce qui me coûtera la vie! Agésilan, dit Isménie, Dieu sçait, si mes sentiments estoient suivis, si je serois jamais à d’autres qu’à vous! J’ay fait pour cela plus que le devoir ne m’obligeoit : j’ay résisté long-temps aux ordres d’Anténor et de Simiane. J’ay passé des jours et des nuits en pleurs de la perte que je faisois de mon cher Agésilan. Tout ce que je puis faire pour luy est de luy conserver toujours mon estime et mon amitié. Elle l’embrassa pour la dernière fois, et se retira dans le château sans attendre sa réponse. »

Agésilan désespéré va rejoindre l’armée commandée par le frère d’Isménie, Marcomir, le duc d’Enghien, et nous assistons à un récit de la bataille de Rocroy en général assez exacte à deux défauts près. L’auteur n’a pas l’air d’avoir connu la manœuvre hardie et savante qui décida la victoire, et que nous avons essayé de décrire. On se doute bien aussi qu’il donne à Coligny dans cette grande journée un rôle qu’il n’a pas eu. Dans la nouvelle, Agésilan prend la place de Gassion et commande l’aile droite, tandis que Gassion y commande la gauche et remplace Laferté-Seneterre et le maréchal de l’Hôpital; car c’est bien, je crois, Gassion qu’il faut reconnaître sous le nom d’Hilla ou Hillarius, «vieux maestro de camp, à présent[56] maréchal de camp, soldat de fortune, mais qui avoit passé par toutes les charges, ayant beaucoup de cœur et de fermeté. » Marcomir avait confié l’aile droite à Agésilan « comme étant assuré de sa fidélité et de son grand cœur. » Agésilan cherche la mort, et, selon les règles du roman, il ne trouve que la gloire, il est vrai, avec beaucoup de blessures qui expliqueront plus tard sa langueur et sa faiblesse. Entre autres exploits, il a une rencontre particulière avec Alaric, roi des Goths. Marcomir, de son côté, fait des actions extraordinaires et tue de sa main le chef de l’armée ennemie. Comme Agésilan-Coligny est mis ici à la place de Gassion, ainsi d’Estrades, ami de Coligny, est substitué, sous le nom de Théodate, au brave Sirot, qui commanda la réserve et contribua tant au succès de la bataille.

La nouvelle peint fidèlement la conduite d’Enghien-Marcomir après la victoire. « Après avoir rendu grâce à Dieu d’une si grande victoire, Marcomir retourna dans son camp. Il fut légèrement blessé, eut deux chevaux tués sous lui, et fit dans cette action tout ce qu’un bon général et un grand capitaine peut faire : il eut grand soin des blessés et il les visitoit tous les jours. » Il ne pouvait manquer de prendre un soin particulier d’Agésilan, son parent, et de Théodate; il les ramena avec lui à Lutétie, où ils reçurent toutes les louanges que leurs belles actions méritaient.

Dans la nouvelle, comme dans quelques mémoires, c’est Roxane, Mme de Montbazon, qui invente et contrefait les deux fameuses lettres pour déshonorer et perdre Isménie. Elle exige de son amant Florizel, le duc de Guise, qu’il soutienne que ces lettres sont véritables, et, ne pouvant obtenir de sa loyauté une pareille indignité, elle lui demande au moins de s’en exprimer avec doute. Florizel a la faiblesse d’y consentir; ses paroles sont promptement exagérées et envenimées, et de toutes parts le bruit s’accrédite que Florizel défend très haut la vérité de ces lettres et se déclare prêt à la soutenir à Agésilan lui-même, « en quelle manière il le voudroit. » Indignation de la reine Amalasonte, Anne d’Autriche, contre Isménie qu’elle croit coupable; grande colère d’Anténor et de Simiane, M. le Prince et Mme la Princesse, contre leur fille, et désespoir de celle-ci, car les deux lettres imaginées par Roxane sont bien autrement fortes que celles que Mme de Fouquerolles avait écrites à Maulevrier, et qui furent attribuées à Mme de Longueville. Première lettre. « Je ne puis vous souffrir plus long-temps dans la tristesse où vous estes. Votre constance m’a entièrement gagnée. Trouvez-vous ce soir dans l’allée des Sicomores, proche des bains de Diane. Je vous dirai ce que je veux faire pour vous. » Autre lettre. « Je croy que vous estes content de moy, cher Agésilan; mais si la promenade des Sicomores vous a plu, celle où je vous ordonne de venir ne vous plaira pas moins. Venez seul, à dix heures du soir, par la porte du jardin ; vous trouverez Lydie, qui vous conduira où je seray. Adieu. »

Ces deux rendez-vous sont assez bien imaginés pour expliquer l’irritation d’Isménie, et comment elle pousse elle-même Agésilan à la venger, et lui ménage un second habile dans Théodate. Le duel avait été résolu « dans un conseil, chez Isménie, où Marcomir et Agésilan estoient. » Les préparatifs de la rencontre et les détails sont moins saisissans et moins romanesques dans le roman que dans l’histoire. La scène y est fidèlement racontée, mais fort abrégée en ce qui regarde les deux principaux adversaires. L’intervention du duc d’Enghien est plus marquée.

