La Guerre et le débat entre la langue, les membres et le ventre


¶La Guerre et le
debat entre la langue les membres
& le vẽtre : C’eſt aſſauoir : la langue
les yeulx/les oreilles/le nez/les Mains/Les pieds/quilz
ne veulẽt plus rien bailler ne adminiſtrer au ventre/Et
ceſſent chaſcun de beſongner. ¶Nouvellement imprime a Paris.
Vi. C.



Le debat de la langue & du
Ventre Ceſt aſſavoir/la langue qui incite
les autres membres de ne faire plus rien.

  
¶Lacteur commence a parler

Apres travail quil conuient repoſer
Je fus ſurprins. ce deues ſuppoſer
Dung grief ſommeil peſant & treſparſõd
Par quoy cõtrainct fus de me aller poſer
Deſſus ung lict/& voulu propoſer
Aller dormir comme ſommeilleux font
Mais fantaſie qui pluſieurs gens cõſond
Me preſenta vng ſonge merueilleux
Qui me rendit tout melencolieux
¶En mon dormãt ie ouy vng grãt cõcile
De toꝰ mes mẽbres ꝗ faiſoient plꝰ de mille
Menuz propos/dont ie fuz merueille
Subitement ie prins mon codicille
Pour rediger en ce petit poſtille
Tous leurs blaſons quant ie fuz eſueille
Apres que ieu vng petit ſommeille
Ie notay tous leurs petitz moteletz
Uous qui liſez ie vous prie notez les
¶Pour dire vray toꝰ les mẽbres du corps
Entre eulx avoiet de merueilleux diſcors
Contre le ventre qui tout gaſte & deuore
Par quoy crioient a grans cris et accors
Sus luy diſans/de ce ſuis ie records

Que tout leur bien & cheuance incorpore
Premier la langue ſa parolle colore
En incitant contre luy chaſcun membre
Le propoſant/ainſy que me remembre.
La langue commence a parler

 
O Quel fureur quel deſordonnee rage
Quel deſarroy. quelle honte. quel dommage
Quel deſhonneur. quel mal noꝰ fait le vẽtre
Quant bien ie y penſe/a peu que ie nenraige
Ceſt noſtre frere et nous tient en ſeruaige
Mieulx noꝰ vauldroit eſtre enterrez ou cẽtre
Riens namaſſons quen ce caripde nentre

 
Dolent en ſuis/tant que ne puis porter
O tous mes freres veuilles ces motz noter.

Ceſt vng ſeigñr/il nous tiẽt ſoubz le iou
Et fuſſions nous Dallemaigne ou Dãiou
Et lendurer ce nous eſt grant reproche
Et qui pis eſt il nous faict faire iou
Fuy & vouldroye ſe pouoye ne ſcay ie ou
En puis ou lac foreſt boucquet ou roche
Il eſt infaict cil qui de luy ſapproche
Mieulx luy vouldroit eſtre mort ou perclus
De le ſervir certes ie ne veuil plus.

Vrais ſerfz noꝰ ſommes quãt le ſerf nous domyne
Et nous deſtruict/ronge/pille & rumyne
Ce quil commande il fault quil ſoyt toſt faict
Puys peu a peu chaſcun de nous il myne
Doubte ie fais quen bien peu de termine
Tout noſtre honneur ſera nul & deffaict
Je ne ſcauroye plus quen dire en effect
Fors que nous tous le laiſſons comme infame
Et que iamais nait ſecours de nulle arme.

Eſt il plus noble par generation
Dauctorite ou par perfection
Que nous ne ſommes ie ne le puys entendre
Vng ſac remply de putrefaction
De pourete & grande infection

  
Faut il quil tienne chaſcun de nous reprendre
A mon advis nous luy debuons deffendre
De plus nous faire laydes aminiculles
Car luy obeit ſont choſes ridicules

La choſe qui plus auiourdhuy me mort
Dedens le cueur & ſouuent me remord
Ceſt que ſur nous il veult eſtre le maiſtre
Riens ne nous ſert non plus que ung homme mort
Mais pour ſemplir il nous tire & amort
Affin quil puiſſe par noz moyens repaiſtre
Se bien penſions nous debuerions tous eſtre
Mortz & deffaitz dendurer tel oultraige
De luy ne vient que perte & tout dommaige

Repos nauons ne heure ne demye
Car de inciter ung chaſcun noublye mye
Diſant debout querez de la viande
Apportez pain blanc bien cuit crouſte et mye
Ne monſtrez plus voſtre chere endormye
Ca ca du vin/toſt/ Car ie le commande
Ainsi nous traicte il nous tient en commande
Et gourmande ſe quon peuſt amaſſer
De le ſervir chaſcun ſe doibt laſſer.

Apres nous crie comme a ſes ſerviteurs
Comme villains ſouillars redebiteurs
Ie ne ſcay point qui luy donne laudace

 
A luy ne ſommes ſubiectz ne crediteurs
Par quoy ſur luy debuons eſtre irriteurs
Que autremẽt affin quon nous defface
Donnes luy fort vous nen aures ia grace
Touſiours tout vng. touſiours a cõmencer
Somme/pour luy ne vueil plus mauancer

Point ne donra induces demue heure
De iour/de nuict/fault que chaſcũ labeure
Pour contenter ce ſac remply dordure
Pluſtoſt luy fault des oeufz/pain/lart & beurre
Frõmage/fruict/raiſis/figues & meure
Nous ſommes friz ſe ce temps cy nous dure/
Dendurer plus ceſte infaicte laidurre
Ie ne pourroye/et pourtant entendez
Ce que vous vy/et bien le recordez

Les gẽs de guerre prendrõt leur garde bras
Eſcreuice/cuiraſſe/auant bras
Pour conquerir quelque bon priſonnier
Il ne leur chault ſil eſt ou maigre ou gras
Mais q̃ ẽpoigner puiſſent vng aux agras
Fuſt gẽtil hõme/villain/bourgeoys/monnier
Il leur ſuffiſt mais quilz ayent dan denier
Pour rembourer ce trou/ceſte lacune
Deſtre ſubiect a luy ceſt infortune.

