La Forêt de Rennes/1. La chanson

La Forêt de Rennes
Legrand et Crouzet (Tome IIIp. np-11).


ADIEUX DE M. DE LA TREMLAYS À LA NOBLESSE DE BRETAGNE
FORET DE RENNES

ŒUVRES CHOISIES DE PAUL FÉVAL




LA FORÊT
DE RENNES




NOUVELLE ÉDITION


ILLUSTRÉE DE BELLES GRAVURES SUR ACIER





PARIS
LEGRAND ET CROUZET, LIBRAIRES-ÉDITEURS
48, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE, 48
Près le Luxembourg

CHAPITRE PREMIER

LA CHANSON.

Le voyageur qui va de Paris à Brest, de la capitale du royaume à la première de nos cités maritimes, s’endort et s’éveille deux fois bercé par le cahoteux balancement de la diligence, avant d’apercevoir les maigres moissons, les pommiers trapus et les chênes ébranlés de la pauvre Bretagne. Il s’éveille la première fois dans les plaines fertiles du Perche, tout près de la Beauce, ce paradis des négociants en farine : il se rendort poursuivi par l’aigrelet parfum du cidre de l’Orne, et par le patois nasillard des naturels de la Basse-Normandie. Le lendemain matin, le paysage a changé : c’est Vitré, la gothique momie, qui penche ses maisons noires et les ruines chevelues de son château sur la pente roide d’une abrupte colline ; ce sont de vastes prairies plantées çà et là de saules et d’oseraies où la Vilaine plie et replie en mille fantasques détours son étroit ruban d’azur. Le ciel, bleu la veille, est devenu gris ; l’horizon a perdu son ampleur, l’air a pris une saveur humide qui énerve l’appareil de la respiration. Au loin, sur la droite, derrière une série de monticules arides et couverts de genêts, on aperçoit une ligne noire. C’est la forêt de Rennes.

La forêt de Rennes est bien déchue de sa gloire antique. Les exploitations industrielles ont fait, depuis cinquante ans, un terrible massacre de ses beaux arbres. MM. de Rohan, de Montboucher, de Chateaubriand y couraient le cerf autrefois, en compagnie des seigneurs de Laval, invités tout exprès, et de M. l’intendant royal, dont on se serait passé volontiers. Maintenant, c’est à peine si les commis rougeauds des maîtres de forges y peuvent tuer à l’affût, de temps à autre, quelque chétif lapereau ou un chevreuil étique que le spleen porte à braver cet indigne trépas. On n’entend plus, sous le couvert, les éclatantes fanfares ; le sabot des nobles chevaux ne frappe plus le gazon des longues allées : tout se tait, hormis les marteaux et la toux cyclopéenne de la pompe à feu. Certains se frottent les mains à l’aspect de ce résultat. Ils disent que les châteaux ne servaient à rien et que les usines font des clous. Nous avons, sur ce sujet, une opinion très-positivement arrêtée, mais nous la réserverons pour une occasion meilleure.

Quoi qu’il en soit, au lieu de quelques kilomètres carrés grevés de coupes accablantes, et dont les trois quarts sont à l’état de taillis, la forêt de Rennes avait, il y a cinquante ans, huit bonnes lieues de tour, et des tenues de futaie si haut lancées, si vastes et si bien fourrées de plant à la racine, que les gardes eux-mêmes y perdaient leur chemin. En fait d’usines, on n’y trouvait que des saboteries, et aussi, dans les châtaigneraies, quelques huttes où l’on faisait des cercles pour les tonneaux. Au centre des clairières, dix à douze loges groupées et comme entassées servaient de demeures aux charbonniers. Il y en avait un nombre fort considérable, et, en somme, la population de la forêt passait pour n’être point au-dessous de quatre à cinq mille habitants.