« La partie fut liée à deux heures de l’après-midi, à la place des Nymphes (Place-Royale). Florizel y viendroit avec un second, un page et un laquais; Agésilan et Théodate en feroient de même; les deux carrosses se rencontreroient devant le logis de Caliste, et les cochers se battroient à coups de fouet pour prétexter que c’étoit une rencontre. Les choses furent exécutées ainsi qu’elles avoient été projetées, et les balcons et les fenêtres des maisons étoient remplis de dames. Chrysante et Théodate (Bridieu et d’Estrades) furent les premiers qui mirent l’épée à la main. Chrysante est un gentilhomme de mérite, brave et un des plus forts hommes du monde. Il est gouverneur d’une place considérable sur la frontière des Belges. Théodate lui donna d’abord un coup d’épée dans le corps; il en reçut un en même temps dans le bras. Chrysante, se sentant incommodé par la perte du sang, voulut se servir de ses forces et venir aux prises avec Théodate; il l’embrassa avec les deux bras, et le pressa avec tant de violence que, nonobstant sa grande blessure, il eût étouffé Théodate, si celui-ci n’eust fait un effort pour se tirer de ses mains. Il fut si grand qu’ils tombèrent tous deux à terre, sans avantage, et furent séparés dans cet instant par des personnes de qualité qui arrivèrent sur le lieu. Cependant Florizel et Agésilan estoient tous deux aux mains. Théodate croyoit estre assez à temps pour les séparer, lorsqu’il vit le pauvre Agésilan par terre, désarmé. Florizel le quitte pour venir au-devant de Théodate, pour l’embrasser et lui demander son amitié; il lui dit : Je suis fâché du mauvais état où vous trouverez Agésilan. Il m’a querellé de gaieté de cœur; je vous proteste, avec vérité, que jamais je ne l’ai offensé. Théodate répondit assez succinctement à ce compliment, estant pressé de se rendre auprès d’Agésilan, qu’il trouva sans connoissance par le mécontentement que ce désavantage lui causa, lequel le conduisit jusques au cercueil. Dans cet instant, Marcomir et plusieurs princes et seigneurs de la cour arrivèrent dans la place des Nymphes. Marcomir fit mettre Agésilan et Théodate dans un de ses carrosses, et leur donna un appartement dans son hôtel, pour la seureté de leurs personnes. »

« Il n’y avoit que peu de jours que le sénat de Lutétie avoit vérifié le décret contre les duels qui condamnoit à mort tous ceux qui se battroient. Amalasonte, voulant que l’édit fût exécuté suivant sa teneur, fit décréter prise de corps contre Agésilan et Théodate comme agresseurs, et les poursuites furent moins rigoureuses contre Florizel et Chrysante. Marcomir s’en plaignit hautement, et l’appréhension qu’Amalasonte eut que cela produisît une guerre civile, toute la cour ayant pris parti de part et d’autre, fit qu’elle commanda que l’affaire passeroit pour une rencontre fortuite et que le roy feroit expédier des lettres de grâce; ce qui fut exécuté, et les partys furent d’accord. »

Ici le roman reprend ses droits, et, ramenant Mme de Longueville auprès du lit de Coligny mourant, met dans la bouche de l’un et de l’autre des discours de ce pathétique facile qui ne manque jamais son effet sur le commun des lecteurs, moins sensibles à l’art véritable qu’à ce qu’il y a de touchant dans ces sortes de situations : « Les blessures qu’Agésilan avoit reçues empiroient tous les jours. Les chirurgiens les jugeoient mortelles. Théodate ne garda pas le lict de la sienne. Il étoit continuellement près d’Agésilan, lequel, sentant diminuer ses forces, dit à Théodate : J’ay une prière à vous faire, qui est d’obliger Isménie de me venir voir pour la dernière fois, et que vous soyez seul témoin de ce que j’ay à lui dire. Les médecins et les chirurgiens assurèrent Théodate qu’Agésilan ne pouvait pas passer la journée, ce qui l’obligea de se haster d’aller trouver Isménie et la disposer de venir dire le