Se aucun ſe rẽdẽt dedẽs vng monaſtere

 
Ilz ny vont pas pour mener vie auſtere
Ceſt pour remplir ce ſac plain de lauailles
De prier dieu ſouvebt ſe coudront taire
Il ne leur chault de chanter ne de braire
Mais leur ſuffiſt repaiſtre leurs entrailles
Ce ventre cy ne nous priſe troys mailles
Il nous deprime (& nous tient en) ſervaige
Ie ne puys plus endurer tel oultraige

Ceſt vng ſoufflet rẽply de vent infect
Puant/pourry : venimeux en effect
Vng ord vaiſſeau trunide abominable
Remply dordure/boſſu & contrefaict
Ung lac punais qui nous aultres deffaict
Ce que ie dis point ne le tiens affable
Certes ſeroit vne choſe damnable
De plus laiſſer dominer tel ſeigneur
Qui par ſur nous eſt ſi grang rechigneur

Noſtre grand gloire auſſi noſtre nobleſſe
Noſtre haulteur par luy en bas ſabaiſſe
Tout noſtre honneur ſen va a detrimẽt
De iour/de nuyt noꝰ moleſte ſans ceſſe
Grand honte ceſt a nous ie le confeſſe :
De le ſouffrir ie le dys playnement
La choſe appert on le voit clairement
Mais qui luy a baille la hardieſſe
Pour contre nous faire tant de rudeſſe

Ceſt ord ſouillard chaſcun de nous menace
Dyſant mettez la table lheure paſſe
La fain me prend faulte de nourriture
La ſoiſ auſſi me faict layde grimace
Pour me oultraiger en moy brouille & tracaſſe
Ilz ſont tous deux ennemis de nature
Se la mort vient/Ceſt la deſconfiture
Ie deffautdray ſe me ſecourez
Et en la fin auecques moy vous mourrez

Ainſi le ventre vous et moy toꝰ enſẽble
Il noꝰ cõtraind tãt q̃ ne tremble
Pour parvenir a ſa laſciuete
Ie la premiere ainſi comme il me ſemble
Par beau parler tout ſon plaisir iaſſẽbel
Et ſi me preſſe par ſa turgidite
Des maulx que fais : ceſt une infinite
Pour mieulx cõplaire a ce ĩfame goufre
Laiſſons le la que bouilly fuſt en ſouffre

Moy la langue ie ſuys ſon droit bailly
Qui ne ceſſe de crier baillez luy
Et touteffois de rien ie nen amende
De le pourveoir : ſe vng iour auoye failli
Incontinent ie ſeroye aſſailly
Iamais neſt ſaoul dheure en heure demande
Touſiours appette la nouuelle viande
Ceſt grand pitie tant deuore de bien

Et touteffois il ne me donne rien

 
Aulcuneffois il fault que ie ſoye iuge
Teſmoing : patron : faire pis que deluge
Pour amaſſer le plaisir de ce ſac
Ie crye : ie iure : la faulſete ie adiuge
Par faulx moyer, ſcay aultre reffuge
De verite ie la metz a baſac
Par tric & trac & de croc & de crac
Ie happe tout & rifle boeuf & vache
De tord le droict : & de droit tort ienſaiche
¶Ie me pariure & ſi faulſe ma foy
Ie parle faulx qui derrogue a la loy
Ce meſt tout vng mais que ie cõtentaſſe
Ce moy ſi creux infect plein de defroy
Qui ne ſe taiſt pour pape/empereur ne roy
Pour quelq̃ bien que pour luy on poꝰchaſſe
Ceſt vng vorage/en ſon dangier tout paſſe
Bon temps/mal temps/noſtre bien engloutiſt
Et ſi iamais ne dyra/il ſuffiſt.

Par fas ie fays/et par nephas deffais
Griefz torz : torz faitz aucunefoys refais
Pour acquerir quelque choſe a ſe trou
Ce me poiſe porter ſi treſgriefz fais
Ie ne vueil plus faire faitz que iay faitz
Son my contrainct mieulx iayme eſtre retrou
Du demourer en boys ou en deffrou

Car trop ſouuent dune choſe licite
Pour ſon plaiſir ie la fais illicite.

 
Se preſent ſuis a loreille du prince
Dung grant ſeigneur qui tient mainte ꝓuince
Flater le fault pour auoir quelque office
Ie morque lung/Lautre ie mors et pince
Sil eſt prelat/ie le blandis & rince
Pour attraper quelque gros benefice
Il ne me chault de peche ne de vice
Pour le plaiſir de ceſt infame muy
Trop ſuis laſſee de plus parler pour luy.

Vng homme ſaige ſoubdain le flateray
Et ſil eſt fol ie le blaſonneray
Touſiours diſant vng mot a la trauerſe
Vng fin varlet treſbien eſcouteray
Par beau parler ie le contenteray
Mais le propos dung fol ie vous renuerſe
Il ny aura queſtion ſi diuerſe
Que ie ne verſe tout ſelon mon vouloir
Pour la repaire a ce vil centre auoir

Mais compagnõs mes amys en ſubſtãce
Se nous voulons auoir de luy vengeance
Laiſſons tout la et que chaſcun repoſe
Se deſſus nous veult faire doleance
Ne noꝰ enchaille pour quelque pourueãce

Notez cecy & pour texte et pour gloſe
Car contre nous ne pourroit faire choſe
Qui ne tournaſt a ſon grand preiudice
Chaſcun repoſe & ceſſe ſon office
La langue ſe taiſt.
Lacteur
¶Quant la langue eut termine ſes raiſõs
Ses motteletz ; dittonc/& oraiſons
Bien peu ſe teut la poure eſceruelee
Ie congneuz bien a ſes ditz & facons
A ſes crieries/parolles/& blaſons
Quelle nauoit pas la racine gelee
Puys ientreouy vne aultre grant meſlee
Des aultres mẽbres q̃ ſuiuoiẽt leur pourpris
Se ie leſcriptz/ne doy eſtre repris
¶Lors ieſcoutay & ouy les paroles
Qui neſtoyent pas a reputer friuolles
Que ꝓferoiẽt les autres mẽbres enſẽble
Cõtre le ventre/ne ſcay en quelz eſcolles
Auoyent apprins ſi grandes parabolles
Iamais de telles ne ouy cõe il me ſemble
Lung brocarde lautre ſes motz aſſemble
Ie notay tout mot a mot leurs propos
Les yeulx cõmẽcẽt a parler aux ſuppotz

¶Icy commencent les yeulz a parler en ad-
iouſtant foy a ce que la langue leur a remon-
ſtre en general en la maniere qui ſenſuyt.

 
¶O dame langue certes voꝰ dictes bien
Le gouffre ſale ſi ne nous ſert de rien
Et ſi nous donne tant de peine & tourmẽt
Iamais neſt ſaoul touſiours fault dire tiẽ
Tout engloutiſt ne ſcay dire combien
Nous amendriſt & mect a detriment
Ha ie ne puis bien entendre comment
Il nous domine ce neſt pas la raiſon
De l’endurer certes neſt plus ſaiſon
¶De iour de nuyct touſiours ſuis en aguet
Cõme vne eſpie faiſant de loing le guet

Se ie verray quelque friãt morceau
Pour ce panſu ie fais ſigne a huguet
Ie quygne lautre et ſon chien muguet
Scavoir quil a pour remplir ceſte peau
De plus le faire ie ſerye bien veau
Plus noble ſuis & me veult raualler
Sans moy ne peult en quelque lieu aller
¶Il nya chair viande ne poiſſon
Lart/fruict/beurre/oeufz/ſauuaige venaiſõ
Que ie ne chaſſe pour ce maiſtre panſart
Tel iour telle heure tout ſelon la ſaiſon
Conuient auoir tout preſt a la maiſon
Pour contenter ce maldict papelard
Il fault tout veoir q̃ ſainct Anthoyne lart
Et hault & bas pour auoir le deſir
De ce ſouillard & nay de luy plaiſir.
¶Ie ſuys au guet ſe vendenges ſont belles
Quelz vis ſõt bõs aultres choſes nouuelles
Seigles/fromentz/cenſes & métairies
Eſlire fault le maſle des femelles
Amaſſer tout/pommes/poires/prunelles
Pour rembourrer ceſte ordre triperie
Ne cuyde pas certes que ie men rie
Se ie me plains : ie croy que nay pas tort
De lendurer iayme mieulx eſtre mort
¶Deſſus la terre na rien ſe ie le voy
Que ie ne vueille ſoubdain auoir pour foy
Dedens la mer auſſi ſẽblablement

