Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 8 (p. 66-87).
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CHANT DEUXIÈME

ARGUMENT
Henri le Grand raconte à la reine Élisabeth l’histoire des malheurs de la France  : il remonte à leur origine, et entre dans le détail des massacres de la Saint-Barthélemy.


« Reine, l’excès des maux où la France est livrée[1]
Est d’autant plus affreux que leur source est sacrée
C’est la religion dont le zèle inhumain
Met à tous les Français les armes à la main.
Je ne décide point entre Genève et Rome[2].
De quelque nom divin que leur parti les nomme,
J’ai vu des deux côtés la fourbe et la fureur ;
Et si la perfidie est fille de l’erreur,
Si, dans les différends où l’Europe se plonge,
La trahison, le meurtre est le sceau du mensonge,
L’un et l’autre parti, cruel également,
Ainsi que dans le crime est dans l’aveuglement.
Pour moi, qui, de l’État embrassant la défense,

Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance[3],
On ne m’a jamais vu, surpassant mon pouvoir,
D’une indiscrète main profaner l’encensoir :
Et périsse à jamais l’affreuse politique
Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique,
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,
Qui du sang hérétique arrose les autels,
Et, suivant un faux zèle, ou l’intérêt, pour guides,
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides !
« Plût à ce Dieu puissant, dont je cherche la loi,
Que la cour des Valois eût pensé comme moi !
Mais l’un et l’autre Guise[4] ont eu moins de scrupule.
Ces chefs ambitieux d’un peuple trop crédule,
Couvrant leurs intérêts de l’intérêt des cieux[5],
Ont conduit dans le piège un peuple furieux,
Ont armé contre moi sa piété cruelle.
J’ai vu nos citoyens s’égorger avec zèle,
Et, la flamme à la main, courir dans les combats
Pour de vains arguments qu’ils ne comprenaient pas.
Vous connaissez le peuple, et savez ce qu’il ose
Quand, du ciel outragé pensant venger la cause,
Les yeux ceints du bandeau de la religion,
Il a rompu le frein de la soumission.

Vous le savez, madame, et votre prévoyance
Étouffa dès longtemps ce mal en sa naissance.
L’orage en vos États à peine était formé ;
Vos soins l’avaient prévu, vos vertus l’ont calmé :
Vous régnez ; Londre[6] est libre, et vos lois florissantes.
Médicis a suivi des routes différentes.
Peut-être que, sensible à ces tristes récits,
Vous me demanderez quelle était Médicis ;
Vous l’apprendrez du moins d’une bouche ingénue.
Beaucoup en ont parlé ; mais peu l’ont bien connue,
Peu de son cœur profond ont sondé les replis.
Pour moi, nourri vingt ans à la cour de ses fils,
Qui vingt ans sous ses pas vis les orages naître,
J’ai trop à mes périls appris à la connaître.
« Son époux, expirant dans la fleur de ses jours,
À son ambition laissait un libre cours.
Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle[7],
Devint son ennemi dès qu’il régna sans elle.
Ses mains autour du trône, avec confusion,
Semaient la jalousie et la division,
Opposant sans relâche avec trop de prudence
Les Guises[8] aux Condés, et la France à la France ;
Toujours prête à s’unir avec ses ennemis,
Et changeant d’intérêt, de rivaux, et d’amis ;
Esclave[9] des plaisirs, mais moins qu’ambitieuse ;
Infidèle[10] à sa secte, et superstitieuse[11] ;

Possédant, en un mot, pour n’en pas dire plus,
Les défauts de son sexe, et peu de ses vertus.
Ce mot m’est échappé, pardonnez ma franchise :
Dans ce sexe, après tout, vous n’êtes point comprise ;
L’auguste Élisabeth n’en a que les appas ;
Le ciel, qui vous forma pour régir des États,
Vous fait servir d’exemple à tous tant que nous sommes ;
Et l’Europe vous compte au rang des plus grands hommes.
« Déjà François Second, par un sort imprévu,
Avait rejoint son père au tombeau descendu ;
Faible enfant, qui de Guise adorait les caprices,
Et dont on ignorait les vertus et les vices.
Charles, plus jeune encore, avait le nom de roi :
Médicis régnait seule ; on tremblait sous sa loi.
D’abord sa politique, assurant sa puissance,
Semblait d’un fils docile éterniser l’enfance[12] ;
Sa main, de la discorde allumant le flambeau,
Signala par le sang son empire nouveau ;
Elle arma le courroux de deux sectes rivales.
Dreux[13], qui vit déployer leurs enseignes fatales,
Fut le théâtre affreux de leurs premiers exploits.
Le vieux Montmorency[14], près du tombeau des rois,
D’un plomb mortel atteint par une main guerrière[15],
De cent ans de travaux termina la carrière.
Guise[16] auprès d’Orléans mourut assassiné.
Mon père[17] malheureux, à la cour enchaîné,

Trop faible, et malgré lui servant toujours la reine,
Traîna dans les affronts sa fortune incertaine ;
Et, toujours de sa main préparant ses malheurs,
Combattit et mourut pour ses persécuteurs.
Condé[18], qui vit en moi le seul fils de son frère,

M’adopta, me servit et de maître et de père[19] ;

Son camp fut mon berceau ; là, parmi les guerriers,
Nourri dans la fatigue à l’ombre des lauriers,
De la cour avec lui dédaignant l’indolence,
Ses combats ont été les jeux de mon enfance.
« Ô plaines de Jarnac ! ô coup trop inhumain !
Barbare Montesquiou, moins guerrier qu’assassin,
Condé, déjà mourant, tomba sous ta furie !
J’ai vu porter le coup ; j’ai vu trancher sa vie :
Hélas ! trop jeune encor, mon bras, mon faible bras
Ne put ni prévenir ni venger son trépas.
Le ciel, qui de mes ans protégeait la faiblesse,
Toujours à des héros confia ma jeunesse.
Coligny[20], de Condé le digne successeur,
De moi, de mon parti devint le défenseur.
Je lui dois tout, madame, il faut que je l’avoue[21] ;
Et d’un peu de vertu si l’Europe me loue,
Si Rome a souvent même estimé mes exploits,
C’est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois.
Je croissais sous ses yeux, et mon jeune courage
Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage.

Il m’instruisait d’exemple[22] au grand art des héros :
Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux,
Soutenant tout le poids de la cause commune
Et contre Médicis et contre la fortune ;
Chéri dans son parti, dans l’autre respecté ;
Malheureux quelquefois, mais toujours redouté ;
Savant dans les combats, savant dans les retraites ;
Plus grand, plus glorieux, plus craint dans ses défaites
Que Dunois ni Gaston ne l’ont jamais été
Dans le cours triomphant de leur prospérité.
« Après dix ans entiers de succès et de pertes,
Médicis, qui voyait nos campagnes couvertes
D’un parti renaissant qu’elle avait cru détruit,
Lasse enfin de combattre et de vaincre sans fruit,
Voulut, sans plus tenter des efforts inutiles,
Terminer d’un seul coup les discordes civiles,
La cour de ses faveurs nous offrit les attraits ;
Et n’ayant pu nous vaincre, on nous donna la paix.
Quelle paix, juste Dieu ! Dieu vengeur que j’atteste,
Que de sang arrosa son olive funeste !
Ciel ! faut-il voir ainsi les maîtres des humains
Du crime à leurs sujets aplanir les chemins[23] !
« Coligny, dans son cœur à son prince fidèle,
Aimait toujours la France en combattant contre elle :
Il chérit, il prévint l’heureuse occasion[24]
Qui semblait de l’État assurer l’union.
Rarement un héros connaît la défiance :
Parmi ses ennemis il vint plein d’assurance ;
Jusqu’au milieu du Louvre il conduisit mes pas.
Médicis en pleurant me reçut dans ses bras,
Me prodigua longtemps des tendresses de mère,
Assura Coligny d’une amitié sincère,
Voulait par ses avis se régler désormais,

L’ornait de dignités, le comblait de bienfaits,
Montrait à tous les miens, séduits par l’espérance,
Des faveurs de son fils la flatteuse apparence.
Hélas ! nous espérions en jouir plus longtemps.
« Quelques-uns soupçonnaient ces perfides présents[25],
Les dons d’un ennemi leur semblaient trop à craindre[26].
Plus ils se défiaient, plus le roi savait feindre :
Dans l’ombre du secret[27], depuis peu[28] Médicis
À la fourbe, au parjure, avait formé son fils,

Façonnait aux forfaits ce cœur jeune et facile ;
Et le malheureux prince, à ses leçons docile,
Par son penchant féroce à les suivre excité,
Dans sa coupable école avait trop profité.
« Enfin, pour mieux cacher cet horrible mystère,
Il me donna sa sœur[29], il m’appela son frère.
Ô nom qui m’as trompé ! vains serments ! nœud fatal !
Hymen[30] qui de nos maux fus le premier signal !
Tes flambeaux, que du ciel alluma la colère,
Éclairaient à mes yeux le trépas de ma mère[31].