dernier adieu à Agésilan, ce qu’elle fit avec une douleur extrême. D’abord qu’Agésilan la vit, la couleur lui revint au visage, et l’émotion qu’il eut en voyant ce qu’il aymoit chèrement lui donna la force de dire : Madame, depuis que je vous ay perdue, je n’ay rien tant désiré que de mourir pour votre service. Dieu a exaucé mes prières. Je ne pouvois estre heureux, ne vous possédant pas. Ma passion étoit trop forte pour rester content dans le monde. J’ay à vous rendre grâces de la bonté que vous avés d’agréer que je vous dise que je meurs à vous, et fort content de ne plus troubler votre repos. Et, luy tendant la main : Adieu, ma chère Isménie, et il rendit l’esprit dans cet instant. Après le dernier adieu qu’Agésilan fit à Isménie, qui fut aussi le dernier soupir de sa vie, Isménie demeura immobile quelque temps. Puis tout d’un coup elle se jette sur le corps d’Agésilan, l’embrasse, lui prend les mains, les arrose de ses larmes, et, commençant d’avoir la voix libre, elle dit : « Faut-il que je survive au plus fidèle et sincère amant qui ait jamais esté au monde? Est-ce là, mon cher Agésilan, la récompense que tu devois attendre de l’ingrate Isménie? Tu n’as aimé qu’elle, et, dans le même temps qu’elle t’a quittée, ton désespoir t’a fait chercher la mort dans les batailles où ton grand cœur, ta réputation et tes grandes actions ont esté immortelles; et après cela tu viens mourir devant mes yeux et me dis que tu n’as jamais eu de joye depuis m’avoir perdue, et que tu meurs content puisque tu ne me peux posséder!... Reçois, cher et fidèle amy, ces larmes et le regret immortel de ta perte qui me percera le cœur mille fois par jour. Reçois cette amende honorable que je te fais de toutes mes rigueurs et de tous les déplaisirs que je t’ai causés. Ah! misérable que je suis! que deviendray-je? où irai-je? Non, il faut mourir de regret et d’amour. Je ne te quitteray plus, je veux demeurer auprès de toy. » Et, l’embrassant, elle baisoit ses yeux et son visage avec des transports de tendresse capables de faire fendre le cœur à tout le monde. »

Mais, rappelons-le en finissant, tous ces tendres sentimens sont de poétiques inventions de l’auteur de la nouvelle. Pour rendre Mme de Longueville plus touchante, on l’a représentée partageant la passion qu’elle inspirait; mais rien ne nous autorise à supposer qu’elle eût en effet de l’amour pour Coligny. Elle l’aimait comme un des compagnons de son enfance, comme un des camarades de son frère, comme un gentilhomme presque de son rang dont elle n’avait aucune raison de repousser les hommages, et qui lui plaisait par une tendresse persévérante et dévouée. Elle lui permettait de soupirer pour elle et de se déclarer son chevalier à la manière espagnole, selon les principes de Mme de Sablé et des précieuses de l’hôtel de Rambouillet, qui ne défendaient pas aux hommes de les servir et de les adorer, mais de la façon la plus respectueuse. Telles étaient les mœurs de cette époque. Un gentilhomme ne passait pas pour honnête homme, s’il n’avait pas une maîtresse, c’est-à-dire une dame à laquelle il adressait de particuliers hommages et dont il portait les couleurs dans les fêtes de la paix et sur les champs de bataille. Il n’y avait pas une beauté, si vertueuse qu’elle fût, qui n’eût des amans, c’est-à-dire des soupirans en tout bien et en tout honneur. En voulez-vous un exemple? La duchesse d’Aiguillon, présentant son jeune neveu, le duc de Richelieu, à Mme du Vigean l’aînée, la priait d’en faire un honnête homme, et pour cela elle exhortait le plus sérieusement du monde le jeune duc à devenir amoureux de la belle dame. Mme de Longueville souffrait ainsi les empressemens de Coligny. Sa coquetterie en était flattée, sa vertu ni même sa réputation n’en étaient effleurées. Ajoutez qu’elle était entourée des meilleurs exemples. La jeune du Vigean, sa