De tous oyſeaulx na vng ſeul a recoy
Se ſauuagine ou aultre iappercoy
Conuient auaoir pour luy pareillement
Il fault quil ſaiche quoy : qui : quant : et comment :
Chairs/fruicts : poyſſon quel gouſt peuuent auoir
Somme tout il veult de tout ſcavoir.
¶Il ma commis eſtre ſon grand veneur
Et luy ſemble quil me fait grand honneur
Ce ſac pourry que du feu fuſt il ars
Ie vueil qui ſaiche ie fuys ſon gouuerneur
Plus grand quil neſt pas : ie ne ſuys mineur
Parquoy ſur lui criray de toutes partz
Ie ne le priſe certes pas deux liars
Qui me croira chaſcun le laiſſera
Et puys apres on boirra quil fera
¶Vng vieil retraict remply de vieulx fiens/
Veult il tenir touſiours en ſes lyens
Si nobles membres le voulez vous ſouffrir
Fault il portez comme belliſtriens
Coquins/maraulx/diuers foloſtriens
Ceſt iniuvre ce feroit pour mourir
Mieulx il vauldroit nous aller tous perir
Dedens vng puys que deſtre en tel dangier
Dũg vil vieillart/vng vieil gardemenger
¶Ie vous diray brieſue concluſion
De luy ne fault plus faire mention
Mais le laiſſer cõme vng infect bourreau
De le ſeruir ce neſt que illuſion

Que mocquerie toute perdition
Il ne vault riẽ pas le chief dung pourceau
Mieulx nous vauldroit aller cõbatre leau
Que deſtre plus en ſa ſubiection
Pource laiſſons le : ceſt mon oppinion
¶Les oreilles parlent.




Las mes freres moy qui ſuis les oreilles
Iay fait pour luy des choſes non pareilles
Ie ne puys plus endurer ceſte peyne
Plus ſubiect ſuys que vng chien a ouailles
Car cõtrait ſuis a faire maintes veilles
Pour le prouffit de ceſ orde bedayne

Iay ouy lung mentir/lautre dire fredaine
Ieſcoute pour faire le prouffit
De ce poucif en ordure confict.
¶Souuenteffoys ſe ie ſuys a Paris
Ou a Rouen ayant chariuaris
Ie eſcouteray ſe ie orray quelque mot
Pour le trippier ou tous biens ſont taris
Vien nous debuons enſemble eſtre marris
De eſtre ſubiectz a ceſt infect marmot
Ouyr me fault le ſaige/puys le ſot
Pour faire tout le prouffit de ce ſac
Ce maloſtru ce treſinfame lac
¶Se ioy parler de quelque bon diſner
Incontinent il y fault cheminer
Ou aultrement il y auroit grand noyſe
Ieſcoute bien ſans point le deuiner
Ou eſt le banquet que le ſcay aſſigner
Toſt toſt accoup il fault bien qu’on y voiſe
Ce gros boudin en ce point ſe degoiſe
Et nous contraind eſtre ſes vilains ſerfz
Ie nay pas tord ſe plus ie ne le ſers
¶Sõ crie õs vis/claretz/vermeilz ou blans
A dix deniers/deux ſolz/ou quatre blancz/
Eſcouter fault lequel eſt le meilleur
Des plus petitz morfondus & tremblans
Qui preſq̃ a leaue ſont au gouſt reſſẽblans
Compte nen fais ſoyent de quelque couleur
Subiecte ie ſuys ce meſt vng grand malheur

Ie ne ſcay pas quel remede y trouuer
Sinon quil fault ſes vices reprouuer
¶Et pource affin quen mes motz ie conclue
Ie ne vueil plus quen ſes lacz il menglue
Car ie lay trop ſeruy pour abbreger
De luy neſt rien que choſe diſſolue
Vng lac fangeux/vne place polue
De le ſeruir mieulx aime eſtre bergier
Ou en vng boys men aller heberger
Affin quon nait iamais de moy memoire
Pour ce laiſſons le ſe vous me voulez croire.
¶Fin des oreilles.
Le nez commence a parler.

¶Las moy le nez qui ſuys grand eſtradeur
Humeur de vent parfaict ambaſſadeur
De ce brouillon fault il que ie lendure
Se ie ſens point quelque friant oudeur
Incontinent ie y voys de grãd roydeur
Et ſuy leſtrac ce meſt choſe bien dure
Ie vous prometz que ſe cecy nous dure
Tout eſt perdu/tout noſtre cas va mal
Et nous conuient aller a loſpital.
¶Ie ſuys le iuge de ce paillart truant
Infect bourreau/ord/villain/& puant
Ce quil appete il fault que ie le ſente
Se ie rencontre quelque morceau friant
Qui ſente bons/ceſt tout pour ce gallant
Et touteffoys iamais ne ſe contente.
Ie nay de luy gaiges : prouffit/ne rente
Fors ſeulement ceſte infect fumee
Que par trahiſon ay mainteſfois humee
¶Ie luy cherche dons odoriferans
Flagrans/ſouefz/comme baſme odorans
Et il me rend pour tout potaige vng vent
Si tres infect qua peu ne cours le rencs
Dieu le mauldie luy & ſes adherans
Car par luy ſuis trõpe le plus ſouuent
Ie ne congnoys abbaye ne couuent
Ou il ne face noyſe/diſcord/ſcandale
Comme vng ſouillon/vng rẽply de godalle
¶Ceſt vng ord trou plus puãt q̃ vng retraict

Si tres infect/quil infecte de faict
Lair & le vent ne ſcay quon en fera
Une latrine qui vide fait a fait
Puante odeur qui nous terniſt deffait
Se lendurons iamais ne ceſſera
De nous meurtrir/puis en fin ceſſera
Noſtre nobleſſe tant quon nen tiẽdra cõpte
Pourtant mes freres notez/notez ce cõpte





¶Les mains parlent
¶Nous ſõmes les mains qui cherchõs la mẽgeaille
Pour ceſt infect tout remply de lauaille
Et ſi ne puys a la fin laſſouuir

