La Grandeur du monde (tr. Nerval)

Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 376-377).


LA GRANDEUR DU MONDE


Je veux parcourir avec l’aile des vents tout ce que l’Éternel a tiré du chaos ; jusqu’à ce que j’atteigne aux limites de cette mer immense et que je jette l’ancre là où l’on cesse de respirer, où Dieu a posé les bornes de la création !

Je vois déjà de près les étoiles dans tout l’éclat de leur jeunesse, je les vois poursuivre leur course millénaire à travers le firmament, pour atteindre au but qui leur est assigné ; je m’élance plus haut… Il n’y a plus d’étoiles !

Je me jette courageusement dans l’empire immense du vide, mon vol est rapide comme la lumière… Voici que m’apparaissent de nouveaux nuages, un nouvel univers et des terres et des fleuves…

Tout à coup, dans un chemin solitaire, un pèlerin vient à moi : « Arrête, voyageur, où vas-tu ? — Je marche aux limites du monde, là où l’on cesse de respirer, où Dieu a posé les bornes de la création !

— Arrête ! tu marcherais en vain : l’infini est devant toi. » Ô ma pensée ! replie donc tes ailes d’aigle ! Et toi, audacieuse imagination, c’est ici, hélas ! ici qu’il faut jeter l’ancre !