C’était une caste à part, un peuple à demi sauvage, ennemi né de toute innovation, et détestant par instinct et par intérêt tout régime autre que l’antique coutume, laquelle lui accordait tacitement un droit d’usage illimité sur tous les produits de la forêt, sauf le gibier. De temps immémorial, sabotiers, tonneliers, charbonniers et vanniers avaient pu, non-seulement ignorer jusqu’au nom d’impôt, mais encore prendre bois nécessaire à leur industrie sans indemnité aucune. Dans leur croyance, la forêt était leur légitime patrimoine : ils y étaient nés ; ils avaient le droit imprescriptible d’y vivre et d’y mourir. Quiconque leur contestait ce droit devenait pour eux un inique oppresseur. Or, ils n’étaient point gens à se laisser opprimer sans résistance.

Louis XIV était mort. Philippe d’Orléans, au mépris du testament du monarque défunt, tenait la régence. Bien que ce prince, pour qui l’histoire a eu de sévères et justes jugements, mît volontairement en oubli la grande politique de son maître, cette politique subsistait par sa force propre, partout où des mains malhabiles ou perfides ne prenaient point à tâche de la miner sourdement. En Bretagne, la longue et vaillante résistance des États avait pris fin. Un intendant de l’impôt avait été installé à Rennes, et le pacte d’union, violemment amendé, ne gardait plus ses fières stipulations en faveur des libertés de la province. Le parti breton était donc vaincu ; la Bretagne se faisait France en définitive : il n’y avait plus de frontière.

Mais autre chose était de consentir une mesure en assemblée parlementaire, autre chose de faire passer cette mesure dans les mœurs d’un peuple dont l’entêtement est devenu proverbial. M. de Pontchartrain, le nouvel intendant royal de l’impôt, avait l’investiture légale de ses fonctions ; il lui restait à exécuter son mandat, ce qui n’était point chose facile. Partout on accusa les États de forfaiture ; on résista partout. L’association des frères-bretons, organisée pour la défense des libertés de la province, et qui, en réalité, n’avait plus d’objet politique, continua d’exister et d’agir dans l’ombre. C’est le propre de ces assemblées secrètes, de survivre, pour ainsi dire, à elles-mêmes ; la franc-maçonnerie, qui est morte, vivra plus longtemps que nous. Les frères-bretons refusèrent d’abord l’impôt les armes à la main, puis ils cédèrent à leur tour, mais tout en cédant ils protestèrent. Vingt ans après l’époque où se passèrent les événements que nous allons raconter, et qui forment le prologue de notre récit, nous retrouverons leurs traces. Le mystère est dans la nature de l’homme. Les assemblées secrètes ne meurent que de vieillesse, et Dieu sait ce que leur vieillesse dure !

En 1719, presque tous les gentilshommes s’étaient retirés de l’association, mais elle subsistait, vivace, indestructible, parmi le bas peuple des villes et des campagnes. Ce qui restait de frères nobles était l’objet d’un véritable culte. Les châteaux où se retranchaient ces partisans obstinés de l’indépendance devenaient des centres autour desquels se groupaient les mécontents. Ils étaient peut-être Impuissants déjà pour agir sur une grande échelle, mais leur opposition (qu’on nous passe l’anachronisme), se faisait en toute sécurité. Il eût fallu, pour les réduire, mettre le pays à feu et à sang.

D’après ce que nous avons dit de la forêt de Rennes, on doit penser qu’elle était un des plus actifs foyers de la résistance. Sa population, entièrement composée de gens ignorants et endurcis aux plus rudes travaux, était dans des conditions singulièrement favorables à cette opposition, dont le fond est un refus pur et simple, accompagné et soutenu par la force d’inertie, assez nombreux et unis pour combattre, si nulle autre ressource ne pouvait être employée, les gens de la forêt attendaient, confiants dans les retraites inaccessibles qu’offrait à chaque pas le pays, confiants surtout dans la connaissance parfaite qu’ils avaient de leur forêt, cet immense labyrinthe dont les taillis touchaient à la fois la campagne de Rennes et les faubourgs de Fougères et de Vitré. Le premier coup de mousquet tiré sous le couvert devait armer la plèbe déguenillée des basses rues de Rennes, les historiques bourgeois de Vitré, qui portaient encore brassards, hauberts et salades, comme des hommes d’armes du XVe siècle, et les habiles braconniers de Fougères. Avec tout cela, il était raisonnable d’espérer que les sergents de M. de Pontchartrain pourraient ne point avoir beau jeu.

