La Grande Mademoiselle
Revue des Deux Mondes5e période, tome 20 (p. 130-170).
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LA GRANDE MADEMOISELLE

III[1]
LA JEUNE COUR. — LES FÊTES GALANTES


I

Aux approches de trente-cinq ans, la Grande Mademoiselle s’aperçut à divers signes qu’elle n’était plus jeune. Elle connut la limite de ses forces, chose qui ne lui était jamais arrivée, le 7 février 1662. Louis XIV dansait pour la première fois un grand ballet intitulé les Amours d’Hercule, et sa cousine de Montpensier y tenait un rôle : elle en fut malade de fatigue. Une lassitude d’un autre genre lui venait ; elle s’ennuyait dans les fêtes. Elle avait vu tant de galas, depuis qu’elle était au monde, tant de festins et de feux d’artifice, de guirlandes de fleurs et de chars allégoriques, qu’à présent elle en avait vite assez, et le Roi aimait justement les plaisirs copieux ; ceux qu’il offrait à sa Cour se prolongeaient parfois des jours et des nuits de suite, sans vous laisser le temps de respirer, et il n’était pas permis de ne pas s’amuser tout le temps. Mademoiselle n’en était plus capable. Elle commençait à avoir envie de rester au logis. Ses migraines y contribuaient ; l’âge les multipliait, et toutes les femmes savent qu’il est plus agréable d’avoir la migraine sans témoins.

Elle était rentrée de haute lutte dans le palais du Luxembourg et s’y était logée auprès de sa belle-mère. La vieille Madame se serait bien passée d’un voisinage qui ne lui présageait rien de bon, mais elle n’avait été soutenue par personne, car personne ne s’intéressait à elle. On lit dans une gazette à la main du 21 juillet 1660 : « — L’affaire mise en délibération à la Cour, on trouva que Mademoiselle avait droit de… demander (un des appartemens libres) et que Madame ne pouvait pas le lui refuser. On dit même que le Roi lui écrivit pour le lui faire trouver bon. » Il fallut avaler le calice et installer à sa porte cette belle-fille tempétueuse, avec laquelle il n’y avait pas de tranquillité possible, alors que Madame aurait eu besoin d’un grand calme. Madame avait des « vapeurs, » autrement dit une maladie nerveuse. Elle avait peur du bruit, peur de voir remuer ou d’être obligée de parler. Mademoiselle venait lui faire des scènes : « — Je la picotais souvent, disent ses Mémoires, et la méprisais beaucoup (en quoi j’ai eu tort) et… elle me répondait toujours comme une personne qui me craignait, et avec beaucoup de soumission. » Le public se dispensait de plaindre Madame, parce qu’elle ennuyait tout le monde ; c’est le défaut qui se pardonne le moins. Anne d’Autriche elle-même, très bonne femme tant qu’on ne la contrariait pas, ne pouvait souffrir son inoffensive belle-sœur. Elle disait à Mademoiselle, qui n’avait pas besoin de cet encouragement : « — Sa personne, son humeur et ses manières me sont odieuses. » Au fond, le public avait raison dans son antipathie. Madame était de ces gens qui rendent la vertu haïssable, et sont par-là très malfaisans.

Le Luxembourg était commode et gai. Mademoiselle s’y plaisait, et il lui souriait de s’arranger une grande existence de princesse riche et indépendante. On ne pouvait pas faire plus mal sa cour. Dès que Louis XIV eut pris le pouvoir, il laissa voir qu’il ne voulait plus d’autre centre mondain dans son royaume que son propre palais. Sa cousine n’en tint compte. Ce n’était point bravade ; c’était impossibilité de comprendre qu’une « personne de sa qualité » pût être réduite au rôle de satellite. Il est certain que la nature ne l’y avait pas préparée. « Je passerais ma vie dans la solitude, écrivait-elle, plutôt que de contraindre mon humeur fière en rien, y allât-il de ma fortune… Je n’ai nulle complaisance et j’en demande beaucoup[2]. » Elle disait aussi : « Je ne loue pas volontiers les autres, et je me blâme rarement. » Avec ce caractère-là, il était peut-être plus sage de ne pas aller trop souvent au Louvre ; l’imprudence fut d’attirer la foule chez soi, comme au temps où Mademoiselle faisait de l’opposition dans ses Tuileries.

Son salon devint le premier de Paris, le plus intéressant et le plus recherché. Paris ne pouvait plus se passer de jolie conversation depuis qu’il en avait goûté sous la direction de Mme de Rambouillet et qu’il s’était découvert le génie de cet art délicat. L’initiatrice vivait encore, mais elle était vieille, malade, et son cercle s’était dispersé il y avait longtemps[3]. Mlle de Scudéry en avait recueilli ce qu’elle avait pu et en avait fait le fond de ses fameux samedis, où l’esprit et le savoir se dépensaient sans compter. Néanmoins, ce n’était plus cela. Les samedis de « Sapho » ramenaient les gens de lettres à la pédanterie dont Mme de Rambouillet les avait plus ou moins débarbouillés. Ils s’y retrouvaient trop entre eux. Laissés à eux-mêmes, ils reperdaient ce qu’ils avaient pu acquérir de bonne grâce intellectuelle au frottement des habitués aristocratiques de la Chambre bleue. L’esprit a ses manières tout ainsi que le corps, et il peut aussi en avoir de bonnes et de mauvaises. En 1661, la Cour était encore seule à avoir les bonnes. Il n’existait pas d’autre monde où le premier venu sût parler un langage aisé et galant, assorti aux feutres à plumes et aux belles révérences. C’était dans les traditions du lieu. Il manqua aux doctes amis de Mlle de Scudéry de ne plus se sentir guettés par ces beaux seigneurs qui avaient le trait si prompt, la raillerie si légère, et qui détestaient les cuistres.

La société féminine des samedis avait aussi trop peu d’habitude avec les duchesses et les marquises pour remplacer l’hôtel de Rambouillet. Mlle Rocquet, qui tient une grande place dans les chroniques des samedis, était fort aimable et jouait « miraculeusement[4] » du luth, mais elle appartenait à la très petite bourgeoisie. Mlle Dupré, autre amie de la maison, était une fille intelligente et instruite, qui avait fait une étude particulière de la philosophie : elle citait trop souvent Descartes pour avoir « l’air galant » en conversation. Ainsi des autres. Mlle de Scudéry elle-même, qui était reçue dans la meilleure compagnie et qui avait autrefois combattu le « bas-bleuisme » avec un bon sens admirable, n’avait pas pu écrire impunément trente-deux in-octavo à la file ; il lui en était resté un peu d’encre au bout des doigts. Il semblait que tous les pédans de France tinssent classe en sa maison. Les mots d’esprit y avaient leurs papiers ; on en dressait des procès-verbaux. « L’illustre Sapho » avait bien mérité d’inspirer Molière lorsqu’il écrivit les Précieuses ridicules ; M. Cousin a beau se refuser à le croire[5], je m’imagine qu’elle n’y a pas échappé.

Mademoiselle rendit aux beaux esprits le service de les remettre à l’école de la Cour pour les manières et le langage. Nous sommes très renseignés, grâce à une fantaisie de princesse d’où est sortie une petite littérature, sur les modèles que le Luxembourg avait à leur offrir. En 1657, Mademoiselle étant à Champigny pour le procès Richelieu, la princesse de Tarente[6] et Mlle de la Trémouille[7] lui montrèrent leurs portraits écrits par elles-mêmes[8], à l’imitation de ceux que Mlle de Scudéry, créatrice du genre, donnait à deviner dans ses romans à clef : « — Je n’en avais jamais vu ; je trouvai cette manière d’écrire fort galante, et je fis le mien. » Après le sien, elle en fit d’autres et exigea que l’on en fît autour d’elle. Il en est résulté un répertoire unique en son genre, où de nobles personnages, des deux sexes et de tout âge, ont la bonté de ne rien nous laisser ignorer d’eux-mêmes, pas plus l’état de leurs dents que leurs opinions sur l’amour, ni de leurs amis, pour lesquels ils ne se sont pas trouvé de raisons d’être plus discrets. Le recueil des Portraits[9] nous apprend comment l’aristocratie d’alors se voyait, ou voulait être vue.


II

On commençait d’ordinaire par dépeindre sa figure et sa tournure. La mode était d’y mettre de la sincérité, ce qui ne veut pas toujours dire de la modestie. La célèbre duchesse de Châtillon prévient le lecteur qu’elle va lui parler avec une naïveté « la plus grande qui fut jamais. C’est pourquoi, continue-t-elle, je puis dire que j’ai la taille des plus belles et des mieux faites que l’on puisse voir. Il n’y a rien de si régulier, de si libre, ni de si aisé. Ma démarche est tout à fait agréable, et en toutes mes actions j’ai un air infiniment spirituel. Mon visage est un ovale des plus parfaits selon toutes les règles ; mon front est un peu élevé, ce qui sert à la régularité de l’ovale. Mes yeux sont bruns, fort brillans et bien fendus ; le regard en est fort doux, et plein de feu et d’esprit. J’ai le nez assez bien fait, et pour la bouche, je puis dire que je l’ai non seulement belle et bien colorée, mais infiniment agréable, par mille petites façons naturelles qu’on ne peut voir en nulle autre bouche. J’ai les dents fort belles et bien rangées. J’ai un fort joli petit menton. Je n’ai pas le teint fort blanc. Mes cheveux sont d’un châtain clair ; et tout à fait lustrés. Ma gorge est plus belle que laide. Pour les bras et les mains, je ne m’en pique pas ; mais pour la peau, je l’ai fort douce et fort déliée. On ne peut pas avoir la jambe ni la cuisse mieux faite que je l’ai, ni le pied mieux tourné. »

La description de la personne physique était l’une des lois du genre ; personne ne croyait pouvoir s’en dispenser, pas même les religieuses. On trouve parmi les Portraits celui d’une abbesse qui fréquentait chez Mademoiselle, l’imposante Marie-Eléonore de Rohan, personne très estimée, au rebours de sa mère, la fameuse duchesse de Montbazon, mais très déroutante tout de même pour nos idées modernes sur la vie monastique. Elle se partageait entre le cloître et le monde et suffisait à tout, édifiante quand il le fallait, vive et brillante le reste du temps, et aussi naturelle dans un rôle que dans l’autre. L’abbesse composait des ouvrages de piété pour ses nonnes : la Morale de Salomon[10] ou les Paraphrases des sept Psaumes de la Pénitence. La mondaine se plaçait devant son miroir et écrivait sans l’ombre d’embarras : « — J’ai quelque hauteur dans la physionomie, et de la modestie. J’ai… le nez trop grand, la bouche point désagréable, les lèvres propres et les dents ni belles, ni laides. » Ce « nez trop grand » choqua le savant Huet. Mis en demeure de refaire le portrait de Madame l’abbesse, il écrivit : « — Comme c’est une beauté à laquelle je suis fort sensible que celle du nez…, trouvez bon, madame, que je commence par le vôtre. Il est grand, mais de grandeur médiocre ; il est blanc, un peu aquilin, et rend votre ris fort spirituel. » Une autre phrase de Huet nous fait entrevoir les accommodemens du costume monastique avec la coquetterie, chez ces pseudo-religieuses dont l’espèces, qu’il n’y a vraiment pas lieu de regretter, était destinée à disparaître avec la réforme des couvens : «… On ne peut imaginer, poursuivait le futur évêque, de plus beaux cheveux que les vôtres ; ils sont d’un blond cendré et frisés d’une manière fort agréable, et ils accompagneraient admirablement bien votre visage, à ce que j’ai pu juger quand ils se sont dérobés par hasard au soin que vous prenez de les cacher. »

Après le corps venaient l’humeur, les goûts, les qualités de l’esprit et ses défauts. C’est là que gît l’intérêt durable des Portraits. Il est précieux de savoir de première main, par ses propres confidences, que cette société aristocratique, de qui le Roi allait exiger le sacrifice complet de son indépendance, ne haïssait rien tant que la contrainte, et ne se gênait pas pour le dire. Hommes ou femmes, tous ceux qui parlent pour eux-mêmes en reviennent toujours là, et presque dans les mêmes termes : « — Je hais la contrainte… La contrainte m’est insupportable… j’ai aversion pour tout ce qui s’appelle contrainte… Je souffre impatiemment l’oppression, et j’aime passionnément la liberté… » Au point de vue de la monarchie absolue et de la discipline qu’elle impose à une Cour, la noblesse française avait de bien mauvaises habitudes.