Je ne suis point injuste, et je ne prétends pas
À Médicis encore imputer son trépas :
J’écarte des soupçons peut-être légitimes,
Et je n’ai pas besoin de lui chercher des crimes[32].
Ma mère enfin mourut. Pardonnez à des pleurs
Qu’un souvenir si tendre arrache à mes douleurs.
Cependant tout s’apprête, et l’heure est arrivée[33]
Qu’au fatal dénoûment la reine a réservée.
« Le signal est donné sans tumulte et sans bruit[34] ;
C’était à la faveur des ombres de la nuit[35].
De ce mois malheureux l’inégale courrière[36]

Semblait cacher d’effroi sa tremblante lumière :
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots[37].
Soudain de mille cris le bruit épouvantable[38]
Vient arracher ses sens à ce calme agréable :
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités ;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes,
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés,
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix : « Qu’on n’épargne personne ;
C’est Dieu, c’est Médicis, c’est le roi qui l’ordonne ! »
Il entend retentir le nom de Coligny ;
Il aperçoit de loin le jeune Téligny[39],
Téligny dont l’amour a mérité sa fille,
L’espoir de son parti, l’honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
« Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu’il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
« Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l’enferme allait briser la porte ;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux
Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que dans les combats, maître de son courage,
Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage.
« À cet air vénérable, à cet auguste aspect,

Les meurtriers surpris sont saisis de respect ;
Une force inconnue a suspendu leur rage.
« Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
« Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs,
« Que le sort des combats respecta quarante ans ;
« Frappez, ne craignez rien ; Coligny vous pardonne ;
« Ma vie est peu de chose, et je vous l’abandonne…
« J’eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous… »
Ces tigres à ces mots tombent à ses genoux :
L’un, saisi d’épouvante, abandonne ses armes ;
L’autre embrasse ses pieds, qu’il trempe de ses larmes
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.
« Besme[40], qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu’on diffère son crime ;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups ;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
À cet objet touchant lui seul est inflexible ;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
À travers les soldats il court d’un pas rapide :
Coligny l’attendait d’un visage intrépide ;
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée, en détournant les yeux,
De peur que d’un coup d’œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.
Du plus grand des Français tel fut le triste sort,
On l’insulte[41], on l’outrage encore après sa mort,

Son corps, percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l’indigne pâture[42] ;

Et l’on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d’elle, et digne de son fils.
Médicis la reçut avec indifférence,
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.
« Qui pourrait cependant exprimer les ravages
Dont cette nuit cruelle étala les images ?
La mort de Coligny, prémices des horreurs,
N’était qu’un faible essai de toutes leurs fureurs.
D’un peuple d’assassins les troupes effrénées,
Par devoir et par zèle au carnage acharnées,
Marchaient le fer en main, les yeux étincelants,
Sur les corps étendus de nos frères sanglants.
Guise[43], était à leur tête, et, bouillant de colère,
Vengeait sur tous les miens les mânes de son père.
Nevers[44], Gondi[45], Tavanne[46], un poignard à la main[47],
Échauffaient les transports de leur zèle inhumain ;
Et, portant devant eux la liste de leurs crimes,
Les conduisaient au meurtre, et marquaient les victimes.
« Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère,

Les époux expirant sous leurs toits embrasés,
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés :
Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre.
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre,
Ce que vous-même encore à peine vous croirez,
Ces monstres furieux, de carnage altérés,
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ;
Et, le bras tout souillé du sang des innocents,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.
« Ô combien de héros indignement périrent !
Resnel[48] et Pardaillan chez les morts descendirent ;
Et vous, brave Guerchy[49], vous, sage Lavardin,
Digne de plus de vie et d’un autre destin[50].
Parmi les malheureux que cette nuit cruelle
Plongea dans les horreurs d’une nuit éternelle[51],
Marsillac et Soubise[52], au trépas condamnés,
Défendent quelque temps leurs jours infortunés.
Sanglants, percés de coups, et respirant à peine,
Jusqu’aux portes du Louvre on les pousse, on les traîne ;
Ils teignent de leur sang ce palais odieux,
En implorant leur roi, qui les trahit tous deux.

« Du haut de ce palais excitant la tempête,
Médicis à loisir contemplait cette fête :
Ses cruels favoris, d’un regard curieux,
Voyaient les flots de sang regorger sous leurs yeux,
Et de Paris en feu les ruines fatales
Étaient de ces héros les pompes triomphales.
« Que dis-je ! ô crime ! ô honte ! Ô comble de nos maux !
Le roi[53], le roi lui-même, au milieu des bourreaux,
Poursuivant des proscrits les troupes égarées,
Du sang de ses sujets souillait ses mains sacrées :
Et ce même Valois que je sers aujourd’hui[54],

Ce roi qui par ma bouche implore votre appui,
Partageant les forfaits de son barbare frère,
À ce honteux carnage excitait sa colère.
Non qu’après tout Valois ait un cœur inhumain,
Rarement dans le sang il a trempé sa main ;
Mais l’exemple du crime assiégeait sa jeunesse ;
Et sa cruauté même était une faiblesse.
« Quelques-uns, il est vrai, dans la foule des morts,
Du fer des assassins trompèrent les efforts.
De Caumont[55], jeune enfant, l’étonnante aventure

Ira de bouche en bouche à la race future.
Son vieux père, accablé sous le fardeau des ans,
Se livrait au sommeil entre ses deux enfants ;
Un lit seul enfermait et les fils et le père.

Les meurtriers ardents, qu’aveuglait la colère,
Sur eux à coups pressés enfoncent le poignard
Sur ce lit malheureux la mort vole au hasard.
« L’Éternel en ses mains tient seul nos destinées ;
Il sait, quand il lui plaît, veiller sur nos années,
Tandis qu’en ses fureurs l’homicide est trompé[56].
D’aucun coup, d’aucun trait, Caumont ne fut frappé.
Un invisible bras, armé pour sa défense,
Aux mains des meurtriers dérobait son enfance ;
Son père, à son côté, sous mille coups mourant,
Le couvrait tout entier de son corps expirant ;
Et, du peuple et du roi trompant la barbarie,
Une seconde fois il lui donna la vie.
« Cependant que faisais-je en ces affreux moments ?
Hélas ! trop assuré sur la foi des serments,
Tranquille au fond du Louvre, et loin du bruit des armes,
Mes sens d’un doux repos goûtaient encor les charmes.
Ô nuit, nuit effroyable ! ô funeste sommeil !
L’appareil de la mort éclaira mon réveil.
On avait massacré mes plus chers domestiques ;
Le sang de tous côtés inondait mes portiques :

Et je n’ouvris les yeux que pour envisager
Les miens que sur le marbre on venait d’égorger[57].
Les assassins sanglants vers mon lit s’avancèrent ;
Leurs parricides mains devant moi se levèrent ;
Je touchais au moment qui terminait mon sort ;
Je présentai ma tête, et j’attendis la mort.
« Mais, soit qu’un vieux respect pour le sang de leurs maîtres
Parlât[58] encor pour moi dans le cœur de ces traîtres ;
Soit que de Médicis l’ingénieux courroux
Trouvât pour moi la mort un supplice trop doux ;
Soit qu’enfin, s’assurant d’un port durant l’orage,
Sa prudente fureur me gardât pour otage,
On réserva ma vie à de nouveaux revers,
Et bientôt de sa part on m’apporta des fers[59].
« Coligny, plus heureux et plus digne d’envie,
Du moins, en succombant, ne perdit que la vie ;
Sa liberté, sa gloire au tombeau le suivit…
Vous frémissez, madame, à cet affreux récit :
Tant d’horreur vous surprend ; mais de leur barbarie
Je ne vous ai conté que la moindre partie.
On eût dit que, du haut de son Louvre fatal,
Médicis à la France eût donné le signal ;

Tout imita Paris[60] : la mort sans résistance
Couvrit en un moment la face de la France.
Quand un roi veut le crime, il est trop obéi !
Par cent mille assassins son courroux fut servi ;
Et des fleuves français les eaux ensanglantées
Ne portaient que des morts aux mers épouvantées[61].