plus chère amie, résistait au vainqueur de Rocroy; Mlle de Brienne était tout entière à son mari, M. de Gamache; Julie de Rambouillet ne se pressait pas de se rendre à la longue passion de Montausier, et Isabelle de Montmorency elle-même ne faisait encore que prêter l’oreille aux doux propos de Dandelot. Retz affirme seul que Coligny était aimé, il dit le tenir de Condé lui-même; mais qui ne connaît la légèreté de Retz? qui voudrait s’en rapporter à son témoignage quand il est seul, et sur des choses où il n’a pas été personnellement mêlé? En 1643, Retz n’avait guère que le secret de ses propres intrigues. Mme de Motteville si bien informée, qui plus tard ne dissimulera pas la chute de Mme de Longueville, peut être crue lorsqu’elle affirme qu’en 1643[57] « elle étoit encore dans une grande réputation de vertu et de sagesse, » et que tout son tort étoit « de ne pas haïr l’adoration et la louange. » Enfin nous avons un témoignage décisif, celui de La Rochefoucauld. Il était à la fois l’ami de Maulevrier et celui de Coligny; il savait donc le fin de toute cette affaire. Or, lui qui un jour se tournera contre Mme de Longueville, révélera ses faiblesses, grossira ses fautes, s’efforcera de ternir son caractère, déclare que, jusqu’à une certaine époque à laquelle nous ne sommes pas encore parvenus, tous ceux qui essayèrent de plaire à la sœur de Condé tentèrent inutilement cette voie[58]. Après Coligny, le brave et présomptueux Miossens, depuis le maréchal d’Albret, fit une cour longue et passionnée à Mme de Longueville, et il échoua comme les autres. Elle était trop jeune encore et trop près des habitudes de sa pure et pieuse adolescence; elle n’avait pas encore atteint l’âge fatal aux intentions les plus vertueuses : son heure n’était pas venue. Elle vint plus tard, quand Mme de Longueville eut plus connu le monde et la vie, et respiré plus long-temps l’air de son siècle, quand son frère avait oublié la chaste grandeur de ses premières amours, quand l’amie qui la pouvait soutenir, la belle et noble Mlle du Vigean, n’était plus à côté d’elle, quand son mari était éloigné, quand enfin, lasse de combattre et plus que jamais éprise du bel esprit et des apparences héroïques, elle rencontra un personnage jeune encore et assez beau, d’une bravoure brillante, qui passait pour le modèle du dévouement chevaleresque, qui sut habilement intéresser son amour-propre dans ses projets ambitieux et la séduire par l’appât de la gloire. La Rochefoucauld fut le premier qui toucha l’ame de Mme de Longueville; il le dit, et nous l’en croyons. Nous plaçons les commencemens de leur liaison un peu avant le départ de Mme de Longueville pour l’ambassade de Munster, leur intimité à son retour, l’éclat de leurs amours de 1648 à 1652; mais en 1643 Mme de Longueville en était encore à la noble et gracieuse galanterie qu’elle voyait partout en honneur, qu’elle entendait célébrer à l’hôtel de Rambouillet comme à l’hôtel de Condé, dans les grands vers de Corneille comme dans les petits vers de Voiture. Elle se complaisait à faire sentir le pouvoir de ses charmes. Mille adorateurs s’empressaient autour d’elle. Coligny était peut-être un peu plus près de son cœur, il n’y était pas entré. Mais on ne badine pas impunément avec l’amour. Un jour il coûtera bien des larmes à Mme de Longueville. Ici sa victime fut l’aîné des Châtillon, qui périt à la fleur de l’âge, de la main de l’aîné des Guise, pour venger celle qu’il aimait. Cette tragique aventure, bientôt répandue par tous les échos des salons, par la chanson et par le roman, jeta d’abord un sombre éclat sur la destinée de Mme de Longueville, et lui composa de bonne heure une renommée, à la fois aristocratique et populaire, qui la préparait merveilleusement à jouer un grand rôle dans cette autre tragi-comédie héroïque et galante qu’on appelle la Fronde.