Des le matin il faut que ie travaille
De ma peine ne luy chault vne maille
Ie ne ſcay point comme on en peuſt cheuir
Fors ſeullement quil nous en fault fouyr
Et le laiſſer comme vng abhominable
Digne de mort par iuſĩcz dampnable
¶Las mes amps noſtre corps eſt deſtruit
Mes os ſe deulẽt q̃ maynẽt noyſe & bruyct
Tous les mẽbres du corps rõpt & mutille/
mes paoures vaines aurõt moulu & cuyt
Se ce temps dure/car la vertu ſenfuyt
La voulente ſe flachit & vacille
Pour vng retraict infame/ſale/& vile
Fault il meurdrir ſi precieux ioyaulx
De lendurer viendront dix mil maulx
¶Il me contraind ſouuent de deſrober
Et ſi ne veult iamais dung lieu hober
Et ne conuient rauir ce que ie treuue
Menaſſer lung/ou parler de robert
Rire/gauldir/ioncher/flatter gobert
A chaſcũe heure pour luy fault q̃ meſpreue
Et ſil a froid/ſe ie puys ie le cœuure
Mais tant ya de ce me puys vanter
Ien fais par trop pour ce ſac cõtenter
¶Iuſques au ſoir ie ne ceſſe douurer
Pour ce mauldit aſſez le puys prouuer
Ce q̃ ie gaigne il deſtruit & enſache
Se indigent eſt ne me oſeroye trouer

Par devãt luy iayme mieulx oeufz couuer
Que deſtre plus ſubiect a telle taſche
Ie congnois bien que autremẽt il ne tache
Qua nous deſtruire on boit ſans varier
Touſiours eſt preſt a nous contrarier
¶Ie le craindz tant que noſz dire pic
Pour luy rauis & ab hac et ab hic
Car ſil neſt plain ie nay point de repos
Ie trompe lung lautre ie prendz au bric
Soit de trauers ou de crac ou de cric
Riens ne meſchappe ſil me vient a ꝓpos :
Pource ie dy mes amis mes ſupotz
Sur luy conuient mettre prouiſion
Ou nous ſommes tous a perdition.
¶Ce papelard il ha deux gaudiſſeurs
Auecques luy qui ſont grans rauiſſeurs
De tous les biens que ie puys amaſſer
Ie nentendz point ſilz ſont ſes ſeruiteurs
Ses officiers ou ſes redebiteurs
Mais non obſtant veullent tout embraſſer
Lung eſt le gouſt eſt qui me fait tracaſſer
De ca de la tant que tout meſtourdiſt
Lautre eſt la gueule qui tout biẽ engloutiſt
¶Ces deux mignõs noꝰ tiẽnẽt a maĩ forte
Premier le gouſt eſt qui garde la porte
Et veult ſcauoir qui entre la dedens
Sur terre na choſe quon ny apporte
Pain : vi : poiſſõ : chair viue freſche & morte

 Somme toute tout paſſe par les dentz
Dea ſi eſtions encores pretendans
Den acquerir quelque proffit ou grace
Mais nẽny nõ : car touſiours noꝰ menace.
¶Se le gouſt ſent quelque bonne viande
Soiſve : doulce : ſauuoureuſe & friande
Il la incorpore & lenuoye a la gueulle
Qui lengloutiſt ſans faire aultre demãde
En lenſaichant comme pain de prebende
Nya de nous celluy qui ne ſen deulle
Car nous nauons vne eſtincelle ſeulle
Daulcun prouffit de ſeruir telz coquars
Qui noꝰ lardent & noꝰ gectẽt leurs brocars
¶Labourer fault au long de la ſepmayne
Et trauailler endurant griefue peine :
Pour rembourrer ce vil panneau fourre
Euſſe cent francz de rentre ou en domayne :
Si fault il bien q̃ ce grãd gouffre amayne
Tout mon vaillãt tãt quil ſoit rembourre
Si poure na : fuſt du pleſſis bourre
Qui naimaſt mieulx eſtre a perdition
Que deſtre plus en la ſubiection.
¶Quãt il eſt ſaoul il fait a nous la nicque
Quãt il eſt vuyde chaſcũ de nous il picque :
Conſiderõs le dãger ou nous ſommes
Rien namaſſõs qui nentre en la boutique.
Ie croy quil ſoit pire que vng hereticque
De nous ne tient conte vallant deux pommes

 Quant eſt que nous nous ſommes tous preudhommes
Donc ne nous doibt ainſy villipender
Sur nous crier et touſiours demander
¶Pourtant mes freres ie ſuis doppinion
Que nous faſſons tous par bonne vniõ
Enſemblement vng edict/vng accord
Que chaſcun plus ne face mention
De ce trepier et pour concluſion
De nous naura quil le vueille nourrir
La fin des mains



¶Les piedz parlent
¶Les piedz ie ſuis qui ſoubſtiẽ ceſte dare
Ceſt ort bouchiere qui me crie hue/& hare
Pour ſoy rẽplir ie ne puis bien cõprẽdre
Dõt cecy vient point ne cõgnois la tare
Courir me fait touſiours ſãs dire gare
Ie ne ſcay plꝰ ꝑ quel bout ie doybs prẽdre
Pource il me sẽble q̃ noꝰ debuõs entẽdre
A noſtre cas & mieulx a mort ſe offrir
q̃ noꝰ ſoubzmetre a tãt de maulx ſouffrir
¶Courir me fault de iour de nuit ſãs ceſſe
Ien abbatz lung lautre ie foulle & preſſe
Pour rẽbourrer ce bourſouffle vaiſſeau
Plus toſt iray iouer que ouyr la meſſe

De dieu ne tiens non plus que deeſſe
Mais q̃ auoir puiſſe q̃lq̃ friãt morceau
Or neſt il vieil enfant ou iouuenceau
Qui ne ſoit tout mine par ce caribde
Las grand dommage ceſt quõ ne le lapide
¶Iouer conuient a tous ieux a la paulme
De nuict au guet & coucher ſur le chaulme.
De iours aller aux feſtes & marchez
Fouler les bledz de Martin & Guillaume
Et luy oſter : robbe : iacquete heaulme :
En le chaſſant : diſant : deuant marchez
Onc on ne dit auoir tant de meſchieſz
Com nous auons pour ce canal pourry
Qui de nous eſt ſubſtente & nourry.
¶Puis le matin la cuyſine ne ceſſe
Iuſques au ſoir en douleur & deſtreſſe
Pour preparer le deſir de la trippe
Se lheure paſſen il criera queſſe queſſe
Ceſt trop tarde : viſez en quelle angoiſſe
Il nous meurtriſt & ſi nous fait la lippe
Rien neſꝑgne Iehã : Gaultier : ne phelippe
A brief parler ceſt vng nabuſardan
Prince des queux de tous les filz Adam
¶Ie ſuys cõtraind ſouuẽ daler piez nudz
Cõme deſchaulx. Car ſouliers nay ie nulz
Montez en hay : & puys en bas deſcendre
Ie fais des ſaulx mygnons druz & menuz
Aulcuneſſoy ien fais de bien cornuz