  1. Il n'y a que ce seul chant dans lequel l'auteur n'ait jamais rien changé. (Note de Voltaire, 1756 à 1775.) — La tradition veut que Voltaire ait compose tout ce chant en dormant, lorsqu'il était détenu à la Bastille, et qu'à son réveil il l’ait retenu par cœur. Mais le président Hénault nous apprend, dans ses Mémoires, que si Voltaire le fit sans encre ni papier, dans la tour de la Basinière, il était bien éveillé, et qu'il écrivit ses vers au crayon entre les lignes d'un livre qu'il avait. Quoi que le poète dise ici, il y eut des variantes dans ce chant comme dans les autres. Voyez page 88. (G. A.)
  2. Quelques lecteurs peu attentifs pourront s'effaroucher de la hardiesse de ces expressions. Il est juste de ménager sur cela leur scrupule, et de leur faire considérer que les mêmes paroles qui seraient une impiété dans la bouche d'un catholique sont très-séantes dans celle du roi de Navarre. Il était alors calviniste. Beaucoup de nos historiens mêmes nous le peignent flottant entre les deux religions; et certainement, s'il ne jugeait de l'une et de l'autre que par la conduite des deux partis, il devait se défier des deux cultes, qui n'étaient soutenus alors que par des crimes. (Id., 1723.) On le donne ici pour un homme d'honneur, tel qu'il était, cherchant de bonne foi à s'éclairer, ami de la vérité, ennemi de la persécution, et détestant le crime partout où il se trouve. {Id., 1730.)
  3. Molière a dit dans Tartuffe, acte IV, scène ire :
    Des intérêts du ciel pourquoi vous chargez-vous?....
    Laissez-lui, laissez-lui le soin de sa vengeance.
  4. François, duc de Guise, appelé communément alors le grand duc de Guise, était père du Balafré. Ce fut lui qui, avec le cardinal son frère, jeta les fondements de la Ligue. Il avait de très-grandes qualités, qu'il faut bien se donner de garde de confondre avec la vertu.



    Le président de Thou, ce grand historien, rapporte que François de Guise voulut faire assassiner Antoine de Navarre, père de Henri IV, dans la chambre de
    François II. Il avait engagé ce jeune roi à permettre ce meurtre. Antoine de Navarre avait le cœur hardi, quoique l'esprit faible. Il fut informé du complot, et ne laissa pas d'entrer dans la chambre où on devait l'assassiner. « S'ils me tuent, dit-il à Reinsi, gentilhomme à lui, prenez ma chemise toute sanglante, portez-la à mon fils et à ma femme; ils liront dans mon sang ce qu'ils doivent faire pour me venger. » François II n'osa pas, dit M. de Thou, se souiller de ce crime; et le duc de Guise, en sortant de la chambre, s'écria : Le pauvre roi que nous avons! (Note de Voltaire, 1730.)
  5. On lit dans Tartuffe, acte Ier, scène vi :
    Et pour perdre quelqu'un couvrent insolemment
    De l'intérêt du ciel leur fier ressentiment.
  6. M. de Castelnau, envoyé de France auprès de la reine Elisabeth, parle ainsi d'elle :