V. COUSIN.

  1. Mémoires, édition d’Amsterdam, 1735; t. Ier, p. 45.
  2. L’hôtel des ducs de Longueville n’est pas du tout celui qu’après la mort de son mari Mme de Longueville acheta des d’Épernon, rue Saint-Thomas-du-Louvre, à côté de l’hôtel de Rambouillet, où elle a résidé avec ses enfans, et qui a porté son nom depuis 1664 jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La demeure des Longueville était l’ancien hôtel d’Alençon (voyez Sauval, t. II, p. 65 et 70, surtout p. 119). Il était situé rue des Poulies, parmi les riches hôtels qui bordaient le côté droit de cette rue depuis la rue Saint-Honoré jusqu’à la Seine, et qui, avec leurs dépendances et leurs jardins, s’étendaient jusqu’au Louvre. Il était à peu près vis-à-vis la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois. Il avait à sa droite, vers la Seine, le Petit-Bourbon, qui, après avoir servi de demeure et de place forte dans Paris aux aînés de la maison de Bourbon, était devenu un bâtiment royal, une sorte d’appendice du Louvre, où le jeune roi Louis XIV donna plusieurs fois de grands bals, et dont la salle de théâtre fut prêtée à Molière pour y jouer quelque temps la comédie à son arrivée à Paris. A gauche, sur la même ligne, après l’hôtel de Longueville, venaient les hôtels de Villequier et d’Aumont, et, un peu plus rapprochés de l’église et de la maison de l’Oratoire, les hôtels de la Force et de Créqui. Quand donc, en 1663, Louis XIV, entré en pleine possession de l’autorité royale et voulant signaler son règne par de grands monumens, entreprit d’achever le Louvre et de lui donner une façade digne du reste de l’édifice, il lui fallut abattre, avec le Petit-Bourbon, une partie des hôtels de la rue des poulies, entre autres celui de Longueville. C’était le plus ancien et le plus considérable. Il se composait d’un grand bâtiment d’entrée, d’une vaste cour, de l’hôtel proprement dit et d’immenses jardins. Ceux de nos lecteurs qui désireraient s’assurer de l’exactitude de ces détails n’ont qu’à jeter les yeux sur l’excellent plan de Gomboust, qui représente admirablement le Paris du XVIIe siècle, en 1652.
  3. Voyez notre dernier article, livraison du 15 juin, p. 1044-1047.
  4. Il est vraiment inconcevable qu’une femme d’autant d’esprit que Mme de Sablé ait poussé la peur de la maladie et de la contagion aussi loin que le témoignent tous les auteurs contemporains, Voiture, Tallemant, Mademoiselle, etc. Sa faiblesse en cette occasion et la fidélité de Mlle de Rambouillet nous sont attestées par plusieurs lettes inédites de ces deux dames, que nous trouvons à la bibliothèque de l’Arsenal dans les papiers de Conrart, in-4o, t. XIV.