Elle professait l’amour des vertus chevaleresques et la haine de tout ce qui ressemble à bassesse ou déloyauté. En quoi elle était sincère, à condition d’admettre que les opinions des hommes sont changeantes, même en morale, et que nous aurions aujourd’hui de la peine à nous entendre avec un gentilhomme de 1660 sur ce qui est loyal, ou bas, et ce qui ne l’est pas. L’honneur lui commandait de venger ses offenses, sans regarder de trop près aux moyens. L’usage l’autorisait à être injuste et de mauvaise foi avec les petits et les faibles, en particulier lorsqu’il leur devait de l’argent ; la probité était une vertu bourgeoise. Mademoiselle trouvait indigne que les gens de qualité abusassent de leur « autorité » pour « ruiner de misérables créanciers. » Mais elle était parmi les exceptions.

Le droit d’avoir « de l’honneur » s’étendait à toutes les conditions ; Vatel fut loué de s’être tué parce que la marée n’arrivait pas : « — On dit, écrivait Mme de Sévigné, que c’était à force d’avoir de l’honneur à sa manière. » Il n’en était pas de même d’un autre sentiment qui remplit le théâtre de Corneille et dont il est continuellement question dans tous les écrits du temps. Le consentement général réservait aux gens de qualité le privilège d’avoir « de la gloire, » de « la belle, » de « la vraie, » celle qui « portait, selon la définition de Huet, à désirer les grandes choses. » La « vraie gloire, » que l’on distinguait avec soin de ce que nous appellerions la gloriole, était le sentiment aristocratique par excellence. Même parmi les auteurs des Portraits, tout le monde ne se permet pas de l’avoir.

Il y avait encore, dans cette brillante société, beaucoup de très honnêtes femmes, malgré le train licencieux que prenait la jeune Cour. Toutefois, il manquait à la vertu d’être suffisamment en honneur. Elle restait affaire de goût personnel ; la noblesse n’y attachait en général qu’une importance secondaire, et toute de convention. Les femmes « sages, » ou présumées telles, en recevaient des louanges dans les portraits dus à des plumes amies ; les autres n’en étaient pas plus mal vues, sauf par les jansénistes et autres « esprits chagrins. » La jeune comtesse de Fiesque, avec qui Mademoiselle s’était brouillée à Saint-Fargeau, avait une réputation bien établie de galanterie. L’auteur anonyme de son portrait y fait allusion et s’empresse d’ajouter : « — Véritablement cela ne lui fait point de tort. » Aucun tort en effet. Mademoiselle n’y pensa même pas, quand Mme de Fiesque vint lui demander pardon de ses impertinences : « — Elle se jeta à genoux devant moi ; je la relevai en l’embrassant ; elle pleura de joie. C’est une bonne femme, de ces esprits qui se laissent entraîner…, mais dont le fond est bon. »

Par un juste retour, les hommes parlaient fort librement des femmes ; on croirait entendre chanter des coqs. Un anonyme, qui « pourrait bien être le poète Racan[11], » se représente très laid, très bègue et très puant, très maussade par-dessus le marché et très menteur, et il poursuit : «… Je suis fort effronté parmi les femmes, et aussi entreprenant que si j’avais toute la bonne mine et tout l’agrément du monde pour me faire bien recevoir. Je m’en suis bien trouvé quelquefois, tel que vous me voyez… » Il y a encore plus de mépris pour la femme dans le passage suivant du portrait de La Rochefoucauld par lui-même : « — Pour galant, je l’ai été un peu autrefois ; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois. J’ai renoncé aux fleurettes, je m’étonne seulement de ce qu’il y a encore tant d’honnêtes gens qui s’occupent à en débiter. » Voilà qui est dur pour Mme de Longueville. Je ferai remarquer en passant que La Rochefoucauld avait quarante-cinq ans[12] au moment où il se trouvait si « jeune » pour « renoncer aux fleurettes. » Cependant Molière allait bientôt faire rire tout Paris aux dépens d’Arnolphe[13], qui se mêle encore d’aimer à quarante-deux ans. Faut-il en conclure que Molière avait entrepris d’abaisser la limite d’âge de l’amour ? Ou bien était-ce seulement au théâtre que la mode exigeait des amoureux jeunes ? Je laisse la question à de plus habiles ; elle n’est pas sans importance pour l’histoire des sentimens.

La mode des portraits ne dura guère que deux ans chez ceux qui en avaient été les parrains ; sitôt qu’elle eut gagné la bourgeoisie, les gens de qualité l’abandonnèrent. Le goût très vif qu’y prirent à leur tour les classes moyennes fut un service rendu aux lettres. Les imitateurs de la Galerie apprirent à ce jeu, comme auparavant les créateurs du genre, à connaître « l’intérieur des gens[14]. » Leurs « anatomies » du cœur, tout imparfaites qu’elles fussent, les habituaient à discerner « les qualités et les humeurs des personnes[15], » et il se formait ainsi un grand public préparé à comprendre les femmes de Racine.

Mademoiselle fut la première à profiter des études d’âme qu’elle avait mises en faveur. Il lui en resta un tour de main qui est très sensible dans la portion de ses Mémoires écrite après 1660. Le progrès est également marqué dans un petit roman à clef intitulé : Histoire de la Princesse de Paphlagonie, qui fut composé et imprimé à Bordeaux en 1659, pendant l’arrêt prolongé de la Cour. Ce n’est point la seule œuvre d’imagination qui soit sortie de cette plume facile[16] ; c’est la seule qui vaille qu’on en dise quelques mots.

Le sujet est sans intérêt ; Mademoiselle a mis en conte bleu les fastidieuses querelles de son domestique : « J’en fis une petite histoire qui fut achevée en trois jours, à écrire une heure ou deux heures le soir, quand je revenais de chez la Reine. » En récompense, il y a dans la Princesse de Paphlagonie des croquis d’après nature d’un trait vif et ferme qui est une nouveauté chez Mademoiselle. Un passage sur la chambre bleue de Mme de Rambouillet sera d’un grand secours pour restituer un intérieur élégant sous Louis XIV, si l’on essaie jamais, comme il a été proposé, de jouer les comédies de Molière dans la vraie « chambre » de Philaminte ou de Célimène. D’autres nous ont parlé de la pièce où recevait Mme de Rambouillet. Ils nous en ont décrit le décor harmonieux et le désordre savant. Personne ne nous a rendu comme Mademoiselle l’atmosphère intime du sanctuaire, avec son jour mesuré et discret, son luxe de fleurs, ses objets d’art, et sa petite bibliothèque de choix, disant les goûts et les préférences de la divinité du lieu. Cela ressemble bien plus au salon d’une femme intelligente du XXe siècle qu’à une pièce du château de Versailles.


III

Les invités de Mademoiselle profitaient aussi de raffinement de son goût. Elle avait imposé à son salon une règle, une seule : les cartes en étaient bannies. On n’y était jamais exposé à se ruiner comme chez le Roi, qui encourageait le gros jeu. Il ne déplaisait pas à Louis XIV d’être la Providence des décavés ; c’était encore une façon de tenir sa noblesse. Sa cousine n’entrait pas dans ces sortes de considérations. Elle disait : « Je hais à jouer aux cartes, » et ne jouait que s’il lui était impossible de s’en dispenser ; elle ne devait pas aimer à perdre. On remarqua que le Luxembourg avait gagné en gaîté à l’exclusion des jeux d’argent : « — On riait cent fois davantage, » raconte l’abbé de Choisy[17], alors tout jeune, et très assidu chez Mademoiselle, où il trouvait nombreuse compagnie de son âge.

Les trois filles de la vieille Madame, Mlles d’Orléans, d’Alençon et de Valois[18], y étaient sans cesse. Elles s’échappaient de leur appartement désert pour accourir vers le bruit et le mouvement ; leur vie était trop triste, avec Madame et ses éternelles vapeurs. Reléguées dans leur chambre, comme à Blois, avec quelques compagnes d’enfance, dont Louise de La Vallière[19] encore inconnue, les petites princesses redoutaient cette mère presque invisible, qui ne leur adressait la parole que pour les gronder. Au moins, chez Mademoiselle, on avait le droit de remuer. La jeunesse y était dans une grande liberté. On organisait de petits jeux. On faisait des parties de cache-cache et de colin-maillard. Le soir, on dansait : « — Comme j’avais des violons, dit Mademoiselle, le bal était bientôt fait dans une chambre éloignée de celle de Madame. » L’abbé de Choisy ajoute un détail gracieux : « — Il y avait des violons, mais ordinairement on les faisait taire pour danser aux chansons. » C’est si joli de danser aux chansons !

Tandis que la jeunesse sautait, les grandes personnes avaient aussi leurs petits jeux. Tout cédait, cependant, au plaisir sans égal de la conversation. Parmi ceux qui lui donnaient son éclat au Luxembourg, on peut citer La Rochefoucauld, Segrais, Mme de Lafayette, Mme de Sévigné, Mademoiselle elle-même, qui menait les idées un peu tambour battant, comme elle menait tout, mais, aussi, avec le même imprévu. La conversation allait être pendant plus d’un siècle, jusqu’à la Révolution, les délices de la France intelligente, et rendre d’incomparables services à la langue, légèrement empêtrée dans les nobles périodes du XVIIe siècle. On s’aperçut tout de suite que le pire défaut, pour un causeur, est de parler comme un livre, et le français dut à cette simple remarque de devenir sans rival dans tout l’univers pour la vivacité et le naturel.

Les habitués du Luxembourg regrettaient seulement que la conversation ne tournât pas plus souvent sur l’amour. Mademoiselle n’y mettait plus la même complaisance qu’à Saint-Fargeau. Nous avons vu que, dans la pratique, elle fermait les yeux ; cela simplifiait la vie. Dans la conversation, pour son plaisir, elle aimait mieux d’autres sujets ; celui-là lui devenait insupportable. « — L’on me fait la guerre, dit-elle dans son Portrait, que les vers que j’aime le moins sont ceux qui sont passionnés, car je n’ai pas l’âme tendre. » D’ailleurs, elle n’avait plus rien à dire sur l’amour. Elle venait de faire sa profession de foi dans une correspondance avec Mme de Motteville qui circulait manuscrites, en attendant mieux, et où on lisait : « Son commerce est honteux ; il est volage et inégal, sans foi et sans probité… C’est un impie ; il se moque du sacrement. » Le mariage ne raccommode rien : il donne tout à l’homme : « Tirons-nous de l’esclavage, s’écriait Mademoiselle ; qu’il y ait un coin du monde où l’on puisse dire que les femmes sont maîtresses d’elles-mêmes. »

On a le droit de mépriser l’amour et le mariage, à condition que ce ne soit pas seulement pour les autres. La jeunesse du Luxembourg savait à merveille, et c’est pourquoi elle protestait, que Mademoiselle recherchait avec une ardeur croissante cet « esclavage » contre lequel, de vive voix ou par écrit, elle appelait son sexe à la révolte. Les personnes de son intimité la voyaient se forger de pures imaginations sous l’empire d’une idée qui tournait à l’obsession, et croire ensuite que ces choses-là étaient réellement arrivées. Elle avait cru à des « empressemens » significatifs de la part du petit Monsieur, qui allait en épouser une autre. Après la restauration des Stuarts (avril 1660), elle crut, — le récit en est tout au long dans ses Mémoires, — que le roi Charles II, qu’elle avait refusé avec dédain lorsqu’il n’était qu’un pauvre prétendant, n’avait rien eu de plus pressé en montant sur le trône que de redemander sa main, et qu’elle avait répondu noblement : « Je ne le mérite pas, les ayant refusés pendant leur disgrâce… Il aurait toujours cela sur le cœur et je l’aurais sur le mien, et cela nous empêcherait d’être heureux. »

Cette belle réponse a été citée cent fois. On sait aujourd’hui par des documens anglais[20] que Mademoiselle n’eut jamais lieu de la faire. Les avances, hélas ! étaient venues de son côté, et avaient été mal reçues : « Je désire beaucoup le mariage de Mademoiselle, écrivait lady Derby[21] à sa belle-sœur, Mme de la Trémouille, par qui passaient les « insinuations ; » mais le roi y a grande aversion, à cause du mépris qu’elle lui a montré. J’ai parlé d’elle au marquis d’Ormond, mais j’ai rencontré peu d’encouragement. » Autre lettre : « J’ai fait proposer Mademoiselle, et j’ai un peu d’espoir. Si le roi tient aux richesses, il ne peut pas en avoir plus qu’avec Mademoiselle… ; mais je crains qu’ayant été méprisé dans sa pauvreté, il ne soit peu disposé maintenant à envisager un pareil mariage. » Charles II ne voulut rien écouter ; il avait gardé rancune à sa cousine.