    « Cette princesse avait toutes les plus grandes qualités requises pour régner heureusement. On pourrait dire de son règne ce qui advint au temps d'Auguste
    lorsque le temple de Janus fut fermé, etc. » (Note de Voltaire, 1730.)
  7. Catherine de Médicis se brouilla avec son fils Charles IX sur la fin de la vie de ce prince, et ensuite avec Henri III. Elle avait été si ouvertement mécontente du gouvernement de François II, qu'on l'avait soupçonnée, quoique injustement, d'avoir hâté la mort de ce roi. (Id., 1730.)
  8. Dans les Mémoires de la Ligue, on trouve une lettre de Catherine de Médicis au prince de Condé, par laquelle elle le remercie d'avoir pris les armes contre la cour. (Id., 1730.)
  9. Elle fut accusée d'avoir eu des intrigues avec le vidame de Chartres, mort à la Bastille, et avec un gentilhomme breton, nommé Moscouët. (Id., 1730.)
  10. Quand elle crut la bataille de Dreux perdue, et les protestants vainqueurs : « Eh bien, dit-elle, nous prierons Dieu en français. » (Id., 1730.)
  11. Elle était assez faible pour croire à la magie; témoin les talismans qu'on trouva après sa mort. (Id., 1730.)
  12. Racine avait dit dans Bajazet, acte Ier, scène ire :
    Traîne, exempt de péril, une éternelle enfance.
  13. La bataille de Dreux fut la première bataille rangée qui se donna entre le parti catholique et le parti protestant. Ce fut en 1562. (Note de Voltaire, 1730.)
  14. Anne de Montmorency, homme opiniâtre et inflexible, le plus malheureux général de son temps, fait prisonnier à Pavie et à Dreux, battu à Saint-Quentin par Philippe II, fut enfin blessé à mort à la bataille de Saint-Denis, par un Anglais nommé Stuart, le même qui l'avait pris à la bataille de Dreux, (Id., 1730.)
  15. Boileau, épître IV, vers 123, a dit:
    Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint.
  16. C'est ce même François de Guise cité ci-dessus, fameux par la défense de Metz contre Charles-Quint. Il assiégeait les protestants dans Orléans, en 1563, lorsque Poltrot de Méré, gentilhomme angoumois, le tua par derrière d'un coup de pistolet chargé de trois balles empoisonnées. Il mourut à l'âge de quarante-quatre ans, comblé de gloire, et regretté des catholiques. (Id., 1730.)
  17. Antoine de Bourbon, roi de Navarre, père du plus intrépide et du plus ferme de tous les hommes, fut le plus faible et le moins décidé : il était huguenot, et sa femme, catholique. Ils changèrent tous deux de religion presque en même temps. Jeanne d'Albret fut depuis huguenote opiniâtre; mais Antoine chancela toujours dans sa catholicité, jusque-là même qu'on douta dans quelle religion il mourut. Il porta les armes contre les protestants, qu'il aimait, et servit Catherine de Médicis, qu'il détestait, et le parti des Guises, qui l'opprimait. Il songea à la régence après la mort de François II. La reine mère l'envoya chercher : « Je sais, lui dit-elle, que vous prétendez au gouvernement; je veux que vous me le cédiez tout à l'heure par un écrit de votre main, et que vous vous engagiez à me remettre la régence, si les états vous la défèrent. » Antoine de Bourbon donna l'écrit que la reine lui demandait, et signa ainsi son déshonneur. C'est à cette occasion que l'on fit ces vers, que j'ai lus dans les manuscrits de M. le premier président de Mesmes :
    Marc-Antoine, qui pouvoit être
    Le plus grand seigneur et le maître
    De son pays, s'oublia tant,
    Qu'il se contenta d'être Antoine,
    Servant lâchement une roine*.
    Le Navarrois en fait autant.
    Après la fameuse conjuration d'Amboise, un nombre infini de gentilshommes vinrent offrir leurs services et leurs vies à Antoine de Navarre ; il se mit à leur tête; mais il les congédia bientôt, en leur promettant de demander grâce pour eux. « Songez seulement à l'obtenir pour vous, lui répondit un vieux capitaine; la nôtre est au bout de nos épées. » Il mourut à quarante-quatre ans, au même âge que le duc de Guise, d'un coup d’arquebuse reçu dans l'épaule gauche au siège de Rouen, où il commandait. Sa mort arriva le 17 novembre 1562, le trente-cinquième jour de sa blessure. L'incertitude qu'il avait eue pendant sa vie le troubla dans ses derniers moments; et, quoiqu'il eût reçu les sacrements selon l'usage de l'Église romaine, on douta s'il ne mourut point protestant. Il avait reçu le coup mortel dans la tranchée, dans le temps qu'il pissait : aussi lui fit-on cette épitaphe :
    Ami François, le prince ici gisant
    Vécut sans gloire, et mourut en pissant.
    Il y en a une dans M. Le Laboureur qui ressemble à celle-là, et finit par le même hémistiche. M. Jurieu assure que lorsque Louis, prince de Condé, était en prison à Orléans, le roi de Navarre, son frère, allait solliciter le cardinal de Lorraine, et que celui-ci recevait, assis et couvert, le roi de Navarre, qui lui parlait debout et nu-tête; je ne sais où M. Jurieu a pu déterrer ce fait. (Note de Voltaire, 1723.) — Dans l'édition de 1730, cette note a été réduite à sept lignes. Voltaire, au commencement de son Essai sur les guerres civiles de France, qui est dans le présent volume, reparle du changement de religion du père et de la mère de Henri IV. (B.) *Cléopâtre. (1723.)
  18. Louis de Condé, frère d'Antoine, roi de Navarre, le septième et dernier des enfants de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, fut un de ces hommes extraordinaires nés pour le malheur et pour la gloire de leur patrie. Il fut longtemps le chef des réformes, et mourut, comme l'on sait, à Jarnac. Il avait un bras en écharpe le jour de la bataille. Comme il marchait aux ennemis, le cheval du comte de La Rochefoucauld, son beau-frère, lui donna un coup de pied qui lui cassa la jambe. Ce prince, sans daigner se plaindre, s'adressa aux gentilshommes qui l'accompagnaient : « Apprenez, leur dit-il, que les chevaux fougueux nuisent plus qu'ils ne servent dans une armée. » Un instant après il leur dit, avec un bras en écharpe et une jambe cassée : « Le prince de Condé ne craint point de donner la bataille, puisque vous le suivez; » et chargea dans le moment. Brantôme dit qu'après que le prince se fut rendu prisonnier à Dargence, dans cette bataille, arriva un très-honnête et très-brave gentilhomme, nommé Montesquiou, qui, ayant demandé qui c'était, comme on lui dit que c'était M. le prince de Condé : « Tuez, tuez, mordieu ! » dit-il, et lui tira un coup de pistolet dans la tête. (Note de Voltaire, l723.) — Montesquiou était capitaine des gardes du duc d'Anjou, depuis Henri III. Le comte de Soissons, fils cadet du prince de Condé, chercha partout Montesquiou et ses parents, pour les sacrifier à sa vengeance. {Id., 1730.) Henri IV était à la journée de Jarnac, quoiqu'il n'eût pas quatorze ans, et remarqua les fautes qui firent perdre la bataille. (Id., 1730.) Le prince de Condé était bossu et petit, et cependant plein d'agréments, spirituel, galant, aimé des femmes. On fit sur lui ce vaudeville :
    Ce petit homme tant joli,
    Qui toujours cause et toujours rit,
    Et toujours baise sa mignonne :
    Dieu gard' de mal ce petit homme! (Id , 1723.)
    La maréchale de Saint-André se ruina pour lui, et lui donna, entre autres présents, la terre de Vallery, qui depuis est devenue la sépulture des princes de la maison de Condé. Jamais général ne fut plus aimé de ses soldats : on on vit à Pont-à-Mousson un exemple étonnant. Il manquait d'argent pour ses troupes, et surtout pour les reîtres, qui étaient venus à son secours, et qui menaçaient de l'abandonner : il osa proposer à son armée, qu'il ne payait point, de payer elle-même l'armée auxiliaire; et, ce qui ne pouvait jamais arriver que dans une guerre de religion et sous un général tel que lui, toute son armée se cotisa, jusqu'au moindre goujat. Il fut condamné, sous François II, à Orléans, à perdre la tête; mais on ignore si l'arrêt fut signé. La France fut étonnée de voir un pair, prince du sang, qui ne pouvait être jugé que par la cour des pairs, les chambres assemblées, obligé de répondre devant des commissaires ; mais ce qui parut le plus étrange fut que ces commissaires mêmes fussent tirés du corps du parlement. C'étaient Christophe de Thou, depuis premier président, et père de l'historien ; Barthélémy Faye, Jacques Viole, conseillers; Bourdin, procureur général, et du Tillet, greffier, qui tous, en acceptant cette commission, dérogeaient à leurs privilèges, et s'étaient par là la liberté de réclamer leurs droits, si jamais on leur eût voulu donner à eux-mêmes, dans l'occasion, d'autres juges que leurs juges naturels, (Id., 1723. ) — On prétend que Mme Renée de France, fille de Louis XII et duchesse de Ferrare, qui arriva en France dans ce même temps, ne contribua pas peu à empêcher l'exécution de l'arrêt. (Id., 1741.) Il ne faut pas omettre un artifice de cour dont on se servit pour perdre ce prince, qui se nommait Louis. Ses ennemis firent frapper une médaille qui le représentait : il y avait pour légende, louis xiii, roi de france. On fit tomber cette médaille entre les mains du connétable de Montmorency, qui la montra tout en colère au roi, persuadé que le prince de Condé l'avait fait frapper. (Id., 1723). — Il est parlé de cette médaille dans Brantôme et dans Vigneul de Marville. (Id., 1741.)
  19. Racine a dit (Esther, acte Ier, scène ire) :
    Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
    Me tint lieu, chère Elise, et de père et de mère.
  20. Gaspard de Coligny, amiral de France, fils de Gaspard de Coligny, maréchal de France, et de Louise de Montmorency, sœur du connétable; né à Châtillon
    le 16 février 1516 (Note de Voltaire, 1730), après la mort du prince de Condé, fut déclaré chef du parti des reformes en France. Catherine de Médicis et Charles IX surent l'attirer à la cour pour le mariage de Henri IV et de Marguerite de Valois, sœur de Charles IX et de Henri III. Il fut massacré le jour de la Saint-Barthélémy : c'était principalement à ce grand homme qu'on en voulait. (Id., 1741.)



    Quelques personnes ont reproché à l’auteur de la Henriade d'avoir fait son héros, dans ce second chant, d'un huguenot révolté contre son roi, et accusé par la voix publique de l'assassinat de François de Guise. Cette critique louable est fondée sur l'obéissance au souverain, qui doit faire le principal caractère d'un héros français; mais il faut considérer que c'est ici Henri IV qui parle. Il avait fait ses premières campagnes sous l'amiral, qui lui avait tenu lieu de père; il avait été accoutumé à le respecter, et ne devait ni ne pouvait le soupçonner d'aucune action indigne d'un grand homme, surtout après la justification publique de Coligny, qui ne pouvait point paraître douteuse au roi de Navarre.



    A l'égard de la révolte, ce n'était pas à ce prince à regarder comme un crime dans l’amiral son union avec la maison de Bourbon contre des Lorrains et une Italienne. Quant à la religion, ils étaient tous deux protestants; et les huguenots, dont Henri IV était le chef, regardaient l'amiral comme un martyr. (Id., 1723.)