  5. Mademoiselle a beau dire, t. ler, p. 47, que Mme de Longueville resta marquée de la petite vérole, Retz affirme le contraire. Édit. d’Amsterdam, 1731, t. Ier, p. 185 : « La petite vérole lui avoit ôté la première fleur de la beauté, mais elle lui en avoit laissé tout l’éclat. »
  6. Lettres de Mgr Godeau sur divers sujets, Paris, 1713, lettre 76, p. 243 : « De Grasse, ce 13 décembre 1642.... Pour votre visage, un autre se réjouira avec plus de bienséance de ce qu’il ne sera point gâté. Mlle Paulet me le mande. J’ai si bonne opinion de votre sagesse, que je crois que vous eussiez été aisément consolée si votre mal y eût laissé des marques. Elles sont souvent des cicatrices qu’y grave la divine miséricorde pour faire lire aux personnes qui ont trop aimé leur teint que c’est une fleur sujette à se flétrir devant que d’estre épanouie, etc. »
  7. Tome II, p. 295.
  8. Manuscrits de Conrart, in-4o, t. XXIV, p. 647; t. XVII, p. 721; ibid., p. 823.
  9. Manuscrits de Conrart, t. X, p. 943 et 968, t. XIII, p. 340.
  10. Mémoires de La Rochefoucauld, collection Petitot, t. LI, p. 370 et 386.
  11. Bibliothèque nationale, Supplément français, no 925.
  12. Le Polexandre de Gomberville parut en 1637, Ce roman eut un grand succès et en peu de temps plusieurs éditions; la meilleure et la plus complète est celle de 1645, en cinq parties, formant huit volumes.
  13. Je m’appuie sur la relation, donnée par Lenet, qui est à peu près celle qui fut envoyée dans le temps par les ordres du duc d’Enghien à son père, le prince de Condé. — Lenet, édit. Michaud, p. 479, etc.
  14. Bossuet, dans son admirable récit de la bataille de Rocroy, en a parfaitement peint la fin, la destruction de l’infanterie espagnole; mais le grand évêque n’a pas même indiqué la manœuvre qui décida du sort de la journée. Il est à regretter que Napoléon n’ait pas fait sur les campagnes de Condé le même travail que sur celles de Turenne et de Frédéric, et qu’après avoir incidemment jugé, avec la supériorité du maître, et dignement relevé la judicieuse audace qui remporta la bataille de Nortlingen, où Condé ne craignit pas d’engager la seule aile qui lui restait pour rétablir le combat, au lieu de l’employer à faire une retraite bien difficile devant la cavalerie de Jean de Vert, il n’ait pas même consacré un chapitre à l’examen de la bataille de Rocroy, qui commence la nouvelle école, et de la bataille de Lens, qui en est le chef-d’œuvre.
  15. Voyez, dans la livraison du 15 juin dernier, les vers du duc d’Enghien adressés de Liancourt à La Moussaye et à Roussillon.
  16. Mémoires, t. II, p. 108.
  17. Mémoires, t. Ier, p. 231.
  18. Nous avons trouvé, dans les manuscrits de Conrart, t. V, in-fol., p. 605, les pièces les plus authentiques à ce sujet.
  19. Tallemant, t. III, p. 407.
  20. Né en 1567, mort quelques années avant sa femme, en 1654, à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
  21. Mémoires, t. 1er, p. 46.
  22. T. Ier, p, 221. — Il en cite, ainsi que Tallemant et même M, de Motteville, des choses incroyables. Les recueils de chansons du temps abondent en épigrammes outrageantes contre elle. Voyez le Recueil de Maurepas à la Bibliothèque nationale et les recueils de Chansons historiques de la bibliothèque de l’Arsenal.
  23. Mme de Motteville, t. V, p. 246.
  24. Mme de Motteville, t. Ier, p. 410.
  25. Voyez la théorie exposée dans cette Revue l’année dernière, 1er août 1851.
  26. T. III, p. 410.
  27. Sur la beauté de Mme de Montbazon, nous avons uni ce que disent Tallemant, t. III, p. 411, et Mme de Motteville, t. Ier, p, 146. Le lecteur peut juger de la vérité de notre description en allant voir à Versailles, dans la curieuse galerie de l’attique du nord, sous le no 2030, un petit tableau où Mme de Montbazon est représentée en buste, vers l’âge de trente-cinq à quarante ans, avec un collier de perles, un beau front très découvert, de beaux yeux noirs, une gorge magnifique, mais le tout un peu fort et sans beaucoup de distinction.