Il y avait au monde un homme qu’ils respectaient tant, que si cet homme leur eût dit : « Payez l’impôt au roi de France, » ils auraient obéi. Mais cet homme n’avait garde. Il était justement l’un des plus obstinés débris de l’association bretonne, et sa voix retentissait encore de temps à autre dans la salle des États, pour protester contre l’envahissement de la maison de Bourbon.

Il avait nom Nicolas Treml de la Tremlays, seigneur de Bouëxis-en-Forêt, et possédait à une demi-lieue du bourg de Liffré un domaine qui le faisait suzerain de presque tout le pays. Son château de la Tremlays était l’un des plus beaux qui fût dans la Haute-Bretagne. Son manoir de Bouëxis n’était guère moins magnifique. Il fallait deux heures pour se rendre de l’un à l’autre, et durant tout le chemin on marchait sur la terre de Nicolas Treml. C’était un vieillard de grande taille et d’austère physionomie. Ses longs cheveux blancs tombaient en mèches éparses sur le drap grossier de son pourpoint, coupé à l’ancienne mode. L’âge n’avait point modéré l’ardente fougue de son regard. À le voir droit et ferme sur la selle, lorsqu’il chevauchait sous la futaie, les gens de la forêt se sentaient le cœur gaillard et disaient :

— Tant que vivra notre monsieur, il y aura un Breton dans le pays, et gare aux sangsues de France !

Ils disaient vrai : le patriotisme de Nicolas Treml était aussi indomptable qu’exclusif. La décadence graduelle du parti de l’indépendance, loin de lui être un enseignement, n’avait fait qu’agrandir son obstination. D’année en année, ses collègues des États écoutaient avec moins de frayeur ses rudes protestations ; mais il protestait toujours, et c’était la main sur la garde de son épée qu’il fulminait ses menaçantes diatribes contre le représentant de la couronne.

Un jour qu’il parlait, messieurs de la noblesse se prirent à rire, et plusieurs voix murmurèrent :

— Décidément, M. de la Tremlays a perdu la tête !

Il s’arrêta tout à coup : une mate pâleur monta jusqu’à son front ; son œil lança un fulgurant éclair. Il se couvrit et gagna lentement la porte de la salle. Sur le seuil, il croisa ses bras et envoya au ban de la noblesse un long regard de défi.

— Je remercie Dieu, dit-il d’une voix lente et durement accentuée qui pénétra jusqu’aux extrémités de la salle, je remercie Dieu de n’avoir perdu que la tête, lorsque messieurs mes pairs, eux, ont perdu le cœur !

À ce sanglant outrage, vous eussiez vu bondir sur leurs sièges tous ces fiers gentilshommes. Vingt rapières furent à l’instant dégainées. Nicolas Treml ne bougea pas.

— Laissez là vos épées, reprit-il. Moi aussi je fus insulté, pourtant je me retire. Ce n’est point du sang breton qu’il faut à ma colère. Adieu, messieurs. Je prie Dieu que vos enfants oublient leurs pères et se souviennent de leurs aïeux… Je me sépare de vous et je vous renie. Vous avez mis la Bretagne au tombeau ; moi je mettrai du sang sur le tombeau de la Bretagne… Quand il n’est plus temps de combattre, il est temps encore parfois de se venger !

M. de la Tremlays monta sur son bon cheval, et prit la route de son domaine.

Ceux qui le rencontrèrent ne purent deviner les vindicatives pensées qui se pressaient en foule dans son esprit. Robuste de cœur autant que de corps, il savait garder au dedans de soi sa colère. Son front restait calme, son regard errait, vague et indifférent, sur le plat paysage des environs de Rennes.