    — Dans l'édition de 1723, au lieu de Quelques personnes ont reproché à l'auteur, etc., on lit : Quelques personnes m'ont reproché, etc.; ce qui ne laisse aucun doute que Voltaire soit l'auteur de cet alinéa et du suivant. (B.)
  21. Boileau a dit, épître VII, vers 59 :
    Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue.
  22. Voltaire lui-même indique cette expression comme étant de Corneille. Voyez le Cid, acte Ier, scène vi.
  23. On lit dans Phèdre, acte IV, scène vi :
    Et leur osent du crimo aplanir le chemin.
  24. Racine a dit dans Iphigénie, acte III, scène iii :
    Puis-je ne point chérir l'heureuse occasion
    D'aller du sang troyen sceller notre union?
  25. Racine a dit (Esther, acte III, scène i) :
    Les perfides bienfaits.
  26. On lit dans Virgile (Æn., II) :
    · · · · · · · · · · Aut ulla putatis
    Dona carere dolis Danaum? · · · · · · · · · ·
    Quidquid id est, timeo Danaos et dona ferentes.
  27. Dans Mithridate, acte IV, scène iv, on lit :
    Dans l'ombre du secret.
  28. On a prétendu que le projet du massacre des huguenots était formé depuis huit années; que le duc d'Albe en avait donné le conseil à Catherine de Médicis dans les conférences qu'il eut avec elle à Bordeaux.



    D'autres croient que le projet ne fut formé que dans le temps de la dernière paix avec les huguenots. M. de Voltaire était de cette opinion; autrement il n'aurait pas dit :
    Dans l'ombre du secret, depuis peu Médicis
    A la fourbe, au parjure, avait formé son fils.



    Quelques écrivains ont même avancé que Charles IX ne savait rien encore du projet lorsque l'amiral fut blessé ; qu'il était de bonne foi lorsqu'il jura de punir les assassins de l'amiral; qu'alors la reine lui avoua qu'elle était un des complices, le lit consentir en un instant à commettre le même crime dont il venait de jurer qu'il tirerait vengeance, et à faire égorger cent mille de ses sujets, à qui il venait de pardonner.



    D'autres enfin ont cru que le projet de la reine était de faire tuer l'amiral par des assassins aux gages du duc de Guise, de faire ensuite attaquer par les gardes le duc et ses satellites; qu'alors Charles IX, délivré à la fois des deux chefs de parti qu'il pouvait craindre, aurait, aux yeux de toute l'Europe, l'honneur d'avoir puni le crime du duc de Guise. L'habileté du Balafré fit manquer ce projet.



    Nous ne discuterons pas ici toutes ces opinions, dont les trois premières sont appuyées sur des probabilités assez fortes. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on mit dans l'exécution du projet autant d'irrésolution que d'atrocité ; que les chefs n'étaient d'accord entre eux sur rien; que le duc de Guise voulait envelopper dans le massacre toutes les grandes familles fidèles au roi; qu'il multiplia les victimes; que lorsque Charles IX vint au parlement accuser avec tant de lâcheté l'amiral d'une prétendue conspiration, il était prêt, et peut-être avait déjà envoyé des contre-ordres dans les provinces; que les ordres n'émanaient point tous de lui; qu'enfin le fanatisme populaire, la barbarie de Charles IX, du duc d'Anjou, et de sa mère, ne furent en cette occasion que les instruments de projets dont eux-mêmes devaient être les victimes. (K.)
  29. Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, fut mariée à Henri IV en l572, peu de jours avant les massacres. (Note de Voltaire, 1730.)
  30. Le pape refusait à Marguerite de Valois la permission d'épouser Henri IV. « Si mons du pape fait trop la bête, dit Charles IX avec ses jurements ordinaires, je prendrai moi-même Margot par la main, et la mènerai épouser en plein prêche. » Enfin le pape se rendit, et Marguerite fut mariée à la porte de Notre-Dame de Paris par le cardinal de Bourbon, oncle de Henri IV. Charles IX parlait-il de bonne foi? ou la colère apparente contre le pape était-elle le fruit de la dissimulation? Ce pape, qui depuis approuva la Saint-Barthélémy, était-il instruit du complot lorsqu'il accorda la dispense? (K.)
  31. Jeanne d'Albret, attirée à Paris avec les autres huguenots, mourut après cinq jours d'une fièvre maligne : le temps de sa mort, les massacres qui la suivirent, la crainte que son courage aurait pu donner à la cour, enfin sa maladie, qui commença après avoir acheté des gants et des collets parfumés chez un parfumeur nommé René, venu de Florence avec la reine, et qui passait pour un empoisonneur public; tout cela fit croire qu'elle était morte de poison. On dit même que ce René se vanta de son crime, et osa dire qu'il en préparait autant à deux grands seigneurs qui ne s'en doutaient pas. Mézeray, dans sa grande histoire, semble favoriser cette opinion, en disant que les chirurgiens qui ouvrirent le corps de la reine ne touchèrent point à la tête, où l'on soupçonnait que le poison avait laissé des traces trop visibles. On n'a point voulu mettre ces soupçons dans la bouche de Henri IV, parce qu'il est juste de se défier de ces idées qui n'attribuent jamais la mort des grands à des causes naturelles. Le peuple, sans rien approfondir, regarde toujours comme coupables de la mort d'un prince ceux à qui cette mort est utile. On poussa la licence de ces soupçons jusqu'à accuser Catherine de Médicis de la mort de ses propres enfants; cependant il n'y a jamais eu de preuves ni que ces princes, ni que Jeanne d'Albret, dont il est ici question, soient morts empoisonnés.



    Il n'est pas vrai, comme le prétend Mézeray, qu'on n'ouvrit point le cerveau de la reine de Navarre; elle avait recommandé expressément qu'on visitât avec exactitude cette partie après sa mort. Elle avait été tourmentée toute sa vie de grandes douleurs de tête, accompagnées de démangeaisons, et avait ordonné qu'on cherchât soigneusement la cause de ce mal, afin qu'on pût le guérir dans ses enfants s'ils en étaient atteints. La Chronologie novennaire rapporte formellement que Caillard, son médecin, et Desnœuds, son chirurgien, disséquèrent son cerveau, qu'ils trouvèrent très-sain; qu'ils aperçurent seulement de petites bulles d'eau logées entre le crâne et la pellicule qui enveloppe le cerveau, et qu'ils jugèrent être la cause des maux de tête dont la reine s'était plainte : ils attestèrent d'ailleurs qu'elle était morte d'un abcès formé dans la poitrine. Il est à remarquer que ceux qui l'ouvrirent étaient , et qu'apparemment ils auraient parlé de poison s'ils y avaient trouve quelque vraisemblance. On peut me répondre qu'ils furent gagnés par la cour : mais Desnœuds, chirurgien de Jeanne d'Albret, huguenot passionné, écrivit depuis des libelles contre la cour; ce qu'il n'eût pas fait s'il se fût vendu à elle; et, dans ces libelles, il ne dit point que Jeanne d'Albret ait été empoisonnée. De plus il n'est pas croyable qu'une femme aussi habile que Catherine de Médicis eût chargé d'une pareille commission un misérable parfumeur, qui avait, dit-on, l'insolence de s'en vanter. Jeanne d'Albret était née, en 1530, de Henri d'Albret, roi de Navarre, et de Marguerite de Valois, sœur de François Ier. A l'âge de douze ans, Jeanne fut mariée à Guillaume, duc de Clèves; elle n'habita pas avec son mari. Le mariage fut déclaré nul deux ans après par le pape Paul III, et elle épousa Antoine de Bourbon. Ce second mariage, contracté du vivant du premier mari, donna lieu depuis aux prédicateurs de la Ligue de dire publiquement, dans leurs sermons contre Henri IV, qu'il était bâtard; mais ce qu'il y eut de plus étrange fut que les Guises, et entre autres ce François de Guise qu'on dit avoir été si bon chrétien, abusèrent de la faiblesse d'Antoine de Bourbon au point de lui persuader de répudier sa femme, dont il avait des enfants, pour épouser leur nièce, et se donner entièrement à eux. Peu s'en fallut que le roi de Navarre ne donnât dans ce piège. Jeanne d'Albret mourut à quarante-deux ans, le 9 juin 1572. M. Bayle, dans ses Réponses aux questions d'un provincial, dit qu’on avait vu de son temps, en Hollande, le fils d"un ministre, nommé Goyon, qui passait pour petit-fils de cette reine. On prétendait qu'après la mort d'Antoine de Navarre, elle s'était mariée à un gentilhomme nommé Goyon, dont elle avait eu ce ministre. (Note de Voltaire, 1723.)
  32. Ce vers est dans Artémire, acte I, scène i; voyez t. Ier du Théâtre, p. 126.
  33. Racine a dit (Bajazet, acte II, scène i) :
    Prince, l'heure fatale est enfin arrivée
    Qu'à votre liberté le ciel a réservée.
  34. Ici commence la célèbre peinture du massacre de la Saint-Barthélémy.
  35. Ce fut la nuit du 23 au 24 août, fête de saint Barthélémy, en 1572, que s'exécuta cette sanglante tragédie.