En revanche, il y a toute apparence qu’elle dit vrai[22], lorsqu’elle raconte que le vieux duc Charles III de Lorraine[23] l’avait demandée « à genoux » pour un jouvenceau de dix-huit ans, le prince Charles de Lorraine, son neveu, qui devint dans la suite l’un des meilleurs généraux de l’Autriche. Il s’agissait, bien entendu, d’une combinaison politique. Par malheur, le prince Charles avait une autre idée, plus de son âge. Il était fort amoureux de la fille aînée de Madame, Marguerite d’Orléans, qui le lui rendait de tout son cœur. La jeunesse du Luxembourg accusa la Grande Mademoiselle d’avoir fait manquer leur mariage par jalousie : « L’affaire avait été fort avancée, rapporte cette commère d’abbé de Choisy, mais la vieille Mademoiselle avait tant parlé et chuchoté, qu’elle avait tout rompu. Elle était au désespoir que ses sœurs cadettes, et gueuses au prix d’elle, se mariassent à sa barbe. » Marguerite d’Orléans en fit un mariage de dépit qui tourna très mal[24], et dont Mademoiselle ne profita même pas : par un retour singulier, du jour où il avait dépendu d’elle de l’épouser, elle n’avait plus eu que du mépris pour ce principicule « sans bastions[25]. » Ses caprices impatientaient le Roi, qui finit par prendre ses arrangemens avec la Lorraine sans plus s’occuper de sa cousine.

Louis XIV était dans les vieux principes monarchiques quant [26] aux mariages de princesses. Il n’y voyait que des questions politiques à régler entre gouvernemens, et où le sentiment n’avait pas à intervenir. L’idée que nous avons tous droit au bonheur n’était pas de son temps, et, si quelque précurseur la lui avait suggérée, il l’aurait sûrement condamnée, car elle fait passer les intérêts de l’individu avant ceux de la communauté, qui paraissaient bien autrement sacrés aux gens du XVIIe siècle. Louis XIV ne s’était pas cru le droit, pour lui-même, de n’accepter que les agrémens de son « métier de roi, » puisqu’il s’était imposé une existence de travail acharné, lorsqu’il lui aurait été si doux de ne rien faire. Dans son esprit, plus l’individu était haut placé, plus il était tenu de sacrifier ses propres convenances au bien général. Mademoiselle avait l’honneur d’être sa cousine germaine ; il était parfaitement résolu à la marier ou ne la marier pas, à la donner indifféremment à un héros ou à un monstre, selon qu’il le jugerait utile pour « le service du Roi. » C’était sa façon de reconnaître la parenté ; elle ne manquait pas de grandeur.

Il n’entrait pas dans sa pensée que Mademoiselle aurait l’audace de lui résister. On peut dire que, sous ce rapport, ils étaient aussi incapables l’un que l’autre de se comprendre. Mademoiselle avait vécu trop longtemps dans l’opposition pour se faire à la notion d’un pouvoir royal absolument sans limites, dans toutes les circonstances imaginables et vis-à-vis de toutes les personnes possibles. Louis XIV avait une foi trop profonde au droit divin des rois pour se refuser une seule des prérogatives qui peuvent en découler. Ils représentaient l’un et l’autre l’opinion de nombreux Français ; mais Mademoiselle représentait le courant décroissant, Louis XIV le courant grossissant.

Ce dernier était venu au monde au bon moment pour profiter d’une doctrine qui, suivant une heureuse expression[27], semblait faite pour lui comme il semblait fait pour elle. A la suite de la Réforme, la vieille théorie de l’origine divine du pouvoir avait bénéficié de ce que les peuples, en maint pays ou en mainte province, s’étaient trouvés aussi intéressés que pouvaient l’être les souverains à supprimer l’autorité politique du pape, en dehors de ses Etats, et son ingérence dans les affaires des autres pays. C’est ainsi qu’en France, on remarque des théologiens calvinistes parmi les écrivains qui soutinrent dès le XVIe siècle que les princes reçoivent directement leur pouvoir de Dieu, et de Dieu seul. La conséquence immédiate de la doctrine fut de rehausser encore l’éclat de la majesté royale. Les princes devinrent « l’image « de la divinité, et même quelque chose de plus ; le premier discours officiel qu’entendit Louis XIV, — il n’avait pas cinq ans, — le qualifia de « divinité visible. » Deux ans plus tard, le Catéchisme royal[28] lui expliquait qu’il était « vice-dieu. » Vingt ans plus tard, Louis XIV était « dieu » tout court, et c’était Bossuet qui le lui déclarait du haut de la chaire. Prêchant au Louvre, le 2 avril 1662, et ayant à parler des devoirs des rois, Bossuet s’écria : « O dieux de terre et de poussière, vous mourrez comme des hommes. N’importe, vous êtes des dieux, encore que vous mouriez… »

Quand un homme entend ces choses-là sans broncher, il est mûr pour en accepter toutes les conséquences : « Les rois, avait écrit un anonyme, sont les seigneurs absolus de tout ce qui respire l’air, dans toute l’étendue de leur empire[29]. » Louis XIV a formulé très nettement la même pensée dans ses Mémoires : « Celui qui a donné des rois aux hommes a voulu qu’on les respectât comme ses lieutenans, se réservant à lui seul le droit d’examiner leur conduite. Sa volonté est que quiconque est né sujet obéisse sans discernement[30]. » Il est juste d’ajouter qu’il était arrivé à ces conclusions sous une poussée du sentiment public, devenu impatient de donner à la monarchie la force dont elle avait besoin pour remettre le pays en ordre. A la mort de Mazarin, la France était semblable à une grande maison dont les armoires, confiées à une ménagère négligente, n’ont pas été rangées depuis toute une génération. Une immense espérance traversa la France quand le pays vit son jeune monarque, aidé vigoureusement par Colbert, mettre le balai dans l’amas d’abus et d’iniquités qui portait le nom d’administration, et se montrer résolu, en dépit des résistances et sans ménagemens pour les personnes, à introduire de l’ordre et de la propreté morale dans les grands services publics.

Cela ne se fît point sans des pleurs et des grincemens de dents, sans des injustices aussi, témoin Fouquet, coupable assurément mais payant pour tant d’autres, dont Mazarin le premier. Mais cela se fit. Les finances d’abord, avec ce résultat que le peuple paya moins et que les impôts rapportèrent davantage. La justice ensuite ; la réforme de la procédure fut commencée en 1665, et les grands jours d’Auvergne s’ouvrirent la même année. L’armée ; les soldats, régulièrement payés, commirent moins de désordres, et la noblesse apprit bon gré mal gré l’obéissance militaire. En même temps, l’industrie et le commerce marchaient d’un tel pas, que, dès 1668, les commandes affluaient à Paris « du monde entier, » pour une foule d’articles que nous étions forcés, dix ans plus tôt, de faire venir de l’étranger ; c’est l’ambassadeur de Venise, Giustiniani, qui l’écrit à son gouvernement.

La ferme volonté du maître avait remis le pays en marche. Louis XIV en fut confirmé dans sa haute opinion de la monarchie absolue. L’année même où Bossuet l’encourageait à se croire au-dessus de l’humanité ordinaire, il décida en toute sûreté de conscience de marier la Grande Mademoiselle à un véritable monstre, dans l’intérêt d’une combinaison politique qui lui tenait au cœur, car il y est revenu à plusieurs reprises dans ses Mémoires. Son beau-père, Philippe IV, menaçait l’indépendance du Portugal[31]. Louis XIV se « faisait scrupule d’assister ouvertement le Portugal à cause du traité des Pyrénées[32]. » D’autre part, il estimait duperie d’être plus honnête avec les Espagnols que les Espagnols ne l’étaient avec lui : « Je ne pouvais pas douter qu’ils n’eussent violé les premiers et en mille sortes le traité des Pyrénées, et j’aurais cru manquer à ce que je dois à mes États si, en l’observant plus scrupuleusement qu’eux, je leur laissais librement ruiner le Portugal, pour retomber ensuite sur moi avec toutes leurs forces. » Il lui sembla qu’il conciliait tout en aidant le Portugal sous main, et Turenne n’eut aucune répugnance à s’employer dans cette affaire : cela s’appelait alors, et cela s’appelle encore quelquefois, faire de la politique.

Telle étant la situation, Turenne vint une après-midi trouver Mademoiselle dans son cabinet. Le récit de leur entrevue nous a été conservé par la princesse, et nous pouvons, cette fois, nous en fier à elle ; ses Mémoires s’accordent avec les témoignages des contemporains.

C’était vers la fin de l’hiver de 1662. Turenne s’assit au coin du feu et entama des protestations de tendresse. « Comme je suis brusque, je lui dis : « De quoi est-il question ? » Il me répondit : « Je veux vous marier. » Je l’interrompis et lui dis : « Cela n’est pas facile ; je suis contente de ma condition. — Je vous veux faire reine ; mais écoutez-moi ; laissez-moi tout dire, et puis vous parlerez. Je vous veux faire reine de Portugal. — Fi ! me récriai-je, je n’en veux point. » Il reprit : « Les filles de votre qualité n’ont point de volonté ; elle doit être celle du Roi. »

Le monarque qui faisait crier « Fi ! » à Mademoiselle s’appelait Alphonse VI et n’avait pas encore vingt ans. A vingt-trois, l’abbé de Saint-Romain, notre envoyé en Portugal, rapportait qu’il ne savait encore ni lire ni écrire[33]. En revanche, « il tirait les oreilles et arrachait les cheveux du premier venu, » et c’était dans ses bons jours ; dans les mauvais, il frappait « des pieds, des mains et de l’épée tous ceux qui le fâchaient, indifféremment. » Ses sujets n’osaient plus sortir de nuit dans les rues, parce que l’un de ses divertissemens était de les « charger brusquement » dans l’obscurité, et d’essayer de les embrocher. De sa personne, Alphonse VI était un gros petit tonneau, à moitié paralysé d’une jambe, « goulu et malpropre, » presque toujours ivre, et vomissant alors « après ses repas. » Il portait « six ou sept habits » les uns sur les autres, parmi lesquels « un jupon de trois cents taffetas piqués à l’épreuve du pistolet. » Sur la tête, un béguin retombant jusqu’aux yeux, plusieurs calottes par-dessus ce béguin, dont une « à oreilles, » et un « bonnet à l’anglaise » sur le tout. « Son corps, poursuivait l’abbé, sent naturellement mauvais, et il a toujours des ulcères sous de grands doubles ou replis de peau qui se font en divers endroits de sa personne, et il serait impossible de souffrir toutes ces puanteurs ensemble, s’il ne se faisait laver le corps une fois par jour en hiver, et deux fois dans les autres saisons… » La peur l’obligeait à faire « toujours coucher dix-sept personnes » dans sa chambre, « et, pour achever la cassolette, sa chaise, qui n’est pas une chaise inutile, demeure nuit et jour dans la ruelle de son lit. »

Turenne, cependant, s’efforçait de dorer la pilule. Il exposa à Mademoiselle combien il serait utile au Roi, et pour quelles raisons, d’avoir une princesse française sur le trône de Portugal. Il lui promit, connaissant son faible, qu’elle serait maîtresse absolue de la « grande et forte armée » que le Roi lui ferait passer sans bruit, par petits paquets. Sans doute, Alphonse VI était paralytique. « Mais, assurait Turenne, cela ne paraît pas quand il est habillé ; il traîne seulement un peu une jambe et s’aide malaisément du bras. » Tant mieux si son intelligence traînait aussi un peu. « On ne sait pas s’il a de l’esprit ou s’il n’en a point ; c’est comme il faut les maris pour être heureuse. »

— « Mais, répliquait Mademoiselle, être la liaison d’une guerre éternelle entre la France et l’Espagne… me paraît très laid. » La situation serait encore pire pour elle si, comme elle en était convaincue, les deux couronnes en arrivaient à se raccommoder. Le bel avenir, « d’avoir un mari sot et paralytique, que les Espagnols chasseraient, et de venir en France demander l’aumône, quand mon bien serait mangé, et faire la reine dans quelque petite ville ! Il fait bon être Mademoiselle en France avec cinq cent mille livres de rente » et rien à demander à la Cour. « Quand on est ainsi, on y demeure. Si l’on s’ennuie à la Cour, l’on ira à la campagne, à ses maisons, où l’on a une cour. On y fait bâtir, l’on s’y divertit. Enfin, quand l’on est maîtresse de ses volontés, l’on est heureuse : car l’on fait ce que l’on veut. »

— « Mais, reprenait Turenne, quand l’on est Mademoiselle, avec tout ce que vous avez dit, on est sujette du Roi. Il veut ce qu’il veut. Quand on ne le veut pas, il gronde ; il donne mille dégoûts à la Cour ; il passe souvent plus loin : il chasse les gens. Quand ils se plaisent à une maison, il les envoie à une autre. Il fait promener d’un bout du royaume à l’autre. Quelquefois il met en prison dans sa propre maison, envoie dans un couvent, et, après tout cela, il faut obéir… Qu’est-ce qu’il y a à répondre à cela ? »

— « Que les gens comme vous ne menacent point ceux comme moi, s’écria Mademoiselle en colère ; que je sais ce que j’ai à faire ; que, si le Roi m’en disait autant, je verrais ce que j’aurais à lui répondre. » Elle lui défendit de lui reparler de cette affaire, et il se retira.