Pour la prebende a ce poucif rẽdre
Soit dur ſoit tendre ſans nul proffit p̃tẽdre
Tendre conuient touſiours a le remplir
Ie ne puis plus ſon vouloir accomplir
¶Ceſt caribdis gouffre diniquite
De vilite comble dauſterite
Vng creux puant ou nya ſons ne riue
Ou vng ſirtes plain de captiuite
Dumidite & de turgidite
Bieneuruex eſt qui en ce trou narriue
Rien ne nous ſert & contre nous eſtrue
Avoir luy fault toute felicite
Et demourons en grand mandicite
¶Par luy ne vient certes que detriment
Grief encombrier auec empeſchement
Nya membre qui par luy ne define
Puys la vertu qui peu a peu ſe affine
Tant quelle dechet & na plus de puiſſance
O que de mal il nous faict en ſubſtance
¶Et pour ce frere il nous fault aduiſer
Par quel moyen ſera ſuppedite
Ce gouffre infect qui nous vient atiſer
Deſtruire tous : rompre : caſſer : briſer
Comme ſes ſerfs plains de captiuite

Vous ſcauez bien quil na auctorite
Par deſſus nous le gros dune noyſette
De le ſeruir ie luy romps la buſchette
Lacteur
¶Quãt toꝰ les mẽbre eurẽy biẽ ſermõne
Deſſus le ventre meſdit & blaſonne
La langue apres commence a proferer
Des motz diuers comme ſil euſt tonne
Criant tout hault donc ie fus eſtonne
De ainſi ouyr luy dire & referer
Et pour le cas en brief vous declairer
Elle commenca a clamiter & dire :
Ne plus ne moins que iay voulu eſcrire
Perſeurant touſiours an ſes recorsz
Elle animoit tous ſes autres conſors
contre le ventre pour venir au deſſus
De ſon deſir en ſemant les diſcors
Moyennant ce que tous par bons acors
Ilz feroient tous de le ſervir reffus
Quand iecoutay ſes motz fus ſi confus
Que ne ſcavoye ſe ieſtoye mort ou vif
Adonc ainſi commenca ſon eſtrif
La langue parle
¶O mes amys mes compians cordiaux
Mes ſinguliers confrères ſpeciaulx
Bien aiſe ie ſuis de vous veoir dũg acord
Contre ce vẽtre ꝗ nous fait tãt de maulx
Ie vous ſupply ſoyons bons & loyaulx

Et luy monſtrons quil a enuers noꝰ tort
Il eſt licite de repeller le fort
Par force car la raiſon ſi le dit
Pource doncques eſcoutez mon edict.
¶De malz fouldre de tempeſte et doraige
De feu gregoys de chault mal/et de rage
De fieure quarte pour ſon dos aguiſer
De quaque ſangue/et perir en naufrage
De iamais neſtre paiſible en mariage
De tous les maulx quon pourroit abuiſer
Soyent maulditz ſans nul en excuſer
Qui ſeruiront iamais ce garnement
Voire & dampnez perpetuellement.
¶Labeur ſans fin a qui ne le fuyra
Peine et tourment qui plus le ſeruira
Honteuſement mourir en douleur puiſſe
Et qui plaiſir deſormais luy fera
Touſiours douleur ait qui ne ceſſera
Au fons dung puys en foſſe ou lac periſſe
De ſon bon ſens incontinent hors yſſe
Courant les rues comme enraige ou fol
Ou dune hard ſoit pendu par le col
¶Ses mẽbres ſoyẽt rẽplys de malegoute
De trenchoyſons ou colicque ſe boute
De griefue toux paſſion de poitrine
De mal de reims ou ſoit grauelle toute
De flux de ventre qui coule goutte a goutte
Qui point ne peut guerir par medicine

Qui plus vouldra ſervir ceſte latrine
Toutes douleurs il puiſſe recepuoir
Sans nullement gueriſon en auoir
¶Boiteux boſſu il puiſſe deuenir
A male fin viſtement paruenir
Qui ſeruira plus ce beliſtrien
Le feu ardant empoigner & tenir
Et en malheur touſiours ſoy maintenir
Qui pour ce trou beſongnera plus rien
Iamais ne puiſſe auoir honneur ne bien
Qui ne vienne a ſon grand detriment
Iuſques a mourir voire eternellement
¶Borgne & aueugle incõtinẽt puyſſe eſtre
Qui luy donra viande pour repaiſtre
Muet & ſourd auſſi pareillement
Ou par le col pendu a vng cheueſtre
A ſon ſoilier : a ſon huys ou feneſtre
Eſtre eſtrangle des loups ſemblablement
Et cheoir deſſus vng agil ferrement
Tant quil ſe fende les membres & le corps
Qui plus ſera de ce panſu recors
¶Deſſus luy puiſſe cheoir la neige & gelee
Et le verglatz bruyne deaue meſlee
Et vent de biſe ou gift toute froidure
Courir tout nud deſſoubz vne greſlee
Trẽbler touſiours tãt quelle en ſoit allee
Et tout mal temps ſans q̃lq̃ fin luy dure
Et clicqueter les dens ſans nulle meſure

Eſtre touſiours en broillaz & en gyure
Cil qui iamais vouldra a ce vieil ſac ſuiure.
¶Eſtre puiſſe il ſpleneticque/ydropicque
Aſmaſticque/ptiſicque/frenetique
Epileticque/touſiours maladieux
Fantaſticque/eticque/ſquinantique
Paralitique/pleurecticque/artetique
Yctericque/auec le mal des yeulx
Douleur de dẽs ait touſiours en toꝰ lieux
Qui plus de luy fera dit ne parolle
Et en la fin ait la groſſe verolle.
¶Il soit de Dieu anathematiſe
Et en enfer bruſle et attiſe
Qui ſeruira plus celle triperie
Et puiſſe auaoir chaſcun membre briſe
Froiſſe caſſe comme vng fol deſpriſe
Et quen la fin ſa vie ſoit perie
De tous honneurs ſa face ſoit tarie
En griefz toumens ſes iours puiſſe il finir
Ceſt ma ſentence vueillez la tous tenir.
Lacteur.
¶Ainſi la langue les aultres mẽbres anyme :
Cõtre le ventre impoſant ſur luy crime
Et les inſtruict a faire reſiſtence
Par ſon quaquet et ſans en faire frime
Ont tous iure par la vertu ſublime
Quilz deſtruyront ſa force et ſa puiſſance
Le pact ont faict et ont iecte ſentence

Ce poure ventre eſt de tous delaiſſe
Affin quil ſoit de par eulx rabaiſſe
¶Lors toꝰ les mẽbres ſe ſõt voulu retraire
De beſongner ſans quelque choſe faire
Ilz ne font rien comme ſilz fuſſent mortz
La bouche eſt mute de parler ſe veult tayre
Et les oreilles ne oyent plus crier ne braire
Les yeulx ſont clos de rien ne ſont recordz
Les maĩs plꝰ neuurẽt po2 eux ne po2 le corps
Les piedz ne bougẽt courir ne veult plus
Sõme ilz font tous cõme mortz ou parclus
¶La lãgue eſt begue plꝰ elle ne veult parler
Et les piedz ceſſent de courir & aler
Les maĩs ſont laſches & ne veulẽt riẽ faire
Puys les oreilles ne oyent chanter ne baler
Le nez ne ſent choſe pour aualer
De odorer plus il ſeſt voulu retraire
Les yeulx ſe dormẽ chñ ſeſt voulu taire
Sans dire mot comme tous endormis
Se tout bien faire ilz ſont du tout remys.
¶Le premier iour ſe paſſe doulcement
Sans eſmouvoir au faire aulcunement
Myne ou ſemblant quon peuſt apperceuoir
Le ſecond iour la gueule nullement
Ne ſe veult taire : mais crie rudement
En gargouillãt pour la mangeaille auoir
Le ventre bruyct : ce pouuez bien ſcauoir
Car plus eſt creux que vne vieille vielle :