  28. Villefore, p. 32.
  29. Mémoires de La Châtre dans la collection Petitot, t. LI, p. 230.
  30. Mademoiselle, t. Ier, p. 62 et 63.
  31. Il me semble qu’il faudrait mettre : « Je souffre pour aimer trop, et vous pour n’aimer pas assez. »
  32. Voyez Mademoiselle, Mme de Motteville et La Rochefoucauld.
  33. Mémoires de La Rochefoucauld, collection Petitot, t. LI, p. 387.
  34. Tome Ier, p. 65.
  35. Folio 22.
  36. Voyez les Mémoires du temps, et surtout ceux de Campion.
  37. Bibliothèque royale, Supplément français, no 925, fol. 11.
  38. Mémoires, p. 391.
  39. Tome V, p. 230.
  40. La Place-Royale, avec ses environs, était le beau quartier d’alors. Commencée en 1604 sur les ruines du palais des Tournelles par Henri IV, elle fut achevée en 1612. C’est, comme on le sait, un grand carré ou plutôt un rectangle bordé de tous côtés par trente-sept pavillons soutenus par des piliers formant une galerie qui règne tout autour de la place. Au milieu était un vaste préau divisé en six beaux tapis de gazon. Il n’y avait point encore l’agréable allée de filleuls qu’on y a plantée depuis, ni les quatre utiles mais très mesquines fontaines qu’on y voit aujourd’hui. Au centre était la statue équestre de Louis XIII. Sur une des faces du piédestal de marbre blanc, on lisait cette inscription : « Pour la glorieuse et immortelle mémoire du très grand et invincible Louis-le-Juste, XIIIe du nom, roi de France et de Navarre, Armand, cardinal de Richelieu, son principal ministre, a fait élever cette statue pour marque éternelle de son zèle, de sa fidélité et de sa reconnaissance en 1639. » Sous Louis XIV, ce beau square fut entouré d’une grille d’un travail excellent. Que d’événemens publics et domestiques n’a pas vus cette place, que de nobles tournois, que de duels atroces, que d’aimables rendez-vous! Quels entretiens n’a-t-elle pas entendus dignes de ceux du Décaméron, que Corneille a recueillis dans une de ses premières comédies et dans plusieurs actes du Menteur! Que de gracieuses créatures ont habité ces pavillons ! quels somptueux ameublemens, que de trésors d’un luxe élégant n’y avaient-elles pas rassemblés! Que d’illustres personnages en tout genre n’ont pas monté ces beaux escaliers! Richelieu et Condé, Corneille et Molière ont cent fois passé par là. C’est en se promenant sous cette galerie que Descartes, causant avec Pascal, lui a suggéré l’idée de ses belles expériences sur la pesanteur de l’air. C’est là aussi qu’un soir, en sortant de chez Mme de Guimenée, le mélancolique de Thou reçut de Cinq-Mars l’involontaire confidence de la conspiration qui devait les mener tous deux à l’échafaud. En arrivant à la Place-Royale par sa véritable entrée, la Rue-Royale, du côté de la rue Saint-Antoine, on trouvait, à l’angle de droite, l’hôtel de Rohan, habité d’abord par la vieille duchesse douairière, veuve de ce grand duc de Rohan, l’un des premiers généraux et le plus grand écrivain militaire du commencement du XVIIe siècle; à celle-ci succéda naturellement la belle et riche Marguerite, que le chevalier de Chabot captiva et épousa en 1645. A l’angle de gauche était l’hôtel de la belle duchesse de Chaulnes, une des amies de Mme de Sévigné, dont on peut voir le portrait à Versailles, et dont Bois-Robert a célébré les magnifiques appartemens. Aux deux autres coins de la place étaient, à droite, du côté de la rue des Tournelles et du boulevard, l’hôtel Saint-Géran, et à gauche, du côté de la rue Saint-Louis, l’hôtel