    L'amiral était logé dans la rue Bétizy, dans une maison qui est à présent une auberge, appelée l'hôtel Saint-Pierre, où l'on voit encore sa chambre. (Note de Voltaire, 1730.)
  36. Malherbe, dans son Ode à la reine sur sa bienvenue en France, a dit :
    Des mois l'inégale courrière.
  37. Boileau, dans son Lutrin, II, 104, a dit :
    Et toujours le sommeil lui verse des pavots.
  38. Ce vers et les suivants sont encore imités de Boileau, épître IV :
    Lorsqu'un cri, tout à coup suivi de mille cris, etc.
  39. Le comte de Téligny avait épousé, il y avait dix mois, la fille de l’amiral. Il avait un visage si agréable et si doux que les premiers qui étaient venus pour le tuer s'étaient laissé attendrir à sa vue; mais d'autres plus barbares le massacrèrent. (Note de Voltaire, 1730.)
  40. Besme était un Allemand, domestique de la maison de Guise. Ce misérable étant depuis pris par les protestants, les Rochellois voulurent l'acheter pour le faire écarteler dans leur place publique. Ils proposèrent ensuite de l'échanger contre le brave Montbrun, chef des protestants du Dauphiné, à qui le parlement de Grenoble faisait alors le procès. Montbrun fut exécuté, et Besme tué par un nommé Bretanville. (Note de Voltaire, 1730.)



    — Cette note est conforme aux éditions de Kehl. Dans toutes les éditions du vivant de l'auteur, de 1730 à 1775, au lieu des deux dernières phrases, on lisait seulement : « mais il fut tué par un nommé Bretanville. »



    On a reproché à Voltaire d'avoir dit que Besme était Allemand, tandis qu'il était Bohémien. Mais ne peut-on pas comprendre la Bohême dans l'Allemagne? (B.) — Mais il est sûr qu'on porta sa tête à la reine, avec un coffre plein de papiers, parmi lesquels était l'histoire du temps, écrite de la main de Coligny. (Id., 1730.) — On y trouva aussi plusieurs mémoires sur les affaires publiques. Un de ces mémoires avait pour objet d'engager Charles à faire la guerre aux Anglais. Charles IX fit lire ce mémoire à l'ambassadeur d'Angleterre, qui se plaignait à lui de la trahison faite aux protestants, et qui n'en méprisa que plus la politique de la cour de France. Un autre mémoire montrait les dangers auxquels il exposerait la tranquillité de l'État s'il donnait un apanage à son frère le duc d'Alençon : on le montra à ce jeune prince, qui regrettait l'amiral. « Je ne sais pas, répondit-il après l'avoir lu, si ce mémoire est d'un de mes amis, mais il est sûrement d'un sujet fidèle. » (K.) La populace traîna le corps de l'amiral par les rues, et le pendit par les pieds avec une chaîne de fer au gibet de Moutfaucon. (Id., 1723.) — Le roi eut la cruauté d'aller lui-même avec sa cour à Montfaucon jouir de cet horrible spectacle. Quelqu'un lui ayant dit que le corps de l'amiral sentait mauvais, il répondit, comme Vitellius : « Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon. » (Id., 1723 et 1730.) Il alla au parlement accuser l'amiral d'une conspiration, et le parlement rendit un arrêt contre le mort, par lequel il ordonna que son corps, après avoir été traîné sur une claie, serait pendu en Grève, ses enfants déclarés roturiers et incapables de posséder aucune charge, sa maison de Châtillon-sur-Loing rasée, les arbres coupés, etc.; et que tous, les ans on ferait une procession, le jour de la Saint-Barthélémy, pour remercier Dieu de la découverte de la conspiration, à laquelle l'amiral n'avait pas songé. Malgré cet arrêt, la fille de l'amiral, veuve de Téligny, épousa peu de temps après le prince d'Orange. (Id., 1723, et K.) Le parlement avait mis quelques années auparavant sa tête à cinquante mille écus; il est assez singulier que ce soit précisément le même prix qu'il mit depuis à celle du cardinal Mazarin. Le génie des Français est de tourner en plaisanterie les événements les plus affreux : on débita un petit écrit intitulé Passio Domini nostri Gaspardi Coligni, secundum Bartholomœum. (Id., 1723.) Mézeray rapporte, dans sa grande histoire, un fait dont il est très-permis de douter. Il dit que, quelques années auparavant, le gardien du couvent des cordeliers de Saintes, nommé Michel Crellet, condamné par l'amiral à être pendu, lui prédit qu'il mourrait assassiné, qu'il serait jeté par les fenêtres, et ensuite pendu lui-même. De nos jours, un financier ayant acheté une terre qui avait appartenu aux Coligny, y trouva dans le parc, à quelques pieds sous terre, un coffre de fer rempli de papiers qu'il fit jeter au feu, comme ne produisant aucun revenu. (Id., 1723.) Le Publicisle du 27 messidor an XII (ler juillet 1804) contient un article intitulé Monument de l’amiral Gaspard de Coligny, où il est dit que des amis de l'amiral recueillirent ses restes, et les déposèrent dans les caves du château de Châtillon. Le duc de Luxembourg, propriétaire de ce château en 1780, céda les restes de Coligny à M. de Montesquieu, qui les fit transporter dans sa terre de Maupertuis, où il érigea un mausolée sur l'une des faces duquel on lisait, en caractères de trois pouces : Ici reposent et sont honorés enfin, après plus de deux siècles, les restes de Gaspard Coligny, amiral de France, tué à la Saint-Barthéleniy le xxiv août mdlxxii. (B.)
  41. Il est impossible de savoir s'il est vrai que Catherine deMédicis ait envoyé la tête de l'amiral à Rome, comme l'assurent les protestants. (Note de Voltaire, 1723.)
  42. Voltaire a dit dans OEdipe, acte I, scène iii :
    Et que son corps sanglant, privé de sépulture,
    Des vautours dévorants devienne la pâture.

    Ce qui est une réminiscence d'Homère, Iliade, chant Ier, vers 3-5.
  43. C'était Henri, duc de Guise, surnommé le Balafré, fameux depuis par les barricades, et qui fut tué à Blois. Il était fils du duc François, assassiné par Poltrot. (Note de Voltaire, 1730.)
  44. Frédéric de Gonzague, de la maison de Mantoue, duc de Nevers, l'un des auteurs de la Saint-Barthélémy, (Id. 1730.)
  45. Albert de Gondi, maréchal de Retz, favori de Catherine de Médicis. (Id.,1730.) — C'était lui qui avait appris à Charles IX à jurer et à renier Dieu, comme on disait dans ces temps-là. (K.)
  46. Gaspard de Tavannes, élevé page de Français Ier. Il courait dans les rues la nuit de la Saint-Barthélémy, criant: « Saignez, saignez; la saignée est aussi bonne au mois d'août qu'au mois de mai. » Son fils, qui a écrit des mémoires, rapporte que son père, étant au lit de la mort, fit une confession générale de sa vie, et que le confesseur lui ayant dit d'un air étonné : « Quoi ! vous ne parlez point de la Saint-Barthélémy? — Je la regarde, répondit le maréchal, comme une action méritoire qui doit effacer mes autres péchés. » {Id.. 1730.)
  47. Imitation de Racine (Athalie, acte I, scène ii) :
    Un poignard à la main, l'implacable Athalie,
    Au carnage animait ses barbares soldats.
  48. Antoine de Clcrmont-Resnel, se sauvant en chomise, fut massacré par le fils du baron des Adrets, et par son propre cousin Bussy d'Amboise.