Lorsqu’il entra sous le couvert de la forêt, le soleil baissait à l’horizon. M. de la Tremlays contempla plus d’une fois avec convoitise les retranchements naturels et imprenables qu’offrait à chaque pas le sol vierge ; il comptait involontairement ces hommes vigoureux, et vaillants qui le saluaient de loin avec une respectueuse affection.

— La guerre, pensait-il, pourrait être terrible avec ces soldats et ces retraites.

Il arrêtait son cheval et devenait rêveur. Mais bientôt une idée obsédante fronçait ses sourcils grisonnants. Il se redressait et son œil brillait d’un vague et sauvage éclat.

— Point de guerre ! disait-il alors. Un duel ! — Un seul coup, — une seule mort !

Et M. de la Tremlays, enfonçant ses éperons dans les flancs de son cheval, combinait un de ces plans dont l’extravagante hardiesse amène le sourire sur les lèvres des hommes de bon sens, et que le succès peut à peine sanctionner ; — un plan audacieux, chevaleresque, mais impossible et fou, dont l’idée ne pouvait germer que dans un cerveau de gentilhomme campagnard, ignorant le monde et toisant la prose du présent avec la poétique mesure du passé.

Il ne faudrait point pourtant se méprendre et taxer Nicolas Treml de démence, parce que son entreprise dépassait les bornes du possible. Il le savait, et son enthousiasme ne lui cachait point la profondeur de l’abîme. Mais c’était un de ces hommes à cervelle de bronze, qui voient le précipice ouvert, et ne s’arrêtent point pour si peu en chemin.

Une seule circonstance eût pu le faire hésiter. La maison de la Tremlays n’avait qu’un héritier direct, Georges Treml, petit-fils du vieux gentilhomme. Que deviendrait cet enfant de cinq ans, frappé dans la personne de son aïeul, et dépourvu de protecteur naturel ? Nicolas Treml supportait impatiemment cette objection que lui faisait sa conscience.

— Si je réussis, pensait-il, Georges aura un héritage de gloire ; si j’échoue, monsieur mon cousin de Vaunoy lui gardera son patrimoine… Vaunoy est un loyal gentilhomme.

Comme il prononçait mentalement ces paroles, une voix grêle et lointaine lui apporta le refrain d’une chanson du pays, sorte de complainte, dont l’air lent, monotone, mélancolique, accompagnait le lugubre récit du trépas d’Arthur de Bretagne, méchamment mis à mort par son oncle Jean Sans-Terre. M. de la Tremlays tressaillit et se sentit venir au cœur un pressentiment funeste.

— Impossible ! murmura-t-il, Vaunoy est un digne parent. ..

La voix se rapprochait, le chant semblait prendre une nuance d’ironie.

— D’ailleurs, poursuivit le vieux gentilhomme, Georges est Breton ; son bonheur comme son sang, appartient à la Bretagne.

La voix se tut, durant quelques secondes, puis elle éclata tout à coup juste au-dessus de M. de la Tremlays. Celui-ci leva brusquement la tête et aperçut, au haut d’un gigantesque châtaignier dont la couronne, dominant les arbres d’alentour, était vivement éclairée par les rayons obliques du soleil couchant, un être d’apparence extraordinaire et presque diabolique. Son corps, ainsi éclairé, rayonnait d’une sorte de lueur blafarde. Si un voyageur l’eût rencontré dans les forêts du Nouveau-Monde, il ne lui aurait certainement pas accordé nom d’homme, l’histoire naturelle de M. de Buffon contiendrait un article de plus : le babouin blanc. Cette créature ressemblait en effet à un énorme singe de couleur blanchâtre ; elle sautait d’une branche à l’autre avec une agilité merveilleuse, et, à chaque saut, un faisceau de menus rameaux tombait à terre. — Son chant continuait.

Il est à croire que ce n’était pas la première fois que M. de la Tremlays rencontrait ce personnage étrange, car il arrêta son cheval sans manifester la moindre surprise, et siffla comme on fait pour appeler un chien.