Le gouſt appete la viande nouuelle.
¶Au tiers iour furẽt les mẽbres en tel poit
Pour la famine qui picque/mord & poingt
Que de faict furent tellement amaigris
Et ſi deffaitz que pres ilz ſont du point
Pour expirer : car vertu ny eſt point
Par quoy ſont plus laſches & achagris
Il ne leur chault ne de vert ne de gris
A grant peine ſe peuuent ſoubſtenir
Pour leur ſerment touſiours entretenir
¶dedẽs ce corps ſont toꝰ encõbremens
Toutes douleurs/pleurs & gemiſſemẽs
Afflictions griefue ſoif & famine
Les mẽbres ſont en merueilleux tourm̃ s
Considerez ie vous prie ſe ie mens
Et vous direz que pas ne le deuine
A brief parler force eſt que en brief termine
Ilz ſoiẽt tous mors ſilz nõt aucũ ſecours
Car la famĩe leur fera leurs iours cours
¶Tout eſt malade chaſcũ ſe descõforte
Le ventre bruit a qui rien on napporte
Chaſcun ſe deult ce neſt pas de merueille
Gemiſſemens y ſont de belle ſorte
Auec douleur qua pres que tout nauorte
Ceſt grant pitye et choſe nompareille
Le corps ſen va par fain qui le trauaille
En luy na plus puiſſance ne vigueur
Onc on ne vit faire telle rigueur

¶La teſte deult et les mains ſõt malades
Les piedz ſont latz plus ne font de gãbades
La face eſt pale la poictrine ſouſpire
La bouche eſt cloſe parolles luy ſont fades
Les yeulx/le nes/ne ſont mignõ ne fades
Ne les oreilles touſiours il leur empire
A grant peine la langue ſi reſpire
Mais neantmoins balbuciant commence
Soy ꝑforcãt dire telle loquẽce
La langue
¶Que faiſons nous en riens ne proffitons
Tant plus viuons et plus decrepitons
Mes chers freres ne ſcay dõt il procede
Tout nr̃e fait ne vault mys deux boutõs
Ie ne ſcay plus certes ou nous boutons
Tout eſt perdu ſe ny mettons remede
Noſtre douleur toutes autres excede
Somme il nous fault en brief noz iours finer
Dont cecy vient ne puis ymaginer
¶Ie ſens grant mal la cause ie lignore
Mais ie congnoys que le corps eſt frelore
A ceſte foys tous mourir nous conuient
Pis nous aurons ſe le ſouffrõs encore
Noſtre ventre ceſt encombrement viẽ
Qui noꝰ pourchaſſe ceſte griefue laidure
Ce detriment et ceſte infecte iniure

¶Il noꝰ vault mieulx po2 ſcauoir la naiſſance
De nr̃e mal/parler a ceſte pance
Que de mourir ſi miſerablement
Pourtant ie vueil tout en voſtre preſence
Luy demander qui ne met pourueance
Pour nous reſſouldre et luy pareillement
A quoy il tient ne a qui ne comment
Par ce moyen ſcaurons la verite
De noſtre mal et grant aduerſite/
¶Parler ie vueil a luy certes ie gaige
Que dautre ne yſt ceſte mauldite rage
Que nous ſouffrons certes ie lappercoy
Ceſt vne choſe que ie treuue ſauuaige
De noſtre frere qui nous fait ceſt oultrage
Chaſcun y doibt bien penſer en droict ſoy
O vous mes freres il cele par ma foy
La cauſe qui en ce point nous eſtraint.
De plus en plus & touſiours nous contraind.
Lacteur
¶La langue adonc au ventre ſadreſſa
Qui de parler vng petit ſe preſſa
Pour enquerir de ce mal la racine
Tout foiblement de dire ſauanca
Aulcuns propos leſquelz elle commẽca
Rien ny valoit le demõstrer par ſigne
Mais néãtmoins les motz ie vous aſſigne
Quelle profera eſcoutez la ſubſtance
Car en lysãt verrez la cõſequẽce.

¶Vien ca ventre eſcoute mes complains
Qui de douleur ſont certes ſi treſplains
Que ne puys plus le fardeau ſouſtenir
Ie nay pas tord ſe de toy ie me plains
Que on ne vit en montaignes ne plains
Si hydeux fait ne tel cas aduenir
Tes parentz ſõmes tu noꝰ doibs ſubuenir
Tes citoyens couſins freres germains
Et noꝰ meurtris ꝑ tes faictz inhumains :
¶A brief parler tu es noſtre ennemy
Car enuers nous ne te monſtre amy
Meurtrir ſes freres : ceſte choſe repugne
Tu nous delaiſſes comme tout endormy
De toy nauons ne confort ne demy
Ayde ou prouffiſt : mais que toute rancune
Pourroys tu point dõner reſponce aulcune
Pourquoys ce fais : ne pour quelle achoyſon
Allegue au moins quelque bonne rayson :
¶Tu noꝰ deſtruitz auſſi biẽ plaĩ q̃ vuide
Et nous enerues certaynement ie cuyde.
Que tu ne taſches q̃ a du tout noꝰ deffaire
Il y pert bien tu veulx eſtre homicide
De tous tes freres que ny metz tu remyde
Incontinent/ceſt toy qui le doibs faire
Ie te prie conſidere laffaire
Et ayes honte ainſi nous mal mener
Et nous vueilles aultrement gouuerner.