    Le marquis de Pardaillan fut tue à côté de lui. (Note de Voltaire, 1730.)
  49. Guerchy se défendit longtemps dans la rue, et tua quelques meurtriers avant d'être accablé par le nombre; mais le marquis de Lavardin n'eut pas le temps de tirer l'épée. (Id., 1730.)
  50. Dans une épître au duc de Bouillon, Chaulieu a dit :
    Dignes de plus de vie et de plus de fortune.
  51. Ces vers rappellent ceux de Racine (Andromaque, acte III, scène viii) :
    Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
    Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
  52. Marsillac, comte de La Rochefoucauld, était favori de Charles IX, et avait passé une partie de la nuit avec le roi. Ce prince avait eu quelque envie de le sauver, et lui avait même dit de coucher dans le Louvre; mais enfin il le laissa aller en disant : « Je vois bien que Dieu veut qu'il périsse. »



    Soubise portait ce nom, parce qu'il avait épousé l'héritière de la maison de Soubise. Il s'appelait Dupont-Quellenec. Il se défendit très-longtemps, et tomba percé de coups sous les fenêtres de la reine. Comme sa femme lui avait intenté un procès pour cause d'impuissance, les dames de la cour allèrent voir son corps nu et tout sanglant, par une curiosité barbare digne de cette cour abominable. (Note de Voltaire, 1730.)
  53. Voici ce que Brantôme ne fait pas difficulté d'avouer lui-même dans ses mémoires : « Quand il fut jour, le roi mit la tête à la fenêtre de sa chambre, et voyant aucuns dans le faubourg Saint-Germain qui se remuoient et se sauvoient, il prit une grande arquebuse de chasse qu'il avoit, et en tiroit tout plein de coups à eux, mais en vain, car l'arquebuse ne tiroit si loin; incessamment crioit : Tuez, tuez. »



    Plusieurs personnes ont entendu conter à M. le maréchal de Tessé que, dans son enfance, il avait vu un gentilhomme âgé de plus de cent ans, qui avait été fort jeune dans les gardes de Charles IX. Il interrogea ce vieillard sur la Saint-Barthélémy, et lui demanda s'il était vrai que le roi eût tiré sur les huguenots. « C'était moi, monsieur, répondit le vieillard, qui chargeais son arquebuse. »



    Henri IV dit publiquement plus d'une fois qu'après la Saint-Barthélémy une nuée de corbeaux était venue se percher sur le Louvre, et que, pendant sept nuits, le roi, lui, et toute la cour, entendirent des gémissements et des cris épouvantables à la même heure. Il racontait un prodige encore plus étrange : il disait que, quelques jours avant les massacres, jouant aux dés avec le duc d'Alençon et le duc de Guise, il vit des gouttes de sang sur la table ; que par deux fois il les fit essuyer, que deux fois elles reparurent, et qu'il quitta le jeu saisi d'effroi. (Note de Voltaire, 1723.)



    — Je crois que le commencement de cette note est des éditeurs de Kehl. Dans l'édition de 1723, au lieu du premier alinéa, on lisait : « Charles IX avait eu la barbarie de tirer lui-même, avec une arquebuse, sur les huguenots qu'il voyait fuir. »



    Cette phrase fut supprimée dans les éditions postérieures à 1724; mais dans les éditions de 1730 à 1775, au lieu de : « Plusieurs personnes ont entendu, etc, » il y a : « J'ai entendu. »



    Voltaire reparle de la barbarie que Charles IX eut de tirer sur les protestants, dans son Essai sur les guerres civiles, qui fait partie du présent volume. (B.)
  54. On trouve dans les Mémoires de Villeroi un discours de Henri III à un de ses confidents, sur la Saint-Barthélémy, où ce prince disculpe Charles IX, et accuse sa mère et lui-même. Charles IX, suivant ce récit, fut entraîné par les sollicitations de sa mère et de son frère, qui lui avouèrent que l'assassinat de Coligny s'était commis par leur ordre, et qu'il fallait ou les immoler à l'amiral, ou ordonner le massacre des protestants, pour lequel ils avaient d'avance pris des mesures. M. de Voltaire ne pouvait admettre ce récit sans rendre Valois trop odieux : d'ailleurs cette pièce n'est rien moins qu'authentique. (K.)
  55. Caumont, qui échappa à la Saint-Barthélemy, est le fameux maréchal de La
    Force, qui depuis se fit une si grande réputation, et qui vécut jusqu'à l'àge de quatre-vingt-quatre ans. (Note de Voltaire, 1723.) — Il a laissé des mémoires qui n'ont point été imprimés, et qui doivent être encore dans la maison de La Force. (Id., 1730.)



    Mézeray, dans sa grande histoire, dit que le jeune Caumont, son père, et son frère, couchaient dans un même lit; que son père et son frère furent massacrés, et qu'il échappa comme par miracle, etc. C'est sur la foi de cet historien que j'ai mis en vers cette aventure. (Id., 1723.)

    Les circonstances dont Mézeray appuie son récit ne me permettaient pas de douter de la vérité du fait, tel qu'il le rapporte: mais depuis, M. le duc de La Force m’a fait voir les mémoires manuscrits de ce même maréchal de La Force, écrits de sa propre main. Le maréchal y conte son aventure d'une autre façon : cela fait voir comme il faut se fier aux historiens.

    Voici l'extrait des particularités curieuses que le maréchal de La Force raconte de la Saint-Barthélémy :

    Deux jours avant la Saint-Barthélémy, le roi avait ordonné au parlement de relâcher un officier qui était prisonnier à la Conciergerie; le parlement n'en ayant rien fait, le roi avait envoyé quelques-uns de ses gardes enfoncer les portes de la prison, et tirer de force le prisonnier. Le lendemain, le parlement vint faire ses remontrances au roi : tous ces messieurs avaient mis leurs bras en écharpe, pour faire voir à Charles IX qu'il avait estropié la justice. Tout cela avait fait beaucoup de bruit; et, au commencement du massacre, on persuada d'abord aux huguenots que le tumulte qu'ils entendaient venait d'une sédition excitée daus le peuple à l'occasion de l'affaire du parlement.

    Cependant un maquignon, qui avait vu le duc de Guise entrer avec des satellites chez l'amiral de Coligny, et qui, se glissant dans la foule, avait été témoin de l'assassinat de ce seigneur, courut aussitôt en donner avis au sieur de Caumont de La Force, à qui il avait vendu dix chevaux huit jours auparavant.