« À cinq ou six jours de là, il m’en parla encore. » Puis ce furent des amis communs. L’inquiétude gagnait Mademoiselle. Dans quelle mesure Turenne était-il le porte-paroles du Roi ? Elle écrivit à ce dernier pour provoquer une explication ; pas de réponse. Elle confia sa peine à la Reine-mère, qui se borna à ces mots : « Si le Roi le veut, c’est une terrible pitié ; il est le maître ; pour moi, je n’ai rien à dire là-dessus. » « J’avais une hâte épouvantable, ajoute Mademoiselle, que le temps de Forges fût venu, afin de m’en aller. » La saison arrivée, il fallut prendre congé du Roi. Elle voulut en avoir le cœur net : « Sire, si Votre Majesté voulait songer à mon établissement, voilà M. de Béziers… qui passera à Turin ; il pourra négocier mon mariage avec M. de Savoie. — Je songerai à vous quand cela me conviendra et je vous marierai où il sera utile pour mon service ; » d’un ton sec, qui m’effraya fort. Sur cela, il me salua fort froidement, et je m’en allai ; je pris mes eaux. »

Elle eut l’imprudence de parler et d’écrire. Bussy-Rabutin prétend même qu’elle « en avait écrit une lettre au roi d’Espagne, pour s’en faire de fêté auprès de lui, laquelle on avait interceptée[34] ; » mais cela est bien difficile à croire, quelque inconsidérée que fût parfois Mademoiselle. De Forges, elle se rendit au château d’Eu, qu’elle avait acheté depuis peu. Ce fut là, le 15 octobre 1662, qu’elle reçut commandement du Roi de s’en retournera Saint-Fargeau « jusqu’à nouvel ordre. » Elle eut sur sa route « des lettres de tout le monde. » Etre exilée pour avoir refusé d’épouser Alphonse VI, le pays n’était pas encore fait à ces conséquences du nouveau régime. On sut bientôt que Mademoiselle faisait venir de Paris « aiguilles, canevas et soie[35], » en personne qui va avoir du temps devant soi. En somme, si les choses en restaient là, elle ne payait pas trop cher le plaisir de ne pas être reine de Portugal. C’était son avis, et elle était de très bonne humeur.


IV

Son départ ne laissa point de vide dans la jeune Cour ; il y eut une princesse de moins aux cérémonies officielles, et ce fut tout. Pour la nouvelle génération, passée au premier plan avec le Roi, la Grande Mademoiselle n’était plus que « la vieille Mademoiselle, » comme l’appelait l’abbé de Choisy. Jeunes amours et plaisirs de vingt ans n’avaient que faire d’elle, ni, au surplus, de la Reine-mère, devenue prêcheuse avec l’âge, et de ces « dévots » groupés sous son égide, que Molière scandalisait par son impiété et qui trouvaient mauvais qu’un roi eût des maîtresses. La question était de savoir de quel côté se rangerait définitivement le maître. Pour l’instant, Louis XIV penchait très fort vers les amis de la bonne nature et de sa joyeuse liberté. Leur serait-il acquis ? La logique des choses, et des idées, le conduirait-elle ensuite à secouer la gêne des pratiques religieuses, puis celle des croyances, à la façon des Hugues de Lionne, des Bussy-Rabutin, des Guiche, des Roquelaure, des Vardes et de cent autres « libertins, » qui ne voyaient dans la religion qu’une collection de simagrées ? Voilà ce qu’on avait le droit de se demander en 1662, et cela était autrement intéressant que la chronique du Luxembourg ou de Saint-Fargeau.

La jeune reine était inquiète ; elle flairait un danger, mais elle ne savait que gémir et pleurer, sans comprendre que des yeux rouges et un ton grognon ne sont pas ce qu’il faut pour retenir un jeune mari. Elle n’avait même pas la consolation d’être plainte, ne s’étant point fait d’autre amie en France qu’Anne d’Autriche, qui s’efforçait maternellement de lui conserver quelques illusions, à défaut de mieux, sur la mélancolie de sa destinée. Il était pourtant impossible d’être meilleure créature que cette petite reine fraîche et joufflue, qui sautait de joie le lendemain de son mariage et racontait ingénument à Mme de Motteville son petit roman.

Marie-Thérèse s’était toujours souvenue que sa mère[36], morte quand elle avait six ans, lui répétait qu’elle voulait la voir reine de France, — le bonheur n’était que là, — ou alors dans un couvent. La petite princesse avait grandi avec cette pensée de la France. Louis XIV avait été le prince Charmant de ses rêves d’infante. Quand elle avait su qu’un seigneur français venait « en poste » la demander de la part de son maître, la chose lui avait paru toute naturelle. Elle avait guetté d’une fenêtre l’arrivée de M. de Gramont[37]. Il était passé très vite, suivi de beaucoup d’autres Français brodés d’or et d’argent et couverts de plumes et de rubans de toutes les couleurs. On aurait dit « un parterre de fleurs… courant la poste, » racontait la jeune reine, devenue poète pour la première et la dernière fois de sa vie.

Mariée, Marie-Thérèse avait demandé à son époux la promesse qu’ils ne se quitteraient jamais, ni jour ni nuit, dans la mesure du possible. Louis XIV promit, tint parole, et ce fut la précaution inutile. D’après Mme de Motteville et Mme de Maintenon[38], la Reine ne sut pas s’y prendre. Sa dévotion était « mal entendue ; » si le Roi la demandait, elle refusait de lui sacrifier une oraison. Elle avait aussi une jalousie « mal entendue ; » si le Roi ne la demandait pas, elle ne distinguait pas assez, dans ses plaintes contre ceux qui le lui enlevaient, entre Mlle de La Vallière et le Conseil des ministres. Son humeur était décourageante. Si le Roi l’emmenait, elle se plaignait de tout. S’il ne l’emmenait pas, c’étaient des flots de larmes. Si le dîner n’était pas à son goût, elle était maussade. S’il lui plaisait, elle se tourmentait : — « On mangera tout ; l’on ne me laissera rien. » — « Et le Roi s’en moquait, » ajoute Mademoiselle, amenée par sa naissance à se trouver souvent parmi ceux qui « mangeaient tout. » Marie-Thérèse était bonne, généreuse, la vertu même, elle avait une violente passion pour son mari, et, avec tout cela, elle était à fuir. Mme de Maintenon résumait la situation en disant que la Reine savait aimer et ne savait pas plaire, au rebours du Roi, qui avait tout pour plaire, « sans être capable d’aimer beaucoup. Presque toutes les femmes lui avaient plu, excepté la sienne. » Libertins et débauchés n’avaient pas à compter avec Marie-Thérèse ; la Reine n’avait pas l’ombre d’influence sur le Roi.

Pour des raisons différentes, ce n’était pas non plus Monsieur, frère du Roi, ni la femme de Monsieur, qui leur feraient obstacle. Tout a été dit sur les puissances de séduction de Mme Henriette d’Angleterre[39], sur ses grâces irrésistibles, sa beauté immatérielle et le charme particulier, très original chez une grande princesse, que lui avait valu son enfance pauvre et humiliée ; réduite à vivre en « personne privée, » elle avait « pris toutes les lumières, toute la civilité et toute l’humanité des conditions ordinaires[40], » et rien, peut-être, n’avait contribué davantage à la faire « aimer des hommes et adorer des femmes. » Ses défauts étaient grands, mais ils ne lui furent pas comptés, à cause de ce don de plaire qui était en elle et que les circonstances avaient développé. Madame fut mal sûre et dangereuse impunément. Elle put devenir le centre des basses intrigues de la Cour sans perdre, ni seulement risquer de perdre son empire sur les cœurs. À ce premier bonheur est venu se joindre celui d’avoir Bossuet pour abriter sa mémoire. Henriette d’Angleterre a traversé les siècles « protégée par son Oraison funèbre[41], » comme elle avait traversé la vie protégée par cette fascination que la nature met en de certaines femmes, qui ne sont pas toujours les meilleures.

Monsieur n’avait pas gagné depuis que nous avons parlé de, lui. Il s’était, pour ainsi dire, établi dans le vice, publiquement, sans vergogne, et dans le vice immonde. Le mariage n’y avait rien fait : « Le miracle d’enflammer le cœur de ce prince, explique discrètement Mme de La Fayette, n’était réservé à aucune femme du monde[42]. » Livré à une race de favoris très exigeante, qui ne le laissait point chômer de complications domestiques, Monsieur était devenu décidément un « tripoteur, » selon le mot expressif de sa mère. Entre Madame et lui, leur cour était un lieu d’une agitation inconcevable, une sentine de médisances et de calomnies, de petites perfidies et de petites trahisons ; de quoi donner la nausée, même lorsque cela est raconté par Mme de La Fayette. Je ne sais, en vérité, si cette dernière a rendu service à sa chère princesse en écrivant son Histoire de Madame Henriette. A part les premières pages, jusqu’au mariage, et la belle scène de la mort, tout à la fin, le reste est un tissu de riens si méprisables à tous égards, que le livre en tombe des mains. Voilà donc tout ce que l’auteur de la Princesse de Clèves a trouvé à dire d’une personne aussi en vue ! d’une belle-sœur à qui Louis XIV confiait les secrets de sa politique et qu’il avait failli trop aimer !

Dans toute la famille royale, les libertins n’avaient à compter qu’avec la Reine-mère, si découragée par son peu de crédit qu’elle parlait de se retirer dans un couvent, et avec le Roi lui-même, trop fermé pour que l’on pût deviner comment il prétendait arranger ensemble le plaisir et la religion. Qu’il ne se contraindrait pas sur le plaisir, on n’avait pas été long à s’en apercevoir. Il s’était marié le 9 juin 1660. Un an après commençait le défilé des maîtresses imposées à la famille royale, et à toute la France, elles et leurs enfans, d’une façon qui rappelle plutôt la polygamie orientale que les mœurs de l’Occident. Louis XIV s’était senti incapable d’être vertueux. Un jour que sa mère profitait des attendrissemens d’une réconciliation, — ils avaient été quelque temps sans se parler, — pour lui représenter le scandale de sa liaison avec Mlle de La Vallière, « il lui répondit cordialement, avec des larmes de douleur qui partaient du fond de son cœur, où il y avait encore quelque reste de sa piété passée, qu’il connaissait son mal ; qu’il en ressentait quelquefois de la peine et de la honte ; qu’il avait fait ce qu’il avait pu pour se retenir d’offenser Dieu, et pour ne se pas abandonner à ses passions ; mais qu’il était contraint de lui avouer qu’elles étaient devenues plus fortes que sa raison, qu’il ne pouvait plus résister à leur violence, et qu’il ne se sentait pas même le désir de le faire[43]. » Cette conversation avait lieu en juillet 1664. L’automne suivant, le Roi ayant trouvé la Reine sa femme « toute en larmes dans son oratoire, » par l’effet d’une trop juste jalousie, il « lui fit espérer » qu’à trente ans, il serait un « bon mari ; » propos plutôt cynique.

Non seulement il avait les « passions » violentes, mais il ne s’était pas découvert de raisons sérieuses de se gêner sur le chapitre des femmes. On lit dans ses Mémoires, qui étaient écrits en vue du dauphin, un passage, digne de lord Chesterfield, où il expose à son fils ses idées sur les maîtresses de rois. La page se rapporte à 1667, année où commença la guerre de la Dévolution : « Avant que de partir pour l’armée, j’envoyai un édit au Parlement. J’érigeais en duché la terre de Vaujours en faveur de Mlle de La Vallière, et reconnaissais une fille que j’avais eue d’elle. Car, n’étant pas résolu d’aller à l’année pour y demeurer éloigné de tous les périls, je crus qu’il était juste d’assurer à cette enfant l’honneur de sa naissance, et de donner à la mère un établissement convenable à l’affection que j’avais pour elle depuis six ans.