¶Quãt tu as plain & que la peau te tire
Tu noꝰ faitz laches : & portõs grief martire
Tant ſommes graues peſans & endormis
Se tu es vuide ceſt encore du pire
Car tu grumelles/lung crie lautre ſouſpire
De faire biẽ chaſcun eſt tout remis
Et touteffoys tu es noſtre commis
Pour ſubuenir a noz neceſſitez
Oſte nous donc de noz captiuitez
¶Il te conuient avoir de nous pitie
Et delaiſſer la grande inimitie
Et mal talent que contre nous procures
Noublie pas lancienne amytie
Que freres ont quant ont le cueur haitie/
Et comme bon de ce grief mal nous cures
A vng brief mot les choſes ſeront dures
Se plus tenoyent/doncques pr conſidere
La pourete de nous & la miſere.
¶Ne ſeuffres pas que toy ne ton lignaige/
Ton propre ſang endure ce brouillaige
Car ſe ſeroit a toy villain reproche
Oſter nous peulz du dangereulx paſſaige
Auquel nous ſommes/regarde quel dommaige
Se par ta faute la mort toꝰ noꝰ accroche
Certaynemẽt ie cõgnois q̃lle approche
Et nous veult prẽdre : exempt tu nen ſeras
Pource dõcques garde q̃ tu feras.
Lacteur

¶La langue lors ne peut plus mot ſonner
Force luy fut laiſſer le ſermonner
Tant ſa vertu eſtoit foible et debile
Le ventre adonc voulut araiſonner
Elle & les membres/et chaſcun blaſõner
Leur reſpondãt des choſes plus de mille
En ſon parler bien ſe monſtra habille
Les reprenant de leur fole entreprinſe
Liſez ces motz voꝰ verrez la cõprĩſe
Le ventre
¶O vous mes freres iay ouy les tencons
De la langue enſemble voz blaſons
Que contre moy auez voulu conclure
Bien peu me chault certes voz dictons
Tous voz quaquetz ne priſe deux boutons
Patiemment iay porte ceſte iniure
Ie me ſuis teu/mais certes ie vous iure
Vous auez tort de me redarguer
Me tempeſter et deſſus moy huer
¶La langue ceſt vne piece friquette
Tant legierete/ſi molette/ et tendrette
A tous endroitz elle plie ou elle veult
Souuenteffois ſans rayſon elle caquette
De dire mal plus toſt que bien eſt preſte
Puis dũg puis daultre/toꝰ ꝓpoz elle acceult
Par ſon venin vng chaſcun de nous veult
Vous le voyez ce neſt rien de nouueau
Langue tu es vng dangereulx morceau

¶On voit ſouuent dune ſeule eſtincelle
Bruſler chaſteaulx/villes/tours/& tourelle
Deſtruyre tant/las on ne ſcait combien
Langue/langue/ie croy que tu es telle
Car de nyant alumes la chandelle
Dont ſont bruſlez pluſieurs hõmes de bien
Dedens ta forge iamais neſpargnes rien
De tous viuans tu ioues a la pelotte
Ceſt grand danger dune langue ſi ſotte
¶Tu ne ceſſes de ſemer les diſcordes
Noiſes tẽcõs debatz touſiours recordes
Ce teſt tout vng mais que tu te demaines
Tu metz en noiſe les vngs puis les acordes
Nya celluy que tu ne pinces ou mordes
Toꝰ les viuans a ton vouloir tu maynes
Ceſt ton plaiſir que de dire fredaynes
De faire mal iamais tu nez oyſeuſe
Langue langue tu es tres dangereuſe
¶Bouce tu es de deux bonnes clotures
Les leures ſont qui en font les bordeures
Ceſt de ton fort la premiere auantgarde
Et puys les dentz qui ſont fermes & dures
Mais ce ny vault : tu fais les ouvertures
A ton playſir ſans point y prendre garde
Or conſidere en toy meſmes & regarde
Se tu ne doybt viſer premierement
Pourquoy tu ꝑles : de quoy : q̃ãt : & cõment.
¶Ne vueilles plus ainſi la langue croire

Mes bons amys : car la choſe eſt notoire
Que mis elle a entre nous grand discord
Par ſon babil elle vous a fait accroire
Que ie ſuis maiſtre vr̃e ennemy mortoire
Voſtre ſeigneur & conſpirez ma mort
Certes mes freres voꝰ auez biẽ grãt tord :
Car ie voꝰ ſers : vous aime : & voꝰ honnore
Et mieulx ſeroye ſe ie pouoye encore.
¶Vous ſcavez bien qui parle par raiſon
Doybt eſtre ouy en chaſcune ſaison
Et ſon propos clairement entendu
Auſſi qui narre quelque fille achoiſon
Qui ne prouffite aux champs ne a la maiſon
De leſcouter ce neſt que temps perdu
Pource ie vueil quant eſt au reſidu
Dire deux motz a tous en general
Se leſcoutez ne vous doibt faire mal
¶Quant nature de la maſſe terreſtre
Nous procrea ; puis apres noꝰ fiſt naiſtre
En nous donnant telle forme & figure
Que noꝰ auõs point ne me fiſt le maiſtre :
Mais nous lya & ioignit en vng maiſtre :
Dedẽs vng corps ſans quelconque briſure
La choſe eſt donc bien repugnante & dure
De noꝰ deſioĩdre : car noꝰ ſõmes tous vng :
Rien nous nauons qui ne ſoit en commun.
¶Nature apres a doue dune office
Chaſcun de nous ſelon quil eſt propice

A toy la langue ſauourer & parler
Aux yeulx a veoir qui eſt beau benefice
Au nez ſentir odeurs/ſouefue eſpice
Aux oreilles/oir : rire : & galer
Aux mains ouurer : aux piedz courir aler
Et moy ie ſuys mis en voſtre ſeruice
Voſtre ſouillon cuiſinier & nouice
¶Contraĩd ie ſuys voſtre viande prẽdre
De labiller point ne me fault apprendre
Ie la prepare : puys la vous distribue
Nya celuy de vous ſoit grand ou mendre
Qui nait grãt tort d me vouloir reprẽdre
Car ie vous ſers a moy rien nattribue :
Mais a chaſcun de vous ie contribue
Et luy envoye ce qui luy appartient
Qui en vertu & ſante vous maintient
¶Se me donner : incontinent le prendz
Ie le digere/& puys ie vous le rendz
Quãt il eſt cuyt au moins mal ie puys
Pour moy petit ou rien ie nen retiens
Que ſeulement lordure & le fiens
Que ie metz hors par lung de mes conduys
Somme toute voſtre ſeruiteur ſuys
Nompas le maiſtre/or considerez bien
Si ie dys vray/car ie ne metz de rien
¶Aulcuneffoys recoy tant de viande
Que mẽuoyer ꝗl fault q̃ la vous rende
Toute bruſlee indigeſte & pourrye

Parquoy ſouuẽt noꝰ viẽt maladie grande :
Pour la guerir le medecin on mande
Qui nous baillera grande appoticairie
Herbes : racine.drogues dalexandrye.
Et nous fera tant de peyne endurer
Pour noſtre mal guerir toſt & curer
¶Par voz axcez il en vient ſquinancie
Replexion : colicque : ydropiſie
Douleur des reĩ : grauelle : & telz bagaiges :
Mal de coſte : de teſte : appoplexie
Flux epatic.douleur a la veſſie
Prenez y garde voire a peu de lãgaiges
Que gaygnez vous a faire telz oultraiges
Qui cauſes ſont dabbreger voz iours
Par maladie qui vous dure touſiours
¶De rien ne prendre.il vient toute triſteſſe
Auec douleur ; laſchete & foybleſſe
La face pale : la peau toute ridee
Ennuy chagrin : deffaulte de lyeſſe
Dãger de mort ꝗ le cueur moult fort preſſe
Langueur partout & la teſte vuidee
Se la matiere eſtoit bien decidee
On trouueroit que pluſieurs gentz de bien
Sont expirez : car ilz ne prenoyent rien
¶Den prendre trop ſouuẽt la peau me tire
Ien ſuys enfle & porte grief martire
Ie ne ſcay pas par quel bout iẽ doy prendre
Honte ie nay de le vous dire