qu’habitait Richelieu avant d’avoir fait bâtir et achever le Palais-Cardinal. Les deux galeries latérales étaient remplies par des hôtels qui n’étaient pas indignes de ceux-là. Il y avait l’hôtel de M. de Nicolaï, celui de M. des Hameaux, etc. Nous savons certainement que Mme de Sablé demeurait à la Place-Royale, ainsi que la comtesse de Maure, avec Mlle de Vandy ; mais la difficulté serait de découvrir les habitans de tous les autres pavillons, et de faire ainsi une histoire exacte et complète de la Place-Royale, au moins jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Nous indiquons ce sujet d’études à quelque élève de l’École des chartes ou à quelque jeune artiste : ils y trouveraient la matière des plus fines recherches ainsi que des descriptions les plus charmantes, et une gloire modeste ne leur manquerait pas après quelques années du travail le plus attrayant. Voyez, sur la Place-Royale, Félibien, t. II, le plan de Gomboust de 1652, et la description de Sauval, t. II, p. 624, etc. On se servirait utilement de la pièce de vers de Scarron, Adieux aux Marais et à la Place-Royale, édit. d’Amsterdam, de 1752, t. VII, p. 29-35.
  41. C’est d’Ormesson qui donne cette date.
  42. D’Ormesson, Maupassant.
  43. La Rochefoucauld.
  44. Fol. 28, verso.
  45. D’Ormesson.
  46. D’Ormesson, Maupassant et La Rochefoucauld.
  47. D’Ormesson.
  48. Salon d’Ormesson; Maupassant dit au côté droit.
  49. D’Ormesson, Maupassant, La Rochefoucauld, Motteville.
  50. Maupassant dit que le duc de Guise et Coligny comparurent au parlement et se justifièrent, le duc de Guise avec le plus grand succès, et Coligny de très mauvaise grâce; mais d’Ormesson, si bien informé de tout ce qui se passa de son temps au conseil d’état et au parlement, n’a pas un seul mot là-dessus, et rien n’est plus invraisemblable, Coligny étant promptement tombé dans un état désespéré.
  51. La Rochefoucauld dit que Coligny mourut quatre ou cinq mois après; il faut dire quatre ou cinq jours. Voici en effet ce que nous trouvons dans le journal d’Olivier d’Ormesson, fol. 29 : « Le mardi 29 décembre me vint voir le marquis de Pardaillan et me dit que M. de Colligny estoit à Saint-Maur, et avoit pensé mourir de la gangrène qui s’étoit mise à son bras. » — « Le mercredi 30 décembre (d’Ormesson a mis par erreur janvier), « M. de Colligny estoit hors d’espérance, sa plaie ne faisant ni chair ni pus, à cause de sa mauvaise constitution naturelle. M. le duc d’Anguien y estoit allé pour le résoudre à avoir le bras coupé. »
  52. Mademoiselle, Mémoires, t. Ier, p. 74.
  53. Mme de Motteville, t. Ier, p. 201.
  54. Elle est aussi dans Mme de Motteville, ibid.
  55. Bibliothèque de l’Arsenal, petit in-4o, côté sur le dos « Fr. Jurisprudence. 19 (B). » Il contient : 1° Avis donné au roy pour la réforme des abbayes et prieurés en commande; 2° Fable du lion et du renard; 3° Histoire de M. de Coligny et de Mme de Longueville. — Bibliothèque nationale, fonds Clérambault, Mélanges, vol. 261, in-12, comprenant une foule de chansons, les lettres de Mme de Gourcelles, des lettres de diverses dames à Fouquet, et au milieu l’histoire d’Agésilan et d’Isménie. En comparant les deux manuscrits, nous y avons rencontré une foule de petites variantes de style parfaitement indifférentes.
  56. A présent montre que la nouvelle a été composée avant la ort de Gassion, tué à Lens en 1648.
  57. Mémoires, t. Ier, p. 174-177.
  58. Mémoires de La Rochefoucauld, coll. Petitot, t. LI, p. 393.