La Gare (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 106-107).


LA GARE


Du côté du canal, où ronflent et s’exilent

Les trois usines de la ville,
La gare,
Avec ses coups de trompe et de sifflet,
Avec ses signaux verts dans le soir violet,

Luit et s’effare.


Elle existe, vivant de peu, très à l’écart ;

Où monte son pignon, montait l’ancien rempart.
Les dimanches, à l’heure où l’on sonne les messes,
Elle écoute de loin le lourd bourdon baller,
Et les cloches, une fois l’an, se quereller,

Toutes ensemble, à la Kermesse.


Elle connaît l’huissier, le juge et le curé,
Et ceux qui vont à Deynze, et de Deynze à Courtrai,
Et ceux que le lundi pousse jusqu’à Termonde ;

Tous, ils rentrent, le soir, avant la nuit, chez eux,
Sans que jamais aucun ne laisse errer ses yeux

Au long des rails brûlants, qui vont au bout du monde.


Un va-et-vient prévu de charriages las

Circule, autour de vieux hangars, là-bas ;
Un camion s’éloigne, un camion arrive ;
On hèle, au cabaret, quelques débardeurs soûls,
Et les wagons chargés sont poussés bout à bout,

Et se heurtent, comme entraînés à la dérive.


Mais, dès que le jour tombe, et que s’en vont rentrer

Ceux-ci d’Alost, ceux-là de Deynze et de Courtrai,
La gare,
Une dernière fois, tremble et s’effare,
Et se remplit de bruit ;
Puis, doucement s’enfonce et se clôt dans sa nuit ;
Et l’on n’entend plus rien dans la salle d’attente,
Où seul un bec de gaz reste allumé,
Que le grincement dur d’une plume irritante,

Près d’un guichet fermé.