« J’aurais pu sans doute me passer de vous parler de cet attachement dont l’exemple n’est pas bon à suivre. Mais, après avoir tiré plusieurs instructions des manquemens que j’ai remarqués dans les autres, je n’ai pas voulu vous priver de celles que vous pouviez tirer des miens propres. »

La première « instruction » à tirer de ses « manquemens, » c’est qu’il ne faut pas perdre son temps avec les femmes : « Que le temps que nous donnons à notre amour ne soit jamais pris au préjudice de nos affaires. » La seconde « considération…, c’est qu’en abandonnant notre cœur, il faut demeurer maître absolu de notre esprit ; que nous séparions les tendresses d’amant d’avec les résolutions de souverain ; que la beauté qui fait nos plaisirs n’ait jamais la liberté de nous parler de nos affaires, ni des gens qui nous y servent, et que ce soient deux choses absolument séparées.

« Vous savez ce que je vous ai dit en diverses occasions contre le crédit des favoris ; celui d’une maîtresse est bien plus dangereux. »

Louis XIV insistait longuement sur l’infirmité d’esprit qui rend les femmes dangereuses. Il les avait étudiées de près, et il jugeait « ces animaux-là » à peu près comme Arnolphe : « Elles sont, disait-il au dauphin, éloquentes dans leurs expressions, pressantes dans leurs prières, opiniâtres dans leurs sentimens… Le secret ne peut être chez elles dans aucune sûreté. » Elles agissent toujours par calcul et, en conséquence, par « adresses » et « artifices. » Quoi qu’il en puisse coûter à un cœur amoureux, un prince ne saurait prendre trop de « précautions » avec ses maîtresses ; il y va quelquefois de son trône. Pauvre La Vallière ! si désintéressée, si peu intrigante. Quelle douleur, si elle avait lu ces pages cruelles !

Les conseils que l’on vient de lire sont très politiques et très prudens ; ils n’ont rien à faire avec la morale ou la religion. Les Mémoires royaux ajoutent bien quelque part que « le prince… devrait toujours être un parfait modèle de vertu, » et, aussi, que le devoir du chrétien est « de s’abstenir de tous ces commerces illicites qui ne sont presque jamais innocens. » C’était le moins que pût dire un père s’adressant officiellement à son fils. Au fond, Louis XIV n’avait pas retiré grand’chose, quant à la discipline morale, d’une religion dont il connaissait presque uniquement les pratiques. Pendant son enfance, sa mère s’était réservé son éducation religieuse. Elle l’avait emmené dès le bas âge dans les églises, où elle-même passait une partie de ses journées, et lui avait communiqué ainsi un peu de sa piété étroite et machinale. Louis XIV n’en connut jamais d’autre. Il n’était pas plus savant en catéchisme qu’en grammaire latine, et avec cette circonstance aggravante qu’il voyait la nécessité de savoir le latin, pour lire les dépêches diplomatiques, tandis qu’il ne voyait pas du tout l’utilité de savoir sa religion. Il ne varia jamais là-dessus ; Mme de Maintenon elle-même y perdit ses peines. La seconde Madame, la Palatine, n’en revenait pas. Elle écrivait : « Pourvu, croyait-il, qu’il écoutât son confesseur et récitât son Pater, tout irait bien et sa dévotion serait parfaite[44]. »

Avec ces idées, le Roi trouva fort mauvais, alors qu’un flot d’adulateurs le déifiaient à l’envi, de rencontrer parmi ses sujets des hommes assez hardis pour blâmer ses mœurs et le lui dire en face. Des prélats se montrèrent sévères ; c’était leur métier. Mais que des courtisans, et même, à ce que l’on racontait, un simple bourgeois de Paris, osassent adresser des remontrances à leur souverain, cela ne se pouvait souffrir ; sans compter que leurs observations excitaient sa mère contre lui, au risque de les brouiller, ainsi qu’il arriva en effet. Ne fût-ce que par politique, Louis XIV était résolu à ne pas tolérer que l’on se mêlât ainsi de ses affaires. Il sentait confusément que tous ces gens-là s’entendaient pour lui faire la leçon. Il devinait une force organisée et considérable derrière cette « cabale des dévots » qui représentait à la Cour l’austérité, et que les libertins du Louvre tournaient en ridicule.

Cette force organisée, nous la connaissons. Nous l’avons vue à l’œuvre dans un précédent chapitre[45], sous le nom de Compagnie du Saint-Sacrement, alors qu’elle travaillait avec Vincent de Paul aux grandes entreprises charitables du siècle[46]. Le surnom malveillant de Cabale des dévots lui avait été donné, vers 1658, par les nombreuses personnes qui l’abominaient, sans connaître « son vrai titre et son organisation, » parce qu’elle les troublait dans leur existence. Depuis que nous nous en sommes occupés, la carrière de la société avait continué d’offrir le même mélange de bien et de mal. Tout ce qu’elle avait fait pour soulager les pauvres, les prisonniers, les galériens et autres misérables, pour les protéger contre l’abus et l’arbitraire, pour les relever moralement, avait été au-dessus de tout éloge. De même ses efforts pour assurer la décence de la rue, ou pour combattre dans les hautes classes les deux fléaux du temps, le duel et le jeu. On n’en saurait dire autant des vues étroites et fanatiques qui l’avaient rendue persécutrice et policière, de son goût pour l’espionnage et la délation, de sa barbarie à l’égard des hérétiques ou des illuminés. Elle devenait facilement dangereuse et malfaisante, et l’on ne savait alors comment se défendre contre ce pouvoir occulte qui avait « des yeux et des mains partout. » Mazarin, qu’elle picotait sottement par des lettres anonymes, l’avait recherchée et pourchassée ; elle avait dû se terrer pendant les derniers mois de sa vie. Après la mort du cardinal, la Compagnie s’était remise peu à peu en mouvement, et il fallait qu’elle eût bien repris confiance pour oser s’attaquer au Roi, même en étant sûre de la Reine-mère. C’est une époque où elle est très intéressante. La Compagnie du Saint-Sacrement est devenue un parti politique, puisqu’elle essaie de s’assurer du Roi, et que, si elle y avait réussi, l’histoire du règne n’aurait certainement pas été la même. Livré à son influence, l’État n’aurait pas attendu la grande Révolution pour prendre conscience, de ses devoirs envers le peuple.

L’imprudence de sa conduite envers le Roi, ses indiscrétions, firent le jeu des « libertins. » Ils ne désespérèrent pas, devant le mécontentement de Louis XIV, de tirer celui-ci à eux, à leur incrédulité, leur indocilité aux croyances religieuses, et, en vérité, sans aller jusqu’à regretter leur échec final, on leur sait gré d’avoir un peu secoué cette intelligence routinière. L’esprit de Louis XIV, si remarquable par sa justesse et sa solidité, était le contraire de l’esprit moderne par son absence totale de curiosité, son antipathie pour toutes les nouveautés, et la peine qu’il avait à changer de manière de voir sur quoi que ce soit. Le Roi aurait eu besoin de faire de mauvaises lectures. Comme il ne lisait jamais, les assauts des libertins lui rendirent le service de mettre un peu de trouble dans ses idées ; ils le dérangèrent dans ses habitudes de pratiques mécaniques. Olivier d’Ormesson, qui était de la Compagnie du Saint-Sacrement, écrivait, après la Pentecôte de 1664, « que le Roi n’avait point fait ses dévotions à la fête, et que, Monsieur lui ayant demandé s’il les ferait, il lui avait dit que non, et qu’il ne ferait pas l’hypocrite comme lui, qui allait à confesse parce que la Reine-mère le voulait[47].

La conscience du Roi traversait une crise, chacun le sentait. En présence d’un si gros événement, les malheurs de la Grande Mademoiselle achevaient de perdre leur intérêt, déjà réduit à peu de chose pour la nouvelle génération. L’oubli s’accentuait.


V

Dans les premiers mois de son nouvel exil, Mademoiselle fut occupée à tenir tête au Roi. Louis XIV n’abandonnait pas son idée de la marier à Alphonse VI, et Turenne s’efforçait de la « mettre à la raison, » d’où un mouvement de lettres et de visites officieuses qui avaient ce bon côté de rompre la monotonie de Saint-Fargeau. La vie, cette fois, y était lourde ; le vieil entrain n’était pas revenu. Trop fière pour l’avouer, Mademoiselle faisait bonne contenance dans ses lettres. Elle écrivait à Bussy-Rabutin, le 9 novembre 1662 : « Je crois que le séjour que je ferai ici sera plus long que vous ne souhaitez. Si je n’avais peur de passer pour trop indifférente, je vous dirais que je ne m’en soucie guère : peut-être dirais-je vrai ; mais toutes vérités ne sont pas bonnes à dire[48]. » Ses Mémoires sont plus sincères. Elle y raconte qu’au bout de cinq mois de Saint-Fargeau, elle écrivit au Roi qu’elle mourrait, si elle restait là plus longtemps ; que c’était un lieu malsain, à cause des marais dont le château était entouré ; qu’elle « ne croyait point avoir rien fait qui méritât la mort, et une telle mort ;… et que, s’il voulait lui faire faire une plus longue pénitence des crimes qu’elle n’avait pas commis, elle le suppliait de lui permettre d’aller à Eu. ». Louis XIV permit Eu, mais il fit savoir à Mademoiselle qu’il n’avait pas renoncé à la marier au roi de Portugal et qu’il espérait l’amener par son bon procédé « aux sentimens qu’elle devait avoir. » Elle ne s’attarda pas à discuter : « Je partis, et quittai Saint-Fargeau sans regret. » Ce fut un adieu définitif.

Elle venait d’acheter le comté d’Eu, dans des circonstances qui font voir à quel point les fortunes terriennes et seigneuriales de l’ancien régime, qui paraissent de loin si solides, étaient fragiles en réalité, et à la merci d’un accident. Le comté d’Eu était un bien de l’illustre et puissante famille de Guise. En 1654, le propriétaire du moment, Louis de Lorraine, duc de Joyeuse, fut tué au siège d’Arras, laissant un fils unique et en bas âge, Louis-Joseph de Lorraine, prince de Joinville. Cet enfant eut pour tutrice sa tante, Mlle de Guise, personne entendue et importante, l’oracle de la famille, dit Saint-Simon. Il eut aussi deux tuteurs, dont l’un, Claude de Bourdeille, comte de Montrésor, avait épousé secrètement Mlle de Guise. A eux trois, tuteurs et tutrice sentirent bientôt leur impuissance à défendre les intérêts qui leur étaient confiés. Le comté d’Eu était chargé de deux millions de dettes, chiffre qui n’aurait point entraîné de désastre si le duc de Joyeuse avait été là pour faire respecter ses droits et pour réclamer sa part de la manne monarchique : pensions, gratifications du roi, bénéfices, gouvernemens, charges de cour, etc. Mais il n’y était pas, et les biens du mineur avaient été mis à la curée, par les gens d’affaires d’une part, les paysans normands de l’autre.

Contre les gens d’affaires, les tuteurs en furent réduits, après des années de lutte, à invoquer l’aide du Parlement. Ils lui adressèrent, en janvier 1660, une requête[49] où ils exposaient que leur pupille, parce qu’il n’était qu’un enfant, « destitué des puissans moyens » qu’aurait eus son père de faire les choses, était devenu la victime des usuriers et des gens de chicane. Les deux millions de créances sur le comté d’Eu avaient été en grande partie rachetées par des créanciers postiches et véreux, avec lesquels il était impossible d’arriver à un règlement quelconque. Ces pêcheurs en eau trouble avaient porté le désordre au comble en pratiquant des saisies. Tous les revenus passaient en frais. Les deux tuteurs demandaient au Parlement de les dépêtrer de cette glu en ordonnant la mainlevée « de toutes les saisies et arrêts » et en disant « qu’il serait sursis à toutes poursuites et saisies faites contre eux pendant deux ans. » Ils espéraient arriver pendant ce répit à une liquidation générale.

Contre les paysans normands, personne ne voyait rien à faire que de les passer au plus vite, par la vente du comté d’Eu, à un maître capable de leur en imposer. La difficulté, dans l’état où était alors la France, était de trouver une personne de qualité pouvant disposer de plusieurs millions. On avait pensé tout de suite à Mademoiselle, qui avait toujours de l’argent. Elle était alors trop occupée à se débattre avec son père, mais l’idée lui avait souri, et elle y était revenue dès qu’elle avait eu les mains libres. Le marché fut conclu en 1657. Cela ne faisait point l’affaire de la chicane. Il y eut tant d’ « oppositions, » tant de complications procédurières, il fallut tant de procès et tant d’arrêts pour que Mademoiselle pût se mettre en règle et posséder Eu dans les formes, que des années s’écoulèrent encore, — la requête des deux tuteurs en témoigne, — avant que les paysans d’Eu fussent dérangés dans leur travail de termites. En attendant, ils avaient continué à dévorer la substance de l’orphelin princier, aidés, il faut le dire, par d’autres Normands qui, pour n’être pas paysans, ne s’en montraient ni plus scrupuleux, ni moins avides. Comment les uns et les autres s’y prenaient, on le sait très exactement par les Archives du Château d’Eu.