Car greue ſuys : & ſouuent ay du pire
Par voz oultraiges a bien le cas cõprẽdre
Pourtãt mes freres voꝰ debuez toꝰ entẽdre
A voſtre cas/& y mettre tel ordre
Que deſſus vous on ne trouve que ordre.
¶le plus certain eſt vivre ſobrement
Sans faire excez prendre ſon nutriment
Car trop en prendre ſouuẽt griefue nature
Qui trop petit auſſi pareillement
Mais de moyen on vit ioyeuſement
Sain & alaigre ſans quelque corrompure
Auſſi eſt lame legiere/nette/& pure
Mieulx diſposee/ioyeuſe/& plus cappable
Pour acquerir la gloire pardurable
¶Vous ne pouez eſtre nourris du vent
Et ſi voulez tous repaiſtre ſouuent
Pour ſouſtenir voſtre meſchante vye
Parquoy conuient doncques doreſnavant
Que mapportez pour cuiſiner deuant
La viande dont vous aurez enuye
La voulente de vous neſt aſſouuie
Des le matin voir soleil levant
Iusſques au ſoir/ce ſuis ie bien ſcavant.
¶Pourtãt mes freres dõnez moy ꝑ raiſõ
Selon le temps & auſſi la ſaiſon
Choſe ꝑ quoy voꝰ puiſſez treſbien viure
Sobriete ſoit en voſtre maiſon
Et vous aurez de tous biens a foiſon

Gloutonnye iamais ne devez ſuyure
Chaſcun de vous ſuffiſance me liure
Et auſurplus ie vous ſerviray bien
Les bieneurez ont tenu le moyen.
¶Iadis fiſte confederation
Vne aliance vne conuention
Enſembleement & comme irreuocable
Encontre moy par adiuration
Je men ſuys teu ſans faire mention
Car voſtre edict eſtoit trop execrable
Ceſt vne chose ſuſpecte & reprouchable
Que de iurer & faire telz ſermentz
Par leſq̃lz viẽt au corps grandz detrimẽtz
¶Donc les amis laiſſez toꝰ voz contens
Et voz debatz/car certes il eſt temps
Chaſcun de vous commence ſon meſtier
Deſpeſchez vous/car a ce que ientens
Beſoing il eſt pource ſoyez contens
Dy prendre garde vous en auez meſtier
Pas ne viurez encore vng iour entier
Se ne rompez voſtre treſfole edict
Qui le tiendroit de bien ſeroit mauldict.
¶Leuez vous toſt a cop il en eſt heure
Ceſt trop dormy chaſcun de vous labeure :
Ou aultrement la mort ſaporochera
Parquoy fauldra que chaſcun de voꝰ meure
Grant honte ceſt faire tant de demeure
Voſtre pareſſe noſtre corps deffera

La vie ſen fouyt en brief nous laiſſera
Ie le ſens bien vous le pouez ſcauoir
Pour voꝰ nourrir chaſcun face deuoir.
Lacteur
¶A ces parolles les membres tous enſemble
Eurent telle paour ainſi comme il ſemble
Que bien cuydoyent a ce coup expirer
Lung ſe debat : lautre fremit & tremble
Mains neãtmoins chaſcun viures aſſẽble :
Penſe quilz peuſſent bien ſouppirer
Grand doubte auoient encores dempirer
Parquoy reprĩdrẽt grãt cueur vertu & force
Pour a ce vẽtre p̃parer quelque amorſe
¶Incontinent & les piedz de courir
Les mains ouurer pour le ventre nourrir :
Chaſcun beſongne chaſcun fait son debuoir
Les yeulx regardẽt pour le corps ſecourir
Et le nez ſent doubte auaoit de mourir
Et les oreilles ſe euurent & veulent ſcauoir
Il ne leur chault mais quilz peuſſent auoir
Quelque bon metz pour donner la paſture
A ce creux ventre dõt viẽt leur nourriture.
¶Les membres ont ſi bien diligente
Quen peu de temps ont recouuert ſante
Et commencement a eſtre vigoureux
Incontinẽt quilz eurent preſente
Au ventre viures : le corps fut ſubſtente
Et fut mis hors du danger doloreux

Ou il eſtoit moult triſte & langoreux
Dont ioyeux furent & enſemble remitz
Qui par auant eſtoyent grandz ennemys.
¶Ie meſueillay peſant & eſtourdy
Mais neantmoins peu a peu ſourdy
Et empoignay mon papier : ancre : & plume :
Pour rediger les motz que ie vous dy
Ay lendemain certes point nattendy
Quand fer eſt chaud on le bat sur lenclume
O vous lyſans corrigez ce volume
Des motz ya mal couchez vng mynot
Et ꝑdõnnez a moy poure Iehãnot.


¶Finis.

On connaît trois anciennes éditions, sans date, de la Guerre et le débat de la langue, les membres et le ventre ; 1o. L’édition imprimée à Lyon, par Jaques Moderne, in-4o, citée par Du Verdier (Bibliothèque françoise, Paris, 1773, tome II, page 325), qui attribue cette pièce à Jean d’Abundance ; 2o. l’édition indiquée par l’abbé Goujet (Bibliothèque françoise, tome X, page 448), petit in-4o de 18 feuillets, goth., à Paris, chez Jehan Trepperel ; et enfin celle qui a servi à la présente réimpression, petit in-4o, gothique, de 18 feuillets, avec des gravures en bois. Au bas du titre de cette dernière on lit : On les vend a Paris en la rue Neuſue Nostre Dame a lenseigne sainct Nicolas.

De nos jours, la Société des bibliophiles français a fait exécuter un fac simile de cette pièce d’après la même édition que nous suivons aujourd’hui ; l’exécution typographique de la nôtre nous est un garant presque certain qu’elle obtiendra la préférence sur ce fac-simile, lors même qu’il serait possible de se le procurer facilement.

Rigoley de Juvigny, dernier éditeur des Bibliothèques françoises de La Croix du Maine et de Du Verdier, ajoute en note au sujet de cette pièce : la fable de La Fontaine serait-elle prise de la Guerre et débat entre la langue, les membres et le ventre, de cet auteur (Jean d’Abundance) ? Nous demandons à notre tour s’il n’est pas plus naturel de penser que le fond de cette pièce a été tiré d’Ésope, et que notre inimitable La Fontaine a sans doute puisé à la même source que le poète du xvie siècle. On peut voir, dans le beau travail publié par M. Robert sur les Fables inédites des xiie xiiie xive siècles, et celles de La Fontaine (livre III, fable II) ceux qui même avant d’Abundance, et pour ne parler que des Français, avaient employé l’apologue d’Ésope.

S.


Achevé d’imprimer le 10 mai 1840, par Crapelet, rue de Vaugirard, no  9 ; et se vend à Paris, chez Silvestre, libraire, rue des Bons-Enfants, no  30.