    La Force et ses deux fils logeaient au faubourg Saint-Germain, aussi bien que plusieurs calvinistes. Il n'y avait point encore de pont qui joignît ce faubourg à la ville. On s'était saisi de tous les bateaux par ordre de la cour, pour faire passer les assassins dans le faubourg. Ce maquignon se jette à la nage, passe à l'autre bord, et avertit M. de La Force de son danger. La Force était déjà sorti de sa maison; il avait encore eu le temps de se sauver; mais, voyant que ses enfants ne venaient pas, il retourna les chercher. A peine est-il rentré chez lui, que les assassins arrivent : un nommé Martin, à leur tête, entre dans sa chambre, le désarme, lui et ses deux enfants, et lui dit, avec des serments affreux, qu'il faut mourir. La Force lui proposa une rançon de deux mille ccus : le capitaine l'accepte; La Force lui jure de la payer dans deux jours; et aussitôt les assassins, après avoir tout pillé dans la maison, disent à La Force et à ses enfants de mettre leurs mouchoirs eu croix sur leurs chapeaux, et leur font retrousser leur manche droite sur l'épaule : c'était la marque des meurtriers. En cet état ils leur font passer la rivière, et les amènent dans la ville. Le maréchal de La Force assure qu'il vit la rivière couverte de morts. Son père, son frère, et lui, abordèrent devant le Louvre; là ils virent égorger plusieurs de leurs amis, et entre autres le brave de Piles, père* de celui qui tua en duel le fils de Malherbe. De là le capitaine Martin mena ses prisonniers dans sa maison, rue des Petits-Champs, fit jurer à La Force que ni lui ni ses enfants ne sortiraient point de là avant d'avoir payé les deux mille écus, les laissa en garde à deux soldats suisses, et alla chercher quelques autres calvinistes à massacrer dans la ville. L'un des deux Suisses, touché de compassion, offrit aux prisonniers de les faire sauver. La Force n'en voulut jamais rien faire; il répondit qu'il avait donné sa parole, et qu'il aimait mieux mourir que d'y manquer. Une tante qu'il avait lui trouva les deux mille écus; et l'on allait les délivrer au capitaine Martin, lorsque le comte de Coconas (celui-là même à qui depuis on coupa le cou) vint dire à La Force que le duc d'Anjou demandait à lui parler. Aussitôt il fit descendre le père et les enfants nu-tête et sans manteau. La Force vit bien qu'on le menait à la mort; il suivit Coconas, en le priant d'épargner ses deux enfants innocents. Le plus jeune, âgé de treize ans, qui s'appelait Jacques Nompar, et qui a écrit ceci, éleva la voix, et reprocha à ces meurtriers leurs crimes, en leur disant qu'ils en seraient punis de Dieu. Cependant les deux enfants sont menés avec leur père au bout de la rue des Petits-Champs; on donne d'abord plusieurs coups de poignard à l'aîné, qui s'écrie : « Ah, mon père! ah, mon Dieu ! je suis mort. » Dans le même moment le père tombe percé de coups sur le corps de son fils. Le plus jeune, couvert de leur sang, mais qui, par un miracle étonnant, n'avait reçu aucun coup, eut la prudence de s'écrier aussi : « Je suis mort. » Il se laissa tomber entre son père et son frère, dont il reçut les derniers soupirs. Les meurtriers, les croyant tous morts, s'en allèrent en disant : « Les voilà bien tous trois. » Quelques malheureux vinrent ensuite dépouiller les corps : il restait un bas de toile au jeune La Force; un marqueur du jeu de paume du Verdelet voulut avoir ce bas de toile; en le tirant, il s'amusa à considérer le corps de ce jeune enfant : » Hélas ! dit-il, c'est bien dommage; celui-ci n'est qu'un enfant, que peut-il avoir fait? » Ces paroles de compassion obligèrent le petit La Force à lever doucement la tête, et lui dire tout bas : « Je ne suis pas encore mort. » Ce pauvre homme lui répondit : « Ne bougez, mon enfant, ayez patience. » Sur le soir il le vint chercher; il lui dit : « Levez-vous, ils n'y sont plus; » et lui mit sur les épaules un méchant manteau. Comme il le conduisait, quelqu'un des bourreaux lui demanda : « Qui est ce jeune garçon? — C’est mon neveu, lui dit-il, qui s'est enivré; vous voyez comme il s'est accommodé; je m'en vais bien lui donner le fouet. » Enfin le pauvre marqueur le mena chez lui, et lui demanda trente écus pour sa récompense. De là le jeune La Force se fit conduire, déguisé en gueux, jusqu'à l'Arsenal, chez le maréchal de Biron, son parent, grand-maître de l'artillerie; on le cacha quelque temps dans la chambre des filles; enfin, sur le bruit que la cour le * Ou plutùt grand-père. (G. A.) faisait chercher pour s'en défaire, on le fit sauver en habit de page, sous le nom de Beaupui. (Id., 1723.) — A une phrase près, qui est de 1730, ainsi que je l'ai indiqué, toute cette note est de 1723; mais Voltaire ne rapporte pas textuellement le passage des Mémoires (encore inédits) du maréchal de La Force. Le fragment de ces Mémoires relatif à la Saint-Barthélémy fut imprimé dans le Mercure de novembre 1705, pages 31-51, et réimprimé en 1783, par J.-B.-B. de Laborde, dans l'édition qu'il donna de l’Histoire secrète de Bourgogne: mais il fut supprimé, et ne se trouve que dans quelques exemplaires de cette Histoire. Dans son Siècle de Louis XIV, Voltaire dit que le maréchal de La Force mourut en 1652, à quatre-vingt-dix-sept ans. A ce compte, il aurait eu dix-sept ans en 1572. Il n'en avait que quatre ou cinq, s'il est mort à quatre-vingt-quatre ans. Quant au de Piles qui tua en duel un fils de Malherbe en 1628, ce ne peut être que le petit-fils du protestant égorgé en 1572, et dont le fils, en 1628, ne pouvait avoir moins de cinquante-six ans. M. de Fortia (Biographie universelle, tome XXXIV, page 447) observe que Balzac dit formellement que l'adversaire du fils de Malherbe était un gentilhomme de Provence qui n'avait pas vingt-cinq ans. ( B.)
  56. Racine a dit dans Esther, acte I, scène i :
    Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes;
    Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
    Tandis qu'en ses projets l'orgueilleux est trompé.
  57. Lagrange-Chancel a dit dans Amasis, acte I, scène i :
    Sur son corps tout sanglant, mourante, inanimée.
    Me recouvra ses sons que pour envisager
    Cinq fils que sur le marbre on venait d'égorger.
  58. J.-J. Rousseau, dans ses Confessions, livre III, raconte que la lecture de ce passage de la Henriade le corrigea dune faute d'orthographe qu'il faisait avec tous les Genevois. « Ce mot parlât, qui me frappa, dit-il, m'apprit qu'il fallait un (à la troisième personne du subjonctif, au lieu qu'auparavant je l'écrivais et prononçais parla comme le parfait de l'indicatif. » (B.)
  59. Plusieurs gentilshommes attaches à Henri IV furent assassinés dans son appartement : on les y poursuivit jusque dans la chambre de la reine sa femme,
    sœur de Charles IX, qui leur sauva la vie en se jetant entre eux et les meurtriers. Henri IV et le prince de Condé, son cousin, furent arrêtés; on les menaça de la mort, et on les força d'abjurer le calvinisme. Les prêtres s'appuyèrent depuis de cette abjuration pour le traiter de relaps. Des historiens ont rapporté que Charles IX et sa mère allèrent à l'Hôtel de Ville pour être témoins de l’exécution de Briquemant et de Cavagne, condamnés à mort comme complices de la prétendue conspiration qu'on avait la bassesse d'imputer à l'amiral de Coligny, et que l'on obligea Henri IV et le prince de Condé de suivre et d'accompagner le roi. (K.)
  60. On envoya d'abord des courriers aux commandants dos provinces et aux chefs des principales villes, pour ordonner le massacre. Quelque temps après on
    envoya un contre-ordre; et le massacre s'exécuta, malgré ce contre-ordre, dans quelques villes, à Lyon entre autres, où le parti des Guises dominait : mais, dans un grand nombre, les chefs catholiques s'opposèrent à l'exécution de ces ordres : le comte de Tende, en Provence; Gordes, de la maison de Simiane, en Dauphiné; Saint-Herem, en Auvergne; Charny, de la maison de Chabot, en Bourgogne; La Guiche, à Màcon ; le brave d'Ortez, à Bayonne; Villars, consul de Nîmes; les évêques d'Angers, de Lisieux, etc., etc. Beaucoup de protestants furent sauvés par leurs parents, par leurs amis, quelques-uns même par des prêtres : de ce nombre fut un Tronchin, qui resta plusieurs jours caché à Troyes dans un tonneau, et, s'étant retiré à Genève, y a été la tige de la famille de ce nom. (K.)

    — C'est d'après ce que Voltaire avait écrit dans son Essai sur les guerres civiles en France (qui fait partie du présent volume), qu'on met le commandant
    en Auvergne et l'évêque de Lisieux au nombre des personnes qui s'opposèrent au massacre des protestants; mais voyez ma note sur ce passage de l’Essai sur les guerres civiles. (B.)
  61. Dans le chant III de la Pucelle, Chapelain a dit :
    De tant de corps meurtris la Loire ensanglantée
    Aux maritimes flots courut épouvantée.