Au moment même de la requête des tuteurs, Mademoiselle avait envoyé un homme à elle se rendre compte de l’état des choses. Le rapport de son agent, complété par d’autres papiers d’affaires[50], établit que le comté d’Eu tirait plus de la moitié de son revenu de sa forêt. Cette forêt, qui existe encore, contenait de « dix à onze mille acres[51], » avait « huit à neuf lieues de long, » et aurait dû être tout entière en « futaies de divers âges ; » mais les riverains avaient si bien travaillé, qu’on n’y aurait plus trouvé « une poutre. » Elle était maintenant tout entière en taillis, et souvent en mauvais taillis, à cause des bestiaux qui la « dégradaient. » Tout le pays avait contribué à cet extraordinaire escamotage d’une forêt de huit lieues. Une vingtaine de villages, plusieurs abbayes, des gentilshommes, des prêtres, de simples « particuliers, » étaient venus, sous prétexte d’un « droit usager, » prendre le bois comme s’il était à eux. Les gardes de la forêt en avaient fait autant, et leurs parens ou amis à leur suite. Les « officiers » du domaine avaient coupé à tort et à travers ce que le public voulait bien leur laisser, et, pour compléter la ruine des bois, chacun avait envoyé ses vaches, ou ses porcs, dans les jeunes tailles. L’agent de Mademoiselle concluait qu’il fallait absolument arrêter ce « pillage, » sans quoi « l’on ne ferait jamais 50 000 livres de bois par chacun an. »

Il signalait d’autres abus ; la nature des revenus seigneuriaux les rendait inévitables en l’absence d’une main ferme. J’ai sous les yeux plusieurs tableaux des revenus du comté d’Eu au XVIIe siècle. Les fraudes devaient être faciles et tentantes, la perception des impôts très coûteuse. On remarque d’abord une redevance, payable à Noël, en argent et en nature, par tous les habitans possesseurs d’un bien-fonds quelconque, maison ou « masure, » champ ou jardin : — François Guignon, du village de Gryel, « doit 40 sols, 2 chapons, à cause d’une maison audit Cryel. » — « François du Buc… doit 8 sols, un tiers de chapon, à cause d’une maison. »

« Guillaume Fumechon… doit 43 sols et 2 chapons à cause de demi-acre de terre. »

« Les hoirs Jean Drie doivent 8 sols et la moitié d’un chapon. »

« Jean Rose doit 31 sols, 2 poules et 11 œufs, à cause de ses terres aux champs. »

Le sieur de Saint-Igny, du Mesnil à Caux, « doit 4 livres, 9 sols, 10 boisseaux de bled et pareil nombre d’avoine. » Alizon « doit 3 sols, 6 deniers et un tiers de chapon. » Un cultivateur de Greny « doit une mine de bled, 15 boisseaux d’avoine et une poule ; » un autre « 2 boisseaux une quarte d’avoine et un quart d’oie ; » un autre « cinq quarts d’oie. » Ainsi de suite pendant trois cent cinquante pages in-folio.

L’impôt dit « du travers » frappait les marchandises entrant à Eu par « la porte de Picardie. » On payait tant par chariot ou cheval chargé. Les bouchers payaient « pour chacun bœuf, vache ou porc un denier, pour chacune blanche bête une obole, » les « poissonnières » « pour chacun panier à bras 2 deniers, » les « fourreurs pour chacune peau une obole. »

Venait ensuite l’impôt « de la friperie ou chincherie, pour lequel est dû de chacun lit qui se vend en la ville d’Eu, soit neuf ou vieux, 4 deniers ; et pour chaque robe, pourpoint, chausses ou autre chose à l’usage d’homme ou femme, quand ils sont vendus, un denier. »

Le marchand de toile devait également « un denier, sur peine d’amende, pour chaque coupe » vendue.

Il était perçu une taxe pour le mesurage des grains et le pesage des marchandises.

Les moulins étaient la propriété du seigneur d’Eu, et il n’était pas permis de faire moudre ailleurs que chez lui. L’agent de Mademoiselle recommandait d’y tenir la main, « ce qu’on avait négligé… ce qui faisait que le revenu était diminué. »

Les pêcheurs du Tréport « payaient chaque marée 500 harengs, » les horsains qui venaient pêcher au Tréport « payaient un millier de harengs de chaque marée. »

Appartenaient au seigneur d’Eu les épaves qui n’avaient pas été réclamées dans le délai d’un an et « tous poissons royaux, comme esturgeons, baleines, marsouins, oües de mer, et autres grands poissons. »

Ce n’est pas tout ; c’est assez pour expliquer la rapidité avec laquelle fondait le revenu d’un bien seigneurial, quand il n’y avait plus là, pour faire peur au petit monde, solliciter les juges en cas de procès, suivant l’usage du temps, et recourir au Roi s’il en était besoin, un personnage important, ayant, selon l’expression populaire, le bras long. Le mal était connu, et le remède aussi. L’état déplorable où il avait trouvé les choses n’avait pas du tout inquiété l’agent de Mademoiselle. Connaissant sa maîtresse, il ne doutait pas qu’elle ne vînt à bout des Normands, et il lui prédisait une bonne affaire. Si l’on met ordre à tout, disait-il, « (comme il y a apparence qu’il sera facile), le comté d’Eu se fera une terre fort considérable et de grand revenu. »

Le mot « facile » était de trop. Le comté d’Eu fut enfin « adjugé » à Mlle de Montpensier, par « décret » du Parlement de Paris, le 20 août 1660, pour la somme de 2 550 000 livres. Elle s’occupa sur-le-champ de sauver les restes de la forêt, et trouva la population liguée contre elle pour garder sa proie. Au bout de six mois, Mademoiselle sentit qu’elle n’était pas la plus forte et s’adressa au Roi[52]. Elle lui exposait qu’elle avait établi pour la surveillance de ses bois un personnel nombreux, qui « lui coûtait extrêmement à entretenir, » mais que les riverains, ayant « pris l’habitude d’entrer hardiment dans ladite forêt » et d’y commettre « jour et nuit toutes sortes de délits…, se vantent de continuer ; » qu’ils viennent de tuer l’un de ses gardes « d’un coup de fusil dans le ventre, » pour avoir voulu empêcher un vol de bois ; qu’ils menacent les autres « de les mettre collecteurs » d’impôts, ce qui ne leur laisserait plus le temps de garder ; qu’ils « les surtaxent à la taille et autres impositions ; » qu’ils font en un mot leur possible pour rendre la position du personnel intenable. En conséquence, Mademoiselle demandait au Roi qu’il fût « particulièrement défendu aux riverains de tenir chez eux et de porter armes à feu ou autres armes de défense, » et qu’il fût au contraire permis à ses gardes d’être armés. Elle réclamait aussi pour eux certains privilèges qui devaient leur permettre de punir les délinquans.

Louis XIV accorda tout, et l’on put arrêter les déprédations ; à la mort de Mademoiselle, la forêt d’Eu était remise en futaies. Quant à supprimer les « usagers, » Mademoiselle avait beau être cousine germaine du Roi, son pouvoir n’allait pas jusque-là. Il fallut se borner à les empêcher de multiplier, et à limiter leurs exigences. Entre eux et le propriétaire, l’état d’hostilité était chronique. Du reste, il existe encore des « usagers » en France ; chacun peut observer sur le vif les inconvéniens du système.

Le seul des intéressés qui ne tira pas son épingle du jeu fut le petit prince de Joinville. Ses créanciers avaient continué leurs manœuvres pour éviter un règlement. Le 27 mars 1661, le Parlement de Paris rendit un arrêt qui les obligeait à se laisser payer. Il y avait alors huit ans de la mort du duc de Joyeuse. Les deux millions de dettes avaient fait la boule. Quand tout fut terminé, au lieu d’avoir un reliquat pour leur pupille, les tuteurs se trouvèrent en face d’un déficit de plus de 150 000 livres[53]. Nous avions déjà vu Gaston dilapider impunément, en sa qualité de chef de la Maison, la fortune de sa fille mineure. Ici, c’est au contraire la disparition du père de famille qui permet de dépouiller un enfant. Mazarin avait laissé faire Gaston pour punir Mademoiselle de sa conduite pendant la Fronde. Louis XIV semble avoir pris peu d’intérêt au rejeton de la turbulente et ambitieuse famille de Guise. Dans l’un et l’autre cas, les bonnes ou mauvaises dispositions de la royauté avaient décidé de l’issue d’une affaire d’argent.

Mademoiselle avait pris possession officielle d’Eu le 24 août 1661. On lui avait ménagé une entrée comme elle les aimait, avec cortège, drapeaux, harangues, lanternes vénitiennes, salves de mousqueterie et de « toute l’artillerie de la ville[54], » douze pièces de canon et quarante « boëtes, » sur les remparts, huit canons et quarante « boëtes » sur la terrasse du château. Elle, revint l’année suivante, mais ne s’installa vraiment à Eu qu’en 1663, après avoir obtenu la permission de quitter Saint-Fargeau : « Je vins ici, résolue d’y passer mon hiver, sans en avoir aucun chagrin. » Elle regardait travailler ses ouvriers, se promenait beaucoup et devenait assidue aux offices. On venait la voir : « — Il y avait quantité de dames du pays, raisonnables ; force gens de qualité ; ma cour était grosse. Il vint des comédiens s’offrir ; mais je n’étais plus d’humeur à cela ; je commençais à m’en rebuter. Je lisais ; je travaillais ; les jours d’écrire emportaient du temps ; toutes ces choses le font passer insensiblement. » Cette page des Mémoires laisse entrevoir une vie assez terne. Une lettre de Mademoiselle à Bussy-Rabutin confirme et accentue l’impression :


À Eu, ce 28 novembre 1663.

« Voici l’unique réponse à vos lettres. Je prétends que vous m’en écriviez quatre contre moi une, et je crois que je vous ferai plaisir ; car que peut-on mander d’un désert comme celui-ci, où l’on ne verra personne de tout l’hiver, les chemins étant impraticables pour les gens de lointaine contrée, comme vous pourriez dire vers Paris, et les vents étant tels dans les plaines par où il faut que les voisins viennent, qu’il n’y en a pas un qui ne redoute le nord-ouest, qui est fréquent en ce pays, comme une bête farouche. Ainsi j’aurai le temps de lire les lettres qu’on m’écrira, et peu d’esprit, encore moins de matière, pour y répondre… »

La situation du château d’Eu est mélancolique, le vent de mer véritablement « farouche » aux environs. Les gazettes de Paris apportaient des descriptions de fêtes et des visions de gloire qui contrastaient avec la médiocrité d’une cour provinciale. Mademoiselle avait beau être décidée à ne pas s’ennuyer, elle éprouvait comme toute la France que, loin du Roi, la vie n’était plus la vie : ce n’en était plus que l’ombre.


VI

Dans la conversation mémorable où Louis XIV avait avoué à sa mère qu’il n’était plus maître de ses passions, Anne d’Autriche l’avait averti « qu’il était trop enivré de sa propre grandeur[55]. » Elle disait vrai ; l’infatuation avait été rapide. L’excuse du Roi était d’avoir le monde entier pour complice de l’admiration qu’il s’inspirait à lui-même. Il n’entre pas dans notre sujet de raconter le gouvernement intérieur, ou l’action diplomatique, qui rendirent les débuts de Louis XIV si féconds en grands résultats et si glorieux pour lui. Nous nous bornons à constater le fait. La supériorité prise par la France se manifesta au premier contact avec l’Angleterre et l’Espagne, et ne se fit pas moins sentir au-delà du Rhin : « — Louis, dit un historien allemand, possédait dans l’empire germanique une influence qui, au moins dans les cercles occidentaux, était égale, sinon supérieure à l’autorité de l’Empereur[56]. » Les étrangers étaient aussi très frappés de la sollicitude de son gouvernement pour les artisans et les commerçans. Sans doute, les raisons sentimentales n’y étaient pour rien ; quand Colbert interdisait aux collecteurs d’impôts de se saisir des bestiaux du laboureur, il appliquait simplement au nom du Roi ses principes de bon négociant qui ménage le débiteur. Mais le bienfait n’en était pas moins grand. A quelque point de vue que l’on se plaçât, la France donnait aux autres nations l’impression d’un peuple grandissant ; on reconnaissait qu’elle avait pris la tête de l’Europe.