Le chant cessa aussitôt, et la créature perchée au sommet du châtaignier, dégringolant de branche en branche, tomba aux pieds du vieux seigneur en poussant un grognement amical et respectueux.

C’était bien un homme, et pourtant il était plus extraordinaire encore de près que de loin. Ses jambes nues, couvertes de poils incolores, supportaient gauchement un torse difforme et de beaucoup trop court. Son cou, osseux et planté en biseau sur sa creuse poitrine, était surmonté d’une face anguleuse, aux os de laquelle se collait une peau blanchâtre et semée de duvet. Ses cheveux, ses sourcils, sa barbe naissante, tout était blanc, et c’était merveille de voir reluire son œil sanglant au milieu de ce laiteux entourage. Aucun signe certain, dans toute sa personne, ne pouvait servir à préciser son âge. Peut-être était-ce un enfant, peut-être un vieillard. L’extrême agilité qu’il venait de déployer éloignait également néanmoins ces deux suppositions. La jeunesse seule pouvait avoir caché tant de vigoureuse souplesse sous cette enveloppe chétive et misérable.

Il se releva d’un bond et vint se planter au milieu du chemin, devant la tête du cheval.

— Comment va ton père, Jean Blanc ? demanda M. de la Tremlays.

— Comment va ton fils, Nicolas Treml ? répondit l’albinos en exécutant une cabriole.

Un nuage couvrit le front du vieillard. Cette brusque question correspondait mystérieusement au sujet récent de son inquiète rêverie.

— Tu deviens insolent, mon garçon, grommela-t-il. Je suis trop bon envers vous autres vilains, et cela vous donne de l’audace fais-moi place, et que je ne t’y prenne plus !

Au lieu d’obéir à cet ordre, prononcé d’un ton sévère, Jean Blanc saisit la bride du cheval, et se prit à sourire tranquillement.

Tu te trompes, mon seigneur, dit-il d’une voix douce et mélancolique. Ce n’est pas avec nous, pauvres gens, que tu es trop bon, c’est avec d’autres que tu aimes et qui te détestent.

— Paix ! fou que tu es ! voulut interrompre Nicolas Treml.

L’albinos ne lâcha pas la bride et continua :

— Le père de Jean Blanc va bien. Jean Blanc veillait hier auprès de lui ; auprès de lui il veillera demain… Hier tu veillais sur Georges Treml ; veilleras-tu sur lui demain, mon seigneur ?

— Que veux-tu dire ?

— C’est une belle chanson que la chanson d’Arthur de Bretagne… Écoute : je sais ramper sous le couvert tout aussi bien que grimper au faîte des châtaigniers. Je t’ai suivi longtemps dans la forêt ; tu causais avec ta conscience, j’ai compris, et j’ai chanté la chanson d’Arthur.

— Quoi ! s’écria M. de la Tremlays, tu m’as entendu ?… tu sais tout ?…

— Non, pas tout… tu as dit trop de folies pour que j’aie pu tout comprendre… Mais, crois-moi, ne laisse pas notre petit M. Georges à la merci d’un cousin. Si tu veux t’en aller bien loin, prends ton petit-fils en croupe ; si tu ne le peux pas, tue-le ; mais ne l’abandonne pas. Et maintenant, je vais couper des branches pour faire des cercles de barrique. Nicolas Treml, que Dieu te bénisse !

L’albinos lâcha la bride, et grimpa comme un chat sauvage le long du tronc noueux d’un châtaignier. La nuit commençait à tomber. Le costume de cet être bizarre, formé de peaux de lapin et blanc comme sa personne, se distinguait à travers les branches qu’il franchissait avec une indescriptible prestesse.

M. de la Tremlays se remit en route, tout pensif.

— C’est un pauvre insensé ! se disait-il.

Mais son cœur se serrait de plus en plus, et lorsque la voix de Jean Blanc, se faisant de nouveau entendre, lui jeta par-dessus les têtes touffues des grands chênes les notes lugubres de la complainte d’Arthur de Bretagne, le vieux gentilhomme eut froid à l’âme, et prononça en frémissant le nom de son petit-fils.