Le pays en avait aussi le sentiment. Il rapportait très justement cet essor aux efforts personnels de son jeune roi, et lui était reconnaissant de son énorme labeur. Louis XIV le savait bien. Il y avait comme un mot d’ordre d’insister à toute occasion sur la peine qu’il se donnait dans son métier de roi et les grandes fatigues qu’il endurait pour le bien public. La Gazette, journal officiel, n’y manquait jamais. Tout lui était prétexte. A propos d’un voyage de huit jours, elle écrivait : « — Ce prince, aussi infatigable qu’un Hercule dans ses travaux[57], » etc. Elle justifiait les ballets royaux, qui coûtaient fort cher, par l’excès du travail de tête chez le chef de l’État : « — Le 8 (janvier 1663), le Roi, afin de se délasser un peu des soins avec lesquels Sa Majesté travaille si infatigablement au bonheur de ses peuples, prit au palais Cardinal le divertissement d’un ballet à sept entrées, appelé le Ballet des Arts. » Louis XIV redansa trois fois le Ballet des Arts. Mlles de La Vallière, de Sévigné et de Mortemart y eurent un vif succès ; cette dernière était à la veille de devenir Mme de Montespan[58].

Les représentations du nouveau ballet alternent dans la Gazette avec les cérémonies funèbres en l’honneur d’une fille du Roi et de la Reine, morte à six semaines le 30 décembre. Louis XIV avait pleuré son enfant avec cette sensiblerie à fleur de peau par laquelle il ressemble, quelque bizarre que cela puisse paraître, aux philosophes du XVIIIe siècle. Il aurait rendu des points à Diderot pour la facilité à verser des torrens de larmes, et il étonnait souvent la Cour par le sujet de ses attendrissemens. Il trompait la Reine du matin au son, et il pleurait de la voir pleurer quand il la quittait. Il trouva des larmes de crocodile pour la mort de son beau-père[59]. La main tournée, il n’y pensait plus, encore comme Diderot, et n’en perdait ni un rond de jambe, ni un rendez-vous galant.

Au ballet succédèrent d’autres « délassemens, » et il est curieux de voir la Gazette prendre la peine, pour une simple promenade, d’expliquer que le Roi l’avait bien gagnée : « — (7 avril 1663). Cette semaine, le Roi, pour donner quelque relâche à ses continuelles applications pour l’établissement de la félicité de ses sujets, a pris le divertissement de la promenade à Saint-Germain-en-Laye et à Versailles. » Les chroniqueurs mondains emboîtaient le pas[60], et Louis XIV voyait sa « gloire » de grand travailleur aller aux nues, avec sa « gloire » d’homme de guerre et, pour tout dire en un mot, de héros universel. Il ne pouvait même plus commander l’exercice à se ? mousquetaires sans que la Gazette publiât un entrefilet sur « l’admiration de tous les spectateurs[61]. » La France entière se mettait au diapason. Quand il alla prendre possession de Dunkerque[62], il passa devant un Olympe en plâtre, fabriqué pour la circonstance. Il vit « Neptune, qui, par respect, baissait son trident… les Génies de la terre et de la mer prosternés devant ce grand prince, » c’est-à-dire devant lui, et il permit que son journal officiel régalât le pays de ces sottises : il est clair qu’à ses yeux, Neptune et sa cour ne faisaient que leur devoir. On était en train de le déifier ; il se laissait faire, et même avec plaisir. Ce fut la perte de cet homme né avec tant de bon sens, et qui avait des parties si supérieures.

L’éclat de sa Cour, dont l’honneur lui revenait, contribuait aussi à l’éblouissement général. Ce n’était pas encore la foule ininterrompue de vingt ans plus tard, quand le château de Versailles fut achevé et que Louis XIV tint sa noblesse logée sous sa main[63], ne bougeant d’auprès de lui que pour faire campagne. La jeune Cour ne fut jamais très nombreuse que par intermittences. On verra tout à l’heure combien elle, avait été grosse en mai 1664. Le 27 du mois suivant, le duc d’Enghien écrivait de Fontainebleau : « Il n’y a pas presque point de femmes ici, et fort peu d’hommes. Jamais la Cour n’a été aussi petite[64]. »

Le 16 août, aussi à Fontainebleau, la Reine-mère donne un bal ; elle n’a que seize danseuses et autant de danseurs[65]. En octobre, la Cour est à Paris et le Roi donne une fête : « Le bal n’était point beau, écrit le grand Condé, la plupart des dames étaient encore aux champs. Il ne s’en trouva dans tout Paris que quatorze[66]. » Dans ces premières années, la noblesse n’était pas encouragée à tout quitter pour venir vivre dans l’ombre du trône. Ceux qui avaient des charges en province « obtenaient difficilement des congés[67] ; » ceux qui manquaient d’argent pour paraître avec magnificence avaient peu d’aide à attendre de la royauté ; la pluie d’or ne commença que plus tard, et Louis XIV passait même pour serré ; « Outre son humeur naturelle, disait Condé, qui n’est pas fort portée à faire de grandes dépenses, » il est retenu par « M. Colbert, qui l’est encore infiniment moins, et particulièrement quand il n’est pas bien persuadé des affaires pour lesquelles il faut dépenser[68]. »

Il est connu que Colbert n’aimait pas le gaspillage ; mais il savait être large, même pour les dépenses de luxe. Personne n’était plus persuadé de l’utilité de la représentation pour un souverain, et il ne ménageait ni sa peine, ni les deniers de l’Etat, pour que les grandes fêtes auxquelles son maître conviait la Cour et la ville fussent sans rivales en Europe. Et elles l’étaient, surtout au début, alors que les goûts étaient jeunes comme le reste, j’oserai dire comme les fautes, et en bénéficiaient comme elles. Ce qui s’appelle entraînement chez le très jeune homme prend le nom de vice chez l’homme mûr, et, il n’y a pas à dire, l’un est beaucoup plus laid que l’autre. Louis XIV n’avait pas vingt-trois ans lorsqu’il s’éprit de La Vallière, et les fêtes qu’il lui offrit s’en ressentirent. Ce furent d’exquises féeries, dans des décors légers de fleurs et de feuillages. La plus fameuse, à cause de la part qu’y prit Molière, est celle qu’on appela Les plaisirs de l’Ile enchantée, et qui fut donnée à Versailles en mai 1664. Elle devait durer trois jours ; on la prolongea six jours de plus, malgré le grand nombre des invitations et les difficultés qui en résultaient. La Cour, dit une Relation[69], arriva « le cinquième de mai, que le Roi traita plus de six cents personnes jusques au quatorzième, outre une infinité de gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d’artisans de toutes sortes venus de Paris : si bien que cela paraissait une petite armée. »

Il faut oublier tout ce que nous savons de Versailles pour se le représenter en 1664. Il n’y avait pas alors de ville, ni grande ni petite. Versailles était un petit village, entouré sur trois côtés de champs ou de marécages[70]. Le dernier côté était occupé par un château qui aurait été spacieux pour un particulier, qui ne comptait pas pour une Cour. A peine de dépendances. Un commencement de jardin planté par Le Nôtre. C’était tout.

Colbert trouvait déjà Versailles trop grand depuis que Louis XIV avait décidé d’offrir à ses hôtes autre chose que les quatre murs de leur chambre. On se souvient[71] que Mademoiselle, lorsqu’elle venait à Saint-Germain chez la Reine-mère, apportait ses meubles et amenait son cuisinier. Elle n’était même pas nourrie. C’était la règle générale. Louis XIV voulut être plus hospitalier, et commença sa réforme par Versailles. — « Ce qui est fort particulier en cette maison, écrivait Colbert en 1663, est que Sa Majesté a voulu que toutes les personnes auxquelles elle donne des appartemens soient meublées. Elle fait donner à manger à tout le monde et fait fournir jusqu’au bois et aux bougies dans toutes les chambres, ce qui n’a jamais été pratiqué dans les maisons royales. » Colbert est évidemment de mauvaise humeur. Il n’y avait pourtant guère d’appartemens à donner dans le château de Versailles ; les six cents invités s’en aperçurent de reste. Le Journal d’Olivier d’Ormesson contient à la date du 13 mai les lignes que voici : « Ce même jour, Mme de Sévigné nous conta les divertissemens de Versailles, qui avaient duré depuis le mercredi jusqu’au dimanche[72], en courses de bague, ballets, comédies, feux d’artifice et autres inventions fort belles ; que tous les courtisans étaient enragés ; car le Roi ne prenait soin d’aucun d’eux, et MM. de Guise et d’Elbeuf n’avaient pas quasi un trou pour se mettre à couvert. » Notez que le duc de Guise allait avoir à se costumer, avec toute sa « livrée. »

Le thème de la fête avait été tiré du Roland furieux, et agrémenté d’épisodes de circonstance, par un courtisan expert à ces sortes d’ouvrages, le duc de Saint-Aignan. Pendant trois jours et trois nuits, une troupe de choix s’il en fut, composée de Louis XIV, de Molière, des plus grands seigneurs de France et des plus jolies actrices de Paris, broda sur les imaginations de l’Arioste, en présence de deux reines et d’une Cour immense, qui semblait, dit quelque part la Gazette[73], avoir « épuisé les Indes » pour se couvrir de pierres précieuses. Des salles de verdure, des astragales de fleurs et la voûte du ciel furent le cadre où se déployèrent les cortèges mythologiques, les jeux de chevalerie, les ballets, les festins pour toute la « petite armée » et deux premières représentations de Molière, dont l’une allait être l’un des événemens littéraires du siècle. Le soir, on allumait des lustres accrochés parmi les feuillages, et la fête continuait pendant la nuit. La musique molle et tendre de Lulli planait sur cette apothéose de l’amour, dont l’héroïne, et c’était un charme de plus, restait confondue dans la foule : Louise de La Vallière n’était, encore ni « reconnue, » ni duchesse.

La première des trois grandes journées de la fête fut toute pour les yeux. Le roi de France et la fleur de ses courtisans, en paladins de Charlemagne habillés et armés « à la grecque, » selon les idées du XVIIe siècle sur la couleur locale, coururent la bague devant une somptueuse assemblée qui poussait « des cris de joie et d’admiration » à l’aspect du maître[74]. Louis XIV recherchait ces exhibitions. Il y brillait, et il leur attribuait une importance sur laquelle il s’explique à son fils dans ses Mémoires : il les croyait très efficaces pour « lier d’affection » avec le souverain « ses peuples et surtout les gens de qualité. » Les peuples ont toujours aimé les spectacles, et, pour la noblesse, plus un roi la tient de court, plus il doit lui montrer que ce n’est pas « aversion, » mais « raison, et devoir simplement. » Rien n’y sert mieux que les carrousels et autres divertissemens de même nature : — « Cette société de plaisirs, qui pionne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. »

Les tenans de la course de bague de 1064 avaient, en effet, été très fiers de l’honneur qui leur était fait. Ils apparurent couverts d’or, d’argent et de pierreries, escortés de pages et de gentilshommes galamment équipés. On vit défiler après eux des chars allégoriques, des personnages de la Fable et des animaux exotiques, Molière en dieu Pan, l’un de ses camarades monté sur un éléphant, un autre sur un chameau. Au souper en plein air qui termina la journée, la table royale fut servie par le corps de ballet, qui vint en dansant et tourbillonnant apporter chacun son plat. Les « chevaliers » de la course de bague, « avec leurs casques couverts de plumes de différentes couleurs et leurs habits de la course, » se tenaient debout derrière les convives. Deux cents masques portant des flambeaux de cire blanche éclairaient cet admirable tableau vivant, digne du grand poète qui l’avait inspiré.

Le lendemain fut employé à donner aux six cents invités une leçon de philosophie de la nature, non plus symbolique et voilée, mais claire et directe ; aussi fut-elle parfaitement comprise, les spectatrices en convinrent. La leçon était de Molière, qui avait écrit sa Princesse d’Élide dans le dessein bien arrêté de « célébrer » et de « justifier[75] » les amours du Roi et de La Vallière. On se rappelle le Récit de l’Aurore qui ouvre la pièce :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Dans l’âge où l’on est aimable,
Rien n’est si beau que d’aimer.

Soupirez librement pour un amant fidèle,
Et bravez ceux qui voudraient vous blâmer…

On se rappelle aussi que les cinq actes qui suivent ne sont que le développement, plein d’insistance, de cette invitation aux femmes de la Cour à ne pas mériter « le nom de cruelle. »

Après les affaires sérieuses, on revint aux plaisirs innocens, dont le plus applaudi fut un feu d’artifice qui embrasa « le ciel, la terre et l’eau » parmi un grand fracas de boîtes. Déjà chacun songeait au départ, quand Molière, le lundi 12 mai, donna les trois premiers actes du Tartufe. La connivence du Roi paraît bien établie. Le Père Rapin raconte[76] que « la secte des dévots » s’était rendue tellement insupportable, dès le temps de Mazarin, par ses avis indiscrets, que le Roi, « pour les décrier, les fit jouer quelques années après, sur le théâtre, par Molière. » Les « dévots » avaient vu venir le coup et fait leur possible pour le détourner ; les Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement en font foi[77]. Elles rapportent que l’on « parla fort, » dans la séance du 17 avril, « de travailler à procurer la suppression de la méchante comédie de Tartufe. Chacun se chargea d’en parler à ses amis qui avaient quelque crédit à la Cour pour prévenir sa représentation. » Ils eurent beau faire, Tartufe fut joué. L’assistance devina sans hésitation à qui Molière en avait, et les « dévots » ouïrent avec émotion ce congé dans les formes qui leur était signifié publiquement, moins d’une semaine après que la Princesse d’Élide avait déjà donné son compte à la morale. Au point de vue de la thèse générale, les deux pièces se faisaient suite ; elles étaient deux chapitres du même évangile. Le Roi avait tout l’air de passer à l’ennemi et de se rallier aux libertins. La cabale fit un effort désespéré et Tartufe fut interdit ; toutefois, personne ne s’imagina que la bataille fût terminée. On entrevoit une agitation extraordinaire autour de Louis XIV dans les semaines qui suivirent les fêtes de Versailles. La Cour était partie directement pour Fontainebleau ; l’été s’y passa à se disputer le jeune monarque.

Celui-ci était tiraillé. Il y avait en Louis XIV un révolté contre les contraintes de la religion, et un catholique politique, soutenant l’Église par maxime d’État, parce qu’il ne pouvait se passer d’elle pour une foule de choses. Ce sont deux façons de penser qui peuvent très bien s’arranger ensemble, et le Roi était en train de s’en aviser. Encore un peu, et la conciliation des deux points de vue sera chose faite dans son esprit. En attendant, il vivait au milieu des scènes et des larmes. Ce fut un été bien troublé.

Tandis que ces événemens tenaient Paris attentif, la pauvre Mademoiselle, oubliée dans son château d’Eu, se rongeait si fort qu’enfin son orgueil fut vaincu : « — Sur la nouvelle de la grossesse de la Reine, disent ses Mémoires, je m’avisai d’écrire, et je songeai : Peut-être le Roi veut-il que je le prie. » Et elle s’abaissa à le prier. Elle exprimait d’abord l’espoir que l’enfant attendu serait un fils : « — J’exagérai de très bonne foi l’envie que j’en avais, et je témoignai la douleur où j’étais d’être si longtemps sans avoir l’honneur de le voir. Je dis tout de mon mieux pour l’obliger à me permettre de retourner. » Elle écrivit en même temps à Colbert, qui passait pour être l’homme influent du ministère :


A Eu, ce 23 mars 1664.

« Monsieur Colbert, en envoyant témoigner au Roi la joie que j’ai de la grossesse de la Reine, j’ose lui demander ses bonnes grâces et la permission de les lui aller demander moi-même. J’espère que vous m’assisterez de vos bons offices pour obtenir un bien si précieux. Je le supplie, si je ne puis y parvenir, de m’accorder celle d’aller faire un tour à Paris avant mai[78], y ayant trois procès considérables pour arriver en ce temps. J’attends en ce rencontre la continuation de vos bons offices. »

« ANNE-MARIE-LOUISE D’ORLEANS. »


Le Roi mit deux mois à répondre :

« A ma cousine que c’est Mlle fille aînée de feu Mgr le Duc d’Orléans. »

« Ma cousine, j’ai une extrême consolation de vous voir dans les sentimens que vous me témoignés par votre lettre, j’oublie de bon cœur le passé, et je vous permets non seulement d’aller faire un tour à Paris, mais aussi d’y demeurer, ou de choisir tel autre séjour qui vous sera plus agréable, et même de venir ici, en cas que vous le souhaitiés, m’assurant que votre conduite me donnera toujours sujet de vous chérir, et de vous traiter comme une personne qui m’est aussi proche que vous êtes. Je vous remercie de l’affection avec laquelle vous m’écrivez sur la grossesse de la Reine, et prie… », etc.

« Louis. »


Quelques jours plus tard, Mademoiselle était en route pour Fontainebleau, bien résolue à n’y faire qu’une apparition. Elle nageait dans la joie d’avoir recouvré la liberté de ses mouvemens, mais la Cour, à présent, lui faisait peur. Le terrain y était devenu trop glissant pour une personne de son humeur, aimant autant son indépendance, et aussi rebelle à toute discipline.


ARVEDE BARINE.

  1. Voyez la Revue des 1er septembre 1902 et du 1er décembre 1903.
  2. Portrait de Mademoiselle fait par elle-même (novembre 1657), dans la Galerie des Portraits de Mademoiselle de Montpensier, édité par Edouard de Barthélémy (Paris, 1860).
  3. Mme de Rambouillet mourut très âgée en 1665. La fin de son règne remontait à 1650 environ.
  4. Le Grand Cyrus. La plupart des amies de Mlle de Scudéry y sont peintes sous des noms supposés. Mlle Bocquet s’y appelle Agélaste.
  5. Cf. La Société française au XVIIe siècle, vol. II, ch. XV.
  6. C’est l’amie de Mme de Sévigné.
  7. Belle-sœur de la précédente, épousa en 1662 Bernard, duc de Saxe-Iéna.
  8. Mademoiselle dit dans ses Mémoires qu’elles les avaient « fait faire. » C’est un lapsus.
  9. La Galerie des Portraits, etc.
  10. Plusieurs fois réédité.
  11. C’est M. de Barthélémy, l’éditeur de la Galerie des Portraits, qui le dit. Honorat de Bueil, marquis de Racan, naquit en 1589 et mourut en 1670.
  12. Ou quarante-six, selon que l’on adopte pour son portrait la date de 1658 ou celle de 1659.
  13. L’École des femmes est de 1662.
  14. Galerie, etc. L’expression est de la jolie marquise de Mauny, qui avait fait partie de la petite cour de Saint-Fargeau.
  15. De Mme de Sainctôt, femme du maître de cérémonies et introducteur des ambassadeurs sous Louis XIV. Elle fut l’amie de Voiture.
  16. Les autres sont : Vie de Madame de Fouquerolles, autobiographie supposée d’une dame qui fut mêlée aux intrigues de la Fronde (existe en manuscrit à la Bibliothèque de l’Arsenal), et Relation de l’île imaginaire (1658), badinage renouvelé d’un épisode de Don Quichotte.
  17. Mémoires. François-Timoléon de Choisy était né en 1644. Il a été question plusieurs fois de sa mère.
  18. Marguerite-Louise d’Orléans, née le 28 juillet 1645 : Elisabeth, dite Mademoiselle d’Alençon, née le 26 décembre 1646 ; Françoise-Madeleine, dite Mademoiselle de Valois, née le 13 octobre 1648.
  19. Née à Tours en 1644. Son père, Laurent de La Baume Le Blanc, seigneur de La Vallière, étant mort en 1654, sa mère se remaria avec Jacques de Courtavel, marquis de Saint-Rémi, maître d’hôtel de Gaston d’Orléans.
  20. Cf. Madame, Memoirs of Henrietta Duchess of Orleans, by Julia Cartwright (Londres, 1894).
  21. Lady Derby était une La Trémouille. La belle-sœur à qui sont adressées les lettres était la sœur de Turenne.
  22. Cf. les Mémoires de Montglat.
  23. Ou Charles IV ; il y a deux façons de compter les ducs de Lorraine.
  24. Voyez le très curieux volume de M. Rodocanachi : les Infortunes d’une petite-fille d’Henri IV. Le mariage avait eu lieu le 19 avril 1661
  25. Mémoires de Mademoiselle.
  26. Œuvres de Louis XIV (Paris, 1806).
  27. Sur la Théorie du pouvoir royal chez les contemporains de Louis XIV, voir l’Éducation politique de Louis XIV, par M. Lacour-Gayet.
  28. Par Fortin de la Hoguette (1645).
  29. L’Image du souverain (1649).
  30. Mémoires pour 1667. Ed. de M. Charles Dreyss.
  31. Le Portugal avait repris son indépendance en 1640.
  32. Mémoires pour l’année 1661.
  33. Mignet, Négociations relatives à la succession d’Espagne.
  34. Mémoires de Bussy-Rabutin.
  35. Gazette de Loret du 28 octobre 1662.
  36. Elisabeth de France, fille d’Henri IV. Née en 1602, elle épousa Philippe IV en 1615, eut Marie-Thérèse en 1638, et mourut en 1644.
  37. C’était le maréchal de Gramont, père du comte de Guiche. La « magnificence » et la « galanterie » de sa course à Madrid pour demander l’infante avaient laissé de vifs souvenirs.
  38. Souvenirs de Madame de Caylus. — Souvenirs sur Madame de Maintenon. — Mémoires de Mme de Motteville. — Les Cahiers de Mademoiselle d’Aumale, publiés par le comte d’Haussonville et M. G. Hanotaux.
  39. Mariée le 1er avril 1661, à dix-sept ans. Monsieur (Philippe de France, duc d’Orléans) en avait vingt et un.
  40. Histoire de Madame Henriette d’Angleterre par Mme de La Fayette.
  41. Le mot est de M. Brunetière.
  42. Histoire de Madame Henriette, etc.
  43. Mémoires de Mme de Motteville.
  44. Lettre du 9 juillet 1719, et passim, dans sa correspondance.
  45. Voyez la Revue du 1er décembre 1903.
  46. Cf. la Cabale des Dévots, par M. Raoul Allier, et un Épisode de l’histoire religieuse du XVIIe siècle, par M. Alfred Rébelliau, dans la Revue.
  47. Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson.
  48. Mémoires de Bussy-Rabutin.
  49. A Nos seigneurs de Parlement. — Archives du château d’Eu. — Mgr le Duc d’Orléans a bien voulu m’ouvrir l’accès des Archives d’Eu avec une libéralité dont je lui adresse ici mes remerciemens.
  50. Déclaration par le menu du comté d’Eu (8 mai 1660), et Inventaire général du comté d’Eu (1er juillet 1693).
  51. L’acre de Normandie valait 81 ares 71 centiares
  52. Sa « requête » au Roi est du 9 février 1661 (Archives du château d’Eu).
  53. Les dettes se montèrent, exactement, à 2 700 718 livres 18 sols (Liste des créanciers, etc. Archives du château d’Eu). On a vu que Mademoiselle avait acheté Eu 2 550 000 livres.
  54. Le récit de l’entrée de Mademoiselle est aux Archives du château d’Eu.
  55. Motteville.
  56. Histoire de France de Léopold Ranke.
  57. Numéro du 14 septembre 1663.
  58. Le mariage eut lieu le 28 janvier.
  59. Philippe IV mourut le 17 septembre 1665.
  60. Cf. la Relation des divertissemens que le Roi a donnés aux Reines, etc., par Marigny (juin 1664).
  61. Numéro du 21 juillet 1663, et passim.
  62. Louis XIV avait acheté Dunkerque au roi d’Angleterre. La ville fut livrée le 21 novembre 1662. Pour l’entrée du Roi, voir la Gazette.
  63. Louis XIV s’est installé à Versailles, à demeure, le 6 mai 1682.
  64. Lettre à la reine de Pologne, Marie de Gonzague (Archives de Chantilly). Le duc d’Enghien avait épousé, le 11 décembre 1663, Anne de Bavière, fille de la princesse palatine et nièce de Marie de Gonzague.
  65. Journal d’Olivier d’Ormesson.
  66. Lettre du 31 octobre, à la reine de Pologne (Archives de Chantilly).
  67. Cf. De La Vallière à Montespan, par Jean Lemoine et André Lichtenberger.
  68. Lettre du 28 décembre 1663, à la reine de Pologne (Archives de Chantilly).
  69. Voyez le Molière des Grands écrivains, t. IV.
  70. Voyez les gravures du temps. On en trouvera des reproductions dans le bel ouvrage de M. de Nolhac ; la Création de Versailles.
  71. V. La Jeunesse de la Grande Mademoiselle.
  72. Du 7 au 11 mai, les deux premiers jours et les deux derniers non comptés.
  73. Numéro du 3 février 1663, à propos d’un bal donné au Louvre par le Roi, le 31 janvier.
  74. Pour cette partie, voir la Gazette du 17 mai, les Lettres de Loret des 10 et 17, les diverses Relations du temps, le Molière des Grands écrivains, etc.
  75. Louise de La Vallière, par J. Lair.
  76. Mémoires sur l’Église et la société de 1644 à 1669.
  77. La Cabale des Dévots, par M. Raoul Allier.
  78. Mot douteux.